Cette semaine à Parrêsia, Francis Denis poursuit son entretien avec la théologienne et auteur Thérèse Nadeau-Lacour sur la vie et l’œuvre de sainte Marie-de-l’Incarnation. Dans cet épisode sont abordés des thèmes tels que ses relations avec l’évêque de l’époque saint François de Laval, son universalité et sa pertinence pour aujourd’hui de la « Thérèse du nouveau monde » (Bossuet).
Deux hommes, une seule Épouse
Jeudi dernier était publié le tout nouveau livre du cardinal Robert Sarah intitulé « Des profondeurs de nos cœurs » dans lequel se trouve un texte inédit du pape émérite Benoît XVI. Cet ouvrage, à la fois théologique et profondément spirituel, offre de nombreuses réflexions sur le sacerdoce ministériel ainsi que le fruit de leurs expériences du sacrement de l’Ordre vécu « de l’intérieur ». De par leurs différentes approches, ce livre est une double variation sur un même thème. L’apport de Benoît XVI est foncièrement théologique. Écrit dans le style personnel et exégétique auquel il nous avait habitué dans sa série « Jésus de Nazareth », le pape émérite s’efforce de montrer la continuité du sacerdoce de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance. Le ton et la structure du texte du Cardinal Sarah est plus apologétique, cherchant à répondre directement aux questions actuelles touchant le célibat sacerdotal. Bref, il y en a pour tous les goûts.
Une polémique qui en dit beaucoup
Inutile de revenir sur la polémique qui a entouré la parution de ce livre. L’analyse de la journaliste Philippine De Saint-Pierre sur la question me semble suffisante. Toutefois, l’immense imbroglio qu’a suscité l’annonce de la participation de Benoît XVI à ce livre qui, globalement, fait ouvertement la proposition du célibat sacerdotal, me questionne. Que des groupes d’intérêt fassent d’une cause quelconque leur cheval de bataille idéologique est, à tout le moins, acceptable dans le cadre de la politique. Il en va autrement lorsqu’il s’agit de traiter des mystères divins. Cette polémique a démontré que, de part et d’autre, certains étaient prêts à traiter le sacrement de l’Ordre comme l’instrument par lequel ils distingueraient les « purs » des « impurs ». Nous devons sortir de cette logique d’opposition qui, peu importe notre opinion, nous éloigne du sujet traité et obscurcit notre jugement. Se concentrer sur le contenu de ce livre me semble être une attitude beaucoup plus constructive et plus à même de considérer le pour et le contre de la question. C’est ce à quoi je vous invite maintenant.
Benoît XVI : penseur de la continuité
Le texte de Benoît XVI, d’une quarantaine de pages, nous présente les plus récentes réflexions du Pape émérite sur les causes de la « crise durable que traverse le sacerdoce » (p.29). Comme c’était le cas dans sa série « Jésus de Nazareth », son jugement se porte sur un « défaut méthodologique dans la réception de l’Écriture » (p.29). Sans la nommer, on entend ici le monopole de l’exégèse historico-critique très populaire au XXe siècle et qui a porté jusqu’à la marginalité la lecture « christologique ». Indispensable pour comprendre la cohérence et, donc, « la continuité » (p.58) du sens de l’Écriture entre l’Ancien et le Nouveau Testament, son abandon dans de nombreux cercles de l’Église a pu créer de la confusion, spécialement dans la compréhension du sacerdoce ministériel catholique; d’où la « crise du sacerdoce » (p.43-44) postconciliaire et les nombreuses défections dans les années 70.
La grande partie du texte de Benoît XVI s’attarde à démontrer le lien de causalité entre la distorsion du cadre conceptuel de la réception de l’Écriture dans l’Église et cette crise aux visages multiples. Analysant plusieurs pans de la Bible, le pape émérite s’efforce de manifester, à la fois, l’absence de contradiction entre le sacerdoce vétérotestamentaire et celui de l’Église mais également la continuité de l’exigence du célibat sacerdotal (p.47). Ces réflexions profondes, parsemées de remarques personnelles faisant de lui un témoin à la première personne des vérités qu’il énonce, méritent d’être méditées et prises en compte aux plus hauts niveaux de l’appareil ecclésial. Je souligne au passage les lignes merveilleuses sur les liens de parenté entre la tribu de Lévi « qui ne possédait pas de terre en héritage » (p.52) et les exigences du sacerdoce catholique qui doit ne reposer que sur Dieu seul. Détaché des liens terrestres qui pourraient le détourner de Lui, le prêtre de la Nouvelle Alliance doit, accomplir ce lien entre « l’abstinence sexuelle et le culte divin » (p.47) d’Israël en faisant de toute sa vie le signe de cette dépendance totale à l’égard de Dieu. C’est « le chemin que j’ai parcouru tout au long de ma vie » (p.71)conclut-il.
