Message du Pape François pour la journée mondiale des communications sociales (28 mai 2017)

CNS photo/Tolga Bozoglu, EPA

Le thème 2017 pour la journée mondiale des communications sociales est  » Ne crains pas, car je suis avec toi » (Is 43, 5): communiquer l’espérance et la confiance en notre temps. Chaque année, ce message est publié le 24 janvier, fête de Saint-François de Sales, saint patron des journalistes et communicateurs. Cette journée est généralement commémorée à une date près du dimanche de la Pentecôte. Vous trouverez ci-dessous le texte complet de ce message du pape François:

«Ne crains pas, car je suis avec toi» (Is 43,5).
Communiquer l’espérance et la confiance en notre temps

L’accès aux médias, grâce au développement technologique, est tel que beaucoup de gens ont la possibilité de partager instantanément l’information et de la diffuser de manière capillaire. Ces informations peuvent être bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses. Par le passé, nos pères dans la foi parlaient de l’esprit humain comme de la meule d’un moulin qui, actionnée par l’eau, ne peut pas être arrêtée. Celui qui est responsable du moulin a cependant la possibilité de décider de moudre du grain ou de l’ivraie. L’esprit de l’homme est toujours en action et ne peut cesser de « moudre » ce qu’il reçoit, mais c’est à nous de décider de quel matériel l’approvisionner (cf. Cassien le Romain, Lettre à Léonce Higoumène).

Je voudrais que ce message puisse atteindre et encourager tous ceux qui, dans leur milieu professionnel ou dans leurs relations personnelles, « moulent » chaque jour beaucoup d’informations pour offrir un pain frais et bon à ceux qui se nourrissent des fruits de leur communication. Je voudrais exhorter chacun à une communication constructive qui, en rejetant les préjugés envers l’autre, favorise une culture de la rencontre grâce à laquelle il est possible d’apprendre à regarder la réalité en toute confiance.

Je pense qu’il faut briser le cercle vicieux de l’anxiété et endiguer la spirale de la peur, fruit de l’habitude de concentrer l’attention sur les « mauvaises nouvelles » (les guerres, le terrorisme, les scandales et toutes sortes d’échec dans les affaires humaines). Il ne s’agit pas évidemment de promouvoir une désinformation où le drame de la souffrance serait ignoré, ni de tomber dans un optimisme naïf qui ne se laisse pas atteindre par le scandale du mal. Je voudrais, au contraire, que tous nous cherchions à dépasser ce sentiment de mécontentement et de résignation qui nous saisit souvent, nous plongeant dans l’apathie, et provoquant la peur ou l’impression qu’on ne peut opposer de limites au mal. D’ailleurs, dans un système de communication où domine la logique qu’une bonne nouvelle n’a pas de prise et donc ne constitue pas une nouvelle, et où le drame de la souffrance et le mystère du mal sont facilement donnés en spectacle, il peut être tentant d’anesthésier la conscience ou de tomber dans le désespoir.

Je voudrais donc apporter une contribution à la recherche d’un style ouvert et créatif de communication qui ne soit jamais disposé à accorder au mal un premier rôle, mais qui cherche à mettre en lumière les solutions possibles,  inspirant une approche active et responsable aux personnes auxquelles l’information est communiquée. Je voudrais inviter à offrir aux hommes et aux femmes de notre temps des récits marqués par la logique de la « bonne nouvelle ».

La bonne nouvelle

La vie de l’homme n’est pas seulement une chronique aseptisée d’événements, mais elle est une histoire, une histoire en attente d’être racontée à travers le choix d’une clé de lecture qui permet de sélectionner et de recueillir les données les plus importantes. La réalité, en soi, n’a pas une signification univoque. Tout dépend du regard avec lequel elle est saisie, des « lunettes » à travers lesquelles on choisit de la regarder: en changeant les verres, la réalité aussi apparaît différente. D’où pouvons-nous donc partir pour lire la réalité avec de bonnes « lunettes »?

Pour nous chrétiens, les lunettes appropriées pour déchiffrer la réalité, ne peuvent être que celles de la bonne nouvelle, de la Bonne Nouvelle par excellence: «l’Evangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu» (Mc 1,1). Avec ces mots, l’Evangéliste Marc commence son récit par l’annonce de la « bonne nouvelle » qui concerne Jésus,  mais plus qu’une information sur Jésus, c’est plutôt la bonne nouvelle qui est Jésus lui-même. En lisant les pages de l’Évangile, on découvre en effet, que le titre de l’œuvre correspond à son contenu et, surtout, que ce contenu est la personne même de Jésus.

Cette bonne nouvelle qui est Jésus lui-même, n’est pas bonne car dénuée de souffrance, mais parce que la souffrance aussi est vécue dans un cadre plus large, comme une partie intégrante de son amour pour le Père et pour l’humanité. En Christ, Dieu s’est rendu solidaire avec toutes les situations humaines, nous révélant que nous ne sommes pas seuls parce que nous avons un Père qui ne peut jamais oublier ses enfants. «Ne crains pas, car je suis avec toi» (Is 43,5) sont les paroles consolatrices d’un Dieu qui depuis toujours s’est impliqué dans l’histoire de son peuple. En son Fils bien-aimé, cette promesse de Dieu – «Je suis avec toi » – arrive à assumer toute notre faiblesse, jusqu’à mourir de notre mort. En Lui aussi les ténèbres et la mort deviennent des lieux de communion avec la Lumière et la Vie. Ainsi, une espérance voit le jour, accessible à tous, à l’endroit même où la vie connaît l’amertume de l’échec. C’est une espérance qui ne déçoit pas, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs (cf. Rm 5,5) et fait germer la vie nouvelle comme la plante germe du grain jeté en terre. Dans cette lumière tout nouveau drame qui arrive dans l’histoire du monde devient aussi le scénario d’une possible bonne nouvelle, car l’amour parvient toujours à trouver le chemin de la proximité et à susciter des cœurs capables de s’émouvoir, des visages capables de ne pas se décourager, des mains prêtes à construire.

La confiance dans la semence du Royaume

Pour introduire ses disciples et les foules à cet état d’esprit évangélique et leur donner les bonnes « lunettes » pour approcher la logique de l’amour qui meurt et ressuscite, Jésus utilisait les paraboles, dans lesquelles le Royaume de Dieu est souvent comparé à la semence, qui libère sa puissance vitale justement quand elle meurt dans le sol (cf. Mc 4,1 à 34). L’utilisation d’images et de métaphores pour communiquer l’humble puissance du Royaume n’est pas une façon d’en réduire l’importance et l’urgence, mais la forme miséricordieuse qui laisse à l’auditeur l’ »espace » de liberté pour l’accueillir et la rapporter aussi à lui-même. En outre, elle est le chemin privilégié pour exprimer l’immense dignité du Mystère Pascal, laissant les images – plus que les concepts – communiquer la beauté paradoxale de la vie nouvelle dans le Christ, où les hostilités et la croix n’empêchent pas, mais réalisent le salut de Dieu, où la faiblesse est plus forte que toute puissance humaine, où l’échec peut être le prélude à l’accomplissement le plus grand de toutes choses dans l’amour. Et c’est justement ainsi, en réalité, que mûrit et s’approfondit l’espérance du Royaume de Dieu: « Comme d’un homme qui aurait jeté du grain en terre : qu’il dorme et qu’il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse »  (Mc 4,26-27)

Le Royaume de Dieu est déjà parmi nous, comme une graine cachée à un regard superficiel et dont la croissance se fait en silence. Celui qui a des yeux rendus clairs par l’Esprit Saint peut le voir germer et ne se laisse pas voler la joie du Royaume par les mauvaises herbes toujours présentes.

Les horizons de l’Esprit

L’espérance fondée sur la bonne nouvelle qui est Jésus nous fait lever les yeux et nous pousse à le contempler dans le cadre liturgique de la Fête de l’Ascension. Bien qu’il semble que le Seigneur s’éloigne de nous, en fait, les horizons de l’espérance s’élargissent. Effectivement, chaque homme et chaque femme, dans le Christ, qui élève notre humanité jusqu’au Ciel, peut librement «entrer dans le sanctuaire grâce au sang de Jésus, chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré pour nous en franchissant le rideau du Sanctuaire, c’est-à-dire sa chair » (He 10, 19-20). A travers « la force de l’Esprit Saint » nous pouvons être «témoins» et communicateurs d’une humanité nouvelle, rachetée, « jusqu’aux extrémités de la terre» (cf. Ac 1,7-8).

La confiance dans la semence du Royaume de Dieu et dans la logique de Pâques ne peut que façonner aussi la manière dont nous communiquons. Cette confiance nous permet d’agir – dans les nombreuses formes de communication d’aujourd’hui – avec la conviction qu’il est possible d’apercevoir et d’éclairer la bonne nouvelle présente dans la réalité de chaque histoire et dans le visage de toute personne.

Celui qui, avec foi, se laisse guider par l’Esprit Saint devient capable de discerner en tout évènement ce qui se passe entre Dieu et l’humanité, reconnaissant comment Lui-même, dans le scénario dramatique de ce monde, est en train de tisser la trame d’une histoire de salut. Le fil avec lequel est tissée cette histoire sacrée est l’espérance, et son tisserand est nul autre que l’Esprit Consolateur. L’espérance est la plus humble des vertus, car elle reste cachée dans les plis de la vie, mais elle est comme le levain qui fait lever toute la pâte. Nous la cultivons en lisant encore et encore la Bonne Nouvelle, l’Evangile qui a été « réédité » en de nombreuses éditions dans la vie des saints, des hommes et des femmes qui sont devenus des icônes de l’amour de Dieu. Aujourd’hui encore c’est l’Esprit qui sème en nous le désir du Royaume, à travers de nombreux « canaux »  vivants, par le biais de personnes qui se laissent conduire par la Bonne Nouvelle au milieu du drame de l’histoire et qui sont comme des phares dans l’obscurité de ce monde, qui éclairent la route et ouvrent de nouveaux chemins de confiance et d’espérance.

