Piquette ou Grand Cru ? À nous de choisir!

Alors que nous sommes sur le point d’entrer dans la deuxième semaine du Carême, nous poursuivons notre lecture du Message du pape François pour le Carême 2018, par une analyse plus détaillée de ce qu’il nommait « le remède parfois amer de la vérité ». En s’y arrêtant quelque peu, on remarquera, à la fois l’acuité et la pertinence de cette formule.

Le remède de la vérité

En quoi la vérité est-elle un remède ? Ne devrait-elle pas au contraire être perçue naturellement comme l’oxygène de notre intelligence plutôt que comme un sirop contre la toux? En effet, la vérité signifie d’abord et avant tout Adaequatio rei et intellectus (l’adéquation entre la réalité et notre intelligence). Parler de vérité comme d’un « remède » signifie donc que nous sommes souvent bien loin d’être en syntonie avec l’objectivité du monde qui nous entoure, préférant les rêves d’Hollywood ou ceux du monde numérique.

Pour retrouver ce lien avec la réalité, le Carême nous offre l’occasion, d’abord de refréner tout ce qui engourdit notre conscience ensuite de se reconnecter à la vérité première qu’est Dieu. En effet, la grâce de tempérance du Carême nous offre l’aide nécessaire pour diminuer cet appétit de consommation (télé, jeux vidéo, alcool, magasinage, etc.) qui, sans être intrinsèquement mauvais, nous détourne trop souvent de l’Unique Nécessaire. « Combien d’autres encore se sont immergés dans une vie complètement virtuelle où les relations semblent plus faciles et plus rapides pour se révéler ensuite tragiquement privées de sens ! » nous dit le Pape!

Notre horaire, ainsi délesté de quelques heures, nous permettra de renouer avec Dieu par la lecture de la Bible, de la vie des saints ou de spiritualité catholique. Tout cela afin de connaître mieux Celui qui désire plus que tout que nous le connaissions davantage.

Un remède amer ?

Le Pape sait que cela n’est pas toujours une partie de plaisir et que ce remède de la vérité peut parfois sembler amer, tel un médicament au goût désagréable. Cela est d’autant plus difficile lorsque l’on considère la culture actuelle. Allergique à la notion même de limites, notre société nous invite à tout remettre en question sous prétexte d’une quelconque émancipation. C’est ainsi que, peu à peu, les civilisations se détachent des institutions millénaires comme la famille, l’Église, la patrie et, encore plus radicalement, refuse des notions telles que la différentiation sexuelle ou l’accueil de la vie de la conception à la mort naturelle. Hypnotisés par l’utopie transhumaniste, nous assistons à la liquéfaction de ce qui, n’en déplaise aux partisans de ces théories, demeure son socle c’est-à-dire la nature humaine et son ouverture spirituelle.

Contre cette tentation de considérer l’homme au-dessus ou au-dessous de ce qu’il est, le remède amer de la vérité nous apprend à garder une juste anthropologie, soucieuse de maintenir la primauté de la dimension spirituelle de la personne. Redécouvrir la nature humaine nous aidera donc à discerner ce qui, dans notre vie, nous éloigne de nous-mêmes et de nos véritables besoins existentiels. Loin de tomber dans ce mirage d’une absolue autonomie de l’homme devant sa condition, nous redécouvrirons cette condition de notre libération véritable qu’est la conscience de notre absolue dépendance envers Dieu. Ainsi, notre goût de la vérité se perfectionnera comme le goût d’une personne qui apprend à reconnaître un bon vin. En ce sens, « l’amertume de la vérité » n’est autre que notre acharnement à confondre piquette et Grand Cru.

La semaine prochaine nous poursuivrons notre analyse du message du pape François pour le Carême 2018 en examinant « la douceur de la prière ».

Le remède du Carême selon le pape François

CNS photo/Vatican Medias

Le 6 février dernier, le pape François publiait son message du Carême 2018. Visant à réaffirmer la foi et l’ardeur de la charité des catholiques, ce message nous invite à l’introspection plus qu’à l’accusation lorsque nous considérons le mal dans notre monde.

L’ampleur du mal et les faux prophètes

Dans un premier temps, le Saint-Père nous exhorte à la vigilance envers les soi-disant « maîtres » qui se présentent à nous et que nous suivons trop souvent et facilement. En effet, « face à des événements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, jusqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité ». Mais qui sont ces faux prophètes contre lesquels nous devons nous prémunir ? Ce sont ceux qui viennent éteindre en nous la certitude en la primauté de la Providence de Dieu, qui naît de la foi.

Sommes-nous donc conscients et certains que devant l’ampleur du mal, Dieu écrit son Histoire Sainte ? Ou nous laissons-nous décourager par les mauvaises nouvelles jusqu’à nous justifier de notre inaction et remettre à plus tard cette soif de prière, pourtant bien réelle, qui demeure en nous tous ?

De charmés à charlatants

Lorsque nous nous laissons charmer par ces tentations de faux bonheurs (drogues, égoïsme, amour désordonné des richesses, concupiscence des yeux et orgueil), nous devenons nous-mêmes des charlatans puisque, par tout le mal que nous faisons ou ce bien que nous ne faisons pas par omission, nous participons à cette injustice cosmique contre les hommes et le monde. Ainsi, ces « « charmeurs de serpents », qui utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré » ne se contentent pas de faire de nous des pantins. Ils font de nous des tentateurs à notre tour.

Cela tient à la logique de notre nature. Créé pour l’Infini, notre cœur ne peut se satisfaire des bonnes choses de ce monde, d’où le besoin constant de nouveautés. Or cet appétit insatiable (chef-d’œuvre de la création lorsqu’il se déploie en Dieu) devient lui-même autodestructeur lorsqu’il n’y trouve pas son repos. On devient donc des consommateurs de biens matériels d’abord, et de personnes ensuite. Tout cela au grand détriment des plus pauvres et de l’environnement.

Cette pente glissante nous emmène tranquillement et sournoisement à ne plus reconnaître et même dédaigner les plus belles réalités de notre monde : « tout cela se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres « certitudes » : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes ».

Remède au mal

Devant les myriades de faux prophètes qui nous entourent, de ceux qui, par leur utopies ou distropies, nous promettent le paradis maintenant ou jamais, nous devons redécouvrir le mystère de la Providence divine. Cette omniprésence de Dieu qui, pour nous permettre de l’aimer librement, reste « caché » jusqu’à notre propre trépas.

En ce sens, ce temps de Carême nous permet de nous rendre compte que le seul vrai salut du monde, le seul vrai bonheur vient de notre union à ce Dieu qui s’est fait proche de nous en Jésus-Christ. Cette invitation prend une dimension très concrète pendant 40 jours où peuvent s’exprimer tout particulièrement des gestes qui, selon la Tradition de l’Église, sont à même de nous rapprocher de Dieu. En effet, « L’Église, notre mère et notre éducatrice, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne ». Dans cette attente active vers Pâques, nous explorerons plus en profondeur, au cours des prochaines semaines, ces quatre exercices de l’âme : vérité, prière, aumône et jeûne.

Église en sortie 9 février 2018

Cette semaine à Église en sortie: Francis Denis reçois Robert Lalonde qui nous parle de son livre « D’encre et de Chair: voyage aux pays des artisans de ponts de paix ». On vous présente un reportage sur la visite de la relique de Saint-François Xavier à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde de Montréal. Dans la troisième partie de l’émission, entrevue avec l’auteur et théologien Jacques Gauthier sur son livre « Heni Caffarel: Maître d’oraison »

Message du pape François pour le Carême 2018

CNS photo/Max Rossi, Reuters

Vous trouverez ci-dessous le texte du Message du pape François pour le Carême 2018:

« À cause de l’ampleur du mal,
la charité de la plupart des hommes se refroidira »
(Mt 24, 12)

Chers Frères et Sœurs,

La Pâque du Seigneur vient une fois encore jusqu’à nous ! Chaque année, pour nous y préparer, la Providence de Dieu nous offre le temps du Carême. Il est le « signe sacramentel de notre conversion »[1], qui annonce et nous offre la possibilité de revenir au Seigneur de tout notre cœur et par toute notre vie.