Une défense assumée du célibat sacerdotal
La deuxième et la plus volumineuse partie du livre est intitulée « aimer jusqu’au bout : regard ecclésiologique et pastoral sur le célibat sacerdotal ». L’auteur, le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour la liturgie et la discipline des sacrements, opère une défense en bonne et due forme du célibat sacerdotal. Le ton est grave et affirme sa légitimité de par le cœur d’un évêque qui « s’inquiète » (p.76), ayant lui-même « reçu de nombreux prêtres désorientés, perturbés et meurtris au plus profond de leur vie spirituelle par les remises en cause violentes de la doctrine de l’Église » (p.76). Dès le départ, on est plongé dans l’actualité la plus immédiate, celle du récent Synode des évêques sur l’Amazonie et sa requête d’ordination des viri probati (hommes mariés ayant fait leurs preuves au plan humain et pastoral). Le lecteur est d’emblée devant la ferme conviction du cardinal guinéen, lui qui a assisté à toutes les séances. Il écrit que les échanges qu’il a eus avec les acteurs sur le terrain :
« M’ont conforté dans l’idée que la possibilité d’ordonner des hommes mariés représenterait une catastrophe pastorale, une confusion ecclésiologique et un obscurcissement dans la compréhension du sacerdoce » (p.78).
Bien que clair dans son propos, le cardinal issu d’une terre africaine récemment évangélisée, souhaite susciter, à l’instar du récent livre du cardinal Ouellet (p.90), une attitude de prudence des autorités ecclésiales à ne pas aller « trop vite » (p.77). Il exhorte à faire preuve de discernement face à des changements qui pourraient avoir d’énormes conséquences directes et indirectes sur la vie de l’Église et le salut du monde.
On ne saurait passer sous silence le nombre et la force des arguments pour le maintien de la règle, entre autres, « disciplinaire » (p.98) découlant « du lien ontologique entre le ministère sacerdotal et continence » (p.95). Cléricalisation du laïcat (p.115), approximations historiques d’un célibat considéré comme purement disciplinaire (p.91-94), instrumentalisation de la détresse des pauvres (p.90), projections romantiques du clergé oriental (p.95), obscurcissement du sens nuptial du sacerdoce (p.101), primauté de la raison fonctionnelle (p.116-118), pélagianisme institutionnel (p.119), création de deux classes de clergés (p.86), séparation de la tria munera (prêtre, prophète et roi) (p.128), néocolonialisme et infantilisme (p.136), illusion de l’église occidentale en faillite apostolique (p.140) ne sont que quelques exemples des effets négatifs soulignés par le préfet romain. En ce sens, ce livre est une véritable litanie des erreurs perçues comme implicites à la proposition du Synode sur l’Amazonie et dont le (photo: CNS/Paul Haring) document final mentionnait la possibilité « d’ordonner prêtres des hommes idoines[…]pouvant avoir une famille » (no 111). Une chose est certaine, aucune de ces critiques ne doivent être prises à la légère.
Outre cet objectif, disons, à court terme, j’ai vu dans ce texte aussi senti qu’engagé, le témoignage concret d’un pasteur qui cherche à éloigner tous les doutes qui peuvent planer contre le célibat sacerdotal. Les études sur ce thème nous ont malheureusement habitués au langage théologique qui pourrait sembler désincarné et loin de la réalité concrète des gens; ce qui a pu influencer l’actuelle incompréhension de certains catholiques eux-mêmes envers ce don du célibat (p.90). Or ce livre a justement le génie d’offrir à la présentation des nombreuses raisons théologiques, sociologiques et psychologiques en faveur du célibat la richesse et la profondeur de son expérience de pasteur. À travers les pages, on assiste au déploiement de l’irruption de la présence de Dieu dans l’histoire humaine par l’entremise de cette vie du prêtre totalement donnée dans le célibat.
Un ensemble cohérent
Une lecture attentive de ce livre fort intéressant suffit à en concevoir la profonde unité. Bien que le ton et l’approche des deux auteurs soient clairement différents, on y sent l’attachement profond de deux hommes envers leur Épouse commune. Que ce soit par la douceur de l’analyse scripturaire d’un Benoît XVI avancé en « âge » (p.29) ou la fougue d’un cardinal Sarah à la défense de l’unicité du sacrement qui l’a configuré au « Christ-Époux » (p.84), la lecture de cet ouvrage ne saurait faire autrement que nous émouvoir devant l’ardeur et la passion de ces hommes pétris par leur engagement sponsal envers cette Église qu’ils aiment de tout « leur cœur ». J’en recommande fortement la lecture.
