Homélie du pape François pour le mercredi des Cendres

(Photo:CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du Pape François lors de la célébration du Mercredi des cendres en la basilique Sainte-Sabine de Rome:

« Sonnez du cor, prescrivez un jeûne sacré » (Jl 2, 15), dit le prophète dans la Première Lecture. Le Carême s’ouvre avec un son strident, celui d’une corne qui ne caresse pas les oreilles, mais organise un jeûne. C’est un son puissant, qui veut ralentir notre vie qui va toujours au pas de course, mais souvent ne sait pas bien où. C’est un appel à s’arrêter, à aller à l’essentiel, à jeûner du superflu qui distrait. C’est un réveil pour l’âme.

Au son de ce réveil est joint le message que le Seigneur transmet par la bouche du prophète, un message bref et pressant : « Revenez à moi » (v. 12). Revenir. Si nous devons revenir, cela signifie que nous sommes allés ailleurs. Le Carême est le temps pour retrouver la route de la vie.Parce que dans le parcours de la vie, comme sur tout chemin, ce qui compte vraiment est de ne pas perdre de vue le but. Lorsqu’au contraire dans le voyage, ce qui intéresse est de regarder le paysage ou de s’arrêter pour manger, on ne va pas loin. Chacun de nous peut se demander : sur le chemin de la vie, est-ce que je cherche la route ? Ou est-ce que je me contente de vivre au jour le jour, en pensant seulement à aller bien, à résoudre quelques problèmes et à me divertir un peu ? Quelle est la route ? Peut-être la recherche de la santé, que beaucoup disent venir avant tout mais qui un jour ou l’autre passera ? Peut-être les biens et le bien-être ? Mais nous ne sommes pas au monde pour cela.Revenez à moi, dit le Seigneur. A moi. C’est le Seigneur le but de notre voyage dans le monde. La route est fondée sur Lui.

Pour retrouver la route, aujourd’hui nous est offert un signe : des cendres sur la tête. C’est un signe qui nous fait penser à ce que nous avons en tête. Nos pensées poursuivent souvent des choses passagères, qui vont et viennent. La légère couche de cendres que nous recevrons est pour nous dire, avec délicatesse et vérité : des nombreuses choses que tu as en tête, derrière lesquelles chaque jour tu cours et te donne du mal, il ne restera rien. Pour tout ce qui te fatigue, de la vie tu n’emporteras avec toi aucune richesse. Les réalités terrestres s’évanouissent, comme poussière au vent. Les biens sont provisoires, le pouvoir passe, le succès pâlit. La culture de l’apparence,aujourd’hui dominante, qui entraîne à vivre pour les choses qui passent, est une grande tromperie. Parce que c’est comme une flambée : une fois finie, il reste seulement la cendre. Le Carême est le temps pour nous libérer de l’illusion de vivre en poursuivant la poussière. Le Carême c’est redécouvrir que nous sommes faits pour le feu qui brûle toujours, non pour la cendre qui s’éteint tout de suite; pour Dieu, non pour le monde ; pour l’éternité du Ciel, non pour la duperie de la terre ; pour la liberté des enfants, non pour l’esclavage des choses. Nous pouvons nous demander aujourd’hui : de quel côté suis-je ? Est-ce que je vis pour le feu ou pour la cendre ?

Dans ce voyage de retour à l’essentiel qu’est le Carême, l’Evangile propose trois étapes que le Seigneur demande de parcourir sans hypocrisie, sans comédie : l’aumône, la prière, le jeûne. A quoi servent-elles ? L’aumône, la prière et le jeûne nous ramènent aux trois seules réalités qui ne disparaissent pas. La prière nous rattache à Dieu ; la charité au prochain ; le jeûne à nous-mêmes. Dieu, les frères, ma vie : voilà les réalités qui ne finissent pas dans le néant, sur lesquelles il faut investir. Voilà où le Carême nous invite à regarder : vers le Haut, avec la prière qui nous libère d’une vie horizontale, plate, où on trouve le temps pour le ‘je’ mais où l’on oublie Dieu. Et puisvers l’autre avec la charité qui libère de la vanité de l’avoir, du fait de penser que les choses vont bien si elles me vont bien à moi. Enfin, il nous invite à regarder à l’intérieur, avec le jeûne, qui nous libère de l’attachement aux choses, de la mondanité qui anesthésie le cœur. Prière, charité, jeûne : trois investissements pour un trésor qui dure.

Jésus a dit : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21). Notre cœur regarde toujours dans quelque direction : il est comme une boussole en recherche d’orientation. Nous pouvons aussi le comparer à un aimant : il a besoin de s’attacher à quelque chose. Mais s’il s’attache seulement aux choses terrestres, tôt ou tard, il en devient esclave : les choses dont on se sert deviennent des choses à servir. L’aspect extérieur, l’argent, la carrière, les passe-temps : si nous vivons pour eux, ils deviendront des idoles qui nous utilisent, des sirènes qui nous charment et ensuite nous envoient à la dérive. Au contraire, si le cœur s’attache à ce qui ne passe pas, nous nous retrouvons nous-même et nous devenons libres. Le Carême est un temps de grâce pour libérer le cœur des vanités. C’est un temps de guérison des dépendances qui nous séduisent. C’est un temps pour fixer le regard sur ce qui demeure.

Où fixer alors le regard le long du chemin du Carême ? Sur le Crucifié. Jésus en croix est la boussole de la vie, qui nous oriente vers le Ciel. La pauvreté du bois, le silence du Seigneur, son dépouillement par amour nous montrent les nécessités d’une vie plus simple, libre de trop de soucis pour les choses. De la Croix Jésus nous enseigne le courage ferme du renoncement. Parce que chargés de poids encombrants, nous n’irons jamais de l’avant. Nous avons besoin de nous libérer des tentacules du consumérisme et des liens de l’égoïsme, du fait de vouloir toujours plus, de n’être jamais content, du cœur fermé aux besoins du pauvre. Jésus sur le bois de la croix brûle d’amour, il nous appelle à une vie enflammée de Lui, qui ne se perd pas parmi les cendres du monde ; une vie qui brûle de charité et ne s’éteint pas dans la médiocrité. Est-il difficile de vivre comme lui le demande ? Oui, mais il conduit au but. Le Carême nous le montre. Il commence avec la cendre, mais à la fin, il nous mène au feu de la nuit de Pâques ; à découvrir que, dans le tombeau, la chair de Jésus ne devient pas cendre, mais resurgit glorieuse. Cela vaut aussi pour nous, qui sommes poussière : si avec nos fragilités nous revenons au Seigneur, si nous prenons le chemin de l’amour, nous embrasserons la vie qui n’a pas de couchant. Et nous serons dans la joie.

[00395-FR.01] [Texte original: Italien]

Message du pape François pour le carême 2019

Vous trouverez ci-dessous le texte complet du Message du pape François pour le Carême 2019 (CNS photo/Stefano Rellandini, Reuters):

«La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Rm 8,19)

Chers frères et sœurs,
Chaque année, Dieu, avec le secours de notre Mère l’Eglise, « accorde aux chrétiens de se préparer aux fêtes pascales dans la joie d’un cœur purifié » (Préface de Carême 1) pour qu’ils puissent puiser aux mystères de la rédemption, la plénitude offerte par la vie nouvelle dans le Christ. Ainsi nous pourrons cheminer de Pâques en Pâques jusqu’à la plénitude du salut que nous avons déjà reçue grâce au mystère pascal du Christ : « Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance » (Rm 8,24). Ce mystère de salut, déjà à l’œuvre en nous en cette vie terrestre, se présente comme un processus dynamique qui embrasse également l’Histoire et la création tout entière. Saint Paul le dit : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm8,19). C’est dans cette perspective que je souhaiterais offrir quelques points de réflexion pour accompagner notre chemin de conversion pendant le prochain carême.

1. La rédemption de la Création

La célébration du Triduum pascal de la passion, mort et résurrection du Christ, sommet de l’année liturgique, nous appelle, chaque fois, à nous engager sur un chemin de préparation, conscients que notre conformation au Christ (cf. Rm 8,29) est un don inestimable de la miséricorde de Dieu.

Si l’homme vit comme fils de Dieu, s’il vit comme une personne sauvée qui se laisse guider par l’Esprit Saint (cf. Rm 8,14) et sait reconnaître et mettre en œuvre la loi de Dieu, en commençant par celle qui est inscrite en son cœur et dans la nature, alors il fait également du bien à la Création, en coopérant à sa rédemption. C’est pourquoi la création, nous dit Saint Paul, a comme un désir ardent que les fils de Dieu se manifestent, à savoir que ceux qui jouissent de la grâce du mystère pascal de Jésus vivent pleinement de ses fruits, lesquels sont destinés à atteindre leur pleine maturation dans la rédemption du corps humain. Quand la charité du Christ transfigure la vie des saints – esprit, âme et corps –, ceux-ci deviennent une louange à Dieu et, par la prière, la contemplation et l’art, ils intègrent aussi toutes les autres créatures, comme le confesse admirablement le « Cantique des créatures » de saint François d’Assise (cf. Enc. Laudato Sì, n. 87). En ce monde, cependant, l’harmonie produite par la rédemption, est encore et toujours menacée par la force négative du péché et de la mort.

2. La force destructrice du péché

En effet, lorsque nous ne vivons pas en tant que fils de Dieu, nous mettons souvent en acte des comportements destructeurs envers le prochain et les autres créatures, mais également envers nous-mêmes, en considérant plus ou moins consciemment que nous pouvons les utiliser selon notre bon plaisir. L’intempérance prend alors le dessus et nous conduit à un style de vie qui viole les limites que notre condition humaine et la nature nous demandent de respecter. Nous suivons alors des désirs incontrôlés que le Livre de la Sagesse attribue aux impies, c’est-à-dire à ceux qui n’ont pas Dieu comme référence dans leur agir, et sont dépourvus d’espérance pour l’avenir (cf. 2,1-11). Si nous ne tendons pas continuellement vers la Pâque, vers l’horizon de la Résurrection, il devient clair que la logique du « tout et tout de suite », du « posséder toujours davantage » finit par s’imposer.

