La guerre est-elle dans notre nature? La tradition catholique sur la guerre et la violence

(Image : Courtoisie de Unsplash)

La guerre fait partie de la nature humaine. Vraiment?

L’homme, un loup pour l’homme?

L’une des affirmations les plus courantes de la pensée politique moderne est que l’homme, par nature, est une créature dangereuse, dont la vie est inévitablement liée à l’expérience de la violence et de ses conséquences, la guerre étant une expression primordiale de cette réalité.  

Cette hypothèse est omniprésente et sous-tend même les fondements de nos communautés politiques. En effet, les fondateurs intellectuels de l’État moderne – Thomas Hobbes, par exemple, affirmait que « l’homme est un loup pour l’homme » – ont souvent conçu l’État comme une institution qui nous garantit une certaine protection contre ce mal inévitable en échange de nos libertés naturelles.

Si notre nature est violente, il va de soi que les interactions entre les États devraient être menées sur les mêmes bases prédatrices, et les confrontations violentes entre eux ne devraient en aucun cas être pour nous une surprise. Si notre nature peut être domptée au sein des communautés politiques par un monopole de la violence, une telle chose n’est pas concevable au-delà des limites des communautés politiques particulières, c’est-à-dire entre les nations. 

Cette compréhension de la nature humaine et de ses implications pour la conduite des relations internationales est une caractéristique essentielle de la modernité. Dans le monde dans lequel nous vivons, la pensée et la pratique politiques sont comprises en termes de pouvoir – comment l’obtenir, comment le conserver. Toute tentative d’appliquer un raisonnement moral aux problèmes politiques nous apparaît comme une confusion d’ordres de réalité naturellement distincts.

Bien sûr, tout cela est étranger à la tradition catholique. Là où la modernité politique voit la nature violente de l’homme exprimée par des luttes de pouvoir, l’Église voit une perversion de la sociabilité de l’homme, naturellement ordonnée au bien commun. 

La crise russo-ukrainienne

La crise militaire qui se déroule le long de la frontière russo-ukrainienne et qui suscite un grand intérêt international est un bon exemple de tout cela.

Si, en apparence, il s’agit d’une confrontation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine voisine, personne ne se fait d’illusions: le véritable conflit oppose une alliance occidentale de démocraties libérales (dont les États-Unis sont la plus importante) à une Russie illibérale, nostalgique à bien des égards de sa gloire passée et motivée par des ambitions impérialistes sur son ancienne sphère d’influence, qui a historiquement inclut l’Ukraine

En partant d’une compréhension générique de ces événements en termes politiques modernes, nous pourrions considérer la tendance des grandes nations telles que la Russie et les États-Unis à étendre sans cesse leur sphère d’influence comme une expression naturelle de leur pouvoir. En fait, cette compréhension est si courante et nous vient si naturellement que nous avons beaucoup de mal à penser à ces choses en d’autres termes. 

Même nos plaidoyers pour la paix prennent ces idées pour acquises: nous espérons que les grandes puissances sauront faire preuve de retenue, en poursuivant leur ambition par des moyens moins dommageables, comme la diplomatie et la politique économique. Il ne nous vient même pas à l’esprit de douter que ces ambitions puissent exister ou qu’elles puissent porter en elles la potentialité de la violence. 

Une conception catholique de la guerre et de la violence 

Le point de vue catholique est différent. Ce n’est pas que nous n’apprécions pas la persistance de la violence dans l’expérience humaine, ni son caractère tragique. Cette réalité trouve une large expression dans les Écritures, ainsi que dans les écrits des saints et des docteurs de l’Église. Mais contre ceux qui pensent que l’homme est une créature fondamentalement violente, la tradition catholique présente une compréhension beaucoup plus sophistiquée de la nature humaine.

L’homme est par nature bon, même très bon. Il est également social, et sa bonté se manifeste dans une expérience partagée: la famille, puis la communauté politique. C’est au sein d’une communauté que la nature de l’homme se réalise, et c’est à ce titre que l’on peut parler du bien commun comme de la fin poursuivie par les hommes dans le cadre d’une communauté. Le but de la communauté n’est pas simplement d’éviter le mal, bien qu’elle cherche à le faire, mais de vivre la bonté de l’homme de manière intégrale, c’est-à-dire à travers tout ce que l’homme est.

Cependant, la tradition chrétienne tient également compte de la faiblesse de l’homme, qui, à la suite de la Chute, est enclin à commettre des péchés de toutes sortes. C’est cette réalité de la Chute et ses effets durables sur notre expérience dans cette vie qui est à l’origine des maux que nous attribuons paresseusement à la nature humaine. 

Cette tendance à désirer le bien tout en tombant de façon répétée dans divers maux a été décrite par saint Paul avec une merveilleuse perspicacité psychologique : « En effet, ma façon d’agir, je ne la comprends pas, car ce que je voudrais, cela, je ne le réalise pas ; mais ce que je déteste, c’est cela que je fais. » (Romains 7,15).

C’est ainsi que nous comprenons le sens de la persistance de la violence et des luttes de pouvoir qui affectent si durablement nos communautés et nos vies politiques. Les communautés politiques, qui existent précisément pour favoriser l’unité et nous permettre de faire le bien d’une manière commune et non particulière, sont ce que nous utilisons si souvent à des fins individuelles, pour notre bien propre. Parce que les États sont gouvernés par des personnes particulières, et non des réalités abstraites obéissant à leur propre ensemble théorique de règles et de principes, le caractère pécheur de l’homme a des conséquences à des niveaux d’autorité auxquels nous n’avons pas l’habitude de penser en termes moraux. Accepter une séparation entre la politique et la morale est incompatible avec la tradition catholique de la philosophie politique.

La guerre comme absence de paix

Le christianisme traditionnel a toujours compris le mal comme l’absence de bien, plutôt qu’une force égale et opposée au bien. Cela signifie que la maladie n’est rien d’autre que l’absence de santé, la faim rien d’autre que l’absence de nourriture, le chaos rien d’autre que l’absence d’ordre et, oui, la guerre rien d’autre que l’absence de paix. 

La paix ne doit donc pas être comprise comme un état d’exception, ou comme l’ensemble des rares moments de recul entre deux guerres, mais comme la véritable expression de la nature et de l’activité humaine. La prévalence de la guerre n’est qu’indicatrice de péché et de désordre. Par conséquent, une perception de la guerre comme l’expression inévitable de la nature de la communauté politique est intrinsèquement désordonnée.

Néanmoins, l’Église catholique enseigne également que, dans des circonstances spécifiques, la guerre peut être menée d’une manière compatible avec la justice. Il s’agit de la célèbre théorie de la guerre juste. La différence entre la façon de penser de l’Église et celle du monde est que l’Église explique la persistance du péché et de la violence sans les attribuer à l’homme comme des caractéristiques intrinsèques et naturelles.

La conception de la guerre et de la violence que l’Église catholique a défendue tout au long de son histoire et sur laquelle elle a particulièrement insisté à l’époque moderne est un signe de contradiction pour un monde dont la conception particulière de la nature de l’homme et de son intégration dans des communautés politiques a conduit à des catastrophes sans précédent de mémoire d’homme. 

Nous pouvons raisonnablement espérer que sa force et son audace apporteront sagesse et prudence à ceux qui, à l’heure actuelle, sont dotés de l’autorité nécessaire pour réfléchir aux perspectives de paix. 

 

Certaines des idées qui ont influencé la rédaction de ce billet sont à leur meilleur exprimées dans cet essai, initialement publié dans Communio, une revue catholique internationale fondée, entre autres, par Joseph Ratzinger, Benoît XVI. 

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