Palmarès des 5 meilleurs livres québécois en 2019
Chaque année au mois de novembre a lieu le Salon du livre de Montréal. Pour l’occasion, des milliers de personnes se rendent à ce rendez-vous incontournable de la production littéraire au Québec. Cette grande foire du livre est donc le moment, tant pour les éditeurs que pour les lecteurs, de faire connaissance et découvrir les plus récentes nouveautés. C’est également une opportunité pour réfléchir sur la condition de la production littéraire francophone au Québec et dans le monde ainsi que de faire le point sur les différentes publications de la dernière année. Étant moi-même un passionné de lecture et ayant l’immense plaisir de rencontrer de nombreux auteurs chaque année dans le cadre de mon émission hebdomadaire Église en sortie, je vous propose mon palmarès 2019 des livres qui m’ont personnellement le plus marqué.
La Dévotion moderne de Pierre Hurtubise o.m.i.
Sorti récemment, le livre de Pierre Hurtubise o.m.i., intitulé La dévotion moderne, nous présente un portrait historique et théologique du mouvement spirituel du 14e siècle appelé « Dévotion moderne ». Relatant le contexte de crise dans lequel ce mouvement est apparu, l’auteur nous fait rencontrer des personnages très intéressants qui cherchaient à mettre Dieu au centre de leur vie dans un contexte où régnait l’hégémonie de la spiritualité des ordres religieux. Cherchant à mettre de l’avant la particularité de chaque personne, la Dévotion moderne semble plus que jamais correspondre aux caractéristiques de notre culture contemporaine. Pierre Hurtubise nous dresse ici un portrait tout en nuances de cette école de spiritualité, provenant de l’Europe du nord et dont l’influence s’est projetée notamment sur la vie et l’œuvre de saint Ignace de Loyola. À lire.
De l’éducation libérale… sous la direction de Louis-André Richard
Le collectif publié sous le titre « De l’éducation libérale : Essai sur la transmission de la culture générale » est une de mes belles trouvailles cette année. Écrit sous la direction du philosophe Louis-André Richard, ce livre pose l’urgente question de la transmission de la culture générale. Composé de texte inédits de figures incontournables des débats portant sur le thème de l’éducation des dernières années, comme Thomas De Koninck, Joseph Facal et Mathieu Bock-Côté, ce livre nous propose de nombreuses réflexions sur la nécessité d’une éducation centrée sur le développement de l’ensemble des dimension de la personne humaine et son épanouissement global. La lecture de cet ouvrage nous invite à réfléchir sur la condition humaine, le rôle de la civilisation, l’université, l’autonomie en pédagogie, etc. S’inscrivant dans la prise de conscience du philosophe américain Allan Bloom qui, dans son livre « L’âme désarmée » se désolait de l’absence de goût pour la recherche de la vérité chez les jeunes, ce livre saura redonner de l’espoir à tous les éducateurs qui refusent de laisser la culture sombrer dans l’ingratitude et la suffisance.
J’étais incapable d’aimer de Brigitte Bédard
Le grand succès du livre-témoignage J’étais incapable d’aimer de Brigitte Bédard et, même, son rayonnement international devrait suffire à nous convaincre de la pertinence de cet ouvrage. Nous sommes invités à suivre le parcours tumultueux d’une femme dont le dynamisme n’a d’égal que son franc-parler. Faisant une relecture de son histoire personnelle, Brigitte se rend compte comment ses multiples expériences passées étaient, en fait, une recherche de cet Amour absolu qu’est Dieu. Depuis ses études littéraires alors qu’elle s’affirmait féministe et athée convaincue, jusqu’au jour de sa conversion par l’entremise d’un moine de Saint-Benoît-du-Lac qui lui présente un visage crédible de la personne du Christ, ce livre manifeste la puissance de la Grâce de Dieu et la force d’accueil d’une vie assoiffée de vérité et d’authenticité. Beau cadeau à mettre sous le sapin !
L’empire du politiquement correct de Mathieu Bock-Côté
Le plus récent essai de Mathieu Bock-Côté intitulé « L’empire du politiquement correct » nous fait un portrait très intéressant des différents intérêts derrière la logique qui orientent l’univers médiatique. Cherchant à décortiquer, à la fois, le langage et les idéologies que cet univers représente subrepticement, le sociologue québécois nous offre un instrument d’analyse capable de raffiner notre sens critique. Ainsi, nous pourrons être plus libres devant les intérêts médiatiques et politiques qui cherchent souvent à nous manipuler dans un sens ou dans l’autre. Pour nous catholiques, ce livre nous en apprend beaucoup sur les raisons derrière le traitement souvent négatif dont fait l’objet l’Église dans les médias. J’en recommande la lecture à tous ceux qui sont, à la fois, conscients de la centralité des médias dans nos sociétés et ayant à cœur l’honnêteté (la « parrêsia »)si chère au pape François. Un instrument incontournable pour tout ceux qui travaillent à la création d’une culture de la rencontre.
