Dieu en guerre?

(Image: Courtoisie de Wikimedia)

Pour les chrétiens qui vivent au XXIe siècle, bien comprendre la signification de la violence dans l’Ancien Testament est un défi. 

Le père Stephen De Young, dans son dernier livre, God Is a Man of War, espère apporter des réponses. Prêtre de l’Archidiocèse orthodoxe antiochien d’Amérique du Nord, le père De Young est aussi l’auteur de Religion of the Apostles, un livre d’apologétique orthodoxe publié l’année dernière. Également blogueur et animateur de balados, le père De Young est un acteur dans la conversation en cours dans les milieux chrétiens autour de la notion de réenchantement. 

La violence nous est devenue quelque peu étrangère. C’est sans doute le reflet d’une tendance générale dans le monde occidental qui, après des siècles de guerres, d’inimitié et de conquêtes, en est venu à la rejeter, du moins en apparence, sous la plupart de ses formes. Cela ne signifie pas que des actions violentes ne se produisent pas, ou que la guerre est devenue caduque, bien au contraire. 

Ce que cela signifie, c’est que nous avons développé une grande sensibilité à la violence, et que nous avons désormais tendance à en considérer toutes les expressions comme intrinsèquement répugnantes. Les guerres du passé nous semblent insensées; celles d’aujourd’hui se déroulent loin de l’attention du public occidental et se voient souvent conférer un vernis de respectabilité par une combinaison de vocabulaire (par exemple, « conflit » ou « opération ») et d’objectifs déclarés (par exemple, apporter la liberté et la démocratie). Les comportements violents ou agressifs chez les jeunes hommes sont désormais considérés comme des signes de problèmes psychologiques; ils ne sont plus tacitement tolérés comme une expression normale et acceptable – voire chérissable – de masculinité brute.

Cette caractéristique particulière de la culture occidentale contemporaine peut être décrite comme le résultat de l’influence résiduelle du christianisme dans des sociétés où, même si la pratique religieuse a fortement diminué, nombre de ses caractéristiques demeurent. Le christianisme a une très longue demi-vie, pour ainsi dire. En effet, il est apparu dans un monde où la violence était omniprésente, dans un monde où, pour beaucoup, la vie était souvent un cauchemar éveillé. 

À bien des égards, à mesure que ce monde s’est lentement converti au christianisme, il est devenu plus égalitaire, plus juste, et aussi moins violent. Le christianisme, par exemple, a permis de comprendre ce qu’est une guerre juste, et ce qu’elle n’est pas. Pour plusieurs raisons, aujourd’hui, même cela est devenu une possibilité lointaine. 

Les chrétiens contemporains sont quelque peu aveugles face à tout cela. Nous ne pensons pas souvent à la violence ou à la méchanceté dont le cœur humain peut être capable. Dans un monde largement pacifié, nous sommes devenus inaptes à comprendre la prévalence de la violence dans les âges précédents de l’histoire, dans la Chrétienté, mais aussi dans les Écritures. En effet, l’Ancien Testament contient de la violence à un niveau parfois terrifiant; le pire est largement mis de côté dans la liturgie. 

Il y a des raisons à cela, bien sûr. L’ensemble de ces passages est souvent difficile à comprendre et à replacer dans son contexte, ce qui s’explique ironiquement par le fait que le christianisme a réussi à apporter un peu de paix dans ce monde brisé. Ayant radicalisé jusqu’à des conclusions trompeuses l’aspiration à la paix contenue dans la foi chrétienne, nous sommes devenus largement incapables d’aborder ces passages et de les voir pour ce qu’ils sont. 

Pour ces raisons et bien d’autres, le livre du père De Young s’avère très utile. 

Fort de ses connaissances en histoire et en langues anciennes, le père De Young s’oppose à ce qu’il associe à des formes modernes de marcionisme, une hérésie chrétienne primitive caractérisée par une conception du Dieu miséricordieux présenté dans le Nouveau Testament comme différent et opposé à un Dieu supposé brutal et vengeur présenté dans l’Ancien Testament.