(Tratto dall’archivio della Radio Vaticana)

Le pape François encourage les chrétiens de Finlande à renforcer leurs liens

Article de Marie Duhamel sur le site de Radio Vatican 

(RV) Ce jeudi 20 janvier, les catholiques finlandais célèbrent la Saint Henrik, ecclésiastique anglais mort en martyr au 12e siècle dans leur pays. Chaque année, ce jour-là et à l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, une délégation œcuménique finlandaise est reçue par le Pape. Ce jeudi matin, François s’est adressé à quelques membres du Conseil œcuménique finlandais qui fête son premier centenaire, alors que la Finlande commémore les 100 ans de son indépendance. Le Saint-Père espère qu’en ces jours si particuliers, soit invoqué «plus intensément» encore l’Esprit Saint «pour qu’il suscite en nous une conversion (au Christ), et rende possible la réconciliation» des chrétiens.

«Le véritable œcuménisme se base sur la conversion commune à Jésus-Christ () Si nous nous rapprochons de Lui, nous nous rapprocherons les uns des autres.» François se félicite cependant de «l’étape significative tant sur le plan humain que théologique et spirituelle» qui a été franchie par les catholiques et les luthériens en Suède le 31 octobre dernier, une prière commune pour commémorer le début de la Réforme de Martin Luther, «qui voulait renouveler l’Église et non la diviser».

Se repentant pour les fautes commises, le Pape rend grâce à Dieu. Après 50 ans de dialogue, catholiques et luthériens sont parvenus à définir clairement les perspectives sur lesquelles ils s’entendent. La prière de Lund a donné «la force et le courage» de regarder ensemble de l’avant. «Nous avons plus amplement pris conscience du fait que le dialogue théologique reste essentiel à la réconciliation et doit se poursuivre avec un engagement constant». Avec le soutien de l’Esprit Saint et dans un climat apaisé, le Pape se montre confiant. «Nous pourrons obtenir d’ultérieurs points de convergence sur les contenus de la doctrine et de l’enseignement morale de l’Eglise. Nous pourrons nous rapprocher de l’unité pleine et visible». Il prie le Seigneur pour qu’Il accompagne la Commission de dialogue luthérano-catholique de Finlande qui travaille avec dévotion à une interprétation sacramentelle commune de l’Église, de l’Eucharistie et du ministère ecclésial.

Les 500 ans de la Réforme doivent être «une occasion privilégiée» pour vivre la foi de manière plus authentique, pour redécouvrir ensemble l’Evangile, pour chercher et témoigner du Christ avec un élan nouveau. En s’engageant à Lund à prendre ensemble soin de ceux qui souffrent, de ceux qui sont dans le besoin, et de ceux qui sont exposés à des persécutions et des violences, «nous ne sommes pas divisés, mais unis dans le chemin vers la pleine communion», a assuré François.

(MD)

 

L’Église au service de la solidarité

CNS photo/Pascal Rossignol, Reuters

Le 1er novembre 2016, le Conseil Église et Société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) publiait le document intitulé « Des solidarités à reconstituer et à reconstruire ». Se situant dans le prolongement d’un autre document publié auparavant sur le thème de la corruption (et dont j’ai déjà parlé), ce texte d’une quinzaine de pages manifeste bien les causes des différentes crises sociales actuelles, tout en proposant des solutions humaines et spirituelles.

Une société inéluctablement en décomposition ?

Ce n’est un secret pour personne, nos sociétés ne sont pas arrivées à un si haut degré de cynisme toutes seules. Que ce soit à cause des magouilles qui furent le sujet de la commission Charbonneau ou à cause des nombreuses déceptions créées par les politiciens tout parti confondu, -ce «cynisme du pouvoir » (no42) comme disait Benoît XVI- les citoyens du Québec ont de moins en moins l’espoir de voir les choses s’améliorer dans un avenir rapproché. En d’autres termes, notre société de plus en plus individualiste semble de moins en moins en mesure de faire face aux défis qui s’annoncent.

Dans ce contexte, le document de l’AECQ nous empêche de nous exonérer de tout examen de conscience. En effet, la dissolution graduelle du lien social et des institutions témoigne d’un problème plus profond. En effet, cette « culture individualiste » (no 1.3) nous influence grandement à ne plus considérer le bien de la collectivité dans nos choix personnels. Ainsi, atomisés dans des modes de vies centrés sur l’assouvissement des plaisirs, le bien commun, fondement et fin de la société, s’en trouve grandement affecté, frappant au passage les plus faibles et les plus vulnérables de nos sociétés.

Or, en cette heure où les vieilles idéologies ne semblent plus être capables d’être des forces attractives, comme par exemple « l’État providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes », il est primordial de retrouver un socle plus solide pour « reconstituer et reconstruire les solidarités ».

Au-delà des idéologies

En ce sens, le document de l’AECQ propose trois pistes de solutions qui, bien qu’étant présentées dans la perspective d’une nécessité de la Grâce pour agir efficacement, peut interpeler tout homme et toute femme de bonne volonté.

Dans un premier temps, il est impératif de travailler à reconstituer les institutions de ce que la Doctrine sociale de l’Église nomme « la société civile » c’est-à-dire le voisinage, la paroisse et la famille déjà durement affaiblis par la culture ambiante. En ce sens :

« Face au nombre de plus en plus grand de personnes seules, de foyers brisés, de liens purement virtuels (ordinateur, cellulaire, iPod, tablette, télévision), il est absolument nécessaire de reconstituer ces solidarités fondamentales que sont la famille et le voisinage, voire, la paroisse. Ils jouent un rôle inestimable d’amortisseur face aux épreuves subies par les personnes en situation précaire. »

Une deuxième dimension de ce travail de reconstitution de ce qui est le fondement de notre société se trouve dans l’exercice même de la solidarité envers les plus démunis. Dans ce qui a tous les airs d’un cercle vertueux, l’AECQ montre bien comment l’engagement auprès des pauvres doit être au centre « de nos stratégies pastorales et catéchétiques » (no 3.2). Cette présence auprès des personnes faibles aura l’avantage de nous mettre en présence de nos propres vulnérabilités, nous qui sommes souvent imbus et profondément illusionnés par une soi-disant autonomie. De plus, cette proximité nous dépouillera des styles de vie néfastes de la « consommation à outrance » (no 3.3). Enfin, et étant plus particulièrement adressée aux laïcs, cette solidarité existentielle avec les personnes pauvres pourra développer de nouvelles sensibilités qui motiveront un engagement renouvelé pour « s’attaquer aux causes structurelles de la pauvreté, de l’inégalité et de l’injustice » (no 3.4).

Évitant brillamment les pièges de l’idéologie et des mirages de l’utopie, le dernier document du Conseil Église et Société de l’AECQ montre bien l’urgence de prendre au sérieux les exigences sociales de la vie chrétienne. Si comme l’affirme la Lettre à Diognète « ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde »[13], il est impératif de suivre les conseils du pape François et de l’AECQ selon lesquels :

« N’ayons pas peur de déployer les voiles de notre cœur, de quitter le port de nos sécurités individuelles pour naviguer sur la mer des solidarités entre les pays et les gens d’ici et d’ailleurs. […] D’où la nécessité d’une « mystique du vivre ensemble » qu’il nous faut découvrir et transmettre ».

** Pour approfondir la question, vous pouvez visionner l’épisode d’Église en sortie consacré à ce document dans une entrevue avec Mgr Noël Simard, évêque du Diocèse de Valleyfield et membre du Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.

Église en sortie 13 janvier 2017

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Mgr Noël Simard, évêque de Valleyfield et membre du Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, qui nous parle du document « Des solidarités à reconstituer et à reconstruire ». On vous présente également un reportage sur la distribution des paniers de Noël du Conseil 3193-Côte Saint-Paul des Chevaliers de Colomb de Montréal.

Former des prêtres pour le XXIe siècle

CNS photo/L’Osservatore Romano

Le 8 décembre dernier, en la Solennité de l’Immaculée Conception, la Congrégation pour le Clergé publiait la nouvelle Ratio fundamentalis institutionis sacerdotalis (Guide fondamental pour la formation des prêtres). Intitulé « Le don de la vocation presbytérale », ce document d’environ 80 pages résulte en partie du transfert de la compétence des séminaires de la Congrégation pour l’éducation catholique à la Congrégation pour le clergé. Dans la lignée des grands textes modernes sur cette question tels que l’Exhortation apostolique Pastores Dabo Vobis ou le Décret conciliaire Optatam Totius, cette nouvelle Ratio fundamentalis vise, comme son nom l’indique, à manifester le caractère de don total de soi de la vocation à la prêtrise. Ainsi, puisque l’homme appelé au sacerdoce ministériel a vocation à se donner totalement, sa formation doit englober chacune des dimensions de sa personne qu’elle soit humaine, spirituelle, intellectuelle ou pastorale.

Invités à vivre pleinement leur humanité

La vocation à la prêtrise est un appel à configurer son être au « Christ Tête, Pasteur, Serviteur et Époux » (no2). Les séminaristes, comme tout chrétien d’ailleurs, « sont un mystère pour eux-mêmes » (no 28). Ils doivent donc se découvrir eux-mêmes dans leur humanité et leur personnalité propre. Cette connaissance, jointe à une maîtrise de soi qui rend libre et responsable se nomme « maturité » et c’est ce que la formation humaine cherche à donner et par toutes sortes de moyens, de faire croître les « capacités relationnelles avec les hommes et femmes de tous âges et conditions sociales » (no 95). À cette sensibilité aigüe à l’esprit de communauté qui fera de lui un « homme de communion » devra s’ajouter un saint savoir-vivre tant au niveau « physique […] psychologique […] moral […] esthétique et social » qui lui permettra d’acquérir une « autonomie équilibrée » (no 94).

Des hommes profondément unis au Christ

Les prêtres étant configurés d’une manière unique (no10) à la personne du Christ, ils ont une responsabilité accrue de le fréquenter et de garder une chaleureuse proximité avec Lui. Ainsi, les candidats à la prêtrise doivent apprendre à intégrer dans leur vie quotidienne les différents éléments qui leur permettront, tout au long de leur vie, d’être non pas « des fonctionnaires du sacré » (no 84) mais de véritables Alter Christus, ipse Christus (d’autres Christ, le Christ Lui-même).

Se préparant à recevoir la grâce du sacrement de l’Ordre et ainsi le pouvoir d’agir In persona Christi Capitis (no 1548) les séminaristes devront « avoir une foi vivante en l’Eucharistie (no 104) par la célébration quotidienne de la Messe et d’une pratique régulière de l’adoration (no 66-68). La prière silencieuse (no 102), la liturgie des heures (no 105), la fréquentation des Écritures Saintes (no 103) et des Pères de l’Église (no 113), la confession (no 106), la retraite annuelle (no 108) et la dévotion aux saints et saintes de la tradition bimillénaire de l’Église sont les éléments centraux à incorporer dans la vie du futur prêtre.