Les relations entre l’Église et l’État de Taschereau à Duplessis
par Alexandre Dumas
L’étude poussée sur les relations entre l’Église et l’État de Taschereau à Duplessis d’Alexandre Dumas, jeune historien québécois, constitue le dernier, et non le moindre, des livres qui m’ont particulièrement marqué cette année. Travaillant à manifester la complexité de l’évolution des relations entre l’Église et l’État, Alexandre Dumas pose une pierre importante à l’édifice d’une vision équilibrée de l’histoire du Québec. Ces pages nous invitent donc à côtoyer non seulement des figures importantes de notre histoire politique mais également des figures trop peu connues et peu étudiées du clergé de cette époque. On y découvre des jeux d’alliances et de coulisses qui mettent en perspectives de nombreux préjugés qui ont gardé dans l’ombre cette période fascinante de notre histoire. Je recommande cette lecture à tous ceux qui sont impliqués de près ou de loin dans la « guérison de la mémoire » à laquelle nous ont invités les évêques du Québec.
Une production littéraire digne d’éloge
L’année 2019 fut sans contredit une année importante sur le plan de la production littéraire au Québec. À l’heure où l’on s’interroge de plus en plus sur la langue française ou l’intérêt des plus jeunes pour la lecture, les publications de 2019 nous offrent le contenu nécessaire pour susciter l’intérêt de toutes les générations. Bonne lecture à tous !
De l’action de grâce à la grâce de l’action
Chaque année, le 11 novembre, nous célébrons le Jour du Souvenir afin de ne pas oublier que la société dans laquelle nous vivons, loin de s’être construite toute seule, est l’œuvre de ceux qui nous ont précédés et qui sont allés jusqu’à offrir l’ultime sacrifice. Parfois, nous avons l’impression que la paix et le bon fonctionnement de notre société vont de soi, que c’est une chose évidente et qu’il serait impossible qu’il en soit autrement. Ce n’est pas le cas et le Jour du Souvenir est l’occasion idéale pour en prendre conscience.
Action de Grâce
Notre foi chrétienne nous enseigne de toujours garder à l’esprit la beauté et l’immensité du monde et des réalités qui le composent. L’attitude fondamentale du chrétien est donc une posture d’émerveillement perpétuel devant la création ainsi que l’œuvre de salut opérée par Jésus-Christ. Cependant, cette perspective ne doit pas nous enlever notre lucidité à déceler les nombreuses injustices qui existent aussi. En effet, depuis le péché originel, le cœur de l’homme est blessé et est porté à renier l’Ordre établi par Dieu, et à ne pas respecter les principes d’une « écologie intégrale » telle que nous l’enseigne l’encyclique Laudato Sì. Devant cet état de fait, nous ne devons pas non plus tomber dans le désespoir et le cynisme en nous repliant sur nous-mêmes.
Comment donc garder un juste équilibre entre les deux extrêmes d’un éblouissement naïf ou du découragement ? C’est une tension continuelle que nous devons gérer à la fois comme personne et comme société. En ce sens la célébration des défunts disparus au combat, mort pour notre pays, aide à trouver cet équilibre. Qui voudrait vivre dans une société qui ferait comme si rien ne s’était produit? La commémoration du Jour du Souvenir permet donc cette nécessaire action de grâce envers Dieu et nos disparus en rendant leur sacrifice présent pour nous.
Grâce de l’action
Cette ingratitude toujours possible est dommageable, non seulement, parce qu’elle encourage l’égoïsme mais également parce qu’elle nous rend étranger à la volontés même des défunts. Si nous voulons que notre société se développe en cohérence avec ses principes de liberté et de solidarité, nous devons être fidèles à l’héritage qu’ils nous ont laissé. Faire mémoire de leur travail et de leur courage est donc à la citoyenneté ce que la nourriture est à la croissance.
De plus, lorsque nous faisons mémoire de ceux qui ont tout donné pour la paix et la liberté, nous prenons conscience que ces deux réalités ne sont pas que des concepts abstraits. Effectivement, on se rend ainsi compte qu’elles sont des œuvres perpétuelles auxquelles nous devons participer par notre engagement personnel et concret. La paix, la liberté ainsi que l’ordre social, qu’elles présupposent, sont donc les fruits du travail de tous. Faire mémoire de ceux qui sont allés jusqu’à mourir pour nous préserver de la tyrannie et de la violence peut nous aider à rendre grâce à Dieu pour tous ces hommes et toutes ces femmes qui ont assumé cette responsabilité jusqu’au bout et, ainsi, nous aider à faire de même.
