Le désert fleurira

En canot, après avoir navigué une partie de la Rivière Rouge, les trois archevêques du Manitoba débarquent sur le quai Taché le 15 juillet 2018. Mgr Albert LeGatt, archevêque de Saint Boniface, Mgr Richard Gagnon, archevêque de Winnipeg, et Mgr Murray Chatlain, archevêque de Keewatin-Le Pas, arrivent vêtus de leur soutane noire et ceints d’une ceinture fléchée. Des hommes et des femmes en costume d’époque les accueillent sur le quai. Dans les escaliers, séparant le quai et l’avenue Taché, des centaines de membres de la communauté catholique de Saint Boniface et des environs, sont rassemblés. Au son du tambour, les évêques prennent part à une cérémonie traditionnelle autochtone de purification, signe d’une relation qui continue de grandir entre l’Église et les Premières Nations dans cette partie du pays.

La scène nous renvoie 200 ans plus tôt, lorsque le père Joseph-Norbert Provencher, le père Sévère-Joseph-Nicolas Dumoulin et un jeune séminariste débarquent, eux aussi, le 16 juillet 1818, au confluent des rivières Rouge et Assiniboine. Ces trois missionnaires sont accueillis par Alexander MacDonell, gouverneur de la colonie de la Rivière Rouge. Ils sont là pour établir la première mission catholique, qui deviendrait le berceau de l’Église dans le nord et l’ouest du Canada avec, au début, un territoire qui s’étendrait du nord-ouest de l’Ontario jusqu’aux rocheuses canadiennes.

La reconstitution historique qui a eu lieu 200 ans plus tard, un dimanche matin ensoleillé sur le bord de la rivière Rouge, était donc l’un des moments forts des célébrations qui ont marqué le bicentenaire de l’Église catholique dans le nord-ouest canadien. Du 13 au 15 juillet, l’archidiocèse a organisé, en plus de cette reconstitution, un service de prière oecuménique, une conférence sur l’héritage spirituelle des pionniers de la mission dans l’ouest, une Messe solennelle devant les ruines de l’ancienne cathédrale de Saint-Boniface, un festival familial multiculturel et un concert avec des artistes de renommée. Le pape François a même nommé le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, archevêque de Québec et primat du Canada, comme son représentant officiel au jubilé.

C’était l’occasion de se rappeler les deux siècles d’histoire partagée des diverses communautés qui font partie du tissu catholique du nord-ouest canadien aujourd’hui, une histoire évidemment marquée par des périodes de lumière mais aussi par des périodes de noirceur. Dans son homélie, lors de la Messe du dimanche, le cardinal Lacroix a souligné que les célébrations pointent vers « 200 ans de présence de disciples du Christ et de leurs réalisations ». En effet, les réalisations sont nombreuses. Après l’arrivée des missionnaires Provencher, Dumoulin et compagnons, d’autres prêtres et des religieuses débarquent à Saint-Boniface pour ouvrir des églises, des couvents et des pensionnats, des écoles et des hôpitaux. Ces religieux et religieuses ont permis à la foi catholique de s’enraciner à travers tout le territoire.

C’est à la même époque de cet essor missionnaire qu’on ouvre aussi les portes des écoles résidentielles. La réalité de ces écoles est encore fraîche et fait partie de l’histoire plus sombre du catholicisme dans le pays. Les évêques du nord-ouest canadien s’en rendent compte et reconnaissent que pour continuer à évangéliser dans la vérité, il faut non seulement se réconcilier avec ce passé, mais aussi « parfaire les relations communautaires dans l’harmonie, le respect et la justice », a indiqué le primat du Canada pendant la Messe à Saint-Boniface. « Il suffit de mesurer le chemin à parcourir pour que la réconciliation guérisse les blessures du passé et rassemble tous les croyants ». En tant qu’envoyé spécial du Saint Père, le cardinal Lacroix a de plus réaffirmé la proximité du Pape François « alors que se déroule le processus de guérison, de réconciliation et de recherche d’harmonie » au Canada.

Mgr LeGatt, l’hôte des célébrations à Saint-Boniface, rappelle que la réconciliation est nécessaire pour le salut du monde car, Dieu le Père, dans son amour, a voulu réconcilier toute l’humanité en Lui, à travers son Fils Jésus. L’histoire de l’humanité a toujours été pénétrée par des périodes de grandes divisions et de grandes douleurs. Elles ont été surmontées grâce au dialogue entrepris par des hommes et des femmes audacieux.

Le cardinal Lacroix a insisté sur l’« urgence » d’un nouvel élan missionnaire aujourd’hui. Il a énuméré les énormes défis encore à relever: le « déficit d’espérance chez un grand nombre de nos concitoyens et concitoyennes », le scandale des familles qui souffrent « parce qu’elles ne trouvent pas leur place au sein d’une communauté », les enfants qui ont « faim et soif de pain et d’affection », ceux et celles qui peinent « pour échapper un tant soit peu à la misère », ou les « victimes de ségrégation et d’ostracisme ». Pour y arriver, il a invité tous les fidèles à cette même audace des premiers missionnaires.

C’est avec ce coup d’envoi que se sont terminées les grandes célébrations du bicentenaire en juillet. Le désert fleurira, le renouveau spirituel dans le nord-ouest du Canada arrivera, grâce à ceux et celles qui, poussés par l’Esprit Saint, oseront sortir de leur zone de confort pour faire connaître l’amour du Christ Jésus. « Va, tu seras prophète pour mon peuple du Manitoba, de la Saskatchewan, d’Alberta, de la Colombie-Britannique, du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut ».

L’équipe Sel + Lumière était sur place pendant les célébrations. Tous les événements ont été diffusé EN DIRECT sur nos ondes et en ligne. Vous pouvez revoir l’horaire de rediffusion ici. Jetez aussi un coup d’oeil aux capsules vidéos qui retracent d’autres moments clés de la semaine.

Message de Pâques 2018 du Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada

Vous trouverez ci-dessous le Message de pâques 2018 de Mgr Lionel Gendron, P.S.S., évêque de Saint-Jean-Longueuil et président de la Conférence des évêques catholiques du Canada:

Au Canada, la célébration de Pâques, qui coïncide avec l’arrivée du printemps, est toujours remplie d’un sentiment de vie nouvelle. Alors que nous commençons à nous défaire de nos manteaux d’hiver et de nos bottes, les jours rallongent, le soleil devient plus chaud et la vie nouvelle abonde avec les arbres qui bourgeonnent et les plantes qui commencent à pousser.

Mais qu’est au juste la vie nouvelle qui nous remplit de la joie pascale? En fait, c’est une vie nouvelle enracinée profondément dans l’expérience de notre réconciliation avec Dieu par la mort et la résurrection du Christ. Tout ce qui pouvait nous séparer de Dieu a été enlevé, détruit, et par cette réconciliation, nous avons obtenu la libération des ténèbres du péché et de la mort. Nous sommes libérés, capables de rejeter ce qui nous rend esclaves afin de nous plonger dans l’étreinte d’amour universel de notre Dieu.

Mais la vie nouvelle pascale nous demande davantage. Pâques nous rappelle qu’alors même que nous célébrons notre réconciliation avec Dieu, nous sommes appelés à nous réconcilier avec nos frères et sœurs, dans nos familles, dans nos paroisses, dans nos communautés et dans le monde. Nous sommes appelés à partager notre joie pascale en faisant la paix avec notre prochain.

Le pape François, dans une homélie à la population de Villavicencio, en Colombie, a dit : « Tout effort de paix sans un engagement sincère de réconciliation sera toujours voué à l’échec. » Il a ajouté : « Se réconcilier, c’est ouvrir une porte à toutes les personnes et à chaque personne, qui ont vécu la réalité dramatique du conflit. »

Plus tôt cette année, j’ai eu le privilège de participer à la Coordination de la Terre Sainte avec d’autres évêques du monde entier.  Nous avons rencontré beaucoup de jeunes dont la vie est durement marquée par un conflit dont ils ont hérité malgré eux. Pendant nos conversations avec eux, il est apparu très clairement que ces jeunes désirent un nouveau genre de relations les uns avec les autres. Cela est évident dans les nombreuses initiatives dans lesquelles les jeunes s’engagent pour promouvoir le dialogue et établir la justice, la paix et la réconciliation dans leur vie et dans les communautés au milieu desquelles ils vivent.