La cause de tous les maux, nous le savons, est le péché qui, depuis son apparition au milieu des hommes, a brisé la communion avec Dieu, avec les autres et avec la création à laquelle nous sommes liés avant tout à travers notre corps. La rupture de cette communion avec Dieu a également détérioré les rapports harmonieux entre les êtres humains et l’environnement où ils sont appelés à vivre, de sorte que le jardin s’est transformé en un désert (cf. Gn 3,17-18). Il s’agit là du péché qui pousse l’homme à se tenir pour le dieu de la création, à s’en considérer le chef absolu et à en user non pas pour la finalité voulue par le Créateur mais pour son propre intérêt, au détriment des créatures et des autres.

Quand on abandonne la loi de Dieu, la loi de l’amour, c’est la loi du plus fort sur le plus faible qui finit par s’imposer. Le péché qui habite dans le cœur de l’homme (cf. Mc 7, 20-23) – et se manifeste sous les traits de l’avidité, du désir véhément pour le bien-être excessif, du désintérêt pour le bien d’autrui, et même souvent pour le bien propre – conduit à l’exploitation de la création, des personnes et de l’environnement, sous la motion de cette cupidité insatiable qui considère tout désir comme un droit, et qui tôt ou tard, finira par détruire même celui qui se laisse dominer par elle.

3. La force de guérison du repentir et du pardon

C’est pourquoi la création a un urgent besoin que se révèlent les fils de Dieu, ceux qui sont devenus “une nouvelle création” : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17). En effet, grâce à leur manifestation, la création peut elle aussi « vivre » la Pâque : s’ouvrir aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle (cf. Ap 21,1). Le chemin vers Pâques nous appelle justement à renouveler notre visage et notre cœur de chrétiens à travers le repentir, la conversion et le pardon afin de pouvoir vivre toute la richesse de la grâce du mystère pascal.

Cette “impatience ”, cette attente de la création, s’achèvera lors de la manifestation des fils de Dieu, à savoir quand les chrétiens et tous les hommes entreront de façon décisive dans ce “labeur” qu’est la conversion. Toute la création est appelée, avec nous, à sortir « de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (Rm 8,21). Le carême est un signe sacramentel de cette conversion. Elle appelle les chrétiens à incarner de façon plus intense et concrète le mystère pascal dans leur vie personnelle, familiale et sociale en particulier en pratiquant le jeûne, la prière et l’aumône.

Jeûner, c’est-à-dire apprendre à changer d’attitude à l’égard des autres et des créatures : de la tentation de tout “ dévorer” pour assouvir notre cupidité, à la capacité de souffrir par amour, laquelle est capable de combler le vide de notre cœur. Prier afin de savoir renoncer à l’idolâtrie et à l’autosuffisance de notre moi, et reconnaître qu’on a besoin du Seigneur et de sa miséricorde.Pratiquer l’aumône pour se libérer de la sottise de vivre en accumulant toute chose pour soi dans l’illusion de s’assurer un avenir qui ne nous appartient pas. Il s’agit ainsi de retrouver la joie du dessein de Dieu sur la création et sur notre cœur, celui de L’aimer, d’aimer nos frères et le monde entier, et de trouver dans cet amour le vrai bonheur.

Chers frères et sœurs, le « carême » du Fils de Dieu a consisté à entrer dans le désert de la création pour qu’il redevienne le jardin de la communion avec Dieu, celui qui existait avant le péché originel (cf. Mc 1,12-13 ; Is 51,3). Que notre Carême puisse reparcourir le même chemin pour porter aussi l’espérance du Christ à la création, afin qu’« elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, puisse connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (cf. Rm 8,21). Ne laissons pas passer en vain ce temps favorable ! Demandons à Dieu de nous aider à mettre en œuvre un chemin de vraie conversion. Abandonnons l’égoïsme, le regard centré sur nous-mêmes et tournons-nous vers la Pâque de Jésus : faisons-nous proches de nos frères et sœurs en difficulté en partageant avec eux nos biens spirituels et matériels. Ainsi, en accueillant dans le concret de notre vie la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, nous attirerons également sur la création sa force transformante.

Du Vatican, le 4 octobre 2018 Fête de Saint François d’Assise.

[00312-FR.01] [Texte original: Français]

Testo in lingua inglese

FRANÇOIS

Sur la route du diocèse de Chicoutimi (2e partie)

Dans cet épisode de « Sur la route des diocèses », Francis Denis vous présente la deuxième partie de son escale dans le diocèse de Chicoutimi à la rencontre de ces visages qui forment le peuple de Dieu dans cette région du Québec. Après avoir retracé les différentes étapes de l’histoire de ce diocèse, Francis Denis nous fait découvrir les services pastoraux qui parsèment son territoire. Que ce soit par sa présence paroissiale auprès des peuples autochtones, ses sanctuaires, son engagement social ou sa présence auprès des jeunes, le diocèse de Chicoutimi est pleinement engagé et disponible aux motions de l’Esprit Saint qui ne cessent de surprendre.

Homélie du Pape François lors de la Messe à Abu Dhabi

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du Pape François tel que prononcé lors de la Messe au Stade de sport Zayed d’Abu Dhabi (photo CNS photo/Paul Haring) :

Heureux : c’est la parole avec laquelle Jésus commence sa prédication dans l’Evangile de Matthieu. Et c’est le refrain qu’il répète aujourd’hui, presqu’à vouloir fixer dans notre cœur, avant tout, un message de base : si tu es avec Jésus, si, comme les disciples d’alors, tu aimes écouter sa parole, si tu cherches à la vivre chaque jour, tu es heureux. Non tu seras heureux, mais tu es heureux. : voilà la première réalité de la vie chrétienne. Elle ne se présente pas comme une liste de prescriptions extérieures à accomplir ou comme un ensemble complexe de doctrines à connaître. Ce n’est surtout pas cela ; c’est se savoir, en Jésus, enfants aimés du Père. C’est vivre la joie de cette béatitude, c’est entendre la vie comme une histoire d’amour, l’histoire de l’amour fidèle de Dieu qui ne nous abandonne jamais et veut être en communion avec nous toujours. Voici le motif de notre joie, d’une joie que personne au monde et qu’aucune circonstance de la vie ne peuvent nous enlever. C’est une joie qui donne de la paix même dans la souffrance, [une joie] qui déjà nous donne un avant-goût de ce bonheur qui nous attend pour toujours. Chers frères et sœurs, dans la joie de vous rencontrer, c’est la parole que je suis venu vous dire, heureux ! 

Maintenant, si Jésus dit heureux ses disciples, les motifs de chacune des Béatitudes frappent toutefois. En elles nous voyons un renversement de la pensée commune, selon laquelle sont heureux les riches, les puissants, ceux qui ont du succès et sont acclamés par les foules. Pour Jésus, au contraire, heureux sont les pauvres, les doux, ceux qui restent justes même au prix de faire triste figure, les persécutés. Qui a raison, Jésus ou le monde ? Pour comprendre, regardons comment a vécu Jésus : pauvre de choses et riche d’amour, il a guéri tant de vies, mais n’a pas épargné la sienne. Il est venu pour servir, non pour être servi ; il nous a enseigné que ce n’est pas celui qui a qui est grand, mais celui qui donne. Juste et doux, il n’a pas opposé de résistance et s’est laissé condamner injustement. De cette façon, Jésus a porté dans le monde l’amour de Dieu. Seulement ainsi, il a vaincu la mort, le péché, la peur et la mondanité elle-même : avec la seule force de l’amour divin. Demandons aujourd’hui, ici ensemble, la grâce de redécouvrir l’attrait de suivre Jésus, de l’imiter, de ne pas chercher quelqu’un d’autre que Lui et son humble amour. Parce que c’est là que se tient, dans la communion avec Lui et dans l’amour pour les autres, le sens de la vie sur la terre. Croyez-vous à cela ? 

Je suis venu aussi pour vous dire merci pour la manière dont vous vivez l’Evangile que nous avons entendu. On dit qu’entre l’Evangile écrit et l’Evangile vécu il y a la même différence qui existe entre la musique écrite et celle jouée. Vous connaissez ici la mélodie de l’Evangile et vous vivez l’enthousiasme de son rythme. Vous êtes un chœur qui comprend une variété de nations, de langues et de rites ; une diversité que l’Esprit Saint aime et veut toujours plus harmoniser, pour en faire une symphonie. Cette joyeuse polyphonie de la foi est un témoignage que vous donnez à tous et qui construit l’Eglise. J’ai été touché par ce que Monseigneur Hinder a dit une fois c’est-à-dire que non seulement il se sent votre Pasteur, mais que vous, par votre exemple, vous êtes souvent des pasteurs pour lui. 

Vivre en bienheureux et suivre la voie de Jésus ne signifie pas toutefois être toujours dans l’allégresse. Celui qui est affligé, qui subit des injustices, qui se dépense pour être un artisan de paix sait ce que signifie souffrir. Pour vous, ce n’est certes pas facile de vivre loin de la maison et de sentir bien sûr, en plus de l’absence de l’affection des personnes les plus chères, l’incertitude de l’avenir. Mais le Seigneur est fidèle et il n’abandonne pas les siens. Un épisode de la vie de saint Antoine, abbé, le grand initiateur du monachisme dans le désert, peut nous aider. Pour le Seigneur, il avait tout laissé et se trouvait dans le désert. Là pendant un certain temps, il fut aux prises avec une âpre lutte spirituelle qui ne lui laissait pas de répit, assailli par des doutes et l’obscurité, et même par la tentation de céder à la nostalgie et aux regrets pour la vie passée. Le Seigneur le consola ensuite après tant de tourments et saint Antoine lui demanda : « Où étais-tu ? Pourquoi n’es-tu pas apparu avant pour me libérer des souffrances ? » Alors il entendit distinctement la réponse de Jésus : « J’étais là, Antoine » (S. ATHANASE, Vita Antonii, 10). Le Seigneur est proche. Il peut arriver, devant une épreuve ou dans une période difficile, de penser être seul même après tant de temps passé avec le Seigneur. Mais dans ces moments, même s’il n’intervient pas tout de suite, il marche à nos côtés, si nous continuons à aller de l’avant, il ouvrira un chemin nouveau. Parce que le Seigneur est un spécialiste pour faire des choses nouvelles, il sait ouvrir des voies même dans le désert (cf. Is 43, 19). 

