(Image : Courtoisie de Unsplash)
Mark Zuckerberg, cherchant à redorer le blason de Facebook après des années de critiques soutenues, a annoncé il y a quelques semaines que son entreprise serait renommée Meta afin de refléter sa volonté d’être un leader dans la création du métavers.
Nombreux sont ceux qui ont critiqué ou ridiculisé cette initiative, considérant le métavers de Zuckerberg comme un faux-fuyant dont le but est de changer la teneure de la conversation après une série de controverses et d’attaques contre l’organisation qu’il dirige. C’est peut-être vrai, mais cela ne signifie pas que nous ne devons pas prendre au sérieux les promesses du métavers.
La nouvelle normalité se déchaîne
Grâce au travail acharné d’une élite culturelle d’entrepreneurs géniaux, nous n’aurons finalement plus à endurer l’univers. Exactement ce que vous cherchiez! Fatigué de faire la navette? Pas besoin! Vous en avez assez du centre commercial? On s’en fout! Vous vous réveillez tôt le dimanche matin pour aller à la messe et vous en avez assez? Qui a besoin de ça de toute façon… Vous pouvez faire tout cela – et bien plus encore! – depuis le confort de votre maison.
Ça vous semble familier ? On n’en doute pas.
Bien sûr, l’expérience de la pandémie de COVID-19 a démontré que, dans des circonstances graves et extraordinaires, nous pouvons effectivement limiter notre expérience du réel par le biais d’écrans, de claviers et de caméras, une idée qui n’était pas du tout courante il y a peu.
Certains ont même prospéré sous ce régime d’exception. Le télétravail a ouvert un monde de possibilités dont j’ai pu, pour ma part, tirer parti. Pourtant, les dommages d’une vie vécue à travers des avatars, des identités secondaires, des jeux vidéo et la réalité virtuelle sont aussi importants qu’ils sont communs.
La socialisation virtuelle, désenchantée
Les réalités de la socialisation virtuelle sont bien connues.
On souffre de dépression et d’anxiété à des taux alarmants. Les jeunes – en particulier les jeunes femmes – montrent des signes d’inconfort intense avec leur corps en raison d’une surexposition à des images irréelles.
Les jeunes hommes sont souvent absorbés dès leur plus jeune âge par la consommation de pornographie et se sont habitués au pire du pire en termes d’images sexuelles violentes. Ils sont de plus en plus engloutis dans un monde de jeux vidéo qui leur fait perdre du temps, absorbe leur énergie et les prive de capacités sociales essentielles à leur développement et à leur bonheur.
Nous parlons souvent de la façon dont internet et les médias sociaux ont contribué à l’aliénation politique et à la polarisation sociale. Nous avons entendu parler encore et encore et encore de la fragmentation des médias. Ce sont de vrais problèmes. Mais l’aliénation est plus profonde que cela.
L’estrangement des sexes
À bien des égards, jeunes hommes et jeunes femmes ont été séparés par des activités parasites différenciées qui affectent leur développement respectif et leurs interactions mutuelles d’une manière effrayante. De l’utilisation excessive des médias sociaux aux cyberdépendances liées à la pornographie et aux jeux vidéo, la socialisation virtuelle a des effets durables, souvent déplorables.
Bien sûr, beaucoup de jeunes ne se marient plus et n’ont plus d’enfants, du moins pas avant un âge plus avancé. Nous le savons, et les raisons de cette évolution forment un réseau complexe de changements sociaux et culturels.
Mais aujourd’hui, ils ne datent plus. En fait, bien souvent, ils ne se rencontrent même pas. Lorsqu’ils se rencontrent, cela mène dans bien des cas à la déception, à la frustration et à l’incompréhension. La culture engendrée par la socialisation virtuelle ne leur a tout simplement pas donné les outils nécessaires pour se comporter d’une manière qui soit révélatrice de leur situation particulière, intentionnelle quant au but de l’occasion, ou ordonnée selon un objectif spécifique et plus élevé.