« La mémoire est une faculté qui oublie » dit-on parfois. Des journées comme aujourd’hui sont donc bien adaptées à cette faiblesse de notre nature. Soyons donc reconnaissants à toutes ces personnes mortes au combat. Malgré le silence apparent des cimetières d’où elles s’adressent à nous aujourd’hui, mettons-nous à leur écoute sachant que, si nous l’avons fait pour eux, sans doute d’autres le feront-ils un jour pour nous. Ce sera le signe que, joint à leur sacrifice, notre travail aura porté les mêmes fruits de paix et de liberté.
Saint Jean-Paul II, un docteur pour notre temps ?
(CNS/L’Osservatore Romano) Cette semaine, la Conférence des évêques de Pologne présentait officiellement sa demande au pape François afin de déclarer saint Jean-Paul II docteur de l’Église et co-patron de l’Europe . En effet, pour les évêques polonais : « Le pontificat du Pape polonais était rempli de décisions révolutionnaires et d’événements importants qui ont changé le visage de la papauté et influencé le cours de l’histoire européenne et mondiale »[2], d’où la nécessité de reconnaître son importance en le faisant docteur de l’Église. Mais que signifie cette dénomination : « docteur de l’Église » ?
Des serviteurs de la Vérité
La Foi reçue du Christ, transmise par les apôtres et présentée d’une manière unique dans les Saintes Écritures fut l’objet d’études, de formulations intellectuelles, de traductions et de diverses interprétations au cours des siècles ; non pas à cause de contradictions internes au message du Christ mais plutôt à cause de la profondeur infinie de sa révélation d’une part et, d’autre part, à cause des limites de l’intelligence humaine. C’est pourquoi l’histoire de l’Église manifeste l’évolution graduelle de notre compréhension de ce que Dieu nous dit sur Lui-même et sur le monde. Ayant le charisme d’interprétation de la Révélation, le Magistère de l’Église se nourrit d’abord des décisions des Conciles œcuméniques, des enseignements des Papes et ensuite de la vie de saints spécialement dédiés à la méditation et à l’étude de la théologie. C’est pourquoi certains saints reçoivent parfois le titre de « docteur » c’est-à-dire un « théologien, philosophe ou écrivain ayant enrichi significativement le Magistère tant au niveau philosophique que spirituel ».
Tous les saints ne sont pas docteurs mais tous les docteurs sont saints. Plusieurs critères précis sont essentiels pour recevoir ce titre exceptionnel. Il faut être un « saint (e) canonisé, avoir élaboré une pensée de la foi en accord avec les principes de base de l’Église tout en découvrant un pan inexploré de l’Écriture se vérifiant comme fondamental par son influence auprès des fidèles et par une renommée internationale ». Saint Jean-Paul II mérite-t-il d’être érigé au côté des saints Augustin, Thomas d’Aquin, Jérôme, Bonaventure, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila et Hildegarde de Bingen et Thérèse de Lisieux pour ne nommer que ceux-là ? Je crois que oui et voici pourquoi.
Des raisons pour une reconnaissance
La première raison est que saint Jean-Paul II a réussi une synthèse très difficile entre la pensée moderne et la pensée classique. Souvent séparées et réputées irréconciliables, la pensée moderne philosophique s’est souvent développée en porte à faux face à la pensée grecque et médiévale. Cherchant à dépasser ce qu’ils considéraient être un carcan intellectuel, certains penseurs contemporains de Carol Wojtyla, se sont enfermés dans un esprit de système qui rendait impossible le dialogue et, donc, une évolution saine de la pensée. Or, en réaction à ce rejet, les philosophes fidèles à la tradition de la philosophie grecque ont également eu tendance à évoluer en vase clos. Saint Jean-Paul II, tout philosophe catholique qu’il était, ne pouvait rejeter un camp ou l’autre. Travaillant toute sa vie à développer une pensée, à la fois fondamentalement moderne (très influencée par le courant de la phénoménologie) et assumant l’héritage de la scolastique, on peut considérer que son œuvre fut une volonté d’aller au-delà des écueils etdes « interprétations fausses ou partielles, qui contredisent d’autres enseignements de la même Écriture. » (EG, no 148).
Une deuxième raison découle de la richesse intellectuelle des enseignements présents sur l’ensemble de ses encycliques. En effet, durant ses 28 ans de pontificat, saint Jean-Paul II a pu véritablement accompagner le Peuple chrétien au travers des crises et courants de pensée parfois hostiles à la Révélation. Par ses enseignements tirés de son érudition sur la tradition intellectuelle de l’Église et de la pensée moderne, il a pu offrir un nouveau socle aux catholiques soucieux de « donner les raisons de l’espérance qui est en eux » (1 P 3,15). Par exemple, le déploiement et l’utilisation des concepts de « personne » et de « dignité » sont sans contredit un puissant héritage qui perdurera pour les siècles à venir.
