Les chrétiens du Moyen-Orient selon Sami Aoun

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Voici l’intégrale de l’entrevue que j’ai réalisée vendredi dernier avec Sami Aoun, professeur titulaire de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke, directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et cofondateur de l’Observatoire sur la radicalisation et la violence extrême et qui a gentiment accepté de répondre à quelques unes de mes questions lors de la conférence de presse à Montréal de Mor Ignatius Aphrem II, Patriarche orthodoxe d’Antioche en lien avec la crise syrienne. La question des chrétiens et des minorités au Moyen-Orient est au cœur de ses intérêts. Il a publié de nombreux ouvrages sur le sujet tels que : Après le choc; Moyen-Orient : incertitudes, violences et espoirs et l’Islam entre tradition et modernité.

Question 1 : Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle des chrétiens au Moyen-Orient?

 Elle est tragique en ce sens que toutes les populations souffrent. Il y a des guerres au Proche-Orient qui font s’effondrer la mosaïque, c’est-à-dire le pluralisme interculturel et interreligieux. Par contre, c’est surtout les minorités qui payent un prix plus élevé. Plus que les majorités même s’il est vrai que c’est une grande souffrance pour tout le monde. C’est que les minorités risquent d’être éradiquées, déracinées tandis que les autres pourraient avoir les moyens de survivre après les tragédies. Les minorités, on le remarque bien, parfois elles sont harcelées provoquant leur déplacement ou leur déracinement. Ou encore elles sont exécutées. De plus, elles perdent leurs points de repère et leur mémoire collective quand on détruit leurs couvents ou leurs églises. En ce sens, c’est certainement tragique pour tout le monde mais les minorités, surtout les minorités chrétiennes en pâtissent plus.

Question 2 : Comment décririez-vous le rôle qu’un chef religieux tel que le patriarche orthodoxe peut jouer sur le terrain ?

Certes, les autorités ou instances patriarcales ou religieuses en général sont coincées entre le marteau et l’enclume. D’un côté, ils ne peuvent faire l’éloge du despotisme et fermer les yeux sur les horreurs des régimes qui ont manqué à leurs devoirs de s’engager à la démocratisation et à la libéralisation de leur pays et d’assurer un état de droit pour tout le monde, surtout le droit à la différence et à la liberté de conscience. Mais de l’autre côté, ils se trouvent devant un monstre : la barbarie du fanatisme et la barbarie des groupesblog_1441924618 radicaux. En ce sens, ils ont la grande responsabilité de dire la vérité et de témoigner pour la cause de leur peuple et pour la cause, surtout, de toute la société et pas seulement des chrétiens.

Malheureusement, quand vous vivez dans des sociétés en proie aux conflits, et qui sont à feu et à sang, ces instances religieuses perdent parfois leur autonomie et adoptent un discours teinté de tolérance et de compréhension. Et elles perdent peu à peu de l’importance ou pèsent peu dans les décisions politiques. Elles peuvent représenter une référence morale mais n’ont plus vraiment de poids dans les décisions politiques. [Read more…]

La famille chrétienne : idéal ou réalité ?

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Samedi le 29 août dernier, avait lieu à la cathédrale Marie-Reine-du-monde de Montréal, la conférence intitulée « À la découverte de l’amour véritable ». Organisée conjointement par l’Association pour la béatification de l’Impératrice Zita d’Autriche et l’Archidiocèse de Montréal, cette journée de réflexion et de prière aura certainement permis à tous les participants non seulement d’approfondir leurs connaissances sur le dessein de Dieu sur la famille mais également de sentir un réconfort dans un monde qui lui est malheureusement de plus en plus hostile.

