Léon XIII, un pape pour notre époque

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Léon XIII peut être décrit comme le premier pape moderne. Son pontificat, d’une durée inattendue de 25 ans, a fait entrer l’Église du XIXe siècle dans le XXe. Couramment considéré comme le fondateur de la doctrine sociale de l’Église, Léon XIII s’est distingué par un certain nombre de différences avec son prédécesseur, le pape Pie IX.

Certaines de ces différences ont été accentuées jusqu’à l’absurde, le premier étant souvent dépeint comme une figure libérale et le second comme un théocrate réactionnaire aux préoccupations excessivement politiques, se déchaînant contre les forces de la modernité. 

La réalité est bien différente. L’histoire montre que Léon XIII a participé au pontificat de son prédécesseur et qu’il a été actif aux plus hauts niveaux d’autorité dans l’Église tout au long de ses événements les plus importants, comme le Concile Vatican I. Néanmoins, il est vrai que si Pie IX a été très actif dans la condamnation de certaines des erreurs caractéristiques du projet moderne, Léon XIII a eu une approche plus subtile, peut-être en raison des circonstances particulières qui ont prévalu pendant son pontificat. 

Parmi les principales caractéristiques du pape Léon XIII figurent, un peu comme pour le pape émérite Benoît XVI, ses formidables aptitudes intellectuelles. Ce charisme particulier a donné sa saveur à un pontificat qui a abordé les problèmes du modernisme avec une approche plus dialogique. Sans prétendre épuiser l’héritage de ce grand pasteur, nous pourrions dire que Léon XIII a fourni à l’Église une réponse en trois temps à ces difficultés: la dévotion mariale, le thomisme, et une riche compréhension des nouveaux problèmes sociaux. 

Dans la lignée de son prédécesseur immédiat, Léon XIII a fourni des enseignements approfondis sur l’importance primordiale de la dévotion mariale, notamment par le biais du rosaire et du scapulaire. Le recours à Marie ne peut être décrit comme une particularité de Léon XIII, bien sûr. Marie est présente dans l’Église depuis sa fondation et a toujours été profondément vénérée par les simples catholiques comme par les théologiens les plus sophistiqués. Pourtant, nombreux sont ceux qui diraient que le XIXe siècle a été particulièrement marial, compte tenu des apparitions et des définitions doctrinales importantes qui ont eu lieu à cette époque. Léon XIII encourage cette démarche comme un chemin sûr vers le Seigneur. 

Un aspect plus distinctif de l’enseignement de Léon XIII est cependant celui qui concerne le thomisme, c’est-à-dire la théologie et la philosophie de saint Thomas d’Aquin. D’une profondeur et d’une solidité inégalées, l’approche caractéristique de foi et raison de saint Thomas d’Aquin, qui permettait une forme de synthèse entre les œuvres philosophiques d’Aristote et la révélation chrétienne, fut ravivée par les enseignements de Léon XIII et de ses successeurs, qui la considéraient comme particulièrement capable de s’attaquer efficacement aux idéologies de l’époque. 

Notamment par l’encyclique Aeterni Patris, le pape Léon XIII a promu ce qu’il a appelé une « restauration de l’ancienne philosophie » en encourageant le travail intellectuel dans la tradition scolastique associée à saint Thomas d’Aquin et en définissant plus précisément l’autorité particulière qu’elle détient, au-delà d’autres importants docteurs de l’Église. Cette encyclique et les développements ultérieurs de l’enseignement de l’Église ont conféré à l’œuvre de Thomas d’Aquin une force normative inégalée, qui s’exprime bien dans les titres qui lui sont associés : Doctor Angelicus (Docteur angélique) et surtout Doctor Communis (Docteur commun).  

Le successeur immédiat de Léon XIII, le pape saint Pie X, par exemple, assisté de philosophes et de théologiens, définit en 1914 un ensemble complet de 24 thèses thomistes qui sont révélatrices de ce mouvement au sein de l’Église vers l’affirmation de l’autorité universelle de l’héritage de saint Thomas.

Le pari du pape Léon XIII était que, dans une époque se définissant par son souci de la raison et de la science, l’œuvre de saint Thomas, caractérisée par une méthode hautement systématique et rationnelle, fournirait à l’Église les moyens d’affronter le monde et ses prétentions avec un formidable arsenal intellectuel. Les prêtres devaient ainsi être formés à la philosophie et à la théologie thomistes. Les principales institutions de savoir étaient alors consacrées à ce travail, et une édition critique complète des œuvres de saint Thomas – dite édition léonine – devint une priorité pour l’Église. Pour ces raisons, le règne de Léon XIII fut tout autant un pontificat thomiste qu’un pontificat social.

Bien entendu, la contribution la plus connue du pape Léon XIII à l’enseignement de l’Église, d’un point de vue historique, est souvent considérée comme la naissance de la doctrine sociale de l’Église, avec la publication en 1891 de Rerum Novarum, qui visait à faire face aux transformations majeures affectant les réalités économiques du monde contemporain, en particulier en Europe. 

Dans la continuité avec l’œuvre de Pie IX, et dans un esprit de cohérence avec l’ensemble de l’enseignement de l’Église, Rerum Novarum constitue un rejet ferme des idéologies politiques modernes, et en particulier dans ce cas du libéralisme économique et du socialisme. Il met en avant un certain nombre de principes qui, ensemble, constituent la base de la doctrine sociale de l’Église moderne, dans un contexte marqué par les réalités d’une économie industrielle qui en est venue à opposer une vaste masse de travailleurs appauvris à un très petit nombre de propriétaires extrêmement riches.

La vision de Léon XIII en était une de droits et de devoirs mutuels, affirmant la liberté de former des syndicats de travailleurs, d’une part, et le droit à la propriété privée d’autre part, par exemple. S’inspirant de cet héritage, certains intellectuels catholiques tels que G. K. Chesterton et Hilaire Belloc ont tenté de formuler une troisième voie entre le libéralisme et le socialisme, ce que l’on appelle souvent le distributisme. 

Texte fondateur à bien des égards, Rerum Novarum résume certains des principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église – la dignité de la personne humaine, le bien commun, la subsidiarité et la solidarité – à tel point qu’il a été régulièrement revisité par ses successeurs à l’occasion des anniversaires importants de sa publication, à commencer par le Quadragesimo Anno du pape Pie XI en 1931, et tout au long du XXe siècle par la suite. 

Nous avons tendance à parler de la doctrine sociale de l’Église en gardant Rerum Novarum à l’esprit comme principal point de référence. L’Église, cependant, n’a pas commencé à enseigner sur les questions sociales et politiques en 1891. Ce qui a changé, c’est qu’elle a commencé à le faire d’une manière distincte, afin de pouvoir aborder un ensemble particulier de problèmes qui étaient apparus à cette époque en raison d’une réorganisation radicale des sociétés. À bien des égards, la doctrine sociale de l’Église, avec sa préoccupation pour le bien commun, s’enracine dans la pensée aristotélico-thomiste que Léon XIII a également contribué à raviver. 

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est très différent de celui de 1891, et pourtant il est confronté à des problèmes fondamentalement similaires: l’extrême disparité des richesses, la radicalisation politique et le rejet de la foi comme impertinente étaient des problèmes à l’époque, tout comme ils le sont aujourd’hui. Les difficultés qui nous paraissent nouvelles, comme la crise climatique, découlent souvent de problèmes précédemment mal compris, et qui se sont par conséquent aggravés.

La force de la réponse du pape Léon XIII est qu’elle est à bien des égards intemporelle. Elle fournit des principes de recherche du bien commun pour la communauté politique à partir desquels nous pouvons dériver des solutions adaptées aux circonstances changeantes. Elle indique un cadre intellectuel qui nous permet de relever les défis de la foi avec force et conviction. Et elle montre le chemin de la dévotion mariale, un excellent remède pour ceux d’entre nous, catholiques à l’inclination intellectuelle, dont la piété fragile peut nous priver de la vraie Sagesse.

Du paradis à l’utopie

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L’Église catholique romaine a une longue tradition d’histoire ecclésiastique. Chaque génération de catholiques a pris part à l’interprétation et à la réinterprétation du long arc de l’histoire universelle à travers le prisme de l’Église.

Typiquement, cependant, cette histoire s’intéresse aujourd’hui plutôt au développement de l’Église institutionnelle et à ses interactions avec une variété d’acteurs, notamment l’État, à commencer par l’Empire romain, alors qu’elle prend également en compte un certain nombre de facteurs sociaux et culturels.

Certaines tendances modernes dans l’historiographie récente nous ont conduits à une compréhension très limitée et appauvrie de cette histoire. L’une d’entre elles, à laquelle nous ne pensons peut-être pas souvent, est un niveau relatif d’ignorance et/ou de mépris de l’expérience orientale alors que la culture du monde méditerranéen était transformée par le christianisme, conduisant à l’émergence d’une nouvelle civilisation que nous appelons souvent la Chrétienté.