Cette année encore, à travers ce message, je souhaite inviter l’Eglise entière à vivre ce temps de grâce dans la joie et en vérité ; et je le fais en me laissant inspirer par une expression de Jésus dans l’Évangile de Matthieu : « À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira » (24, 12). Cette phrase fait partie du discours sur la fin des temps prononcé à Jérusalem, au Mont des Oliviers, précisément là où commencera la Passion du Seigneur. Jésus, dans sa réponse à l’un de ses disciples, annonce une grande tribulation et il décrit la situation dans laquelle la communauté des croyants pourrait se retrouver : face à des évènements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, presqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité qui est le centre de tout l’Évangile.

Les faux prophètes

Mettons-nous à l’écoute de ce passage et demandons-nous : sous quels traits ces faux prophètes se présentent-ils ? Ils sont comme des « charmeurs de serpents », c’est-à-dire qu’ils utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré. Que d’enfants de Dieu se laissent séduire par l’attraction des plaisirs fugaces confondus avec le bonheur ! Combien d’hommes et de femmes vivent comme charmés par l’illusion de l’argent, qui en réalité les rend esclaves du profit ou d’intérêts mesquins ! Que de personnes vivent en pensant se suffire à elles-mêmes et tombent en proie à la solitude !

D’autres faux prophètes sont ces « charlatans » qui offrent des solutions simples et immédiates aux souffrances, des remèdes qui se révèlent cependant totalement inefficaces : à combien de jeunes a-t-on proposé le faux remède de la drogue, des relations « use et jette », des gains faciles mais malhonnêtes ! Combien d’autres encore se sont immergés dans une vie complètement virtuelle où les relations semblent plus faciles et plus rapides pour se révéler ensuite tragiquement privées de sens ! Ces escrocs, qui offrent des choses sans valeur, privent par contre de ce qui est le plus précieux : la dignité, la liberté et la capacité d’aimer. C’est la duperie de la vanité, qui nous conduit à faire le paon…. pour finir dans le ridicule ; et du ridicule, on ne se relève pas. Ce n’est pas étonnant : depuis toujours le démon, qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44), présente le mal comme bien, et le faux comme vrai, afin de troubler le cœur de l’homme. C’est pourquoi chacun de nous est appelé à discerner en son cœur et à examiner s’il est menacé par les mensonges de ces faux prophètes. Il faut apprendre à ne pas en rester à l’immédiat, à la superficialité, mais à reconnaître ce qui laisse en nous une trace bonne et plus durable, parce que venant de Dieu et servant vraiment à notre bien.

Un cœur froid

Dans sa description de l’enfer, Dante Alighieri imagine le diable assis sur un trône de glace[2] ; il habite dans la froidure de l’amour étouffé. Demandons-nous donc : comment la charité se refroidit-elle en nous ? Quels sont les signes qui nous avertissent que l’amour risque de s’éteindre en nous?

Ce qui éteint la charité, c’est avant tout l’avidité de l’argent, « la racine de tous les maux » (1Tm 6, 10) ; elle est suivie du refus de Dieu, et donc du refus de trouver en lui notre consolation, préférant notre désolation au réconfort de sa Parole et de ses Sacrements.[3] Tout cela se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres « certitudes » : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes.

La création, elle aussi, devient un témoin silencieux de ce refroidissement de la charité : la terre est empoisonnée par les déchets jetés par négligence et par intérêt ; les mers, elles aussi polluées, doivent malheureusement engloutir les restes de nombreux naufragés des migrations forcées ; les cieux – qui dans le dessein de Dieu chantent sa gloire – sont sillonnés par des machines qui font pleuvoir des instruments de mort.

L’amour se refroidit également dans nos communautés. Dans l’Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium, j’ai tenté de donner une description des signes les plus évidents de ce manque d’amour. Les voici : l’acédie égoïste, le pessimisme stérile, la tentation de l’isolement et de l’engagement dans des guerres fratricides sans fin, la mentalité mondaine qui conduit à ne rechercher que les apparences, réduisant ainsi l’ardeur missionnaire.[4]

Que faire ?

Si nous constatons en nous-mêmes ou autour de nous les signes que nous venons de décrire, c’est que l’Eglise, notre mère et notre éducatrice, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne.

En consacrant plus de temps à la prière, nous permettons à notre cœur de découvrir les mensonges secrets par lesquels nous nous trompons nous-mêmes[5], afin de rechercher enfin la consolation en Dieu. Il est notre Père et il veut nous donner la vie.

La pratique de l’aumône libère de l’avidité et aide à découvrir que l’autre est mon frère : ce que je possède n’est jamais seulement mien. Comme je voudrais que l’aumône puisse devenir pour tous un style de vie authentique ! Comme je voudrais que nous suivions comme chrétiens l’exemple des Apôtres, et reconnaissions dans la possibilité du partage de nos biens avec les autres un témoignage concret de la communion que nous vivons dans l’Eglise. A cet égard, je fais mienne l’exhortation de Saint Paul quand il s’adressait aux Corinthiens pour la collecte en faveur de la communauté de Jérusalem : « C’est ce qui vous est utile, à vous » (2 Co 8, 10). Ceci vaut spécialement pour le temps de carême, au cours duquel de nombreux organismes font des collectes en faveur des Eglises et des populations en difficulté. Mais comme j’aimerais que dans nos relations quotidiennes aussi, devant tout frère qui nous demande une aide, nous découvrions qu’il y a là un appel de la Providence divine: chaque aumône est une occasion pour collaborer avec la Providence de Dieu envers ses enfants ; s’il se sert de moi aujourd’hui pour venir en aide à un frère, comment demain ne pourvoirait-il pas également à mes nécessités, lui qui ne se laisse pas vaincre en générosité ? [6]

Le jeûne enfin réduit la force de notre violence, il nous désarme et devient une grande occasion de croissance. D’une part, il nous permet d’expérimenter ce qu’éprouvent tous ceux qui manquent même du strict nécessaire et connaissent les affres quotidiennes de la faim ; d’autre part, il représente la condition de notre âme, affamée de bonté et assoiffée de la vie de Dieu. Le jeûne nous réveille, nous rend plus attentifs à Dieu et au prochain, il réveille la volonté d’obéir à Dieu, qui seul rassasie notre faim.

Je voudrais que ma voix parvienne au-delà des confins de l’Eglise catholique, et vous rejoigne tous, hommes et femmes de bonne volonté, ouverts à l’écoute de Dieu. Si vous êtes, comme nous, affligés par la propagation de l’iniquité dans le monde, si vous êtes préoccupés par le froid qui paralyse les cœurs et les actions, si vous constatez la diminution du sens d’humanité commune, unissez-vous à nous pour qu’ensemble nous invoquions Dieu, pour qu’ensemble nous jeûnions et qu’avec nous vous donniez ce que vous pouvez pour aider nos frères !

Le feu de Pâques

J’invite tout particulièrement les membres de l’Eglise à entreprendre avec zèle ce chemin du carême, soutenus par l’aumône, le jeûne et la prière. S’il nous semble parfois que la charité s’éteint dans de nombreux cœurs, cela ne peut arriver dans le cœur de Dieu ! Il nous offre toujours de nouvelles occasions pour que nous puissions recommencer à aimer.

L’initiative des « 24 heures pour le Seigneur », qui nous invite à célébrer le sacrement de Réconciliation pendant l’adoration eucharistique, sera également cette année encore une occasion propice. En 2018, elle se déroulera les vendredi 9 et samedi 10 mars, s’inspirant des paroles du Psaume 130 : « Près de toi se trouve le pardon » (Ps 130, 4). Dans tous les diocèses, il y aura au moins une église ouverte pendant 24 heures qui offrira la possibilité de l’adoration eucharistique et de la confession sacramentelle.

Au cours de la nuit de Pâques, nous vivrons à nouveau le rite suggestif du cierge pascal : irradiant du « feu nouveau », la lumière chassera peu à peu les ténèbres et illuminera l’assemblée liturgique. « Que la lumière du Christ, ressuscitant dans la gloire, dissipe les ténèbres de notre cœur et de notre esprit »[7] afin que tous nous puissions revivre l’expérience des disciples d’Emmaüs : écouter la parole du Seigneur et nous nourrir du Pain eucharistique permettra à notre cœur de redevenir brûlant de foi, d’espérance et de charité.