Durant l’avant-midi, des témoignages et enseignements se sont succédés. D’abord le témoignage de Brigitte Bédard, journaliste au magazine Le Verbe, qui présentait le pouvoir de la grâce dans son chemin vocationnel, suivi de celui de Cosmin et Jacynthe Dina centré sur le rôle du sacrement de mariage et sur la solidité que revêt le mariage lorsqu’il se vit dans la foi, l’espérance et la charité. Concluant la première moitié de cette journée mémorable, Mgr Lépine a voulu souligner que le véritable visage de l’amour s’est manifesté en Jésus-Christ sur la croix. Incitant les participants à méditer fréquemment le chemin de croix, l’archevêque de Montréal a lancé un vif appel aux consciences afin qu’elles répondent positivement à leur vocation à la sainteté et qu’elles voient que la « famille est le lieu où l’on apprend que le don de soi est un chemin de bonheur».

Après un pareil avant-midi chargé d’émotions, tous étaient unanimes dans leur désir d’implorer le pardon du Père de toute miséricorde et de Lui rendre grâce pour ce don immense qu’est la famille. Une fois abreuvés à cette « Source et Sommet de toute la vie chrétienne», les participants ont pu entamer l’après-midi en compagnie d’intervenants dont la qualité n’avait d’égale que la profondeur du sujet abordé. [Read more…]

L’environnement et la politique du dialogue

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Nous poursuivons aujourd’hui notre analyse de l’encyclique Laudato Sì du pape François sur le thème de l’écologie en nous arrêtant sur le chapitre 5. Dans ce chapitre, le Pape tente « de tracer les grandes lignes de dialogue à même de nous aider à sortir de la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous enfonçons » (no 163) et ainsi manifester que la « grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme » (178).

Ce que le pape François veut véritablement, c’est que le monde politique sorte de son actuelle logique égoïste. Pour lui, les politiciens ne devraient plus réduire leurs échéanciers au seul rythme des élections. En effet, le Bien commun ne peut plus se calculer en terme de trimestre ou de quinquennat mais en terme de siècle. En ce sens, François n’invite-t-il pas les décideurs à entrer dans le « temps de l’Église » ? N’invite-t-il pas tous les citoyens du monde à réfléchir sur l’histoire de « l’époque post-industrielle [et qui] sera peut-être considérée comme l’une des plus irresponsables de l’histoire » (no 165) pour, ensuite, faire en sorte de ne pas continuer dans cette direction ?

En ce sens, pour le Pape, il est non seulement irresponsable d’avoir une vision à court terme mais nous ne pouvons plus nous contenter de défendre uniquement nos intérêts nationaux. En un mot, devant la crise actuelle, un « consensus mondial devient indispensable » (no 164). Cette invitation arrive à point puisqu’aura lieu, à Paris du 30 novembre au 11 décembre prochain, la 21e conférence sur les changements climatiques. Dans ce contexte, le message du pape François pourra plus facilement rejoindre les consciences de tous les décideurs politiques de la planète.

La Conférence de Paris devra donc tenir compte des pays émergeants en évitant de leur imposer des décisions qui mettraient en péril leur propre développement. Ils doivent avoir leur « mot à dire ». Nous touchons ainsi un message central de l’encyclique du Pape. Ce devoir de justice envers la terre passe nécessairement par une justice envers les plus pauvres. Comme le dit le Pape lui-même : « Il s’agit simplement de redéfinir le progrès » (no 194).

Sans vouloir faire table rase de l’ensemble du monde industriel qui nous précède, le pape François désire ardemment que nous soyons capables d’une remise en cause de notre présent mode de vie et, ce, jusqu’à considérer « marquer une pause en mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il ne soit trop tard » (no 193). Cette analyse (non exhaustive) du chapitre 5 de Laudato Si montre bien que les changements devront être fondamentaux si nous voulons vraiment faire face de manière réaliste à la crise des changements climatiques. La semaine prochaine, nous terminerons notre série d’articles de l’encyclique Laudato Si par une analyse du chapitre 6.

Comment faire entendre sa voix à Ottawa ?