Comme le souligne De Young, cette compréhension superficielle de l’Ancien Testament, condamnée comme une hérésie aux premiers siècles pour son application arbitraire d’une herméneutique de la rupture à l’histoire du Salut, est aujourd’hui très courante. 

D’une part, l’Ancien Testament est souvent décrit de cette manière par des figures non religieuses, parfois de manière à discréditer la foi chrétienne. D’autre part, elle est également présente de manière naïve chez des chrétiens qui, pour diverses raisons culturelles précédemment évoquées, sont largement privés d’un cadre analytique approprié pour comprendre comment Jésus-Christ – loin des représentations parfois sirupeuses que nous entretenons – ne peut être aisément compris en dehors de l’Ancien Testament puisqu’il en accomplit les promesses et en parle le langage. 

Dans un ouvrage relativement court, De Young aborde les notions de justice divine, de combat spirituel, de mort et de guerre sainte. Il examine également de près le péché, montrant comment il affecte le monde matériel de manière très concrète, le comparant à une infection.

La manière dont le père De Young aborde ces sujets, notamment en considérant le monde antique et sa propension à la violence à la lumière de la hiérarchie des êtres au sein de la Création de Dieu, s’avérera certainement déstabilisante pour certains lecteurs, qui bénéficieront en retour d’une compréhension plus approfondie de la nature du cosmos que le Christ, Notre Seigneur, est venu sauver. 

De Young aborde également en particulier certains passages de l’Ancien Testament dont la brutalité peut être plus difficile à comprendre. Mais le génie de ce livre, et plus généralement de l’œuvre du père De Young, réside dans la capacité de l’auteur à illustrer la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre la nature, la loi et la grâce, en offrant un récit de la foi chrétienne qui englobe des réalités et des expériences que nous avons l’habitude de négliger.

Dans le développement remarquable d’une conversation chrétienne publique sur ces questions au cours des dernières années, nous sommes particulièrement reconnaissants à nos frères et sœurs orthodoxes. Participons-y avec la générosité de notre Tradition, la meilleure façon d’exprimer notre gratitude.

Le monde réenchanté

(Image : courtoisie de Wikimedia)

La semaine dernière, j’ai passé en revue The Religion of the Apostles : Orthodox Christianity in the First Century, le récent ouvrage du père Stephen De Young, prêtre de l’archidiocèse orthodoxe antiochien d’Amérique du Nord. Cette semaine, j’aimerais partager quelques réflexions sur l’impact que ce livre et d’autres efforts connexes ont eu sur ma vie.

J’ai découvert l’ouvrage et son auteur par le biais d’un balado que le père De Young co-anime, intitulé The Lord of Spirits. Dans ce qui est aussi une émission de radio en direct, les animateurs prennent les appels d’auditeurs et discutent généralement des réalités du « monde invisible ». Si vous vous intéressez aux saints, aux anges, aux démons, aux dieux, aux géants et aux discussions approfondies sur le livre d’Hénoch, cette émission est faite pour vous.

Ce balado met en évidence l’érudition extraordinaire du père Stephen De Young, dont la connaissance de la littérature et des langues bibliques et para-bibliques est, pour le moins, inhabituelle. Avec son co-animateur, le père Andrew Stephen Damick – bien connu comme animateur du balado Amon Sûl, qui aborde le Légendaire de Tolkien à la lumière de la foi chrétienne orthodoxe – le père De Young présente au public une riche compréhension cosmologique de la foi chrétienne, qui, selon lui, a été préservée dans l’Église orthodoxe.

Bien qu’il existe certaines différences importantes entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe, il demeure pertinent pour les catholiques de prêter attention à ce que cette dernière tradition a à offrir. Les divisions les plus profondes entre le catholicisme et l’orthodoxie tournent généralement autour de l’ecclésiologie plutôt que de compréhensions différentes des fondements de la foi chrétienne. Aussi, l’espoir d’un futur rapprochement semble s’enraciner dans la proximité relative – du moins perçue – de la foi telle qu’elle s’exprime dans ces deux institutions distinctes, dont la désunion est déterminée en particulier par une compréhension différente de l’autorité de l’évêque de Rome sur le corps mystique du Christ.

