Jeudi dernier était publié le tout nouveau livre du cardinal Robert Sarah intitulé « Des profondeurs de nos cœurs » dans lequel se trouve un texte inédit du pape émérite Benoît XVI. Cet ouvrage, à la fois théologique et profondément spirituel, offre de nombreuses réflexions sur le sacerdoce ministériel ainsi que le fruit de leurs expériences du sacrement de l’Ordre vécu « de l’intérieur ». De par leurs différentes approches, ce livre est une double variation sur un même thème. L’apport de Benoît XVI est foncièrement théologique. Écrit dans le style personnel et exégétique auquel il nous avait habitué dans sa série « Jésus de Nazareth », le pape émérite s’efforce de montrer la continuité du sacerdoce de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance. Le ton et la structure du texte du Cardinal Sarah est plus apologétique, cherchant à répondre directement aux questions actuelles touchant le célibat sacerdotal. Bref, il y en a pour tous les goûts.
Une polémique qui en dit beaucoup
Inutile de revenir sur la polémique qui a entouré la parution de ce livre. L’analyse de la journaliste Philippine De Saint-Pierre sur la question me semble suffisante. Toutefois, l’immense imbroglio qu’a suscité l’annonce de la participation de Benoît XVI à ce livre qui, globalement, fait ouvertement la proposition du célibat sacerdotal, me questionne. Que des groupes d’intérêt fassent d’une cause quelconque leur cheval de bataille idéologique est, à tout le moins, acceptable dans le cadre de la politique. Il en va autrement lorsqu’il s’agit de traiter des mystères divins. Cette polémique a démontré que, de part et d’autre, certains étaient prêts à traiter le sacrement de l’Ordre comme l’instrument par lequel ils distingueraient les « purs » des « impurs ». Nous devons sortir de cette logique d’opposition qui, peu importe notre opinion, nous éloigne du sujet traité et obscurcit notre jugement. Se concentrer sur le contenu de ce livre me semble être une attitude beaucoup plus constructive et plus à même de considérer le pour et le contre de la question. C’est ce à quoi je vous invite maintenant.
Benoît XVI : penseur de la continuité
Le texte de Benoît XVI, d’une quarantaine de pages, nous présente les plus récentes réflexions du Pape émérite sur les causes de la « crise durable que traverse le sacerdoce » (p.29). Comme c’était le cas dans sa série « Jésus de Nazareth », son jugement se porte sur un « défaut méthodologique dans la réception de l’Écriture » (p.29). Sans la nommer, on entend ici le monopole de l’exégèse historico-critique très populaire au XXe siècle et qui a porté jusqu’à la marginalité la lecture « christologique ». Indispensable pour comprendre la cohérence et, donc, « la continuité » (p.58) du sens de l’Écriture entre l’Ancien et le Nouveau Testament, son abandon dans de nombreux cercles de l’Église a pu créer de la confusion, spécialement dans la compréhension du sacerdoce ministériel catholique; d’où la « crise du sacerdoce » (p.43-44) postconciliaire et les nombreuses défections dans les années 70.
La grande partie du texte de Benoît XVI s’attarde à démontrer le lien de causalité entre la distorsion du cadre conceptuel de la réception de l’Écriture dans l’Église et cette crise aux visages multiples. Analysant plusieurs pans de la Bible, le pape émérite s’efforce de manifester, à la fois, l’absence de contradiction entre le sacerdoce vétérotestamentaire et celui de l’Église mais également la continuité de l’exigence du célibat sacerdotal (p.47). Ces réflexions profondes, parsemées de remarques personnelles faisant de lui un témoin à la première personne des vérités qu’il énonce, méritent d’être méditées et prises en compte aux plus hauts niveaux de l’appareil ecclésial. Je souligne au passage les lignes merveilleuses sur les liens de parenté entre la tribu de Lévi « qui ne possédait pas de terre en héritage » (p.52) et les exigences du sacerdoce catholique qui doit ne reposer que sur Dieu seul. Détaché des liens terrestres qui pourraient le détourner de Lui, le prêtre de la Nouvelle Alliance doit, accomplir ce lien entre « l’abstinence sexuelle et le culte divin » (p.47) d’Israël en faisant de toute sa vie le signe de cette dépendance totale à l’égard de Dieu. C’est « le chemin que j’ai parcouru tout au long de ma vie » (p.71)conclut-il.