Je vous bénis de tout cœur et je prie pour vous. N’oubliez pas de prier pour moi.

Du Vatican, le 1er November 2017
Solennité de la Toussaint

François

[1] Texte original en italien: “segno sacramentale della nostra conversione”, in: Messale Romano, Oraison Collecte du 1er dimanche de carême. N.B. Cette phrase n’a pas encore été traduite dans la révision (3ème), qui est en cours, du Missel romain en français.

[2] « C’est là que l’empereur du douloureux royaume/de la moitié du corps se dresse hors des glaces » (Enfer XXXIV, 28-29)

[3] « C’est curieux, mais souvent nous avons peur de la consolation, d’être consolés. Au contraire, nous nous sentons plus en sécurité dans la tristesse et dans la désolation. Vous savez pourquoi ? Parce que dans la tristesse nous nous sentons presque protagonistes. Mais en revanche, dans la consolation, c’est l’Esprit Saint le protagoniste ! » (Angelus, 7 décembre 2014)

[4] Nn. 76-109

[5] Cf Benoît XVI , Lett. Enc. Spe Salvi, n. 33

[6] Cf Pie XII, Lett. Enc. Fidei donum, III

[7] Missel romain, Veillée pascale, Lucernaire

Église en sortie 2 février 2018

Cette semaine à Église en sortie, nous Francis Denis s’entretient avec Sophie Brouillet sur la maison d’éditions Médiaspaul. On vous présente un reportage sur la conference « Décoder l’amour » de l’archidiocèse de Montréal. Dans la troisième partie de l’émission, nous discutons avec Émile Robichaud sur son tout dernier livre: « Succursale ou institution: redonner sens à nos écoles?« 

Homélie du pape François pour la Fête de la Présentation du Seigneur et pour la 22e Journée mondiale de la vie consacrée:

CNS/Paul Haring

Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François tel que prononcé lors de la Messe de la Fête de la Présentation du Seigneur et de la XXII journée mondiale de la vie consacrée:

Quarante jours après Noël, nous célébrons le Seigneur qui, en entrant dans le temple, va à la rencontre de son peuple. Dans l’Orient chrétien, cette fête est précisément désignée comme la ‘‘Fête de la rencontre’’: c’est la rencontre entre le Divin Enfant, qui apporte la nouveauté, et l’humanité en attente, représentée par les anciens du temple.

Dans le temple se produit également une autre rencontre, celle entre deux couples : d’une part les jeunes gens Marie et Joseph, d’autre part les anciens Siméon et Anne. Les anciens reçoivent des jeunes gens, les jeunes gens se ressourcent auprès des anciens. Marie et Joseph retrouvent en effet dans le temple les racines du peuple, et c’est important, car la promesse de Dieu ne se réalise pas individuellement et d’un seul coup, mais ensemble et tout au long de l’histoire. Et ils trouvent aussi les racines de la foi, car la foi n’est pas une notion à apprendre dans un livre, mais l’art de vivre avec Dieu, qui s’apprend par l’expérience de ceux qui nous ont précédés sur le chemin. Ainsi, les deux jeunes, en rencontrant les anciens, se retrouvent eux-mêmes. Et les deux anciens, vers la fin de leurs jours, reçoivent Jésus, le sens de leur vie. Cet épisode accomplit ainsi la prophétie de Joël : « Vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions » (3, 1). Dans cette rencontre, les jeunes voient leur mission et les anciens réalisent leurs rêves. Tout cela parce qu’au centre de la rencontre se trouve Jésus.

Regardons-nous, chers frères et sœurs consacrés. Tout a commencé par la rencontre avec le Seigneur. D’une rencontre et d’un appel, est né le chemin de consécration. Il faut en faire mémoire. Et si nous faisons bien mémoire, nous verrons que dans cette rencontre nous n’étions pas seuls avec Jésus : il y avait également le peuple de Dieu, l’Église, les jeunes et les anciens, comme dans l’Évangile. Il y a là un détail intéressant : tandis que les jeunes gens Marie et Joseph observent fidèlement les prescriptions de la Loi – l’Évangile le dit quatre fois – ils ne parlent jamais ; les anciens Siméon et Anne arrivent et prophétisent. Ce devrait être le contraire : en général, ce sont les jeunes qui parlent avec enthousiasme de l’avenir, tandis que les anciens gardent le passé. Dans l’Evangile c’est l’inverse qui se passe, car quand on rencontre le Seigneur, les surprises de Dieu arrivent à point nommé. Pour leur permettre d’avoir lieu dans la vie consacrée, il convient de se rappeler qu’on ne peut pas renouveler la rencontre avec le Seigneur sans l’autre : ne jamais laisser quelqu’un derrière, ne jamais faire de mise à l’écart générationnelle, mais s’accompagner chaque jour, mettant le Seigneur au centre. Car si les jeunes sont appelés à ouvrir de nouvelles portes, les anciens ont les clefs. Et la jeunesse d’un institut se trouve dans le ressourcement aux racines, en écoutant les anciens. Il n’y a pas d’avenir sans cette rencontre entre les anciens et les jeunes; il n’y a pas de croissance sans racines et il n’y a pas de floraison sans de nouveaux bourgeons. Jamais de prophétie sans mémoire, jamais de mémoire sans prophétie ; et il faut toujours se rencontrer.

La vie frénétique d’aujourd’hui conduit à fermer de nombreuses portes à la rencontre, souvent par peur de l’autre. – Les portes des centres commerciaux et les connexions de réseau demeurent toujours ouvertes -. Mais que dans la vie consacrée ceci ne se produise pas : le frère et la sœur que Dieu me donne font partie de mon histoire, ils sont des dons à protéger. Qu’il n’arrive pas de regarder l’écran du cellulaire plus que les yeux du frère ou de s’attacher à nos programmes plus qu’au Seigneur. Car quand on place au centre les projets, les techniques et les structures, la vie consacrée cesse d’attirer et ne communique plus ; elle ne fleurit pas, parce qu’elle oublie ‘‘ce qu’elle a sous terre’’, c’est-à-dire les racines.

La vie consacrée naît et renaît de la rencontre avec Jésus tel qu’il est : pauvre, chaste et obéissant. Il y a une double voie qu’elle emprunte : d’une part l’initiative d’amour de Dieu, d’où tout part et à laquelle nous devons toujours retourner ; d’autre part, notre réponse, qui est la réponse d’un amour authentique quand il est sans si et sans mais, quand il imite Jésus pauvre, chaste et obéissant. Ainsi, tandis que la vie du monde cherche à accaparer, la vie consacrée renonce aux richesses qui passent pour embrasser Celui qui reste. La vie du monde poursuit les plaisirs et les aspirations personnelles, la vie consacrée libère l’affection de toute possession pour aimer pleinement Dieu et les autres. La vie du monde s’obstine à faire ce qu’elle veut, la vie consacrée choisit l’obéissance humble comme une liberté plus grande. Et tandis que la vie du monde laisse rapidement vides les mains et le cœur, la vie selon Jésus remplit de paix jusqu’à la fin, comme dans l’Évangile, où les anciens arrivent heureux au soir de leur vie, avec le Seigneur entre les mains et la joie dans le cœur.

Que de bien cela nous fait, comme à Siméon, de tenir le Seigneur « dans les bras » (Lc 2, 28) ! Non pas dans la tête et dans le cœur, mais dans les mains, en tout ce que nous faisons : dans la prière, au travail, à table, au téléphone, à l’école, auprès des pauvres, partout. Avoir le Seigneur dans les mains, c’est l’antidote contre le mysticisme isolé et l’activisme effréné, car la rencontre réelle avec Jésus redresse aussi bien les sentimentalistes dévots que les affairistes frénétiques. Vivre la rencontre avec Jésus, c’est aussi le remède à la paralysie de la normalité, c’est s’ouvrir au remue- ménage quotidien de la grâce. Se laisser rencontrer par Jésus, faire rencontrer Jésus : c’est le secret pour maintenir vivante la flamme de la vie spirituelle. C’est la manière de ne pas se faire absorber par une vie morne, où les plaintes, l’amertume et les inévitables déceptions prennent le dessus. Se rencontrer en Jésus comme frères et sœurs, comme jeunes et anciens, pour surmonter la rhétorique stérile des ‘‘beaux temps passés’’, pour faire taire le ‘‘ici plus rien ne va’’. Si on rencontre chaque jour Jésus et les frères, le cœur ne se polarise pas vers le passé ou vers l’avenir, mais il vit l’aujourd’hui de Dieu en paix avec tous.