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Le 19 octobre prochain, tous les Canadiens seront invités à s’exprimer par leur vote aux élections fédérales. Cette élection aura cependant la particularité d’être exceptionnellement longue. Bien qu’une campagne de 71 jours pose de nombreux défis logistiques et économiques aux partis politiques, un avantage nous saute désormais aux yeux : nous aurons tout le temps nécessaire pour faire un choix éclairé et faire preuve de discernement. En ce sens, la Conférence des évêques catholiques du Canada a publié cette semaine un document fort intéressant intitulé  Faire entendre sa voix pour guider les catholiques canadiens à faire un choix cohérent avec leur foi en Jésus-Christ. En d’autres termes, être en relation avec le Christ signifie, entre autres, être au service du Bien commun défini comme suit :

« L’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’épanouir plus complètement et plus facilement ».

Ce document important des évêques canadiens nous donne donc les outils nécessaires pour bien s’informer, réfléchir et dialoguer en cette campagne fédérale.

Bien s’informer

Dans un premier temps, la Conférence des évêques catholiques du Canada nous invite à bien nous informer et, ce, à plusieurs niveaux. En effet, il est important que les catholiques s’informent sur les implications de leur foi en matière sociale. Ainsi, le petit document énonce les principes essentiels qui doivent être respectés. Ces principes sont au nombre de 5 :

1) Respecter la vie et la dignité de la personne de la conception à la mort naturelle;

2) Bâtir une société plus juste;

3) Respecter la personne et la famille;

4) Faire du Canada un chef de file pour la justice et la paix dans le monde;

5) Proposer un pays sain dans un environnement sain.

En ce sens, les évêques du Canada nous invitent non seulement à bien nous informer sur les conséquences politiques de notre propre foi mais nous donnent également des principes clairs pour guider notre discernement et notre esprit critique lorsque nous lisons les journaux ou regardons les nouvelles télévisées. [Read more…]

Rencontre avec un témoin de Vatican II

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Comme nous le savons, cette année sera l’occasion de fêter le cinquantième anniversaire de la clôture du Concile Vatican II. Pour l’occasion et afin d’en apprendre un peu plus sur cet événement exceptionnel, je me suis rendu à Ottawa afin d’y rencontrer un de ses rares témoins. Mgr Jacques Landriault, aujourd’hui âgé de 93 ans, n’a rien perdu de sa ferveur et de la joie à proclamer haut et fort l’Évangile du Christ. Mgr Landriault était à peine ordonné évêque auxiliaire du diocèse d’Alexandria-Cornwall lorsqu’il fut appelé à représenter les évêques canadiens au Concile Vatican II. Énorme tâche qu’il avoue n’avoir pu accepter que grâce à la même Force de l’Esprit qui lui avait permis de dire « oui » à son ordination comme « successeur d’apôtre » comme il le dit.

Mgr Landriault a donc pu participer activement aux 2e, 3e et 4e sessions du Concile. Durant ces trois années romaines, il s’est dédié totalement à connaître et à s’imprégner le plus possible de l’atmosphère de renouveau qui soufflait sur l’Église. En ce sens, ce père conciliaire n’hésite pas à utiliser l’image d’un « printemps » de l’Église, d’une période où, d’un commun accord, on désirait ardemment s’abreuver à cette source intarissable qu’est l’Évangile. Ce souci d’authenticité, c’est ce qui a animé Mgr Landriault durant toute sa vie de pasteur. Pour lui, le Concile fut véritablement :

« Une intervention visible (et même sentie !) de l’Esprit Saint pour donner à l’Église un élan nouveau […], l’air frais dont l’Église avait tellement besoin, le souffle de l’Esprit, pour nous donner une vie nouvelle. »

Ce qui reste gravé dans sa mémoire est sans aucun doute la rencontre des évêques en assemblée générale. Au tout début, les 2 800 évêques ne se connaissaient pas entre eux. À la fin du Concile, de nombreuses amitiés étaient nées non pas seulement au sein de l’épiscopat d’un même pays mais aussi entre évêques de différentes nationalités. Selon lui, le Concile a ainsi réussi à faire tomber les murs qui existaient entre les évêques de nations différentes et ainsi ouvrir des perspectives nouvelles. En ce sens, on peut dire que leunnamed Concile a précédé de quelques décennies la globalisation actuelle!

