Dans cet épisode de « Sur la route des diocèses », Francis Denis nous transporte dans l’archidiocèse de Sherbrooke à la rencontre des différents visages de cette Église particulière. Sous l’épiscopat de Mgr Luc Cyr, archevêque du lieu, l’Église de Sherbrooke est pleinement engagée dans la transformation missionnaire voulue par le pape François. Que ce soit dans sa volonté de transmettre son riche héritage ou par la proximité avec les pauvres, les jeunes et tous les milieux, l’archidiocèse de Sherbrooke est un exemple d’un Peuple de Dieu au service des besoins spirituels et humains des âmes auxquelles il est envoyé.
Le remède du Carême selon le pape François
Le 6 février dernier, le pape François publiait son message du Carême 2018. Visant à réaffirmer la foi et l’ardeur de la charité des catholiques, ce message nous invite à l’introspection plus qu’à l’accusation lorsque nous considérons le mal dans notre monde.
L’ampleur du mal et les faux prophètes
Dans un premier temps, le Saint-Père nous exhorte à la vigilance envers les soi-disant « maîtres » qui se présentent à nous et que nous suivons trop souvent et facilement. En effet, « face à des événements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, jusqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité ». Mais qui sont ces faux prophètes contre lesquels nous devons nous prémunir ? Ce sont ceux qui viennent éteindre en nous la certitude en la primauté de la Providence de Dieu, qui naît de la foi.
Sommes-nous donc conscients et certains que devant l’ampleur du mal, Dieu écrit son Histoire Sainte ? Ou nous laissons-nous décourager par les mauvaises nouvelles jusqu’à nous justifier de notre inaction et remettre à plus tard cette soif de prière, pourtant bien réelle, qui demeure en nous tous ?
De charmés à charlatants
Lorsque nous nous laissons charmer par ces tentations de faux bonheurs (drogues, égoïsme, amour désordonné des richesses, concupiscence des yeux et orgueil), nous devenons nous-mêmes des charlatans puisque, par tout le mal que nous faisons ou ce bien que nous ne faisons pas par omission, nous participons à cette injustice cosmique contre les hommes et le monde. Ainsi, ces « « charmeurs de serpents », qui utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré » ne se contentent pas de faire de nous des pantins. Ils font de nous des tentateurs à notre tour.
Cela tient à la logique de notre nature. Créé pour l’Infini, notre cœur ne peut se satisfaire des bonnes choses de ce monde, d’où le besoin constant de nouveautés. Or cet appétit insatiable (chef-d’œuvre de la création lorsqu’il se déploie en Dieu) devient lui-même autodestructeur lorsqu’il n’y trouve pas son repos. On devient donc des consommateurs de biens matériels d’abord, et de personnes ensuite. Tout cela au grand détriment des plus pauvres et de l’environnement.
Cette pente glissante nous emmène tranquillement et sournoisement à ne plus reconnaître et même dédaigner les plus belles réalités de notre monde : « tout cela se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres « certitudes » : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes ».
Remède au mal
Devant les myriades de faux prophètes qui nous entourent, de ceux qui, par leur utopies ou distropies, nous promettent le paradis maintenant ou jamais, nous devons redécouvrir le mystère de la Providence divine. Cette omniprésence de Dieu qui, pour nous permettre de l’aimer librement, reste « caché » jusqu’à notre propre trépas.
En ce sens, ce temps de Carême nous permet de nous rendre compte que le seul vrai salut du monde, le seul vrai bonheur vient de notre union à ce Dieu qui s’est fait proche de nous en Jésus-Christ. Cette invitation prend une dimension très concrète pendant 40 jours où peuvent s’exprimer tout particulièrement des gestes qui, selon la Tradition de l’Église, sont à même de nous rapprocher de Dieu. En effet, « L’Église, notre mère et notre éducatrice, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne ». Dans cette attente active vers Pâques, nous explorerons plus en profondeur, au cours des prochaines semaines, ces quatre exercices de l’âme : vérité, prière, aumône et jeûne.
