Fratelli tutti: une encyclique sociale pour le XXIe siècle

(photo: courtoisie Pixabay) Dimanche dernier 4 octobre 2020, le pape François publiait sa troisième encyclique. Intitulé « Fratelli tutti », ce document se veut un appel à l’engagement de tous en faveur d’un monde plus fraternel afin qu’« en reconnaissant la dignité de chaque personne humaine, nous puissions tous ensemble faire renaître un désir universel d’humanité » (no 8).D’une centaine de pages, cette lettre touche une variété de thèmes allant de la politique internationale aux enjeux locaux, de l’environnement à la justice sociale, de l’éthique à la religion en passant par les nombreux défis actuels empêchant la réalisation d’un monde plus ouvert où tous ont leur place. Bref, cette encyclique, que plusieurs ont qualifiée de « politique », donne aux catholiques et à toute personne des moyens pour surmonter les différentes impasses auxquelles notre monde se trouve actuellement confronté.

Une pensée propre et originale

Ce n’est pas nouveau, la sortie d’une encyclique génère toujours de vives réactions. Fort heureusement, pourrions-nous dire, puisque personne ne devrait être indifférent aux thèmes abordés par le Pape. Fait marquant de ce document : l’abondance des références à ses discours antérieurs. Parmi ces nombreuses citations se trouvent notamment des allusions aux discours prononcées lors de ses voyages apostoliques ; comme si le pape avait senti le besoin d’offrir un résumé ou un « compendium » de ses enseignements ; comme s’il avait voulu offrir à l’Église universelle les fruits de ses réflexions issus de ses discours adressées d’abord à aux églises particulières. Cette méthode, ce passage du particulier vers l’universel n’est-il pas la démarche même à laquelle l’évêque de Rome nous convie. Comme catholiques, ne sommes-nous pas appelés à incarner et à faire fructifier cette tension inhérente à notre condition de croyants ? À mettre en lumière la complémentarité entre notre attachement pour nos racines et la reconnaissance de la valeur de ce qui est cher à nos frères et sœurs en humanité ?

C’est ainsi que l’encyclique nous invite à une prise de conscience fondamentale. En tant que pèlerin universel, le Pape nous manifeste l’esprit qui doit animer l’ensemble de nos engagements actuels à tous les niveaux : « L’amour qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons « l’amitié sociale » » (no 99). Ainsi, cherchant à comprendre la complexité des enjeux et des différentes peurs qui animent toute société, on retrouve dans ce texte toute la hauteur requise au déploiement de cet esprit. Évitant soigneusement cette « habitude de disqualifier instantanément l’adversaire en lui appliquant des termes humiliants prévaut, en lieu et place d’un dialogue ouvert et respectueux visant une synthèse supérieure. » (no 201), le pape nous invite à une double rencontre. Rencontre avec soi et l’héritage de nos cultures propres et rencontre avec l’autre par la reconnaissance de la beauté et de la grandeur de ce qui lui est cher ; de ce qui peut être pour moi aussi le témoignage d’un patrimoine humain commun. Ainsi, puisque « Je ne rencontre pas l’autre si je ne possède pas un substrat dans lequel je suis ancré et enraciné, car c’est de là que je peux accueillir le don de l’autre et lui offrir quelque chose d’authentique » (no 143), le Pape exhorte à redécouvrir les deux dimensions de nos identités : locale et universelle.

Par exemple, devant une « histoire [qui]est en train de donner des signes de recul » (no 11), le Pape insiste sur l’importance de ne pas abandonner certains concepts qui, parce qu’utilisés à mauvais escient, risquent de faire disparaître du langage de précieuses réalités telles que la « démocratie » (no 157). En effet, « Un moyen efficace de liquéfier la conscience historique, la pensée critique, la lutte pour la justice ainsi que les voies d’intégration consiste à vider de leur sens ou à instrumentaliser les mots importants (no14). Ainsi, bien que s’insérant dans un débat qui anime l’ensemble de nos sociétés, le Pape ne laisse que peu de place, comme certains le prétendent, à la récupération idéologique.

Une pensée politique mais transpartisanne

Une des grandes originalités de cette encyclique se trouve dans la posture que le Pape discerne quant à au rôle socio-politique que l’Église universelle est appelé à jouer. Plus qu’une simple « observatrice », l’Église cherche à s’engager en participant par le dialogue aux grandes décisions sociales et éthiques de notre temps. De plus, les principes contenus dans cette encyclique pourraient susciter l’émergence d’initiatives aussi importantes que créatrices de ponts entre les pays et, ainsi, donner un nouveau souffre au rôle diplomatique du Saint-Siège. Comme le dit François :

« L’Église n’entend pas revendiquer des pouvoirs temporels mais s’offrir comme « une famille parmi les familles, – c’est cela, l’Église – ouverte pour témoigner au monde d’aujourd’hui de la foi, de l’espérance et de l’amour envers le Seigneur et envers ceux qu’il aime avec prédilection » (no.276) »

Comme institution universelle, le Pape et le Saint-Siège, sans « faire de la politique partisane, qui revient aux laïcs » (no 276), se présente comme un lieu où, par la neutralité que lui offre la liberté évangélique, où ces dernières pourraient être librement discutées. Par son identité forte qui rend possible « le difficile effort de dépasser ce qui nous divise sans perdre l’identité personnelle » (no 230) l’Église a toutes les conditions pour jouer un rôle qui, prochainement, pourrait s’incarner dans une sorte de « Davos politico-religieux ». Le Vatican pourrait être un lieu où chaque nation, ONG et traditions religieuses pourraient s’exprimer sur les grandes questions dans un cadre où les références à la transcendance seraient audibles. Ainsi, « S’il n’existe pas de vérité transcendante, par l’obéissance à laquelle l’homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n’existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes » (no 273), un lieu de dialogue international dépassant le cadre strictement politique tout en étant ouvert aux traditions religieuses et cultures éthiques est plus que jamais nécessaire. Cette encyclique ouvre la voie à ce type d’initiative.

Plaidoyer pour un nouveau dynamisme

Alors que les prochaines semaines seront le lieu de conversations et de débats sur les enseignements présents dans l’encyclique « Fratelli tutti » du pape François, il est important que l’ensemble des catholiques lisent et s’imprègnent des principes explicités dans ce document. Bien que s’adressant à toute personne, la responsabilité de la mise en application revient d’abord à ceux qui, par la grâce et la lumière de la Foi, sont en mesure de reconnaître l’origine et la fin de ces principes.

J’en profite également pour vous inviter à syntoniser Sel + Lumière dimanche prochain 11 octobre à 19 h 30 pour l’émission spéciale « Appelés à la fraternité : discussion sur l’encyclique « Fratelli tutti » ainsi qu’au Balado « Parrêsia » où j’aurai un entretien avec le père Jean-Marc Barreau, théologien et spécialiste du pontificat du pape François.

Homélie du pape François pour le dimanche de la Divine Miséricorde

(CNS photo/Vatican Media) Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du pape François pour le Dimanche de la Miséricorde et telle que prononcée lors de la Messe célébrée en l’église du Saint-Esprit à proximité du Vatican:

Dimanche dernier, nous avons célébré la résurrection du Maître. Aujourd’hui, nous assistonsà la résurrection du disciple. Une semaine s’est écoulée, une semaine que les disciples, bien qu’ayantvu le Ressuscité, ont passée dans la peur, « les portes verrouillées » (Jn 20, 26), sans même réussir àconvaincre de la résurrection l’unique absent, Thomas. Que fait Jésus face à cette incrédulité craintive ? Il revient, il se met dans la même position, « au milieu » des disciples et répète la même salutation : « La paix soit avec vous !» (Jn 20, 19.26). Il recommence tout depuis le début. La résurrection du disciple commence ici, à partir de cette miséricorde fidèle et patiente, à partir de la découverte que Dieu ne se lasse pas de nous tendre la main pour nous relever de nos chutes. Il veut que nous le voyions ainsi : non pas comme un patron à qui nous devons rendre des comptes, mais comme notre Papa qui nous relève toujours. Dans la vie, nous avançons à tâtons, comme un enfant qui commence à marcher mais qui tombe. Quelques pas et il tombe encore ; il tombe et retombe, et chaque fois le papa le relève. La main qui nous relève est toujours la miséricorde : Dieu sait que sansmiséricorde, nous restons à terre, que pour marcher, nous avons besoin d’être remis debout.

Et tu peux objecter : ‘‘Mais je ne cesse jamais de tomber !’’. Le Seigneur le sait et il est toujours prêt à te relever. Il ne veut pas que nous repensions sans arrêt à nos chutes, mais que nous le regardions lui qui, dans les chutes, voit des enfants à relever, dans les misères voit des enfants à aimeravec miséricorde. Aujourd’hui, dans cette église devenue sanctuaire de la miséricorde à Rome, en ce dimanche que saint Jean-Paul II a consacré à la Miséricorde Divine il y a vingt ans, accueillons avec confiance ce message. Jésus a dit à sainte Faustine : « Je suis l’amour et la miséricorde même ; il n’estpas de misère qui puisse se mesurer avec ma miséricorde » (Journal, 14 septembre 1937). Une fois,la Sainte a dit à Jésus, avec satisfaction, d’avoir offert toute sa vie, tout ce qu’elle possédait. Mais la réponse de Jésus l’a bouleversée : « Tu ne m’as pas offert ce qui t’appartient vraiment ». Qu’est-ce que cette sainte religieuse avait gardé pour elle ? Jésus « lui dit avec douceur » : ‘‘Ma fille, donne- moi ta misère’’ » (10 octobre 1937). Nous aussi, nous pouvons nous demander : ‘‘Ai-je donné ma misère au Seigneur ? Lui ai-je montré mes chutes afin qu’il me relève ?’’ Ou alors il y a quelquechose que je garde encore pour moi ? Un péché, un remords concernant le passé, une blessure quej’ai en moi, une rancœur envers quelqu’un, une idée sur une certaine personne… Le Seigneur attendque nous lui apportions nos misères, pour nous faire découvrir sa miséricorde.

Revenons aux disciples ! Ils avaient abandonné le Seigneur durant la passion et ils se sentaient coupables. Mais Jésus, en les rencontrant, ne fait pas de longues prédications. À eux qui étaientblessés intérieurement, il montre ses plaies. Thomas peut les toucher et il découvre l’amour ; ildécouvre combien Jésus avait souffert pour lui qui l’avait abandonné. Dans ces blessures, il touche du doigt la proximité amoureuse de Dieu. Thomas, qui était arrivé en retard, quand il embrasse la miséricorde, dépasse les autres disciples : il ne croit pas seulement à la résurrection, mais à l’amoursans limites de Dieu. Et il se livre à la confession de foi la plus simple et la plus belle : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (v. 28). Voilà la résurrection du disciple : elle s’accomplit quand son humanité fragileet blessée entre dans celle de Jésus. Là, les doutes se dissipent, là Dieu devient mon Dieu, là onrecommence à s’accepter soi-même et à aimer sa propre vie.