À la question sur le moment qui l’a le plus marqué durant ces années, Mgr Landriault détourne mes yeux de Rome pour me ramener au Canada. Pour lui, le Concile s’est vécu d’abord et avant tout dans ses propres diocèses : à Hearst d’abord et à Timmins ensuite où il fut évêque pendant 19 ans. Pour lui, le Concile devait être vécu par l’ensemble des baptisés. C’est ainsi qu’il a envoyé aux études 15 prêtres pour qu’ils approfondissent les 16 documents conciliaires. Il souhaitait que les membres du peuple de Dieu qui lui avait été confiés soient nourris directement de Vatican II et non, comme il le dit ouvertement, de certaines idées qu’on véhiculait aisément dans les médias de l’époque. Il s’est donc dévoué à donner des outils de formation très poussés, en mesure de donner la nourriture intellectuelle et spirituelle nécessaire pour répondre correctement à l’appel universel à la sainteté. [Read more…]

Le dialogue: un enrichissement mutuel

blog_1438954927 (Image: Courtoisie Catholic News Service)

Depuis maintenant plusieurs décennies, notre monde subit des changements inédits. En effet, à la grande mobilité que nous offrent les moyens modernes de transport tel que l’avion, viennent s’ajouter les technologies de communication qui nous permettent d’être en contact avec n’importe qui, n’importe où sur la planète. À ces deux modifications majeures s’ajoute la prise de conscience toujours plus accrue de notre commune humanité ainsi que de la nécessité de la coexistence. À l’instar des deux précédents millénaires, il n’est plus possible pour quiconque de se réfugier dans un milieu social et culturel homogène. Cette situation qui avait l’avantage d’être, à certains points de vue, plus « confortable », avait le fâcheux désavantage de nous priver du regard de l’autre qui est très souvent, facteur de progrès. De cette nouvelle réalité de la coexistence et des différents défis qui se présentent à nous Canadiens, la Conférence des évêques catholiques du Canada a pris l’initiative de publier un document intitulé « Catholiques et musulmans au Canada : croyants et citoyens dans la société ». Enfin, ce document me semble être un instrument incontournable pour relever ce que le Cardinal Tauran a appelé les trois défis du dialogue islamo chrétien: le défi de l’identité, le défi de l’altérité et le défi de la sincérité.

Le défi de l’altérité : nos différences sont sources d’enrichissement

Ce court document de huit pages présente les grandes lignes du nécessaire « pas en avant » en matière de connaissance religieuse des catholiques sur la foi de nos frères et sœurs musulmans. Citant un texte rédigé par des savants de l’Islam affirmant que « l’avenir du monde dépend de la paix entre musulmans et chrétiens », la CECC propose d’abord des informations générales sur cette « religion du livre ». Retraçant les grandes lignes de l’histoire religieuse musulmane qui est centrée sur la personnalité de son fondateur Muhammad qui « en méditant dans une caverne sur le mont Hira, reçut ce qu’il crut être des révélations divines »[4], le document donne de l’information sur ses concepts religieux fondamentaux et ce qu’il est convenu d’appeler les « cinq piliers de l’Islam »[5]. Cette partie informative ne serait pas complète sans ces importantes indications sur les subdivisions majeures de l’Islam que sont le Sunnisme, le Chiisme et le Soufisme.