Un parfait exemple fut la rencontre de deux jeunes membres d’un groupe appelé « Cercle parents-famille ». Ils nous ont raconté leur expérience, comment à la suite du meurtre d’une jeune palestinienne par un Israélien et de la mort d’une jeune israélienne lors d’un attentat-suicide à la bombe par un palestinien, les parents des familles des deux jeunes tuées ont choisi de  ne pas se haïr les uns les autres. Ensuite ils ont appris à leurs enfants à ne pas se haïr et ces deux jeunes sont devenus de grands amis, des exemples vivants de ce que nous voulons dire par la volonté de réconciliation même au milieu d’une tragédie et d’un deuil profonds. Les familles ont compris la conséquence tragique des conflits, ont répondu avec amour et ont lancé le Cercle parents-familles. Voilà ce que c’est que la réconciliation.

Ici au Canada, nous sommes vivement conscients de l’appel à nous réconcilier avec les peuples autochtones. Nous reconnaissons le besoin de cette réconciliation comme première étape, et nous cherchons des moyens pour la réaliser par l’écoute et le dialogue dans des organismes comme le Cercle Notre-Dame-de-Guadalupe et le Conseil autochtone. Ce processus sera long et il exige foi, sincérité du cœur et engagement pour une paix durable.

Nous vivons dans un monde trop souvent marqué par les divisions. On a tendance à dénigrer l’« autre » et à nourrir des soupçons contre l’« étranger ». Nous sommes appelés à reconnaitre notre humanité commune, à reconnaitre que nous sommes tous frères et sœurs créés à l’image de Dieu.

Une fois réconciliés avec Dieu par la mort et la résurrection du Christ, nous sommes appelés à chercher la réconciliation avec les autres. La paix entre nous sera un signe de la véritable joie pascale!

+Lionel Gendron, P.S.S.
Évêque de Saint-Jean-Longueuil et
Président de la Conférence des évêques
catholiques du Canada

Pâques 2018

Lettre du président de la CECC aux peuples autochtones du Canada

Courtoisie du Servizio Fotografico de l’Osservatore Romano.

Vous trouverez ci-dessous la Lettre du président de la Conférence des évêques catholiques du Canada aux peuples autochtones du Canada:

Chers frères et sœurs autochtones,

En tant qu’évêques catholiques du Canada, la relation que nous avons avec les peuples autochtones est une priorité pastorale importante. Au cours des dernières années, nous avons vu plusieurs exemples de guérison et de réconciliation et nous sommes résolus à nous appuyer sur ces efforts, à collaborer étroitement avec vous, et à apprendre à cheminer ensemble. Nous souhaitons aussi réfléchir aux relations que nous avons avec vous, dont certaines remontent à plusieurs siècles, et à notre responsabilité de promouvoir des engagements constructifs durables. Nous aspirons à un avenir où les injustices systémiques seront corrigées, où nous apprendrons tous de nouvelles façons de vivre ensemble qui sauront honorer et respecter les Premiers Peuples de notre pays.

Dans l’accomplissement de sa mission comme Pasteur universel, le pape François a parlé souvent et passionnément du sort des peuples autochtones du monde entier et de la sagesse dont ils témoignent, sans s’empêcher de reconnaître les injustices qui n’étaient pas conformes à l’Évangile et exprimer des regrets pour des torts passés. Il a souligné que les peuples autochtones sont des interlocuteurs importants que l’Église se doit d’écouter.

Les évêques catholiques du Canada ont eu des conversations avec le Pape et le Saint-Siège au sujet des séquelles de la souffrance que vous avez vécue. Le Saint-Père est au fait des conclusions tirées par la Commission de Vérité et Réconciliation, et il les prend au sérieux. En ce qui concerne l’appel à l’action 58, après avoir examiné attentivement la demande et l’avoir discutée abondamment avec les évêques du Canada, il était d’avis qu’il ne peut pas y répondre personnellement. En même temps, conscient de votre douleur, il a encouragé les évêques à continuer de s’engager dans un travail intensif de pastorale visant la réconciliation, la guérison et la solidarité avec les peuples autochtones, et de collaborer dans des projets concrets en vue d’améliorer la condition des Premiers Peuples. Quant à leur culture et leurs valeurs, le Pape encourage les jeunes à tirer toute la richesse des traditions, des expériences et de la sagesse que les aînés ont à offrir, et invite les aînés à partager ce patrimoine avec les jeunes, de manière que ces derniers puissent le transmettre devant les défis de la vie. Dans ce contexte, une visite papale pourrait être envisagée dans le futur, qui tiendrait compte de toutes les circonstances, y compris une rencontre avec les peuples autochtones comme l’une de ces principales priorités.

De notre côté, par l’entremise de la participation d’évêques et de fidèles catholiques à la démarche de la CVR et de par nos relations continues avec les peuples autochtones, nous avons entendu votre invitation à faire face au passé avec franchise et courage, à reconnaître les erreurs de membres de l’Église catholique, et à prendre des mesures tangibles de solidarité avec les peuples autochtones en vue d’un avenir meilleur. Dans cette optique et avec le vif encouragement du pape François, nous affirmons notre engagement.

Inspirés par nos échanges avec le Saint-Père, nous nous engageons avec vous vers la réconciliation au niveau local à travers d’initiatives pastorales concrètes. Ces dernières doivent s’appuyer sur des rencontres authentiques, comme celles qui sont déjà en cours partout au pays. Par le biais de ces conversations, nous souhaitons comprendre davantage ce que signifie cheminer en solidarité avec les peuples autochtones dans les différentes régions du pays, conscients que notre histoire commune, de même que vos aspirations et vos besoins, sont très différents d’un endroit à l’autre. Toutes ces actions et ces conversations en cours – et toutes les autres qu’il faudra entreprendre – sont essentielles à la réconciliation et à la perspective d’un avenir riche d’espérance. Prochainement, nous les évêques, nous désirons partager avec vous ce que nous avons appris lors de ces rencontres et prendre avec vous de nouvelles mesures vers la réconciliation.

Au moment où l’Église s’apprête à entrer dans le mystère pascal à Pâques, avec tous les évêques du Canada, je tiens à renouveler notre promesse de vous accompagner dans la prière et de travailler avec vous dans la poursuite de relations respectueuses et de l’édification d’une société juste.

Sincèrement dans le Christ le Bon Pasteur,

+Lionel Gendron, P.S.S.
Évêque de Saint-Jean-Longueuil
et Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada
Le 27 mars 2018

Pape François en Colombie: Allocution lors de la Grande rencontre pour la réconciliation nationale

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François lors de la Grande rencontre pour la réconciliation nationale à Villavicencio:

Chers frères et sœurs,
Depuis le premier jour j’ai désiré qu’arrive ce moment de notre rencontre. Vous portez dans vos cœurs et dans votre chair les empreintes de l’histoire vivante et récente de votre peuple, histoire marquée par des événements tragiques mais aussi pleine de gestes héroïques de grande humanité et de haute valeur spirituelle, de foi et d’espérance. Je viens ici avec respect et avec la claire conscience, comme Moïse, de fouler une terre sacrée (cf. Ex 3, 5). Une terre arrosée par le sang de milliers de victimes innocentes et par la douleur déchirante de leurs familles et de leurs proches. Des blessures qu’il coûte de faire cicatriser et qui nous font mal à tous, parce que chaque violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de l’humanité ; chaque mort violente nous diminue en tant que personnes.

Je suis ici non pas tant pour parler moi, mais pour être près de vous et vous regarder dans les yeux, pour vous écouter et ouvrir mon cœur à votre témoignage de vie et de foi. Et, si vous me le permettez, je désirerais aussi vous embrasser et pleurer avec vous, je voudrais que nous prions ensemble et que nous nous pardonnions – moi aussi je dois demander pardon – et qu’ainsi, tous ensemble, nous puissions regarder et aller de l’avant avec foi et espérance.

