« Oui, Dieu aime ce Québec, notre Québec »

CNS/L’Osservatore Romano

Nous poursuivons aujourd’hui notre lecture du rapport des évêques du Québec remis au pape François lors de leur dernière visite ad limina à Rome. De ce rapport composé de trois chapitres, nous avions recensé le premier en manifestant le caractère sociologique, culturel et politique de l’analyse des évêques sur le Québec. Dans la deuxième partie, l’épiscopat québécois propose un portrait idéologique et même psychologique de la société québécoise.

De profondes contradictions

Il est toujours intéressant de s’interroger sur les idéaux d’une population en la comparant à la réalité vécue. On se rend compte que ces grands principes sont parfois très éloignés du réel. En ce sens, on assiste souvent au spectacle d’idéaux diamétralement opposés à la réalité. Comme si on se projetait une image de soi-même pour se réconforter d’une réalité trop décevante, pensant qu’affirmer un principe haut et fort pallie à une médiocre mise en pratique. Ainsi, par exemple, on déjà vue des sociétés très codifiées et hiérarchisées proclamer un égalitarisme acharné. Tout cela dans le but de nier la réalité. Comme dans toute société, le Québec ne fait pas exception.

Un Québec pas si heureux que ça…

D’abord, les évêques constatent que notre société est centrée sur le bonheur et sur la joie de vivre. Citant un article du magazine l’Actualité, ils rendent compte du fait que « si, dans ce rapport mondial (World Happiness Report), le Canada figure au cinquième rang des pays dont les citoyens se disent heureux, le Québec pris isolément figurerait au deuxième rang […] Plus qu’ailleurs au monde, les Québécois et Québécoises se disent donc heureux » (p.2.2). Comment se fait-il que du même coup, le Québec soit un des champions du suicide ? Comment une société si heureuse peut-elle accepter que « 1100 Québécois s’enlèvent la vie chaque année, et que la situation stagne malgré les campagnes de prévention »[4] ce qui représente, en moyenne, trois suicides par jour » (p.2.1) ? Il est évident que l’idéal ne correspond pas tout à fait à la vie réelle des Québécois.  Peut-être « confondent-ils le bonheur et « le confort d’un divan » »[7] se demandent les évêque en reprenant l’expression du pape François ?

Un Québec pas si solidaire que ça…

Une autre contradiction entre l’image véhiculée et la réalité vécue se trouve dans la distance entre l’affirmation d’une conscience solidaire et la réalité d’un « individualisme exacerbé » (p.7). En effet, « Ce serait certes une généralisation excessive que d’affirmer que les Québécois sont toujours généreux, solidaires et dévoués. » (p.2.3), alors que « le mal et la corruption sont à l’œuvre ici aussi » (p.2.4) nous dit l’AECQ. Cela est maintenant une évidence pour la grande majorité des citoyens qui, comme en France, ressentent « un sentiment de déception vis-à-vis de l’État providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes » (no 4)[10]. Comment un Québec si solidaire en paroles peut-il être si corrompu en pratique se demande-t-on parfois en regardant l’actualité?

Une mission empreinte de miséricorde

Devant un tel constat, on peut se demander avec les évêques : comment l’annonce de l’Évangile est-elle possible ? À vue simplement humaine, il est peu probable qu’une population si ancrée dans le déni de réalité puisse accepter la vérité. Au contraire, nous avons toutes les raisons du monde de tomber dans le cynisme et de croire que rien ne peut être fait. « Quelle bonne nouvelle, quelle « grande joie » peut-on envisager à annoncer à un peuple qui, malgré les tragédies et malheurs des uns et des autres, croit qu’il vit là où on est plus heureux que n’importe où ailleurs dans le monde ? » (p.2.6) se demandent les évêques. En d’autres termes, comment peut-on s’attendre à ce que les Québécois accueillent la libération du Christ sans la conscience éclairée de l’état réel de leur situation ?

Force est de constater que la réponse à cette question n’est pas facile à donner. Toutefois, un constat nous frappe d’emblée : la persistance des évêques. Cette force de volonté qui les pousse à rester fidèles à leur mission, malgré tout, sans se décourager. Témoins de la Miséricorde inépuisable de Dieu, une conviction transparaît ; celle qui, fut prononcés par Mgr Pierre-André Fournier : « Oui, Dieu aime ce Québec, notre Québec, avec ses talents et ses projets, ses musiques et ses danses, son exubérance, parfois, et ses silences, aussi » (p.3.3).

Dans les prochaines semaines, nous poursuivrons notre réflexion sur ce rapport important de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec au pape François tel que remis lors de la dernière visite ad limina.

L’Église au service de la solidarité

CNS photo/Pascal Rossignol, Reuters

Le 1er novembre 2016, le Conseil Église et Société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec (AECQ) publiait le document intitulé « Des solidarités à reconstituer et à reconstruire ». Se situant dans le prolongement d’un autre document publié auparavant sur le thème de la corruption (et dont j’ai déjà parlé), ce texte d’une quinzaine de pages manifeste bien les causes des différentes crises sociales actuelles, tout en proposant des solutions humaines et spirituelles.