Sur la route du diocese de Baie-Comeau (2e partie)
Dans cette deuxième émission consacrée au Diocèse de Baie-Comeau, nous explorerons les différentes facettes de la vie de cette église particulière. Que ce soit par la prise en charge des communautés par les laïcs, l’engagement envers les plus pauvres, la transmission de la foi aux jeunes génération ou par la préservation des différents héritages culturels présents sur son territoire, l’Église à Baie-Comeau joue un rôle irremplaçable dans la société Nord-Côtière.
Au cours de cette émission, Francis Denis nous invite Sur la route du diocèse de Baie-Comeau, à la rencontre des différents visages de cette Église qui, de par sa pauvreté même, fait resplendir sur le monde le « visage miséricordieux du Père » (Misericordiae Vultus, no 17). Production originale de S+L, « Sur la route des diocèses » est diffusée les derniers vendredis du mois à 19h30 et en rediffusion les lundis suivants à 20h30.
Homélie du pape François lors de la Messe sur la plage de Huanchaco, Pérou
Vous trouverez ci-dessous l’homélie du pape François lors de la Messe sur l’esplanade à Huanchaco, Pérou.
Cette terre a un goût d’Évangile. Tout l’environnement avec cette immense mer en arrière- fond nous aide à mieux comprendre l’expérience que les apôtres ont eue avec Jésus et que nous aussi, aujourd’hui, nous sommes invités à vivre. Je me réjouis de savoir que vous êtes venus de différents endroits du nord Pérou pour célébrer cette joie de l’Évangile.
Les disciples d’hier, comme beaucoup parmi vous aujourd’hui, gagnaient leur vie par la pêche. Ils utilisaient des barques comme certains d’entre vous continuent à le faire, avec les “embarcations de roseaux” [petits chevaux de roseaux] et, dans le même but, aussi bien pour eux que pour vous : gagner le pain de chaque jour. Voilà l’enjeu de la plupart de nos fatigues quotidiennes : pouvoir faire progresser nos familles et leur donner ce qui les aidera à construire un avenir meilleur.
Cette ‘‘lagune aux poissons dorés’’, comme on a voulu l’appeler, a été une source de vie et de bénédiction pour de nombreuses générations. Elle a su nourrir les rêves et les espérances au fil du temps.
Vous, comme les apôtres, vous connaissez la violence de la nature et vous avez subi ses coups. Tout comme eux ont affronté la tempête sur la mer, vous avez été frappés par le terrible coup du phénomène ‘‘El Niño de la côte’’, dont les conséquences douloureuses durent encore dans de nombreuses familles, en particulier dans les familles qui n’ont toujours pas pu reconstruire leurs maisons. C’est également pour cette raison que j’ai voulu être ici et prier avec vous.
En cette Eucharistie, nous nous souvenons également de ce moment si difficile qui interpelle et bien des fois fait douter notre foi. Nous voulons nous unir à Jésus. Il connaît la souffrance et les épreuves ; il a traversé toutes les souffrances pour pouvoir nous accompagner dans les nôtres. Jésus sur la croix veut être proche de chaque situation douloureuse pour nous donner la main et nous aider à nous relever. Car il est entré dans notre histoire, il a voulu partager notre chemin et toucher nos plaies. Nous n’avons pas un Dieu insensible à ce que nous éprouvons et à ce que nous souffrons, au contraire, au cœur de la souffrance il nous donne la main.
Ces chocs interpellent et mettent en jeu la valeur de notre esprit et de nos attitudes les plus élémentaires. Ainsi nous voyons combien il est important de ne pas être seuls mais unis, d’être riches de cette union qui est le fruit de l’Esprit Saint.
Qu’est-ce qui est arrivé aux jeunes filles de l’Évangile que nous venons d’entendre ? Soudain, elles entendent un cri qui les réveille et les met en mouvement. Certaines se sont rendu compte qu’elles n’avaient pas l’huile nécessaire pour éclairer le chemin dans l’obscurité ; les autres, en revanche, ont rempli leurs lampes et ont pu trouver et éclairer le chemin qui les conduisait vers l’époux. Au moment opportun, chacune a montré avec quoi elle avait rempli sa vie.