À la fin des Évangiles, il y a une autre rencontre avec Jésus qui peut inspirer la vie consacrée : celle des femmes au tombeau. Elles étaient allées rencontrer un mort, leur chemin semblait inutile. Vous aussi, vous allez à contre-courant dans le monde : la vie du monde rejette facilement la pauvreté, la chasteté et l’obéissance. Mais, comme ces femmes, vous allez de l’avant, malgré les préoccupations concernant les lourdes pierres à enlever (cf. Mc 16, 3). Et comme ces femmes, les premiers, vous rencontrez le Seigneur ressuscité et vivant, vous l’étreignez (cf. Mt 28, 9) et vous l’annoncez immédiatement aux frères, les yeux pétillants d’une grande joie (cf. v. 8). Vous êtes aussi l’aube sans fin de l’Église. Je vous souhaite de raviver aujourd’hui même la rencontre avec Jésus, en marchant ensemble vers lui : cela donnera de la lumière à vos yeux et de la vigueur à vos pas.

[00191-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François lors de la Messe sur la plage de Huanchaco, Pérou

CNS/Paul Messe sur la plage Huanchaco de Trujillo, Peru

Vous trouverez ci-dessous l’homélie du pape François lors de la Messe sur l’esplanade à Huanchaco, Pérou.

Cette terre a un goût d’Évangile. Tout l’environnement avec cette immense mer en arrière- fond nous aide à mieux comprendre l’expérience que les apôtres ont eue avec Jésus et que nous aussi, aujourd’hui, nous sommes invités à vivre. Je me réjouis de savoir que vous êtes venus de différents endroits du nord Pérou pour célébrer cette joie de l’Évangile.

Les disciples d’hier, comme beaucoup parmi vous aujourd’hui, gagnaient leur vie par la pêche. Ils utilisaient des barques comme certains d’entre vous continuent à le faire, avec les “embarcations de roseaux” [petits chevaux de roseaux] et, dans le même but, aussi bien pour eux que pour vous : gagner le pain de chaque jour. Voilà l’enjeu de la plupart de nos fatigues quotidiennes : pouvoir faire progresser nos familles et leur donner ce qui les aidera à construire un avenir meilleur.

Cette ‘‘lagune aux poissons dorés’’, comme on a voulu l’appeler, a été une source de vie et de bénédiction pour de nombreuses générations. Elle a su nourrir les rêves et les espérances au fil du temps.

Vous, comme les apôtres, vous connaissez la violence de la nature et vous avez subi ses coups. Tout comme eux ont affronté la tempête sur la mer, vous avez été frappés par le terrible coup du phénomène ‘‘El Niño de la côte’’, dont les conséquences douloureuses durent encore dans de nombreuses familles, en particulier dans les familles qui n’ont toujours pas pu reconstruire leurs maisons. C’est également pour cette raison que j’ai voulu être ici et prier avec vous.

En cette Eucharistie, nous nous souvenons également de ce moment si difficile qui interpelle et bien des fois fait douter notre foi. Nous voulons nous unir à Jésus. Il connaît la souffrance et les épreuves ; il a traversé toutes les souffrances pour pouvoir nous accompagner dans les nôtres. Jésus sur la croix veut être proche de chaque situation douloureuse pour nous donner la main et nous aider à nous relever. Car il est entré dans notre histoire, il a voulu partager notre chemin et toucher nos plaies. Nous n’avons pas un Dieu insensible à ce que nous éprouvons et à ce que nous souffrons, au contraire, au cœur de la souffrance il nous donne la main.

Ces chocs interpellent et mettent en jeu la valeur de notre esprit et de nos attitudes les plus élémentaires. Ainsi nous voyons combien il est important de ne pas être seuls mais unis, d’être riches de cette union qui est le fruit de l’Esprit Saint.

Qu’est-ce qui est arrivé aux jeunes filles de l’Évangile que nous venons d’entendre ? Soudain, elles entendent un cri qui les réveille et les met en mouvement. Certaines se sont rendu compte qu’elles n’avaient pas l’huile nécessaire pour éclairer le chemin dans l’obscurité ; les autres, en revanche, ont rempli leurs lampes et ont pu trouver et éclairer le chemin qui les conduisait vers l’époux. Au moment opportun, chacune a montré avec quoi elle avait rempli sa vie.

Il en va de même pour nous. Dans des circonstances déterminées, nous prenons conscience de ce avec quoi nous avons rempli notre vie. Comme il est important de remplir nos vies avec cette huile qui permet d’alimenter nos lampes dans les divers moments d’obscurité et de trouver les chemins pour aller de l’avant !

Je sais que, dans l’obscurité, quand elles ont subi le choc du ‘‘Niño’’, ces populations ont su se mettre en mouvement et elles avaient l’huile pour accourir et s’entraider comme de vrais frères. Il y avait l’huile de la solidarité, de la générosité qui vous a mis en mouvement et vous êtes allés à la rencontre du Seigneur par d’innombrables gestes concrets d’aide. En pleine obscurité, avec beaucoup d’autres, vous avez été des cierges vivants qui ont éclairé le chemin grâce à des mains ouvertes et disponibles pour atténuer la souffrance et partager ce que vous aviez dans leur pauvreté.

Dans la lecture, nous pouvons observer comment les jeunes filles qui n’ont pas d’huile sont parties au village pour en acheter. A ce moment crucial de leur vie, elles se sont rendu compte que leurs lampes étaient vides, qu’il leur manquait l’essentiel pour trouver le chemin de la joie authentique. Elles étaient seules et ainsi elles ont été privées de la fête. Il y a des choses, comme vous le savez, qui ne s’improvisent pas et qui, encore moins, ne s’achètent pas. L’âme d’une communauté se juge à la manière dont elle parvient à s’unir pour faire face aux moments difficiles, à l’adversité, pour maintenir vivante l’espérance. Par cette attitude, vous donnez le meilleur témoignage évangélique : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Parce que la foi nous ouvre à un amour concret, fait d’œuvres, de mains tendues, de compassion ; un amour qui sache construire et reconstruire l’espérance quand tout semble perdu. Ainsi, nous devenons participants de l’action divine, telle que nous la présente l’apôtre Jean quand il nous montre que Dieu essuie les larmes de ses enfants. Et cette mission divine, Dieu l’accomplit avec la même tendresse que celle d’une mère qui cherche à faire sécher les larmes de ses enfants. Quelle belle question nous posera le Seigneur : combien de larmes as-tu essuyées aujourd’hui ?

D’autres tempêtes peuvent s’abattre sur ces côtes et avoir des effets dévastateurs sur la vie des enfants de ce pays. Des tempêtes qui nous interpellent également comme communauté et mettent en jeu la valeur de notre esprit. Ces tempêtes s’appellent la violence organisée telle que l’assassinat et l’insécurité qu’il provoque ; le manque de perspectives éducatives et professionnelles, en particulier dans les rangs des plus jeunes, ce qui les empêche de construire un avenir avec dignité ; le manque d’un toit sûr pour de nombreuses familles forcées de vivre dans des zones de grande instabilité et sans accès sûrs ; ainsi que tant d’autres situations que vous connaissez et que vous subissez, qui comme les pires glissements de terrain détruisent la confiance mutuelle si nécessaire pour construire un réseau de soutien et d’espérance. Des glissements de terrain qui affectent l’âme et nous interpellent concernant l’huile dont nous disposons pour y faire face.