Avec Paradise and Utopia, le père John Strickland, prêtre et historien chrétien orthodoxe, propose un important correctif qui s’avérera utile à tout chrétien cherchant à comprendre ce qu’est l’Église, comment elle est liée à la Chrétienté et comment le christianisme a évolué de manière différente en Occident et en Orient à partir du grand schisme.

Une entreprise majeure en quatre volumes, dont trois ont été publiés jusqu’à présent, Paradise and Utopia constitue une forme d’histoire ecclésiastique fortement ancrée dans l’analyse culturelle. Grâce à ce projet, le père Strickland espère offrir une compréhension du christianisme occidental à partir d’une perspective orientale distinctive.

Un aspect déterminant du travail de Strickland est son intérêt pour la notion de Chrétienté, qu’il définit comme « une civilisation soutenue par une culture qui oriente ses membres vers la transformation céleste du monde, ce qui signifie une expérience du Royaume des Cieux dans ce monde » (traduction libre).

Pour le père Strickland, la naissance de la Chrétienté se trouve à la Pentecôte, qui a inauguré une nouvelle culture et une nouvelle vision du monde. À partir de ce moment-là et pendant mille ans, le monde a été remodelé par ce qu’il appelle « l’impératif transformationnel chrétien ». Pour le dire simplement, l’expérience de l’homme, à travers la culture, la politique et la famille, par exemple, a été régénérée par le christianisme afin de refléter sur cette Terre un avant-goût du Royaume à venir. Le monde est devenu nouvellement ennobli et sacré. Cette réalité s’exprime le mieux, selon l’auteur, par l’émergence d’une « culture paradisiaque » dans l’Empire romain, autrefois païen.

Aux yeux du père Strickland, cependant, il y a eu un moment de rupture à la suite duquel cette culture paradisiaque a été affaiblie en Occident. Pour lui, ce moment s’articule essentiellement autour du grand schisme, à partir duquel le christianisme occidental, nourri de forts idéaux réformateurs, en est venu à développer une forme de spiritualité stavrocentrique, ou crucicentrique (centrée sur la Croix).

Cette observation est loin d’être idiosyncratique et est en fait largement acceptée dans l’historiographie récente. Bien que l’on puisse discuter au sujet de sa signification spécifique, il est vrai que tout au long du Moyen Âge classique, on a beaucoup insisté sur l’humanité et la souffrance de notre Seigneur Jésus-Christ, ce qui fut souvent associé à des formes pénitentielles de culte et de dévotion.

Le père Strickland associe cette évolution du christianisme occidental à l’influence d’un pessimisme anthropologique, c’est-à-dire à une conception de la nature humaine si affaiblie et si profondément blessée par le péché originel que l’homme ne peut fondamentalement faire que très peu de bien par lui-même.

Il oppose ce pessimisme anthropologique, cette piété stravrocentrique, que nous pourrions associer dans ses expressions les plus radicales au mépris de ce monde, à une compréhension plus optimiste de la nature de l’homme et du monde qui a caractérisé les siècles précédents et qui, dit-il, subsiste dans l’Église orthodoxe. Le point de vue du père Strickland est toutefois nuancé; il reconnaît la persistance de l’impératif transformationnel dans le catholicisme, et même dans le protestantisme d’ailleurs, mais à un degré moindre.

Strickland attribue l’émergence du mouvement de la Renaissance au développement de ces formes particulières de culte et de piété. Selon lui, l’impératif transformationnel chrétien, affaibli comme il l’était, réapparut sous une forme séculière à travers l’humanisme, qui était centré sur la transformation du monde sans perspective de transcendance. La fin, le telos de ce mouvement, dit-il, peut être décrit comme une utopie, d’où le titre Paradise and Utopia.

Faisant suite à The Age of Paradise et The Age of Division, The Age of Utopia, troisième et avant-dernier volume de la série, a été publié fin 2021. Dans ce nouveau livre, le père Strickland aborde les développements de l’humanisme séculier, de la Renaissance et de ce que l’on appelle les Lumières, qui s’efforcent de construire un paradis terrestre. Selon l’auteur, cela a constitué une désorientation de la Chrétienté qui, dans ses diverses expressions, a conduit à des résultats souvent catastrophiques.

En se détournant de l’Eden, en cherchant des réponses en lui-même, l’Occident a réuni les conditions pour plusieurs des expériences les plus tragiques qui peuvent être associées au développement des idéologies. L’exemple du socialisme – une idéologie politique typiquement utopique qui a prospéré en Europe de l’Est tout au long du XXe siècle avec les conséquences désastreuses que l’on sait – est probablement la meilleure expression des échecs prévisibles de cette désorientation. Elle nous laisse, pour reprendre les termes de l’auteur, avec une « Chrétienté post-chrétienne », une culture qui ne peut être comprise sans référence au christianisme et qui en est pourtant venue à le rejeter de façon spectaculaire.

Nous pourrions discuter au sujet de certains aspects de ce récit qui, aussi généreux soit-il, reste assez critique à l’égard du Moyen Âge classique européen que tant de personnes ont fini par associer à la notion de Chrétienté, telle que décrite par l’auteur lui-même. Néanmoins, il jette une lumière précieuse sur certaines des difficultés qui ont conduit au développement de la culture sans dieu dans laquelle nous sommes actuellement immergés.

Alors que beaucoup sont tentés d’attribuer ces problèmes à des développements relativement récents, le Père Strickland pointe audacieusement loin dans le passé, vers le grand schisme, selon lui la profonde tragédie dont découle réellement ce que nous pouvons déplorer. Si nous, catholiques, voulons mieux comprendre ce vaste problème, il se pourrait bien que nous ayons à le faire avec l’aide de nos frères et sœurs chrétiens orthodoxes : « l’Église doit respirer avec ses deux poumons ! » (saint Jean Paul II, 1995).

L’Évangile de la victoire

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Les fausses nouvelles et la désinformation ont été à juste titre des sujets de préoccupation ces dernières années. L’abondance du contenu auquel nous sommes régulièrement exposés fait qu’il nous est difficile de distinguer le travail de journalistes, d’écrivains et de créateurs de contenu dévoués des productions de moindre qualité de ceux qui inondent les nouveaux médias de contributions mal conçues, médiocres, voire mensongères, à la conversation mondiale. 

Nous avons vu apparaître un certain nombre d’outils en réaction à cette nouvelle situation, avec des niveaux de succès variables. En fin de compte, cependant, rien n’aide plus à combattre cette tendance que son corollaire: un contenu de haute qualité et bien intentionné.

On pourrait en dire autant de l’apologétique, ce domaine de la théologie qui s’attache à défendre la foi. Qu’il s’agisse d’un accent excessif sur l’exactitude liturgique et juridique qui fait perdre de vue les œuvres de miséricorde, ou d’une focalisation sur les enjeux de justice sociale au détriment de questions plus profondes sur le sens de la vie, nous pouvons tous penser à des exemples d’une approche de l’apologétique qui rate sa cible. Et si nous, chrétiens, prenons vraiment notre foi au sérieux, il devrait être évident pour nous que le problème de la mauvaise apologétique est grave.

C’est par frustration face à une apologétique déficiente que le prêtre chrétien orthodoxe Andrew Stephen Damick a écrit Arise, O God: The Gospel of Christ’s Defeat of Demons, Sin, and Death, un petit chef-d’œuvre.

Dans ce nouveau livre, le père Damick fait le point sur la tradition de l’Église orthodoxe afin de fournir un récit de l’Évangile qui mettrait de côté ce qu’il appelle « l’argument de vente », une approche courante mais décevante de l’apologétique qui tend à présenter la Bonne Nouvelle de l’Évangile comme la réponse à un problème spécifique que nous avons tous, qu’on le sache ou non, c’est-à-dire le problème de notre salut personnel: Jésus est mort sur la Croix pour expier nos péchés.

Bien que la réponse à la question « comment puis-je être sauvé ? » soit très importante, elle n’est qu’un aspect, bien que très significatif, de la vérité révélée dans l’Évangile. Et la compréhension commune, en Occident, des réalisations du Christ, centrée avant tout sur leurs implications pour nos destins personnels, nous empêche de voir plus grand, d’embrasser la vision cosmique des Saintes Écritures. 

Le but de ce livre est donc de fournir un récit plus complet de l’Évangile, dans le contexte de la tradition à laquelle l’auteur appartient. 

Le père Damick commence par aborder la signification du mot« évangile », à la lumière de l’étymologie et de l’histoire culturelle. Il nous dit que le mot grec pour évangile, le plus souvent utilisé dans sa forme plurielle – evangelia – était en fait assez commun dans le monde antique et constituait un genre littéraire. Les evangelia étaient des annonces publiques de victoire, faites par un héraut au nom des principaux chefs militaires et/ou politiques de l’empire romain. Ces déclarations comprenaient trois éléments d’information significatifs: l’identité du vainqueur proclamé, la nature de ses accomplissements et les attentes qu’il avait à l’égard de ses sujets. 