Chers frères et sœurs, dans l’épreuve que nous sommes en train de traverser, nous aussi,comme Thomas, avec nos craintes et nos doutes, nous nous sommes retrouvés fragiles. Nous avons besoin du Seigneur, qui voit en nous, au-delà de nos fragilités, une beauté indélébile. Avec lui, nous nous redécouvrons précieux dans nos fragilités. Nous découvrons que nous sommes comme de très beaux cristaux, fragiles et en même temps précieux. Et si, comme le cristal, nous sommes transparents devant lui, sa lumière, la lumière de la miséricorde, brille en nous, et à travers nous, dans le monde.Voilà pourquoi il nous faut, comme nous l’a dit la Lettre de Pierre, exulter de joie, même si nousdevons être affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves (cf. 1P 1, 6).

En cette fête de la Miséricorde Divine, la plus belle annonce se réalise par l’intermédiaire dudisciple arrivé en retard. Manquait seul lui, Thomas. Mais le Seigneur l’a attendu. Sa miséricorde n’abandonne pas celui qui reste en arrière. Maintenant, alors que nous pensons à une lente et péniblerécupération suite à la pandémie, menace précisément ce danger : oublier celui qui est resté en arrière.Le risque, c’est que nous infecte un virus pire encore, celui de l’égoïsme indifférent. Il se transmet àpartir de l’idée que la vie s’améliore si cela va mieux pour moi, que tout ira bien si tout ira bien pourmoi. On part de là et on en arrive à sélectionner les personnes, à écarter les pauvres, à immoler surl’autel du progrès celui qui est en arrière. Cette pandémie nous rappelle cependant qu’il n’y a nidifférences ni frontières entre ceux qui souffrent. Nous sommes tous fragiles, tous égaux, tous précieux. Ce qui est en train de se passer nous secoue intérieurement : c’est le temps de supprimer lesinégalités, de remédier à l’injustice qui mine à la racine la santé de l’humanité tout entière ! Mettons-nous à l’école de la communauté chrétienne des origines, décrite dans le livre des Actes des Apôtres ! Elle avait reçu miséricorde et vivait la miséricorde : « Tous les croyants vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient le produit entre tous en fonction des besoins de chacun » (Ac 2, 44-45). Ce n’est pas une idéologie, c’est lechristianisme.

Dans cette communauté, après la résurrection de Jésus, un seul était resté en arrière et lesautres l’ont attendu. Aujourd’hui, c’est le contraire qui semble se passer : une petite partie del’humanité est allée de l’avant, tandis que la majorité est restée en arrière. Et chacun pourrait dire : « Ce sont des problèmes complexes, il ne me revient pas de prendre soin des personnes dans le besoin,d’autres doivent y penser !’’. Sainte Faustine, après avoir rencontré Jésus, a écrit : « Dans une âmesouffrante, nous devons voir Jésus crucifié et non un parasite et un poids… [Seigneur], tu nous donnes la possibilité de pratiquer les œuvres de miséricorde et nous nous livrons à des jugements » (Journal, 6 septembre 1937). Cependant, elle-même s’est plainte un jour à Jésus qu’en étant miséricordieux onpasse pour un naïf. Elle a dit : « Seigneur, on abuse souvent de ma bonté ». Et Jésus a répondu : « Peu importe, ma fille, ne t’en soucie pas, toi, sois toujours miséricordieuse envers tout le monde » (24 décembre 1937). Envers tous : ne pensons pas uniquement à nos intérêts, aux intérêts partisans.Saisissons cette épreuve comme une occasion pour préparer l’avenir de tous. En effet, sans une visiond’ensemble, il n’y aura d’avenir pour personne.

Aujourd’hui, l’amour désarmé et désarmant de Jésus ressuscite le cœur du disciple. Nous aussi, comme l’apôtre Thomas, accueillons la miséricorde, salut du monde. Et soyons miséricordieux envers celui qui est plus faible : ce n’est qu’ainsi que nous construirons un monde nouveau.

[00512-FR.01] [Texte original: Italien]

Message Urbi et Orbi du pape François pour le Dimanche de Pâques

(Photos: Vatican Media) Vous trouverez ci-dessous le texte du Message Urbi et Orbi du pape François pour Pâques tel que prononcé lors de la célébration eucharistique en la Basilique vaticane en ce dimanche 12 avril 2020.

Chers frères et sœurs, bonne fête de Pâques !

Aujourd’hui retentit dans le monde entier l’annonce de l’Eglise: “Jésus Christ est ressuscité ! ” – “ Il est vraiment ressuscité !”.
Comme une nouvelle flamme, cette Bonne Nouvelle s’est allumée dans la nuit : la nuit d’un monde déjà aux prises avec des défis du moment et maintenant opprimé par la pandémie, qui met à dure épreuve notre grande famille humaine. En cette nuit la voix de l’Eglise a résonné : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » (Séquence pascale).

C’est une autre “contagion”, qui se transmet de cœur à cœur – parce que tout cœur humain attend cette Bonne Nouvelle. C’est la contagion de l’espérance : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » Il ne s’agit pas d’une formule magique, qui fait s’évanouir les problèmes. Non, la résurrection du Christ n’est pas cela. Elle est au contraire la victoire de l’amour sur la racine du mal, une victoire qui “ n’enjambe pas” la souffrance et la mort, mais les traverse en ouvrant une route dans l’abime, transformant le mal en bien : marque exclusive de la puissance de Dieu.

Le Ressuscité est le Crucifié, pas un autre. Dans son corps glorieux il porte, indélébiles, les plaies : blessures devenues fissures d’espérance. Nous tournons notre regard vers lui pour qu’il guérisse les blessures de l’humanité accablée.

Aujourd’hui ma pensée va surtout à tous ceux qui ont été frappés directement par le coronavirus : aux malades, à ceux qui sont morts et aux familles qui pleurent la disparition de leurs proches, auxquels parfois elles n’ont même pas pu dire un dernier au revoir. Que le Seigneur de la vie accueille avec lui dans son royaume les défunts et qu’il donne réconfort et espérance à ceux qui sont encore dans l’épreuve, spécialement aux personnes âgées et aux personnes seules. Que sa consolation ne manque pas, ni les aides nécessaires à ceux qui se trouvent dans des conditions de vulnérabilité particulière, comme ceux qui travaillent dans les maisons de santé, ou qui vivent dans les casernes et dans les prisons. Pour beaucoup, c’est une Pâques de solitude, vécue dans les deuils et les nombreuses difficultés que la pandémie provoque, des souffrances physiques aux problèmes économiques.

Cette maladie ne nous a pas privé seulement des affections, mais aussi de la possibilité d’avoir recours en personne à la consolation qui jaillit des Sacrements, spécialement de l’Eucharistie et de la Réconciliation. Dans de nombreux pays il n’a pas été possible de s’approcher d’eux, mais le Seigneur ne nous a pas laissés seuls ! Restant unis dans la prière, nous sommes certains qu’il a mis sa main sur nous (cf. Ps 138, 5), nous répétant avec force : ne crains pas, « je suis ressuscité et je suis toujours avec toi » (cf. Missel romain) !

Que Jésus, notre Pâque, donne force et espérance aux médecins et aux infirmiers, qui partout offrent au prochain un témoignage d’attention et d’amour jusqu’à l’extrême de leurs forces et souvent au sacrifice de leur propre santé. A eux, comme aussi à ceux qui travaillent assidument pour garantir les services essentiels nécessaires à la cohabitation civile, aux forces de l’ordre et aux militaires qui en de nombreux pays ont contribué à alléger les difficultés et les souffrances de la population, va notre pensée affectueuse, avec notre gratitude.

Au cours de ces semaines, la vie de millions de personnes a changé à l’improviste. Pour beaucoup, rester à la maison a été une occasion pour réfléchir, pour arrêter les rythmes frénétiques de la vie, pour être avec ses proches et jouir de leur compagnie. Pour beaucoup cependant c’est aussi un temps de préoccupation pour l’avenir qui se présente incertain, pour le travail que l’on risque de perdre et pour les autres conséquences que la crise actuelle porte avec elle. J’encourage tous ceux qui ont des responsabilités politiques à s’employer activement en faveur du bien commun des citoyens, fournissant les moyens et les instruments nécessaires pour permettre à tous de mener une vie digne et pour favoriser, quand les circonstances le permettront, la reprise des activités quotidiennes habituelles.

Ce temps n’est pas le temps de l’indifférence, parce que tout le monde souffre et tous doivent se retrouver unis pour affronter la pandémie. Jésus ressuscité donne espérance à tous les pauvres, à tous ceux qui vivent dans les périphéries, aux réfugiés et aux sans-abri. Que ces frères et sœurs plus faibles, qui peuplent les villes et les périphéries de toutes les parties du monde, ne soient pas laissés seuls. Ne les laissons pas manquer des biens de première nécessité, plus difficiles à trouver maintenant alors que beaucoup d’activités sont arrêtées, ainsi que les médicaments et, surtout, la possibilité d’une assistance sanitaire convenable. En considération des circonstances, que soient relâchées aussi les sanctions internationales qui empêchent aux pays qui en sont l’objet de fournir un soutien convenable à leurs citoyens, et que tous les Etats se mettent en condition de faire front aux nécessités majeures du moment, en réduisant, si non carrément en remettant, la dette qui pèse sur les budgets des plus pauvres.
Ce temps n’est pas le temps des égoïsmes, parce que le défi que nous affrontons nous unit tous et ne fait pas de différence entre les personnes. Parmi les nombreuses régions du monde frappées par le coronavirus, j’adresse une pensée spéciale à l’Europe. Après la deuxième guerre mondiale, ce continent bien-aimé a pu renaître grâce à un esprit concret de solidarité qui lui a permis de dépasser les rivalités du passé. Il est plus que jamais urgent, surtout dans les circonstances actuelles, que ces rivalités ne reprennent pas vigueur, mais que tous se reconnaissent membres d’une unique famille et se soutiennent réciproquement. Aujourd’hui, l’Union Européenne fait face au défi du moment dont dépendra, non seulement son avenir, mais celui du monde entier. Que ne se soit pas perdue l’occasion de donner une nouvelle preuve de solidarité, même en recourant à des solutions innovatrices. L’alternative est seulement l’égoïsme des intérêts particuliers et la tentation d’un retour au passé, avec le risque de mettre à dure épreuve la cohabitation pacifique et le développement des prochaines générations.

Ce temps n’est pas le temps des divisions. Que le Christ notre paix éclaire tous ceux qui ont des responsabilités dans les conflits, pour qu’ils aient le courage d’adhérer à l’appel pour un cessez le feu mondial et immédiat dans toutes les régions du monde. Ce n’est pas le temps de continuer à fabriquer et à trafiquer des armes, dépensant des capitaux énormes qui devraient être utilisés pour soigner les personnes et sauver des vies. Que ce soit au contraire le temps de mettre finalement un terme à la longue guerre qui a ensanglanté la Syrie, au conflit au Yémen et aux tensions en Irak, comme aussi au Liban. Que ce temps soit le temps où Israéliens et Palestiniens reprennent le dialogue, pour trouver une solution stable et durable qui permette à tous deux de vivre en paix. Que cessent les souffrances de la population qui vit dans les régions orientales de l’Ukraine. Que soit mis fin aux attaques terroristes perpétrées contre tant de personnes innocentes en divers pays de l’Afrique.