Chers frères et sœurs, je voudrais vous dire aussi que vivre les Béatitudes ne demande pas de gestes éclatants. Regardons Jésus : il n’a rien laissé d’écrit, il n’a rien construit d’imposant. Et lorsqu’il nous a dit comment vivre il ne nous a pas demandé d’élever de grandes œuvres ou de nous signaler en accomplissant des gestes extraordinaires. Il nous a demandé de réaliser une seule œuvre d’art, possible pour tous : celle de notre vie. Les Béatitudes sont alors un plan de vie : elles ne demandent pas des actions surhumaines, mais d’imiter Jésus dans la vie de tous les jours. Elles invitent à tenir son cœur propre, à pratiquer la douceur et la justice malgré tout, à être miséricordieux avec tous, à vivre l’affliction en étant unis à Dieu. C’est la sainteté du vivre-au-quotidien, qui n’a pas besoin de miracles et de signes extraordinaires. Les Béatitudes ne sont pas pour des superhommes, mais pour qui affronte les défis et les épreuves de chaque jour. Celui qui les vit selon Jésus rend propre le monde. Il est comme un arbre qui, même en terre aride, absorbe chaque jour de l’air pollué et le restitue oxygéné. Je vous souhaite d’être ainsi, bien enracinés en Jésus et prêts à faire du bien à quiconque vous est proche. Que vos communautés soient des oasis de paix. 

Enfin, je voudrais m’arrêter brièvement sur deux Béatitudes. La première : « Heureux les doux » (Mt 5, 5). N’est pas heureux celui qui agresse ou écrase, mais celui qui garde le comportement de Jésus qui nous a sauvé : doux aussi devant ses accusateurs. J’aime citer saint François, quand il donne aux frères des instructions sur la manière de se rendre auprès des Sarrasins et des non chrétiens. Il a écrit : « Ne faire ni procès ni disputes, être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu et confesser simplement qu’ils sont chrétiens » (Première Règle, XVI). Ni procès, ni disputes : à cette époque, tandis que beaucoup partaient revêtus de pesantes armures, saint François a rappelé que le chrétien part armé seulement de sa foi humble et de son amour concret. Elle est importante la douceur : si nous vivons dans le monde à la manière de Dieu, nous deviendrons des canaux de sa présence ; autrement, nous ne porterons pas de fruit. 

Le seconde Béatitude : « Heureux les artisans de paix » (v. 9) Le chrétien promeut la paix, à commencer par la communauté dans laquelle il vit. Dans le livre de l’Apocalypse, parmi les communautés à qui Jésus lui-même s’adresse, il y en a une, celle de Philadelphie, qui je crois vous ressemble. C’est une Eglise que le Seigneur, à la différence de toutes autres, ne réprimande en rien. En effet, elle a gardé la parole de Jésus, sans renier son nom, et elle a persévéré, c’est-à-dire qu’elle est allée de l’avant, même dans les difficultés. Et c’est un aspect important : le nom Philadelphie signifie amour entre les frères. L’amour fraternel. Donc, une Eglise qui persévère dans la parole de Jésus et dans l’amour fraternel est appréciée du Seigneur et porte du fruit. Je demande pour vous la grâce de garder la paix, l’unité, de prendre ici soin les uns des autres, avec cette belle fraternité pour laquelle il n’y a pas de chrétiens de première et de seconde classe. 

Que Jésus, qui vous appelle heureux, vous donne la grâce d’aller toujours de l’avant sans vous décourager, en grandissant dans l’amour « entre vous et envers tous » (1 Th 3, 12). 

Discours du pape François lors de la Rencontre inter-religieuse d’Abu Dhabi

Vous trouverez ci-dessous le texte complet du discours du pape François tel que prononcé lors de la Rencontre interreligieuse au Founder’s Memorial d’Abu Dhabi aux Émirats arabes unis:

Al Salamò Alaikum ! La paix soit avec vous !
Je remercie de tout cœur Son Altesse le Sheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan et le

Docteur Ahmad Al-Tayyib, Grand Imam d’Al-Azhar, pour leurs paroles. Je suis reconnaissant au Conseil des Anciens pour la rencontre que nous venons d’avoir, près de la Mosquée du Sheikh Zayed. Je salue cordialement les Autorités civiles et religieuses et le Corps diplomatique. Permettez- moi aussi un remerciement sincère pour l’accueil chaleureux que tous m’ont réservé, ainsi qu’à notre délégation.

Je remercie aussi toutes les personnes qui ont contribué à rendre possible ce voyage et qui ont travaillé avec dévouement, enthousiasme et professionnalité pour cet événement : les organisateurs, le personnel du Protocole, celui de la sécurité et tous ceux qui de diverses manières ont donné leur contribution « dans les coulisses ». Un merci spécial à Monsieur Mohamed Abdel-Salam, ancien conseiller du Grand Imam.

De votre patrie je me tourne vers tous les pays de cette Péninsule, auxquels je désire adresser mon plus cordial salut, avec amitié et estime.

Avec un esprit reconnaissant au Seigneur, en ce huitième centenaire de la rencontre entre Saint François d’Assise et le sultan al-Malik al-Kāmil, j’ai accueilli l’opportunité de venir ici comme croyant assoiffé de paix, comme frère qui cherche la paix avec les frères. Vouloir la paix, promouvoir la paix, être instruments de paix : nous sommes ici pour cela.

Le logo de ce voyage représente une colombe avec un rameau d’olivier. C’est une image qui rappelle le récit du déluge primordial, présent en diverses traditions religieuses. Selon le récit biblique, pour préserver l’humanité de la destruction, Dieu demande à Noé d’entrer dans l’arche avec sa famille. Nous aussi aujourd’hui, au nom de Dieu, pour sauvegarder la paix, nous avons besoin d’entrer ensemble, comme une unique famille, dans une arche qui puisse sillonner les mers en tempête du monde : l’arche de la fraternité.

Le point de départ est de reconnaître que Dieu est à l’origine de l’unique famille humaine. Lui, qui est le Créateur de tout et de tous, veut que nous vivions en frères et sœurs, habitant la maison commune de la création qu’il nous a donnée. Se fonde ici, aux racines de notre humanité commune, la fraternité, comme « vocation contenue dans le dessein créateur de Dieu »[1]. Elle nous dit que nous avons tous une égale dignité et que personne ne peut être patron ou esclave des autres.

On ne peut honorer le Créateur sans protéger la sacralité de toute personne humaine et de toute vie humaine : chacun est également précieux aux yeux de Dieu. Parce qu’il ne regarde pas la famille humaine avec un regard de préférence qui exclut mais avec un regard de bienveillance qui inclut. Par conséquent, reconnaître à chaque être humain les mêmes droits c’est glorifier le Nom de Dieu sur la terre. Au nom de Dieu Créateur, donc, est condamnée sans hésitation toute forme de violence, parce que c’est une grave profanation du Nom de Dieu de l’utiliser pour justifier la haine et la violence contre le frère. Il n’existe pas de violence qui puisse être justifiée religieusement.

Un ennemi de la fraternité est l’individualisme, qui se traduit dans la volonté de s’affirmer soi-même et son propre groupe au-dessus des autres. C’est un piège qui menace tous les aspects de la vie, jusqu’à la plus haute et innée prérogative de l’homme, c’est-à-dire l’ouverture au transcendant et la religiosité. La vraie religiosité consiste dans le fait d’aimer Dieu de tout son cœur et le prochain comme soi-même. La conduite religieuse a donc besoin d’être continuellement purifiée de la tentation récurrente de juger les autres ennemis et adversaires. Chaque croyance est appelée à dépasser le clivage entre amis et ennemis, pour assumer la perspective du Ciel, qui embrasse les hommes sans privilèges ni discriminations.

Aussi je désire exprimer mon appréciation pour l’engagement de ce pays pour la tolérance et pour garantir la liberté de culte, en faisant face à l’extrémisme et à la haine. En faisant ainsi, alors qu’on promeut la liberté fondamentale de professer sa propre croyance, exigence intrinsèque à la réalisation même de l’homme, on veille aussi à ce que la religion ne soit pas instrumentalisée et risque, en admettant la violence et le terrorisme, de se nier elle-même.

La fraternité certainement « exprime aussi la multiplicité et la différence qui existent entre les frères, bien que liés par la naissance et ayant la même nature et la même dignité ».[2] La pluralité religieuse en est une expression. Dans ce contexte l’attitude juste n’est ni l’uniformité forcée, ni le syncrétisme conciliant : ce que nous sommes appelés à faire, en tant que croyants, c’est nous engager pour l’égale dignité de tous, au nom du Miséricordieux qui nous a créés et au nom duquel doit être cherché le règlement des oppositions et la fraternité dans la diversité. Je voudrais ici réaffirmer la conviction de l’Eglise catholique : « Nous ne pouvons invoquer Dieu, Père de tous les hommes, si nous refusons de nous conduire fraternellement envers certains des hommes créés à l’image de Dieu ».[3]

Diverses interrogations, cependant, s’imposent : comment nous garder réciproquement dans l’unique famille humaine ? Comment nourrir une amitié non théorique, qui se traduise en authentique fraternité ? Comment faire prévaloir l’inclusion de l’autre sur l’exclusion au nom de sa propre appartenance ? Comment, enfin, les religions peuvent-elles être des canaux de fraternité plutôt que des barrières de séparation ?