Pour le père Damick, on ne peut pas comprendre pleinement l’Évangile chrétien en ignorant le sens de ce mot dans son contexte historique, un sens qui aurait paru évident à des auteurs contemporains comme ceux des Évangiles. En ce sens, il nous incite à le comprendre à la lumière de cette signification: l’Évangile nous parle de Jésus-Christ, de sa victoire sur le péché, certes, mais aussi sur les démons et la mort, et des attentes du Christ pour ses fidèles disciples. 

C’est à la fois une explication de la nature de l’Évangile et un cadre pour comprendre la dynamique du Salut. 

Après avoir réfléchi à la nature de l’Évangile – ce qu’il est, ce qu’il n’est pas – le père Damick aborde la nécessité de l’Évangile en relation avec la cosmologie biblique. L’Évangile, en tant que proclamation de la victoire, décrit la reconquête d’un monde déchu par l’Incarnation, le sacrifice et la résurrection de Jésus-Christ, notre Seigneur. 

Le reste du livre constitue un récit simple, court et pourtant profond, de l’identité de Jésus-Christ, de la nature de ses accomplissements et des attentes qu’il a pour nous. C’est dans ce contexte que nous devons comprendre, selon le père Damick, l’importance des commandements et la nécessité pour nous de les respecter, comme une expression de fidélité et de confiance intérieures, et non comme une obéissance servile à un ensemble arbitraire de règles, motivée par la peur de la punition. 

L’une des caractéristiques les plus intéressantes du livre du père Damick est son insistance sur la nature objective de l’Évangile et de sa signification. Ce que nous apprenons de l’Évangile, nous dit-il, se produit indépendamment de notre réponse. D’une certaine manière, cela constitue un avertissement bienveillant. Au lieu d’insister sur l’intérêt subjectif d’une personne à adhérer à l’enseignement de l’Évangile – qui est tout à fait réel – le père Damick espère démontrer que les événements relatés dans l’Évangile sont vrais indépendamment de notre croyance et doivent être pris au sérieux. Pour dire les choses autrement, l’Évangile ne concerne pas seulement votre personne, votre salut, même s’il recèle une excellente nouvelle pour vous. Il s’agit d’abord de la reconquête cosmique du monde par Dieu, et du choix de votre camp.

La bonne apologétique du père Damick, son langage et son approche de l’Évangile sont d’autant plus convaincants si l’on se remémore les paroles de saint Jean le Précurseur: 

« Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche. » (Matthieu 3, 2)

La guerre est-elle dans notre nature? La tradition catholique sur la guerre et la violence

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La guerre fait partie de la nature humaine. Vraiment?

L’homme, un loup pour l’homme?

L’une des affirmations les plus courantes de la pensée politique moderne est que l’homme, par nature, est une créature dangereuse, dont la vie est inévitablement liée à l’expérience de la violence et de ses conséquences, la guerre étant une expression primordiale de cette réalité.  

Cette hypothèse est omniprésente et sous-tend même les fondements de nos communautés politiques. En effet, les fondateurs intellectuels de l’État moderne – Thomas Hobbes, par exemple, affirmait que « l’homme est un loup pour l’homme » – ont souvent conçu l’État comme une institution qui nous garantit une certaine protection contre ce mal inévitable en échange de nos libertés naturelles.

Si notre nature est violente, il va de soi que les interactions entre les États devraient être menées sur les mêmes bases prédatrices, et les confrontations violentes entre eux ne devraient en aucun cas être pour nous une surprise. Si notre nature peut être domptée au sein des communautés politiques par un monopole de la violence, une telle chose n’est pas concevable au-delà des limites des communautés politiques particulières, c’est-à-dire entre les nations. 

Cette compréhension de la nature humaine et de ses implications pour la conduite des relations internationales est une caractéristique essentielle de la modernité. Dans le monde dans lequel nous vivons, la pensée et la pratique politiques sont comprises en termes de pouvoir – comment l’obtenir, comment le conserver. Toute tentative d’appliquer un raisonnement moral aux problèmes politiques nous apparaît comme une confusion d’ordres de réalité naturellement distincts.

Bien sûr, tout cela est étranger à la tradition catholique. Là où la modernité politique voit la nature violente de l’homme exprimée par des luttes de pouvoir, l’Église voit une perversion de la sociabilité de l’homme, naturellement ordonnée au bien commun. 

La crise russo-ukrainienne

La crise militaire qui se déroule le long de la frontière russo-ukrainienne et qui suscite un grand intérêt international est un bon exemple de tout cela.

Si, en apparence, il s’agit d’une confrontation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine voisine, personne ne se fait d’illusions: le véritable conflit oppose une alliance occidentale de démocraties libérales (dont les États-Unis sont la plus importante) à une Russie illibérale, nostalgique à bien des égards de sa gloire passée et motivée par des ambitions impérialistes sur son ancienne sphère d’influence, qui a historiquement inclut l’Ukraine

En partant d’une compréhension générique de ces événements en termes politiques modernes, nous pourrions considérer la tendance des grandes nations telles que la Russie et les États-Unis à étendre sans cesse leur sphère d’influence comme une expression naturelle de leur pouvoir. En fait, cette compréhension est si courante et nous vient si naturellement que nous avons beaucoup de mal à penser à ces choses en d’autres termes. 

Même nos plaidoyers pour la paix prennent ces idées pour acquises: nous espérons que les grandes puissances sauront faire preuve de retenue, en poursuivant leur ambition par des moyens moins dommageables, comme la diplomatie et la politique économique. Il ne nous vient même pas à l’esprit de douter que ces ambitions puissent exister ou qu’elles puissent porter en elles la potentialité de la violence. 

Une conception catholique de la guerre et de la violence 

Le point de vue catholique est différent. Ce n’est pas que nous n’apprécions pas la persistance de la violence dans l’expérience humaine, ni son caractère tragique. Cette réalité trouve une large expression dans les Écritures, ainsi que dans les écrits des saints et des docteurs de l’Église. Mais contre ceux qui pensent que l’homme est une créature fondamentalement violente, la tradition catholique présente une compréhension beaucoup plus sophistiquée de la nature humaine.

L’homme est par nature bon, même très bon. Il est également social, et sa bonté se manifeste dans une expérience partagée: la famille, puis la communauté politique. C’est au sein d’une communauté que la nature de l’homme se réalise, et c’est à ce titre que l’on peut parler du bien commun comme de la fin poursuivie par les hommes dans le cadre d’une communauté. Le but de la communauté n’est pas simplement d’éviter le mal, bien qu’elle cherche à le faire, mais de vivre la bonté de l’homme de manière intégrale, c’est-à-dire à travers tout ce que l’homme est.

Cependant, la tradition chrétienne tient également compte de la faiblesse de l’homme, qui, à la suite de la Chute, est enclin à commettre des péchés de toutes sortes. C’est cette réalité de la Chute et ses effets durables sur notre expérience dans cette vie qui est à l’origine des maux que nous attribuons paresseusement à la nature humaine. 

Cette tendance à désirer le bien tout en tombant de façon répétée dans divers maux a été décrite par saint Paul avec une merveilleuse perspicacité psychologique : « En effet, ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas ; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais. » (Romains 7,15).

C’est ainsi que nous comprenons le sens de la persistance de la violence et des luttes de pouvoir qui affectent si durablement nos communautés et nos vies politiques. Les communautés politiques, qui existent précisément pour favoriser l’unité et nous permettre de faire le bien d’une manière commune et non particulière, sont ce que nous utilisons si souvent à des fins individuelles, pour notre bien propre. Parce que les États sont gouvernés par des personnes particulières, et non des réalités abstraites obéissant à leur propre ensemble théorique de règles et de principes, le caractère pécheur de l’homme a des conséquences à des niveaux d’autorité auxquels nous n’avons pas l’habitude de penser en termes moraux. Accepter une séparation entre la politique et la morale est incompatible avec la tradition catholique de la philosophie politique.

La guerre comme absence de paix

Le christianisme traditionnel a toujours compris le mal comme l’absence de bien, plutôt qu’une force égale et opposée au bien. Cela signifie que la maladie n’est rien d’autre que l’absence de santé, la faim rien d’autre que l’absence de nourriture, le chaos rien d’autre que l’absence d’ordre et, oui, la guerre rien d’autre que l’absence de paix. 

La paix ne doit donc pas être comprise comme un état d’exception, ou comme l’ensemble des rares moments de recul entre deux guerres, mais comme la véritable expression de la nature et de l’activité humaine. La prévalence de la guerre n’est qu’indicatrice de péché et de désordre. Par conséquent, une perception de la guerre comme l’expression inévitable de la nature de la communauté politique est intrinsèquement désordonnée.

Néanmoins, l’Église catholique enseigne également que, dans des circonstances spécifiques, la guerre peut être menée d’une manière compatible avec la justice. Il s’agit de la célèbre théorie de la guerre juste. La différence entre la façon de penser de l’Église et celle du monde est que l’Église explique la persistance du péché et de la violence sans les attribuer à l’homme comme des caractéristiques intrinsèques et naturelles.