Ce temps n’est pas le temps de l’oubli. Que la crise que nous affrontons ne nous fasse pas oublier tant d’autres urgences qui portent avec elles les souffrances de nombreuses personnes. Que le Seigneur de la vie se montre proche des populations en Asie et en Afrique qui traversent de graves crises humanitaires, comme dans la région de Cabo Delgado, au nord du Mozambique. Qu’il réchauffe le cœur des nombreuses personnes réfugiées et déplacées, à cause de guerres, de sécheresse et de famine. Qu’il donne protection aux nombreux migrants et réfugiés, beaucoup d’entre eux sont des enfants, qui vivent dans des conditions insupportables, spécialement en Libye et aux frontières entre la Grèce et la Turquie. Qu’il permette au Vénézuela d’arriver à des solutions concrètes et immédiates pour accorder l’aide internationale à la population qui souffre à cause de la grave conjoncture politique, socio-économique et sanitaire.

Chers frères et sœurs,
indifférence, égoïsme, division, oubli ne sont pas vraiment les paroles que nous voulons
entendre en ce temps. Nous voulons les bannir en tout temps ! Elles semblent prévaloir quand la peur et la mort sont victorieuses en nous, c’est-à-dire lorsque nous ne laissons pas le Seigneur Jésus vaincre dans notre cœur et dans notre vie. Lui, qui a déjà détruit la mort nous ouvrant le chemin du salut éternel, qu’il disperse les ténèbres de notre pauvre humanité et nous introduise dans son jour glorieux qui ne connaît pas de déclin.

[00485-FR.01] [Texte original: Italien, courtoisie de Libreria éditrice Vaticana]

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Vendredi Saint 2020 : Homélie lors de la Passion du Seigneur à la basilique Saint-Pierre de Rome

Le pape François préside la liturgie du Vendredi Saint de la Passion du Seigneur le 10 avril 2020, à l’autel de la chaire de la basilique Saint-Pierre au Vatican. (CNS photo/Andrew Medichini, pool via Reuters)

Homélie du père Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale

Célébration de la Passion du Seigneur 

Vendredi 10 avril 2020

 

« J’AI DES PENSÉES DE PAIX, ET NON DE MALHEUR »

Saint Grégoire le Grand disait que l’Écriture cum legentibus crescit, c’est-à-dire grandit avec ceux qui la lisent[1]. Elle continue de révéler de nouvelles significations à l’homme selon les questions qu’il porte dans son cœur quand il la lit. Et cette année, nous lisons le récit de la Passion avec une question – ou
plutôt avec un cri – dans le cœur, qui s’élève de partout sur la terre. Nous devons chercher à saisir la réponse que la parole de Dieu y apporte.

Ce que nous venons d’entendre est le récit du mal objectivement le plus grand jamais commis sur la terre. Et nous pouvons le regarder sous deux angles différents, soit en face, soit à l’arrière, c’est-à-dire sous l’angle de ses causes ou de ses effets. Si nous nous arrêtons aux causes historiques de la mort du Christ, nous sommes troublés et chacun serait tenté de dire comme Pilate : « Je suis innocent du sang de cet homme[2] ». On comprend mieux la croix à ses effets qu’à ses causes. Et quels ont été les effets de la mort du Christ ? Nous avons été justifiés par la foi en lui, réconciliés et en paix avec Dieu, remplis de l’espérance de la vie éternelle ! (cf. Rom 5,1-5)

Mais il y a un effet que la situation actuelle nous aide à saisir de manière particulière. La croix du Christ a donné un nouveau sens à la douleur et à la souffrance humaines. À toute souffrance, physique et morale. Ce n’est plus une punition, une malédiction. Car elle a été rachetée à la racine depuis que le Fils de Dieu l’a prise sur lui. Quelle est la preuve la plus sûre que la boisson que l’on te tend n’est pas empoisonnée ? Que l’on boit à la même coupe devant toi. Ainsi, sur la croix, Dieu a bu, aux yeux de tous, le calice de douleur jusqu’à la lie. Il a montré par là qu’il n’est pas empoisonné, mais qu’au fond, on y trouve une perle.

Et pas seulement la douleur de ceux qui ont la foi, mais toute douleur humaine. Il est mort pour tous. « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, avait-il dit, j’attirerai à moi tous les hommes[3]. » Tous les hommes, pas seulement quelques-uns ! « Souffrir – écrivait saint Jean-Paul II de son lit d’hôpital après son attentat – signifie devenir particulièrement réceptif, particulièrement ouvert à l’action des forces salvifiques de Dieu offertes à l’humanité dans le Christ[4]. » Grâce à la croix du Christ, la souffrance est devenue elle aussi, à sa manière, une sorte de « sacrement universel de salut » pour le genre humain.

* * *

Quelle lumière tout cela jette-t-il sur la situation dramatique que traverse l’humanité ? Ici encore, plutôt que les causes, il nous faut regarder les effets. Non seulement les effets négatifs, dont nous entendons chaque jour le triste bulletin, mais aussi les effets positifs que seule une observation plus attentive nous aide à saisir.
La pandémie du Coronavirus nous a brutalement fait prendre conscience du danger le plus grand qui soit que les hommes et l’humanité ont toujours couru, celui de l’illusion de la toute-puissance. Nous avons l’occasion – a écrit un rabbin juif connu – de célébrer cette année un exode pascal très particulier, celui de « l’exil de la conscience » [5]. Il a suffi du plus petit et plus informe élément de la nature, un virus, pour nous rappeler que nous sommes mortels, que la puissance militaire et la technologie ne peuvent suffire à nous sauver. « L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant – dit un psaume de la Bible – ressemble au bétail qu’on abat[6]. » C’est vrai : l’homme dans la prospérité ne comprend pas.

Alors qu’il peignait les fresques de la cathédrale Saint-Paul à Londres, le peintre James Thornhill était si enthousiasmé par son travail que, revenant à un moment donné sur ses pas pour mieux admirer sa fresque, il ne remarqua pas qu’il était sur le point de tomber de l’échafaudage dans le vide. Un de ses assistants, terrifié, comprit que s’il criait, il ne ferait qu’accélérer la catastrophe. Sans y réfléchir à deux fois, il trempa un pinceau dans la couleur et le balança en plein sur la fresque. Le maître, sidéré, bondit en avant. Son travail était compromis, mais il était sauvé.

C’est ainsi parfois que Dieu fait avec nous, il bouleverse nos plans et notre tranquillité, pour nous sauver de l’abîme que nous ne voyons pas. Mais ne soyons pas dupes. Ce n’est pas Dieu qui a balancé le pinceau en plein sur le fresque éblouissant de notre civilisation technologique. Dieu est notre allié, pas celui du virus ! « Je forme à votre sujet des pensées de paix, et non de malheur », dit-il lui-même dans la Bible[7]. Si ces fléaux étaient des châtiments de Dieu, il ne serait pas expliqué pourquoi ils frappent également justes et pécheurs, et pourquoi les pauvres sont ceux qui en supportent les pires conséquences. Sont-ils plus pécheurs que les autres?
Non ! Celui qui a un jour pleuré la mort de Lazare pleure aujourd’hui le fléau qui est tombé sur l’humanité. Oui, Dieu « souffre », comme chaque père et chaque mère. Quand nous le découvrirons un jour, nous aurons honte de toutes les accusations que nous avons portées contre lui dans la vie. Dieu participe à notre douleur pour la surmonter. « Dieu – écrit saint Augustin – étant suprêmement bon, ne laisserait aucun mal exister dans ses œuvres, s’il n’était pas assez puissant et bon, pour tirer le bien du mal lui-même[8] ».

Dieu le Père a-t-il voulu lui-même la mort de son Fils, pour en tirer un bien ? Non, il a simplement laissé la liberté humaine suivre son cours, en lui faisant servir son plan, pas celui des hommes. Ceci s’applique également aux maux naturels, comme les tremblements de terre et les pestes. Ce n’est pas lui qui les suscite. Il a donné aussi à la nature une sorte de liberté, qualitativement différente certes de la liberté morale de l’homme, mais toujours une forme de liberté. Liberté d’évoluer selon ses lois de développement. Il n’a pas créé le monde comme une horloge programmée à l’avance dans son moindre mouvement. C’est ce que certains appellent le hasard, et que la Bible appelle plutôt « la sagesse de Dieu ».

* * *

L’autre fruit positif de cette crise sanitaire est le sentiment de solidarité. Quand, de mémoire d’homme, les gens de toutes les nations se sont-ils sentis aussi unis, aussi égaux, aussi peu querelleurs, qu’en ce moment de douleur ? Jamais comme aujourd’hui nous ne saisissons la vérité de ces mots d’un de nos grands poètes : « Hommes, paix ! Sur la terre écrasée le mystère est trop grand[9] ». Nous avons oublié les murs que nous voulions construire. Le virus ne connaît pas de frontières. En un instant, il a brisé toutes les barrières et distinctions : de race, de religion, de richesse, de pouvoir. Nous ne devrons pas revenir en arrière lorsque ce moment sera passé. Comme le Saint-Père nous y a exhortés, ne laissons pas passer en vain cette occasion. Ne permettons pas que toute cette souffrance, tous ces morts, tout cet engagement héroïque du personnel médical aient été vains. C’est la « récession » que nous devons
craindre le plus.

 

« De leurs épées, ils forgeront des socs,
et de leurs lances, des faucilles.
Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ;
ils n’apprendront plus la guerre[10]. »

 

Il est temps de réaliser quelque chose de cette prophétie d’Isaïe dont l’humanité attend depuis toujours l’accomplissement. Disons : assez ! à la tragique course aux armements. Dites-le de toutes vos forces, vous les jeunes, car c’est avant tout votre destin qui est en jeu. Attribuons les ressources illimitées utilisées pour les armements aux fins dont, dans ces situations, nous voyons le besoin et l’urgence : la santé, l’hygiène, l’alimentation, la lutte contre la pauvreté, le soin de la création. Laissons à la génération qui viendra un monde plus pauvre en choses et en argent, au besoin, mais plus riche en humanité.

* * *

La parole de Dieu nous dit quelle est la première chose que nous devons faire dans des moments comme ceux-ci : crier vers Dieu, car c’est lui-même qui met sur les lèvres des hommes les mots qu’ils lui adressent, parfois même des mots durs, de lamentation et presque d’accusation. « Debout ! Viens à notre aide ! Rachète-nous, au nom de ton amour. […] Ne nous rejette pas pour toujours[11]. » « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien[12] ? »

Peut-être Dieu aime-t-il se faire prier pour accorder ses bienfaits ? Peut-être notre prière peut-elle amener Dieu à changer ses plans ? Non, mais il y a des choses que Dieu a décidé de nous accorder comme fruit à la fois de sa grâce et de notre prière, comme pour partager avec ses créatures le mérite du bienfait reçu[13]. C’est lui qui nous exhorte à le faire : « Demandez, on vous donnera ; dit Jésus ; frappez, on vous ouvrira[14] ».