La famille humaine et le courage de l’altérité

Si nous croyons en l’existence de la famille humaine, il en découle qu’elle doit être protégée en tant que telle. Comme en toute famille, cela arrive d’abord par un dialogue quotidien et effectif. Il suppose sa propre identité, qu’il ne faut pas abdiquer pour plaire à l’autre. Mais en même temps demande le courage de l’altérité[4], qui comporte la pleine reconnaissance de l’autre et de sa liberté, et l’engagement qui suit à m’employer pour que ses droits fondamentaux soient toujours affirmés, partout et par quiconque. Parce que sans liberté il n’y a plus d’enfants de la famille humaine, mais des esclaves. Parmi les libertés je voudrais souligner la liberté religieuse. Elle ne se limite pas à la seule liberté de culte, mais elle voit dans l’autre vraiment un frère, un fils de ma même humanité que Dieu laisse libre et que par conséquent aucune institution humaine ne peut forcer, pas même en son nom.

Le dialogue et la prière
Le courage de l’altérité est l’âme du dialogue, qui se fonde sur la sincérité des intentions. Le dialogue est en effet compromis par la feinte, qui augmente la distance et le soupçon : on ne peut pas proclamer la fraternité et ensuite agir en sens contraire. Selon un écrivain moderne, « celui qui se ment à lui-même et écoute ses propres mensonges, arrive au point de ne plus pouvoir distinguer la vérité, ni en lui-même, ni autour de lui, et ainsi il commence à ne plus avoir d’estime ni de lui-même, ni des autres »[5].

En tout cela la prière est incontournable : tandis qu’elle incarne le courage de l’altérité par rapport à Dieu, dans la sincérité de l’intention, elle purifie le cœur du repli sur soi. La prière faite avec le cœur fortifie la fraternité. C’est pourquoi, « pour ce qui est de l’avenir du dialogue interreligieux, la première chose que nous devons faire est de prier. Et prier les uns pour les autres: nous sommes frères! Sans le Seigneur, rien n’est possible; avec Lui, tout le devient! Que notre prière – chacun selon sa propre tradition – puisse adhérer pleinement à la volonté de Dieu, qui désire que tous les hommes se reconnaissent frères et vivent ainsi, en formant la grande famille humaine dans l’harmonie des diversités »[6].

Il n’y a pas d’alternative : ou bien nous construirons ensemble l’avenir ou bien il n’y aura pas de futur. Les religions, en particulier, ne peuvent renoncer à la tâche urgente de construire des ponts entre les peuples et les cultures. Le temps est arrivé où les religions doivent se dépenser plus activement, avec courage et audace, sans artifice, pour aider la famille humaine à mûrir la capacité de réconciliation, la vision d’espérance et les itinéraires concrets de paix.

L’éducation et la justice

Nous revenons ainsi à l’image initiale de la colombe de la paix. La paix aussi, pour prendre son envol, a besoin d’ailes qui la soutiennent. Les ailes de l’éducation et de la justice.

L’éducation – en latin indique le fait d’extraire, de tirer au-dehors – c’est porter à la lumière les ressources précieuses de l’esprit. Il est réconfortant de constater comment en ce pays on ne s’investit pas seulement dans l’extraction des ressources de la terre, mais aussi dans celles du cœur, dans l’éducation des jeunes. C’est un engagement et je souhaite qu’il se poursuive et se répande ailleurs. L’éducation arrive aussi dans la relation, dans la réciprocité. A la célèbre maxime ancienne « connais-toi toi-même » nous devons accoler « connais le frère » : son histoire, sa culture et sa foi, parce qu’il n’y a pas de vraie connaissance de soi sans l’autre. En tant qu’hommes, et encore plus en tant que frères, rappelons-nous réciproquement que rien de ce qui est humain ne peut nous demeurer étranger[7]. Il est important pour l’avenir de former des identités ouvertes, capables de vaincre la tentation de se replier sur soi et de se raidir.

Investir dans la culture favorise une diminution de la haine et une croissance de la civilisation et de la prospérité. Education et violence sont inversement proportionnelles. Les instituts catholiques – bien appréciés aussi en ce pays et dans la région – promeuvent cette éducation à la paix et à la connaissance réciproque pour prévenir la violence.

Les jeunes, souvent entourés de messages négatifs et de fake news, ont besoin d’apprendre à ne pas céder aux séductions du matérialisme, de la haine et des préjugés ; d’apprendre à réagir à l’injustice et aussi aux douloureuses expériences du passé ; d’apprendre à défendre les droits des autres avec la même vigueur avec laquelle ils défendent leurs propres droits. Ce seront eux, un jour, qui nous jugeront : bien, si nous leur avons donné des bases solides pour créer de nouvelles rencontres de civilisation ; mal, si nous leur avons laissé seulement des mirages et la perspective désolée de néfastes affrontements de barbarie.

La justice est la seconde aile de la paix, laquelle souvent n’est pas compromise par des épisodes particuliers, mais est lentement dévorée par le cancer de l’injustice.

Donc, on ne peut croire en Dieu et ne pas chercher à vivre la justice avec tous, selon la règle d’or : « Tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi : voilà ce que disent la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12).

Paix et justice sont inséparables ! Le prophète Isaïe dit : « Le fruit de la justice sera la paix » (32, 17). La paix meurt quand elle divorce de la justice, mais la justice se trouve fausse si elle n’est pas universelle. Une justice adressée seulement aux membres de la famille, aux compatriotes, aux croyants de la même foi est une justice boiteuse, c’est une injustice masquée !

Les religions ont aussi la tâche de rappeler que l’avidité du profit rend le cœur inerte et que les lois du marché actuel, exigeant tout et tout de suite, n’aident pas la rencontre, le dialogue, la famille, dimensions essentielles de la vie qui nécessitent du temps et de la patience. Que les religions soient la voix des derniers, qui ne sont pas des statistiques mais des frères, et qu’elles soient du côté des pauvres ; qu’elles veillent comme des sentinelles de fraternité dans la nuit des conflits, qu’elles soient des rappels vigilants pour que l’humanité ne ferme pas les yeux face aux injustices et ne se résigne jamais aux trop nombreux drames du monde.

Le désert qui fleurit
Après avoir parlé de la fraternité comme arche de paix, je voudrais maintenant m’inspirer d’une seconde image, celle du désert, qui nous entoure. Ici, en peu d’années, avec clairvoyance et sagesse, le désert a été transformé en un lieu

prospère et hospitalier ; le désert est devenu, d’obstacle impraticable et inaccessible, un lieu de rencontre entre les cultures et les religions. Ici le désert est fleuri, non seulement pour quelques jours par an, mais pour de nombreuses années à venir. Ce pays, dans lequel sable et gratte-ciels se rencontrent, continue à être un important carrefour entre Occident et Orient, entre Nord et Sud de la planète, un lieu de développement, où des espaces un temps inhospitaliers, proposent des postes de travail à des personnes de diverses nations.

Le développement aussi, toutefois, a ses adversaires. Et si un ennemi de la fraternité était l’individualisme, je voudrais citer comme obstacle au développement l’indifférence, qui finit par convertir les réalités fleuries en landes désertes. En effet, un développement purement utilitariste ne donne pas de progrès réel et durable. Seul un développement intégral et qui a de la cohésion prépare un avenir digne de l’homme. L’indifférence empêche de voir la communauté humaine au-delà du profit et le frère au-delà du travail qu’il accomplit. L’indifférence, en effet, ne regarde pas vers demain ; elle ne fait pas attention à l’avenir de la création, elle n’a pas soin de la dignité de l’étranger et de l’avenir des enfants.

Dans ce contexte je me réjouis que justement ici à Abu Dhabi, en novembre dernier, ait eu lieu le premier Forum de l’Alliance interreligieuse pour des Communautés plus sûres, sur le thème de la dignité de l’enfant à l’ère numérique. Cet événement a recueilli le message lancé, un an auparavant, à Rome au Congrès international sur le même thème, auquel j’avais donné tout mon appui et mon encouragement. Je remercie donc tous les leaders qui s’engagent dans ce domaine et j’assure mon soutien, ma solidarité et ma participation ainsi que ceux de l’Eglise catholique à cette cause très importante de la protection des mineurs en toutes ses expressions.

Ici, dans le désert, s’est ouvert un chemin fécond de développement qui, à partir du travail, offre une espérance à de nombreuses personnes de divers peuples, cultures et croyances. Parmi elles, de nombreux chrétiens aussi, dont la présence dans la région remonte dans les siècles, ont trouvé une opportunité et apporté une contribution significative à la croissance et au bien-être du pays. Au-delà des capacités professionnelles, ils y apportent la qualité de leur foi. Le respect et la tolérance qu’ils rencontrent, de même que les lieux de culte nécessaires où ils prient, leur permettent cette maturation spirituelle qui bénéficie ensuite à la société tout entière. J’encourage à poursuivre sur ce chemin, afin que tous ceux qui vivent ici ou sont de passage conservent non seulement l’image des grandes œuvres élevées dans le désert, mais d’une nation qui inclut et embrasse quiconque.

C’est dans cet esprit que, non seulement ici, mais dans toute la bien-aimée et névralgique région moyen-orientale, je souhaite des opportunités concrètes de rencontre : que des sociétés où des personnes de diverses religions aient le même droit de citoyenneté et où soit enlevé ce droit à la seule violence, sous toutes ses formes.

Une cohabitation fraternelle, fondée sur l’éducation et sur la justice ; un développement humain, édifié sur l’inclusion accueillante et sur les droits de tous : ce sont là des semences de paix, que les religions sont appelées à faire germer. A elles, peut-être comme jamais dans le passé, incombe, dans cette situation historique délicate, une tâche qu’on ne peut renvoyer : contribuer activement à démilitariser le cœur de l’homme. La course aux armements, l’extension des propres zones d’influence, les politiques agressives au détriment des autres n’apporteront jamais la stabilité. La guerre ne sait pas créer autre chose que la misère, les armes rien d’autre que la mort !

La fraternité humaine exige de nous, représentants des religions, le devoir de bannir toute nuance d’approbation du mot guerre. Rendons-le à sa misérable cruauté. Ses néfastes conséquences sont sous nos yeux. Je pense en particulier au Yémen, à la Syrie, à l’Irak et à la Libye. Ensemble, frères dans l’unique famille humaine voulue par Dieu, engageons-nous contre la logique de la puissance armée, contre la monétisation des relations, l’armement des frontières, l’édification de murs, le bâillonnement des pauvres ; à tout cela opposons la douce force de la prière et l’engagement quotidien dans le dialogue. Que le fait que nous soyons ensemble aujourd’hui soit un message de confiance, un encouragement à tous les hommes de bonne volonté, pour qu’ils ne se rendent pas aux déluges de la violence et à la désertification de l’altruisme. Dieu est avec l’homme qui cherche la paix. Et du ciel il bénit tout pas qui, sur ce chemin, s’accomplit sur la terre.