La conception de la guerre et de la violence que l’Église catholique a défendue tout au long de son histoire et sur laquelle elle a particulièrement insisté à l’époque moderne est un signe de contradiction pour un monde dont la conception particulière de la nature de l’homme et de son intégration dans des communautés politiques a conduit à des catastrophes sans précédent de mémoire d’homme. 

Nous pouvons raisonnablement espérer que sa force et son audace apporteront sagesse et prudence à ceux qui, à l’heure actuelle, sont dotés de l’autorité nécessaire pour réfléchir aux perspectives de paix. 

 

Certaines des idées qui ont influencé la rédaction de ce billet sont à leur meilleur exprimées dans cet essai, initialement publié dans Communio, une revue catholique internationale fondée, entre autres, par Joseph Ratzinger, Benoît XVI. 

Dieu en guerre?

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Pour les chrétiens qui vivent au XXIe siècle, bien comprendre la signification de la violence dans l’Ancien Testament est un défi. 

Le père Stephen De Young, dans son dernier livre, God Is a Man of War, espère apporter des réponses. Prêtre de l’Archidiocèse orthodoxe antiochien d’Amérique du Nord, le père De Young est aussi l’auteur de Religion of the Apostles, un livre d’apologétique orthodoxe publié l’année dernière. Également blogueur et animateur de balados, le père De Young est un acteur dans la conversation en cours dans les milieux chrétiens autour de la notion de réenchantement. 

La violence nous est devenue quelque peu étrangère. C’est sans doute le reflet d’une tendance générale dans le monde occidental qui, après des siècles de guerres, d’inimitié et de conquêtes, en est venu à la rejeter, du moins en apparence, sous la plupart de ses formes. Cela ne signifie pas que des actions violentes ne se produisent pas, ou que la guerre est devenue caduque, bien au contraire. 

Ce que cela signifie, c’est que nous avons développé une grande sensibilité à la violence, et que nous avons désormais tendance à en considérer toutes les expressions comme intrinsèquement répugnantes. Les guerres du passé nous semblent insensées; celles d’aujourd’hui se déroulent loin de l’attention du public occidental et se voient souvent conférer un vernis de respectabilité par une combinaison de vocabulaire (par exemple, « conflit » ou « opération ») et d’objectifs déclarés (par exemple, apporter la liberté et la démocratie). Les comportements violents ou agressifs chez les jeunes hommes sont désormais considérés comme des signes de problèmes psychologiques; ils ne sont plus tacitement tolérés comme une expression normale et acceptable – voire chérissable – de masculinité brute.

Cette caractéristique particulière de la culture occidentale contemporaine peut être décrite comme le résultat de l’influence résiduelle du christianisme dans des sociétés où, même si la pratique religieuse a fortement diminué, nombre de ses caractéristiques demeurent. Le christianisme a une très longue demi-vie, pour ainsi dire. En effet, il est apparu dans un monde où la violence était omniprésente, dans un monde où, pour beaucoup, la vie était souvent un cauchemar éveillé. 

À bien des égards, à mesure que ce monde s’est lentement converti au christianisme, il est devenu plus égalitaire, plus juste, et aussi moins violent. Le christianisme, par exemple, a permis de comprendre ce qu’est une guerre juste, et ce qu’elle n’est pas. Pour plusieurs raisons, aujourd’hui, même cela est devenu une possibilité lointaine. 

Les chrétiens contemporains sont quelque peu aveugles face à tout cela. Nous ne pensons pas souvent à la violence ou à la méchanceté dont le cœur humain peut être capable. Dans un monde largement pacifié, nous sommes devenus inaptes à comprendre la prévalence de la violence dans les âges précédents de l’histoire, dans la Chrétienté, mais aussi dans les Écritures. En effet, l’Ancien Testament contient de la violence à un niveau parfois terrifiant; le pire est largement mis de côté dans la liturgie. 

Il y a des raisons à cela, bien sûr. L’ensemble de ces passages est souvent difficile à comprendre et à replacer dans son contexte, ce qui s’explique ironiquement par le fait que le christianisme a réussi à apporter un peu de paix dans ce monde brisé. Ayant radicalisé jusqu’à des conclusions trompeuses l’aspiration à la paix contenue dans la foi chrétienne, nous sommes devenus largement incapables d’aborder ces passages et de les voir pour ce qu’ils sont. 

Pour ces raisons et bien d’autres, le livre du père De Young s’avère très utile. 

Fort de ses connaissances en histoire et en langues anciennes, le père De Young s’oppose à ce qu’il associe à des formes modernes de marcionisme, une hérésie chrétienne primitive caractérisée par une conception du Dieu miséricordieux présenté dans le Nouveau Testament comme différent et opposé à un Dieu supposé brutal et vengeur présenté dans l’Ancien Testament.

Comme le souligne De Young, cette compréhension superficielle de l’Ancien Testament, condamnée comme une hérésie aux premiers siècles pour son application arbitraire d’une herméneutique de la rupture à l’histoire du Salut, est aujourd’hui très courante. 

D’une part, l’Ancien Testament est souvent décrit de cette manière par des figures non religieuses, parfois de manière à discréditer la foi chrétienne. D’autre part, elle est également présente de manière naïve chez des chrétiens qui, pour diverses raisons culturelles précédemment évoquées, sont largement privés d’un cadre analytique approprié pour comprendre comment Jésus-Christ – loin des représentations parfois sirupeuses que nous entretenons – ne peut être aisément compris en dehors de l’Ancien Testament puisqu’il en accomplit les promesses et en parle le langage. 

Dans un ouvrage relativement court, De Young aborde les notions de justice divine, de combat spirituel, de mort et de guerre sainte. Il examine également de près le péché, montrant comment il affecte le monde matériel de manière très concrète, le comparant à une infection.

La manière dont le père De Young aborde ces sujets, notamment en considérant le monde antique et sa propension à la violence à la lumière de la hiérarchie des êtres au sein de la Création de Dieu, s’avérera certainement déstabilisante pour certains lecteurs, qui bénéficieront en retour d’une compréhension plus approfondie de la nature du cosmos que le Christ, Notre Seigneur, est venu sauver. 

De Young aborde également en particulier certains passages de l’Ancien Testament dont la brutalité peut être plus difficile à comprendre. Mais le génie de ce livre, et plus généralement de l’œuvre du père De Young, réside dans la capacité de l’auteur à illustrer la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre la nature, la loi et la grâce, en offrant un récit de la foi chrétienne qui englobe des réalités et des expériences que nous avons l’habitude de négliger.

Dans le développement remarquable d’une conversation chrétienne publique sur ces questions au cours des dernières années, nous sommes particulièrement reconnaissants à nos frères et sœurs orthodoxes. Participons-y avec la générosité de notre Tradition, la meilleure façon d’exprimer notre gratitude.

Les profondeurs de Ross Douthat

(Image : Courtoisie de Unsplash)

Parmi les bons livres que j’ai lus en 2021 figure le récent opus de Ross Douthat, The Deep Places: A Memoir of Illness and Discovery, dans lequel l’auteur s’écarte de ses chemins habituels.

Ross Douthat est surtout connu comme chroniqueur d’opinion au New York Times, où il est l’une des rares voix conservatrices. Se concentrant sur des questions telles que la politique, la religion et les problèmes moraux, il est un auteur et un orateur agile, reconnu pour sa capacité particulière à entrer en relation avec un public réticent sans diluer sa propre perspective. Le précédent livre de Douthat, The Decadent Society, constitue une analyse bien documentée de ce qu’il considère être une tendance à la décadence dans les sociétés occidentales.

Figure bien connue du monde de la droite politique aux États-Unis, Douthat est un catholique et un passionné de fantasy, ainsi qu’un habile défenseur de positions chères aux conservateurs sociaux. Il partage également une perspective économique populiste, un cocktail d’idées de plus en plus courant dans le discours public américain. 

Il est toutefois intéressant de noter que le dernier livre de Douthat n’a pas grand-chose à voir avec tout ça. Au contraire, The Deep Places est un récit profond et touchant sur les effets d’une forme particulière de maladie dans la vie de son auteur. Écrit avec une franchise éloquente, l’ouvrage entraîne le lecteur dans un voyage vers les vérités de la souffrance négligée. 

Comme écrivain, Douthat jouit d’un succès considérable, occupant l’un des postes les plus prestigieux de l’industrie. Vivant avec sa femme et ses enfants à Washington, D.C., il se met à rêver d’une grande évasion. Profitant des ressources dont dispose sa famille, il investit dans une superbe propriété en Nouvelle-Angleterre, loin des perturbations de la capitale, dans un environnement plus calme et plus sain, un vrai chez-soi.

Les choses se sont déroulées autrement. Très vite, Douthat est contaminé par la maladie de Lyme qui, dans son cas, évolue vers une forme chronique, entraînant une série de symptômes divers, notamment des douleurs insupportables dans différentes parties de son corps. 