De savants chercheurs de Dieu

On entend souvent l’expression « chercheur de Dieu » dans le sens d’une recherche de spiritualité floue et confuse, comme si Dieu ne s’était pas exprimé clairement et d’une manière définitive en Jésus-Christ. Loin d’être un agnostique, le prêtre est appelé à adopter le « regard du bon Pasteur » (no120) c’est-à-dire celui du Fils éternel cherchant la subtile Présence de Dieu en tout être et voyant l’œuvre de la Providence en tout évènement aussi mauvais qu’il puisse paraître. Pour ce faire, de longues années d’études sont requises.

Les deux années complètes de philosophie auront pour but d’approfondir les découvertes de la raison humaine sur les différentes réalités humaines. Elles auront également pour but de purifier les différentes formes d’idéologie ou superstitions présentes en toute culture et qui risqueraient de tordre le sens de la Révélation. Enfin, cette étape des études de la philosophie a pour but de façonner des « disciples » (no 61) du Christ, désireux « de rechercher rigoureusement la vérité, de la pénétrer et de la démontrer, tout en étant conscients des limites de la connaissance humaine (no 164).

Quelques années d’étude en théologie auront, quant à elles, pour but de « configurer au Christ par une contemplation profonde de la Personne de Jésus-Christ » (no 68) par l’étude des différentes matières que sont : l’Écriture Sainte, la liturgie, la dogmatique, la théologie fondamentale, morale, pastorale, spirituelle, la Doctrine sociale de l’Église, l’histoire de l’Église sans oublier le Droit canonique.

Des hommes de service

Si on devait choisir parmi les priorités pastorales du pape François, on pourrait certainement affirmer que la purification dans le clergé de tout « cléricalisme ou tentation d’orienter sa vie sur la recherche du consensus populaire » arriverait en pôle position. Ce document ne fait pas exception à cette démarche.

En effet, on note un souci à développer un « forma mentis » (no 118) se mettant à la disposition de tous sans distinction afin de pouvoir aider à cheminer sur la voie de la sainteté. Ayant le souci de façonner des hommes ayant fait de leur propre vie « un lieu d’accueil et d’écoute de Dieu et du prochain » (no 120), la formation pastorale mettra les séminaristes en contact avec toutes sortes de réalités et de situations afin qu’ils développent « la même compassion, générosité, amour pour tous, spécialement pour les plus pauvres ainsi qu’un élan pour la cause du Royaume qui a caractérisé le ministère public du Fils de Dieu » (no 119).

Bien que ce document ne soit pas encore disponible en français, la lecture du « Don de la vocation presbytérale » peut aider tout chrétien à s’approprier plusieurs des éléments qu’il contient. Toute personne, étant appelée à la réalisation du sacerdoce commun reçu au baptême, peut connaître les éléments fondamentaux de la formation des futurs prêtres, à des degrés divers, afin de l’aider dans son propre cheminement.

Église en sortie 16 décembre 2016

Pour la dernière émission d’Église en sortie avant Noël, Francis Denis s’entretient avec les journalistes Émilie Callan et Charles Le Bourgeois sur l’année 2016, les projections 2017 ainsi que le tout nouveau magazine de S+L. Dans un deuxième temps, l’abbé Claude Paradis nous offre sa chronique de Noël des actualités de la rue.

Église en sortie 9 décembre 2016

Cette semaine à Église en sortie, on s’entretient avec Suzanne Desrochers, adjointe au directeur de l’Office de catéchèse du Québec. On vous présente les moments forts de la cérémonie de fermeture de la Porte de la miséricorde de l’archidiocèse de Montréal à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde. Dans la troisième partie de l’émission, Francis Denis reçoit Francine Beaulieu-Roy qui nous parle de son livre intitulé « Projet de mariage, projet de vie ».

Montréal, une histoire à redécouvrir

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Le 11 décembre prochain, aura lieu le lancement du 375e anniversaire de la ville de Montréal. Cette année sera donc l’occasion de connaître davantage cette Ville-Marie qui allait naître il y a bientôt 375e ans. Outre les nombreuses activités organisées par la ville de Montréal pour célébrer cette riche histoire, tous sont invités à faire mémoire de ce passé pas si loin de nous afin de réfléchir aux grandes orientations qui détermineront les années à venir. En ce sens, la lettre pastorale de Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal, intitulée « Au nom de Jésus » nous offre une profonde réflexion qui peut nous aider à mieux comprendre la métropole du Québec.

Ville-Marie, une aventure mystique

Lorsqu’on côtoie trop souvent une réalité, nous avons tendance à nous y habituer, à ne plus y porter attention et même à la prendre pour acquise. Une ville ne fait pas exception à ce phénomène. Parlez-en à tous ces Parisiens qui ne sont jamais montés dans la tour Eiffel ou à tous ces Torontois qui ne sont jamais montés dans la Tour du CN ! De la même manière, trop peu souvent les Montréalais s’arrêtent et s’interrogent sur l’histoire de leur ville, spécialement son passé religieux, bien que sa fondation soit indissociablement « animée par un souffle d’évangélisation ».

Selon Mgr Lépine, Montréal est d’abord et avant tout un « projet inspiré par Dieu » fondé par des hommes et des femmes qui « au Nom de Jésus […] ont fondé la ville de Montréal le 17 mai 1642 ». Faire abstraction de cette dimension religieuse de la fondation de celle que l’on nommait à l’époque « Ville-Marie » participe, selon moi, de cette « mémoire blessée » selon les mots de l’historien Éric Bédard (19 :45min). Comment surmonter cette amnésie volontaire d’« un monde qui veut souvent se construire sans Dieu » ?

Pour une guérison de la mémoire

Ce monde « sans Dieu » correspond-t-il vraiment aux promesses telles que formulées par certains courants influents lors de la Révolution Tranquille ? Une « juste conception de la laïcité » est bien évidemment louable. Je ne connais aucun évêque ou prêtre désireux de gérer le boulevard Métropolitain. Cependant, faire comme si la forme la plus haute de l’expérience humaine s’exprimait dans la culture du divertissement m’apparaît être une des sources de la crise actuelle telle que décrite dans le document de l’AECQ « Des solidarités à reconstituer et à reconstruire ». Esquiver la tentation de réduire les citoyens à de simples « homo economicus » est l’une des tâches importantes des institutions aujourd’hui, et c’est à ce rendez-vous que nous convie Mgr Christian Lépine lors de ce 375e.

En ce sens, retrouver l’accès à l’inspiration de nos pères fondateurs « par le pardon et la confiance, le dialogue et la réconciliation » dépend d’un nouveau souffle évangélisateur selon les deux conseils du pape François lors de la Messe d’action de grâce pour la canonisation équipollente des saints François de Laval et Marie de l’Incarnation, à Rome, le 12 octobre 2014 :

Le premier est celui-ci : « Souvenez-vous de ceux qui vous ont dirigés : ils vous ont annoncé la parole de Dieu. La mémoire des missionnaires nous soutient au moment où nous faisons l’expérience de la rareté des ouvriers de l’Évangile.

Le second est celui-ci : Rendre hommage à qui a souffert pour nous apporter l’Évangile signifie livrer nous aussi la bonne bataille de la foi, avec humilité, douceur et miséricorde, dans la vie de chaque jour. Et cela porte du fruit.

 Mémoire de ceux qui nous ont précédés, de ceux qui ont fondé notre Église. Église féconde que celle du Québec ! Féconde de nombreux missionnaires qui sont allés partout. []

Maintenant un conseil : que cette mémoire ne nous conduise pas à abandonner la franchise et le courage. Le diable est jaloux et il ne tolère pas qu’une terre soit ainsi féconde de missionnaires. Prions le Seigneur pour que le Québec revienne sur ce chemin de la fécondité, pour donner au monde de nombreux missionnaires. [] Que le Québec redevienne cette source de bons et de saints missionnaires. 

Message du pape François pour la Journée mondiale de prière pour les vocations

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Poussés par l’Esprit
pour la mission

Chers frères et sœurs,
Au cours des années passées, nous avons eu l’occasion de réfléchir sur deux aspects qui concernent la vocation chrétienne : l’invitation à ‘‘sortir de soi’’ pour se mettre à l’écoute de la voix du Seigneur et l’importance de la communauté ecclésiale en tant que lieu privilégié où l’appel de Dieu naît, s’alimente et s’exprime.

À présent, à l’occasion de la 54ème Journée Mondiale de Prière pour les Vocations, je voudrais m’arrêter sur la dimension missionnaire de l’appel chrétien. Celui qui s’est laissé attirer par la voix de Dieu et s’est mis à la suite de Jésus découvre bien vite en soi l’irrésistible désir de porter la Bonne Nouvelle à ses frères, à travers l’évangélisation et le service de la charité. Tous les chrétiens sont constitués missionnaires de l’Évangile ! Le disciple, en effet, ne reçoit pas le don de l’amour de Dieu pour une consolation privée ; il n’est pas appelé à porter lui-même ni à défendre les intérêts d’une entreprise ; il est simplement touché et transformé par la joie de se sentir aimé de Dieu et il ne peut pas garder cette expérience pour lui-même : « La joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une joie missionnaire ». (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 21)

L’engagement missionnaire, par conséquent, n’est pas quelque chose qu’on va ajouter à la vie chrétienne, comme s’il s’agissait d’un ornement, mais au contraire, il est situé au cœur de la foi même : la relation avec le Seigneur implique le fait d’être envoyé dans le monde comme prophète de sa parole et témoin de son amour.

Même si nous expérimentons en nous beaucoup de fragilité et que nous pouvons parfois nous sentir découragés, nous devons élever la tête vers Dieu, sans nous laisser écraser par le sentiment d’inadéquation ou sans céder au pessimisme, qui fait de nous des spectateurs passifs d’une vie fatiguée et routinière. Il n’y a pas de place pour la crainte : c’est Dieu lui-même qui vient purifier nos ‘‘lèvres impures’’, en nous rendant aptes pour la mission : « Ta faute est enlevée, ton péché est pardonné. J’entendis alors la voix du Seigneur qui disait : ‘‘Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ?’’ Et j’ai répondu : ‘‘Me voici : envoie-moi !’’ » (Is 6, 6-8).