La spiritualisation du monde
Il y a quelque temps, un ami proche m’a fait part d’une réflexion : d’une manière très étrange et effrayante, nous nous sommes spiritualisés. Nous sommes plus spirituels que nous ne l’avons jamais été. C’est l’une des choses les plus inhabituelles que j’aie entendues depuis un bon moment.
Ceux d’entre nous qui sont chrétiens accordent souvent une grande valeur à ce qui est considéré comme spirituel. Et nous avons raison! Jusqu’à un certain point. Mais la nature de nos corps humains, animés par des âmes immatérielles, est révélatrice de l’excellence de notre physicalité. Nous parlons souvent du christianisme comme de la religion de l’Incarnation. Pourtant, une erreur très courante dans l’histoire du christianisme a été de mépriser notre corporéité.
Tout au long de l’histoire, on a exprimé les réalités de l’esprit et de l’âme par des signes extérieurs, chargés de sens. Les nobles portaient des vêtements ostensiblement riches en matériaux, en couleurs et en symboles de la maison ou de la famille à laquelle ils appartenaient, par exemple. Les relations entre personnes de milieux, d’origines ou de sexes différents étaient dictées par certaines règles de conduite pleines de sens – et souvent de sagesse – mais parfois cachées derrière un rideau de traditionalisme, d’entêtement ou de snobisme.
Aujourd’hui, nous n’avons plus d’aristocrates, mais nous avons certainement des oligarques, et ce sont eux qui proposent le métavers. Certaines de leurs fortunes s’élèvent à des centaines de milliards de dollars, mais il est souvent impossible de les distinguer extérieurement du citoyen moyen.
D’une certaine manière, c’est la promesse de la socialisation virtuelle : devenir celui que l’on souhaite être. Les limites et les contraintes ont disparu, tout comme la compréhension de ses capacités et de ses faiblesses – son corps – dans le contexte de la personnalité donnée par Dieu.
Un vernis de démocratisation
D’un point de vue socio-économique, cela illustre le triomphe d’un esprit démocratique qui domine la culture de notre époque et dont on pourrait penser qu’il tire ses origines de l’Évangile.
Nous n’attendons plus que le visible parle de l’invisible, que ce soit dans des choses simples comme les vêtements ou les comportements amoureux, ou plus généralement dans nos interactions sociales, dans nos divertissements, dans notre sexualité. En ce sens, nous sommes plus spirituels que nos aînés. Pour faire simple, nous n’interagissons pas avec le monde dans toute sa physicalité.
Des promesses utopiques
Bien sûr, cela a beaucoup à voir avec internet, qui a certainement apporté des avantages indéniables en cours de route également. Cependant, si l’on considère les attentes quelque peu utopiques qui entouraient internet à ses débuts, on ne peut s’empêcher de se demander ce que le « métavers » apportera de bon une fois que nous en serons faits prisonniers.
Si l’internet est un carré, le métavers sera un cube. Un mécanisme proprement dystopique prêt à nous maintenir dans le travail, le divertissement, la solitude et le désespoir, assis sur une pile de gadgets désuets, de restes de livraison et de chaussettes sales.
Se tenir à une saine distance sera difficile mais essentiel. On dit parfois que les outils en eux-mêmes n’ont pas de portée morale, une notion que nous pourrions vouloir contester. Mais le métavers n’est pas tant un outil qu’une idée de la vie bonne qui est étrangère à une compréhension classique et chrétienne de la personne humaine et de la façon dont elle peut trouver le bonheur.
Une communauté qui a du corps
Le plus souvent, les relations saines et significatives, les amitiés, les mariages, les fratries ne peuvent pas être soutenues, ou croître dans la charité, lorsque nous sommes tous seuls.
La vie sacramentelle – qui accueille l’homme dans une relation avec Dieu par des signes tels que l’eau, le pain consacré et l’union conjugale – est l’une des façons par lesquelles les chrétiens sont liés à la communauté entre eux et avec Dieu, une communauté qui a du corps. Après tout, on parle du corps mystique du Christ.
Nous devons habiter nos églises, nos communautés, nos familles, nos amitiés avec la totalité de nous-mêmes. Vraiment, qui a besoin du métavers ?