Fréquente dans le nord-est des États-Unis, la maladie de Lyme est causée par une bactérie qui se propage par les tiques. La forme chronique de la maladie, cependant, n’est pas reconnue dans les cercles médicaux et est souvent négligée, laissant les personnes qui s’en disent atteintes sans autre solution que de chercher des formes alternatives de médecine et de soins pour remédier aux effets débilitants de la maladie. C’est, en quelque sorte, l’épine dorsale de l’histoire que Ross Douthat raconte dans son livre, sous de multiples angles. 

Par moments, le récit de Douthat devient intensément personnel. Lorsqu’il aborde la façon dont la maladie a affecté sa vie familiale, il n’hésite pas à reconnaître les tensions émotionnelles et les obstacles financiers. Il parle de ce qu’il perçoit comme un orgueil démesuré dans la contemplation passée de la maison de ses rêves avec une franchise pleine d’humilité. 

Lorsqu’il explique longuement les réalités de la maladie de Lyme, Douthat note souvent comment il a été pris au dépourvu dans son scepticisme naturel. Le lecteur ressent l’étonnement de l’auteur face à sa propre situation, à ses propres limites et à ses propres lacunes dans la compréhension de ce qui lui arrive, mais aussi sa volonté inattendue d’accepter ce en quoi il a dû mettre sa confiance. 

En effet, à mesure que Douthat dévoile le monde des malades, les expériences de ceux dont la vie a été bouleversée par la maladie de Lyme, le lecteur est exposé à une étrangeté saisissante. De la « prestataire de soins de santé » qui affiche sa croyance en la théorie conspirationniste des chemtrails à la machine à champs électromagnétiques, cachée de sa femme au dernier étage de la maison, Douthat semble tout dévoiler.

Venu d’un écrivain catholique qui, de son propre aveu, n’est pas caractérisé par une disposition spécialement pieuse, The Deep Places apporte des histoires d’une profonde signification spirituelle qui illustrent avec une clarté éclatante comment l’expérience de la souffrance a eu un impact durable sur la vie religieuse de Douthat, montrant la danse de la douleur et de l’espérance. 

Une bonne dose de connaissances médicales, un peu de foi, un soupçon de curiosité journalistique et un zeste d’étrangeté pure, et voilà, The Deep Places vient de vous frapper en plein visage. Il semble improbable qu’un livre sur la maladie de Lyme puisse être aussi fascinant, mais c’est vraiment le cas. Et pas seulement parce qu’il a l’ampleur, la profondeur et la portée d’un récit personnel étoffé. Douthat parvient en fait à rendre l’histoire de sa maladie et tout ce qui s’y rapporte intéressant en soi. 

Après deux ans de grands titres ininterrompus et, franchement, de journalisme paresseux sur « la situation actuelle », Douthat révèle comment les thèmes de  « la maladie et la découverte » peuvent encore valoir la peine d’être pensés, écrits et lus. 

 

Le nouvel âge de Chantal Delsol

(Image: Courtoisie de Unsplash)

Chantal Delsol, une figure majeure de la vie intellectuelle et catholique en France, publiait récemment au Cerf un ouvrage passionnant sur le thème de La fin de la Chrétienté. Sous-titré L’inversion normative et le nouvel âge, le récent opus s’inscrit dans le contexte d’une réflexion sur la réalité du christianisme dans l’ordre social et politique alors que la pratique religieuse s’estompe dans la vie publique. 

Avec un remarquable esprit de synthèse et un recul critique admirable, l’auteure se penche sur les origines et les implications de la réalité historique sur laquelle elle se penche avant de s’attarder aux horizons futurs, ne craignant pas de secouer ceux qui, parmi ses lecteurs, pourraient regretter l’idéal de Chrétienté aussi bien que ceux qui se seraient engagés à le pourfendre. 

L’ouvrage de Delsol est essentiellement articulé autour de cinq thématiques. Comme on l’a indiqué, l’auteure se donne d’abord pour mission de comprendre les origines historiques du problème. Dans le cas qui nous intéresse, c’est en fait plutôt du début de la fin dont il est question. 

Chantal Delsol dresse un portrait succinct de la pensée et de l’action politique contre-révolutionnaire, ou réactionnaire, qui caractérisent certains milieux catholiques alors qu’au XIXe siècle intervient une polémique vigoureuse entre le monde – progressivement acquis aux préceptes de la tradition intellectuelle libérale sous des formes plus ou moins radicales – et l’Église, qui défend alors ses droits, ses prérogatives et ses privilèges sous la forme d’un discours holistique qu’en des termes contemporains nous qualifierons sans doute d’illibéral.

Au discours institutionnel de l’Église évidemment s’ajoutent les contributions des penseurs contre-révolutionnaires qui, parlant pour eux-mêmes, ont parfois été conduits sur des chemins intellectuellement incertains. Par ailleurs, l’auteure souligne que l’entreprise contre-révolutionnaire a, dans certains cas, donné lieu à de dérives ritualistes, davantage préoccupées par la restauration d’une société d’ordre que par la propagation de la foi comme vertu et comme dépôt. 

Par la suite, Chantal Delsol décrit ce qu’elle appelle une inversion normative, survenue durant le passage de la Chrétienté à l’Occident moderne, suivant lequel nombre de principes d’ordre moraux et éthiques ont été rejetés, en fait proprement retournés contre eux-mêmes. Elle aborde naturellement les questions dites sociétales habituelles – mariage entre personnes de même sexe, avortement, euthanasie, etc. – soulignant que pour elle, à bien des égards, l’enseignement moral chrétien sur ces questions et plusieurs autres avaient caractère de nouveauté dans le monde païen, alors que le christianisme était minoritaire. 

Pour Delsol, le renversement de l’opinion et de la norme juridique sur plusieurs de ces questions traduit une inversion normative, un retour à un ensemble de valeurs caractéristiques du paganisme qui avaient elles-mêmes été renversées par l’irruption du christianisme en d’autres temps. Delsol soutient que les changements éthiques majeurs de ce type sont le résultat de conversions religieuses. 

Chantal Delsol soutient que l’inversion des normes faisant autorité morales et/ou légales dans les sociétés occidentales s’explique en retour par une inversion philosophique, ou ontologique, c’est-à-dire un changement radical et profond quant à notre compréhension de la réalité, et en l’occurrence l’idée que nous nous faisons du divin. Ainsi, elle avance que notre époque est marquée par une inclination renouvelée au panthéisme alors que se fragilise le monothéisme caractéristique des religions abrahamiques. 

Aussi, l’auteure avance qu’en dépit de l’effacement du christianisme comme véhicule universel des perspectives morales et spirituelles en Occident, elle entrevoit l’émergence d’une forme de religion de l’humanité, l’humanitarisme fondé sur le sentiment du semblable.  

De façon intéressante, toutefois, Delsol, une catholique acquise aux mérites de la tradition, montre une certaine réticence à pleurer la dissipation de la Chrétienté, dont elle associe les défenseurs à des soldats formés pour perdre, mû par une éthique de la conviction. 

Plutôt, elle met de l’avant la possibilité que le christianisme, dissocié des contraintes institutionnelles, culturelles, politiques, sociales et civilisationnelles de la Chrétienté, puisse davantage ressembler à son expression dans les premiers siècles et, reprenant le mot d’Émile Poulat, qu’ « il n’est pas sûre que Dieu ait perdu au change », s’inscrivant ainsi dans une tradition d’intellectuels catholiques critiques de la nostalgie de l’ordre pré-moderne.  

L’ouvrage de Chantal Delsol, fascinant, est court, vif, et fouillé. On y trouve en référence certains des penseurs les plus à même de nous aider à réfléchir aux questions qui concernent ces rapports complexes entre le christianisme et la société politique en dehors du paradigme de la Chrétienté. Remarquablement, Delsol reprend souvent l’exemple du Québec et de la révolution tranquille pour expliquer le contexte religieux et politique qui a conduit à la chute ou à l’effacement de la société politique chrétienne en Occident. 

Soulignons cependant que la lecture mise de l’avant par Delsol des développements survenus dans la doctrine de l’Église catholique durant le Concile Vatican II est caractérisée par une certaine herméneutique de la rupture. Il est certain que le contraste entre le bienheureux Pape Pie IX et saint Jean XXIII, en ce qui a trait au ton, est saisissant. Aussi, les caractérisations de la liberté de religion, en particulier, faites par le premier et le second donne aisément à penser qu’une rupture est survenue.

Mais suivant l’heureuse contribution du Pape émérite Benoît XVI, cependant, nous sommes appelés à comprendre les enseignements du magistère à partir d’une herméneutique de la continuité, qui nous éloigne d’une tendance courante à chercher la rupture pour ensuite la décrier, qu’elle soit trop ou insuffisamment radicale. Sur la question de la liberté de religion, qui après tout permet de saisir mieux que tout autre les réalités différenciées de l’Église de la Chrétienté au monde moderne, le philosophe Pierre Manent, que Delsol cite, affirme : 

Si l’on voulait résumer la doctrine de l’Église d’une formule qui vaille pour les deux périodes, on dirait quelque chose comme ceci : les hommes sont appelés à parvenir librement à la vérité dont l’Église est le dépositaire et l’instrument (Manent, Cours familier de philosophie politique, p. 166).