Le défi de l’identité : savoir et accepter ce que nous sommes

Après ce regard sur le contenu de la foi islamique, le document explore les similitudes qu’elle peut avoir avec la foi catholique comme par exemple, la croyance en un seul Dieu, créateur et miséricordieux. Prendre conscience des éléments communs entre nous peut être l’occasion d’une redécouverte de sa propre foi, du bien fondée de cette dernière et des fruits que cette vérité a pu produire de beau dans d’autres contextes. Par exemple, s’interroger sur la façon dont les musulmans comprennent et vivent la miséricorde de Dieu pourrait éclairer notre propre expérience. [Read more…]

La racine humaine de la crise écologique

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Pour nous qui sommes habitués à vivre à des températures froides une bonne partie de l’année, l’été est une occasion de reprendre contact avec la nature. Nous fuyons le plus possible les endroits clos et recherchons le « grand air ». Cette attitude est d’autant plus intense lorsque l’hiver s’est allongé et a semblé ne plus vouloir finir. Ce retour annuel aux sources devrait nous encourager à accueillir l’invitation du pape François à reconsidérer notre relation à la nature, à vérifier si notre mode de vie au quotidien, notre « métro-boulot-dodo » ne s’est pas éloigné quelque peu de notre propre nature. C’est ce qu’il propose dans le troisième chapitre de son encyclique Laudato Si.

Intitulé « Racine humaine de la crise écologique », ce chapitre propose une réflexion en profondeur sur notre relation avec la technologie. Puisque « l’analyse des problèmes environnementaux est inséparable de l’analyse des contextes humains » (no110), il est important de comprendre que la réflexion écologique ne peut plus se passer d’inclure l’homme. En effet, dans les débats actuels sur la protection de l’environnement, une constante émerge : la technique. Tandis que chez certains elle est parfois présentée comme la source de tous les maux, chez d’autres, elle est l’unique solution d’avenir. Devant ce paradoxe, François nous invite à nous éloigner des simplifications et à nous pencher sur les bons et mauvais côtés de la technique.

La technologie est une merveille et nous en sommes tous les bénéficiaires, moi le premier ! Comme le dit le pape : « La technologie a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à l’être humain et le limitaient. Nous ne pouvons pas ne pas valoriser ni apprécier le progrès technique, surtout dans la médecine, l’ingénierie et les communications. » (no102). Par exemple, le pape fait mention de l’intérêt autour des OGM. Pour lui: « Il est difficile d’émettre un jugement général sur les développements de transgéniques (OMG) […] les risques ne sont pas toujours dus à la technique en soi, mais à son application inadaptée ou excessive » (no 133). Il ne convient donc pas d’accuser directement la technique mais bien notre rapport à elle.

En ce sens, le Pape souligne que le principal défi pour sauvegarder l’environnement est de convertir le cœur humain. En effet, c’est l’esprit de domination (no 108) qui a mené à la présente crise c’est-à-dire cette idée que l’homme n’a aucune limite. En d’autres termes « l’idée d’une croissance infinie ou illimitée » (no 106) doit être soumise à la critique. N’avons-nous pas nous-mêmes cette volonté de « dépasser toutes les limites » ou tous les « tabous » ?

Pour y faire face, le pape scientifique avance une série de propositions dont la principale est de favoriser une éducation intégrale (no 120) permettant à l’être humain de se situer dans le plan de Dieu sur sa création et ainsi « ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par une frénésie mégalomane. » (no 114).

La semaine prochaine, nous poursuivrons notre analyse de l’encyclique Laudato Si du pape François en examinant le quatrième chapitre intitulé « Une écologie intégrale », le cœur de l’encyclique.

« Laudato Si » ou la refondation de l’écologie

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Poursuivons notre réflexion estivale sur l’environnement en explorant le deuxième chapitre de l’encyclique du pape François sur l’écologie Laudato Si. Comme nous l’avons vu la semaine dernière, l’intention du Pape est d’offrir à toute l’humanité la contribution de la riche tradition chrétienne à la lutte pour la protection de l’environnement.