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[1] Benoît XVI, Discours aux nouveaux Ambassadeurs près le Saint-Siège, 16 décembre 2010.
[2] Message pour la célébration de la Journée mondiale de la paix, 1er janvier 2015, n. 2.
[3] Déclaration sur les relations de l’Eglise avec les religions non-chrétiennes, Nostra aetate, n.5.
[4] Cf. Discours aux participants à la Conférence internationale pour la paix, Al-Azhar Conference center, Le Caire, 28 avril 2017.
[5] F.M. Dostoievski, Les Frères Karamazov, II, 2.
[6] Audience générale interreligieuse, 28 octobre 2015.
[7] Cf. Terence, Heautontimorumenos, I, 1, 25.

[00174-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François pour la fête de la Présentation du Seigneur

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du Pape François pour la fête de la Présentation du Seigneur et la XXIIIe Journée mondiale de la vie consacrée:

Aujourd’hui la Liturgie montre Jésus qui va à la rencontre de son peuple. C’est la fête de la rencontre : la nouveauté de l’Enfant rencontre la tradition du temple ; la promesse trouve un accomplissement ; Marie et Joseph, jeunes, rencontrent Syméon et Anne âgés. Tout, en somme, se rencontre quand arrive Jésus.

Qu’est-ce-que cela nous dit à nous ? Surtout que nous aussi sommes appelés à accueillir Jésus qui vient à notre rencontre. Le rencontrer : le Dieu de la vie se rencontre chaque jour de la vie ; non de temps en temps, mais chaque jour. Suivre Jésus n’est pas une décision prise une fois pour toutes, c’est un choix quotidien. Et le Seigneur ne se rencontre pas virtuellement, mais directement, en le rencontrant dans la vie, dans la vie concrète. Autrement, Jésus devient seulement un beau souvenir du passé. Lorsqu’au contraire nous l’accueillons comme Seigneur de la vie, centre de tout, cœur battant de toute chose, alors il vit et revit en nous. Et il nous arrive aussi ce qui arrive dans le temple : autour de lui tout le monde se rencontre, la vie devient harmonieuse. Avec Jésus on retrouve le courage d’aller de l’avant et la force de rester solides. La rencontre avec le Seigneur est la source. Il est important alors de revenir aux sources : retourner par la mémoire aux rencontres décisives qu’on a eues avec lui, raviver le premier amour, peut-être écrire notre histoire d‘amour avec le Seigneur. Cela fera du bien à notre vie consacrée, afin qu’elle ne devienne pas temps qui passe, mais qu’elle soit temps de rencontre.

Si nous faisons mémoire de notre rencontre fondatrice avec le Seigneur, nous nous apercevons qu’elle n’est pas arrivée comme une question privée entre nous et Dieu. Non, elle s’est épanouie dans le peuple croyant, à côté de nombreux frères et sœurs, dans des temps et des lieux précis. L’Evangile nous le dit, montrant comment la rencontre se passe dans le peuple de Dieu, dans son histoire concrète, dans ses traditions vivantes : dans le temple, selon la Loi, dans le climat de la prophétie, avec les jeunes et les aînés ensemble (cf. Lc 2, 25-28.34). Ainsi la vie consacrée : elle s’épanouit et fleurit dans l’Eglise ; si elle s’isole, elle se fane. Elle mûrit lorsque les jeunes et les aînés marchent ensemble, lorsque les jeunes retrouvent les racines et les aînés accueillent les fruits. Elle stagne au contraire quand on marche seul, quand on reste fixé sur le passé ou qu’on se jette en avant pour chercher à survivre. Aujourd’hui, fête de la rencontre, demandons la grâce de redécouvrit le Seigneur vivant, dans le peuple croyant, et de faire rencontrer le charisme reçu avec la grâce de l’aujourd’hui.

L’Evangile nous dit aussi que la rencontre de Dieu avec son peuple a un début et un objectif. Elle commence par l’appel au temple et elle aboutit à la vision dans le temple. L’appel est double. Il y a un premier appel « ce qui est écrit dans la Loi » (v. 23). C’est celui de Joseph et Marie, qui vont au temple pour accomplir ce que la Loi prescrit. Le texte le souligne presque comme un refrain, bien quatre fois (cf. v. 22.23.24.27). Ce n’est pas une contrainte : les parents de Jésus ne viennent pas par force ou pour satisfaire une simple formalité extérieure ; ils viennent pour répondre à l’appel de Dieu. Ensuite il y a un second appel, selon l’Esprit. C’est celui de Syméon et Anne. Cela aussi est mis en évidence avec insistance : par trois fois, au sujet de Syméon, on parle de l’Esprit Saint (cf. v. 25.26.27) et on termine avec la prophétesse Anne qui, inspirée, loue Dieu (cf. v. 38). Deux jeunes accourent au temple appelés par la Loi ; deux aînés mus par l’Esprit. Ce double appel, de la Loi et de l’Esprit, que dit-il à notre vie spirituelle et à notre vie consacrée ? Que tous nous sommes appelés à une double obéissance : à la loi – dans le sens de ce qui donne bon ordre à la vie – et à l’Esprit, qui fait des choses nouvelles dans la vie. Ainsi naît la rencontre avec le Seigneur : l’Esprit révèle le Seigneur, mais pour l’accueillir il faut la constance fidèle de chaque jour. Même les charismes les plus grands, sans une vie ordonnée, ne portent pas de fruit. D’autre part les meilleures règles ne suffisent pas sans la nouveauté de l’Esprit : loi et Esprit vont ensemble.

Pour mieux comprendre cet appel que nous voyons aujourd’hui dans les premiers jours de vie de Jésus, au temple, nous pouvons aller aux premiers jours de son ministère public, à Cana, où il transforme l’eau en vin. Là aussi, il y a un appel à l’obéissance, avec Marie qui dit : « Tout ce qu’il [Jésus] vous dira, faites-le » (Jn 2, 5). Tout. Et Jésus demande une chose particulière ; il ne fait pas tout de suite une chose nouvelle, il ne procure pas de rien le vin qui manque – il aurait pu le faire –, mais il demande une chose concrète et exigeante. Il demande de remplir six grandes amphores de pierre pour la purification rituelle, qui rappellent la Loi. Il voulait dire de transvaser environ six cent litres d’eau du puits : du temps et de la fatigue, qui paraissaient inutiles, puisque ce qui manquait ce n’était pas l’eau mais le vin !Pourtant justement de ces amphores bien remplies « jusqu’au bord » (v. 7), Jésus tire le vin nouveau. Il en est ainsi pour nous : Dieu nous appelle à la rencontre à travers la fidélité à des choses concrètes – On rencontre toujours Dieu dans le concret – : la prière quotidienne, la Messe, la Confession, une vraie charité, la Parole de Dieu chaque jour, la proximité, surtout avec ceux qui sont dans le besoin, spirituellement et matériellement. Ce sont des choses concrètes, comme dans la vie consacrée, l’obéissance au Supérieur et aux Règles. Si on met en pratique avec amour cette loi – avec amour ! – l’Esprit survient et apporte la surprise de Dieu, comme au temple et à Cana. L’eau du quotidien se transforme alors en vin de la nouveauté et la vie, qui semble plus contrainte, devient en réalité plus libre. En ce moment je me souviens d’une sœur, humble, qui avait précisément le charisme d’être proche des prêtres et des séminaristes. Avant-hier, a été introduite ici, dans le diocèse [de Rome], sa cause de béatification. Une sœur simple : elle n’avait pas de grandes lumières, mais elle avait la sagesse de l’obéissance, de la fidélité et de ne pas avoir peur des nouveautés. Demandons au Seigneur, à travers sœur Bernadette, de nous donner à nous tous la grâce d’emprunter ce chemin.

La rencontre qui naît de l’appel, culmine dans la vision. Syméon dit : « Mes yeux ont vu le salut » (Lc 2, 30). Il voit l’Enfant et il voit le salut. Il ne voit pas le Messier qui accomplit des prodiges, mais un petit enfant. Il ne voit pas quelque chose d’extraordinaire, mais Jésus avec ses parents, qui portent au temple deux tourterelles et deux colombes, c’est-à-dire l’offrande la plus humble (cf. v. 24). Syméon voit la simplicité de Dieu et accueille sa présence. Il ne cherche pas autre chose, il ne demande pas et ne veut pas davantage, il lui suffit de voir l’Enfant et de le prendre dans ses bras : « nunc dimittis, maintenant tu peux me laisser m’en aller » (cf. v. 29). Dieu lui suffit comme il est. En lui il trouve le sens ultime de sa vie. C’est la vision de la vie consacrée, une vision simple et prophétique dans sa simplicité, où on tient le Seigneur devant les yeux et entre les bras, et rien d’autre ne sert. La vie c’est Lui, l’espérance c’est Lui, l’avenir c’est Lui. La vie consacrée est cette vision prophétique dans l’Eglise : c’est un regard qui voit Dieu présent dans le monde, même si beaucoup ne s’en aperçoivent pas ; c’est une voix qui dit : “Dieu suffit, le reste passe” ; c’est une louange qui jaillit malgré tout, comme le montre la prophétesse Anne. C’était une femme très âgée, qui avait vécu de nombreuses d’années de veuvage, mais elle n’était pas maussade, nostalgique ou repliée sur elle ; au contraire, elle survient, loue Dieu et parle seulement de Lui (cf. v. 38). J’aime penser que cette femme ‘‘bavardait bien’’, et contre le mal du papotage elle serait une bonne marraine pour nous convertir, car elle allait d’un endroit à un autre en ne faisant que dire : ‘‘C’est lui ! C’est cet enfant ! Allez le voir !’’. J’aime la voir ainsi, comme une femme du quartier.