Une société inéluctablement en décomposition ?

Ce n’est un secret pour personne, nos sociétés ne sont pas arrivées à un si haut degré de cynisme toutes seules. Que ce soit à cause des magouilles qui furent le sujet de la commission Charbonneau ou à cause des nombreuses déceptions créées par les politiciens tout parti confondu, -ce «cynisme du pouvoir » (no42) comme disait Benoît XVI- les citoyens du Québec ont de moins en moins l’espoir de voir les choses s’améliorer dans un avenir rapproché. En d’autres termes, notre société de plus en plus individualiste semble de moins en moins en mesure de faire face aux défis qui s’annoncent.

Dans ce contexte, le document de l’AECQ nous empêche de nous exonérer de tout examen de conscience. En effet, la dissolution graduelle du lien social et des institutions témoigne d’un problème plus profond. En effet, cette « culture individualiste » (no 1.3) nous influence grandement à ne plus considérer le bien de la collectivité dans nos choix personnels. Ainsi, atomisés dans des modes de vies centrés sur l’assouvissement des plaisirs, le bien commun, fondement et fin de la société, s’en trouve grandement affecté, frappant au passage les plus faibles et les plus vulnérables de nos sociétés.

Or, en cette heure où les vieilles idéologies ne semblent plus être capables d’être des forces attractives, comme par exemple « l’État providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes », il est primordial de retrouver un socle plus solide pour « reconstituer et reconstruire les solidarités ».

Au-delà des idéologies

En ce sens, le document de l’AECQ propose trois pistes de solutions qui, bien qu’étant présentées dans la perspective d’une nécessité de la Grâce pour agir efficacement, peut interpeler tout homme et toute femme de bonne volonté.

Dans un premier temps, il est impératif de travailler à reconstituer les institutions de ce que la Doctrine sociale de l’Église nomme « la société civile » c’est-à-dire le voisinage, la paroisse et la famille déjà durement affaiblis par la culture ambiante. En ce sens :

« Face au nombre de plus en plus grand de personnes seules, de foyers brisés, de liens purement virtuels (ordinateur, cellulaire, iPod, tablette, télévision), il est absolument nécessaire de reconstituer ces solidarités fondamentales que sont la famille et le voisinage, voire, la paroisse. Ils jouent un rôle inestimable d’amortisseur face aux épreuves subies par les personnes en situation précaire. »

Une deuxième dimension de ce travail de reconstitution de ce qui est le fondement de notre société se trouve dans l’exercice même de la solidarité envers les plus démunis. Dans ce qui a tous les airs d’un cercle vertueux, l’AECQ montre bien comment l’engagement auprès des pauvres doit être au centre « de nos stratégies pastorales et catéchétiques » (no 3.2). Cette présence auprès des personnes faibles aura l’avantage de nous mettre en présence de nos propres vulnérabilités, nous qui sommes souvent imbus et profondément illusionnés par une soi-disant autonomie. De plus, cette proximité nous dépouillera des styles de vie néfastes de la « consommation à outrance » (no 3.3). Enfin, et étant plus particulièrement adressée aux laïcs, cette solidarité existentielle avec les personnes pauvres pourra développer de nouvelles sensibilités qui motiveront un engagement renouvelé pour « s’attaquer aux causes structurelles de la pauvreté, de l’inégalité et de l’injustice » (no 3.4).

Évitant brillamment les pièges de l’idéologie et des mirages de l’utopie, le dernier document du Conseil Église et Société de l’AECQ montre bien l’urgence de prendre au sérieux les exigences sociales de la vie chrétienne. Si comme l’affirme la Lettre à Diognète « ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde »[13], il est impératif de suivre les conseils du pape François et de l’AECQ selon lesquels :

« N’ayons pas peur de déployer les voiles de notre cœur, de quitter le port de nos sécurités individuelles pour naviguer sur la mer des solidarités entre les pays et les gens d’ici et d’ailleurs. […] D’où la nécessité d’une « mystique du vivre ensemble » qu’il nous faut découvrir et transmettre ».

** Pour approfondir la question, vous pouvez visionner l’épisode d’Église en sortie consacré à ce document dans une entrevue avec Mgr Noël Simard, évêque du Diocèse de Valleyfield et membre du Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec.

Église en sortie 17 novembre 2016

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Laure Marais qui nous parle des Éditions Saint-Joseph et de la publication religieuse à l’aire des nouvelles technologies. L’abbé Claude Paradis nous offre sa troisième chronique des actualités de la rue. Et on s’entretient avec le père Assomptionniste Gaston Ndaleghana Mumbere avec qui nous discutons  de son livre intitulé : La cloche ne sonnera plus à l’église de Butembo-Beni  publié aux éditions Saint-Joseph.