Il en va de même pour nous. Dans des circonstances déterminées, nous prenons conscience de ce avec quoi nous avons rempli notre vie. Comme il est important de remplir nos vies avec cette huile qui permet d’alimenter nos lampes dans les divers moments d’obscurité et de trouver les chemins pour aller de l’avant !
Je sais que, dans l’obscurité, quand elles ont subi le choc du ‘‘Niño’’, ces populations ont su se mettre en mouvement et elles avaient l’huile pour accourir et s’entraider comme de vrais frères. Il y avait l’huile de la solidarité, de la générosité qui vous a mis en mouvement et vous êtes allés à la rencontre du Seigneur par d’innombrables gestes concrets d’aide. En pleine obscurité, avec beaucoup d’autres, vous avez été des cierges vivants qui ont éclairé le chemin grâce à des mains ouvertes et disponibles pour atténuer la souffrance et partager ce que vous aviez dans leur pauvreté.
Dans la lecture, nous pouvons observer comment les jeunes filles qui n’ont pas d’huile sont parties au village pour en acheter. A ce moment crucial de leur vie, elles se sont rendu compte que leurs lampes étaient vides, qu’il leur manquait l’essentiel pour trouver le chemin de la joie authentique. Elles étaient seules et ainsi elles ont été privées de la fête. Il y a des choses, comme vous le savez, qui ne s’improvisent pas et qui, encore moins, ne s’achètent pas. L’âme d’une communauté se juge à la manière dont elle parvient à s’unir pour faire face aux moments difficiles, à l’adversité, pour maintenir vivante l’espérance. Par cette attitude, vous donnez le meilleur témoignage évangélique : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Parce que la foi nous ouvre à un amour concret, fait d’œuvres, de mains tendues, de compassion ; un amour qui sache construire et reconstruire l’espérance quand tout semble perdu. Ainsi, nous devenons participants de l’action divine, telle que nous la présente l’apôtre Jean quand il nous montre que Dieu essuie les larmes de ses enfants. Et cette mission divine, Dieu l’accomplit avec la même tendresse que celle d’une mère qui cherche à faire sécher les larmes de ses enfants. Quelle belle question nous posera le Seigneur : combien de larmes as-tu essuyées aujourd’hui ?
D’autres tempêtes peuvent s’abattre sur ces côtes et avoir des effets dévastateurs sur la vie des enfants de ce pays. Des tempêtes qui nous interpellent également comme communauté et mettent en jeu la valeur de notre esprit. Ces tempêtes s’appellent la violence organisée telle que l’assassinat et l’insécurité qu’il provoque ; le manque de perspectives éducatives et professionnelles, en particulier dans les rangs des plus jeunes, ce qui les empêche de construire un avenir avec dignité ; le manque d’un toit sûr pour de nombreuses familles forcées de vivre dans des zones de grande instabilité et sans accès sûrs ; ainsi que tant d’autres situations que vous connaissez et que vous subissez, qui comme les pires glissements de terrain détruisent la confiance mutuelle si nécessaire pour construire un réseau de soutien et d’espérance. Des glissements de terrain qui affectent l’âme et nous interpellent concernant l’huile dont nous disposons pour y faire face.
Bien des fois, nous nous interrogeons sur la manière d’affronter ces tempêtes, ou sur la façon d’aider nos enfants à aller de l’avant face à ces situations. Je voudrais vous le dire : il n’y a pas de meilleure solution que celle de l’Évangile. Elle s’appelle Jésus Christ. Remplissez toujours vos vies de l’Évangile. Je voudrais vous encourager à être une communauté qui se laisse oindre par son Seigneur avec l’huile de l’Esprit. Il transforme tout, renouvelle tout, consolide tout. En Jésus, nous avons la force de l’Esprit pour ne pas rendre naturel ce qui nous fait du mal, ce qui assèche notre cœur, et pire, ce qui nous vole l’espérance. En Jésus, nous avons l’Esprit qui nous tient unis pour nous soutenir les uns les autres et pour affronter ce qui veut nous prendre le meilleur de nos familles. En Jésus, Dieu fait de nous une communauté croyante qui sait se soutenir; une communauté qui espère et par conséquent lutte pour faire reculer et transformer les nombreuses adversités ; une communauté qui aime, car elle ne permet pas que nous croisions les bras. Avec Jésus, l’âme de ce peuple de Trujillo pourra continuer à s’appeler ‘‘la ville de l’éternel printemps’’, parce qu’avec le Seigneur tout est une opportunité pour l’espérance.