Je crois aussi que dans une société comme celle dans laquelle nous vivons, de bons arguments sur l’authenticité de la foi chrétienne en général ne sont jamais de trop.

Par-dessus tout, je voudrais partager l’expérience que j’ai vécue en exposant mon esprit au travail de ces deux prêtres. Venant, comme beaucoup d’entre nous, d’un milieu matérialiste aride et vivant, comme nous tous, dans une société individualiste et libérale, j’ai été séduit par la remarquable complexité, richesse et profondeur de ce que peut être une compréhension authentiquement chrétienne du cosmos, dans toute sa hiérarchie magnifiquement ornementée d’êtres et de réalités matérielles, hybrides et spirituelles. En ce sens, les travaux des Pères De Young et Damick ont approfondi ma compréhension de certains des aspects plus mythiques des Saintes Écritures, sans réduire leur signification à des fins poétiques ou allégoriques.

Dans son infinie sagesse, la tradition latine et occidentale du christianisme a, depuis ses débuts, cherché à comprendre la foi et à développer des moyens, notamment à travers la philosophie, d’améliorer et d’affiner nos façons de contempler et de parler de Dieu. Dans le meilleur des cas, c’est la pratique de certains de nos plus grands mystiques, comme saint Thomas d’Aquin et bien d’autres.

Pourtant, dans notre contexte moderne, et souvent malgré les avertissements de l’Église, nous avons été tentés de séparer cette pratique de la vision cosmique qu’elle espérait refléter, et nous nous sommes, dans certains cas, isolés devant Dieu et privés de la Création dans sa totalité. Ceci, en soi, n’est pas l’enseignement de l’Église catholique romaine, bien que nous puissions être tentés d’agir comme si c’était le cas.

En tant que chrétiens, nous ne sommes pas appelés à acquiescer aveuglément au matérialisme pâle et superficiel souvent caractéristique de notre époque, nous contentant de confesser notre amitié avec Jésus au milieu des ruines apparentes de son Royaume. Oui, nous sommes appelés à un esprit d’espérance et à une attitude joyeuse, mais pour y parvenir vraiment et pour donner un sens à la foi que nous confessons dans toute la mesure de ses implications, nous devons être témoins de la profonde « bizarrerie » de notre foi pour le monde dans lequel nous avons été appelés à vivre.

Ce sentiment de bizarrerie, que l’on peut ressentir lorsque nous discutons sans retenue des anges, des démons, des géants et des dieux, aurait été étranger aux premiers témoins du Christ, insiste le père Stephen De Young. En fait, d’un point de vue historique, c’est la normalité matérialiste d’aujourd’hui qui est profondément inhabituelle.

Je ne prétends pas avoir absorbé tout ce que les pères De Young et Damick ont à dire dans leurs livres et balados respectifs, malheureusement seulement disponibles en anglais. Je laisse la théologie de tout cela à d’autres recherches, discussions et études approfondies. Mais dans la mesure où ils nous aident à dépasser le « moi isolé » – un concept développé par Charles Taylor, le célèbre philosophe catholique canadien, notamment pour parler de l’appauvrissement de notre perspective sur les réalités spirituelles – je pense que leur travail est précieux et vaut la peine d’être écouté et lu.

J’aimerais voir plus de catholiques essayer de faire de même. Je pense que nous avons tout ce qu’il faut dans notre Tradition pour le faire d’une manière qui soit fidèle, belle, bonne et vraie.

Compte-rendu de lecture : The Religion of the Apostles

(Image : courtoisie de Wikimedia)

Le paysage religieux de la société américaine se caractérise depuis ses origines par une grande diversité d’appartenances communautaires, une multiplication des conceptions de la foi chrétienne sous les auspices du protestantisme, généralement entendu, et une histoire ponctuée de vagues successives d’éveils spirituels.

Cependant, le protestantisme, ou le catholicisme, n’épuise pas la diversité du christianisme américain, tandis que l’Église orthodoxe est pleinement implantée sous la forme de nombreuses églises particulières généralement associées à un héritage issu des nombreuses vagues de migration qui ont fait de la société américaine contemporaine ce qu’elle est aujourd’hui.