Voilà la vie consacrée : louange qui donne joie au peuple de Dieu, vision prophétique qui révèle ce qui compte. Quand c’est ainsi, elle fleurit et devient un rappel pour tous contre la médiocrité : contre les baisses de profondeur dans la vie spirituelle, contre la tentation de jouer au rabais avec Dieu, contre l’accommodation à une vie facile et mondaine, contre la lamentation – les plaintes –, l’insatisfaction et le fait de pleurer sur son sort, contre l’habitude du “on fait ce qu’on peut” et du “on a toujours fait ainsi” : ce ne sont pas des phrases en accord avec Dieu. La vie consacrée n’est pas survivance, ce n’est pas de se préparer à l’‘‘ars bene moriendi’’ : cela, c’est la tentation d’aujourd’hui face à la baisse des vocations. Non, elle n’est pas une survivance, elle est vie nouvelle. ‘‘Mais… nous sommes peu nombreux…’’ – c’est une vie nouvelle. C’est une rencontre vivante avec le Seigneur dans son peuple. C’est un appel à l’obéissance fidèle de chaque jour et aux surprises inédites de l’Esprit. C’est une vision de ce qu’il importe d’embrasser pour avoir la joie : Jésus.  

Homélie du pape François lors de la Messe en la Cathédrale de Panama

(Photo: Courtoisie Vatican Media) Ce matin, le Pape François s’est rendu en voiture de la Nonciature apostolique au Panama à la Basilique-Cathédrale Santa Maria la Antigua. À son arrivée, il fut accueilli à l’entrée principale par le chapitre métropolitain qui lui a présenté un crucifix et de l’eau bénite. Alors qu’il se rendait à la sacristie pour revêtir les vêtements liturgiques, deux religieuses offrirent au Saint-Père une rose qui se trouvait aux pieds de la statue de la Vierge Marie. À 9:15 am, le Saint-Père a présidé la célébration eucharistique et procédé à la consécration de l’autel majeur de la Basilique-Cathédrale en présence des évêques, prêtres, personnes consacrées et membres de mouvements laïcs. À la fin de la Messe, le Pape fut remercié par l’archevêque de Panama, S. Excl. José Domingo Ulloa Mendieta o.s.a. avant de se rendre en voiture au Grand Séminaire San José de Panama. Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie telle que prononcé lors de la Messe de consécration de l’autel:

« Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » » (Jn 4,6-7).

L’évangile que nous avons écouté n’hésite pas à nous présenter Jésus fatigué de marcher. A midi, quand le soleil se fait sentir avec toute sa force et sa puissance, nous le trouvons près du puits. Il avait besoin d’apaiser et d’étancher sa soif, de vivre une étape, de récupérer des forces pour continuer la mission.

Les disciples ont vécu au premier plan ce que signifiaient le don et la disponibilité du Seigneur pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, panser les cœurs blessés, proclamer la libération des captifs et la liberté des prisonniers, consoler ceux qui étaient en deuil et proclamer une année de grâce à tous (cf. Is 61,1-3). Ce sont toutes les situations qui te prennent la vie et l’énergie ; et ils « ne se sont pas ménagés » pour nous offrir tant de moments importants dans la vie du Maître, où notre humanité peut aussi trouver une parole de Vie.
Fatigué par la route

Il est relativement facile pour notre imagination, compulsivement productive, de contempler et d’entrer en communion avec l’activité du Seigneur, mais nous ne savons pas toujours, ou nous ne pouvons pas toujours contempler et accompagner les « fatigues du Seigneur », comme si elles n’étaient pas l’affaire de Dieu. Le Seigneur s’est fatigué et dans cette fatigue trouvent place tant de fatigues de nos populations et de notre peuple, de nos communautés et de tous ceux qui sont épuisés et accablés (cf. Mt 11,28).

Les causes et les motifs qui peuvent provoquer la fatigue du chemin en nous prêtres, personnes consacrées, membres des mouvements laïcs, sont multiples : depuis les longues heures de travail qui laissent peu de temps pour manger, se reposer et être en famille, jusqu’aux conditions « nocives » de travail et d’affectivité qui conduisent à l’épuisement et brisent le cœur ; depuis le simple et quotidien don de soi jusqu’au poids routinier de celui qui ne trouve plus le goût, la reconnaissance ou la subsistance nécessaire pour faire face au jour le jour ; depuis les habituelles et prévisibles situations compliquées jusqu’aux stressantes et angoissantes heures de pression. Toute une gamme de poids à supporter.

Il serait impossible de vouloir couvrir toutes les situations qui brisent la vie des personnes consacrées, mais nous ressentons dans toutes ces situations la nécessité urgente de trouver un puits qui puisse soulager et étancher la soif et la fatigue du chemin. Toutes réclament, comme un cri silencieux, un puits d’où repartir à nouveau.

A ce sujet, depuis quelque temps, semble s’être souvent installée dans nos communautés une subtile espèce de fatigue, qui n’a rien à voir avec la fatigue du Seigneur. Il s’agit d’une tentation que nous pourrions appeler la lassitude de l’espérance. Cette lassitude qui surgit quand – comme dans l’évangile – le soleil tombe comme du plomb et rend les heures ennuyeuses, et qui le fait avec une intensité telle qu’elle ne permet pas d’avancer ni de regarder en avant. Comme si tout devenait confus. Je ne me réfère pas à la « certaine peine du cœur » (cf. Lett. enc. Redemptoris Mater, 17; Exhort. ap. Evangelii gaudium, n.287) de ceux qui « sont brisés » par le don, à la fin de la journée, et qui parviennent à exprimer un sourire serein et reconnaissant; mais à cette autre fatigue, celle qui naît face à l’avenir quand la réalité « gifle » et met en doute les forces, les moyens et la possibilité de la mission en ce monde tellement changeant et qui interroge.

C’est une lassitude paralysante. Elle naît du fait de regarder en avant et de ne pas savoir comment réagir face à l’intensité et à la perplexité des changements que, comme société, nous traversons. Ces changements semblent non seulement interroger nos formes d’expression et d’engagement, nos habitudes et nos attitudes face à la réalité, mais ils mettent en question, dans de nombreux cas, la possibilité même de la vie religieuse dans le monde d’aujourd’hui. Et même la rapidité de ces changements peut conduire à paralyser toute option et toute opinion et, ce qui a été significatif et important en d’autres temps semble maintenant ne plus avoir lieu d’être.

Cette lassitude de l’espérance naît du constat d’une Eglise blessée par son péché et qui si souvent n’a pas su écouter tant de cris dans lesquels se cachait le cri du Maître : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27,46).

Ainsi nous pouvons nous habituer à vivre avec une espérance fatiguée face à l’avenir incertain et inconnu, et cela laisse de la place pour que s’installe un pragmatisme gris dans le cœur de nos communautés. Tout semble apparemment avancer normalement, mais en réalité la foi s’épuise et dégénère. Déçus par la réalité que nous ne comprenons pas ou dont nous croyons qu’elle n’a plus de place pour notre proposition, nous pouvons donner le « droit de cité » à l’une des pires hérésies possibles de notre époque : penser que le Seigneur et nos communautés n’ont rien à dire et à apporter à ce monde nouveau qui est en gestation (cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n.83). Et puis il arrive que ce qui un jour a surgi pour être le sel et la lumière du monde finisse par offrir sa pire version.

Donne-moi à boire

Les fatigues du chemin arrivent et se font sentir. Que cela plaise ou non, elles sont, et c’est bon d’avoir le même courage que celui qu’a eu le Maître pour dire : « donne-moi à boire ». Comme cela est arrivé à la Samaritaine et peut nous arriver, à chacun de nous, nous ne voulons pas apaiser la soif avec une eau quelconque mais avec « la source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (Jn4,14). Nous savons, comme le savait bien la Samaritaine qui portait depuis des années des cruches vides d’amours ratés, que n’importe quelle parole ne peut pas aider à récupérer les forces et la prophétie dans la mission. Aucune nouveauté, aussi séduisante qu’elle puisse paraître, ne peut apaiser la soif. Nous savons, comme elle le savait bien, que le savoir religieux, la justification d’options déterminées et des traditions passées ou présentes, ne nous rendent pas non plus toujours féconds, ni ne font de nous de passionnés « adorateurs en esprit et en vérité » (Jn 4,23).

« Donne-moi à boire », c’est ce que demande le Seigneur et ce qu’il nous demande de dire. En le disant, nous ouvrons la porte à notre espérance fatiguée pour revenir sans peur au puits fondateur du premier amour, quand Jésus est passé sur notre chemin, nous a regardés avec miséricorde, nous a demandé de le suivre ; en le disant, nous retrouvons la mémoire de ce moment où son regard a croisé le nôtre, ce moment où il nous a fait sentir qu’il nous aimait, et non seulement de manière personnelle mais également comme communauté (cf. Homélie de la Vigile pascale, 19 avril 2014). C’est revenir sur nos pas et, dans la fidélité créative, écouter comment l’Esprit n’a pas engendré une œuvre ponctuelle, un plan pastoral ou une structure à organiser mais comment, par le moyen de tant de « saints de la porte d’à côté » – parmi ceux-là nous trouvons les pères et les mères fondateurs de vos instituts, les évêques et les curés qui ont su poser le fondement de vos communautés –, il a donné la vie et l’oxygène à un contexte historique déterminé qui semblait étouffer et écraser toute espérance et toute dignité.

« Donne-moi à boire » signifie encourager à laisser purifier et sauver la part la plus authentique de nos charismes fondateurs – qui ne se réduisent pas seulement à la vie religieuse mais qui concernent toute l’Église – et voir comment ils peuvent être exprimés aujourd’hui. Il s’agit non seulement de regarder le passé avec reconnaissance mais aussi de rechercher les racines de son inspiration et de les laisser résonner à nouveau, avec force parmi nous (cf. Pape François – Fernando Prado, La force de la vocation, p. 43).