Dans ce deuxième chapitre, le pape François cherche à faire reconnaître l’importance du dialogue pour la résolution de la présente crise. En effet, il écrit : « Si nous cherchons vraiment à construire une écologie qui nous permette de restaurer tout ce que nous avons détruit, alors aucune branche des sciences et aucune forme de sagesse ne peut être laissée de côté, la sagesse religieuse non plus, avec son langage propre. » (no63). Ainsi le pape François invite gouvernants et citoyens du monde à reconnaître que la foi chrétienne est une alliée de poids sur la route du respect de l’environnement. Cette invitation prend encore plus d’importance lorsque l’on considère l’atmosphère souvent fermée à la spiritualité des grandes conférences et débats actuels sur l’environnement. Au contraire, cette méfiance devrait se transformer en confiance, en ouverture vis-à-vis de ceux qui ont « la merveilleuse certitude de savoir que la vie de toute personne ne se perd pas dans un chaos désespérant, dans un monde gouverné par le pur hasard ou par des cycles qui se répètent de manière absurde! » (no65).

Après avoir souligné l’apport de la pensée chrétienne aux débats sur l’écologie, le pape amorce une profonde réflexion sur la Création selon une perspective unique et surprenante. En effet, il présente la place de l’homme dans l’univers selon une perspective relationnelle. De fait, selon le Pape, « les récits de la création […] suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la terre » (no66). Ainsi, de la relation fondamentale avec Dieu découle l’harmonie entre les hommes et avec, par le fait même, avec la création. Cette véritable « déclinaison » relationnelle se porterait à merveille si un incident historique n’était pas venu « détruire par le fait d’avoir prétendu prendre la place de Dieu » (no 66). De ce péché originel, découle cette prétention qu’ont les hommes à vouloir se dominer les uns et les autres et, par conséquent, dominer la terre. En ce sens, l’accusation souvent lancée contre les chrétiens selon laquelle le commandement originel de « dominer et de soumettre la terre » (Gn1, 28) serait une des sources de l’exploitation irresponsable des ressources naturelles ne tient pas compte du jugement de l’Église stipulant qu’il « ne s’agit pas d’une interprétation correcte de la Bible » (no67). Prendre en compte la révélation chrétienne dans cette lutte en faveur de l’environnement consistera donc à prendre au sérieux cette invitation à une triple réconciliation : avec Dieu, l’homme et la création.

Pour ce faire, nous devons prendre conscience d’un élément fondamental soit que : « Tout est lié » (no 92). En effet, «  la négligence dans la charge de cultiver et de garder une relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de protection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre » (no 70). Ainsi, rétablir notre relation avec la création passera par le rétablissement simultané de ces trois relations fondamentales. C’est en ce sens que l’on a qualifié l’encyclique « d’écologie intégrale ». En échangeant notre microscope pour un télescope, nous pourrons avoir une vision d’ensemble et, ainsi, cesser de prétendre sauver la planète sans considérer ce qui est défaillant en l’homme même.

Voilà le genre de réflexion auquel nous convie le pape François dans son encyclique « Laudato Si ». La semaine prochaine nous poursuivrons notre réflexion par une analyse du chapitre trois de l’encyclique.

L’écologie intégrale du pape François: une analyse de l’encyclique « Laudato Si » (1ère partie)

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Le 18 juin dernier, le pape François publiait la très attendue encyclique « Laudato Si » sur des questions primordiales liées à l’environnement et à la pauvreté. Ce texte, long de 192 pages, est un document accessible, tant par son langage que du publique auquel il est adressé, l’environnement nous concernant tous. Dans les prochaines semaines, je vous propose de parcourir ce document phare qui permet, à la fois, de mieux comprendre l’actuel phénomène climatique mais également d’y apporter des solutions appropriées.

Qu’est-ce qui se passe?

