Le corruption au Québec : vers un examen de conscience (1ère partie)

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photo courtoisie:  Paulo Barcelos

Le 19 février 2015, le Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec publiait un document intitulé : « Dans l’attente du rapport de la Commission Charbonneau, une réflexion sur la corruption ». Comme le titre l’indique, ce document se veut une réflexion portant sur le phénomène de la corruption, sur ses différents effets, causes et solutions. Faisant référence à l’exaspération et à l’indignation de « beaucoup de citoyennes et de citoyens qui peinent à gagner leur vie en respectant leurs devoirs de justice », l’AECQ souhaite offrir un outil qui pourra aider à faire face à ce « cancer qui ronge le corps social de nos pays en particulier, et la communauté internationale en général »[2] . Pour ce faire, le document se divise en 3 parties que nous explorerons plus en détails.

Qu’est-ce que la corruption :

La corruption est, selon le document de l’AECQ, une perversion du don (p.1), du caractère gratuit que peuvent prendre certaines de nos actions. En effet, nous pouvons aisément voir que la corruption ne réduit pas seulement les interactions humaines à leur simple utilité, elle détourne la portée des actions humaines pour les réduire à un intérêt particulier. Par exemple, lorsqu’une personne offre un pot de vin pour obtenir un contrat de construction, elle demande à ce que les lois qui sont orientées vers le Bien commun ne s’appliquent pas dans son cas. Ainsi, cette personne s’imagine être une exception par rapport à la population en ignorant sciemment la raison d’être de ces lois. En d’autres termes, la corruption se moque du principe selon lequel nous sommes tous égaux devant la loi (principe fondamental de tout état de droit) et qui nous empêche de vivre comme des animaux c’est-à-dire vivant selon la loi du plus fort. Comment donc vaincre ce fléau ?

Combattre la corruption :

Selon l’AECQ, la première chose à éviter et la pire façon de recevoir les rapports de la Commission Charbonneau « serait de considérer comme dorénavant réglé le problème de la corruption et de tourner la page » (p.12). En effet, les effets néfastes de la corruption se comptent en milliards de dollars chaque année : entre autres, en frais de justice, depuis les frais d’avocats jusqu’aux frais liés aux forces de l’ordre qui doivent redoubler d’efforts pour attraper les malfaiteurs. À cela, nous devons ajouter l’effritement des institutions, spécialement celles à caractère public, et leur coût social. En effet, « la corruption politique est une des plus graves »[3]. Cela se comprend facilement lorsque l’on considère que les citoyens ont de moins en moins le goût de payer leurs impôts et que les politiciens tentent, eux aussi, d’y échapper. Il est donc primordial d’amorcer une réflexion sur les causes de ce phénomène. Nous pouvons distinguer deux types de causes qui engendrent la corruption. Dans un premier temps, il y a les « causes extérieures » (p.5) comme la faiblesse des institutions, l’absence de volonté politique pour faire face au problème ou, même parfois, certaines législations qualifiées « d’échappatoire » (p.5) et qui peuvent effectivement apporter leur concours. Cependant, l’originalité de ce document de l’AECQ est qu’il permet de mieux cerner une dimension souvent éclipsée par l’opinion médiatique : un problème culturel.

 « Il faut aller plus en profondeur et rechercher quelles sont les attitudes intérieures qui alimentent la corruption, les raisons qui incitent les personnes à poser ou à accepter des gestes de corruption. On le découvrira en identifiant certains comportements ou attitudes qui sont valorisés par la société contemporaine. Il y a, en effet, dans toute société un environnement éthique, un ethos qui, en privilégiant certaines valeurs et certains comportements, exerce sur les individus une influence d’autant plus grande qu’elle est diffuse dans l’air du temps. » (p.6).

Le document vient donc manifester certaines orientations fondamentales qui nous touchent tous plus ou moins et qui peuvent éventuellement mener certains à la corruption. La première est « l’esprit de consommation » (p.6) qui engendre un esprit de compétition, une véritable course à la possession qui peut avoir comme conséquence de déposséder les plus faibles, jusqu’à les priver des biens les plus essentiels pour vivre (cela se voit dans les disparités nationales nord-sud). De plus, cette culture de l’avoir à tout prix tend à restreindre la sensibilité spirituelle de ceux qui y sont engagés et, dans le même mouvement, la conscience morale tend à s’effriter. En ce sens, et parce que les yeux rivés sur le matériel, il n’est pas surprenant de voir de plus en plus d’industries comme la pornographie gagner en popularité. En effet, s’habituer à regarder le monde selon la logique marchande entraîne, par le fait même, la réduction des personnes à des objets, à des moyens pour satisfaire les désirs égoïstes de chacun. Ainsi, puisque tous peuvent être vus comme des instruments pour la satisfaction des autres, la corruption perd de son immoralité et devient un moyen comme un autre pour atteindre ses objectifs.

Vient ensuite « l’individualisme exacerbé » qui, selon le document toujours, « fait disparaître la notion de devoir au profit de celle de droit » (p. 7). En ce sens, on cite le pape émérite Benoît XVI qui affirmait :

« Aujourd’hui, nous sommes témoins d’une grave contradiction. Tandis que, d’un côté, sont revendiqués de soi-disant droits, de nature arbitraire et voluptuaire, avec la prétention de les voir reconnus et promus par les structures publiques, d’un autre côté, des droits élémentaires et fondamentaux d’une grande partie de l’humanité sont ignorés et violés [107]. […] Cette relation, explique le Pape, est due au fait que les droits individuels, détachés du cadre des devoirs qui leur confèrent un sens plénier, s’affolent et alimentent une spirale de requêtes pratiquement illimitée et privée de repères. L’exaspération des droits aboutit à l’oubli des devoirs » (no 43).

En fin d’analyse, cette attitude repose sur une perception selon laquelle le Bien commun ne résulterait que de la somme des biens individuels. En ce sens, il est aisé de comprendre jusqu’à quel point cette légitimation de la « loi du libre marché » devient en réalité la justification de la loi du plus fort. Pour faire face à une telle situation, l’AECQ présente une série de solutions pour mieux faire face à ce problème culturel à la source de la corruption. Nous y reviendrons demain.

 

[2] Rôle des parlements dans la lutte contre la corruption. Doc. 8652, 18 février 2000. Rapport. Commission des questions économiques et du développement, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

[3] Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, no 44. Centesimus annus 48; Message pour la journée mondiale de la paix 1999, no 6.

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