Somme toute, cependant, l’ouvrage de Delsol met de l’avant une articulation fine et équilibrée des réalités, passées et futures, de l’inscription des Chrétiens dans le monde social et politique, bien davantage que le titre de l’ouvrage, un peu plat, ne le donne à croire au départ.

Qui a encore besoin de l’univers?

(Image : Courtoisie de Unsplash)

Mark Zuckerberg, cherchant à redorer le blason de Facebook après des années de critiques soutenues, a annoncé il y a quelques semaines que son entreprise serait renommée Meta afin de refléter sa volonté d’être un leader dans la création du métavers. 

Nombreux sont ceux qui ont critiqué ou ridiculisé cette initiative, considérant le métavers de Zuckerberg comme un faux-fuyant dont le but est de changer la teneure de la conversation après une série de controverses et d’attaques contre l’organisation qu’il dirige. C’est peut-être vrai, mais cela ne signifie pas que nous ne devons pas prendre au sérieux les promesses du métavers.

La nouvelle normalité se déchaîne

Grâce au travail acharné d’une élite culturelle d’entrepreneurs géniaux, nous n’aurons finalement plus à endurer l’univers. Exactement ce que vous cherchiez! Fatigué de faire la navette? Pas besoin! Vous en avez assez du centre commercial? On s’en fout! Vous vous réveillez tôt le dimanche matin pour aller à la messe et vous en avez assez? Qui a besoin de ça de toute façon… Vous pouvez faire tout cela – et bien plus encore! – depuis le confort de votre maison. 

Ça vous semble familier ? On n’en doute pas. 

Bien sûr, l’expérience de la pandémie de COVID-19 a démontré que, dans des circonstances graves et extraordinaires, nous pouvons effectivement limiter notre expérience du réel par le biais d’écrans, de claviers et de caméras, une idée qui n’était pas du tout courante il y a peu. 

Certains ont même prospéré sous ce régime d’exception. Le télétravail a ouvert un monde de possibilités dont j’ai pu, pour ma part, tirer parti. Pourtant, les dommages d’une vie vécue à travers des avatars, des identités secondaires, des jeux vidéo et la réalité virtuelle sont aussi importants qu’ils sont communs. 

La socialisation virtuelle, désenchantée

Les réalités de la socialisation virtuelle sont bien connues. 

On souffre de dépression et d’anxiété à des taux alarmants. Les jeunes – en particulier les jeunes femmes – montrent des signes d’inconfort intense avec leur corps en raison d’une surexposition à des images irréelles. 

Les jeunes hommes sont souvent absorbés dès leur plus jeune âge par la consommation de pornographie et se sont habitués au pire du pire en termes d’images sexuelles violentes. Ils sont de plus en plus engloutis dans un monde de jeux vidéo qui leur fait perdre du temps, absorbe leur énergie et les prive de capacités sociales essentielles à leur développement et à leur bonheur. 

Nous parlons souvent de la façon dont internet et les médias sociaux ont contribué à l’aliénation politique et à la polarisation sociale. Nous avons entendu parler encore et encore et encore de la fragmentation des médias. Ce sont de vrais problèmes. Mais l’aliénation est plus profonde que cela. 

L’estrangement des sexes

À bien des égards, jeunes hommes et jeunes femmes ont été séparés par des activités parasites différenciées qui affectent leur développement respectif et leurs interactions mutuelles d’une manière effrayante. De l’utilisation excessive des médias sociaux aux cyberdépendances liées à la pornographie et aux jeux vidéo, la socialisation virtuelle a des effets durables, souvent déplorables.

Bien sûr, beaucoup de jeunes ne se marient plus et n’ont plus d’enfants, du moins pas avant un âge plus avancé. Nous le savons, et les raisons de cette évolution forment un réseau complexe de changements sociaux et culturels. 

Mais aujourd’hui, ils ne datent plus. En fait, bien souvent, ils ne se rencontrent même pas. Lorsqu’ils se rencontrent, cela mène dans bien des cas à la déception, à la frustration et à l’incompréhension. La culture engendrée par la socialisation virtuelle ne leur a tout simplement pas donné les outils nécessaires pour se comporter d’une manière qui soit révélatrice de leur situation particulière, intentionnelle quant au but de l’occasion, ou ordonnée selon un objectif spécifique et plus élevé. 

La spiritualisation du monde

Il y a quelque temps, un ami proche m’a fait part d’une réflexion : d’une manière très étrange et effrayante, nous nous sommes spiritualisés. Nous sommes plus spirituels que nous ne l’avons jamais été. C’est l’une des choses les plus inhabituelles que j’aie entendues depuis un bon moment. 

Ceux d’entre nous qui sont chrétiens accordent souvent une grande valeur à ce qui est considéré comme spirituel. Et nous avons raison! Jusqu’à un certain point. Mais la nature de nos corps humains, animés par des âmes immatérielles, est révélatrice de l’excellence de notre physicalité. Nous parlons souvent du christianisme comme de la religion de l’Incarnation. Pourtant, une erreur très courante dans l’histoire du christianisme a été de mépriser notre corporéité. 

Tout au long de l’histoire, on a exprimé les réalités de l’esprit et de l’âme par des signes extérieurs, chargés de sens. Les nobles portaient des vêtements ostensiblement riches en matériaux, en couleurs et en symboles de la maison ou de la famille à laquelle ils appartenaient, par exemple. Les relations entre personnes de milieux, d’origines ou de sexes différents étaient dictées par certaines règles de conduite pleines de sens – et souvent de sagesse – mais parfois cachées derrière un rideau de traditionalisme, d’entêtement ou de snobisme. 

Aujourd’hui, nous n’avons plus d’aristocrates, mais nous avons certainement des oligarques, et ce sont eux qui proposent le métavers. Certaines de leurs fortunes s’élèvent à des centaines de milliards de dollars, mais il est souvent impossible de les distinguer extérieurement du citoyen moyen. 

D’une certaine manière, c’est la promesse de la socialisation virtuelle : devenir celui que l’on souhaite être. Les limites et les contraintes ont disparu, tout comme la compréhension de ses capacités et de ses faiblesses – son corps – dans le contexte de la personnalité donnée par Dieu.

Un vernis de démocratisation 

D’un point de vue socio-économique, cela illustre le triomphe d’un esprit démocratique qui domine la culture de notre époque et dont on pourrait penser qu’il tire ses origines de l’Évangile. 

Nous n’attendons plus que le visible parle de l’invisible, que ce soit dans des choses simples comme les vêtements ou les comportements amoureux, ou plus généralement dans nos interactions sociales, dans nos divertissements, dans notre sexualité. En ce sens, nous sommes plus spirituels que nos aînés. Pour faire simple, nous n’interagissons pas avec le monde dans toute sa physicalité.

Des promesses utopiques

Bien sûr, cela a beaucoup à voir avec internet, qui a certainement apporté des avantages indéniables en cours de route également. Cependant, si l’on considère les attentes quelque peu utopiques qui entouraient internet à ses débuts, on ne peut s’empêcher de se demander ce que le « métavers » apportera de bon une fois que nous en serons faits prisonniers. 

Si l’internet est un carré, le métavers sera un cube. Un mécanisme proprement dystopique prêt à nous maintenir dans le travail, le divertissement, la solitude et le désespoir, assis sur une pile de gadgets désuets, de restes de livraison et de chaussettes sales.

Se tenir à une saine distance sera difficile mais essentiel. On dit parfois que les outils en eux-mêmes n’ont pas de portée morale, une notion que nous pourrions vouloir contester. Mais le métavers n’est pas tant un outil qu’une idée de la vie bonne qui est étrangère à une compréhension classique et chrétienne de la personne humaine et de la façon dont elle peut trouver le bonheur. 

Une communauté qui a du corps

Le plus souvent, les relations saines et significatives, les amitiés, les mariages, les fratries ne peuvent pas être soutenues, ou croître dans la charité, lorsque nous sommes tous seuls.

La vie sacramentelle – qui accueille l’homme dans une relation avec Dieu par des signes tels que l’eau, le pain consacré et l’union conjugale – est l’une des façons par lesquelles les chrétiens sont liés à la communauté entre eux et avec Dieu, une communauté qui a du corps. Après tout, on parle du corps mystique du Christ.

Nous devons habiter nos églises, nos communautés, nos familles, nos amitiés avec la totalité de nous-mêmes. Vraiment, qui a besoin du métavers ? 

Le Christ, roi de nos âmes

(Image : Courtoisie de Wikimedia)

Vivant dans des sociétés démocratiques et libérales, nous sommes habités par un idéal d’égalité qui, pour certains, rend la fête du Christ-Roi difficile à comprendre ou à apprécier.