Nous sommes rassemblés aux pieds du Crucifié de Bojaya, qui, le 2 mai 2002, vit et souffrit le massacre de dizaines de personnes réfugiées dans son église. Cette statue a une forte valeur symbolique et spirituelle. En la regardant nous contemplons non seulement ce qui s’est passé ce jour-là, mais aussi tant de souffrance, tant de mort, tant de vies brisées et tant de sang versé en Colombie ces dernières décennies. Voir le Christ ainsi, mutilé et blessé, nous interpelle. Il n’a plus de bras et il n’a plus de corps, mais il a encore son visage qui nous regarde et qui nous aime. Le Christ brisé et amputé est pour nous encore « davantage le Christ », parce qu’il nous montre, une fois de plus, qu’il est venu pour souffrir pour son peuple et avec son peuple ; et pour nous apprendre aussi que la haine n’a pas le dernier mot, que l’amour est plus fort que la mort et la violence. Il nous apprend à transformer la souffrance en source de vie et de résurrection, pour que, unis à lui et avec lui, nous apprenions la force du pardon, la grandeur de l’amour.

Je remercie nos frères qui ont voulu partager leurs témoignages, au nom de beaucoup d’autres. Combien cela nous fait du bien d’écouter vos histoires ! Je suis bouleversé. Ce sont des histoires de souffrances et d’amertume, mais aussi et surtout, ce sont des histoires d’amour et de pardon qui nous parlent de vie et d’espérance ; de ne pas laisser la haine, la vengeance et la souffrance s’emparer de notre cœur.

L’oracle final du Psaume 85: «Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (v. 11) est postérieur à l’action de grâce et à la supplication où l’on demande à Dieu : Fais-nous revenir ! Merci Seigneur pour le témoignage de ceux qui ont infligé de la souffrance et qui demandent pardon ; de ceux qui ont injustement souffert et qui pardonnent. Cela est possible seulement avec ton aide et ta présence… cela est déjà un très grand signe que tu veux restaurer la paix et la concorde sur cette terre colombienne.

Pastora Mira, tu l’as très bien dit : tu veux déposer toute ta souffrance, et celle de milliers de victimes, aux pieds de Jésus crucifié pour qu’elle soit associée à la sienne et soit ainsi transformée en bénédiction et en capacité de pardon pour briser le cycle de violence qui a prévalu en Colombie. Tu as raison : la violence engendre plus de violence, la haine plus de haine et la mort plus de mort. Nous devons briser cette chaîne qui parait inéluctable, et cela est possible seulement par le pardon et la réconciliation. Et toi, chère Pastora, et beaucoup d’autres comme toi, vous nous avez montré que c’est possible. Oui, avec l’aide du Christ vivant au milieu de la communauté, il est possible de vaincre la haine, il est possible de vaincre la mort, il est possible de recommencer et d’apporter la lumière à une Colombie nouvelle. Merci Pastora ; quel grand bien tu nous fais à tous, aujourd’hui, par le témoignage de ta vie. C’est le crucifié de Bajaya qui t’a donné cette force de pardonner et d’aimer, et pour t’aider à voir, en la chemise que ta fille Sandra Paola avait offerte à ton fils Jorge Anibal, non seulement le souvenir de leur mort, mais aussi l’espérance que la paix triomphe définitivement en Colombie.

Ce qu’a dit Luz Dary dans son témoignage nous bouleverse aussi : les blessures du cœur sont plus profondes et difficiles à guérir que celles du corps. C’est ainsi. Et, ce qui est le plus important, tu t’es rendu compte qu’on ne peut pas vivre de rancœur, que seul l’amour libère et construit. Et de cette manière tu as commencé à guérir aussi les blessures d’autres victimes, à reconstruire leur dignité. Cette sortie de toi-même t’a enrichie, t’a aidé à regarder devant, à trouver la paix et la sérénité, et une raison pour aller de l’avant. Je te remercie pour la béquille que tu m’offres. Bien que tu gardes encore des séquelles physiques de tes blessures, ta marche spirituelle est rapide et sûre parce que tu penses aux autres et tu veux les aider. Cette béquille est un symbole de cette autre béquille plus importante, dont nous avons tous besoin, celle de l’amour et du pardon. Par ton amour et ton pardon tu aides beaucoup de personnes à marcher dans la vie. Merci.

Je veux remercier aussi pour le témoignage éloquent de Deisy et de Juan Carlos. Ils nous ont fait comprendre que tous, en fin de compte, d’une manière ou d’une autre, nous sommes aussi des victimes, innocentes ou coupables, mais tous victimes. Tous unis dans cette perte d’humanité que provoquent la violence et la mort. Deisy l’a dit clairement : tu as compris que toi-même avais été une victime et que tu avais besoin qu’on te donne une chance. Et tu as commencé à réfléchir, et maintenant tu travailles pour aider les victimes et pour que les jeunes ne tombent pas dans les réseaux de la violence et de la drogue. Il y a aussi une espérance pour celui qui a fait le mal ; tout n’est pas perdu. Il est certain que dans cette régénération morale et spirituelle de l’agresseur, la justice doit s’accomplir. Comme l’a dit Deisy, il faut contribuer positivement à guérir cette société qui a été déchirée par la violence.

Il semble difficile d’accepter le changement de ceux qui ont fait appel à la violence cruelle pour promouvoir leurs intérêts, pour protéger leurs commerces illicites et s’enrichir, ou pour, hypocritement, prétendre défendre la vie de leurs frères. C’est certainement un défi pour chacun de nous de croire qu’il puisse y avoir un pas en avant de la part de ceux qui ont infligé des souffrances à des communautés et à un pays tout entier. Il est certain qu’en cet immense champ qu’est la Colombie, il y a de la place encore pour l’ivraie… Soyez attentifs aux fruits… prenez soin du blé, et ne perdez pas la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, quand il voit poindre l’ivraie au milieu du blé n’a pas de réactions alarmistes. Il trouve la manière dont la Parabole s’incarnera dans une situation concrète et donnera des fruits de vie nouvelle, bien qu’ils soient en apparence imparfaits ou inachevés (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 24). Même quand perdurent les conflits, la violence ou les sentiments de vengeance, n’empêchons pas la justice et la miséricorde de se rencontrer dans une étreinte que l’histoire de souffrance de la Colombie assumera. Guérissons cette souffrance et accueillons tout être humain qui a commis des délits, les reconnaît, se repent et s’engage à réparer en contribuant à la construction de l’ordre nouveau où brillent la justice et la paix.

Comme l’a laissé entrevoir dans son témoignage Juan Carlos, dans tout ce processus, long, difficile, mais qui donne l’espérance de la réconciliation, il est indispensable aussi d’assumer la vérité. C’est un défi grand mais nécessaire. La vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. Ensemble, elles sont essentielles pour construire la paix et, d’autre part, chacune d’elle empêche que les autres soient altérées et se transforment en instruments de vengeance sur celui qui est le plus faible. La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais, bien plutôt, à la réconciliation et au pardon. La vérité, c’est de dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, c’est d’avouer ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, c’est de reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus.

Je voudrais, enfin, comme frère et comme père, dire : Colombie, ouvre ton cœur de peuple de Dieu et laisse-toi réconcilier. Ne crains pas la vérité ni la justice. Chers Colombiens : n’ayez pas peur de demander ni d’offrir le pardon. Ne résistez pas à la réconciliation pour vous rapprocher, vous rencontrer comme des frères et dépasser les inimitiés. C’est le moment de guérir les blessures, de construire des ponts, d’aplanir les différences. C’est le moment de désactiver les haines, de renoncer aux vengeances, et de s’ouvrir à la cohabitation fondée sur la justice, sur la vérité et sur la création d’une véritable culture de la rencontre fraternelle. Puissions-nous vivre en harmonie et dans la fraternité, comme désire le Seigneur. Demandons à être constructeurs de paix, que là où il y a la haine et le ressentiment, nous mettions l’amour et la miséricorde (cf. Prière attribuée à saint François d’Assise).

Je souhaite déposer toutes ces intentions devant la statue du crucifié, le Christ noir de Bojaya:

Oh, Christ noir de Bojaya,
qui nous rappelles ta passion et ta mort ; avec tes bras et tes pieds
ils t’ont arraché à tes enfants
qui cherchaient refuge en toi.

Oh, Christ noir de Bojaya,
qui nous regardes avec tendresse,
la sérénité règne sur ton visage ;
ton cœur bat aussi
pour nous accueillir dans ton amour.

Oh, Christ noir de Bojaya,
fais que nous nous engagions
à restaurer ton corps. Que nous soyons tes pieds pour sortir à la rencontre
du frère dans le besoin ;
tes bras pour étreindre
celui qui a perdu sa dignité ;
tes mains pour bénir et consoler
celui qui pleure dans la solitude.