Lorsque, dans le désert, les Juifs étaient mordus par des serpents venimeux, Dieu ordonna à Moïse d’élever un serpent de bronze sur un poteau, et ceux qui le regardaient ne mouraient pas. Jésus s’est approprié ce symbole. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, dit-il à Nicodème, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle[15] ». Nous aussi, en ce moment, nous sommes mordus par un « serpent » venimeux invisible.

Regardons celui qui a été « élevé » pour nous sur la croix. Adorons-le pour nous et pour toute l’humanité. Qui le regarde avec foi ne meurt pas. Et s’il meurt, ce sera pour entrer dans une vie éternelle. « Après trois jours, je me lèverai », avait prédit Jésus.[16] Nous aussi, après ces jours que nous espérons courts, nous nous lèverons et sortirons des tombeaux que sont devenu nos maisons. Non pas pour revenir à l’ancienne vie comme Lazare, mais à une nouvelle vie, comme Jésus. Une vie plus fraternelle, plus humaine. Plus chrétienne!
_________________________
[1] Moralia in Job, XX,1.
[2] Mt 27, 24.
[3] Jn 12, 32.
[4] Salvifici doloris, n. 23
[5] https://blogs.timesofisrael.com/coronavirus-a-spiritual-message-from-brooklyn (Yaakov Yitzhak Biderman).
[6] Ps 48, 21.
[7] Jr 29, 11.
[8] Enchiridion, 11, 3 : PL 40, 236.
[9] G. Pascoli, I due fanciulli (Les deux enfants).
[10] Is 2, 4.
[11] Ps 43, 24.27.
[12] Mc 4, 38.
[13] Cf. S. Thomas d’Aquin, S.Th. II-IIae, q.83, a.2.
[14] Mt 7, 7.
[15] Jn 3, 14-15.
[16] Mt 9,31.

 

Source : l’Agence d’information internationale ZENIT.

Jeudi Saint 2020 : Homélie du pape François lors de la messe de la Cène

Le pape François célèbre la messe de la Cène le 9 avril 2020, dans la basilique Saint-Pierre au Vatican. (CNS photo/Vatican Media via Reuters)

Homélie de Sa Sainteté le pape François


Messe de la Cène
Jeudi 9 avril 2020

 

L’Eucharistie, le service, l’onction

La réalité que nous vivons aujourd’hui, en cette célébration: le Seigneur qui veut rester avec nous dans l’Eucharistie. Et nous devenons toujours davantage des tabernacles du Seigneur, nous portons le Seigneur avec nous, au point qu’il nous dit lui-même que si nous ne mangeons pas son corps et ne buvons pas son sang, nous n’entrerons pas dans le Royaume des Cieux. C’est le mystère du pain et du vin, du Seigneur avec nous, en nous, à l’intérieur de nous.

Le service. Ce geste qui est la condition pour entrer dans le Royaume des Cieux. Servir, oui, tous. Mais le Seigneur, dans cet échange de paroles qu’il a eu avec Pierre (cf. Jn 13, 6-9), lui fait comprendre que, pour entrer dans le Royaume des Cieux, nous devons permettre au Seigneur de nous servir, permettre que le Serviteur de Dieu soit notre serviteur. Et cela est difficile à comprendre. Si je ne permets pas que le Seigneur soit mon serviteur, que le Seigneur me lave, me fasse grandir, me pardonne, je n’entrerai pas dans le Royaume des Cieux.

Et le sacerdoce. Je voudrais aujourd’hui être proche des prêtres, de tous les prêtres, du dernier ordonné jusqu’au Pape. Nous sommes tous prêtres. Les évêques, tous… Nous sommes oints, oints par le Seigneur; oints pour faire l’Eucharistie, oints pour servir.

Aujourd’hui il n’y a pas la Messe Chrismale – j’espère que nous pourrons l’avoir avant la Pentecôte, autrement nous devrons la renvoyer à l’année prochaine -, mais je ne peux pas laisser passer cette Messe sans rappeler les prêtres. Les prêtres qui offrent leur vie pour le Seigneur, les prêtres qui sont des serviteurs. Ces jours-ci plus de 60 sont morts ici, en Italie, dans l’attention portée au malade dans les hôpitaux, avec les médecins, les infirmiers, les infirmières… Ils sont les “saints de la porte d’à côté”, des prêtres qui ont donné leur vie en servant. Et je pense à ceux qui sont loin. J’ai reçu aujourd’hui la lettre d’un prêtre, aumônier d’une prison lointaine, qui raconte comment il vit cette Semaine Sainte avec les détenus. Un franciscain. Des prêtres qui partent loin pour porter l’Evangile et qui meurent là. Un évêque disait que la première chose qu’il faisait, lorsqu’il arrivait dans un lieu de mission, c’était d’aller au cimetière, sur la tombe des prêtres qui ont laissé la vie, en raison des maladies du lieu: les prêtres anonymes. Les curés de campagne, qui sont curés de 4, 5, 7 villages, en montagne, et vont de l’un à l’autre, qui connaissent les gens… Une fois, l’un d’eux me disait qu’il connaissait le nom de tout le monde dans les villages. “Vraiment?” lui ai-je dit. Et lui m’a dit: “aussi le nom des chiens!”. Ils connaissent tout le monde. La proximité sacerdotale. Bons, bons prêtres.

Aujourd’hui, je vous porte dans mon cœur et je vous porte à l’autel. Prêtres calomniés. Cela arrive souvent aujourd’hui, ils ne peuvent pas aller dans la rue car on leur dit des méchancetés, à cause du drame que nous avons vécu dans la découverte des prêtres qui ont fait des choses horribles. Certains me disaient qu’ils ne peuvent pas sortir de chez eux en clergyman car ils se font insulter; et eux, continuent. Prêtres pécheurs, qui, avec les évêques et avec le Pape, pécheurs, n’oublient pas de demander pardon, et apprennent à pardonner, car ils savent qu’ils ont besoin de demander pardon et de pardonner. Nous sommes tous pécheurs. Prêtres qui souffrent des crises, qui ne savent que faire, qui sont dans l’obscurité…

Vous-tous, aujourd’hui, frères prêtres, vous êtes avec moi sur l’autel, vous qui êtes consacrés. Je vous dis une seule chose: se soyez pas entêtés comme Pierre. Laissez-vous laver les pieds. Le Seigneur est votre serviteur, il est proche de vous pour vous donner la force, pour vous laver les pieds.

Et ainsi, avec la conscience de cette nécessité d’être lavés, soyez de grands pardonneurs! Pardonnez! le cœur plein de générosité dans le pardon. C’est la mesure avec laquelle nous serons évalués. Comme tu as pardonné, tu seras pardonné: la même mesure. N’ayez pas peur de pardonner. Il y a parfois des doutes… regardez le Crucifié. Là se trouve le pardon de tous. Soyez courageux; également dans le risque de pardonner, pour consoler. Et si vous ne pouvez pas donner le pardon sacramentel à ce moment-là, donnez au moins la consolation d’un frère qui accompagne et qui laisse la porte ouverte afin que cette personne revienne.

Je remercie Dieu pour la grâce du sacerdoce; nous tous, remercions. Je remercie Dieu pour vous, prêtres. Jésus vous aime! Il veut seulement que vous vous laissiez laver les pieds.

 

Source : Libreria Editrice Vaticana (cliquez ici pour le texte original).

Message vidéo du Pape François à toutes les familles du monde en cette période de pandémie

Nous publions, ci-dessous, le texte complet du message vidéo que le Saint-Père a envoyé, à l’approche du début de la Semaine Sainte, en signe de proximité avec les familles italiennes et dans le monde entier en cette période de pandémie:

Chers amis, bonsoir!

Ce soir, j’ai la chance d’entrer chez vous d’une manière différente que d’habitude. Si vous me le permettez, j’aimerais parler avec vous quelques instants, en cette période de difficultés et de souffrances. Je vous imagine dans vos familles tout en vivant une vie inhabituelle pour éviter la contagion. Je pense à la vivacité des enfants et des jeunes, qui ne peuvent pas sortir, aller à l’école, faire leur vie. Je porte toutes les familles dans mon coeur, surtout celles qui ont un malade ou qui ont malheureusement connu le deuil dû au coronavirus ou à d’autres causes. Ces jours-ci, je pense aux gens seules, et pour lesquelles ce moment est difficile. Je pense surtout aux anciens, qui me sont si chers.

Je ne peux pas oublier les malades du coronavirus, les personnes hospitalisées. Je suis conscient de la générosité de ceux qui s’exposent pour soigner de la pandémie ou pour fournir des services essentiels à la société. Tant de héros, de tous les jours, de toutes les heures ! Je pense aussi à ceux qui ont des difficultés économiques précaire et qui s’inquiètent pour leur travail et leur avenir. Une pensée va également aux détenus dans les prisons, à la douleur desquels s’ajoute la peur de l’épidémie, pour eux-mêmes et leurs proches ; Je pense aux sans-abri, qui n’ont pas de maison pour les protéger.

C’est une période difficile pour tout le monde. Pour beaucoup, très difficile. Le pape le sait et, avec ces termes, il veut dire à tous sa proximité et son affection. Essayons, si nous le pouvons, de tirer le meilleur parti de ce temps : soyons généreux ; aidons ceux qui sont dans le besoin dans notre voisinage ; cherchons, par téléphone ou sur les réseaux sociaux, les personnes les plus seules ; prions le Seigneur pour les personnes éprouvées en Italie et dans le monde. Même si nous sommes isolés, la pensée et l’esprit peuvent aller loin avec la créativité de l’amour. Nous avons besoin aujourd’hui de la créativité de l’amour.

Nous célébrerons la Semaine Sainte de façon très inhabituelle, qui manifeste et résume le message de l’Évangile, celui de l’amour sans limites de Dieu. Et dans le silence de nos villes, l’Évangile de Pâques résonnera. L’apôtre Paul dit : « Il est mort pour tous, afin que les vivants n’aient plus leur vie centrée sur eux-mêmes, mais sur lui, qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). Dans le Jésus ressuscité, la vie a vaincu la mort. Cette foi pascale nourrit notre espoir. Je voudrais le partager avec vous ce soir. C’est l’espoir de temps meilleurs, où nous seront tous meilleurs, enfin libéré du mal et de cette pandémie. C’est un espoir : l’espoir ne déçoit pas ; ce n’est pas une illusion ; c’est un espoir.

Côte à côte, dans l’amour et la patience, nous pouvons ces jours-ci préparer des temps meilleurs. Merci de m’avoir permis d’entrer chez vous. Faites un geste de tendresse pour ceux qui souffrent, pour les enfants et pour les personnes âgées. Dites-leur que le Pape est proche d’eux et prie, pour que le Seigneur nous délivre bientôt du mal. Et vous, priez pour moi. Bon dîner. À bientôt !