Chaque disciple missionnaire sent dans son cœur cette voix divine qui l’invite à ‘‘passer’’ au milieu des gens, comme Jésus, ‘‘en guérissant et faisant du bien’’ à tous (cf. Ac 10, 38). J’ai déjà eu l’occasion de rappeler, en effet, qu’en vertu du baptême, chaque chrétien est un ‘‘christophe’’, c’est-à- dire ‘‘quelqu’un qui porte le Christ’’ à ses frères (cf. Catéchèse, 30 janvier 2016). Cela vaut de manière particulière pour ceux qui sont appelés à une vie de consécration spéciale et également pour les prêtres, qui ont généreusement répondu : ‘‘Me voici, Seigneur, envoie-moi !’’. Avec un enthousiasme missionnaire renouvelé, ils sont appelés à sortir des enceintes sacrées du temple, pour permettre à la tendresse de Dieu de déborder en faveur des hommes (cf. Homélie de la Messe chrismale, 24 mars 2016). L’Église a besoin de prêtres ainsi : confiants et sereins pour avoir découvert le vrai trésor, anxieux d’aller le faire connaître à tous avec joie (cf. Mt 13, 44) !

Certes, nombreuses sont les questions qui surgissent lorsque nous parlons de la mission chrétienne : que signifie être missionnaire de l’Évangile ? Qui nous donne la force et le courage de l’annonce ? Quelle est la logique évangélique dont s’inspire la mission ? À ces interrogations, nous pouvons répondre en contemplant trois scènes de l’Évangile : le début de la mission de Jésus dans la synagogue de Nazareth (cf. Lc 4, 16-30) ; le chemin que parcourt le Ressuscité aux côtés des disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24, 13-35) ; enfin, la parabole de la semence (cf. Mc 4, 26-27).

Jésus est oint par l’Esprit et envoyé. Être disciple missionnaire signifie participer activement à la mission du Christ, que Jésus lui-même décrit dans la synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur » (Lc 4, 18- 19). C’est aussi notre mission : être oints par l’Esprit et aller vers nos frères annoncer la Parole, en devenant pour eux un instrument de salut.

Jésus se joint à notre chemin. Face aux questions qui émergent du cœur de l’homme et aux défis qui surgissent de la réalité, nous pouvons éprouver une sensation d’égarement et sentir un manque d’énergies et d’espérance. Il y a le risque que la mission chrétienne apparaisse comme une pure utopie irréalisable ou, en tout cas, comme une réalité qui dépasse nos forces. Mais si nous contemplons Jésus ressuscité, qui marche aux côtés des disciples d’Emmaüs (cf. Lc 24, 13-15), notre confiance peut être ravivée ; dans cette scène évangélique, nous avons une authentique ‘‘liturgie de la route’’, qui précède celle de la Parole et du Pain rompu et nous fait savoir que, à chacun de nos pas, Jésus est à nos côtés ! Les deux disciples, blessés par le scandale de la Croix, sont en train de retourner chez eux en parcourant la voie de l’échec : ils portent dans leur cœur une espérance brisée et un rêve qui ne s’est pas réalisé. En eux, la tristesse a pris la place de la joie de l’Évangile. Que fait Jésus ? Il ne les juge pas, il parcourt la même route qu’eux et, au lieu d’élever un mur, il ouvre une nouvelle brèche. Lentement, il transforme leur découragement, il rend brûlants leurs cœurs et ouvre leurs yeux, en annonçant la Parole et en rompant le Pain. De la même manière, le chrétien ne porte pas seul l’engagement de la mission, mais dans les fatigues et dans les incompréhensions, il fait aussi l’expérience que « Jésus marche avec lui, parle avec lui, respire avec lui, travaille avec lui. Il ressent Jésus vivant avec lui au milieu de l’activité missionnaire » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 266).

Jésus fait germer la semence. Enfin, il est important d’apprendre de l’Évangile le style de l’annonce. Souvent, en effet, même avec les meilleures intentions, il peut arriver de céder à une certaine frénésie du pouvoir, au prosélytisme ou au fanatisme intolérant. L’Évangile, au contraire, nous invite à rejeter l’idolâtrie du succès et de la puissance, la préoccupation excessive pour les structures, et une certaine anxiété qui répond plus à un esprit de conquête qu’à l’esprit du service. La semence du Royaume, bien que petite, invisible et parfois insignifiante, grandit silencieusement grâce à l’œuvre incessante de Dieu : « Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence : nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment » (Mc 4, 26- 27). Voilà notre première confiance : Dieu dépasse nos attentes et il nous surprend par sa générosité, en faisant germer les fruits de notre travail au-delà des calculs de l’efficacité humaine.

Par cette confiance évangélique, nous nous ouvrons à l’action silencieuse de l’Esprit, qui est le fondement de la mission. Il ne peut jamais y avoir de pastorale vocationnelle ni de mission chrétienne sans la prière assidue et contemplative. En ce sens, il faut alimenter la vie chrétienne par l’écoute de la Parole de Dieu et, surtout, prendre soin de la relation personnelle avec le Seigneur dans l’adoration eucharistique, ‘‘lieu’’ privilégié de la rencontre avec Dieu.

C’est cette intime amitié avec le Seigneur que je désire vivement encourager, surtout pour implorer du ciel de nouvelles vocations au sacerdoce et à la vie consacrée. Le peuple de Dieu a besoin d’être guidé par des pasteurs qui consacrent leur vie au service de l’Évangile. C’est pourquoi je demande aux communautés paroissiales, aux associations et aux nombreux groupes de prière présents dans l’Église : contre la tentation du découragement, continuez à prier le Seigneur d’envoyer des ouvriers à sa moisson et de nous donner des prêtres amoureux de l’Évangile, capables d’être proches de leurs frères et d’être, ainsi, un signe vivant de l’amour miséricordieux de Dieu.

Chers frères et sœurs, aujourd’hui encore, nous pouvons retrouver l’ardeur de l’annonce et proposer, surtout aux jeunes, la sequela du Christ. Face à la sensation répandue d’une foi fatiguée ou réduite à de purs ‘‘devoirs à accomplir’’, nos jeunes ont le désir de découvrir l’attrait toujours actuel de la figure de Jésus, de se laisser interroger et provoquer par ses paroles et par ses gestes et, enfin, de rêver, grâce à lui, d’une vie pleinement humaine, joyeuse de se consacrer à l’amour.

La Très Sainte Marie, Mère de notre Sauveur, a eu le courage d’embrasser ce rêve de Dieu, en mettant sa jeunesse et son enthousiasme dans ses mains. Que son intercession nous obtienne la même ouverture de cœur, la diligence à professer notre ‘‘Me voici’’ à l’appel du Seigneur et la joie de nous mettre en route (Lc 1, 39), comme elle, pour l’annoncer au monde entier.

Du Vatican, le 27 novembre 2016 Premier dimanche de l’Avent

FRANÇOIS

[01925-FR.01] [Texte original: Italien]

Lettre Apostolique du pape François « Miséricorde et Paix »

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Misericordia et misera sont les deux termes qu’utilise Saint Augustin pour raconter la rencontre entre Jésus et la femme adultère (cf. Jn 8, 1-11). Il ne pouvait trouver expression plus belle et plus juste pour faire comprendre le mystère de l’amour de Dieu quand il vient à la rencontre du pécheur : « Il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse »1. Que de pitié et de justice divine dans ce récit ! Son enseignement éclaire la conclusion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde et nous indique la route que nous sommes appelés à suivre à l’avenir.

1. Cette page d’Évangile peut être considérée à bon droit comme une icône de ce que nous avons célébré durant l’Année Sainte, un temps riche de miséricorde, laquelle demande à être encore célébrée et vécue dans nos communautés. De fait, la miséricorde ne peut être une parenthèse dans la vie de l’Église, mais elle en constitue l’existence même, qui rend manifeste et tangible la vérité profonde de l’Évangile. Tout se révèle dans la miséricorde ; tout se résout dans l’amour miséricordieux du Père.

Une femme et Jésus se sont rencontrés. Elle, adultère, et, selon la Loi, passible de lapidation. Lui, par sa prédication et le don total de lui-même, qui le conduira jusqu’à la Croix, a replacé la loi mosaïque dans son intention originelle. Au centre, il n’y a pas la loi ni la justice de la loi, mais l’amour de Dieu qui sait lire dans le cœur de chacun, pour en saisir le désir le plus caché, et qui doit avoir le primat sur tout. Dans ce récit évangélique, cependant, on ne rencontre pas le péché et le jugement de manière abstraite, mais une pécheresse et le Sauveur. Jésus a regardé cette femme dans les yeux et il a lu dans son cœur : il y a trouvé le désir d’être comprise, pardonnée, et libérée. La misère du péché a été recouverte par la miséricorde de l’amour. Il n’y a chez Jésus aucun jugement qui ne soit marqué par la pitié et la compassion pour la condition de la pécheresse. À ceux qui voulaient la juger et la condamner à mort, Jésus répond par un long silence, pour laisser la voix de Dieu se faire entendre dans les consciences, tant celle de la femme que celles de ses accusateurs. Ceux-ci laissent les pierres tomber de leurs mains et s’en vont un par un (cf. Jn 8, 9). À la suite de ce silence, Jésus dit : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? …Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus » (vv. 10-11). De cette manière, il l’aide à se tourner vers l’avenir avec espérance et à être prête à se remettre en route. Désormais, si elle le désire, elle pourra « vivre dans l’amour » (cf. Ep 5, 2). Revêtue de la miséricorde, même si la condition de faiblesse du péché demeure, elle sera comme recouverte par l’amour qui permet de regarder plus loin et de vivre autrement.

2. Jésus l’avait d’ailleurs déjà enseigné avec clarté, lorsqu’invité à partager le repas chez un pharisien, une femme connue de tous comme une pécheresse s’était approchée de lui (cf. Lc 7, 36-50). Elle avait répandu du parfum sur les pieds de Jésus, les avait arrosés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux (cf. v. 37-38). À la réaction scandalisée du pharisien, Jésus répondit : « Ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, woman-anointing-jesus-feet-bethanypuisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour » (v. 47).

Le pardon est le signe le plus visible de l’amour du Père, que Jésus a voulu révéler dans toute sa vie. Il n’y a aucune page de l’Évangile où cet impératif de l’amour qui va jusqu’au pardon ne soit présent. Même au moment ultime de son existence terrestre, alors qu’il est cloué sur la croix, Jésus a des paroles de pardon : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34).