Bien des fois, nous nous interrogeons sur la manière d’affronter ces tempêtes, ou sur la façon d’aider nos enfants à aller de l’avant face à ces situations. Je voudrais vous le dire : il n’y a pas de meilleure solution que celle de l’Évangile. Elle s’appelle Jésus Christ. Remplissez toujours vos vies de l’Évangile. Je voudrais vous encourager à être une communauté qui se laisse oindre par son Seigneur avec l’huile de l’Esprit. Il transforme tout, renouvelle tout, consolide tout. En Jésus, nous avons la force de l’Esprit pour ne pas rendre naturel ce qui nous fait du mal, ce qui assèche notre cœur, et pire, ce qui nous vole l’espérance. En Jésus, nous avons l’Esprit qui nous tient unis pour nous soutenir les uns les autres et pour affronter ce qui veut nous prendre le meilleur de nos familles. En Jésus, Dieu fait de nous une communauté croyante qui sait se soutenir; une communauté qui espère et par conséquent lutte pour faire reculer et transformer les nombreuses adversités ; une communauté qui aime, car elle ne permet pas que nous croisions les bras. Avec Jésus, l’âme de ce peuple de Trujillo pourra continuer à s’appeler ‘‘la ville de l’éternel printemps’’, parce qu’avec le Seigneur tout est une opportunité pour l’espérance.

Je connais l’amour que ce pays a pour la Vierge, et je sais combien la dévotion à Marie vous soutient toujours en vous conduisant jusqu’à Jésus. Demandons-lui de nous couvrir de son manteau et de nous conduire toujours à son Fils ; mais disons-le-lui par cette belle chanson populaire : « Petite Vierge de la porte, accorde-moi ta bénédiction. Petite Vierge de la porte, donne-nous la paix et beaucoup d’amour ».

[00066-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Allocution du pape François lors de la rencontre avec les prêtres, religieux, religieuses et séminaristes

Vous trouverez ci-dessous le texte officiel de l’allocution du pape François lors de la rencontre avec les prêtres, religieux, religieuses et séminariste telle que prononcée en la cathédrale de Santiago au Chili:

Chers frères et sœurs,

Je me réjouis de pouvoir partager cette rencontre avec vous. J’ai apprécié la façon dont le Cardinal Ezzati progressait en vous présentant: ici il y a… les consacrées, les consacrés, les prêtres, les diacres permanents, les séminaristes. Me vient à la mémoire le jour de notre ordination ou de notre consécration quand, après la présentation, nous disions : « Me voici Seigneur pour faire ta volonté ». Au cours de cette rencontre, nous voulons dire au Seigneur : « nous voici » pour renouveler notre oui. Nous voulons renouveler ensemble la réponse à l’appel qui un jour a secoué notre cœur.

Et pour ce faire, je crois que cela peut nous aider de partir du passage de l’Évangile que nous avons écouté et de partager trois moments connus par Pierre et par la première communauté: Pierre/la communauté abattue, Pierre/la communauté bénéficiaire de miséricorde et Pierre / la communauté transfigurée. Je fais jouer ce binôme Pierre-communauté parce que l’expérience des apôtres relève toujours de ce double aspect, l’un personnel et l’autre communautaire. Ils vont de pair et nous ne pouvons pas les séparer. Nous sommes certes appelés personnellement, mais toujours à faire partie d’un groupe plus grand. Le selfie vocationnel n’existe pas. La vocation exige que la photo te soit prise par un autre ; on n’y peut rien !

1. Pierre abattu
J’apprécie toujours le style des Évangiles qui ne décore pas ni n’embellit pas les évènements, et ne les dépeint pas plus beaux. Il nous présente la vie comme elle vient et non comme il faudrait qu’elle soit. L’Évangile ne craint pas de nous présenter les moments difficiles, et même conflictuels que les disciples ont traversés.

Recomposons la scène. Ils avaient tué Jésus ; certaines femmes disaient qu’il était vivant (Lc 24, 22-24). Même si elles ont vu Jésus Ressuscité, l’évènement est si fort que les disciples auront besoin de temps pour comprendre ce qui s’est passé. Compréhension qui leur viendra à la Pentecôte, avec l’envoi de l’Esprit Saint. L’apparition du Ressuscité prendra du temps pour trouver une place dans le cœur des siens.

Les disciples retournent à leurs lieux d’origine. Ils vont faire ce qu’ils savent faire : pêcher. Non pas tous, seuls quelques-uns. Divisés ? Dispersés ? Nous ne le savons pas. Ce que nous disent les Écritures, c’est qu’ils n’ont rien pêché. Les filets sont vides.

Cependant il y avait un autre vide qui pesait inconsciemment sur eux : le désarroi et le trouble à cause de la mort de leur Maître. Il n’est plus, il a été crucifié. Cependant ce n’était pas seulement lui qui a été crucifié, mais eux aussi, parce que la mort de Jésus a mis en évidence un tourbillon de conflits dans le cœur de ses amis. Pierre l’a renié, Judas l’a trahi, les autres ont fui et se sont cachés. Seule une poignée de femmes et le disciple bien-aimé sont restés. Les autres s’en sont allés. En l’espace de quelques jours, tout s’est effondré. Ce sont les heures de désarroi et de trouble dans la vie du disciple. Dans les moments « où la poussière des persécutions, des épreuves, des doutes, etc. est soulevée par les évènements culturels et historiques, il n’est pas facile trouver le chemin à suivre. Il existe diverses tentations propres à ces moment-là : agiter des idées, ne pas prêter l’attention adéquate au problème, faire trop de cas des persécuteurs… Et il me semble que la pire de toutes les tentations, c’est de rester là à ruminer le chagrin » (Jorge M. BERGOGLIO, Las cartas de la tribulación, 9, Ed. Diego de Torres, Buenos Aires 1987.). Oui, rester là à ruminer le chagrin.

Comme nous le disait le Cardinal Ezzati, « la vie sacerdotale et la vie consacrée au Chili ont traversé et traversent des heures difficiles de turbulences et des difficultés non négligeables. Parallèlement à la fidélité de l’immense majorité, l’ivraie du mal s’est développée avec son cortège de scandale et d’abandon ».

Moment de turbulences. Je connais la douleur qu’ont signifiée les cas d’abus commis sur des mineurs et je suis de près ce que l’on fait pour surmonter ce grave et douloureux mal. Douleur pour le mal et la souffrance des victimes et de leurs familles, qui ont vu trahie la confiance qu’elles avaient placée dans les ministres de l’Église. Douleur pour la souffrance des communautés ecclésiales, et douleur pour vous, frères, qui, en plus de l’épuisement dû à votre dévouement, avez vécu la souffrance qu’engendrent la suspicion et la remise en cause, ayant pu provoquer chez quelques-uns ou plusieurs le doute, la peur et le manque de confiance. Je sais que parfois vous avez essuyé des insultes dans le métro ou en marchant dans la rue, qu’être « habillé en prêtre » dans beaucoup d’endroits se « paie cher ». C’est pourquoi je vous invite à ce que nous demandions à Dieu de nous donner la lucidité d’appeler la réalité par son nom, le courage de demander pardon et la capacité d’apprendre à écouter ce que le Seigneur est en train de nous dire.

J’aimerais ajouter en outre un autre aspect important. Nos sociétés sont en train de changer. Le Chili d’aujourd’hui est bien différent de celui que j’ai connu dans ma jeunesse, quand je me formais. Sont en train de naître de nouvelles et différentes formes culturelles qui ne cadrent pas avec les repères connus. Et il faut reconnaître que, souvent, nous ne savons pas comment nous insérer dans ces nouvelles circonstances. Souvent, nous rêvons des « oignons d’Égypte » et nous oublions que la terre promise est devant. Que la promesse date d’hier mais est faite pour l’avenir. Et nous pouvons céder à la tentation de nous enfermer et de nous isoler pour défendre nos approches qui finissent par devenir rien de plus que de bons monologues. Nous pouvons être tentés de penser que tout va mal, et au lieu d’annoncer une « bonne nouvelle », la seule chose que nous annonçons, c’est l’apathie et la désillusion. Ainsi nous fermons les yeux face aux défis pastoraux en croyant que l’Esprit n’aurait rien à dire. Ainsi nous oublions que l’Évangile est un chemin de conversion, non seulement pour « les autres », mais pour nous aussi.

Que cela nous plaise ou pas, nous sommes invités à affronter la réalité telle qu’elle se présente à nous. La réalité personnelle, communautaire et sociale. Les filets –affirment les disciples- sont vides, et nous pouvons comprendre les sentiments que cela génère. Ils reviennent à la maison sans grandes aventures à raconter ; ils reviennent à la maison les mains vides ; ils reviennent à la maison, abattus.