Homélie du pape François lors de la bénédiction « Urbi et Orbi » contre le COVID-19

Vous trouverez ci-dessous l’homélie du Pape François telle que prononcée lors du moment de prière extraordinaire précédent la bénédiction « Urbi et Orbi » sur le parvis de la Basilique Saint-Pierre-de-Rome:

« Le soir venu » (Mc 4, 35). Ainsi commence l’Evangile que nous avons écouté. Depuis des semaines, la nuit semble tomber. D’épaisses ténèbres couvrent nos places, nos routes et nos villes ;elles se sont emparées de nos vies en remplissant tout d’un silence assourdissant et d’un vide désolant,qui paralyse tout sur son passage : cela se sent dans l’air, cela se ressent dans les gestes, les regards le disent. Nous nous retrouvons apeurés et perdus. Comme les disciples de l’Evangile, nous avons étépris au dépourvu par une tempête inattendue et furieuse. Nous nous nous rendons compte que nous nous trouvons dans la même barque, tous fragiles et désorientés, mais en même temps tous importants et nécessaires, tous appelés à ramer ensemble, tous ayant besoin de nous réconforter mutuellement.Dans cette barque… nous nous trouvons tous. Comme ces disciples qui parlent d’une seule voix et dans l’angoisse disent : « Nous sommes perdus » (v. 38), nous aussi, nous nous nous apercevons quenous ne pouvons pas aller de l’avant chacun tout seul, mais seulement ensemble.

Il est facile de nous retrouver dans ce récit. Ce qui est difficile, c’est de comprendre lecomportement de Jésus. Alors que les disciples sont naturellement inquiets et désespérés, il est àl’arrière, à l’endroit de la barque qui coulera en premier. Et que fait-il ? Malgré tout le bruit, il dort serein, confiant dans le Père – c’est la seule fois où, dans l’Evangile, nous voyons Jésus dormir –.Puis, quand il est réveillé, après avoir calmé le vent et les eaux, il s’adresse aux disciples sur un tonde reproche : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » (v. 40).

Cherchons à comprendre. En quoi consiste le manque de foi de la part des disciples, quis’oppose à la confiance de Jésus ? Ils n’avaient pas cessé de croire en lui. En effet, ils l’invoquent. Mais voyons comment ils l’invoquent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » (v. 38).Cela ne te fait rien : ils pensent que Jésus se désintéresse d’eux, qu’il ne se soucie pas d’eux. Entre nous, dans nos familles, l’une des choses qui fait le plus mal, c’est quand nous nous entendons dire :“Tu ne te soucies pas de moi ?”. C’est une phrase qui blesse et déclenche des tempêtes dans le cœur.Cela aura aussi touché Jésus, car lui, plus que personne, tient à nous. En effet, une fois invoqué, il sauve ses disciples découragés.

La tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. Elle nous démontre comment nous avons laissé endormi et abandonné ce qui alimente, soutient et donne force à notre vie ainsi qu’à notre communauté. La tempête révèle toutes les intentions d’“emballer” et d’oublier ce qui a nourri l’âme de nos peuples, toutes ces tentatives d’anesthésier avec des habitudes apparemment “salvatrices”, incapables de faire appel à nos racines et d’évoquer la mémoire de nos anciens, en nous privant ainsi de l’immunité nécessaire pour affronter l’adversité.

À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachionsnos “ego” toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette appartenance commune (bénie), à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Seigneur, ce soir, ta Parole nous touche et nous concerne tous. Dans notre monde, que tu aimes plus que nous, noussommes allés de l’avant à toute vitesse, en nous sentant forts et capables dans tous les domaines.Avides de gains, nous nous sommes laissé absorber par les choses et étourdir par la hâte. Nous ne nous sommes pas arrêtés face à tes rappels, nous ne nous sommes pas réveillés face à des guerres età des injustices planétaires, nous n’avons pas écouté le cri des pauvres et de notre planète gravementmalade. Nous avons continué notre route, imperturbables, en pensant rester toujours sains dans unmonde malade. Maintenant, alors que nous sommes dans une mer agitée, nous t’implorons :“Réveille-toi Seigneur !”.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Seigneur, tu nous adresses un appel, un appel à la foi qui ne consiste pas tant à croire que tu existes, mais à aller vers toi et à se fier à toi. Durant ce Carême, ton appel urgent résonne : “Convertissez-vous”, « Revenez àmoi de tout votre cœur » (Jl 2, 12). Tu nous invites à saisir ce temps d’épreuve comme un temps de choix. Ce n’est pas le temps de ton jugement, mais celui de notre jugement : le temps de choisir cequi importe et ce qui passe, de séparer ce qui est nécessaire de ce qui ne l’est pas. C’est le temps de réorienter la route de la vie vers toi, Seigneur, et vers les autres. Et nous pouvons voir de nombreuxcompagnons de voyage exemplaires qui, dans cette peur, ont réagi en donnant leur vie. C’est la force agissante de l’Esprit déversée et transformée en courageux et généreux dévouements. C’est la vie de l’Esprit capable de racheter, de valoriser et de montrer comment nos vies sont tissées et soutenues pardes personnes ordinaires, souvent oubliées, qui ne font pas la une des journaux et des revues nin’apparaissent dans les grands défilés du dernier show mais qui, sans aucun doute, sont en traind’écrire aujourd’hui les évènements décisifs de notre histoire : médecins, infirmiers et infirmières,employés de supermarchés, agents d’entretien, fournisseurs de soin à domicile, transporteurs, forcesde l’ordre, volontaires, prêtres, religieuses et tant et tant d’autres qui ont compris que personne ne sesauve tout seul. Face à la souffrance, où se mesure le vrai développement de nos peuples, nous découvrons et nous expérimentons la prière sacerdotale de Jésus : « Que tous soient un » (Jn 17, 21).Que de personnes font preuve chaque jour de patience et insuffle l’espérance, en veillant à ne pascréer la panique mais la coresponsabilité ! Que de pères, de mères, de grands-pères et de grands-mères, que d’enseignants montrent à nos enfants, par des gestes simples et quotidiens, comment affronter et traverser une crise en réadaptant les habitudes, en levant les regards et en stimulant la prière ! Que de personnes prient, offrent et intercèdent pour le bien de tous. La prière et le service discret : ce sont nos armes gagnantes !

« Pourquoi avez-vous peur ? N’avez-vous pas encore la foi ? ». Le début de la foi, c’est de savoir qu’on a besoin de salut. Nous ne sommes pas autosuffisants ; seuls, nous faisons naufrage : nous avons besoin du Seigneur, comme les anciens navigateurs, des étoiles. Invitons Jésus dans les barques de nos vies. Confions-lui nos peurs, pour qu’il puisse les vaincre. Comme les disciples, nousferons l’expérience qu’avec lui à bord, on ne fait pas naufrage. Car voici la force de Dieu : orienter vers le bien tout ce qui nous arrive, même les choses tristes. Il apporte la sérénité dans nos tempêtes, car avec Dieu la vie ne meurt jamais.

Le Seigneur nous interpelle et, au milieu de notre tempête, il nous invite à réveiller puis à activer la solidarité et l’espérance capables de donner stabilité, soutien et sens en ces heures où tout semble faire naufrage. Le Seigneur se réveille pour réveiller et raviver notre foi pascale. Nous avons une ancre : par sa croix, nous avons été sauvés. Nous avons un gouvernail : par sa croix, nous avons été rachetés. Nous avons une espérance : par sa croix, nous avons été rénovés et embrassés afin que rien ni personne ne nous sépare de son amour rédempteur. Dans l’isolement où nous souffrons du manque d’affections et de rencontres, en faisant l’expérience du manque de beaucoup de choses, écoutons une fois encore l’annonce qui nous sauve : il est ressuscité et vit à nos côtés. Le Seigneur nous exhorte de sa croix à retrouver la vie qui nous attend, à regarder vers ceux qui nous sollicitent,à renforcer, reconnaître et stimuler la grâce qui nous habite. N’éteignons pas la flamme qui faiblit (cf.Is 42, 3) qui ne s’altère jamais, et laissons-la rallumer l’espérance.

Embrasser la croix, c’est trouver le courage d’embrasser toutes les contrariétés du temps présent, en abandonnant un moment notre soif de toute puissance et de possession, pour faire place à la créativité que seul l’Esprit est capable de susciter. C’est trouver le courage d’ouvrir des espaces où tous peuvent se sentir appelés, et permettre de nouvelles formes d’hospitalité et de fraternité ainsi quede solidarité. Par sa croix, nous avons été sauvés pour accueillir l’espérance et permettre que ce soitelle qui renforce et soutienne toutes les mesures et toutes les pistes possibles qui puissent aider à nouspréserver et à sauvegarder. Étreindre le Seigneur pour embrasser l’espérance, voilà la force de la foi, qui libère de la peur et donne de l’espérance.

« Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Chers frères et sœurs, de ce lieu, qui raconte la foi, solide comme le roc, de Pierre, je voudrais ce soir vous confier tous au Seigneur, par l’intercession de la Vierge, salut de son peuple, étoile de la mer dans la tempête. Que,de cette colonnade qui embrasse Rome et le monde, descende sur vous, comme une étreinte consolante, la bénédiction de Dieu. Seigneur, bénis le monde, donne la santé aux corps et le réconfortaux cœurs. Tu nous demandes de ne pas avoir peur. Mais notre foi est faible et nous sommes craintifs.Mais toi, Seigneur, ne nous laisse pas à la merci de la tempête. Redis encore : « N’ayez pas peur » (Mt 28, 5). Et nous, avec Pierre, “nous nous déchargeons sur toi de tous nos soucis, car tu prends soin de nous” (cf. 1P 5, 7).

[00417-FR.01] [Texte original: Italien]

Les rêves du Pape pour l’Amazonie

(Photo: CNS/Paul Haring) Mercredi dernier le 12 février 2020, la très attendue exhortation apostolique suivant le Synode d’octobre dernier sur l’Amazonie était publiée. Intitulée « Querida Amazonia », ce texte d’une trentaine de pages manifeste le rêve du premier Pape sud-américain pour cette terre unique de l’Amazonie. Divisée en quatre parties représentant chacune les « rêves » (no 7) du pape pour l’ensemble des peuples qui vivent dans la région, ce document n’en a pas moins une importance et une résonnance universelle.

Les peuples autochtones nous précèdent

La nature de ce texte est d’abord et avant tout une exhortation afin que l’ensemble du peuple de Dieu et « des personnes de bonne volonté » puissent se joindre à lui par la prière et les initiatives pastorales pour le bien des populations vivant dans cette région du monde. Pour ce faire, le Pape rappelle la centralité des populations autochtones de la région dans l’amélioration de leurs propres conditions de vie sociales et environnementales. En effet, bien que la défense de la nature soit des plus urgentes, « un conservatisme « qui se préoccupe du biome mais qui ignore les peuples amazoniens » est inutile » (no8). On pourrait dire que le bien de l’environnement dépend de la santé sociale de ces peuples et que ce n’est qu’en respectant leur dignité à tous les niveaux, que la solution aux problèmes environnementaux se manifestera. En d’autres termes, en cherchant le bien-être des autochtones de l’Amazonie la préservation de l’environnement nous sera donné comme « par surcroît » (Mt 6,33).