Rien de ce qu’un pécheur qui se repent place devant la miséricorde de Dieu ne peut demeurer sans l’étreinte de son pardon. C’est pourquoi aucun d’entre nous ne peut poser de conditions à la miséricorde. Elle demeure sans cesse un acte gratuit du Père céleste, un amour inconditionnel et immérité. Nous ne pouvons donc pas courir le risque de nous opposer à l’entière liberté de l’amour par lequel Dieu entre dans la vie de chacun.

La miséricorde est cette action concrète de l’amour qui, en pardonnant, transforme et change la vie. C’est ainsi que se manifeste son mystère divin. Dieu est miséricordieux (cf. Ex 34, 6) ; sa miséricorde demeure pour l’éternité (cf. Ps 136) ; de génération en génération, elle embrasse toute personne qui met en lui sa confiance, la transforme en lui donnant sa propre vie.

3. Que de joie a ainsi jailli du cœur de ces deux femmes, l’adultère et la pécheresse ! Le pardon les a fait se sentir enfin libres et heureuses comme jamais auparavant. Les larmes de la honte et de la douleur se sont transformées en sourire de celle qui se sait aimée. La miséricorde suscite la joie, car le cœur s’ouvre à l’espérance d’une vie nouvelle. La joie du pardon est indicible, mais elle transparait en nous chaque fois que nous en faisons l’expérience. L’amour avec lequel Dieu vient à notre rencontre en est l’origine, brisant le cercle d’égoïsme qui nous entoure, pour faire de nous, à notre tour, des instruments de miséricorde.

Comme sont riches de sens également pour nous les paroles anciennes qui guidaient les premiers chrétiens : « Revêts-toi donc de la joie qui plaît toujours à Dieu et qu’il accueille favorablement : fais-en tes délices. Tout homme joyeux fait le bien, pense le bien et méprise la tristesse […] Ils vivront pour Dieu, ceux qui rejetteront loin d’eux la tristesse et se revêtiront de la seule joie »2. Faire l’expérience de la miséricorde donne de la joie. Ne laissons pas nos afflictions et nos préoccupations l’éloigner de nous. Qu’elle demeure bien enracinée dans notre cœur et nous fasse toujours considérer notre vie quotidienne avec sérénité.

Dans une culture souvent dominée par la technique, les formes de tristesse et de solitude où tombent tant de personnes et aussi tant de jeunes, semblent se multiplier. L’avenir semble être l’otage de l’incertitude qui ne permet pas la stabilité. C’est ainsi qu’apparaissent souvent des sentiments de mélancolie, de tristesse et d’ennui, qui peu à peu peuvent conduire au désespoir. Nous avons besoin de témoins d’espérance et de véritable joie, pour chasser les chimères qui promettent un bonheur facile fait de paradis artificiels. Le vide profond ressenti par beaucoup peut être comblé par l’espérance que nous portons dans le cœur et par la joie qui en découle. Nous avons tant besoin de reconnaître la joie qui se révèle dans un cœur touché par la miséricorde. Tirons donc profit de ces paroles de l’Apôtre : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur » (Ph 4,4 ; cf. 1 Th 5,16).

4. Nous avons célébré une Année intense durant laquelle la grâce de la miséricorde nous a été donnée en abondance. Tel un vent impétueux et salutaire, la bonté et la miséricorde du Seigneur se sont répandues sur le monde entier. Et face à ce regard aimant de Dieu, qui s’est posé sur chacun de nous de façon prolongée, nous ne pouvons pas rester indifférents car il change la vie.

En premier lieu, nous ressentons le besoin de remercier le Seigneur et de lui dire : « Tu as aimé, Seigneur, cette terre […] tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute » (Ps 84,2-3). C’est ainsi : Dieu a piétiné nos fautes et il a jeté nos péchés au fond de la mer (cf. Mi 7,19) ; il ne s’en souvient plus, il les a jetés derrière lui (cf. Is 38,17) ; aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de lui nos péchés (cf. Ps 102,12).

Au cours de cette Année Sainte, l’Église a su se mettre à l’écoute, et elle a fait l’intense expérience de la présence et de la proximité du Père qui, par l’Esprit Saint, lui a rendu plus manifeste le don et la mission de Jésus Christ concernant le pardon. Le Seigneur nous a vraiment rendu visite une nouvelle fois. Nous avons senti son souffle de vie se répandre sur l’Église, et une fois encore, ses paroles ont indiqué la mission : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » (Jn 20,22-23).

5. À l’heure où s’achève ce Jubilé, il est temps de regarder en avant et de comprendre comment continuer avec fidélité, joie et enthousiasme, à faire l’expérience de la richesse de la miséricorde divine. Nos communautés pourront rester vivantes et dynamiques dans la mission de nouvelle évangélisation dans la mesure où la « conversion pastorale » que nous sommes appelés à vivre3 sera imprégnée chaque jour de la force rénovatrice de la miséricorde. Ne mettons pas de limites à son action; n’attristons pas l’Esprit qui indique toujours des chemins nouveaux pour annoncer à tous l’Évangile du salut.

Nous sommes d’abord appelés à célébrer la miséricorde. Que de richesses se dégagent de la prière de l’Église quand elle invoque Dieu comme Père miséricordieux ! Dans la liturgie, la miséricorde n’est pas seulement évoquée maintes fois : elle est réellement reçue et vécue. Du début à la fin de la célébration eucharistique, la miséricorde est évoquée plusieurs fois dans le dialogue entre l’assemblée priante et le cœur du Père qui se réjouit quand il peut répandre son amour miséricordieux. Après la demande de pardon initiale, par l’invocation «Seigneur, prends pitié», nous sommes immédiatement rassurés : « Que Dieu tout puissant nous fasse miséricorde, qu’il nous pardonne nos péchés et nous conduise à la vie éternelle ». La communauté, dans cette confiance, se rassemble en présence du Seigneur, tout spécialement le saint jour de la résurrection. Beaucoup d’oraisons – collectes – rappellent le grand don de la miséricorde. Pendant le Carême par exemple, nous prions ainsi: « Tu es la source de toute bonté, Seigneur, et toute miséricorde vient de toi ; tu nous as dit comment guérir du péché par le jeûne, la prière et le partage ; écoute l’aveu de notre faiblesse : nous avons conscience de nos fautes, patiemment, relève-nous avec amour ».4 Nous entrons ensuite dans la grande prière eucharistique par la préface qui proclame : « Ton amour pour le monde est si grand que tu nous as envoyé un sauveur. Tu l’as voulu semblable aux hommes en toute chose à l’exception du péché, afin d’aimer en nous ce que tu aimais en lui ».5 La quatrième prière eucharistique, quant à elle, est une hymne à la miséricorde de Dieu: « Dans ta miséricorde, tu es venu en aide à tous les hommes pour qu’ils te cherchent et puissent te trouver ». « Sur nous tous nous implorons ta bonté »6, telle est la supplique du prêtre dans la prière eucharistique pour implorer la participation à la vie éternelle. Après le Notre Père, le prêtre prolonge la prière, invoquant la paix et la libération du péché « par ta miséricorde ». Et avant le signe de paix, échangé comme expression de fraternité et d’amour réciproque à la lumière du pardon reçu, il prie de nouveau : « Ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église ».7 Par ces paroles, nous demandons avec une humble confiance le don de l’unité et de la paix pour notre sainte Mère l’Église. La célébration de la miséricorde divine atteint son sommet dans le Sacrifice eucharistique, mémorial du mystère pascal du Christ, d’où vient le salut pour tout homme, pour l’histoire et le monde entier. En bref, chaque moment de la célébration eucharistique fait référence à la miséricorde de Dieu.

La miséricorde nous est offerte en abondance dans toute la vie sacramentelle. Il n’est pas anodin que l’Église ait voulu évoquer explicitement la miséricorde dans la formule des deux sacrements dits « de guérison », à savoir la Réconciliation et le Sacrement des malades. La formule d’absolution dit : « Que Dieu, notre Père, vous montre sa miséricorde. Par la mort et la résurrection de son Fils, il a réconcilié le monde avec lui, et il a envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés, par le ministère de l’Église, qu’il vous donne le pardon et la paix ».8 Dans l’Onction des malades, on dit : « Par cette Onction sainte, que le Seigneur, en sa grande bonté, vous réconforte par la grâce de l’Esprit Saint ».9 Dans la prière de l’Église, l’appel à la miséricorde n’est donc pas seulement parénétique, il est hautement performatif, ce qui signifie qu’elle nous est accordée lorsque nous l’invoquons avec foi ; quand nous la confessons comme vivante et réelle, elle nous transforme vraiment. C’est là un des contenus fondamentaux de notre foi que nous devons conserver dans toute son originalité : avant la révélation du péché, nous avons celle de l’amour par lequel Dieu a créé le monde et les êtres humains.

L’amour est le premier acte par lequel Dieu se fait connaître et vient à notre rencontre. Tenons donc ouvert notre cœur à la confiance d’être aimés de Dieu. Son amour nous précède toujours, nous accompagne et demeure à nos côtés malgré notre péché.

6. Dans ce contexte, l’écoute de la Parole de Dieu a une importance particulière. Chaque dimanche, la Parole de Dieu est proclamée dans la communauté chrétienne pour que le Jour du Seigneur soit éclairé par la lumière qui émane du mystère pascal.10 Dans la célébration eucharistique, c’est comme si l’on assistait à un vrai dialogue entre Dieu et son peuple. De fait, dans la proclamation des lectures bibliques, on parcourt à nouveau l’histoire de notre salut à travers l’annonce qui est faite de l’incessante œuvre de miséricorde. Dieu nous parle encore aujourd’hui comme à des amis ; il s’« entretient » avec nous11 pour nous accompagner et nous montrer le chemin de la vie. Sa parole se fait interprète de nos demandes et de nos préoccupations et réponse féconde pour que nous fassions l’expérience concrète de sa proximité. L’homélie est d’une grande importance, là où «la vérité accompagne la beauté et le bien »,12 pour faire vibrer le cœur des croyants face à la grandeur de la miséricorde ! Je recommande beaucoup la préparation de l’homélie et le soin de la prédication. Elle sera d’autant plus féconde que le prêtre aura fait l’expérience en lui-même de la bonté miséricordieuse du Seigneur. Transmettre la certitude que Dieu nous aime n’est pas un exercice rhétorique, mais la condition de crédibilité de son sacerdoce. Vivre la miséricorde est donc la voie royale pour en faire une véritable annonce de consolation et de conversion dans la vie pastorale. L’homélie, tout comme la catéchèse, ont besoin d’être sans cesse irriguées par ce cœur battant de la vie chrétienne.