Que reste-t-il de ces disciples forts, enthousiastes, qui se donnaient des airs, qui se sentaient choisis et qui avaient tout quitté pour suivre Jésus ? (cf. Mc 1, 16-20) ; que reste-t-il de ces disciples sûrs d’eux-mêmes prêts à aller en prison et qui iraient jusqu’à donner leur vie pour leur Maître (cf. Lc 22, 33), et qui pour le défendre voulaient faire descendre du feu sur la terre (cf. Lc 9, 54) ; pour lequel ils dégaineraient l’épée et combattraient ? (cf. Lc 22, 49-51), que reste-t-il du Pierre qui apostrophait son Maître sur la manière dont celui-ci devrait gérer sa vie ? (cf. Mc 8, 31-33).

2. Pierre bénéficiaire de miséricorde
C’est l’heure de vérité dans la vie de la première communauté. C’est l’heure où Pierre a été

confronté à une partie de lui-même. À la partie de sa vérité que tant de fois il n’a pas voulu voir. Il a fait l’expérience de ses limites, de sa fragilité, de son être de pécheur. Pierre, l’homme de tempérament, le chef impulsif et sauveur, avec une bonne dose d’autosuffisance et un excès de confiance en lui-même ainsi qu’en ses capacités, a dû accepter sa faiblesse et son péché. Il était aussi pécheur que les autres, il était aussi démuni que les autres, il était aussi fragile que les autres. Pierre a déçu celui qu’il avait promis de protéger. Heure cruciale dans la vie de Pierre.

Comme disciples, comme Église, la même chose peut nous arriver : il existe des moments où nous ne nous retrouvons pas devant nos exploits, mais devant notre faiblesse. Heures cruciales dans la vie des disciples, pourtant c’est en ces heures que naît l’apôtre. Laissons-nous guider par le texte. «Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment plus que ceux-ci ?”» (Jn 21, 15).

Après le repas, Jésus invite Pierre à faire un tour et l’unique parole est une interrogation, une interrogation d’amour: M’aimes-tu? Jésus ne s’oriente pas vers la réprimande ni vers la condamnation. La seule chose qu’il veut faire, c’est de sauver Pierre. Il veut le sauver du danger de rester enfermé dans son péché, de rester là à ‘‘ruminer’’ le chagrin, fruit de ses limites ; du risque de laisser s’effondrer, à cause de ses limites, tout ce qu’il avait vécu de bien avec Jésus. Jésus veut le sauver de l’enfermement et de l’isolement. Il veut le sauver de cette attitude destructrice qui consiste à se faire passer pour une victime, ou au contraire, à tomber dans un « toujours le même » et qui, au bout du compte, finit par édulcorer n’importe quel engagement avec le relativisme le plus nocif. Il veut le libérer du fait de considérer celui qui s’oppose à lui comme un ennemi, ou de ne pas accepter avec sérénité les contradictions ou les critiques. Il veut le libérer de la tristesse et spécialement de la mauvaise humeur. Avec cette question, Jésus invite Pierre à écouter son cœur et à apprendre à discerner. Car « ce n’est pas le propre de Dieu de défendre la vérité au détriment de la charité, ni la charité aux dépens de la vérité, ou l’équilibre au détriment des deux. Jésus veut éviter que Pierre ne devienne un vrai destructeur, ou un menteur charitable ou une personne perplexe paralysée» (cf. Ibid.), comme cela peut nous arriver dans ces situations.

Jésus a interrogé Pierre sur son amour et il a insisté auprès de lui jusqu’à ce qu’il puisse lui donner une réponse réaliste : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime » (Jn 21, 17). C’est ainsi que Jésus l’a confirmé dans sa mission. C’est ainsi qu’il devient définitivement son apôtre.

Qu’est-ce qui consolide Pierre comme apôtre ? Qu’est-ce qui nous maintient apôtres? Une seule chose: «nous avons été traités avec miséricorde » (1 Tm 1, 12-16). « Au cœur de nos péchés, de nos limites, de nos misères ; au milieu de nos nombreuses chutes, Jésus Christ nous a vus, il s’est approché, il nous a donné sa main et nous a traités avec miséricorde. Chacun d’entre nous pourrait en faire mémoire, en repensant à toutes les fois où le Seigneur l’a vu, l’a regardé, s’est approché et l’a traité avec miséricorde » (Message Vidéo au CELAM à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde sur le Continent américain, 27 août 2016). Nous ne sommes pas ici parce que nous serions meilleurs que les autres. Nous ne sommes pas des superhéros qui, de leur hauteur, descendent pour rencontrer des « mortels ». Mais plutôt, nous sommes envoyés avec la conscience d’être des hommes et des femmes pardonnés. Et c’est la source de notre joie. Nous sommes consacrés, pasteurs à la manière de Jésus blessé, mort et ressuscité. Le consacré est celui qui trouve dans ses blessures les signes de la Résurrection. Il est celui qui peut voir dans les blessures du monde la force de la Résurrection. Il est celui qui, à la manière de Jésus, ne va pas à la rencontre de ses frères avec le reproche et la condamnation.

Jésus Christ ne se présente pas aux siens sans ses blessures ; précisément c’est grâce à ses blessures que Thomas peut confesser sa foi. Une Église avec des blessures est capable de comprendre les blessures du monde d’aujourd’hui, et de les faire siennes, de les porter en elle- même, d’y prêter attention et de chercher à les guérir. Une Église avec des blessures ne se met pas au centre, ne se croit pas parfaite, mais elle place au centre le seul qui peut guérir les blessures et qui a pour nom: Jésus Christ.

La conscience d’être nous-mêmes blessés nous libère; oui, elle nous libère du risque de devenir autoréférentiels, de nous croire supérieurs. Elle nous libère de cette tendance « prométhéenne de ceux qui, en définitive, font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un style catholique justement propre au passé » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.94).

En Jésus, nos blessures sont ressuscitées. Elles nous rendent solidaires; elles nous aident à détruire les murs qui nous enferment dans une attitude élitiste pour nous encourager à construire des ponts et aller à la rencontre de tant de personnes assoiffées du même amour miséricordieux que seul Christ peut nous offrir. Que de fois « rêvons-nous de plans apostoliques, expansionnistes, méticuleux et bien dessinés, typiques des généraux défaits ! Ainsi nous renions notre histoire d’Église, qui est glorieuse en tant qu’elle est histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie dépensée dans le service, de constance dans le travail pénible, parce que tout travail est accompli à la sueur de notre front » (Ibid., n.96). Je vois avec une certaine préoccupation qu’il existe des communautés qui vivent, mues plus par le découragement de ne plus être à l’affiche, par le souci d’occuper les espaces, de paraître et de se montrer, que par celui de se retrousser les manches et de sortir afin de toucher la réalité difficile de notre peuple fidèle.

Qu’elle est lourde d’interrogation, la réflexion de ce saint chilien qui faisait remarquer : «Elles seront, en effet, fausses méthodes toutes celles qui seraient imposées en raison de l’uniformité ; toutes celles qui prétendent nous conduire à Dieu en nous faisant perdre de vue nos frères ; toutes celles qui nous font fermer les yeux sur l’univers, au lieu de nous apprendre à les ouvrir pour tout élever vers le Créateur de tout être ; toutes celles qui rendent égoïstes et nous conduisent à nous replier sur nous-mêmes » (SAN ALBERTO HURTADO, Discurso a jóvenes de la Acción Católica,1943).

Le peuple de Dieu n’attend pas de nous ni nous demande que nous soyons des superhéros, il veut des pasteurs, des consacrés, qui aient de la compassion, qui sachent tendre la main, qui sachent s’arrêter devant la personne à terre et, comme Jésus, qui aident à sortir de cette obsession de « ruminer » le chagrin qui empoisonne l’âme.

3. Pierre transfiguré
Jésus invite Pierre à discerner et, ainsi, commencent à prendre force de nombreux évènements de la vie de Pierre, comme le geste prophétique du lavement des pieds. Pierre, lui qui a résisté avant de se laisser laver les pieds, commence à comprendre que la véritable grandeur passe par le fait de se faire petit et serviteur (« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » [Mc. 9,35]).

Quelle pédagogie de la part de notre Seigneur ! Du geste prophétique de Jésus à l’Église prophétique qui, lavée de son péché, n’a pas peur de sortir pour servir une humanité blessée.