Fais que nous soyons témoins
de ton amour et de ton infinie miséricorde.

[01232-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Pape en Colombie: Discours lors de la rencontre avec les évêques

CTV


Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’allocution du pape François aux évêques de Colombie:

La paix soit avec vous !

C’est ainsi que le Ressuscité a salué son petit troupeau après avoir vaincu la mort ; permettez-moi de vous saluer de la même manière au début de mon voyage.

Je remercie pour vos paroles de bienvenue. Je suis heureux parce que mes premiers pas en ce pays me conduisent à vous rencontrer vous, les évêques de la Colombie, pour embrasser en vous toute l’Église colombienne et pour serrer votre peuple contre mon cœur de Successeur de Pierre. Je vous suis très reconnaissant pour votre ministère épiscopal, que je vous prie de continuer à exercer avec une générosité renouvelée. J’adresse une salutation spéciale aux évêques émérites, en les encourageant à continuer de soutenir, par la prière et par la présence discrète, l’Épouse du Christ pour laquelle il se sont généreusement donnés.

Je viens annoncer le Christ et parcourir en son nom un itinéraire de paix et de réconciliation. Le Christ est notre paix ! Il nous a réconciliés avec Dieu et entre nous !

Je suis convaincu que la Colombie a quelque chose d’original qui attire fortement l’attention : elle n’a jamais été un objectif complètement réalisé, ni une destination totalement atteinte, ni un trésor totalement possédé. Sa richesse humaine, ses ressources naturelles luxuriantes, sa culture, sa synthèse chrétienne lumineuse, le patrimoine de sa foi et la mémoire de ses évangélisateurs, la joie gratuite et inconditionnelle de son peuple, le sourire sans prix de sa jeunesse, sa fidélité originale à l’Évangile du Christ et à son Église et, surtout, son courage indomptable à résister à la mort, non seulement annoncée mais bien des fois semée, tout cela se dérobe, disons se cache, à ceux qui se présentent comme des étrangers avides de s’en accaparer, et en revanche, s’offre généreusement à celui qui touche son cœur par la douceur du pèlerin. C’est ainsi qu’est la Colombie !

C’est pourquoi, comme pèlerin, je m’adresse à son Église. Je suis votre frère, désireux de partager le Christ ressuscité pour qui aucun mur n’est éternel, aucune peur n’est indestructible, aucune blessure n’est incurable.

Je ne suis pas le premier Pape à vous parler chez vous. Deux de mes plus grands prédécesseurs ont été des hôtes ici : le bienheureux Paul VI, qui est venu juste après avoir conclu le Concile Vatican II, pour encourager la réalisation collégiale du mystère de l’Église en Amérique Latine ; et saint Jean-Paul II lors de sa mémorable visite apostolique de 1986. Les paroles de ces deux Papes sont une ressource permanente ; les indications qu’ils ont esquissées et la merveilleuse synthèse qu’ils ont offerte sur notre ministère épiscopal constituent un patrimoine à sauvegarder. Je voudrais que ce que je vais vous dire soit reçu dans la continuité de ce qu’ils ont enseigné.

Gardiens et sacrement du premier pas

«Faire le premier pas» est le thème de ma visite et pour vous aussi, c’est mon premier message. Vous savez bien que Dieu est le Seigneur du premier pas. Il nous devance toujours. Toute l’Écriture Sainte parle de Dieu comme exilé hors de soi par amour. Il en a été ainsi lorsqu’il n’y avait que ténèbres, chaos et, en sortant de lui-même, il a fait en sorte que tout vienne à l’être (cf. Gn 1.2, 4) ; il en a été ainsi lorsqu’il se promenait dans le jardin des origines, se rendant compte de la nudité de sa créature (cf. Gn 3, 8-9) ; il en a été ainsi lorsque, pèlerin, il a logé sous la tente d’Abraham, en lui faisant la promesse d’une fécondité inespérée (cf. Gn 18, 1-10) ; il a en été ainsi lorsqu’il s’est présenté à Moïse en le séduisant, alors qu’il n’avait plus d’autre horizon que de paître les brebis de son beau-père (cf. Ex 3, 1-2) ; il en a été ainsi lorsqu’il n’a pas détourné le regard de sa Jérusalem bien-aimée, même quand elle se prostituait sur le trottoir de l’infidélité (cf. Ez 16, 15) ; il en a été ainsi lorsqu’il a émigré avec sa gloire vers son peuple exilé, en esclavage (cf. Ez 10, 18-19).

Et, à la plénitude des temps, il a voulu révéler le vrai nom du premier pas, de son premier pas. Il s’appelle Jésus et il est un pas irréversible. Il provient de la liberté d’un amour qui précède tout. Car le Fils, lui-même, est l’expression vivante de cet amour. Ceux qui le reconnaissent et l’accueillent reçoivent en héritage le don d’être introduits dans la liberté de pouvoir toujours accomplir en lui le premier pas ; ils n’ont pas peur de se perdre s’ils sortent d’eux-mêmes, car ils ont la garantie de son amour provenant du premier pas de Dieu, une boussole qui leur évite de se perdre.

Préservez donc, avec une crainte et une émotion saintes, ce premier pas de Dieu vers vous et, par votre ministère, vers les personnes qui vous ont été confiées, conscients d’être sacrement vivant de cette liberté divine qui n’a pas peur de sortir d’elle-même par amour, qui n’a pas peur de s’appauvrir tandis qu’elle se donne, qui n’a besoin d’autre force que l’amour.

Dieu nous précède, nous sommes des sarments et non la vigne. Par conséquent, ne taisez pas la voix de celui qui vous a appelés et ne pensez pas que ce soit la somme de vos pauvres vertus ou les compliments des puissants du moment qui assurent le résultat de la mission que Dieu vous a confiée. Au contraire, mendiez dans la prière quand vous ne pouvez pas donner ou vous donner, pour que vous ayez quelque chose à offrir à ceux qui s’approchent constamment de vos cœurs de pasteurs. La prière dans la vie de l’évêque est la sève vitale qui coule dans la vigne, sans laquelle le sarment se flétrit en devenant stérile. Par conséquent, luttez avec Dieu, et plus encore dans la nuit de son absence, jusqu’à ce qu’il vous bénisse (cf. Gn 32, 25-27). Les blessures de cette bataille quotidienne et prioritaire dans la prière seront source de guérison pour vous ; vous serez blessés par Dieu afin d’être capables de guérir.

Rendre visible votre identité de sacrement du premier pas.

De fait, rendre tangible l’identité de sacrement du premier pas de Dieu exigera un exode intérieur continu. « Il n’y a pas de plus grande invitation à l’amour que de devancer ce même amour » (Saint Augustin, De catechizandis rudibus, liber I, 4.7, 26 : PL 40), donc, aucun domaine de la mission épiscopale ne peut faire abstraction de cette liberté de faire le premier pas. La condition pour pouvoir exercer le ministère apostolique est la disponibilité à s’approcher de Jésus en laissant derrière « ce que nous avons été pour être ce que nous n’étions pas » (Saint Augustin, in Psal., 121, 12 : PL 36).

Je vous recommande de veiller non seulement individuellement mais aussi collégialement, dociles à l’Esprit Saint, sur ce point de départ permanent. Sans ce noyau, les traits du Maître languissent sur le visage des disciples, la mission s’embourbe et la conversion pastorale diminue, qui n’est autre que de préserver cette urgence d’annoncer l’Évangile de la joie aujourd’hui, demain et après-demain (cf. Lc 13, 33), diligence qui a dévoré le cœur de Jésus en le laissant sans nid ni abri, uniquement penché sur l’accomplissement jusqu’à la fin de la volonté du Père (cf. Lc 9, 58.62). Quel autre avenir pouvons-nous poursuivre ? A quelle autre dignité pouvons-nous aspirer ?

Ne vous mesurez pas avec le mètre de ceux qui voudraient que vous ne soyez qu’une caste de fonctionnaires repliés sur la dictature du présent. Ayez, au contraire, le regard toujours fixé sur l’éternité de celui qui vous a élus, prêts à accueillir le jugement décisif de ses lèvres.