Pour le pape François, il ne fait aucun doute que notre environnement actuel subit des mutations d’une gravité sans précédent. Il l’exprime ainsi : « Il existe un consensus scientifique très solide qui indique que nous sommes en présence d’un réchauffement préoccupant du système climatique » (no 23). À partir de cet état de fait, nous sommes invités à prendre conscience de notre responsabilité individuelle et collective et à accepter de modifier certaines de nos habitudes concrètes de tous les jours. De plus, le pape nous invite également à jeter un regard sur notre vision du monde. Plus particulièrement, selon François et ses prédécesseurs, le problème provient d’une certaine vision de l’être humain.

En effet, le texte a ceci de significatif, qu’il invite à une réflexion en profondeur des fondements philosophiques et culturels (no 17-18) qui nous ont amenés à la présente crise. Selon le Pape :

« L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l’accentuent [puisque] la plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis surtout à cause de l’activité humaine » (no 23).

C’est en ce sens que le premier chapitre de ce document magistral se penche d’abord sur les conséquences concrètes que ces changements peuvent avoir sur les êtres humains. Le Pape souligne la question de l’eau. En effet, « l’accès à l’eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des personnes, et, par conséquent, il est une condition pour l’exercice des autres droits humains. » (no 30). Parallèlement à cette question de l’eau se trouve celle de la préservation de la biodiversité. Celle-ci tendant de plus en plus à disparaître au profit de l’uniformité de l’agriculture et de la détérioration des espaces verts comme l’Amazonie, le Pape presse les autorités de procéder à un changement de vision en passant de la considération des différentes espèces comme de simples « “ressources” exploitables » à celle de la prise en compte  « qu’elles ont une valeur en elles-mêmes » (no 33). Ce dernier point manifeste bien que les changements d’attitudes et de comportements envers l’environnement ne passera que par une conception renouvelée de l’être humain et de son rôle dans la création.

Une vision de l’homme en jeu

De mon point de vue, la plus grande nouveauté de l’encyclique Laudato Si est qu’elle réintègre l’homme dans les débats en cours sur l’écologie. En effet, depuis quelques années, les questions environnementales sont souvent considérées comme indépendantes des questions liées à la pauvreté dans le monde et aux différents systèmes politiques et économiques qui entretiennent cet état de fait. Or pour le Pape, la pauvreté et la crise environnementale sont liées au point que l’on pourrait considérer qu’il ne s’agit que d’un seul et même problème. En effet, « l’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble, et nous ne pourrons pas affronter adéquatement la dégradation de l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux causes qui sont en rapport avec la dégradation humaine et sociale » (no 48). [Read more…]

« Changer de cap ! » – Cardinal André VINGT-TROIS

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Cardinal André VINGT-TROIS

Archevêque de Paris

Rarement une encyclique aura été aussi attendue. À six mois du grand rendez-vous de la COP 21 à Paris, le pape François adresse un appel solennel à toute l’humanité au sujet d’un immense défi : la dégradation globale de l’environnement naturel. Successeur de l’apôtre Pierre, et à ce titre, témoin du Christ ressuscité, François invite tous les hommes de bonne volonté à un changement de cap en resituant chacun devant sa responsabilité de prendre soin de la « maison commune » où Dieu a donné à tout être une place. Mais il se fait aussi le porte-parole de ceux qui, ensemble, gémissent sous le poids de la souffrance : les pauvres et la nature. Car, aux yeux du Pape, il n’existe pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale. Environnement naturel et environnement humain se dégradent ensemble. Sauvegarde de la terre comme « maison commune » et amour des pauvres vont de pair. Si François relaie ainsi le cri des plus fragiles, c’est que le défi environnemental ainsi que ses racines concernent la totalité des hommes et touchent chacun au plus profond de son humanité. Pour surmonter ensemble, par un dialogue multiforme, ce redoutable défi, nous avons d’abord à changer de regard, ce qui suppose que nous commencions par ouvrir les yeux.