Une défense assumée du célibat sacerdotal
La deuxième et la plus volumineuse partie du livre est intitulée « aimer jusqu’au bout : regard ecclésiologique et pastoral sur le célibat sacerdotal ». L’auteur, le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour la liturgie et la discipline des sacrements, opère une défense en bonne et due forme du célibat sacerdotal. Le ton est grave et affirme sa légitimité de par le cœur d’un évêque qui « s’inquiète » (p.76), ayant lui-même « reçu de nombreux prêtres désorientés, perturbés et meurtris au plus profond de leur vie spirituelle par les remises en cause violentes de la doctrine de l’Église » (p.76). Dès le départ, on est plongé dans l’actualité la plus immédiate, celle du récent Synode des évêques sur l’Amazonie et sa requête d’ordination des viri probati (hommes mariés ayant fait leurs preuves au plan humain et pastoral). Le lecteur est d’emblée devant la ferme conviction du cardinal guinéen, lui qui a assisté à toutes les séances. Il écrit que les échanges qu’il a eus avec les acteurs sur le terrain :
« M’ont conforté dans l’idée que la possibilité d’ordonner des hommes mariés représenterait une catastrophe pastorale, une confusion ecclésiologique et un obscurcissement dans la compréhension du sacerdoce » (p.78).
Bien que clair dans son propos, le cardinal issu d’une terre africaine récemment évangélisée, souhaite susciter, à l’instar du récent livre du cardinal Ouellet (p.90), une attitude de prudence des autorités ecclésiales à ne pas aller « trop vite » (p.77). Il exhorte à faire preuve de discernement face à des changements qui pourraient avoir d’énormes conséquences directes et indirectes sur la vie de l’Église et le salut du monde.
On ne saurait passer sous silence le nombre et la force des arguments pour le maintien de la règle, entre autres, « disciplinaire » (p.98) découlant « du lien ontologique entre le ministère sacerdotal et continence » (p.95). Cléricalisation du laïcat (p.115), approximations historiques d’un célibat considéré comme purement disciplinaire (p.91-94), instrumentalisation de la détresse des pauvres (p.90), projections romantiques du clergé oriental (p.95), obscurcissement du sens nuptial du sacerdoce (p.101), primauté de la raison fonctionnelle (p.116-118), pélagianisme institutionnel (p.119), création de deux classes de clergés (p.86), séparation de la tria munera (prêtre, prophète et roi) (p.128), néocolonialisme et infantilisme (p.136), illusion de l’église occidentale en faillite apostolique (p.140) ne sont que quelques exemples des effets négatifs soulignés par le préfet romain. En ce sens, ce livre est une véritable litanie des erreurs perçues comme implicites à la proposition du Synode sur l’Amazonie et dont le (photo: CNS/Paul Haring) document final mentionnait la possibilité « d’ordonner prêtres des hommes idoines[…]pouvant avoir une famille » (no 111). Une chose est certaine, aucune de ces critiques ne doivent être prises à la légère.
Outre cet objectif, disons, à court terme, j’ai vu dans ce texte aussi senti qu’engagé, le témoignage concret d’un pasteur qui cherche à éloigner tous les doutes qui peuvent planer contre le célibat sacerdotal. Les études sur ce thème nous ont malheureusement habitués au langage théologique qui pourrait sembler désincarné et loin de la réalité concrète des gens; ce qui a pu influencer l’actuelle incompréhension de certains catholiques eux-mêmes envers ce don du célibat (p.90). Or ce livre a justement le génie d’offrir à la présentation des nombreuses raisons théologiques, sociologiques et psychologiques en faveur du célibat la richesse et la profondeur de son expérience de pasteur. À travers les pages, on assiste au déploiement de l’irruption de la présence de Dieu dans l’histoire humaine par l’entremise de cette vie du prêtre totalement donnée dans le célibat.
Un ensemble cohérent
Une lecture attentive de ce livre fort intéressant suffit à en concevoir la profonde unité. Bien que le ton et l’approche des deux auteurs soient clairement différents, on y sent l’attachement profond de deux hommes envers leur Épouse commune. Que ce soit par la douceur de l’analyse scripturaire d’un Benoît XVI avancé en « âge » (p.29) ou la fougue d’un cardinal Sarah à la défense de l’unicité du sacrement qui l’a configuré au « Christ-Époux » (p.84), la lecture de cet ouvrage ne saurait faire autrement que nous émouvoir devant l’ardeur et la passion de ces hommes pétris par leur engagement sponsal envers cette Église qu’ils aiment de tout « leur cœur ». J’en recommande fortement la lecture.