L’idéal du roi chrétien

L’institution de cette fête, célébrée pour la première fois en 1926 et introduite par le pape Pie XI dans l’encyclique  Quas primas, émerge d’une expérience politique et sociale concrète. Après la Première Guerre mondiale, l’Europe est frappée par la montée des idéologies. Sur tout le continent, des monarques pétris de religion sont déposés et remplacés par de nouveaux dirigeants, souvent hostiles au phénomène religieux. La fête du Christ-Roi est née en réponse à ce mouvement et insiste sur la souveraineté du Christ sur l’ensemble de la Création. 

L’attachement à l’idée monarchique était courant chez les catholiques de l’époque, enraciné dans une tradition mystique qui existait du Moyen Âge au XIXe siècle. De même, la relation filiale entre le roi et son sujet est profondément ancrée dans notre expérience humaine. Le désir irrépressible de servir le vrai roi, et donc de participer à quelque chose qui va au-delà de – et transcende la – banale égalité passive de nos vies quotidiennes, est largement exprimé dans la culture humaine à travers les âges. Pourtant, bien que nous l’oublions trop souvent, nous avons un Roi : 

Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et les gens de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite. (Daniel 7:14)

Le Christ-Roi dans la culture populaire

Aujourd’hui, alors que nous nous donnons beaucoup de mal pour rendre invisible la relation de service mutuel entre celui qui commande et celui qui participe au bien commun par une obéissance active, cette expérience reste bien vivante à travers une remarquable diversité de représentations dans la culture populaire. 

Par exemple, de nombreuses personnes, en particulier des catholiques, ont été touchées par les vertus héroïques des personnages de la trilogie Le seigneur des anneaux de Tolkien, qui, du plus humble au plus puissant, jouent chacun leur rôle dans un mouvement qui conduit à la défaite du seigneur des ténèbres et au couronnement dans la gloire du digne héritier de la véritable lignée royale. 

Aragorn, le roi exilé du Gondor, représente ainsi un point culminant de la représentation narrative du Christ-Roi dans la culture populaire contemporaine, et l’extraordinaire approbation critique et populaire de son incarnation dans la trilogie cinématographique qui fête cette année son vingtième anniversaire illustre la permanence de ce trope, profondément inscrit dans notre imaginaire. Qui n’a pas envie de se battre aux côtés d’Aragorn? 

La royauté cosmologique du Christ 

En 1969, le pape saint Paul VI a changé le nom de cette fête, qui est devenue la solennité de Notre Seigneur Jésus-Christ, roi de l’Univers. En même temps, il en déplace la date au dernier dimanche du calendrier liturgique, juste avant le début de l’Avent. 

D’une fête conçue comme une réponse à l’estrangement des ordres politique et religieux, le Christ-Roi a pris une orientation eschatologique, où la royauté du Christ est abordée du point de vue des derniers jours. Ces deux perspectives sur la royauté du Christ, loin de se contredire, se situent sur un continuum qui embrasse notre nature pour l’élever dans la Grâce. 

Si nous sommes appelés, en effet, à participer à la vie sociale et politique de nos démocraties libérales avec bonne foi, avec le goût du bien commun, nous devons aussi garder une conscience aiguë de leurs défaillances. Le vrai Souverain seul commande en justice une allégeance sans réserve. 

En un sens très profond, être disciple du Christ, être chrétien, c’est prêter un serment de fidélité au Roi des rois, s’engager dans l’armée du Christ, choisir son camp dans une combat spirituel qui se poursuit malgré l’assurance d’une victoire décisive. Le Christ-Roi se trouve au sommet d’une hiérarchie cosmique à laquelle nous appartenons concrètement. Lorsque nous reconnaissons le Christ comme notre Roi, faisons-le de manière très concrète, avec tout ce que cela implique. 

Loin de nous les simples invocations pieuses ! 

Le gouvernement de nos âmes

Paul VI, en donnant une tonalité nouvelle à la fête du Christ-Roi, montre le chemin et le lieu concret de cette allégeance. Être fidèle au Christ, ce n’est pas d’abord rechercher le retour de l’État chrétien où s’harmonisent la justice divine et la justice humaine. L’armée du Christ n’est vraisemblablement pas composée de croisés : 

Ma royauté n’est pas de ce monde ; si ma royauté était de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. En fait, ma royauté n’est pas d’ici. (Jean 18:36). 

Le combat auquel le Seigneur nous invite n’est pas entre les hommes, ici sur la Terre. C’est d’abord un combat spirituel, qui se déroule en chacun de nous – dans nos cœurs, nos âmes et nos consciences. Dans cette lutte, le Christ doit être notre commandant, afin que nous devenions ses instruments inutiles. 

Comprendre la controverse sur la cohérence eucharistique aux États-Unis

(Image : Courtoisie de Unsplash)

Au cours des derniers mois, un nouveau mot à la mode a commencé à circuler dans les milieux catholiques américains, débordant jusque dans les médias grand public et provoquant une controverse appréciable : la notion de cohérence eucharistique

À première vue, la conversation qui y est associée semble jaillir d’une collision assez peu commune entre les affaires de l’État et celles de l’Église, tournant autour de l’élection d’un deuxième président catholique, Joe Biden, mais les racines d’une réflexion renouvelée sur l’eucharistie dans le contexte américain soient plus profondes que cela. 

Commençons par rendre compte – autant que faire se peut – du contexte social et politique.

Un homme et son temps

Joe Biden avait 17 ans lorsque JFK – le tout premier président catholique, lui aussi d’origine irlandaise – a été élu en 1960 ; il avait 20 ans lorsque Vatican II s’est ouvert en 1962 ; il avait 25 ans lorsque Humanae Vitae a été promulguée en 1968 ; et il était déjà bien engagé dans sa carrière politique lorsque Jean-Paul II est devenu pape en 1978. La génération de catholiques américains à laquelle il appartient est à bien des égards différente des plus jeunes générations.

Les catholiques de la génération de Biden faisaient souvent partie de groupes ethniques confrontés à la marginalisation : Irlandais, Italiens, Polonais, Canadiens français, etc. Leur foyer naturel était le Parti démocrate, qui, à l’époque, était perçu par beaucoup comme reflétant mieux la doctrine sociale de l’Église, avec ses idéaux économiques progressistes et sa lutte pour les droits civils, au niveau fédéral du moins. 

Lorsque Biden est entré en politique fédérale en tant que jeune sénateur du Delaware en 1973, le jugement historique de la Cour suprême sur la légalité de l’avortement, Roe c. Wade, était à quelques jours d’être prononcé. Cette décision particulière est finalement devenue un point de désaccord majeur dans la société américaine, conduisant à une ère de guerres culturelles opposant les partisans d’une conception traditionnelle du mariage, de la famille, de la sexualité, mais aussi de la religion et de sa relation avec le politique, aux partisans d’une conception progressiste du libéralisme. 

Pendant un bon moment, ces guerres culturelles ont opposé les membres des partis respectifs tout autant que les partis eux-mêmes. Il y avait des démocrates pro-vie et pro-choix ainsi que des républicains pro-vie et pro-choix. Cependant, sous l’influence d’un processus lent mais croissant de polarisation politique et sociale, les deux partis sont devenus de plus en plus liés à l’une ou l’autre de ces positions. 

Une société polarisée, une Église déchirée

En conséquence, les Américains qui voulaient voter pour l’un ou l’autre des grands partis politiques traditionnels devaient choisir entre un parti économiquement et socialement conservateur et un parti économiquement et socialement libéral, laissant les catholiques américains avec deux options souvent peu attrayantes.

En effet, comme nous le savons, la doctrine sociale de l’Église, une tradition qui, dans sa forme moderne, remonte au pape Léon XIII, rejette à bien des égards le type de perspective économique que l’on décrit habituellement comme conservatrice aux États-Unis, du moins jusqu’à un certain point. L’Église catholique ne s’est pas engagée dans des considérations politiques et économiques particulières sur les moyens de mettre en œuvre les principes généraux qu’elle avance, mais le genre de dédain pour le pauvre qu’on a pu voir au cours des dernières décennies chez certains éléments de la droite américaine entre clairement en contradiction avec les instincts sociaux de nombreux catholiques. 

D’autre part, les enseignements clairs, définitifs et faisant autorité de l’Église sur des questions telles que l’avortement, le mariage et la sexualité, par exemple, mais aussi sur l’euthanasie et des notions générales de bioéthique, ont souvent été décrits dans notre environnement polarisé comme étant conservateurs. La plupart des grandes figures progressistes ou libérales du pays se sont associées à des luttes sociales et politiques contre ces normes qui, pour la plupart, ne sont pas en fait ancrées dans la croyance religieuse tant qu’elles reflètent l’attachement continu de l’Église catholique à une philosophie morale réaliste. En termes simples, cela signifie que la loi morale que nous soutenons épouse notre nature et que l’adhésion à cette loi conduit au bonheur. 