Je connais l’amour que ce pays a pour la Vierge, et je sais combien la dévotion à Marie vous soutient toujours en vous conduisant jusqu’à Jésus. Demandons-lui de nous couvrir de son manteau et de nous conduire toujours à son Fils ; mais disons-le-lui par cette belle chanson populaire : « Petite Vierge de la porte, accorde-moi ta bénédiction. Petite Vierge de la porte, donne-nous la paix et beaucoup d’amour ».
[00066-FR.01] [Texte original: Espagnol]
Sur la route du diocèse de Baie-Comeau (1ère partie)
À première vue, l’Église du Québec souffre d’une grande pauvreté. Parallèlement, la société québécoise vit difficilement les conséquences de la désertification spirituelle et du vacuum religieux.
Toutefois, si on y regarde de plus près, on perçoit une panoplie de raisons d’espérer. Comme l’ont affirmé les évêques du Québec au pape François (Rapport ad limina 2017, AECQ) : « C’est sur le terrain, auprès des gens que nous voyons émerger cette nouvelle Église, fragile mais combien enracinée dans la foi, l’espérance et l’amour ».
Au cours de cette émission, Francis Denis nous invite Sur la route du diocèse de Baie-Comeau, à la rencontre des différents visages de cette Église qui, de par sa pauvreté même, fait resplendir sur le monde le « visage miséricordieux du Père » (Misericordiae Vultus, no 17). Production originale de S+L, Sur la route des diocèses est diffusée les derniers vendredis du mois à 19h30 et en rediffusion les lundis suivants à 20h30.
Pape François en Colombie: Allocution lors de la Grande rencontre pour la réconciliation nationale
Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François lors de la Grande rencontre pour la réconciliation nationale à Villavicencio:
Chers frères et sœurs,
Depuis le premier jour j’ai désiré qu’arrive ce moment de notre rencontre. Vous portez dans vos cœurs et dans votre chair les empreintes de l’histoire vivante et récente de votre peuple, histoire marquée par des événements tragiques mais aussi pleine de gestes héroïques de grande humanité et de haute valeur spirituelle, de foi et d’espérance. Je viens ici avec respect et avec la claire conscience, comme Moïse, de fouler une terre sacrée (cf. Ex 3, 5). Une terre arrosée par le sang de milliers de victimes innocentes et par la douleur déchirante de leurs familles et de leurs proches. Des blessures qu’il coûte de faire cicatriser et qui nous font mal à tous, parce que chaque violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de l’humanité ; chaque mort violente nous diminue en tant que personnes.Je suis ici non pas tant pour parler moi, mais pour être près de vous et vous regarder dans les yeux, pour vous écouter et ouvrir mon cœur à votre témoignage de vie et de foi. Et, si vous me le permettez, je désirerais aussi vous embrasser et pleurer avec vous, je voudrais que nous prions ensemble et que nous nous pardonnions – moi aussi je dois demander pardon – et qu’ainsi, tous ensemble, nous puissions regarder et aller de l’avant avec foi et espérance.
Nous sommes rassemblés aux pieds du Crucifié de Bojaya, qui, le 2 mai 2002, vit et souffrit le massacre de dizaines de personnes réfugiées dans son église. Cette statue a une forte valeur symbolique et spirituelle. En la regardant nous contemplons non seulement ce qui s’est passé ce jour-là, mais aussi tant de souffrance, tant de mort, tant de vies brisées et tant de sang versé en Colombie ces dernières décennies. Voir le Christ ainsi, mutilé et blessé, nous interpelle. Il n’a plus de bras et il n’a plus de corps, mais il a encore son visage qui nous regarde et qui nous aime. Le Christ brisé et amputé est pour nous encore « davantage le Christ », parce qu’il nous montre, une fois de plus, qu’il est venu pour souffrir pour son peuple et avec son peuple ; et pour nous apprendre aussi que la haine n’a pas le dernier mot, que l’amour est plus fort que la mort et la violence. Il nous apprend à transformer la souffrance en source de vie et de résurrection, pour que, unis à lui et avec lui, nous apprenions la force du pardon, la grandeur de l’amour.