Pierre a connu dans sa chair la blessure non seulement du péché, mais aussi de ses propres limites et faiblesses. Pourtant il a découvert en Jésus que ses blessures peuvent être un chemin de Résurrection. Connaître Pierre abattu pour connaître Pierre transfiguré est l’invitation à passer d’une Église de personnes abattues en proie au chagrin à une Église servante des nombreuses personnes abattues qui se trouvent à nos côtés. Une Église capable de se mettre au service de son Seigneur en celui qui a faim, en celui qui est prisonnier, en celui qui a soif, en celui qui est expulsé, en celui qui est nu, en celui qui est malade… (Mt 25, 35). Un service qui ne s’identifie pas à de l’assistanat ou à du paternalisme, mais à une conversion du cœur. Le problème n’est pas seulement de donner à manger au pauvre, de vêtir celui qui est nu, d’être aux côtés de celui qui est malade, mais de considérer que le pauvre, la personne nue, le malade, le prisonnier, la personne expulsée sont dignes de s’asseoir à nos tables, de se sentir « à la maison » parmi nous, de se sentir en famille. C’est le signe que le Royaume des Cieux est parmi nous. C’est le signe d’une Église qui a été blessée par son péché, a obtenu miséricorde da la part de son Seigneur, et qui est devenue prophétique par vocation.

Redevenir prophétique, c’est renouveler notre engagement à ne pas vouloir un monde idéal, une communauté idéale, un disciple idéal pour vivre ou pour évangéliser, mais c’est créer les conditions afin que chaque personne abattue puisse rencontrer Jésus. On n’aime pas les situations ni les communautés idéales, on aime les personnes.

La reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites, loin de nous éloigner de notre Seigneur, nous permet de revenir vers Jésus en sachant qu’il « peut toujours, avec sa nouveauté, renouveler notre vie et notre communauté, et même si la proposition chrétienne traverse des époques d’obscurité et de faiblesses ecclésiales, elle ne vieillit jamais… Chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent des voies nouvelles, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.11). Que cela nous fait du bien à nous tous de laisser Jésus renouveler nos cœurs!

Quand je commençais cette rencontre, je vous disais que nous venions pour renouveler notre oui, avec enthousiasme, avec passion. Nous voulons renouveler notre oui, mais un oui réaliste, parce qu’il est soutenu par le regard de Jésus. Je vous invite à faire dans votre cœur, quand vous serez rentrés chez vous, une espèce de testament spirituel, à la manière du Cardinal Raul Silva Henriquez. Cette belle prière qui commence en disant:

«L’Église que j’aime est la Sainte Église de chaque jour… la tienne, la mienne, la Sainte Église de chaque jour…

Jésus Christ, l’Évangile, le pain, l’Eucharistie, le Corps du Christ humble chaque jour. Avec des visages de pauvres et des visages d’hommes et de femmes qui chantaient, qui luttaient, qui souffraient. La Sainte Église de chaque jour».

Comment est l’Église que tu aimes? Aimes-tu cette Église blessée qui trouve la vie dans les plaies de Jésus?

Merci pour cette rencontre. Merci pour l’opportunité de renouveler avec vous le «Oui». Que Notre-Dame du Carmel vous couvre de son manteau. S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. [00055-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Allocution du pape François lors de sa visite au centre de détention pour femmes de Santiago, Chili

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François lors de la visite au Centre de détention pour femmes de Santiago, Chili:

Chers sœurs et frères,
Merci pour l’occasion que vous m’offrez de pouvoir vous rendre visite; il est important pour moi de partager ce temps avec vous et de pouvoir être plus proche de beaucoup de nos frères qui aujourd’hui sont privés de liberté. Merci, Sœur Nelly, de vos paroles et surtout de témoigner que la vie triomphe toujours de la mort. Merci Janeth de vouloir partager, avec nous tous, tes douleurs et cette courageuse demande de pardon. Que de choses devons-nous apprendre de ton attitude de courage et d’humilité ! Je te cite : « Nous demandons pardon à tous ceux que nous avons blessés par nos délits ». Merci de nous rappeler cette attitude sans laquelle nous nous déshumanisons, nous perdons conscience du fait que nous nous trompons et que chaque jour nous sommes invités à prendre un nouveau départ.

À l’instant même me vient aussi à l’esprit la phrase de Jésus: «Celui […] qui est sans péché, qu’il soit le premier à jeter une pierre » (Jn 8, 7). Il nous invite à abandonner la logique simpliste de diviser la réalité entre bons et mauvais, pour entrer dans cette autre dynamique à même d’assumer la fragilité, les limites et y compris le péché, pour nous aider à aller de l’avant.

Quand j’entrais, deux mères m’attendaient avec leurs enfants et des fleurs. Ce sont elles qui m’ont souhaité la bienvenue, qu’on peut bien exprimer en trois mots : mères, enfants et fleurs.

Mère: beaucoup d’entre vous sont des mères et savent ce que signifie donner la vie. Vous avez su ‘‘porter’’ dans votre sein une vie et engendrer. La maternité n’est jamais ni ne sera jamais un problème, c’est un don, l’un des présents les plus merveilleux que vous puissiez faire. Aujourd’hui, vous vous trouvez devant un défi très semblable: il s’agit aussi de donner la vie. Aujourd’hui, on vous demande d’engendrer l’avenir. De le faire grandir, de l’aider à se développer. Non seulement pour vous, mais aussi pour vos enfants et pour la société tout entière. Vous, les femmes, vous avez une capacité incroyable de pouvoir vous adapter aux situations et d’aller de l’avant. Je voudrais en ce jour faire appel à cette capacité de faire naître l’avenir qui vit en chacune d’entre vous. Cette capacité qui vous permet de lutter contre les nombreux déterminismes ‘‘chosifiants’’ qui finissent par tuer l’espérance.

Être privé de liberté, comme tu le disais si bien Janet, n’est pas synonyme de perdre les rêves et l’espérance. Être privé de liberté, ce n’est pas la même chose que d’être privé de dignité. D’où la nécessité de lutter contre tout type de carcan, d’étiquette selon lesquels on ne peut pas changer, ou que cela ne vaut pas la peine, ou que tout revient au même. Chères sœurs, non! Tout ne revient pas au même. Chaque effort qui se fait pour lutter en vue d’un lendemain meilleur – même si bien des fois il semble tomber dans un sac troué – portera toujours des fruits et sera récompensé.

Le deuxième mot, c’est enfants: ils sont force, ils sont espérance, ils sont encouragement. Ils sont le souvenir vivant du fait que la vie se construit vers l’avenir et non vers le passé. Aujourd’hui tu es privée de liberté, mais cela ne signifie pas que cette situation marque la fin. D’aucune manière! Il faut toujours regarder l’horizon, vers l’avenir, vers la réinsertion dans la vie courante de la société. C’est pourquoi, je loue et invite à intensifier tous les efforts possibles pour que les projets comme l’Espace Mandela et la Fondation Femme, lève-toi puissent gagner en importance et se renforcer.

Le nom de la Fondation semble me rappeler cette scène de l’Évangile où beaucoup se moquaient de Jésus parce qu’il a dit que la fille du chef de la synagogue n’était pas morte, mais qu’elle dormait. Face aux moqueries, l’attitude de Jésus est pragmatique: en entrant là où elle était, il la prit par la main et lui dit: «Jeune fille, je te le dis, lève-toi» (Mc 5, 21). Ce genre d’initiatives constitue un signe vivant de ce Jésus qui entre dans la vie de chacun d’entre nous, qui va au-delà de toute moquerie, qui ne considère aucune bataille comme perdue, au point de nous prendre par la main et de nous inviter à nous lever. Qu’il est bon qu’il y ait des chrétiens et des personnes de bonne volonté qui suivent les traces de Jésus et qui sont déterminés à entrer et à être signe cette main tendue qui relève!

Nous savons tous que souvent, malheureusement, la peine de prison se réduit surtout à une punition, sans offrir des moyens adéquats afin de créer des processus. Et c’est mauvais. En revanche, ces espaces qui promeuvent des programmes de formation au travail et un accompagnement pour recoudre les liens sont un signe d’espérance et d’avenir. Aidons à ce qu’ils grandissent. Il ne faut pas réduire la sécurité publique à des mesures de contrôle accentué, mais et surtout, il faut l’édifier sur des mesures de prévention, sur le travail, sur l’éducation et en faisant grandir la communauté.