Il serait erroné de réduire l’orthodoxie américaine à un phénomène migratoire, car elle comprend également une variété de convertis d’origine ouest-européenne. C’est à tous ces groupes et au-delà que semble s’adresser The Religion of the Apostles, du prêtre orthodoxe américain Stephen De Young, un livre malheureusement seulement disponible en Anglais à l’heure actuelle.

Titulaire d’un doctorat en études bibliques, le père De Young est le pasteur de l’Église orthodoxe antiochienne Archange Gabriel de Lafayette, en Louisiane. Il est également l’auteur du blog The Whole Counsel, dans lequel il discute des Saintes Écritures d’un point de vue chrétien orthodoxe. Il anime le balado The Whole Counsel of God, où il aborde les mêmes sujets. Avec le père Andrew Stephen Damick, il coanime The Lord of Spirits, une émission de radio où ils abordent les questions liées aux êtres spirituels d’un point de vue chrétien orthodoxe.

The Religion of the Apostles se propose de démontrer que dans l’Église orthodoxe subsiste la religion pratiquée par les apôtres de Jésus-Christ, qui étaient eux-mêmes informés par le judaïsme du Second Temple. En un sens, le livre a donc un caractère apologétique, bien qu’il vise également à éduquer le public intéressé sur les fondements anciens de la religion chrétienne, dans son expression orthodoxe, fondements qui, pour l’auteur, ont tendance à être écartés ou discrédités dans une société américaine contemporaine matérialiste.

Parlant ici d’un point de vue catholique, mon objectif n’est pas de contester la thèse de l’auteur, mais de mettre en évidence la structure du livre et les bénéfices éventuels que le lecteur peut en tirer, parmi lesquels le développement d’une vision réenchantée du monde, cohérente avec la foi chrétienne et une meilleure compréhension de son enracinement dans la tradition judaïque.

The Religion of the Apostles est essentiellement divisé en quatre sections, chacune subdivisée en chapitres. Tout d’abord, l’auteur traite directement de la figure de la divinité en relation avec l’idée de la Sainte Trinité. L’auteur déploie une argumentation approfondie visant à démontrer la continuité entre le judaïsme du Second Temple et le christianisme orthodoxe sur cette question.

La deuxième partie du livre de De Young est à mon avis la plus intéressante et la plus significative. L’auteur y expose sa conception du Conseil divin, mettant en relation les différents êtres et réalités spirituels officiant sous l’autorité du seul vrai Dieu. Avec sa compréhension sophistiquée et son savoir encyclopédique, De Young traite des créatures spirituelles – anges, démons, saints, géants, dieux, etc. – illustrant la profondeur et l’ampleur de leur importance dans la conception chrétienne de l’ordre créé en les mettant en relation avec la cosmologie antique. De Young s’attache ensuite à donner un sens à son entreprise en expliquant les implications de ses affirmations pour notre compréhension des faiblesses et des espoirs humains.

La troisième partie du livre se concentre sur les notions de création et de salut, en expliquant le sens de l’idée d’expiation dans sa conception chrétienne. Enfin, l’auteur aborde dans la quatrième et dernière partie la notion de peuple de Dieu et son évolution aux temps bibliques.

S’il met évidemment en valeur certaines particularités de la théologie orthodoxe qui ne sont pas toujours partagées par la Tradition catholique, et s’il est construit autour d’une argumentation que l’on serait tenté de remettre en question, le livre de De Young est aussi une occasion privilégiée de rencontrer une conception holistique de la Création – matérielle et immatérielle – qui, si elle trouve sa place dans les enseignements de l’Église catholique, n’est plus nommée ni prise au sérieux dans certains de nos milieux.

En un sens, la difficulté qui a motivé De Young à écrire ce livre, à savoir l’appauvrissement de la tradition spirituelle au contact de la modernité occidentale, est une difficulté partagée. Ainsi, le livre dont il est question ici est certainement une pierre de touche digne de considération.

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