Dans la complexité du visage de cette Église colombienne, il est très important de préserver la singularité de ses forces diverses et légitimes, les sensibilités pastorales, les particularités régionales, les mémoires historiques, les richesses des expériences ecclésiales spécifiques. Pentecôte consciente que tous entendent dans leur propre langue. C’est pourquoi, recherchez avec persévérance la communion entre vous. Ne vous lassez pas de la construire à travers le dialogue franc et fraternel, en condamnant comme la peste les agendas cachés. Empressez-vous de faire le premier pas, l’un vers l’autre. Devancez-vous dans la disponibilité à comprendre les raisons de l’autre. Laissez-vous enrichir par ce que l’autre peut vous offrir et construisez une Église qui offre à ce pays un témoignage éloquent de combien on peut progresser quand on est disposé à ne pas dépendre de quelques-uns. Le rôle des Provinces ecclésiastiques par rapport au message de l’Évangile lui-même est fondamental, car diverses et harmonieuses sont les voix qui le proclament. Pour cela, ne vous contentez pas d’un médiocre engagement minimal qui laisse les résignés dans la tranquille quiétude de leur propre impuissance, en même temps qu’il dompte ces espérances qui exigeraient le courage de se concentrer davantage sur la force de Dieu que sur sa propre fragilité.

Ayez une sensibilité spéciale envers les racines afro-colombiennes de votre peuple, qui ont contribué si généreusement à modeler le visage de ce pays.

Toucher la chair du corps du Christ

Je vous invite à ne pas avoir peur de toucher la chair blessée de votre propre histoire et de l’histoire de votre peuple. Faites-le avec humilité, sans la vaine prétention de protagonisme, et d’un cœur sans partage, libre de toute compromission et de toute servilité. Seul Dieu est Seigneur et nous ne devons soumettre notre âme de pasteur à aucune autre cause.

La Colombie a besoin de votre regard, propre à des évêques, pour la soutenir dans le courage du premier pas vers la paix définitive, la réconciliation, vers le renoncement à la violence comme méthode, vers la suppression des inégalités qui sont la racine de nombreuses souffrances, la renonciation au chemin facile mais sans issue de la corruption, la patiente et persévérante consolidation de la ‘‘res publica’’ qui demande l’éradication de la misère et de l’inégalité.

Il s’agit d’une tâche ardue mais à laquelle on ne peut renoncer, les chemins sont raides et les solutions ne sont pas évidentes. De la hauteur de Dieu, qui est la croix de son fils, vous obtiendrez la force ; avec la petite lumière humble des yeux du Ressuscité, vous parcourrez le chemin ; en écoutant la voix de l’Époux qui susurre dans le cœur, vous recevrez les critères pour discerner à nouveau, dans chaque incertitude, la direction juste.

L’un de vos illustres hommes de lettre a écrit, en parlant de l’un de vos personnages mythiques : « Il n’imaginait pas qu’il était plus facile de commencer une guerre que de la terminer » (Gabriel García Márquez, Cent ans de solitude, chapitres 9). Nous savons tous que la paix exige des hommes un courage moral différent. La guerre suit ce qu’il y a de plus bas dans notre cœur, la paix nous incite à être plus grands que nous-mêmes. Poursuivant, l’écrivain ajoutait : « Il ne comprenait pas qu’il ait fallu beaucoup de mots pour expliquer ce qu’on sentait durant la guerre, si un seul suffisait : la peur » (Ibid. ch. 15). Il n’est pas nécessaire que je vous parle de cette peur, racine empoisonnée, fruit amer et héritage néfaste de chaque conflit. Je voudrais vous encourager à continuer à croire qu’on peut procéder d’une autre manière, en rappelant que vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; l’Esprit lui-même témoigne que vous êtes des fils destinés à la liberté de la gloire qui vous est réservée (cf. Rm 8, 15-16).

Vous voyez de vos propres yeux et vous connaissez comme peu de personnes la déformation du visage de ce pays ; vous êtes les gardiens des pièces fondamentales qui l’unifient, malgré ses lacérations. C’est précisément pour cela que la Colombie a besoin de vous pour se reconnaître dans son vrai visage, chargé d’espérance en dépit de ses imperfections, pour se pardonner réciproquement malgré les blessures pas tout à fait cicatrisées, pour croire qu’on peut faire un autre chemin même lorsque l’inertie pousse à répéter les mêmes erreurs, pour avoir le courage de surmonter ce qui peut la rendre misérable malgré ses trésors.

Je vous encourage, en effet, à ne pas vous lasser de faire de vos Églises un ventre de lumière, capable de produire, même en souffrant de faim, les nouvelles ressources dont cette terre a besoin. Abritez-vous dans l’humilité de votre peuple pour vous rendre compte de ses ressources humaines secrètes et de sa foi ; écoutez combien son humanité dépouillée aspire à la dignité que seul le Ressuscité peut donner. N’ayez pas peur de sortir de vos certitudes apparentes à la recherche de la vraie gloire de Dieu, qu’est l’homme vivant.

La parole de réconciliation

Beaucoup peuvent contribuer au défi de cette Nation, mais votre mission est singulière. Vous n’êtes ni techniciens ni politiciens, vous êtes des pasteurs. Le Christ est la parole de réconciliation écrite dans vos cœurs et vous avez la force de pouvoir la prononcer, non seulement en chaire, à travers les documents ecclésiaux ou à travers les articles de journaux, mais bien plus dans le cœur des personnes, dans le secret sacré de leurs consciences, dans la chaleur remplie d’espérance qui les attire à l’écoute de la voix du ciel qui proclame « paix aux hommes que Dieu aime » (Lc 2, 14). Vous devez la prononcer avec la fragile, humble, mais invincible ressource de la miséricorde de Dieu, la seule capable de vaincre l’arrogance cynique des cœurs autoréférentiels.

L’Église n’est intéressée par rien d’autre que la liberté de prononcer cette Parole. Les alliances avec une partie ou une autre ne servent pas, mais la liberté de s’adresser aux cœurs de tous. Précisément vous avez là l’autonomie pour inquiéter, vous avez là la possibilité de soutenir un changement de direction.

Le cœur humain, bien des fois dupé, conçoit le projet insensé de faire de la vie une conquête continue d’espaces pour déposer ce qu’il accumule. Précisément ici, il faut que résonne la question : à quoi sert-il de gagner le monde si un vide demeure dans l’âme ? (cf. Mt 16, 26).

À travers vos lèvres de pasteurs légitimes du Christ, tels que vous êtes, la Colombie a le droit d’être interpellée par la vérité de Dieu, qui répète sans cesse : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). C’est une interrogation, qui ne peut être tue, même quand celui qui l’écoute ne peut que baisser le regard, confus, et balbutier sa propre honte de l’avoir vendu, peut-être au prix d’une dose de stupéfiant ou d’une idée équivoque de raison d’État, peut-être à cause de la fausse conscience que la fin justifie les moyens.

Je vous prie d’avoir le regard toujours fixé sur l’homme concret. Ne servez pas un concept de l’homme, mais la personne humaine aimée par Dieu, faite de chair, d’os, d’histoire, de foi, d’espérance, de sentiments, de déceptions, de frustrations, de souffrances, de blessures ; et vous verrez que ce caractère concret de l’homme démasque les statistiques froides, les calculs manipulés, les stratégies aveugles, les informations falsifiées, en vous rappelant qu’« en réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (Gaudium et spes, n. 22).

Une Église en mission

J’ai conscience du généreux travail pastoral que vous réalisez déjà; permettez-moi cependant de vous faire part de certaines inquiétudes que je porte dans mon cœur de pasteur, désireux de vous exhorter à être toujours davantage une Église en mission. Mes prédécesseurs ont déjà insisté sur plusieurs de ces défis : la famille et la vie, les jeunes, les prêtres, les vocations, les laïcs, la formation. Ces dernières décennies, malgré l’énorme travail, les réponses pour rendre efficace la maternité de l’Église dans l’enfantement, dans la sustentation et l’accompagnement de ses fils, sont peut-être devenues encore plus difficiles.