Je remercie nos frères qui ont voulu partager leurs témoignages, au nom de beaucoup d’autres. Combien cela nous fait du bien d’écouter vos histoires ! Je suis bouleversé. Ce sont des histoires de souffrances et d’amertume, mais aussi et surtout, ce sont des histoires d’amour et de pardon qui nous parlent de vie et d’espérance ; de ne pas laisser la haine, la vengeance et la souffrance s’emparer de notre cœur.
L’oracle final du Psaume 85: «Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (v. 11) est postérieur à l’action de grâce et à la supplication où l’on demande à Dieu : Fais-nous revenir ! Merci Seigneur pour le témoignage de ceux qui ont infligé de la souffrance et qui demandent pardon ; de ceux qui ont injustement souffert et qui pardonnent. Cela est possible seulement avec ton aide et ta présence… cela est déjà un très grand signe que tu veux restaurer la paix et la concorde sur cette terre colombienne.
Pastora Mira, tu l’as très bien dit : tu veux déposer toute ta souffrance, et celle de milliers de victimes, aux pieds de Jésus crucifié pour qu’elle soit associée à la sienne et soit ainsi transformée en bénédiction et en capacité de pardon pour briser le cycle de violence qui a prévalu en Colombie. Tu as raison : la violence engendre plus de violence, la haine plus de haine et la mort plus de mort. Nous devons briser cette chaîne qui parait inéluctable, et cela est possible seulement par le pardon et la réconciliation. Et toi, chère Pastora, et beaucoup d’autres comme toi, vous nous avez montré que c’est possible. Oui, avec l’aide du Christ vivant au milieu de la communauté, il est possible de vaincre la haine, il est possible de vaincre la mort, il est possible de recommencer et d’apporter la lumière à une Colombie nouvelle. Merci Pastora ; quel grand bien tu nous fais à tous, aujourd’hui, par le témoignage de ta vie. C’est le crucifié de Bajaya qui t’a donné cette force de pardonner et d’aimer, et pour t’aider à voir, en la chemise que ta fille Sandra Paola avait offerte à ton fils Jorge Anibal, non seulement le souvenir de leur mort, mais aussi l’espérance que la paix triomphe définitivement en Colombie.
Ce qu’a dit Luz Dary dans son témoignage nous bouleverse aussi : les blessures du cœur sont plus profondes et difficiles à guérir que celles du corps. C’est ainsi. Et, ce qui est le plus important, tu t’es rendu compte qu’on ne peut pas vivre de rancœur, que seul l’amour libère et construit. Et de cette manière tu as commencé à guérir aussi les blessures d’autres victimes, à reconstruire leur dignité. Cette sortie de toi-même t’a enrichie, t’a aidé à regarder devant, à trouver la paix et la sérénité, et une raison pour aller de l’avant. Je te remercie pour la béquille que tu m’offres. Bien que tu gardes encore des séquelles physiques de tes blessures, ta marche spirituelle est rapide et sûre parce que tu penses aux autres et tu veux les aider. Cette béquille est un symbole de cette autre béquille plus importante, dont nous avons tous besoin, celle de l’amour et du pardon. Par ton amour et ton pardon tu aides beaucoup de personnes à marcher dans la vie. Merci.
