Léon XIII, un pape pour notre époque

(Image: courtoisie de Wikimedia)

Léon XIII peut être décrit comme le premier pape moderne. Son pontificat, d’une durée inattendue de 25 ans, a fait entrer l’Église du XIXe siècle dans le XXe. Couramment considéré comme le fondateur de la doctrine sociale de l’Église, Léon XIII s’est distingué par un certain nombre de différences avec son prédécesseur, le pape Pie IX.

Certaines de ces différences ont été accentuées jusqu’à l’absurde, le premier étant souvent dépeint comme une figure libérale et le second comme un théocrate réactionnaire aux préoccupations excessivement politiques, se déchaînant contre les forces de la modernité. 

La réalité est bien différente. L’histoire montre que Léon XIII a participé au pontificat de son prédécesseur et qu’il a été actif aux plus hauts niveaux d’autorité dans l’Église tout au long de ses événements les plus importants, comme le Concile Vatican I. Néanmoins, il est vrai que si Pie IX a été très actif dans la condamnation de certaines des erreurs caractéristiques du projet moderne, Léon XIII a eu une approche plus subtile, peut-être en raison des circonstances particulières qui ont prévalu pendant son pontificat. 

Parmi les principales caractéristiques du pape Léon XIII figurent, un peu comme pour le pape émérite Benoît XVI, ses formidables aptitudes intellectuelles. Ce charisme particulier a donné sa saveur à un pontificat qui a abordé les problèmes du modernisme avec une approche plus dialogique. Sans prétendre épuiser l’héritage de ce grand pasteur, nous pourrions dire que Léon XIII a fourni à l’Église une réponse en trois temps à ces difficultés: la dévotion mariale, le thomisme, et une riche compréhension des nouveaux problèmes sociaux. 

Dans la lignée de son prédécesseur immédiat, Léon XIII a fourni des enseignements approfondis sur l’importance primordiale de la dévotion mariale, notamment par le biais du rosaire et du scapulaire. Le recours à Marie ne peut être décrit comme une particularité de Léon XIII, bien sûr. Marie est présente dans l’Église depuis sa fondation et a toujours été profondément vénérée par les simples catholiques comme par les théologiens les plus sophistiqués. Pourtant, nombreux sont ceux qui diraient que le XIXe siècle a été particulièrement marial, compte tenu des apparitions et des définitions doctrinales importantes qui ont eu lieu à cette époque. Léon XIII encourage cette démarche comme un chemin sûr vers le Seigneur. 

Un aspect plus distinctif de l’enseignement de Léon XIII est cependant celui qui concerne le thomisme, c’est-à-dire la théologie et la philosophie de saint Thomas d’Aquin. D’une profondeur et d’une solidité inégalées, l’approche caractéristique de foi et raison de saint Thomas d’Aquin, qui permettait une forme de synthèse entre les œuvres philosophiques d’Aristote et la révélation chrétienne, fut ravivée par les enseignements de Léon XIII et de ses successeurs, qui la considéraient comme particulièrement capable de s’attaquer efficacement aux idéologies de l’époque. 

Notamment par l’encyclique Aeterni Patris, le pape Léon XIII a promu ce qu’il a appelé une « restauration de l’ancienne philosophie » en encourageant le travail intellectuel dans la tradition scolastique associée à saint Thomas d’Aquin et en définissant plus précisément l’autorité particulière qu’elle détient, au-delà d’autres importants docteurs de l’Église. Cette encyclique et les développements ultérieurs de l’enseignement de l’Église ont conféré à l’œuvre de Thomas d’Aquin une force normative inégalée, qui s’exprime bien dans les titres qui lui sont associés : Doctor Angelicus (Docteur angélique) et surtout Doctor Communis (Docteur commun).  

Le successeur immédiat de Léon XIII, le pape saint Pie X, par exemple, assisté de philosophes et de théologiens, définit en 1914 un ensemble complet de 24 thèses thomistes qui sont révélatrices de ce mouvement au sein de l’Église vers l’affirmation de l’autorité universelle de l’héritage de saint Thomas.

Le pari du pape Léon XIII était que, dans une époque se définissant par son souci de la raison et de la science, l’œuvre de saint Thomas, caractérisée par une méthode hautement systématique et rationnelle, fournirait à l’Église les moyens d’affronter le monde et ses prétentions avec un formidable arsenal intellectuel. Les prêtres devaient ainsi être formés à la philosophie et à la théologie thomistes. Les principales institutions de savoir étaient alors consacrées à ce travail, et une édition critique complète des œuvres de saint Thomas – dite édition léonine – devint une priorité pour l’Église. Pour ces raisons, le règne de Léon XIII fut tout autant un pontificat thomiste qu’un pontificat social.