Je pense aux familles colombiennes, à la défense de la vie depuis le sein maternel jusqu’à sa fin naturelle, au fléau de la violence et de l’alcoolisme touchant souvent les foyers, à la fragilité du lien matrimonial et à l’absence des parents avec ses conséquences tragiques d’insécurité et qui font des orphelins. Je pense aux nombreux jeunes menacés par le vide de l’âme et entraînés dans la fuite de la drogue, dans le style d’une vie facile, dans la tentation de la subversion. Je pense aux nombreux et généreux prêtres et au défi de les soutenir dans leur option fidèle et quotidienne pour le Christ et pour l’Église, tandis que certains autres continuent de répandre la neutralité confortable de ceux qui ne choisissent rien pour rester dans la solitude avec eux-mêmes. Je pense aux fidèles laïcs répandus dans toutes les Églises particulières, résistant dans l’effort pour se laisser rassembler par Dieu qui est communion, même quand beaucoup proclament le nouveau dogme de l’égoïsme et de la mort de toute solidarité. Je pense à l’immense effort de tous afin d’approfondir la foi et d’en faire une lumière vive pour les cœurs et une lampe pour le premier pas.

Je ne vous apporte pas de recettes ni n’entends vous laisser une liste de tâches. Cependant, je voudrais vous prier de garder la sérénité en réalisant dans la communion votre lourde mission de pasteurs de la Colombie. Vous savez bien que, dans la nuit, le malin continue de semer l’ivraie, mais ayez la patience du Maître du champ, en faisant confiance à la bonne qualité de ses grains. Apprenez de sa longanimité et de sa magnanimité. Ses temps sont longs parce que son regard d’amour est incommensurable. Quand l’amour est ténu, le cœur devient impatient, troublé par l’anxiété de faire des choses, dévoré par la peur d’avoir échoué. Croyez surtout en l’humilité de la semence de Dieu. Faites confiance à la puissance cachée de son levain. Dirigez vos cœurs vers la belle fascination qui attire et fait vendre tout afin de posséder ce trésor divin.

De fait, quoi d’autre pouvez-vous offrir de plus fort à la famille colombienne que la force humble de l’Évangile de l’amour généreux qui unit l’homme et la femme, faisant d’eux une image de l’union du Christ avec son Église, des canaux et des gardiens de la vie ? Les familles ont besoin de savoir que dans le Christ elles peuvent devenir un arbre luxuriant capable d’offrir de l’ombre, de porter du fruit en toute saison de l’année, d’abriter la vie dans ses branches. Ils sont si nombreux aujourd’hui ceux qui rendent hommage aux arbres sans ombre, stériles, aux branches privées de nids. Pour vous, que le point de départ soit le témoignage joyeux que la fidélité se trouve ailleurs.

Que pouvez-vous offrir à vos jeunes ? Ils aiment se sentir aimés, ils se méfient de ceux qui les sous-estiment, ils demandent une cohérence limpide et espèrent être impliqués. Recevez-les, par conséquent, avec le cœur du Christ et ouvrez-leur des espaces dans la vie de vos Églises. Ne prenez part à aucune négociation qui brade leurs espérances. N’ayez pas peur de hausser sereinement la voix pour rappeler à tous qu’une société qui se laisse séduire par le mirage du narcotrafic s’introduit elle-même dans cette métastase morale qui mercantilise l’enfer et sème partout la corruption et, en même temps, engraisse les paradis fiscaux.

Que pouvez-vous offrir à vos prêtres ? Le premier don est celui de votre paternité qui assure que la main qui les a générés et oints ne s’est pas retirée de leurs vies. Nous vivons à l’ère de l’informatique et il ne nous est pas difficile d’atteindre nos prêtres en temps réel par quelque messagerie. Mais le cœur d’un père, d’un évêque, ne peut se contenter de la communication précaire, impersonnelle et externe avec son clergé. L’inquiétude concernant le lieu où vivent ses prêtres ne peut s’éloigner du cœur de l’évêque. Vivent-ils vraiment selon Jésus ? Ou bien se sont-ils inventé d’autres sécurités telles que la stabilité économique, l’ambiguïté morale, la double vie ou l’illusion myope de la carrière ? Les prêtres ont besoin, avec une nécessité et une urgence vitales, de la proximité physique et affective de leur évêque. Ils demandent à sentir qu’ils ont un père.

La fatigue du travail quotidien pèse fréquemment sur les épaules des prêtres. Ils sont en première ligne, continuellement encerclés par des personnes qui, abattues, cherchent en eux le visage du Pasteur. Les gens s’approchent et frappent à la porte de leurs cœurs. Ils doivent donner à manger à la multitude et la nourriture de Dieu n’est jamais une propriété dont on peut simplement disposer. Au contraire, elle ne provient que de l’indigence mise en contact avec la bonté divine.

Congédier la multitude et manger le peu que l’on peut indûment s’approprier est une tentation permanente (cf. Lc 9, 13).

Veillez par conséquent sur les racines spirituelles de vos prêtres. Conduisez-les sans cesse à cette Césarée de Philippe où, à la source du Jourdain de chacun, ils peuvent entendre de nouveau la question de Jésus : Qui suis-je pour toi ? La cause de la détérioration progressive qui, souvent, conduit à la mort du disciple se trouve toujours dans un cœur qui ne peut plus répondre : « Tu es le Christ, le Fils de Dieu » (Cf. Mt 16, 13-16). De là, s’affaiblit le courage de l’irréversibilité du don de soi, et dérive également une désorientation intérieure, la fatigue d’un cœur qui ne sait plus accompagner le Seigneur sur son chemin vers Jérusalem.

Prenez particulièrement soin de l’itinéraire de formation de vos prêtres, depuis la naissance de l’appel de Dieu dans leurs cœurs. La nouvelle Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis, récemment publiée, est une précieuse ressource, encore à mettre en pratique, pour que l’Église colombienne soit à la hauteur du don de Dieu qui n’a jamais cessé d’appeler beaucoup de ses fils au sacerdoce.

Ne négligez pas, s’il vous plaît, la vie des hommes consacrés et des femmes consacrées. Ils constituent la gifle kérygmatique à toute la mondanité et sont appelés à brûler toute vague de valeurs mondaines dans le feu des béatitudes vécues sans glose et dans l’abaissement total de soi dans le service. Ne les considérez pas comme des ‘‘ressources utiles’’ pour les œuvres apostoliques ; sachez plutôt voir en eux le cri de l’amour consacré de l’Épouse : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22, 20).

Réservez la même préoccupation concernant la formation de vos laïcs, dont dépend non seulement la solidité des communautés de foi, mais aussi une grande partie de la présence de l’Église dans le domaine de la culture, de la politique, de l’économie. Former dans l’Église signifie se mettre en contact avec la foi vivante de la Communauté vivante, s’insérer dans un patrimoine d’expériences et de réponses que suscite l’Esprit Saint, car c’est lui qui enseigne toutes choses (cf. Jn 14, 26).

Je voudrais exprimer une pensée sur les défis de l’Église en Amazonie, région dont, avec raison, vous êtes fiers, car elle est une partie essentielle de la merveilleuse biodiversité de ce pays. L’Amazonie est pour nous tous une preuve décisive pour vérifier si notre société, presque toujours réduite au matérialisme et au pragmatisme, est en mesure de sauvegarder ce qu’elle a reçu gratuitement, non pas pour le dévaliser, mais pour le rendre fécond. Je pense, surtout, à la sagesse cachée des peuples indigènes de l’Amazonie et je me demande si nous sommes encore capables d’apprendre d’eux la sacralité de la vie, le respect de la nature, la conscience du fait qu’à elle seule la raison instrumentale n’est pas suffisante pour combler le vide de l’homme et répondre à ses inquiétudes les plus chargées d’interrogations.

C’est pourquoi je vous invite à ne pas abandonner à elle-même l’Église en Amazonie. La consolidation d’un visage amazonien par l’Église qui pérégrine ici est pour vous tous un défi, qui dépend de l’appui missionnaire grandissant et conscient de tous les diocèses colombiens et de leur clergé tout entier. J’ai entendu que dans certaines langues locales amazoniennes, pour se référer au mot ‘‘ami’’, on utilise l’expression ‘‘mon autre bras’’. Soyez par conséquent l’autre bras de l’Amazonie. La Colombie ne peut l’amputer sans être mutilée dans son visage et dans son âme.

Chers frères,
Je vous invite à présent à vous adresser spirituellement à Notre Dame du Rosaire de

Chiquinquira, dont vous avez eu la délicatesse d’apporter l’image, depuis son Sanctuaire, dans la magnifique Cathédrale de cette ville pour que moi aussi je puisse la contempler.