7. La Bible est le grand récit qui raconte les merveilles de la miséricorde de Dieu. Chaque page est baignée par l’amour du Père qui, depuis la création, a voulu imprimer dans l’univers les signes de son amour. L’Esprit Saint, à travers les paroles des prophètes et les écrits sapientiaux, a modelé l’histoire d’Israël pour y reconnaitre la tendresse et la proximité de Dieu, malgré l’infidélité du peuple. La vie de Jésus et sa prédication marquent de façon déterminante l’histoire de la communauté chrétienne qui a compris sa propre mission à partir du mandat donné par le Christ d’être l’instrument permanent de sa miséricorde et de son pardon (cf. Jn 20,23). À travers l’Écriture Sainte, maintenue vivante dans la foi de l’Église, le Seigneur continue de parler à son Épouse et lui montre les chemins à parcourir pour que l’Évangile du salut parvienne à tous. Je désire vivement que la Parole de Dieu soit toujours davantage célébrée, connue et diffusée, pour qu’à travers elle, le mystère d’amour qui jaillit de cette source de miséricorde soit toujours mieux compris. C’est ce que rappelle clairement l’Apôtre : « Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice » (2 Tm 3,16).

Il serait bon qu’un dimanche de l’année liturgique chaque communauté puisse renouveler son engagement à diffuser, faire connaître et approfondir l’Écriture Sainte : un dimanche entièrement consacré à la Parole de Dieu pour comprendre l’inépuisable richesse qui provient du dialogue permanent entre Dieu et son peuple. La créativité ne manquera pas pour enrichir ce moment par des initiatives qui stimuleront les croyants à être de vivants instruments de transmission de la Parole. Parmi ces initiatives, il y a certainement la diffusion plus large de la lectio divina, afin que la vie spirituelle trouve un soutien et les moyens de sa croissance dans la lecture priante du texte sacré. La lectio divina, sur les thèmes de la miséricorde, permettra de toucher du doigt quelle fécondité jaillit du texte sacré lorsqu’il est lu à la lumière de toute la tradition spirituelle de l’Église, et qu’il débouche nécessairement sur des gestes et des œuvres concrètes de charité.13

8. La célébration de la miséricorde advient tout particulièrement dans le Sacrement de la Réconciliation. C’est le moment où nous nous sentons embrassés par le Père qui vient à notre rencontre pour nous redonner la grâce d’être de nouveau ses enfants. Nous sommes pécheurs et nous portons en nous le poids de la contradiction entre ce que nous voudrions faire, et ce qu’au contraire nous faisons concrètement (cf. Rm 7,14-21). Cependant, la grâce nous précède toujours et prend le visage de la miséricorde qui devient efficace dans la réconciliation et le pardon. Précisément, Dieu nous fait comprendre son immense amour face à notre être pécheur. La grâce est la plus forte et dépasse toute résistance possible, car l’amour est vainqueur de toute chose (cf. 1 Co 13,7).

Dans le sacrement du Pardon, Dieu montre le chemin pour revenir à lui et invite à faire de nouveau l’expérience de sa proximité. C’est un pardon que l’on peut obtenir, d’abord, en commençant à vivre la charité. C’est ce que rappelle aussi l’Apôtre Pierre quand il écrit que : « la charité couvre une multitude de péchés » (1 P 4,8). Dieu seul pardonne les péchés, mais il nous demande aussi d’être prêts à pardonner les autres comme lui-même nous pardonne : « Remets-nous nos dettes, comme nous- mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (Mt 6,12). Quelle tristesse quand nous restons enfermés en nous-mêmes et incapables de pardonner ! La rancœur, la colère, la vengeance prennent alors le dessus, nous rendant la vie malheureuse et vain l’engagement joyeux pour la miséricorde.

9. Le service accompli par les Missionnaires de la Miséricorde a certainement été une expérience de grâce que l’Église a vécue avec beaucoup d’efficacité au cours de l’Année jubilaire. Leur action pastorale a voulu rendre manifeste le fait que Dieu ne pose pas de limite à ceux qui le recherchent avec un cœur contrit, car il va à la rencontre de tous comme un Père. J’ai reçu beaucoup de témoignages joyeux d’une rencontre renouvelée avec le Seigneur dans le sacrement de la Confession. Ne laissons pas passer l’opportunité de vivre la foi aussi comme une expérience de réconciliation. « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20) : tel est l’appel lancé, encore aujourd’hui, par l’Apôtre pour faire découvrir à tout croyant la puissance de l’amour qui fait de nous une « créature nouvelle » (2 Co 5,17).

Je veux dire ma gratitude à tous les Missionnaires de la Miséricorde pour le précieux service rendu afin de rendre efficace la grâce du pardon. Cependant, ce ministère extraordinaire ne s’arrête pas avec la fermeture de la Porte Sainte. Je désire en effet qu’il demeure, jusqu’à plus ample informé, comme signe concret que la grâce du Jubilé est toujours vivante et efficace partout dans le monde. Le Conseil pontifical pour la Promotion de la nouvelle Évangélisation aura la charge d’accompagner les Missionnaires de la Miséricorde pendant cette période, comme expression directe de ma sollicitude et de ma proximité, et de trouver les formes les plus adaptées pour l’exercice de ce précieux ministère.

10. Je renouvelle aux prêtres l’invitation à se préparer avec grand soin au ministère de la Confession, qui est une vraie mission sacerdotale. Je vous exprime toute ma gratitude pour votre service, et je vous demande d’être accueillants envers tous, témoins de la tendresse paternelle malgré la gravité du péché, prompts à aider la réflexion sur le mal commis, clairs dans l’exposé des principes moraux, disponibles pour accompagner les fidèles dans leur chemin pénitentiel, au plus près de leur démarche avec patience, clairvoyants dans le discernement de chaque cas particulier, généreux en donnant le pardon de Dieu. Comme Jésus a choisi de rester en silence face à la femme adultère pour la sauver de la condamnation à mort, que le prêtre, dans le confessionnal, ait un cœur magnanime, conscient que tout pénitent le renvoie à sa propre condition personnelle : pécheur, mais ministre de la miséricorde.

11. Je voudrais que nous méditions tous les paroles de l’Apôtre, écrites vers la fin de sa vie, quand il confesse à Timothée avoir été le premier des pécheurs, mais « il m’a été fait miséricorde » (1 Tm 1,16). Ses mots ont une grande puissance pour nous provoquer à réfléchir, nous aussi, sur notre existence, et pour voir à l’œuvre la miséricorde de Dieu qui change, convertit, et transforme notre cœur: « Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère, moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent. Mais il m’a été fait miséricorde » (1 Tm 1,12-13).

Avec une passion pastorale toujours renouvelée, rappelons-nous donc les paroles de l’Apôtre : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation » (2 Co 5,18). C’est en vue de ce ministère que nous avons été pardonnés en premier, faits témoins privilégiés de l’universalité du pardon. Aucune loi ni précepte ne peut empêcher Dieu d’embrasser de nouveau le fils qui revient vers lui reconnaissant s’être trompé mais décidé à recommencer au début. Ne s’arrêter qu’à la loi, c’est rendre vaines la foi et la miséricorde divine. Il y a une valeur propédeutique dans la loi (cf. Ga 3,24) qui a comme fin, la charité (cf. 1 Tm 1,5). Cependant, le chrétien est invité à vivre la nouveauté de l’Évangile, « la loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ » (Rm 8,2). Même dans les cas les plus difficiles, où l’on est tenté de faire prévaloir une justice qui vient seulement des normes, on doit croire en la force qui jaillit de la grâce divine.

Nous autres confesseurs, nous avons l’expérience de nombreuses conversions qui se manifestent sous nos yeux. Ayons conscience de la responsabilité des gestes et des paroles afin qu’ils touchent le cœur du pénitent pour qu’il découvre la proximité et la tendresse du Père qui pardonne. Ne rendons pas vains ces moments par des comportements qui pourraient contredire l’expérience de la miséricorde recherchée. Aidons plutôt à éclairer l’espace de la conscience personnelle avec l’amour infini de Dieu (cf. 1 Jn 3,20).

Le sacrement de la Réconciliation doit retrouver sa place centrale dans la vie chrétienne. C’est pourquoi il exige des prêtres qu’ils mettent leur vie au service du « ministère de la réconciliation » (2 Co 5,18) de sorte qu’aucun pénitent sincère ne soit empêché d’accéder à l’amour du Père qui attend son retour, et que la possibilité de faire l’expérience de la force libératrice du pardon soit offerte à tous.

La célébration de l’initiative des 24 heures pour le Seigneur, en lien avec le IVème dimanche de Carême, peut être une occasion à saisir. Elle a déjà reçu un accueil favorable dans les diocèses et demeure un appel pastoral fort pour vivre intensément le sacrement de la Confession.

12. En fonction de cette exigence, et pour qu’aucun obstacle ne s’interpose entre la demande de réconciliation et le pardon de Dieu, je concède à tous les prêtres, à partir de maintenant, en vertu de leur ministère, la faculté d’absoudre le péché d’avortement. Ce que j’avais concédé pendant le temps limité du Jubilé14 est étendu désormais dans le temps, nonobstant toutes choses contraires. Je voudrais redire de toutes mes forces que l’avortement est un péché grave, parce qu’il met fin à une vie innocente. Cependant, je peux et je dois affirmer avec la même force qu’il n’existe aucun péché que ne puisse rejoindre et détruire la miséricorde de Dieu quand elle trouve un cœur contrit qui demande à être réconcilié avec le Père. Que chaque prêtre se fasse donc guide, soutien et réconfort dans l’accompagnement des pénitents sur ce chemin particulier de réconciliation.

Au cours de l’Année jubilaire, j’avais concédé aux fidèles qui, pour des raisons diverses, fréquentent les églises desservies par des prêtres de la Fraternité Saint Pie X, la faculté de recevoir validement et licitement l’absolution sacramentelle de leurs péchés.15 Pour le bien pastoral de ces fidèles et comptant sur la bonne volonté de leurs prêtres afin que la pleine communion dans l’Église catholique puisse être recouvrée avec l’aide de Dieu, j’établis par ma propre décision d’étendre cette faculté au-delà de la période jubilaire, jusqu’à ce que soient prises de nouvelles dispositions, pour que le signe sacramentel de la réconciliation à travers le pardon de l’Église ne fasse jamais défaut à personne.