« Donne-moi à boire » signifie reconnaître que nous avons besoin que l’Esprit nous transforme en hommes et en femmes qui se souviennent d’un passage, le passage salvifique de Dieu. Et confiants que, comme il l’a fait hier, ainsi il continuera de le faire demain : « aller à la racine nous aide, sans aucun doute, à bien vivre le présent, sans avoir peur. Il faut vivre sans peur, en répondant à la vie avec la passion d’être engagés dans l’Histoire, impliqués. C’est une passion amoureuse, […] » (cf. Ibid., p. 45).

L’espérance fatiguée sera guérie et jouira de cette « certaine peine du cœur », à partir du moment où l’on n’a pas peur de revenir au premier amour et de réussir à trouver, dans les périphéries et les défis qui aujourd’hui se présentent à nous, le même chant, le même regard qui ont suscité le chant et le regard de nos ainés. Ainsi nous éviterons le risque de partir de nous-mêmes et nous abandonnerons l’épuisant auto-apitoiement pour trouver le regard avec lequel le Christ aujourd’hui continue de nous chercher, de nous appeler et de nous inviter à la mission.

Cela ne me semble pas être un évènement mineur que la réouverture des portes de cette Cathédrale après une longue période de rénovation. Elle a connu le passage des années, comme témoin fidèle de l’histoire de ce peuple, et avec l’aide et le travail de beaucoup, elle a voulu offrir à nouveau sa beauté. Plus qu’une restauration classique, qui souvent essaie de revenir au passé original, on a cherché à préserver la beauté des années, en étant ouvert à l’accueil de toute la nouveauté que le présent pouvait lui offrir. Une Cathédrale espagnole, indienne et afro-américaine devient ainsi une Cathédrale panaméenne, de ceux qui hier mais également de ceux qui aujourd’hui l’ont rendu possible. Elle n’appartient plus seulement au passé, mais elle est la beauté du présent.

Aujourd’hui c’est une fois de plus un tournant qui conduit à renouveler et à alimenter l’espérance, à découvrir comment la beauté d’hier devient un fondement pour construire la beauté de demain.

Ainsi agit le Seigneur.

Frères et sœurs, ne nous laissons pas voler la beauté que nous avons héritée de nos pères, qu’elle soit la racine vivante et féconde qui nous aide à continuer à rendre belle et prophétique l’histoire du salut sur ces terres.

[00116-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Allocution du Saint-Père lors du Chemin de Croix JMJ Panama 2019

Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’allocution du pape François telle que prononcée lors du Chemin de Croix des JMJ 2019 au Panama:

Seigneur, Père de miséricorde, sur cette Bande Côtière, aux côtés d’un grand nombre de jeunes venus du monde entier, nous avons accompagné ton Fils sur le chemin de la croix ; ce chemin qu’il a voulu parcourir pour nous montrer combien tu nous aimes et à quel point tu es engagé pour nos vies.

Le chemin de Jésus vers le Calvaire est un chemin de souffrance et de solitude qui se poursuit de nos jours. Il marche et il souffre en tant de visages qui souffrent de l’indifférence satisfaite et anesthésiante de notre société qui consomme et se consume, qui ignore et néglige la douleur de ses frères.

Nous aussi, tes amis Seigneur, nous nous laissons prendre par l’indifférence et l’immobilisme. Les fois ne manquent pas où le conformisme nous a gagnés et nous a paralysés. Il a été difficile de te reconnaître dans le frère souffrant : nous avons détourné le regard, pour ne pas le voir ; nous avons trouvé refuge dans le bruit, pour ne pas l’entendre ; nous avons fermé la bouche, pour ne pas crier.

Toujours la même tentation. Il est plus facile et plus « payant » d’être amis dans les victoires et dans la gloire, dans le succès et sous les applaudissements ; il est plus facile d’être proche de celui qui est considéré comme populaire et vainqueur.

Comme il est facile de tomber dans la culture du bullying, du harcèlement et de l’intimidation.

Pour toi ce n’est pas comme ça Seigneur, sur la croix tu t’identifies à toutes les souffrances, à tous ceux qui se sentent oubliés.

Pour toi ce n’est pas ainsi Seigneur, tu as voulu embrasser tous ceux que nous considérons souvent ne pas être dignes d’une embrassade, d’une caresse, d’une bénédiction ; ou, plus grave encore, ceux dont nous ne réalisons pas qu’ils en ont besoin.

Pour toi ce n’est pas ainsi Seigneur, sur la croix tu rejoins le chemin de croix de chaque jeune, de chaque situation pour la transformer en chemin de résurrection.

Père, aujourd’hui le chemin de croix de ton Fils se prolonge : dans le cri étouffé des enfants que l’on empêche de naître, de tant d’autres qui se voient refuser le droit d’avoir une enfance, une famille, une éducation ; de ceux qui ne peuvent pas jouer, chanter, rêver… dans les femmes maltraitées, exploitées et abandonnées, dépossédées et niées dans leur dignité; dans les yeux tristes des jeunes qui voient leurs espérances d’avenir confisquées par le manque d’éducation et de travail digne ; dans la détresse des visages de jeunes, nos amis qui tombent dans les réseaux de personnes sans scrupules – et parmi elles se trouvent également des personnes qui disent te servir, Seigneur – réseaux d’exploitation, de criminalité et d’abus, qui se nourrissent de leurs vies.

Le chemin de croix de ton Fils se prolonge dans de nombreux jeunes et de nombreuses familles qui, engloutis par une spirale de mort à cause de la drogue, de l’alcool, de la prostitution et du trafic, sont privés non seulement d’avenir mais aussi de présent. Et, comme ont été partagés tes vêtements, Seigneur, leur dignité s’est retrouvé éparpillée et maltraitée.

Le chemin de croix de ton Fils se prolonge dans les jeunes aux visages renfrognés qui ont perdu la capacité de rêver, de créer et d’inventer les lendemains et qui « prennent leur retraite » avec l’ennui de la résignation et le conformisme, une des drogues les plus consommées de notre temps.

Il se prolonge dans la souffrance cachée et révoltante de ceux qui, au lieu de la solidarité de la part d’une société d’abondance, trouvent le rejet, la douleur et la misère, et en plus sont identifiés et traités comme les porteurs et les responsables de tout le mal social.

Il se prolonge dans la solitude résignée des personnes âgées, abandonnées et rejetées.

Il se prolonge dans les peuples autochtones, que l’on prive de leurs terres, de leurs racines et de leur culture, en réduisant au silence et en éteignant toute la sagesse qu’ils pourraient apporter.

Le chemin de croix de ton Fils se prolonge dans le cri de notre mère la terre, qui est blessée dans ses entrailles par la pollution de son ciel, par la stérilité de ses champs, par la saleté de ses eaux, et qui se voit bafouée par l’indifférence et la consommation effrénée qui dépasse toute raison. Il se prolonge dans une société qui a perdu la capacité de pleurer et de s’émouvoir face à la souffrance.

Oui, Père, Jésus continue à marcher, portant tous ces visages et souffrant en eux, tandis que le monde, indifférent, consomme le drame de sa propre frivolité. Et nous, Seigneur, que faisons-nous ?

Comment réagissons-nous devant Jésus qui souffre, qui marche, qui émigre sur le visage de tant de nos amis, de tant d’étrangers que nous avons appris à rendre invisibles. Et nous, Père de miséricorde, Consolons-nous et accompagnons-nous le Seigneur, abandonné et souffrant, dans les plus petits et les plus délaissés ?

L’aidons-nous à porter le poids de la croix, comme le Cyrénéen, en étant acteurs de paix, créateurs d’alliances, ferments de fraternité ?

Restons-nous au pied de la croix comme Marie ?

Contemplons Marie, femme forte. D’elle nous voulons apprendre à rester debout à côté de la croix. Avec la même détermination et le même courage, sans dérobades et sans illusions. Elle a su accompagner la souffrance de son Fils, ton Fils ; le soutenir dans le regard et le protéger avec le cœur. Douleur qu’elle a subie, mais qui ne lui a pas fait baisser les bras. Elle a été la femme forte du « oui », qui soutient et accompagne, protège et prend dans ses bras. Elle est la grande gardienne de l’espérance.

Nous aussi, nous voulons être une Église qui soutient et qui accompagne, qui sait dire : « Je suis ici ! » dans la vie et dans les croix de tant de christs qui marchent à nos côtés.

De Marie nous apprenons à dire « oui » à la patience endurante et constante de tant de mères, de pères, de grands-parents qui n’arrêtent pas de soutenir et d’accompagner leurs enfants et leurs petits- enfants quand « ils ne vont pas dans la bonne direction ».

D’elle nous apprenons à dire « oui » à la patience obstinée et à la créativité de ceux qui ne sont pas affaiblis et qui recommencent dans des situations où il semble que tout est perdu, en cherchant à créer des espaces, des foyers, des centres d’attention qui soient une main tendue dans la difficulté.

En Marie nous apprenons la force de dire « oui » à ceux qui ne se sont pas tus et qui ne se taisent pas face à une culture de la maltraitance et de l’abus, du dénigrement et de l’agression et qui travaillent pour offrir des possibilités et des conditions de sécurité et de protection.

En Marie nous apprenons à recevoir et à accueillir tous ceux qui ont souffert de l’abandon, qui ont dû quitter ou perdre leur terre, leurs racines, leurs familles et leur travail.

Comme Marie nous voulons être l’Église qui favorise une culture qui sait accueillir, protéger, promouvoir et intégrer ; qui ne stigmatise pas et surtout qui ne généralise pas, par la condamnation la plus absurde et la plus irresponsable, en identifiant tout migrant comme porteur de mal social.

D’elle nous voulons apprendre à rester debout à côté de la croix, non pas avec un cœur blindé et fermé, mais avec un cœur qui sait accompagner, qui connaît la tendresse et le dévouement ; qui comprend ce qu’est la miséricorde en abordant avec révérence, délicatesse et compréhension. Nous voulons être une Eglise de la mémoire qui respecte et valorise les anciens et qui défend leur place.

Comme Marie nous voulons apprendre à « être là ».