Comme vous le savez bien, la Colombie ne peut se donner à elle-même le vrai Renouveau auquel elle aspire, mais il est accordé d’en haut. Supplions donc le Seigneur par la Vierge.

Tout comme à Chiquinquira Dieu a restauré la splendeur du visage de sa Mère, qu’il continue d’illuminer par sa lumière céleste le visage de tout ce pays et bénisse l’Église de la Colombie par sa compagnie bienveillante.

[01228-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Pape en Colombie: Discours aux jeunes lors de la visite au palais épiscopale de Bogotà

CTV

Vous trouverez ci-dessous le texte du discours du pape François lors de la visite à la cathédrale et au palais épiscopal de Bogotà tel que prononcé avant la bénédiction apostolique aux fidèles présents devant le palais cardinalice:

Chers frères et sœurs,
Je vous salue avec grande joie et je vous remercie pour votre bienvenue chaleureuse. « Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord: “Paix à cette maison”. S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui; sinon, elle reviendra sur vous» (Lc 10, 5-6).

J’entre aujourd’hui dans cette maison qu’est la Colombie en vous disant: la paix soit avec vous! C’était l’expression qu’utilisait tout juif, et aussi Jésus, pour saluer. J’ai voulu venir jusqu’ici comme pèlerin de paix et d’espérance, et je désire vivre ces moments de rencontre avec joie, rendant grâce à Dieu pour tout le bien qu’il a fait dans cette nation, en chacune de vos vies.

Je viens aussi pour apprendre; oui, pour apprendre de vous, de votre foi, de votre force devant l’adversité. Vous avez vécu des moments difficiles et sombres, mais le Seigneur est près de vous, il est dans le cœur de chaque fils et fille de ce pays. Lui, il n’est pas sélectif, il n’exclut personne mais embrasse chacun ; et nous sommes tous importants et nécessaires pour lui. Durant ces jours, je voudrais partager avec vous la vérité la plus importante : Dieu vous aime avec un amour de Père et il vous encourage à continuer à chercher et à désirer la paix, cette paix qui est authentique et durable.

Je vois ici beaucoup de jeunes qui sont venus des quatre coins du pays : de l’intérieur, de la côte, des régions forestières, des vallées, des plaines. C’est toujours pour moi un motif de joie de me retrouver avec les jeunes. Aujourd’hui je vous dis : gardez vive votre joie, elle est le signe d’un cœur jeune, d’un cœur qui a rencontré le Seigneur. Personne ne pourra vous l’enlever (cf. Jn 16, 22). Ne vous la laissez pas voler ; gardez cette joie qui unifie tout, conscients d’être aimés par le Seigneur. Le feu de l’amour de Jésus-Christ fait déborder cette joie, et il est suffisant pour enflammer le monde entier. Comment n’allez-vous pas pouvoir changer cette société et ce qu’on vous propose ! N’ayez pas peur de l’avenir ! Osez rêver grand ! C’est à ces grands rêves que je
voudrais vous inviter aujourd’hui.

Vous, les jeunes, vous avez une sensibilité spéciale pour reconnaître la souffrance des autres ; les volontaires du monde entier proviennent de milliers d’entre vous qui sont capables de renoncer à leur temps, à leur confort, à leurs projets centrés sur eux-mêmes pour se laisser émouvoir par les besoins des plus fragiles et se dévouer pour eux. Mais il peut arriver aussi que vous soyez nés dans des environnements où la mort, la souffrance, la division vous ont imprégnés si profondément qu’elles vous ont laissés à moitié étourdis, comme anesthésiés. Laissez la souffrance de vos frères colombiens vous gifler et vous faire bouger ! Et nous, les plus âgés, aidez-nous à ne pas nous habituer à la souffrance et à l’abandon.

Vous également, jeunes gens et jeunes filles, qui vivez dans des milieux complexes, avec des réalités différentes, et des situations familiales les plus diverses, vous vous êtes habitués à voir que tout n’est pas tout blanc ou tout noir ; que la vie quotidienne consiste en une large gamme de tonalités grises, et cela peut vous exposer au risque de tomber dans une atmosphère de relativisme, laissant de côté cette capacité qu’ont les jeunes d’entendre la douleur de ceux qui ont souffert. Vous avez la capacité non seulement de juger, de souligner des erreurs, mais également cette autre capacité magnifique et constructive : celle de comprendre. Comprendre que même derrière une erreur – parce qu’une erreur est une erreur et il ne faut pas le maquiller – il y a une infinité de raisons, de circonstances atténuantes. Combien la Colombie a besoin de vous pour se mettre dans la peau de tous ceux pour lesquels de nombreuses générations n’ont pas pu ou n’ont pas su le faire, ou n’ont pas trouvé les modalités d’une compréhension adéquate !

A vous, les jeunes, il vous est très facile de vous rencontrer. Il vous suffit d’un bon café, d’un bon verre ou quoi que ce soit comme prétexte pour susciter la rencontre. Les jeunes se retrouvent sur la musique, l’art…oui, même une finale entre l’Atlético Nacional et l’América de Cali est une occasion pour se réunir ! Vous pouvez nous enseigner que la culture de la rencontre ne consiste pas à penser, à vivre ni à réagir tous de la même manière ; elle consiste à savoir qu’au-delà de nos différences nous faisons tous partie de quelque chose de grand qui nous unit et nous transcende, nous faisons partie de ce merveilleux pays.

Votre jeunesse vous rend capables aussi de quelque chose de très difficile dans la vie : pardonner. Pardonner à ceux qui nous ont blessés ; il est remarquable de voir comment vous ne vous laissez pas embobiner par de vieilles histoires, comment vous nous regardez avec étonnement, nous les adultes, répéter des histoires de divisions seulement pour rester prisonniers des rancœurs. Vous nous aidez dans cette tentative de laisser derrière ce qui nous a blessés et vous nous aidez à regarder en avant sans le fardeau de la haine, parce que vous nous faites voir le monde entier qu’il y a devant, toute la Colombie qui veut grandir et continuer à se développer ; cette Colombie qui a besoin de chacun de nous et que, nous les plus âgés, nous vous devons.

Et c’est précisément pour cela que vous affrontez l’énorme défi de nous aider à guérir notre cœur ; de nous transmettre l’espérance jeune qui est toujours prête à donner aux autres une seconde chance. Les environnements d’inquiétude et d’incrédulité enferment l’âme, environnements qui ne trouvent pas d’issue aux problèmes et qui boycottent ceux qui essayent, abiment l’espérance dont toute communauté a besoin pour avancer. Que vos illusions et vos projets donnent de l’oxygène à la Colombie et la remplissent de saines utopies.

C’est seulement ainsi que vous vous résoudrez à découvrir le pays qui se cache derrière les montagnes ; celui qui ne fait pas les titres des journaux et n’apparaît pas parmi les préoccupations quotidiennes parce qu’il est très loin. Ce pays que l’on ne voit pas et qui fait partie de ce corps social qui a besoin de nous : découvrir la Colombie profonde. Les cœurs jeunes sont stimulés devant les grands défis : combien de beautés naturelles y-a-t-il à contempler sans avoir besoin de les exploiter ! Que de jeunes comme vous ont besoin de votre main tendue, de votre épaule pour entrevoir un avenir meilleur.

Aujourd’hui j’ai voulu passer ces moments avec vous, je suis sûr que vous avez la capacité nécessaire pour construire la nation que nous avons toujours rêvée. Les jeunes sont l’espérance de la Colombie et de l’Eglise ; sur leur chemin et sur leurs pas nous devinons ceux du Messager de paix, de celui qui nous porte de bonnes nouvelles.

Chers frères et sœurs de ce pays bien-aimé, je m’adresse maintenant à tous, enfants, jeunes, adultes et personnes âgées, comme celui qui veut être porteur d’espérance ; que les difficultés ne vous oppriment pas, que la violence ne vous abatte pas, que le mal ne vous vainque pas. Nous croyons que Jésus, par son amour et sa miséricorde qui demeurent pour toujours, a vaincu le mal, le péché et la mort. Il suffit d’aller à sa rencontre. Je vous invite à l’engagement – non à l’achèvement – pour la rénovation de la société afin qu’elle soit juste, stable, féconde. De ce lieu, je vous encourage à vous appuyer sur le Seigneur, il est le seul qui nous soutient et nous encourage à contribuer à la réconciliation et à la paix.