Dans ces guerres culturelles, les catholiques ont souvent été pris entre l’arbre et l’écorce. La pression exercée pour se conformer à un environnement politique polarisé ne cessant d’augmenter, beaucoup se sont retrouvés face à un choix binaire : soit ils devaient mettre de côté les principes économiques de la doctrine sociale de l’Église – comme s’il s’agissait d’une sorte de supplément facultatif – et se ranger du côté des conservateurs, soit ils prenaient le parti des libéraux sur des questions épineuses afin de poursuivre leur vision de la justice sociale. 

L’avortement et les guerres culturelles

Il s’agit évidemment d’une représentation très schématique de la situation, mais à bien des égards, cette dichotomie a également défini une nouvelle division au sein de l’Église entre ce qu’on a appelé des « catholiques libéraux » et des « catholiques conservateurs » – un schisme politique indésirable qui a déchiré l’unité de l’enseignement de l’Église sur les questions concernant le bien commun d’une manière très dommageable. Néanmoins, cette division a défini le catholicisme américain pendant des décennies – jusqu’à ce que des événements récents viennent brouiller les cartes. 

Joe Biden, un catholique irlandais du Delaware aux tendances progressistes, a choisi son camp, comme tant d’autres. Modéré dans l’âme, il s’est efforcé tout au long de sa carrière de maintenir une position mitoyenne sur des questions dites complexes comme l’avortement. Dans les années 70, il était personnellement opposé à l’avortement et politiquement favorable à certaines restrictions. Aujourd’hui, au soir de sa vie politique, la position de Biden sur l’avortement reflète le courant dominant du progressisme actuel : il est clairement et sans équivoque en faveur de la légalité, de la disponibilité et du caractère abordable de l’avortement, et dirige son administration en conséquence. 

Évidemment, cela contraste avec l’insistance de l’Église catholique à dénoncer l’avortement et à plaider pour son abolition. L’avortement a été décrit comme une question morale de très haute importance par tous les Papes à qui la question a été posée, depuis qu’elle est considérée comme un sujet de débat. Les catholiques, selon l’enseignement de l’Église, ont l’obligation morale d’aborder cette question, lorsqu’ils exercent leur droit de vote, avec grand soin et grande considération.

Selon un mémorandum de 2004 produit par la Congrégation pour la doctrine de la foi, signé par son préfet – à l’époque Joseph Ratzinger, qui est devenu le pape Benoît XVI peu après – une personne peut voter pour un candidat qui défend la position pro-choix, avec un esprit de proportion, malgré la position dudit candidat, mais jamais à cause de cette position. Dans le même esprit, un acteur politique donné qui est catholique peut choisir de ne pas poursuivre une lutte politique contre l’avortement pour des raisons prudentielles dans certaines circonstances, mais ne peut pas, par ses actions, faciliter l’accès à l’avortement sans prendre part à un acte intrinsèquement mauvais. 

La vitalité des débats sur l’avortement dans la société et la politique américaines est devenue spécifique au contexte américain. Dans d’autres pays, comme le Canada et une grande partie de l’Europe occidentale, la réalité est qu’il y a très peu d’intérêt politique pour un changement sur cette question, du moins pour le moment. En ce sens, les politiciens américains de confession catholique se trouvent dans un ensemble très spécifique de circonstances morales et politiques qui seraient impensables ailleurs de nos jours.

Des tensions croissantes 

Le fait qu’un président catholique en exercice (et nous pourrions également noter une présidente en exercice de la Chambre des représentants, également catholique) s’oppose si vigoureusement à l’agenda pro-vie dans de telles circonstances a entraîné des tensions au sein de l’Église catholique des États-Unis. Certains perçoivent Biden comme une figure modérée qui a aidé le pays à guérir, à dépasser une présidence remarquablement controversée et – diraient-ils – dangereuse. Le programme économique et environnemental de Biden serait également décrit par beaucoup comme plus conforme à des principes de solidarité sociale que celui de son prédécesseur. 

Cependant, d’autres estiment qu’un catholique contredisant la plus haute autorité de l’Église sur une question aussi importante fait scandale. Après tout, Biden ne se contente pas de tolérer l’avortement comme une réalité inévitable, mais a été un défenseur constant, bien que prudent, du mouvement pro-choix au fil des ans. Ceci, disent-ils, laisse Biden dans un état de péché grave, public et obstiné, et les personnes dans sa situation ne devraient pas être autorisées à recevoir la communion, parce qu’elles ne sont pas, en fait, en communion avec l’Église sur une question morale clairement et définitivement réglée. 

L’argumentation en faveur de cette position se fonde sur le droit canonique, en particulier le canon 915, qui stipule que : « les excommuniés et les interdits, après l’infliction ou la  déclaration de la peine et ceux qui persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste, ne seront pas admis à la sainte communion ». Selon le mémorandum de la CDF cité ci-dessus, les hommes politiques qui militent activement en faveur de l’avortement ou de l’euthanasie ne devraient pas être autorisés par leur pasteur à recevoir la communion tant qu’ils se trouvent dans cette situation objective de péché. Cette position a été maintenue par l’USCCB – la Conférence des évêques catholiques des États-Unis – depuis lors. 

Certains prêtres et évêques estiment toutefois que toute décision visant à isoler le président Biden et à lui refuser la communion serait motivée par des considérations politiques. Ils pensent qu’une telle décision aurait pour effet de politiser l’eucharistie d’une manière qui divise et, en tant que telle, serait contraire à la notion même de communion. 

Une Église prise au piège

Ces débats ont donné lieu à une rhétorique intense dans le monde des médias catholiques américains. C’est dans ce contexte que l’USCCB a choisi, après un vote plus tôt cet été, d’approuver la rédaction d’un document sur l’eucharistie, espérant méditer et réfléchir sur ce mystère et sa centralité dans la vie de l’Église ainsi que sur les implications de la communion eucharistique pour l’Église et les fidèles de manière holistique, d’où la notion de cohérence eucharistique. 

Beaucoup ont noté que le contexte politique particulier entourant ce processus a obscurci la plénitude des intentions des évêques, pour qui une variété d’autres motivations – telles qu’une compréhension et une croyance défaillantes dans le mystère de l’eucharistie parmi la population catholique américaine – ont donné lieu à la rédaction d’un tel document.

En tant que telles, les réflexions sur la centralité de l’eucharistie pour les catholiques ne sont en aucun cas limitées à la controverse particulière entourant la situation singulière du président Biden. Loin de là. En fait, le document doit être compris comme une continuation de l’enseignement antérieur sur le sujet, comme l’encyclique Ecclesia de Eucharistia du saint Pape Jean Paul II en 2003 et Sacramentum caritatis, l’exhortation apostolique post-synodale du Pape Benoît XVI en 2007.

L’espoir d’un renouveau eucharistique 

Avant l’Assemblée générale d’automne de l’USCCB, qui a lieu cette semaine, un document de travail, qui ne mentionne ni Biden ni l’avortement en particulier, a été porté à la connaissance du public, réaffirmant des considérations théologiques générales sur le sacrement. 

Il semblerait que la plupart des évêques pensent que la priorité devrait être donnée à l’évangélisation et à un meilleur enseignement sur la splendeur de l’eucharistie dans le contexte d’une société sécularisée, où de nombreux catholiques ne comprennent pas ou ne croient pas en la présence réelle de Jésus-Christ dans le pain et le vin consacrés, par exemple, et en tenant compte des effets de la pandémie sur la fréquentation de l’Église et sur les communautés catholiques à travers le pays.

En ce sens, il semble que l’USCCB – ou du moins les évêques responsables de la rédaction du document – préfère ne pas limiter la conversation sur l’eucharistie comme « un mystère à croire, à célébrer et à vivre » (Sacramentum caritatis, 2007) aux particularités d’une controverse politique spécifique. En même temps, elle a démontré sa volonté constante à réitérer les principes généraux concernant la disposition à recevoir la communion comme un élément parmi d’autres dans une compréhension plus large de ce sacrement, avec ses différents aspects.

Cela reflète le principe d’organisation de l’Église, où l’autorité n’est pas nationale, mais plutôt diocésaine. Bien que certains au sein de l’Église américaine puissent espérer voir l’USCCB se prononcer dans un sens ou dans l’autre sur cette question, l’USCCB n’a aucune autorité particulière sur ce sujet; seuls les évêques concernés en ont une, dans le cadre de leur juridiction et conformément au droit canonique. 

Il est très possible que ceux qui souhaitaient que l’USCCB condamne publiquement et sans équivoque le président Biden pour sa politique pro-choix et ceux qui ont tendance à rejeter l’application attentive des principes concernant la disposition à recevoir la communion aux personnalités publiques soient déçus. Il n’y a pas de place dans l’Église pour les divisions particulières du système partisan américain, mais il y a très certainement de la place dans la société américaine – comme dans toutes les sociétés – pour le genre d’unité fondée sur la vérité que seule l’Église peut pleinement offrir.  

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