Je veux remercier aussi pour le témoignage éloquent de Deisy et de Juan Carlos. Ils nous ont fait comprendre que tous, en fin de compte, d’une manière ou d’une autre, nous sommes aussi des victimes, innocentes ou coupables, mais tous victimes. Tous unis dans cette perte d’humanité que provoquent la violence et la mort. Deisy l’a dit clairement : tu as compris que toi-même avais été une victime et que tu avais besoin qu’on te donne une chance. Et tu as commencé à réfléchir, et maintenant tu travailles pour aider les victimes et pour que les jeunes ne tombent pas dans les réseaux de la violence et de la drogue. Il y a aussi une espérance pour celui qui a fait le mal ; tout n’est pas perdu. Il est certain que dans cette régénération morale et spirituelle de l’agresseur, la justice doit s’accomplir. Comme l’a dit Deisy, il faut contribuer positivement à guérir cette société qui a été déchirée par la violence.
Il semble difficile d’accepter le changement de ceux qui ont fait appel à la violence cruelle pour promouvoir leurs intérêts, pour protéger leurs commerces illicites et s’enrichir, ou pour, hypocritement, prétendre défendre la vie de leurs frères. C’est certainement un défi pour chacun de nous de croire qu’il puisse y avoir un pas en avant de la part de ceux qui ont infligé des souffrances à des communautés et à un pays tout entier. Il est certain qu’en cet immense champ qu’est la Colombie, il y a de la place encore pour l’ivraie… Soyez attentifs aux fruits… prenez soin du blé, et ne perdez pas la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, quand il voit poindre l’ivraie au milieu du blé n’a pas de réactions alarmistes. Il trouve la manière dont la Parabole s’incarnera dans une situation concrète et donnera des fruits de vie nouvelle, bien qu’ils soient en apparence imparfaits ou inachevés (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 24). Même quand perdurent les conflits, la violence ou les sentiments de vengeance, n’empêchons pas la justice et la miséricorde de se rencontrer dans une étreinte que l’histoire de souffrance de la Colombie assumera. Guérissons cette souffrance et accueillons tout être humain qui a commis des délits, les reconnaît, se repent et s’engage à réparer en contribuant à la construction de l’ordre nouveau où brillent la justice et la paix.
Comme l’a laissé entrevoir dans son témoignage Juan Carlos, dans tout ce processus, long, difficile, mais qui donne l’espérance de la réconciliation, il est indispensable aussi d’assumer la vérité. C’est un défi grand mais nécessaire. La vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. Ensemble, elles sont essentielles pour construire la paix et, d’autre part, chacune d’elle empêche que les autres soient altérées et se transforment en instruments de vengeance sur celui qui est le plus faible. La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais, bien plutôt, à la réconciliation et au pardon. La vérité, c’est de dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, c’est d’avouer ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, c’est de reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus.
Je voudrais, enfin, comme frère et comme père, dire : Colombie, ouvre ton cœur de peuple de Dieu et laisse-toi réconcilier. Ne crains pas la vérité ni la justice. Chers Colombiens : n’ayez pas peur de demander ni d’offrir le pardon. Ne résistez pas à la réconciliation pour vous rapprocher, vous rencontrer comme des frères et dépasser les inimitiés. C’est le moment de guérir les blessures, de construire des ponts, d’aplanir les différences. C’est le moment de désactiver les haines, de renoncer aux vengeances, et de s’ouvrir à la cohabitation fondée sur la justice, sur la vérité et sur la création d’une véritable culture de la rencontre fraternelle. Puissions-nous vivre en harmonie et dans la fraternité, comme désire le Seigneur. Demandons à être constructeurs de paix, que là où il y a la haine et le ressentiment, nous mettions l’amour et la miséricorde (cf. Prière attribuée à saint François d’Assise).