En effet, comment ne pas voir que ces populations, du fait même qu’elles aient gardé un rapport plus étroit avec la nature (no 40), sont les plus à même d’agir comme peuple intermédiaire avec l’esprit techniciste propre à notre époque. Véritables ambassadeurs de la nature auprès de l’humanité, les peuples autochtones doivent être aux premières loges des décisions de développement de leur région. Il continue en écrivant ceci : « La sagesse de la manière de vivre des peuples autochtones – malgré toutes ses limites – nous pousse à approfondir cette aspiration » (no 22). Pour cela, le Pape exhorte les peuples autochtones à en être eux-mêmes les « protagonistes » (no 27) tout en cultivant un esprit ouvert au dialogue (no 26).Tous les pays doivent donc chercher des moyens pour développer « une recherche de la justice qui est inséparablement un chant de fraternité et de solidarité, une stimulation pour la culture de la rencontre ».

Pour une culture de l’enracinement

Pour être le plus efficace dans la préservation des intérêts des peuples amazoniens, le Pape les exhorte à être d’authentiques « cultivateurs » de leurs cultures et mémoires ancestrales : « J’invite les jeunes de l’Amazonie, surtout les autochtones, à « prendre en charge les racines, parce que des racines provient la force qui les fait croître, fleurir, fructifier » (no 33). Sans connaissance claire de l’histoire personnelle, familiale et nationale, impossible d’entrer dans un dialogue authentique avec les autres peuples. En ce sens, le pape François se « réjouis(t) de voir que ceux qui ont perdu le contact avec leurs propres racines cherchent à retrouver la mémoire perdue » (no 35). En ce sens, l’Église peut être d’une aide importante dans la préservation des cultures amazoniennes en suscitant la production et le rayonnement d’initiative culturelle.

On voit aujourd’hui combien un thème comme l’environnement peut faire l’objet d’instrumentalisation partisane. Dans ce contexte, les peuples de l’Amazonie peuvent jouer un rôle central pour surpasser ces écueils contre-productifs. Gardant une vision holistique de la nature c’est-à-dire une vision de l’environnement qui inclut l’humanité, les peuples de l’Amazonie voit d’une manière encore plus aigüe que partout ailleurs qu’« abuser de la nature c’est abuser des ancêtres, des frères et sœurs, de la création et du Créateur, en hypothéquant l’avenir »(no 42). Ainsi, les peuples amazoniens de par leur attachement à leur culture et à l’environnement nous montre que la défense de la nature ne pourra se développer que parallèlement à une culture des racines culturelles propres à chaque peuple. Défendre la nature dépend de notre engagement envers la culture. L’Amazonie a donc beaucoup à nous apprendre.

Une Exhortation pour tous

Bien que l’Exhortation apostolique du pape François « Querida Amazonia » soit spécifiquement orientée vers les peuples de l’Amazonie et ceux qui sont directement en lien avec ces derniers, ce texte a beaucoup à nous apprendre pour le tournant missionnaire que nous avons tous à faire. Que ce soit par les relations étroites qu’ils entretiennent avec la nature que par leur souci de préserver leur culture des ravages d’un monde en proie à l’uniformisation, l’Église et la société ont tout à gagner à se mettre à leur école et à prendre véritablement un « visage amazonien »

Top 10 actualité catholique en 2019

(CNS photo/Paul Haring) Le nouvel an approche à grand pas et avec lui le temps des bilans et des résolutions pour l’année à venir. Sans plus attendre, je vous présente les faits saillants de l’actualité 2019 qui, selon moi, résument bien cette fin de décennie que nous avons vécue cette année.

1) Journée Mondiale de la Jeunesse au Panama (janvier 2019)

On peut dire que l’année 2019 a débuté en force avec la célébration des Journées mondiales de la jeunesse au Panama. Correspondant davantage au calendrier de l’Hémisphère sud, le mois de janvier a donc pu ouvrir cette année par une célébration joyeuse de la foi où des centaines de milliers de jeunes ont pu célébrer et approfondir leur relation avec le Christ. Sous le thème de la réponse de Marie à l’annonce de l’Incarnation par l’ange, « Me voici, qu’il me soit fait selon ta parole », cette rencontre mondiale a pu manifester la ferveur d’une jeunesse de plus en plus conscient du rôle central qu’elle doit jouer dans l’Église et conscient d’être appelée développer dans la décennie à venir. Vous pouvez lire l’ensemble des discours du pape François lors de ces JMJ Panama 2019 au lien suivant.

2) Rencontre pour la protection des mineurs au Vatican (février 2019)

L’année a commencé sur le ton peu réjouissant d’une prise en compte globale des abus perpétrés contre des mineurs et des personnes vulnérables par des représentants officiels de l’Église. Organisé par la Commission pontificale pour la protection des mineurs, et la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, ce sommet avait convoqué tous les évêques présidents des conférences épiscopales du monde de se présenter afin de faire le point sur la situation actuelle. Bien que les abus contre les mineurs représentent un problème dont les dimensions dépassent largement l’Église catholique, le Pape a clairement voulu manifester qu’il avait pleinement conscience de l’ampleur du scandale et des mesures drastiques qui doivent être prises. Avec la globalisation et la prolifération de la pornographie juvénile et la traite des êtres humains, la lutte pour la protection des mineurs prendra malheureusement de plus en plus de place dans l’actualité de la décennie à venir. Par sa transparence et son leadership, l’Église pourra ainsi se porter efficacement à la défense des enfants dans un monde qui leur est de plus en plus hostile. Un des fruits de cette prise de conscience de l’Église est certainement l’ouverture à l’Université Saint-Paul d’Ottawa d’un premier « Centre pour la protection des mineurs et des personnes vulnérables ».

3) Exhortation apostolique Christus Vivit (mars 2019)

Portant sur le thème de la jeunesse, ce texte d’une soixantaine de pages est exceptionnel de par son style direct et son ton très personnel. Composée de neuf chapitres, cette prise de parole du pape François cherche à manifester non seulement comment l’invitation universelle du Christ à la participation à sa vie divine répond à toutes les aspirations de la jeunesse mais également jusqu’à quel point le renouvellement de l’Église dépend de son dynamisme propre. Christus Vivit est un texte émouvant et plein d’espérance pour le présent et l’avenir de la société. Il s’agit d’une prise de parole personnelle du Pape, en dialogue avec les jeunes du monde entier qu’il a pu rencontrer durant son pontificat. Plusieurs initiatives émergeront dans l’Église de cette invitation du Pape à faire davantage de place aux jeunes dans l’Église.

4) Loi sur la laïcité de l’État et liberté religieuse

Plus près de nous, le gouvernement Legault a voulu mettre sur pied ce qu’il considère être une vision cohérente de la laïcité. Parallèlement à la loi sur la laïcité de l’État restreignant le droit des professeurs et de toutes personnes en position d’autorité de porter un signe religieux, ce gouvernement en a également profité pour retirer le crucifix de l’Assemblée Nationale. Toutefois, certains se sont désolés que le débat sur le contenu du projet de loi 21 ait bifurqué pour devenir une question de principe sur l’autonomie de l’autorité du Québec face à Ottawa. Alors qu’à l’heure actuelle des recours s’organisent pour contester la loi devant les tribunaux, on ne peut qu’espérer que la place de la religion en général, et de la foi catholique en particulier, soit davantage reconnue comme une force positive pour la société. Loin de porter préjudice à l’indépendance des institutions, l’implication des catholiques dans la vie sociale et politique continue de jouer rôle irremplaçable dans notre société. Espérons que 2020 sera l’occasion de redécouvrir la richesse sociale de l’implication des catholiques au Québec.

5) Les jeunes et l’environnement

L’un des phénomènes qui a eu le plus d’impact en 2019 fut certainement l’implication de nombreux jeunes pour la cause du climat. Quoique portée par une jeunesse souvent anxieuse face à son futur, ce mouvement des grèves pour le climat s’est principalement incarné dans la figure de Greta Thunberg. Bien qu’utilisant souvent un langage alarmiste qui a déplu à plusieurs, cette jeune suédoise a néanmoins eu un grand impact sur le mouvement environnemental. L’Église, principalement suite à la publication de l’encyclique Laudato sì par le pape François, n’est pas restée sur le banc des spectateurs. Pleinement investi dans la promotion d’une écologie intégrale, elle est aujourd’hui à l’écoute de cette jeunesse qui cherche une vision du monde plus cohérente et respectueuse de la nature que ne le propose l’économisme marchand. Ce dialogue entre foi et culture continuera bien évidemment dans les prochaines années. À vous d’être à l’écoute.

6) Canonisation du cardinal John Henri Newman

Le 13 octobre dernier était canonisé au Vatican le cardinal anglais John Henri Newman. Baptisé et éduqué dans l’anglicanisme, la vie du saint cardinal Newman regorge de péripéties et d’occasions où il a pu manifester la force de sa confiance en Dieu. Converti au catholicisme suite à ses études du développement organique du dogme dans l’histoire de l’Église, il entra chez les oratoriens où il a pu rayonner par l’écriture et certaines polémiques dans un climat pas toujours ouvert au débat d’idées. Saint Cardinal Newman est un modèle de rigueur intellectuelle et de fidélité à la vérité même lorsque cela entraîne des choix déchirants voir irréversible. Son « Apologia pro vita sua » saura certainement alimenter les groupes de lecture dans les prochaines années.

7) Mois missionnaire extraordinaire (Octobre 2019)

Cela fait désormais plusieurs années que nous sommes, comme Église, en chemin de conversion missionnaire. Le pape François a néanmoins tenu à décréter un mois missionnaire extraordinaire qui s’est tenu durant tout le mois d’octobre 2019. En effet, le Pape avait demandé à ce que soit célébré le 100eanniversaire de la lettre apostolique « Maximum Illud »de Benoît XV sur l’activité accomplie par les missionnaires dans le monde par un mois complet dédié à prier afin que soit renouvelée« l’ardeur de l’activité évangélisatrice de l’Église ad gentes ». Au pays, il convient de souligner le grand travail des Œuvres pontificales missionnaires qui ont su susciter et enrichir les activités pastorales dans les diocèses partout au Québec et au Canada francophone. Enfin, par son enracinement dans la théologie du baptême, le thème de « Bapstisés et envoyés »a certainement permis de faire redécouvrir à plusieurs catholiques la grandeur et la beauté de ce sacrement qui appelle à la conversion personnel le et au partage de cette vie divine reçu au moment où nous sommes réellementplongés dans la mort et la résurrection du Christ. En avant la mission !