La troisième raison qui me pousse à croire au bien-fondé de la reconnaissance de Jean-Paul II comme docteur de l’Église est la création de ce que l’on appelle désormais la « Théologie du Corps ». Cela est particulièrement évident pour nous qui vivons en Occident où l’enseignement de l’Église sur la sexualité humaine ne fait pas l’unanimité. Partant de cet état de fait, saint Jean-Paul II a voulu offrir au monde une présentation à la hauteur des exigences des sociétés devenues, pour le meilleur et pour le pire, individualistes. Par exemple, en liant des concepts tels que l’appel universel à l’amour authentiqueavec celui de dignité intégrale de la personne, il a réussi à exposer d’une manière moderne les raisons des exigences de la morale catholique sur la sexualité. Ainsi, par la richesse de ces enseignements exprimés lors des « audiences du mercredi », saint Jean-Paul II a enrichi l’enseignement de l’Église sur la sexualité humaine.
L’un des grands pas en avant et, sans contredit, l’un des héritages les plus significatifs de saint Jean-Paul II fut la rédaction du Catéchisme de l’Église catholique[7]. Suivant la célébration du Concile Vatican II, l’Église ne pouvait évidemment plus se contenter du Catéchisme du Concile de Trente. En effet, bien qu’en profonde continuité avec ce dernier, une nouvelle synthèse était nécessaire ; une nouvelle exposition intégrale de la Foi du Peuple de Dieu qui incluerait les enseignements du Concile qui venait de se terminer. Quelques décennies plus-tard et après beaucoup de travail, la Constitution apostolique Fidei depositum[8]instituant le Catéchisme de l’Église catholique était publiée dans le but de « présenter fidèlement et organiquement l’enseignement de l’Écriture sainte, de laTradition vivante dans l’Église et du Magistère authentique, de même que l’héritage spirituel desPères, des saints et des saintes de l’Église, pour permettre de mieux connaître le mystère chrétien et de raviver la foi du peuple de Dieu ». Pour cette synthèse, malheureusement encore trop peu connue, saint Jean-Paul II mérite le titre de docteur de l’Église.
Enfin, une dernière raison justifiant le titre de docteur de l’Église : la publication du Code de Droit Canonique (CDC) en 1983[10]. En effet, l’Église, étant une société d’hommes et de femmes en marche vers le Royaume des cieux, elle se doit de garder l’unité et, donc, d’établir des règles afin que les principes de justice soient respectés. Voyant les profondes évolutions positives de l’Église telles que son expansion sur tous les continents, son contact avec toutes les cultures, langues, traditions, systèmes politiques et juridiques, etc, il était nécessaire d’opérer une modernisation du CDC. Ce travail, à la fois, minutieux et volumineux ne laissait aucune place à l’improvisation. Cette contribution fondamentale qui affecte la vie concrète de tous les catholiques du monde est un héritage intellectuel extrêmement important. Nous le devons aussi à ce grand et saint Pape.
Un docteur pour notre temps
Évidemment, il ne s’agit pas là d’une liste exhaustive des réalisations intellectuelles du saint Pape polonais. Toutefois, tant ses riches encycliques, sa synthèse philosophique, l’innovation de la théologie du corps, la publication du Catéchisme de l’Église catholique et du Code de Droit Canonique représentent, selon moi, des arguments de poids en faveur de la reconnaissance de saint Jean-Paul II comme docteur de l’Église. Que la décision finale aille ou non en ce sens, nous pouvons tous rendre grâce à Dieu pour la vie de cet homme d’exception qui, du haut du ciel, continue d’accompagner l’Église de par sa puissante intercession.
Un dimanche pour redécouvrir la Parole de Dieu
(Photo: Vatican Media) Lundi 30 septembre dernier, lors de la commémoration du 1600e anniversaire de la mort de saint Jérôme, le pape François édictait, par le Motu Proprio « Apperuit Illis », le dimanche de la Parole de Dieu. Célébré le troisième dimanche du temps ordinaire, ce Jour du Seigneur sera consacré à offrir aux fidèles du monde entier, les moyens pour croître en « religiosité et assiduité familière avec les Saintes Écritures » .