Ouvrir les yeux. Le Pape n’ignore ni les débats scientifiques en cours, ni les divergences d’opinion, ni les résistances à la conversion écologique, y compris chez des catholiques convaincus. Il passe cependant en revue les symptômes majeurs qui affectent gravement notre terre. Sans entrer dans ce qui relève de l’expertise scientifique, François a voulu nommer les choses en prenant des exemples concrets, pour que nul ne puisse considérer avec mépris ou indifférence les alertes lancés par nombre d’experts. « Le rythme de consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement a dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à des catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà périodiquement dans diverses régions (n° 161). » Le pape espère, ce qui est loin d’être le cas pour tous, que chacun pourra prendre conscience de la situation et « oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde » (n° 19).

Changer de regard. Le Pape replace le défi écologique à son niveau le plus radical, celui d’une conversion dans la manière d’appréhender la vie et l’activité humaines. Sans cette conversion, toutes les solutions, qu’elles soient techniques ou économiques ou juridico-politiques, seront insuffisantes et pourront au mieux retarder une échéance qui s’annonce catastrophique. Le changement de vision du monde concerne ici le rapport de l’homme à la technique moderne. Si celle-ci a considérablement amélioré les conditions de vie, elle place aujourd’hui les hommes devant une option abyssale en leur donnant un pouvoir sans mesure sur eux-mêmes et sur la terre tout entière.

C’est que l’immense essor des sciences et des techniques n’a pas été accompagné d’un progrès éthique et culturel équivalent. Pire encore, le modèle et les finalités des technosciences se sont étendus à la vie concrète des individus comme des sociétés. Il est devenu très difficile de s’abstraire des fabuleux moyens mis à notre disposition, ou même d’en faire usage, sans être asservi par leur logique qui exténue progressivement toute capacité de décision, de liberté et de créativité. Aussi la solution au défi environnemental ne peut-elle se réduire à des initiatives partielles et bricolées dans l’urgence. La racine du problème tient à l’emprise de la technique sur la vie, qu’elle soit humaine ou non.

Si nous arrivons à changer de regard sur la nature, si nous renonçons à considérer les autres êtres vivants comme des objets soumis arbitrairement à notre usage et notre domination, si nous allons jusqu’à ressentir combien nous sommes vitalement unis à tous les êtres de l’univers, « la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément » (n° 11). C’est pourquoi, dans le sillage de saint François d’Assise qui appelait « frère » ou « sœur » la moindre créature, le Pape invite avec audace l’humanité à s’ouvrir au langage des relations intersubjectives, et plus précisément des relations familiales, pour nommer les choses de la nature et s’orienter ainsi vers une attitude plus humaine envers elles.

Dialoguer et s’unir pour trouver des solutions. Les problèmes environnementaux et sociaux sont enfin d’une telle complexité qu’aucune discipline scientifique ni aucune forme de sagesse, y compris religieuse, ne peuvent être négligées pour apporter des réponses durables. Le pape François propose non des solutions mais une méthode, celle d’un dialogue sérieux et sans préjugés entre toutes les parties concernées. S’il consacre un chapitre à « l’évangile de la création », c’est qu’il croit, comme le patriarche Bartholomée, à une nouvelle rencontre féconde entre science et religion, et qu’il veut également montrer combien les convictions de foi offrent aux chrétiens, comme à d’autres croyants, de puissantes motivations pour prendre soin de la terre.

Comme il le répète à plusieurs endroits, même si, selon les termes très forts de Jean-Paul II, « l’humanité a déçu l’attente divine », même si les symptômes d’un point de non-retour apparaissent, le pape François ne désespère pas de la capacité humaine à trouver une issue juste et durable. Certaines expériences en témoignent un peu partout dans le monde. Plus encore, à ses yeux, « la meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts (n° 75) ». « Nous ne sommes pas Dieu. » (n°67). Quel défi pour l’humanité d’oser imiter le pauvre d’Assise dans son chant de louange : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre… » !

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