Enseigne-nous Seigneur à être présent au pied de la croix, au pied des croix ; réveille cette nuit nos yeux, notre cœur ; sauve-nous de la paralysie et de la confusion, de la peur et du désespoir. Apprends- nous à dire : ici je suis avec ton Fils, avec Marie et avec tant de disciples aimés qui veulent accueillir ton Règne dans leur cœur.

Homélie du Pape au Centre de détention jeunesse « Las Garzas de Pacora », Panama

(Photo: Courtoisie Vatican Media) Ce matin, après avoir célébré la Messe en privé à la Nonciature apostolique en compagnie d’un groupe de fidèles et de collaborateurs de l’archidiocèse de Panama, le Pape François s’est rendu par hélicoptère au Centre de détention pour jeunes « Las Garzas de Pacora ». À son arrivée, le Pape fut accueilli par l’archevêque de Panama, son Excl. Mgr José Domingo Ulloa Mendieta o.s.a. ainsi que par la directrice du centre Mme Emma Alba Tejada. À 10h30 heure locale, le service pénitentiel (Liturgie de la Parole) a commencé en compagnie des jeunes détenus. Suivant le témoignage d’un jeune résident a suivi la lecture de l’Évangile et l’homélie du Pape François. Le Pape François a ensuite entendu 12 jeunes en confession et a donné sa bénédiction finale. La directrice du centre a également remercier le Pape et a eu lieu un échange de cadeaux. Le Pape a remercier les 30 jeunes détenus avant d’embarquer dans l’hélicoptère qui allait l’emmener à l’aéroport de Panama pour qu’il puisse retourner à la Nonciature apostolique. Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du Pape François au Centre de détention jeunesse « Las Garzas de Pacora »:

« Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux », venons-nous d’entendre au début de l’évangile (Lc 15,2). C’est ce que murmuraient quelques pharisiens et quelques scribesplutôt scandalisés et en colère à cause du comportement de Jésus.

Avec cette expression, ils cherchaient à le disqualifier et à le dévaloriser devant tous, mais la seule chose qu’ils ont obtenue a été de souligner l’une de ses attitudes les plus communes et les plusdistinctives : « cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ».

Jésus n’a pas peur de s’approcher de ceux qui, pour une infinité de raisons, portaient sur leursépaules la haine sociale du fait qu’ils étaient publicains – rappelons-nous que les publicainss’enrichissaient en pillant leur propre peuple ; ils provoquaient beaucoup, mais beaucoup de colère –ou de ceux qui portaient le poids de leur culpabilité, des fautes ou des erreurs comme de prétenduspécheurs. Il le fait parce qu’il sait qu’au ciel il y a plus de joie pour un seul pécheur converti que pourquatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion (cf. Lc 15,7).

Tandis qu’ils se contentaient seulement de murmurer ou de s’indigner, entravant et fermant ainsi toute forme de changement, de conversion et d’insertion, Jésus s’approche, se compromet, ilmet en jeu sa réputation et il invite toujours à regarder un horizon capable de renouveler la vie etl’histoire. Deux regards bien différents qui s’opposent. Une regard stérile et improductif – celui de la médisance et du commérage – et l’autre qui invite à la transformation et à la conversion – celui du Seigneur.

Le regard de la médisance et du commérage

Beaucoup ne tolèrent pas et n’aiment pas ce choix de Jésus, bien plus, entre les dents au débutet avec des cris à la fin, ils expriment leur mécontentement en cherchant à discréditer soncomportement et celui de tous ceux qui sont avec lui. Ils n’acceptent pas et ils rejettent ce choix d’être proche et d’offrir de nouvelles opportunités. Avec la vie des gens, il semble plus facile de mettre despancartes et des étiquettes qui figent et stigmatisent non seulement le passé mais aussi le présent etl’avenir des personnes. Etiquettes qui, en définitive, ne font que diviser : ici il y a les bons et là-bas les mauvais ; ici les justes et là-bas les pécheurs.

Cette attitude pollue tout parce qu’elle élève un mur invisible qui laisse croire qu’enmarginalisant, en séparant, ou en isolant, se résoudront magiquement tous les problèmes. Et quandune société ou une communauté se permet cela et que tout ce qu’elle fait, c’est murmurer et chuchoter,elle entre dans un cercle vicieux de divisions, de récriminations et de condamnations ; elle entre dansune attitude sociale de marginalisation, d’exclusion et de confrontation qui lui fait dire, de manièreirresponsable, comme Caïphe : « il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas » (Jn 11,50). Et normalement le fil se coupe par la partie la plus ténue : celle des plus fragiles et des sans-défense.

Quelle douleur on peut voir quand une société concentre ses énergies plus à murmurer et às’indigner qu’à lutter et lutter pour créer des opportunités et pour transformer.

Le regard de la conversion

En revanche, tout l’Évangile est marqué par cet autre regard qui n’est rien de plus et rien de moins que celui qui naît du cœur de Dieu. Le Seigneur veut faire la fête quand il voit ses enfants qui reviennent à la maison (cf. Lc 15,11-32). Ainsi Jésus a témoigné de cela, en manifestant jusqu’à l’extrême l’amour miséricordieux du Père. Un amour qui n’a pas le temps de murmurer, mais quicherche à briser le cercle de la critique inutile et indifférente, neutre et impartiale et qui assume la complexité de la vie et de chaque situation ; un amour qui inaugure une dynamique capable d’offrir des chemins et des opportunités d’intégration et de transformation, de guérison et de pardon, deschemins de salut. En mangeant avec les publicains et les pécheurs, Jésus brise la logique qui sépare, qui exclut, qui isole et qui divise faussement entre « bons et mauvais ». Et il ne le fait pas par décret ou avec de bonnes intentions, encore moins par volontarisme ou par sentimentalisme, il le fait en créant des relations capables de favoriser de nouveaux processus ; en misant sur chaque pas possible et en le célébrant.

Il rompt ainsi également avec une autre médisance tout à fait facile à détecter et qui « détruitles rêves » parce qu’elle répète comme un chuchotement continu : tu ne vas pas pouvoir, tu ne vas paspouvoir. C’est le murmure intérieur qui surgit en celui qui, ayant pleuré son péché et conscient de son erreur, ne croit pas qu’il peut changer. C’est quand on croit intérieurement que celui qui est né »publicain » doit mourir « publicain » ; et ce n’est pas vrai.

Chers amis : chacun de nous est beaucoup plus que ses étiquettes. C’est ce que Jésus nousenseigne et nous invite à croire. Son regard nous défie de demander et de chercher de l’aide pouremprunter les chemins du perfectionnement. Il y a des temps où la médisance semble gagner, maisne la croyez pas, ne l’écoutez pas. Cherchez et écoutez les voix qui encouragent à regarder vers l’avenir et non pas celles qui vous tirent vers le bas.

La joie et l’espérance du chrétien – de nous tous et également du Pape – naissent d’avoir fait l’expérience un jour de ce regard de Dieu qui nous dit : tu fais partie de ma famille et je ne peux pas te laisser à l’extérieur, je ne peux pas te perdre en chemin, je suis ici avec toi. Ici ? Oui, ici. C’est d’avoir ressenti comme tu l’as partagé, Luis, que dans ces moments où il semblait que tout était fini, quelque chose t’a dit : Non ! Tout n’est pas fini, parce que tu as un grand objectif qui te permet decomprendre que Dieu le Père était et est avec nous tous et qu’il nous offre des personnes aveclesquelles cheminer et qui nous aident à atteindre de nouveaux objectifs.

Et ainsi Jésus transforme la médisance en fête et il nous dit : « Réjouissez-vous avec moi ! ».

Frères : vous faites partie de la famille, vous avez beaucoup à partager, aidez-nous à savoirquelle est la meilleure manière de trouver et d’accompagner le processus de conversion dont, en tantque famille, nous avons tous besoin.

Une société tombe malade quand elle n’est plus capable de faire la fête pour la conversion deses enfants, une communauté tombe malade quand elle vit de la médisance étouffante, condamnatoire et insensible. Une société est féconde quand elle réussit à engendrer des dynamiques capablesd’inclure et d’intégrer, de prendre en charge et de lutter pour créer des opportunités et des alternatives qui donnent de nouvelles possibilités à ses enfants, quand elle s’emploie à créer un avenir par lacommunauté, l’éducation et le travail. Et si l’on peut éprouver l’impuissance de ne pas savoir comment, on n’abandonne pas et on essaie à nouveau. Tous nous devons nous entraider, en communauté, pour apprendre à trouver ces chemins. C’est une alliance que nous devons nous encourager à réaliser : vous, les jeunes, les responsables de la prison et les autorités du Centre et du Ministère, et vos familles, ainsi que les agents pastoraux. Tous, battez-vous et battez-vous pour chercher et trouver les chemins de l’insertion et de la transformation. Cela le Seigneur le bénit, le soutient et l’accompagne.

Dans un instant, nous continuerons avec la célébration pénitentielle où tous nous pourronsfaire l’expérience du regard du Seigneur, qui ne voit pas une étiquette ni une condamnation, mais quivoit ses enfants. Regard de Dieu qui dément l’exclusion et nous donne la force pour créer ces alliancesnécessaires qui nous aident tous à réfuter les médisances, alliances fraternelles qui permettent que nos vies soient toujours une invitation à la joie du salut.

[00114-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Messe pour les vocations sacerdotales de l’Archidiocèse de Montréal sur S+L

En EXCLUSIVITÉ sur les ondes de Sel et Lumière, voyez EN DIRECT la télé diffusion de la Messe pour les vocations sacerdotales de l’Archidiocèse de Montréal le vendredi 8 février prochain à 19h30. Cette Messe célébrée à la magnifique chapelle du Grand Séminaire de Montréal sera présidée par S.Exc. Mgr Christian Lépine, archevêque de Montréal. L’animation de cette Messe est confiée aux communautés présentent sur le territoire de l’Archidiocèse de Montréal ainsi qu’aux séminaristes étudiants au Grand Séminaire de Montréal.

Veuillez noter que cette Messe sera également disponible en direct sur la chaîne web de Sel et Lumière dès 19h30. Un rendez-vous à ne pas manquer!

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