Un texte à approfondir
On ne le dira jamais assez : le christianisme n’est pas une « religion du livre ». Le christianisme est une Personne, Jésus-Christ, Verbe de Dieu incarné auquel s’ajoutent tous ceux qui acceptent de participer de sa Vie divine. Toutefois, nous ne pouvons pas non plus négliger les différents moyens par lesquels Dieu se révèle aux hommes. Parmi eux, la Sainte Écriture fait figure de pilier puisqu’elle nous livre le témoignage oculaire de l’action créatrice et salvatrice de Dieu dans l’histoire. Sa lecture nous permet donc de comprendre et d’approfondir notre relation avec le Christ. Comme le dit le Pape : « Si le Seigneur ne nous y introduit pas, il est impossible de comprendre en profondeur l’Écriture Sainte. Pourtant le contraire est tout aussi vrai : sans l’Écriture Sainte, les événements de la mission de Jésus et de son Église dans le monde restent indéchiffrables ». Que ce soit personnellement ou collectivement, nous devons côtoyer les Saintes Écritures pour savoir qui on est et où l’on va.
En effet, la Parole de Dieu nous est adressée personnellement puisque Dieu cherche une relation personnelle avec chacun d’entre nous. C’est un aspect très mystérieux du Texte Saint. Même s’il a été écrit il y a des millénaires, il réussit à nous rejoindre personnellement et éclaire toujours notre vie en gardant constamment notre regard sur l’essentiel : non seulement la grandeur de notre éternelle destinée mais également sur notre capacité à transfigurer le monde. Toutefois, puisque le goût de l’humanité pour le confort et la sécurité est et sera toujours très fort, le risque de réduire la Parole de Dieu à des intérêts privés demeure constant. Voilà pourquoi, parmi la multitude des interprétations possibles, Jésus-Christ a également fait le don d’une institution permettant de « parvenir à une unité authentique et solide » (no3). Par son charisme magistériel, l’Église continue, encore aujourd’hui, de garder l’unité dans la diversité : « l’Esprit Saint qui continue à réaliser sa forme particulière d’inspiration lorsque l’Église enseigne l’Écriture Sainte, lorsque le Magistère l’interprète authentiquement (cf. ibid., 10) et quand chaque croyant en fait sa norme spirituelle » (no 10).
Écriture Sainte et sacrement
Notre habitude à célébrer la Messe nous fait souvent oublier le lien profond qui existe entre la célébration de la Parole de Dieu et de l’Eucharistie. Lorsqu’on y pense, on voit que l’une et l’autre se complètent parfaitement et qu’elles sont comme les deux poumons de notre vie spirituelle. Pour le Pape : « En tant que chrétiens, nous sommes un seul peuple qui marche dans l’histoire, fort de la présence du Seigneur parmi nous qui nous parle et nous nourrit » (no 8). C’est donc, à la fois, en tant que personne et en tant que peuple que nous devenons des disciples de Jésus. C’est parce que nous mettons personnellement en pratique les mandats de l’Écriture que Dieu peut prendre place dans notre vie. Mais c’est également parce que nous célébrons ensemble ces mêmes mystères que nous découvrons la valeur universelle de l’action salvifique de Dieu dans le monde.
Il y a donc un appel réciproque entre Dieu et l’homme qui, à travers l’Écriture et la célébration des sacrements, nous comble de tout ce dont nous avons besoin pour vivre et atteindre notre plein potentiel humain et spirituel. C’est ainsi que, en mettant la lecture de la Bible à notre agenda quotidien, nous pourrons voir le monde avec un regard nouveau. Un regard capable de voir ce que les autres ne voient pas. De s’émerveiller de la beauté de la création et de s’affranchir de ses chaînes qui nous empêchent de devenir celui ou celle que nous sommes appelés à être. Côtoyer Jésus dans la Parole de Dieu et l’Eucharistie est donc la condition sine qua non des aspirations inscrites au plus profond de notre âme.
Sous l’impulsion de ce nouveau dimanche de la Parole de Dieu qui prendra place le troisième dimanche du temps ordinaire, partons à la rencontre de ce Dieu qui « à travers l’Écriture Sainte, frappe à notre porte ; si nous écoutons et ouvrons la porte de notre esprit et celle de notre cœur, alors Il entrera dans notre vie et demeurera avec nous » (no 8).
L’héroïsme d’un ami de Jésus
Un exemple de bravoure
Pour nous rappeler ce principe fondamental, la Convention Suprême a fait connaître l’histoire du fils d’un Chevalier. Ce jeune homme nommé Kendrick Castillo[2], dans un acte d’héroïsme, a suivi l’enseignement du Christ : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13). Catholique fervent, Kendrick Castillo était un jeune adolescent qui, comme tant d’autres, allait à l’école secondaire dans la région de Denver. Fils de Chevalier de Colomb, il portait en lui le profond désir d’en devenir un lui-même. Déjà, il participait à de nombreuses activités organisées par les fils de Fr. McGivenny. Kendrick était destiné à un avenir prometteur dans les technologies et avait hâte à la graduation qui arrivait à grand pas (il ne restait que 3 jours d’école).