13. La miséricorde a aussi le visage de la consolation. « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40,1) sont les paroles venant du fond du cœur que le prophète fait entendre encore aujourd’hui, afin qu’une parole d’espérance puisse parvenir à tous ceux qui sont dans la souffrance et la douleur. Ne nous laissons pas voler l’espérance qui vient de la foi dans le Seigneur ressuscité. Il est vrai que nous sommes souvent soumis à rude épreuve, mais la certitude que le Seigneur nous aime ne doit jamais nous quitter. Sa miséricorde s’exprime aussi à travers la proximité, l’affection et le soutien que tant de frères et sœurs manifestent lorsque surviennent les jours de tristesse et d’affliction. Essuyer les larmes est une action concrète qui brise le cercle de la solitude où nous sommes souvent enfermés.

Nous avons tous besoin de consolation, car personne d’entre nous n’est exempt de souffrance, de douleur ou d’incompréhension. Que de douleur peut provoquer une parole haineuse, fruit de l’envie, de la jalousie et de la colère ! Que de souffrance entraîne l’expérience de la trahison, de la violence et de l’abandon ! Que d’amertume devant la mort des personnes chères ! Cependant, Dieu n’est jamais loin lorsque de tels drames sont vécus. Une parole qui réchauffe le cœur, une accolade qui te manifeste la compréhension, une caresse qui fait percevoir l’amour, une prière qui permet d’être plus fort… expriment la proximité de Dieu à travers la consolation offerte par les frères.

Parfois, le silence aussi pourra être une grande aide. Car parfois il n’y a pas de parole qui réponde aux questions de celui qui souffre. Cependant la compassion de celui qui est présent, proche, qui aime et tend la main, peut suppléer l’absence de paroles. Il n’est pas vrai que le silence soit la marque de l’impuissance. Au contraire, il est un moment de force et d’amour. Le silence aussi fait partie de notre langage de consolation, parce qu’il se transforme en œuvre concrète de partage et de participation à la souffrance du frère.

14. Dans une période particulière comme la nôtre, marquée par tant de crises dont celle de la famille, il est important qu’une parole de force consolatrice soit adressée à nos familles. Le don du mariage est une grande vocation à laquelle correspond, avec la grâce du Christ, un amour généreux, fidèle et patient. La beauté de la famille demeure inchangée, malgré tant d’obscurités et de propositions alternatives : « La joie de l’amour qui est vécue dans les familles est aussi la joie de l’Église ».16 Le chemin de vie qui amène un homme et une femme à se rencontrer, s’aimer, et se promettre fidélité pour toujours devant Dieu, est souvent interrompu par la souffrance, la trahison ou la solitude. La joie du don des enfants n’est pas exempte des soucis des parents concernant leur croissance et leur formation, leur avenir digne d’être intensément vécu.

La grâce du sacrement de Mariage, non seulement fortifie la famille afin qu’elle soit un lieu privilégié pour vivre la miséricorde, mais elle engage aussi la communauté chrétienne et tout l’agir pastoral à promouvoir la grande valeur de proposition de la famille. Cette Année jubilaire ne peut cependant pas nous faire perdre de vue la complexité de la réalité familiale actuelle. L’expérience de la miséricorde nous rend capables de regarder toutes les difficultés humaines dans l’attitude de l’amour de Dieu qui ne se lasse jamais d’accueillir et d’accompagner.

17. Nous ne pouvons pas oublier que chacun est porteur de la richesse et du poids de sa propre histoire qui le rendent absolument unique. Notre vie, avec ses joies et ses peines, est quelque chose d’unique et non reproductible, qui se déroule sous le regard miséricordieux de Dieu. Cela requiert, surtout de la part du prêtre, un discernement spirituel attentif, profond et clairvoyant, de sorte que nul ne soit exclu, quelle que soit la situation dans laquelle il vit, et qu’il puisse se sentir accueilli concrètement par Dieu, participer activement à la vie de la communauté, être inséré dans ce Peuple de Dieu qui avance infatigablement vers la plénitude du Règne de Dieu, règne de justice, d’amour, de pardon et de miséricorde.

15. Le moment de la mort est d’une importance toute particulière. L’Église a toujours vécu ce passage dramatique à la lumière de la Résurrection de Jésus Christ qui a ouvert la voie à la certitude de la vie future. C’est un grand défi que nous avons à relever, spécialement dans la culture contemporaine qui tend souvent à banaliser la mort jusqu’à la faire devenir une simple fiction ou à la cacher. Au contraire, la mort doit être affrontée et l’on doit s’y préparer, comme un passage douloureux et inévitable, mais riche de sens : celui de l’ultime acte d’amour envers les personnes qu’on laisse et envers Dieu vers lequel on va. Dans toutes les religions, le moment de la mort, comme celui de la naissance, est accompagné par une présence religieuse. Nous vivons l’expérience des obsèques comme une prière riche d’espérance pour l’âme du défunt, et pour consoler ceux qui souffrent du départ de la personne aimée.

Je suis convaincu que, dans la pastorale animée d’une foi vive, il nous faut faire toucher du doigt combien les signes liturgiques et nos prières sont des expressions de la miséricorde du Seigneur. C’est lui-même qui nous adresse des paroles d’espérance, pour que rien ni personne ne puisse nous séparer de son amour (cf. Rm 8,35). Le partage de ce moment par le prêtre est un accompagnement important, parce qu’il permet de vivre la proximité de la communauté chrétienne dans un moment de faiblesse, de solitude, d’incertitude et de pleurs.

16. Le Jubilé s’achève et la Porte Sainte se ferme. Mais la porte de la miséricorde de notre cœur demeure toujours grande ouverte. Nous avons appris que Dieu se penche sur nous (cf. Os 11,4) pour que nous puissions, nous aussi, l’imiter et nous pencher sur nos frères. La nostalgie de beaucoup du retour à la maison du Père, qui attend leur venue, est suscitée aussi par des témoins sincères et généreux de la tendresse divine. La Porte Sainte que nous avons franchie en cette Année jubilaire nous a placés sur le chemin de la charité que nous sommes appelés à parcourir chaque jour avec fidélité et dans la joie. C’est la route de la miséricorde qui permet de rencontrer de nombreux frères et sœurs qui tendent la main pour que quelqu’un puisse la saisir afin de cheminer ensemble.

Vouloir être proche du Christ exige de se faire proche des frères, car rien ne plait davantage au Père qu’un geste concret de miséricorde. Par sa nature même, la miséricorde se fait visible et tangible à travers une action concrète et dynamique. Une fois qu’on en a fait l’expérience en vérité, on ne peut plus retourner en arrière : elle grandit sans cesse et transforme la vie. C’est une authentique et nouvelle création qui crée un cœur nouveau, capable d’aimer pleinement, et qui purifie le regard afin qu’il reconnaisse les besoins les plus cachés. Combien sont-elles vraies les paroles avec lesquelles l’Église prie durant la Veillée Pascale, après la lecture du récit de la création : « Seigneur notre Dieu, toi qui as fait merveille en créant l’homme et plus grande merveille encore en le rachetant ». 18

La miséricorde renouvelle et libère car elle est la rencontre de deux cœurs : celui de Dieu qui vient à la rencontre de celui de l’homme. Celui-ci est réchauffé, et celui-là le guérit : le cœur de pierre est transformé en cœur de chair (cf. Ez 36,26), capable d’aimer malgré son péché. C’est ici que l’on prend conscience d’être vraiment une « créature nouvelle » (cf. Ga 6,15) : je suis aimé, donc j’existe ; je suis pardonné, donc je renais à une vie nouvelle ; il m’a été fait miséricorde, donc je deviens instrument de miséricorde.

17. Pendant l’Année Sainte, et spécialement les « vendredis de la miséricorde », j’ai pu toucher du doigt tout le bien présent dans le monde. Bien souvent, il n’est pas connu, car il est fait chaque jour de façon discrète et silencieuse. Même s’ils ne font pas les manchettes, il existe beaucoup de gestes concrets de bonté et de tendresse tournés vers les plus petits et les plus faibles, les plus seuls et abandonnés. Ils existent vraiment, ces protagonistes de la charité qui vivent la solidarité avec les pauvres et les malheureux. Rendons grâce au Seigneur pour ces dons précieux qui invitent à découvrir la joie de se faire proche face à la faiblesse de l’humanité blessée. Je pense avec gratitude à tant de volontaires qui, chaque jour, consacrent leur temps à manifester la présence et la proximité de Dieu à travers leur dévouement. Leur service est une authentique œuvre de miséricorde qui aide beaucoup de personnes à s’approcher de l’Église.

18. Le moment est venu de donner libre cours à l’imagination de la miséricorde pour faire naître de nombreuses œuvres nouvelles, fruits de la grâce. L’Église a besoin aujourd’hui de raconter ces « nombreux autres signes » que Jésus a accomplis et « qui ne sont pas écrits » (Jn 20,30), pour exprimer avec éloquence la fécondité de l’amour du Christ et de la communauté qui vit de lui. Plus de deux mille ans se sont écoulés, et pourtant les œuvres de miséricorde continuent à rendre visible la bonté de Dieu.

Aujourd’hui encore des populations entières souffrent de la faim et de la soif. Les images des enfants qui n’ont rien à manger suscitent de grandes préoccupations. Des personnes continuent à émigrer en masse d’un pays à l’autre, à la recherche de nourriture, de travail, d’une maison et de paix. La maladie, sous ses différentes formes, est un motif permanent de souffrance qui demande aide, consolation, et soutien. Les prisons sont des lieux où s’ajoutent souvent à la peine elle-même des désagréments parfois graves, dus aux conditions de vie inhumaines. L’analphabétisme est encore très présent ; il empêche les garçons et les filles d’être éduqués et les expose à de nouvelles formes d’esclavage. La culture de l’individualisme exacerbé, surtout en Occident, conduit à faire disparaître le sens de la solidarité et de la responsabilité envers les autres. Dieu lui-même aujourd’hui demeure, pour beaucoup, un inconnu ; cela représente la plus grande pauvreté et l’obstacle le plus grand à la reconnaissance de la dignité inviolable de la vie humaine.