8) Synode sur l’Amazonie (octobre 2019)

Au mois d’octobre dernier, le Saint-Père convoquait de nombreux évêques du monde entier pour discuter et discerner des enjeux liés à la région amazonienne dans le cadre d’un Synode extraordinaire sur cette partie du globe. Se sont donc réunis évêques, experts et des membres des populations locales afin de voir ce que l’Église peut faire pour améliorer sa pratique pastorale dans la région. Furent donc abordés des thèmes tels que l’inculturation, l’évangélisation ainsi que l’application et l’engagement pour une écologie intégrale. Comme me le disait Mgr Lionel Gendron p.s.s., ancien président de la Conférence des évêques catholiques du Canada et participant au Synode sur l’Amazonie, « Le Canada partage beaucoup de points communs avec la région amazonienne tels que de grands territoires inoccupés, la protection de l’environnement ainsi que la présence importante des peuples autochtones » (24 :41min). Il sera donc intéressant de suivre les évolutions et les documents qui émergeront de ce Synode. À suivre

9) Les voyages apostoliques du pape François

Chaque année, le pape François a un horaire chargé de voyage apostolique qui lui font parcourir le monde à la rencontre des catholiques et des hommes et femmes de bonne volonté. L’année 2019 ne fit pas exception à la règle puisqu’il a eu la chance de se rendre au Panama, aux Émirats arabes unis, au Maroc, en Bulgarie et Macédoine du Nord, en Roumanie, au Mozambique, Madagascar et à l’Île Maurice, en Thaïlande et, finalement, au Japon. Chacune de ces visites est unique mais je prends le temps de souligner sa visite à l’Île Maurice puisque j’ai personnellement eu la chance de d’y mettre les pieds. En effet, lors de cette brève visite, le Pape n’a pas manqué de souligner l’importance de la jeunesse et comment l’intégration sociale de cette dernière doit être une priorité pour toute société : « Nos jeunes, sont notre première mission ! […] Ne nous laissons pas voler le visage jeune de l’Église et de la société ; ne laissons pas les marchands de la mort voler les prémices de cette terre !»Prenons au sérieux l’avenir de la jeunesse en l’impliquant de plus en plus dans l’ensemble des processus sociaux et institutionnels. C’est peut-être bousculant mais, comme le dit le Pape, cela donnera « un nouveau souffle » à la mission de l’Église et de la société dans son ensemble.

10) Une présence ecclésiale en croissance au Québec

Partie intégrante de sa conversion missionnaire, la présence de l’Église sur le continent numérique ne cesse de croître partout dans le monde. Le Québec et le Canada francophone ne fait pas exception à ce constat. Ayant moi-même l’occasion de me rendre sur le terrain à la rencontre des acteurs locaux, je sens un réel engouement et une volonté ferme d’offrir un témoignage de foi crédible dans tous les milieux. Loin des attitudes parfois défaitistes qui ne laissent pas beaucoup de place à l’espérance, les différents diocèses sont pleinement engagés à rendre l’Église présente et pertinente dans un monde en profonde transformation. L’Église étant « Experte en humanité » comme le disait saint Paul VI, les communautés ecclésiales sont on ne peut mieux placées pour offrir, à la fois, des repères stables face aux grands bouleversements mais également le discernement pour s’ouvrir aux changements qui doivent être faits. Par sa présence en ligne, les diocèses seront des acteurs importants dans leur communauté locale. La décennie commence sur le bon pied à ce niveau !

Une année consacrée à la jeunesse

Comme vous avez pu le constater dans cette sélection bien personnelle des événements qui ont marqué l’actualité de l’Église en 2019, la jeunesse a occupé une place centrale. Que ce soit par les JMJ, la publication de Christus vivit, la protection des personnes mineures, etc. l’Église a conscience que les jeunes ne sont pas seulement le futur mais également le présent de l’Église. Prions pour qu’au début de cette décennie qui s’ouvre devant nous, une nouvelle génération de catholiques ait gagné en maturité, en profondeur dans sa relation au Christ et qu’elle ait trouvé une place dans l’Église d’ici et d’ailleurs. Cette place, nous l’apercevons déjà de loin mais je suis persuadé que les jeunes catholiques sauront nous surprendre par leur créativité, leur enthousiasme et leur fidélité à la foi qu’ils ont reçue. Bonne année à tous !

Lettre apostolique sur la signification de la crèche de Noël

(CNS photo/Vatican Media) Voici la lettre apostolique du pape François, « Admirabile signum« , sur la signification et la valeur de la crèche de Noël. Document signé lors de sa visite au sanctuaire de la crèche, à Greccio, le dimanche 1er décembre 2019:

1. Le merveilleux signe de la crèche, si chère au peuple chrétien, suscite toujours stupeur et émerveillement. Représenter l’événement de la naissance de Jésus, équivaut à annoncer le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu avec simplicité et joie. La crèche, en effet, est comme un Évangile vivant, qui découle des pages de la Sainte Écriture. En contemplant la scène de Noël, nous sommes invités à nous mettre spirituellement en chemin, attirés par l’humilité de Celui qui s’est fait homme pour rencontrer chaque homme. Et, nous découvrons qu’Il nous aime jusqu’au point de s’unir à nous, pour que nous aussi nous puissions nous unir à Lui. Par cette lettre je voudrais soutenir la belle tradition de nos familles qui, dans les jours qui précèdent Noël, préparent la crèche. Tout comme la coutume de l’installer sur les lieux de travail, dans les écoles, les hôpitaux, les prisons, sur les places publiques… C’est vraiment un exercice d’imagination créative, qui utilise les matériaux les plus variés pour créer de petits chefs-d’oeuvre de beauté. On l’apprend dès notre enfance : quand papa et maman, ensemble avec les grands-parents, transmettent cette habitude joyeuse qui possède en soi une riche spiritualité populaire. Je souhaite que cette pratique ne se perde pas ; mais au contraire, j’espère que là où elle est tombée en désuétude, elle puisse être redécouverte et revitalisée.

2. L’origine de la crèche se trouve surtout dans certains détails évangéliques de la naissance de Jésus à Bethléem. L’évangéliste Luc dit simplement que Marie « mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (2, 7). Jésus est couché dans une mangeoire, appelée en latin praesepium, d’où la crèche. En entrant dans ce monde, le Fils de Dieu est déposé à l’endroit où les animaux vont manger. La paille devient le premier berceau pour Celui qui se révèle comme « le pain descendu du ciel » (Jn 6, 41). C’est une symbolique, que déjà saint Augustin, avec d’autres Pères, avait saisie lorsqu’il écrivait : « Allongé dans une mangeoire, il est devenu notre nourriture » (Serm. 189, 4). En réalité, la crèche contient plusieurs mystères de la vie de Jésus de telle sorte qu’elle nous les rend plus proches de notre vie quotidienne.

Mais venons-en à l’origine de la crèche telle que nous la comprenons. Retrouvons-nous en pensée à Greccio, dans la vallée de Rieti, où saint François s’arrêta, revenant probablement de Rome, le 29 novembre 1223, lorsqu’il avait reçu du Pape Honorius III la confirmation de sa Règle. Après son voyage en Terre Sainte, ces grottes lui rappelaient d’une manière particulière le paysage de Bethléem. Et il est possible que le Poverello ait été influencé à Rome, par les mosaïques de la Basilique de Sainte Marie Majeure, représentant la naissance de Jésus, juste à côté de l’endroit où étaient conservés, selon une tradition ancienne, les fragments de la mangeoire. Les Sources franciscaines racontent en détail ce qui s’est passé à Greccio. Quinze jours avant Noël, François appela un homme du lieu, nommé Jean, et le supplia de l’aider à réaliser un voeu : « Je voudrais représenter l’Enfant né à Bethléem, et voir avec les yeux du corps, les souffrances dans lesquelles il s’est trouvé par manque du nécessaire pour un nouveau-né, lorsqu’il était couché dans un berceau sur la paille entre le boeuf et l’âne »[1]. Dès qu’il l’eut écouté, l’ami fidèle alla immédiatement préparer, à l’endroit indiqué, tout le nécessaire selon la volonté du Saint. Le 25 décembre, de nombreux frères de divers endroits vinrent à Greccio accompagnés d’hommes et de femmes provenant des fermes de la région, apportant fleurs et torches pour illuminer cette sainte nuit. Quand François arriva, il trouva la mangeoire avec la paille, le boeuf et l’âne. Les gens qui étaient accourus manifestèrent une joie indicible jamais éprouvée auparavant devant la scène de Noël. Puis le prêtre, sur la mangeoire, célébra solennellement l’Eucharistie, montrant le lien entre l’Incarnation du Fils de Dieu et l’Eucharistie. À cette occasion, à Greccio, il n’y a pas eu de santons : la crèche a été réalisée et vécue par les personnes présentes.

C’est ainsi qu’est née notre tradition : tous autour de la grotte et pleins de joie, sans aucune distance entre l’événement qui se déroule et ceux qui participent au mystère. Le premier biographe de saint François, Thomas de Celano, rappelle que s’ajouta, cette nuit-là, le don d’une vision merveilleuse à la scène touchante et simple : une des personnes présentes vit, couché dans la mangeoire, l’Enfant Jésus lui-même. De cette crèche de Noël 1223, « chacun s’en retourna chez lui plein d’une joie ineffable ».

3. Saint François, par la simplicité de ce signe, a réalisé une grande oeuvre d’évangélisation. Son enseignement a pénétré le coeur des chrétiens et reste jusqu’à nos jours une manière authentique de proposer de nouveau la beauté de notre foi avec simplicité. Par ailleurs, l’endroit même où la première crèche a été réalisée exprime et suscite ces sentiments. Greccio est donc devenu un refuge pour l’âme qui se cache sur le rocher pour se laisser envelopper dans le silence.
Pourquoi la crèche suscite-t-elle tant d’émerveillement et nous émeut-elle ? Tout d’abord parce qu’elle manifeste la tendresse de Dieu. Lui, le Créateur de l’univers, s’abaisse à notre petitesse. Le don de la vie, déjà mystérieux à chaque fois pour nous, fascine encore plus quand nous voyons que Celui qui est né de Marie est la source et le soutien de toute vie. En Jésus, le Père nous a donné un frère qui vient nous chercher quand nous sommes désorientés et que nous perdons notre direction ; un ami fidèle qui est toujours près de nous. Il nous a donné son Fils qui nous pardonne et nous relève du péché.

Faire une crèche dans nos maisons nous aide à revivre l’histoire vécue à Bethléem. Bien sûr, les Évangiles restent toujours la source qui nous permet de connaître et de méditer sur cet Événement, cependant la représentation de ce dernier par la crèche nous aide à imaginer les scènes, stimule notre affection et nous invite à nous sentir impliqués dans l’histoire du salut, contemporains de l’événement qui est vivant et actuel dans les contextes historiques et culturels les plus variés.

D’une manière particulière, depuis ses origines franciscaines, la crèche est une invitation à « sentir » et à « toucher » la pauvreté que le Fils de Dieu a choisie pour lui-même dans son incarnation. Elle est donc, implicitement, un appel à le suivre sur le chemin de l’humilité, de la pauvreté, du dépouillement, qui, de la mangeoire de Bethléem conduit à la croix. C’est un appel à le rencontrer et à le servir avec miséricorde dans les frères et soeurs les plus nécessiteux (cf. Mt 25, 31-46).

4. J’aimerais maintenant passer en revue les différents signes de la crèche pour en saisir le sens qu’ils portent en eux. En premier lieu, représentons-nous le contexte du ciel étoilé dans l’obscurité et dans le silence de la nuit. Ce n’est pas seulement par fidélité au récit évangélique que nous faisons ainsi, mais aussi pour la signification qu’il possède. Pensons seulement aux nombreuses fois où la nuit obscurcit notre vie. Eh bien, même dans ces moments-là, Dieu ne nous laisse pas seuls, mais il se rend présent pour répondre aux questions décisives concernant le sens de notre existence : Qui suis-je ? D’où est-ce que je viens ? Pourquoi suis-je né à cette époque ? Pourquoi est-ce que j’aime ? Pourquoi est-ce que je souffre ? Pourquoi vais-je mourir ? Pour répondre à ces questions, Dieu s’est fait homme. Sa proximité apporte la lumière là où il y a les ténèbres et illumine ceux qui traversent l’obscurité profonde de la souffrance (cf. Lc 1, 79).