Le mardi 7 mai 2019, alors qu’il était en classe comme tous les jours, un jeune homme a rapidement sorti une arme avec l’intention de tuer ses camarades de classe. C’est à ce moment précis que Kendrick se précipita devant l’assaillant afin de l’empêcher de commettre l’irréparable. En se jetant sur lui, Kendrick fut atteint par une balle qui le tua sur le coup[4]permettant cependant à trois autres étudiants de maîtriser le meurtrier. Cette tragédie, malheureusement de plus en plus fréquente chez nos voisins du sud, aurait certainement été beaucoup plus sanglante sans le sacrifice de Kendrick. Les jours qui suivirent furent l’occasion pour la communauté de lui rendre hommage pour son don ultime.
L’héroïsme d’un ami de Jésus
Bien évidemment, on ne peut qu’être ému devant le récit d’un pareil événement empreint tout à la fois de cruauté, de détresse, de violence, de bravoure et d’amour inconditionnel. Mais quel est le sens du geste de Kendrick et que peut-il nous apprendre ? D’abord, Kendrick nous apprend à mettre nos priorités à la bonne place ! En effet, par son sacrifice, il a démontré que la vie de ses camarades était plus importante que tout l’or du monde. Comme tous les jeunes de son âge, il avait une famille, des amis, des intérêts, des hobbies, des projets. Toutefois, il savait que tout cela était don de Dieu n’ayant de véritable valeur qu’en tant qu’il est orienté vers Dieu. Il a pris au sérieux la parole exigeante du Christ selon laquelle : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi » (Mt 10, 37). Mettant les biens du ciel au-dessus de tout, Kendrick a pu spontanément se jeter sur l’agresseur et tout risquer pour le bien de ses camarades.
En un monde où l’on glorifie la recherche du bien-être personnel, souvent même au détriment des autres, ce genre de geste nous semble contre-intuitif. Le but de la vie n’est-il pas l’assouvissement du moindre de nos désirs ? Ne devons-nous pas chercher à ce que la société entière se conforme au moindre de mes caprices et désirs ? Kendrick montre que cette logique n’est pas à la hauteur de nos aspirations les plus grandes. Les manifestations de sympathieet de reconnaissance à son égard suivant la tragédie montrent que nous cherchons plus que ce que notre société nous propose. Il est donc évident que Kendrick avait intégré un profond discernement dans sa vie de tous les jours. Celui-là même qui lui a permis de choisir spontanément la vie des autres au détriment de la sienne. Comme le dit le pape François : « Ce que Jésus désire de chaque jeune, c’est avant tout son amitié. Il est essentiel de discerner et de découvrir cela. C’est le discernement fondamental » (no 250) . Aucun doute, Kendrick était un ami intime de Jésus.
Rencontre au quotidien
Une chose est sûre, cette rencontre avec le Christ, précipitée par une fusillade, n’a certainement pas été celle de deux inconnus. Kendrick connaissait bien Jésus et le fréquentait depuis de nombreuses années. Elle a dû ressembler davantage à une rencontre entre de vieux amis se retrouvant dans des circonstances extraordinaires. Kendrick nous invite à nous préparer à cette rencontre ultime par un esprit de gratitude envers Dieu pour la beauté de la vie. À chaque instant, même dans les moments qui nous apparaissent les plus banals, le Christ est présent à nos côtés. Comme le soleil qui n’a besoin que d’une petite ouverture pour mettre toute sa lumière dans une pièce, le Christ n’a besoin que d’un peu d’ouverture pour s’installer dans notre cœur et y faire des merveilles. Ce peu de place, est peut-être le léger effort requis pour aller à la Messe le dimanche ? Peut-être est-ce la volonté d’approfondir notre connaissance de la foi et des enseignements de l’Église ? Qui sait par où le Christ passe !
Kendrick nous invite à rester fidèle aux engagements de notre baptême et à nous rappeler constamment la présence active de la Grâce de Dieu présente dans l’Eucharistie. Loin d’être uniquement un symbole, Jésus-Christ Vrai Dieu et Vrai homme est substantiellement présent dans l’Hostie consacrée ! Il nous invite donc également à nous donner les moyens pour répondre concrètement à son appel à le suivre. Et pour nous les hommes, un bon moyen est certainement de devenir membre des Chevaliers de Colomb en participant activement au bien-être de nos communautés sociales et ecclésiales. Rien de surprenant que les Chevaliers de Colomb l’aient fait Chevalier à titre posthume[11]. Vivat Iesus !