Et enfin, fleurs: je crois que c’est ainsi que la vie fleurit, que la vie parvient à nous offrir sa plus grande beauté ; quand nous arrivons à travailler de concert les uns avec les autres de sorte que la vie gagne, qu’elle dispose toujours davantage de possibilités. Avec ce sentiment, je voudrais bénir et saluer tous les agents pastoraux, volontaires, professionnels et, de manière spéciale, les fonctionnaires de la Gendarmerie ainsi que leurs familles. Je prie pour vous. Vous avez une tâche délicate et complexe, et pour cela j’invite les Autorités à ce qu’ils puissent vous offrir également les conditions nécessaires pour accomplir votre travail dans la dignité. Dignité qui engendre dignité.

À Marie, qui est Mère et dont nous sommes les enfants, dont vous êtes les filles, nous demandons d’intercéder pour vous, pour chacun de ses enfants, pour les personnes que vous portez dans vos cœurs, et de vous couvrir de son manteau. Et s’il vous plaît, je vous demande de ne pas oublier de prier pour moi.

Et ces fleurs que vous m’avez offertes, je les porterai à la Vierge au nom de vous toutes. De nouveau, merci!

[00054-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Homélie du pape François lors de la Messe au Parc O’Higgins de Santiago, Chili

Vous trouverez ci-dessous le texte officiel de l’homélie du pape François lors de la Messe célébrée au Parc O’Higgins de Santiago au Chili:

«Voyant les foules» (Mt 5, 1). En ces premières paroles de l’Évangile, nous trouvons dans quelle attitude Jésus veut venir à notre rencontre, cette même attitude par laquelle Dieu a toujours surpris son peuple (cf. Ex 3, 7). La première attitude de Jésus est de voir, c’est de regarder le visage des siens. Ces visages suscitent l’amour viscéral de Dieu. Ce ne sont pas des idées ou des concepts qui font agir Jésus… ce sont les visages, ce sont les personnes; c’est la vie qui crie vers la Vie que le Père veut nous transmettre.

En voyant les foules, Jésus regarde le visage des personnes qui le suivaient et le plus beau, c’est de constater qu’en retour ils trouvent dans le regard de Jésus l’écho de leurs quêtes et aspirations. De cette rencontre naît la liste des béatitudes qui sont l’horizon vers lequel nous sommes invités et les défis à affronter. Les béatitudes ne naissent pas d’une attitude passive face à la réalité, ni ne peuvent non plus trouver leur origine dans un spectateur devenant un triste auteur de statistiques de ce qui se passe. Elles ne proviennent pas de prophètes de malheur qui se contentent de semer de la désillusion. Ni non plus de mirages qui nous promettent le bonheur avec un ‘‘clic’’, le temps d’ouvrir et de fermer les yeux. Par contre, les béatitudes naissent du cœur compatissant de Jésus qui rencontre le cœur d’hommes et de femmes qui veulent et désirent une vie bénie; d’hommes et de femmes qui savent ce qu’est la souffrance ; qui connaissent le désarroi et la douleur qu’on éprouve quand ‘‘tout s’affaisse sous vos pieds’’ ou que ‘‘les rêves sont noyés’’ et que le travail de toute une vie s’écroule ; mais qui sont davantage tenaces et davantage combatifs pour aller de l’avant; qui sont davantage capables de reconstruire et de recommencer.

Que le cœur chilien est capable de reconstruire et de recommencer! que vous êtes capables de vous lever après de nombreuses chutes! C’est à ce cœur que Jésus fait appel ; c’est à ce cœur que sont destinées les béatitudes.

Les béatitudes ne naissent pas d’attitudes critiques ni de ‘‘bavardages à bon marché’’ de ceux qui croient tout savoir mais ne veulent s’engager ni à rien ni avec personne, et finissent ainsi par bloquer toute possibilité de créer des processus de transformation et de reconstruction dans nos communautés, dans nos vies. Les béatitudes naissent du cœur miséricordieux qui ne se lasse pas d’espérer. Et il fait l’expérience que l’espérance «est le jour nouveau, l’extirpation d’une immobilité, la remise en cause d’une prostration négative » (PABLO NERUDA, El habitante y su esperanza, p. 5).

En disant heureux le pauvre, celui qui pleure, la personne affligée, le malade, celui qui a pardonné…, Jésus vient extirper l’immobilité paralysante de celui qui croit que les choses ne peuvent pas changer, de celui qui a cessé de croire au pouvoir régénérateur de Dieu le Père et en ses frères, spécialement en ses frères les plus fragiles, en ses frères rejetés. Jésus, en proclamant les béatitudes, vient remettre en cause cette prostration négative appelée résignation qui nous fait croire que nous pouvons vivre mieux si nous esquivons les problèmes ou nous enfermons dans nos conforts, si nous nous endormons dans un conformisme tranquillisant (Cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 2). Cette résignation qui nous conduit à nous isoler de tout le monde, à nous diviser, à nous séparer ; à devenir aveugles face à la vie et à la souffrance des autres.

Les béatitudes sont ce jour nouveau pour tous ceux qui continuent de miser sur l’avenir, qui continuent de rêver, qui continuent de se laisser toucher et pousser par l’Esprit de Dieu.

Qu’il nous fait du bien de penser que Jésus, depuis le Cerra Renca ou Puntilla vient nous dire : heureux…! Oui, heureux vous et vous; heureux vous qui vous laissez contaminer par l’Esprit de Dieu et qui luttez et travaillez pour ce jour nouveau, pour ce Chili nouveau, car le royaume des cieux vous appartiendra. «Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu» (Mt 5, 9).

Face à la résignation qui, comme une méchante rumeur, compromet les relations vitales et nous divise, Jésus nous dit: heureux ceux qui œuvrent pour la réconciliation. Heureux ceux qui sont capables de se salir les mains et de travailler pour que d’autres vivent en paix. Heureux ceux qui s’efforcent pour ne pas semer de la division. Ainsi, la béatitude fait de nous des artisans de paix; elle nous invite à nous engager pour que l’esprit de réconciliation gagne de l’espace parmi nous. Veux-tu l’épanouissement? Veux-tu le bonheur? Heureux ceux qui œuvrent pour que les autres puissent avoir une vie épanouie. Veux-tu la paix? Travaille pour la paix.

Je ne peux m’empêcher d’évoquer ce grand pasteur de Santiago, quand lors d’un Te Deum il disait: «Si tu veux la paix, travaille pour la justice… Et si quelqu’un nous demande ‘‘qu’est-ce que la justice?’’ ou si au contraire elle consiste simplement à ‘‘ne pas voler’’, nous lui dirons qu’il existe une autre justice: celle qui exige que chaque homme soit traité comme homme» (Card. Raúl SILVA HENRÍQUEZ, Homélie lors du Te Deum Œcuménique, 18 septembre 1977).

Semer la paix par la proximité, dans le voisinage! En sortant de sa maison et en regardant les visages, en allant à la rencontre de celui qui est dans une mauvaise passe, qui n’a pas été traité comme une personne, comme un digne enfant de ce pays. C’est pour nous l’unique façon de tisser un avenir de paix, de recoudre une réalité qui peut s’effilocher. L’artisan de paix sait qu’il faut souvent vaincre de grandes ou de petites mesquineries et des ambitions, qui trouvent leur origine dans la prétention de grandir et de ‘‘se faire un nom’’, de gagner du prestige au détriment des autres. L’artisan de paix sait qu’il ne suffit pas de dire: je ne fais de mal à personne, puisque comme disait saint Albert Hurtado: «C’est très bien de ne pas faire de mal, mais il est très difficile de faire du bien» (Meditación radial, avril 1944).

Construire la paix est un processus qui nous place en face d’un défi et stimule notre créativité à créer des relations permettant de voir dans mon voisin non pas un étranger, un inconnu, mais un enfant de ce pays.

Confions-nous à la Vierge Immaculée qui depuis le Cerra San Cristobal protège et accompagne cette ville. Qu’elle nous aide à vivre et à désirer l’esprit des béatitudes; pour que partout dans cette ville on entende comme un susurrement : «Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu» (Mt 5, 9).

[00053-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Secured By miniOrange