Je souhaite déposer toutes ces intentions devant la statue du crucifié, le Christ noir de Bojaya:
Oh, Christ noir de Bojaya,
qui nous rappelles ta passion et ta mort ; avec tes bras et tes pieds
ils t’ont arraché à tes enfants
qui cherchaient refuge en toi.Oh, Christ noir de Bojaya,
qui nous regardes avec tendresse,
la sérénité règne sur ton visage ;
ton cœur bat aussi
pour nous accueillir dans ton amour.Oh, Christ noir de Bojaya,
fais que nous nous engagions
à restaurer ton corps. Que nous soyons tes pieds pour sortir à la rencontre
du frère dans le besoin ;
tes bras pour étreindre
celui qui a perdu sa dignité ;
tes mains pour bénir et consoler
celui qui pleure dans la solitude.Fais que nous soyons témoins
de ton amour et de ton infinie miséricorde.[01232-FR.01] [Texte original: Espagnol]
Pape en Colombie: homélie lors de la Messe à Villavicencio
Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du pape François lors de la Messe de Béatifications à Villavicencio sur l’esplanade de Catama:
Ta naissance, Vierge Mère de Dieu, est la nouvelle aube qui a annoncé la joie au monde entier, car de toi est né le soleil de justice, le Christ, notre Dieu (cf. Antienne du Benedictus) ! La fête de la naissance de Marie projette sa lumière sur nous, comme rayonne la douce lumière de l’aube sur la vaste plaine colombienne, très beau paysage dont Villavicencio est la porte, tout comme dans la riche diversité de ses peuples indigènes.
Marie est la première splendeur qui annonce la fin de la nuit et surtout la proximité du jour. Sa naissance nous fait pressentir l’initiative amoureuse, tendre et compatissante de l’amour avec lequel Dieu s’incline vers nous et nous appelle à une merveilleuse alliance avec lui que rien ni personne ne pourra rompre.
Marie a su être la transparence de la lumière de Dieu et a reflété les rayonnements de cette lumière dans sa maison, qu’elle a partagée avec Joseph et Jésus, et également dans son peuple, sa nation et dans cette maison commune à toute l’humanité qu’est la création.
Dans l’Évangile, nous avons entendu la généalogie de Jésus (Mt 1, 1-17), qui n’est pas une ‘‘simple liste de noms’’, mais une ‘‘histoire vivante’’, l’histoire d’un peuple avec lequel Dieu a marché. Et, en se faisant l’un de nous, ce Dieu a voulu nous annoncer que dans son sang se déroule l’histoire des justes et des pécheurs, que notre salut n’est pas un salut aseptique, de laboratoire, mais un salut concret, de vie qui marche. Cette longue liste nous dit que nous sommes une petite partie d’une histoire vaste et nous aide à ne pas revendiquer des rôles excessifs, elle nous aide à éviter la tentation de spiritualismes évasifs, à ne pas nous détacher des circonstances historiques concrètes qu’il nous revient de vivre. Elle intègre aussi, dans l’histoire de notre salut, ces pages plus obscures ou tristes, les moments de désolation ou d’abandon comparables à l’exil.
La mention des femmes – aucune de celles citées dans la généalogie n’a le rang des grandes femmes de l’Ancien Testament – nous permet un rapprochement spécial : ce sont elles, dans la généalogie, qui annoncent que dans les veines de Jésus coule du sang païen, qui rappellent des histoires de rejet et de soumission. Dans des communautés où nous décelons encore des styles patriarcaux et machistes, il est bon d’annoncer que l’Évangile commence en mettant en relief des femmes qui ont marqué leur époque et fait l’histoire.
Et dans tout cela, Jésus, Marie et Joseph. Marie avec son généreux ‘oui’ a permis que Dieu assume cette histoire. Joseph, homme juste, n’a pas laissé son orgueil, ses passions et les jalousies le priver de cette lumière. Par la forme du récit, nous savons avant Joseph ce qui était arrivé à Marie, et il prend des décisions, révélant sa qualité humaine, avant d’être aidé par l’ange et de parvenir à comprendre tout ce qui se passait autour de lui. La noblesse de son cœur lui fait subordonner à la charité ce qu’il a appris de la loi ; et aujourd’hui, en ce monde où la violence psychologique, verbale et physique envers la femme est patente, Joseph se présente comme une figure d’homme respectueux, délicat qui, sans même avoir l’information complète, opte pour la renommée, la dignité et la vie de Marie. Et, dans son doute sur la meilleure façon de procéder, Dieu l’aide à choisir en éclairant son jugement.