Bien entendu, la contribution la plus connue du pape Léon XIII à l’enseignement de l’Église, d’un point de vue historique, est souvent considérée comme la naissance de la doctrine sociale de l’Église, avec la publication en 1891 de Rerum Novarum, qui visait à faire face aux transformations majeures affectant les réalités économiques du monde contemporain, en particulier en Europe. 

Dans la continuité avec l’œuvre de Pie IX, et dans un esprit de cohérence avec l’ensemble de l’enseignement de l’Église, Rerum Novarum constitue un rejet ferme des idéologies politiques modernes, et en particulier dans ce cas du libéralisme économique et du socialisme. Il met en avant un certain nombre de principes qui, ensemble, constituent la base de la doctrine sociale de l’Église moderne, dans un contexte marqué par les réalités d’une économie industrielle qui en est venue à opposer une vaste masse de travailleurs appauvris à un très petit nombre de propriétaires extrêmement riches.

La vision de Léon XIII en était une de droits et de devoirs mutuels, affirmant la liberté de former des syndicats de travailleurs, d’une part, et le droit à la propriété privée d’autre part, par exemple. S’inspirant de cet héritage, certains intellectuels catholiques tels que G. K. Chesterton et Hilaire Belloc ont tenté de formuler une troisième voie entre le libéralisme et le socialisme, ce que l’on appelle souvent le distributisme. 

Texte fondateur à bien des égards, Rerum Novarum résume certains des principes fondamentaux de la doctrine sociale de l’Église – la dignité de la personne humaine, le bien commun, la subsidiarité et la solidarité – à tel point qu’il a été régulièrement revisité par ses successeurs à l’occasion des anniversaires importants de sa publication, à commencer par le Quadragesimo Anno du pape Pie XI en 1931, et tout au long du XXe siècle par la suite. 

Nous avons tendance à parler de la doctrine sociale de l’Église en gardant Rerum Novarum à l’esprit comme principal point de référence. L’Église, cependant, n’a pas commencé à enseigner sur les questions sociales et politiques en 1891. Ce qui a changé, c’est qu’elle a commencé à le faire d’une manière distincte, afin de pouvoir aborder un ensemble particulier de problèmes qui étaient apparus à cette époque en raison d’une réorganisation radicale des sociétés. À bien des égards, la doctrine sociale de l’Église, avec sa préoccupation pour le bien commun, s’enracine dans la pensée aristotélico-thomiste que Léon XIII a également contribué à raviver. 

Le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est très différent de celui de 1891, et pourtant il est confronté à des problèmes fondamentalement similaires: l’extrême disparité des richesses, la radicalisation politique et le rejet de la foi comme impertinente étaient des problèmes à l’époque, tout comme ils le sont aujourd’hui. Les difficultés qui nous paraissent nouvelles, comme la crise climatique, découlent souvent de problèmes précédemment mal compris, et qui se sont par conséquent aggravés.

La force de la réponse du pape Léon XIII est qu’elle est à bien des égards intemporelle. Elle fournit des principes de recherche du bien commun pour la communauté politique à partir desquels nous pouvons dériver des solutions adaptées aux circonstances changeantes. Elle indique un cadre intellectuel qui nous permet de relever les défis de la foi avec force et conviction. Et elle montre le chemin de la dévotion mariale, un excellent remède pour ceux d’entre nous, catholiques à l’inclination intellectuelle, dont la piété fragile peut nous priver de la vraie Sagesse.

Les quatre mousquetaires de Québec avec Alexandre Dumas

Cette semaine à Parrêsia, Francis Denis parle on discute du livre « Les quatre mousquetaires de Québec: la carrière politique de René Chaloult, Oscar Drouin, Ernest Grégoire et Philippe Hamel avec l’histoire et auteur Alexandre Dumas. Sont notamment abordés les thèmes de son la Doctrine sociale de l’Église, de l’histoire de la culture et de la politique québécoise dans les années 1930, du Programme de Restauration sociale, du duplessisme ainsi que des sources de la Révolution tranquille. Tout cela et bien plus sur Parrêsia, votre balado qui prend le temps de penser.

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