En bref, les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles constituent jusqu’à aujourd’hui la confirmation de la grande et positive incidence de la miséricorde en tant que valeur sociale. Elle nous pousse en effet à retrousser nos manches pour redonner dignité à des millions de personnes qui sont nos frères et sœurs, appelés à construire avec nous une « cité fiable ».19

19. De nombreux gestes concrets de miséricorde ont été posés pendant cette Année Sainte. Des communautés, des familles, des croyants, ont redécouvert la joie du partage et la beauté de la solidarité. Cependant, cela ne suffit pas. Le monde continue à produire de nouvelles formes de pauvreté spirituelle et matérielle qui attentent à la dignité des personnes. C’est pour cette raison que l’Église doit toujours être vigilante et prête à identifier de nouvelles œuvres de miséricorde et à les mettre en œuvre avec générosité et enthousiasme.

Efforçons-nous donc de donner des formes concrètes à la charité, et en même temps intelligence aux œuvres de miséricorde. Cette dernière possède une action inclusive, c’est pourquoi elle tend à s’élargir comme une tache d’huile et ne connait pas de limite. En ce sens, nous sommes appelés à donner un visage nouveau aux œuvres de miséricorde que nous connaissons depuis toujours. De fait, la miséricorde exagère ; elle va toujours plus loin, elle est féconde. Elle est comme le levain qui fait fermenter la pâte (cf. Mt 13,33) et comme la graine de moutarde qui devient un arbre (cf. Lc 13,19).

Il nous suffit de penser, à titre d’exemple, à l’œuvre de miséricorde corporelle qui consiste à vêtir celui qui est nu (cf. Mt 25,36.38.43.44). Elle nous ramène au commencement, au jardin d’Eden, lorsqu’Adam et Eve découvrirent qu’ils étaient nus, et entendant le Seigneur s’approcher, eurent honte et se cachèrent (cf. Gn 3,7-8). Nous savons qu’ils furent punis par le Seigneur. Pourtant, il « fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en revêtit » (Gn 3,21). La honte est dépassée et la dignité retrouvée.

Fixons le regard également sur Jésus au Golgotha. Sur la croix, le Fils de Dieu est nu. Sa tunique a été tirée au sort et prise par les soldats (cf. Jn 19,23-24). Il n’a plus rien. Sur la croix, se révèle jusqu’à l’extrême la solidarité de Jésus avec ceux qui ont perdu toute dignité en étant privé du nécessaire. De même que l’Église est appelée à être la « tunique du Christ »20 pour revêtir son Seigneur, de même elle est engagée à se rendre solidaire de tous les nus de la terre, afin qu’ils retrouvent la dignité dont ils ont été dépouillés. « J’étais nu, et vous m’avez habillé » (Mt 25,36) : cela oblige donc à ne pas détourner notre regard des nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation, qui empêchent les personnes de vivre dignement.

Être sans travail et ne pas recevoir un juste salaire, ne pas avoir une maison ou une terre où habiter, subir des discriminations pour la foi, la race, le statut social… ces réalités, et d’autres encore, sont des conditions qui attentent à la dignité de la personne face auxquelles l’agir miséricordieux des chrétiens répond avant tout par la vigilance et la solidarité. Combien sont nombreuses les situations aujourd’hui où l’on peut rendre la dignité aux personnes et permettre une vie humaine ! Qu’il suffise de penser à de nombreux jeunes enfants qui subissent des violences de toutes sortes qui leur volent la joie de vivre. Leur visages tristes et défaits sont imprimés dans mon esprit. Ils demandent notre aide pour être libérés de l’esclavage du monde contemporain. Ces enfants sont les jeunes de demain. Comment les préparons-nous à vivre de façon digne et responsable ? Avec quelle espérance peuvent- ils affronter leur présent et leur avenir ?

Le caractère social de la miséricorde exige de ne pas rester inertes et de chasser l’indifférence et l’hypocrisie, afin que les plans et les projets ne demeurent pas lettre morte. Que l’Esprit Saint nous aide à être toujours prêts à offrir notre participation de manière active et désintéressée, afin que la justice et une vie digne ne demeurent pas des paroles de circonstance, mais marquent l’engagement concret de celui qui veut témoigner de la présence du Royaume de Dieu.

20. Nous sommes appelés à faire grandir une culture de la miséricorde, fondée sur la redécouverte de la rencontre des autres : une culture dans laquelle personne ne regarde l’autre avec indifférence ni ne détourne le regard quand il voit la souffrance des frères. Les œuvres de miséricorde sont « artisanales » : aucune d’entre elles n’est semblable à une autre ; nos mains peuvent les modeler de mille manières et même si Dieu qui les inspire est unique, tout comme est unique la « matière » dont elles sont faites, à savoir la miséricorde elle-même, chacune acquiert une forme différente.

Les œuvres de miséricorde, en effet, concernent la vie entière d’une personne. C’est pour cela que nous pouvons donner naissance à une véritable révolution culturelle, précisément à partir de la simplicité des gestes qui savent rejoindre le corps et l’esprit, c’est-à-dire la vie des personnes. C’est un engagement que la communauté chrétienne peut faire sien, consciente que la Parole du Seigneur l’appelle sans cesse à sortir de l’indifférence et de l’individualisme dans lesquels on est tenté de s’enfermer pour mener une existence confortable et sans problèmes. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Jn 12,8), dit Jésus à ses disciples. Aucun alibi ne peut justifier un désengagement lorsque l’on sait qu’il s’est identifié à chacun d’eux.

La culture de la miséricorde s’élabore dans la prière assidue, dans l’ouverture docile à l’action de l’Esprit, dans la familiarité avec la vie des saints et dans la proximité concrète des pauvres. C’est un appel pressant à ne pas mal interpréter où il est déterminant de s’engager. La tentation de faire la « théorie de la miséricorde » est surmontée dans la mesure où celle-ci est notre vie quotidienne de participation et de partage. Nous ne devrons d’ailleurs jamais oublier les paroles de l’apôtre Paul racontant sa rencontre avec Pierre, Jacques et Jean, après sa conversion : il met en relief un aspect essentiel de sa mission et de toute la vie chrétienne : « Ils nous ont seulement demandé de nous souvenir des pauvres, ce que j’ai pris grand soin de faire » (Ga 2,10). Nous ne pouvons pas oublier les pauvres : c’est un appel plus que jamais d’actualité et qui s’impose dans son évidence évangélique.

21. Que l’expérience du Jubilé imprime en nous les paroles de l’Apôtre Pierre : « Autrefois vous n’aviez pas obtenu miséricorde, mais maintenant vous avez obtenu miséricorde » (1 P 2,10). Ne gardons pas jalousement seulement pour nous tout ce que nous avons reçu. Sachons le partager avec les frères souffrants pour qu’ils soient soutenus par la force de la miséricorde du Père. Que nos communautés s’ouvrent pour rejoindre ceux qui vivent sur leur territoire, pour qu’à travers le témoignage des croyants la caresse de Dieu parvienne à tous.

Voici venu le temps de la miséricorde. Chaque journée de notre route est marquée par la présence de Dieu qui guide nos pas avec la force de la grâce que l’Esprit répand dans le cœur pour le modeler et le rendre capable d’aimer. Voici venu le temps de la miséricorde pour tous et pour chacun, pour que personne ne puisse penser être étranger à la proximité de Dieu et à la puissance de sa tendresse. Voici venu le temps de la miséricorde pour que ceux qui sont faibles et sans défense, loin et seuls, puissent accueillir la présence de frères et sœurs qui les tireront du besoin. Voici venu le temps de la miséricorde pour que les pauvres sentent se poser sur eux le regard respectueux mais attentif de ceux qui, ayant vaincu l’indifférence, découvrent l’essentiel de la vie. Voici venu le temps de la miséricorde pour que tout pécheur ne se lasse jamais de demander pardon et sente la main du Père qui accueille toujours et serre contre lui.

À la lumière du «Jubilé des personnes socialementexclues», alors que dans toutes les cathédrales et dans les sanctuaires du monde les Portes de la Miséricorde se fermaient, j’ai eu l’intuition que, comme dernier signe concret de cette Année Sainte extraordinaire, on devait célébrer dans toute l’Église, le XXXIIIème Dimanche du Temps ordinaire, la Journée mondiale des pauvres. Ce sera la meilleure préparation pour vivre la solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’Univers, qui s’est identifié aux petits et aux pauvres et qui nous jugera sur les œuvres de miséricorde (cf. Mt 25,31-46). Ce sera une journée qui aidera les communautés et chaque baptisé à réfléchir sur la manière dont la pauvreté est au cœur de l’Évangile et sur le fait que, tant que Lazare git à la porte de notre maison (cf. Lc 16,19-21), il ne pourra y avoir de justice ni de paix sociale. Cette Journée constituera aussi une authentique forme de nouvelle évangélisation (cf. Mt 11,5) par laquelle se renouvellera le visage de l’Église dans son action continuelle de conversion pastorale pour être témoin de la miséricorde.

22. Que demeurent tournés vers nous les yeux miséricordieux de la Sainte Mère de Dieu. Elle est la première qui nous ouvre le chemin et nous accompagne dans le témoignage de l’amour. Que la Mère de Miséricorde nous rassemble tous à l’abri de son manteau, comme l’art a souvent voulu la représenter. Confions-nous à son aide maternelle et suivons son indication constante à regarder Jésus, visage rayonnant de la miséricorde de Dieu.

Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 20 novembre, Solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’Univers, de l’An du Seigneur 2016, quatrième de mon pontificat.

FRANÇOIS

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1 In Joh 33,5.
2 Le Pasteur d’Hermas, XLII, 1-4.
3 Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 27.
4 Missel Romain, IIIéme Dimanche de Carême.
5 Ibid., Préface des dimanches du Temps Ordinaire VII.
6 Ibid., Prière eucharistique II.
7 Ibid., Rite de communion.
8 Célébrer la Pénitence et la Réconciliation, n° 85.
9 Sacrement pour les malades, n° 112.
10 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. Sacrosanctum Concilium, n. 106.
11 CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 2.
12 Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 142.
13 Cf. BENOIT XVI, Exhort. ap. post syn. Verbum Domini, nn. 86-87.
14 Cf. Lettre accordant l’indulgence à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, 1er septembre 2015.
15 Cf. ibid.
16 Exhort. ap. post syn. Amoris laetitia, n. 1.
17 Cf. ibid., nn. 291-300
18 Missel Romain, Veillée Pascale, Oraison après la 1ère lecture. 19 Lettre. enc. Lumen fidei, n. 50.
20 Cf. CYPRIEN, L’unité de l’Église catholique, 7.

[01867-FR.01] [Texte original: Italien]

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