Ce peuple de Colombie est peuple de Dieu ; ici aussi nous pouvons faire des généalogies remplies d’histoires, pour beaucoup, d’amour et de lumière ; pour d’autres, de désaccords, de griefs, et aussi de mort… Combien d’entre vous ne peuvent-ils pas raconter des exils et des désolations ! Que de femmes, dans le silence, ont persévéré seules et que d’hommes de bien ont tenté de laisser de côté la colère et les rancœurs, en cherchant à associer justice et bonté ! Comment ferons-nous pour laisser entrer de la lumière ? Quels sont les chemins de réconciliation ? Comme Marie, dire oui à l’histoire dans sa totalité, non à une partie ; comme Joseph, laisser de côté les passions et les orgueils ; comme Jésus Christ, prendre sur nous, assumer, embrasser cette histoire, car nous tous les Colombiens, vous êtes impliqués dans cette histoire ; ce que nous sommes s’y trouve… ainsi que ce que Dieu peut faire avec nous si nous disons oui à la vérité, à la bonté, à la réconciliation. Et cela n’est possible que si nous remplissons nos histoires de péché, de violence et de désaccord, de la lumière de l’Évangile.
La réconciliation n’est pas un mot abstrait ; s’il en était ainsi, cela n’apporterait que stérilité, plus d’éloignement. Se réconcilier, c’est ouvrir une porte à toutes les personnes et à chaque personne, qui ont vécu la réalité dramatique du conflit. Quand les victimes surmontent la tentation compréhensible de vengeance, elles deviennent des protagonistes plus crédibles des processus de construction de la paix. Il faut que quelques-uns se décident à faire le premier pas dans cette direction, sans attendre que les autres le fassent. Il suffit d’une personne de bonne volonté pour qu’il y ait de l’espérance ! Et chacun de nous peut être cette personne ! Cela ne signifie pas ignorer ou dissimuler les différences et les conflits. Ce n’est pas légitimer les injustices personnelles ou structurelles. Le recours à la réconciliation ne peut servir à s’accommoder de situations d’injustice. Plutôt, comme l’a enseigné saint Jean-Paul II : c’est « une rencontre entre des frères disposés à surmonter la tentation de l’égoïsme et à renoncer aux tentatives de pseudo justice ; c’est un fruit de sentiments forts, nobles et généreux, qui conduisent à instaurer une cohabitation fondée sur le respect de chaque individu et des valeurs propres à chaque société civile » (Lettre aux Évêques du Salvador, 6 août 1982). La réconciliation, par conséquent, se concrétise et se consolide par l’apport de tous, elle permet de construire l’avenir et fait grandir l’espérance. Tout effort de paix sans un engagement sincère de réconciliation sera voué à l’échec.
Le texte évangélique que nous avons entendu atteint son sommet en appelant Jésus l’Emmanuel, le Dieu-avec-nous. C’est ainsi que Matthieu commence, c’est ainsi qu’il termine son Évangile : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Cette promesse se réalise également en Colombie : Mgr Jesús Emilio Jaramillo Monsalve, Évêque d’Arauca, et le Père Pedro Maria Ramirez Ramos, en sont des signes, une expression d’un peuple qui veut sortir du bourbier de la violence et de la rancœur.
Dans ce décor merveilleux, il nous revient de dire oui à la réconciliation. Que le oui inclue également notre nature ! Ce n’est pas un hasard si, y compris contre elle, nous avons déchaîné nos passions possessives, notre volonté de domination. Un de vos compatriotes le chante admirablement : « Les arbres pleurent, ils sont témoins de tant d’années de violence. La mer est brune, mélange de sang et de terre » (Juanes, Minas piedras). La violence qu’il y a dans le cœur humain, blessé par le péché, se manifeste aussi à travers les symptômes de maladies que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres vivants (cf. Lettre encyclique Laudato si’, n. 2). Il nous revient de dire oui comme Marie et de chanter avec elle les « merveilles du Seigneur », car comme il l’a promis à nos pères, il aide tous les peuples et chaque peuple, il aide la Colombie qui veut se réconcilier aujourd’hui et sa descendance pour toujours.
[01231-FR.01] [Texte original: Espagnol]