La corruption au Québec : vers un examen de conscience (2e partie)

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photo courtoisie: dszpiro

Le 19 février 2015, le Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec publiait un document intitulé : « Dans l’attente du rapport de la Commission Charbonneau, une réflexion sur la corruption ». Comme le titre l’indique, ce document se veut une réflexion portant sur le phénomène de la corruption, sur ses différents effets, causes et solutions. Faisant référence à l’exaspération et à l’indignation de « beaucoup de citoyennes et de citoyens qui peinent à gagner leur vie en respectant leurs devoirs de justice », l’AECQ souhaite offrir un outil qui pourra aider à faire face à ce « cancer qui ronge le corps social de nos pays en particulier, et la communauté internationale en général »

Des pistes de solution

Après avoir clarifié que la posture de l’Église ne consiste pas à se substituer aux actions de l’État mais à encourager les décideurs et acteurs de la société civile à favoriser un climat incitant à l’honnêteté et au respect de la primauté du Bien commun, les évêques du Québec poursuivent, à l’instar des premiers pasteurs chrétiens, et « insistent sur la nécessité de la conversion et de la transformation des consciences […] plus que sur les exigences de changement des structures sociales et politiques » (p.8). [2] Bien sûr, les actions politiques et sociales sur ce qui a été appelé les « causes externes » sont utiles, voir même essentielles. Cependant, elles doivent être accompagnées d’un biais plus en profondeur puisque la « multiplication des lois engendre nécessairement une bureaucratie de plus en plus envahissante » (p.9) ce qui peut entraîner l’effet pervers de légitimer les citoyens à contourner les lois. Par exemple, on remarque que le travail au noir augmente lorsque les taxes augmentent. De plus, il est important de retrouver le lien entre la politique et le monde de l’économie. En ce sens, nous devons refuser la logique qui tend à séparer ces deux sphères : « C’est pourquoi » écrivent les évêques, « il faut avoir présent à l’esprit que séparer l’agir économique, à qui il reviendrait seulement de produire de la richesse, de l’agir politique, à qui il reviendrait de rechercher la justice au moyen de la redistribution, est une cause de graves déséquilibres » [3]. L’agir moral concerne tout le monde et c’est pourquoi l’AECQ mentionne son admiration devant « les personnes qui dans le monde politique ou le milieu des affaires se sont élevées contre des situations de corruption ou qui ont passé leur vie sans se laisser corrompre » (p.12).

L’AECQ y va donc d’un discours original et étranger au discours ambiant. En effet, selon les évêques du Québec, c’est par la vertu, spécialement la vertu de justice et de courage, que cette pratique de la corruption pourra tendre davantage à la diminution qu’à l’augmentation. Pour ce faire, l’État devrait favoriser l’action d’organismes comme l’Église catholique, pour qu’elles puissent réaliser librement leur mission, par exemple dans les écoles ; et ainsi porter et transmettre « des convictions morales et religieuses » (p.9) à la société. En effet, il existe un lien entre le déni de la dimension transcendante de l’homme ou, en d’autres termes, la fermeture aux réalités spirituelles et l’appât du gain qui engendre la corruption.

Je recommande la lecture du document de réflexion du Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec. Il s’agit d’un excellent instrument pour nourrir la réflexion et trouver des solutions viables au problème de corruption dont le Québec n’est malheureusement pas exempt. Devant l’imminence de la publication du rapport de la Commission Charbonneau, il est de mise de non seulement surmonter la tentation du cynisme mais, surtout, de retrouver la dimension chrétienne de la vie citoyenne.

[2] Compendium, no 328. Le no 329 cite de très beaux textes de Pères de l’Église.

[3] Caritas in veritate, no 36.

Le corruption au Québec : vers un examen de conscience (1ère partie)

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photo courtoisie:  Paulo Barcelos

Le 19 février 2015, le Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec publiait un document intitulé : « Dans l’attente du rapport de la Commission Charbonneau, une réflexion sur la corruption ». Comme le titre l’indique, ce document se veut une réflexion portant sur le phénomène de la corruption, sur ses différents effets, causes et solutions. Faisant référence à l’exaspération et à l’indignation de « beaucoup de citoyennes et de citoyens qui peinent à gagner leur vie en respectant leurs devoirs de justice », l’AECQ souhaite offrir un outil qui pourra aider à faire face à ce « cancer qui ronge le corps social de nos pays en particulier, et la communauté internationale en général »[2] . Pour ce faire, le document se divise en 3 parties que nous explorerons plus en détails.

Qu’est-ce que la corruption :

La corruption est, selon le document de l’AECQ, une perversion du don (p.1), du caractère gratuit que peuvent prendre certaines de nos actions. En effet, nous pouvons aisément voir que la corruption ne réduit pas seulement les interactions humaines à leur simple utilité, elle détourne la portée des actions humaines pour les réduire à un intérêt particulier. Par exemple, lorsqu’une personne offre un pot de vin pour obtenir un contrat de construction, elle demande à ce que les lois qui sont orientées vers le Bien commun ne s’appliquent pas dans son cas. Ainsi, cette personne s’imagine être une exception par rapport à la population en ignorant sciemment la raison d’être de ces lois. En d’autres termes, la corruption se moque du principe selon lequel nous sommes tous égaux devant la loi (principe fondamental de tout état de droit) et qui nous empêche de vivre comme des animaux c’est-à-dire vivant selon la loi du plus fort. Comment donc vaincre ce fléau ? [Read more…]

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