Je vous embrasse tous et chacun, les malades, les pauvres, les marginalisés, ceux qui sont dans le besoin, les personnes âgées, ceux qui sont dans leurs maisons… chacun de vous ; vous êtes tous dans mon cœur. Et je demande à Dieu de vous bénir. Et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.

[01227-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Pape en Égypte: un voyage en trois temps pour trois priorités

CNS photo/Mohamed Abd El Ghany, Reuters

Les 28 et 29 avril prochains, le pape François se rendra en Égypte pour une visite apostolique. Ce voyage en trois temps permettra au Saint-Père de renforcer les relations avec les autorités civiles et religieuses de ce pays, le plus populeux du monde arabe.

Un contexte sociopolitique particulier

Pour bien comprendre les enjeux liés à cette visite, il est important de dire quelques mots sur le contexte actuel. Ce n’est un secret pour personne, l’Égypte a connu, dans la dernière décennie, des mouvements politiques et sociaux importants qui ont grandement mis en péril sa stabilité. En effet, le pays des pharaons n’a pas été épargné par ce qu’on a appelé « le printemps arabe ». Cette période de rébellion, menée par des groupes aux intérêts divergents et, parfois même, diamétralement opposés, a mené à la destitution d’Hosni Moubarak et à la prise du pouvoir par le parti des frères musulmans. La prise de pouvoir de ce mouvement islamiste qui avait procédé, l’espace d’un moment, à l’inscription de la Sharia dans la constitution, avait fait de nombreux mécontents dont les autorités religieuses chrétiennes, musulmanes modérées, les mouvements pro-démocratie et, surtout, les hautes autorités militaires, très liées à l’ancien régime. En ce sens, on se rappellera l’augmentation importante des attentats terroristes contre les minorités religieuses lors de cette courte période. Un rapport de l’Aide à l’Église en détresse affirme en effet : « Avant et après les élections présidentielles de juin 2012, qui ont amené Morsi au pouvoir, le climat d’hostilité contre les coptes a été intense. Les violences physiques et morales ont augmenté ». Ce qui avait fait douter de la volonté de son gouvernement à protéger cette portion importante de la population (+/- 10 %). Ce qui avait de grande chance d’arriver arriva, le maréchal à la retraite Abdel Fattah Al-Sissi destitua et arrêta le président islamiste Mohamed Morsi et déclara comme « mouvement terroriste » le parti des frères musulmans.

Depuis son élection, le président Sissi a entrepris un certain nombre de réformes visant la modernisation de la société musulmane égyptienne. Dans un discours à la Grande Université Al-Alzhar le 28 décembre 2014, il avait demandé au chef religieux de la plus importante université islamique du monde sunnite de proposer un « discours religieux qui correspond à son époque ». Depuis ce discours historique, plusieurs gestes manifestent cette volonté du gouvernement égyptien de favoriser un rapprochement et la réconciliation entre chrétiens et musulmans. D’abord, les relations entre l’Université Al-Alzhar et le Vatican, rompues depuis quelques années, ont pu reprendre à la suite de la visite du cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam de la mosquée Al-Azhar. Et suite au geste symbolique que constitue la présence du président égyptien lors de la Messe de Noël à la cathédrale orthodoxe Copte Saint-Marc du Caire en compagnie de Théodore II, on ne peut que se réjouir de la plus récente affirmation de la Conférence d’Al-Azhar de « l’égalité entre chrétiens et musulmans ».

On peut l’imaginer ce chemin concret de rapprochement ne fait pas beaucoup d’heureux du côté islamiste, à en juger par les plus récentes attaques terroristes qui montrent que cette égalité toujours fragile nécessite encore, pour les minorités religieuses, une protection supplémentaire de la police et de l’armée. C’est dans ce contexte politico-religieux que s’amorce la visite du pape François, la semaine prochaine.

Un voyage en trois temps pour trois priorités

Dans un premier temps, le pape François rencontrera le président al-Sissi lors d’une visite au palais présidentiel. Cette ouverture de part et d’autre manifeste une volonté réciproque de renforcement des liens et de la collaboration en faveur de la paix. Deuxième rencontre entre les deux hommes, cette discussion portera certainement sur les grands thèmes chers au pape François dont la liberté religieuse, la protection des chrétiens persécutés et des points liés au développement de l’Égypte qui accuse des retards considérables en terme d’éducation, de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement.

CNS photo/L’Osservatore Romano via Reuters

Après cette réunion protocolaire, le Pape se rendra auprès du grand imam d’Al Azhar, le cheikh Ahmed Al Tayeb, afin de prononcer, chacun leur tour, un discours lors de la Conférence internationale sur la paix. Cette prise de parole commune s’inscrira dans la continuité des discussions amorcées en février dernier contre « le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom de la religion ». De ce rapprochement et de ce dialogue interreligieux, nous sommes en droit d’espérer des effets d’apaisement dans le climat de tension actuel ainsi que des fruits d’érudition en faveur d’une « modernisation de l’Islam ».

Dans une perspective œcuménique, le pape rencontrera le patriarche copte Tawadros II pour des discussions privées suivies de discours. Nous pouvons d’ores et déjà voir en cela un geste de soutien pour cette minorité chrétienne d’Égypte dont les racines remontent à l’évangélisation de saint Marc évangéliste et apôtre. Cette amitié renouvelée peut être perçue comme un fruit de cet « œcuménisme du sang », expression plusieurs fois employée par le Saint-Père notamment pour décrire le drame des « Égyptiens coptes égorgés par les djihadistes de l’État islamique sur les rives de la mer Méditerranée ». Il avait alors affirmé : « Tous sont nos martyrs, car ils ont donné leur sang pour le Christ ». La présence du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier peut également être interprétée en ce sens. Enfin, le pape célèbrera une Messe en compagnie de la communauté copte-catholique d’Égypte avant de retourner à Rome, samedi, en début de soirée.

Le voyage du pape François en Égypte arrive dans une période charnière de l’histoire de ce pays plus que deux fois millénaire. Considérant les nombreux risques d’attentats que cette visite comporte, on peut y voir la grande détermination du pape François à raffermir les liens d’amitié avec les autorités politiques et religieuses et à apporter son soutien et sa collaboration dans l’élaboration d’une société et d’un islam modernes. De plus, ce voyage permettra au Pape de manifester concrètement sa solidarité avec les chrétiens orthodoxes et catholiques d’Égypte dans ces moments tumultueux où plusieurs ont versé leur sang par fidélité au Christ. Ainsi, espérons que cette visite très attendue porte des fruits de paix et de réconciliation si nécessaires aujourd’hui.

Église en sortie 24 mars 2017

Cette semaine à Église en sortie, nous vous présentons une entrevue avec le père Timothy Scott c.s.b. sur l’implication de la Conférence religieuse dans les relations de l’Église avec les peuples autochtones du Canada. On vous présente un reportage sur la Journée de rencontre avec les premières nations organisée à l’Institut pastoral des dominicains de Montréal. Dans la troisième partie de l’émission, Francis Denis s’entretient avec Josianne Gauthier, directrice des programmes à Développement et paix sur l’engagement de l’organisme dans le cercle Notre-Dame-de-Guadalupe.

Église en sortie 3 février 2017

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Mgr Claude Champagne, évêque d’Edmundston au Nouveau-Brunswick et membre de la Commission épiscopale pour l’unité chrétienne, les relations religieuses avec les Juifs et le dialogue interreligieux de la Conférence des évêques catholiques du Canada, sur le document « Nos voisins évangéliques ». On vous présente un reportage sur la prière œcuménique à l’église luthérienne St-John de Montréal. Dans la troisième partie de l’émission, on vous présente une entrevue réalisée avec Glenn Smith et Carole Tapin de Direction chrétienne avec lesquels Francis Denis s’est entretenu sur le thème de l’œcuménisme.

Église en sortie 27 janvier 2017

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Daniel Paradis, responsable de l’organisme Présence-Compassion qui nous parle de cette initiative au service des itinérants du centre-ville de Montréal. L’abbé Claude Paradis nous offre sa première chronique des actualités de la rue de l’année 2017. Dans la troisième partie de l’émission, Francis Denis s’entretient avec Mme Estelle Drouvin sur le Centre de Services de justice réparatrice dont elle est la coordonnatrice.

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