Les paysages qui font partie de la crèche méritent, eux aussi, quelques mots, car ils représentent souvent les ruines d’anciennes maisons et de palais qui, dans certains cas, remplacent la grotte de Bethléem et deviennent la demeure de la Sainte Famille. Ces ruines semblent s’inspirer de la Légende dorée du dominicain Jacopo da Varazze (XIIIème siècle), où nous pouvons lire une croyance païenne selon laquelle le temple de la Paix à Rome se serait effondré quand une Vierge aurait donné naissance. Ces ruines sont avant tout le signe visible de l’humanité déchue, de tout ce qui va en ruine, de ce qui est corrompu et triste. Ce scénario montre que Jésus est la nouveauté au milieu de ce vieux monde, et qu’il est venu guérir et reconstruire pour ramener nos vies et le monde à leur splendeur originelle.

5. Quelle émotion devrions-nous ressentir lorsque nous ajoutons dans la crèche des montagnes, des ruisseaux, des moutons et des bergers ! Nous nous souvenons ainsi, comme les prophètes l’avaient annoncé, que toute la création participe à la fête de la venue du Messie. Les anges et l’étoile de Bethléem sont le signe que nous sommes, nous aussi, appelés à nous mettre en route pour atteindre la grotte et adorer le Seigneur.

« Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, l’événement que le Seigneur nous a fait connaître » (Lc 2, 15) : voilà ce que disent les bergers après l’annonce faite par les anges. C’est un très bel enseignement qui nous est donné dans la simplicité de sa description. Contrairement à tant de personnes occupées à faire mille choses, les bergers deviennent les premiers témoins de l’essentiel, c’est-à-dire du salut qui est donné. Ce sont les plus humbles et les plus pauvres qui savent accueillir l’événement de l’Incarnation. À Dieu qui vient à notre rencontre dans l’Enfant Jésus, les bergers répondent en se mettant en route vers Lui, pour une rencontre d’amour et d’étonnement reconnaissant. C’est précisément cette rencontre entre Dieu et ses enfants, grâce à Jésus, qui donne vie à notre religion, qui constitue sa beauté unique et qui transparaît de manière particulière à la crèche.

6. Dans nos crèches, nous avons l’habitude de mettre de nombreuses santons symboliques. Tout d’abord, ceux des mendiants et des personnes qui ne connaissent pas d’autre abondance que celle du coeur. Eux aussi sont proches de l’Enfant Jésus à part entière, sans que personne ne puisse les expulser ou les éloigner du berceau improvisé, car ces pauvres qui l’entourent ne détonnent pas au décor. Les pauvres, en effet, sont les privilégiés de ce mystère et, souvent, les plus aptes à reconnaître la présence de Dieu parmi nous. Les pauvres et les simples dans la crèche rappellent que Dieu se fait homme pour ceux qui ressentent le plus le besoin de son amour et demandent sa proximité. Jésus, « doux et humble de coeur » (Mt 11, 29), est né pauvre, il a mené une vie simple pour nous apprendre à saisir l’essentiel et à en vivre. De la crèche, émerge clairement le message que nous ne pouvons pas nous laisser tromper par la richesse et par tant de propositions éphémères de bonheur. Le palais d’Hérode est en quelque sorte fermé et sourd à l’annonce de la joie. En naissant dans la crèche, Dieu lui-même commence la seule véritable révolution qui donne espoir et dignité aux non désirés, aux marginalisés : la révolution de l’amour, la révolution de la tendresse. De la crèche, Jésus a proclamé, avec une douce puissance, l’appel à partager avec les plus petits ce chemin vers un monde plus humain et plus fraternel, où personne n’est exclu ni marginalisé. Souvent les enfants – mais aussi les adultes ! – adorent ajouter à la crèche d’autres figurines qui semblent n’avoir aucun rapport avec les récits évangéliques. Cette imagination entend exprimer que, dans ce monde nouveau inauguré par Jésus, il y a de la place pour tout ce qui est humain et pour toute créature. Du berger au forgeron, du boulanger au musicien, de la femme qui porte une cruche d’eau aux enfants qui jouent… : tout cela représente la sainteté au quotidien, la joie d’accomplir les choses de la vie courante d’une manière extraordinaire, lorsque Jésus partage sa vie divine avec nous.

7. Peu à peu, la crèche nous conduit à la grotte, où nous trouvons les santons de Marie et de Joseph. Marie est une mère qui contemple son enfant et le montre à ceux qui viennent le voir. Ce santon nous fait penser au grand mystère qui a impliqué cette jeune fille quand Dieu a frappé à la porte de son coeur immaculé. À l’annonce de l’ange qui lui demandait de devenir la mère de Dieu, Marie répondit avec une obéissance pleine et entière. Ses paroles : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38), sont pour nous tous le témoignage de la façon de s’abandonner dans la foi à la volonté de Dieu. Avec ce « oui » Marie est devenue la mère du Fils de Dieu, sans perdre mais consacrant, grâce à lui, sa virginité. Nous voyons en elle la Mère de Dieu qui ne garde pas son Fils seulement pour elle-même, mais demande à chacun d’obéir à sa parole et de la mettre en pratique (cf. Jn 2, 5).

À côté de Marie, dans une attitude de protection de l’Enfant et de sa mère, se trouve saint Joseph. Il est généralement représenté avec un bâton à la main, et parfois même tenant une lampe. Saint Joseph joue un rôle très important dans la vie de Jésus et de Marie. Il est le gardien qui ne se lasse jamais de protéger sa famille. Quand Dieu l’avertira de la menace d’Hérode, il n’hésitera pas à voyager pour émigrer en Égypte (cf. Mt 2, 13-15). Et ce n’est qu’une fois le danger passé, qu’il ramènera la famille à Nazareth, où il sera le premier éducateur de Jésus enfant et adolescent. Joseph portait dans son coeur le grand mystère qui enveloppait Jésus et Marie son épouse, et, en homme juste, il s’est toujours confié à la volonté de Dieu et l’a mise en pratique.

8. Le coeur de la crèche commence à battre quand, à Noël, nous y déposons le santon de l’Enfant Jésus. Dieu se présente ainsi, dans un enfant, pour être accueilli dans nos bras. Dans la faiblesse et la fragilité, se cache son pouvoir qui crée et transforme tout. Cela semble impossible, mais c’est pourtant ainsi : en Jésus, Dieu a été un enfant et c’est dans cette condition qu’il a voulu révéler la grandeur de son amour qui se manifeste dans un sourire et dans l’extension de ses mains tendues vers tous. La naissance d’un enfant suscite joie et émerveillement, car elle nous place devant le grand mystère de la vie. En voyant briller les yeux des jeunes mariés devant leur enfant nouveau-né, nous comprenons les sentiments de Marie et de Joseph qui, regardant l’Enfant Jésus, ont perçu la présence de Dieu dans leur vie. « La vie s’est manifestée » (1Jn 1, 2) : c’est ainsi que l’Apôtre Jean résume le mystère de l’Incarnation. La crèche nous fait voir, nous fait toucher cet événement unique et extraordinaire qui a changé le cours de l’histoire et à partir duquel la numérotation des années, avant et après la naissance du Christ, en est également ordonnée. La manière d’agir de Dieu est presque une question de transmission, car il semble impossible qu’il renonce à sa gloire pour devenir un homme comme nous. Quelle surprise de voir Dieu adopter nos propres comportements : il dort, il tète le lait de sa mère, il pleure et joue comme tous les enfants! Comme toujours, Dieu déconcerte, il est imprévisible et continuellement hors de nos plans. Ainsi la crèche, tout en nous montrant comment Dieu est entré dans le monde, nous pousse à réfléchir sur notre vie insérée dans celle de Dieu ; elle nous invite à devenir ses disciples si nous voulons atteindre le sens ultime de la vie.

9. Lorsque s’approche la fête de l’Épiphanie, nous ajoutons dans la crèche les trois santons des Rois Mages. Observant l’étoile, ces sages et riches seigneurs de l’Orient, s’étaient mis en route vers Bethléem pour connaître Jésus et lui offrir comme présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Ces dons ont aussi une signification allégorique : l’or veut honorer la royauté de Jésus ; l’encens sa divinité; la myrrhe sa sainte humanité qui connaîtra la mort et la sépulture.

En regardant la scène de la crèche, nous sommes appelés à réfléchir sur la responsabilité de tout chrétien à être évangélisateur. Chacun de nous devient porteur de la Bonne Nouvelle pour ceux qu’il rencontre, témoignant, par des actions concrètes de miséricorde, de la joie d’avoir rencontré Jésus et son amour.

Les Mages nous enseignent qu’on peut partir de très loin pour rejoindre le Christ. Ce sont des hommes riches, des étrangers sages, assoiffés d’infinis, qui entreprennent un long et dangereux voyage qui les a conduits jusqu’à Bethléem (cf. Mt 2, 1-12). Une grande joie les envahit devant l’Enfant Roi. Ils ne se laissent pas scandaliser par la pauvreté de l’environnement ; ils n’hésitent pas à se mettre à genoux et à l’adorer. Devant lui, ils comprennent que, tout comme Dieu règle avec une souveraine sagesse le mouvement des astres, ainsi guide-t-il le cours de l’histoire, abaissant les puissants et élevant les humbles. Et certainement que, de retour dans leur pays, ils auront partagé cette rencontre surprenante avec le Messie, inaugurant le voyage de l’Évangile parmi les nations.

10. Devant la crèche, notre esprit se rappelle volontiers notre enfance, quand nous attendions avec impatience le moment de pouvoir commencer à la mettre en place. Ces souvenirs nous poussent à prendre de plus en plus conscience du grand don qui nous a été fait par la transmission de la foi ; et en même temps, ils nous font sentir le devoir et la joie de faire participer nos enfants et nos petits-enfants à cette même expérience. La façon d’installer la mangeoire n’est pas importante, elle peut toujours être la même ou être différente chaque année ; ce qui compte c’est que cela soit signifiant pour notre vie. Partout, et sous différentes formes, la crèche parle de l’amour de Dieu, le Dieu qui s’est fait enfant pour nous dire combien il est proche de chaque être humain, quelle que soit sa condition.

Chers frères et soeurs, la crèche fait partie du processus doux et exigeant de la transmission de la foi. Dès l’enfance et ensuite à chaque âge de la vie, elle nous apprend à contempler Jésus, à ressentir l’amour de Dieu pour nous, à vivre et à croire que Dieu est avec nous et que nous sommes avec lui, tous fils et frères grâce à cet Enfant qui est Fils de Dieu et de la Vierge Marie ; et à éprouver en cela le bonheur. À l’école de saint François, ouvrons notre coeur à cette grâce simple et laissons surgir de l’émerveillement une humble prière : notre « merci » à Dieu qui a voulu tout partager avec nous afin de ne jamais nous laisser seuls.

FRANÇOIS

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