Discours du pape François lors de la veillée mariale à Trujillo

Le samedi 20 janvier, le pape François a présidé une célébration mariale en la fête de la Virgen de la Puerta. Cette veillée s’est déroulée sur la Place d’Armes dans le centre ville de Trujillo, tout près de la cathédrale. Des dizaines de milliers de personnes y ont participé. Voici le texte complet du discours du Saint Père lors de cette cérémonie: 

Chers frères et sœurs!

Je remercie Mgr Héctor Miguel pour ses paroles de bienvenue au nom de tout le peuple de Dieu qui est en pèlerinage dans ce pays.

Sur cette belle et historique place de Trujillo qui a su susciter des rêves de liberté pour tous les péruviens, nous sommes réunis aujourd’hui pour nous retrouver avec la ‘‘Petite Mère de Otzuco’’. Je sais les nombreux kilomètres que beaucoup d’entre vous ont parcourus pour être ici aujourd’hui, rassemblés sous le regard de la Mère. Cette place devient ainsi un sanctuaire à ciel ouvert où nous voulons tous nous laisser regarder par la Mère, par son doux et maternel regard. La Mère qui connaît le cœur des péruviens du nord et de tant d’autres endroits ; elle a vu vos larmes, vos rires, vos aspirations. Sur cette place, on veut faire trésor de la mémoire d’un peuple qui sait que Marie est Mère et qu’elle n’abandonne pas ses enfants.

La maison est en fête d’une manière particulière. Les images venues de différents endroits de cette région nous accompagnent. En même temps que la bien-aimée Vierge Immaculée de la Porte d’Otuzco, je salue et je souhaite la bienvenue à la Sainte Croix de Chalpón de Chiclayo, au Seigneur Prisonnier d’Ayabaca, à la Vierge des Grâces de Paita, au Divin Enfant du Miracle d’Eten, à la Vierge des Douleurs de Cajamarca, à la Vierge de l’Assomption de Cutervo, à l’Immaculée Conception de Chota, à Notre-Dame de Grandes Grâces de Huamachuco, à Saint Turibio de Mogrovejo de Tayabamba (Huamachuco), à la Vierge de l’Assomption de Chachapoyas, à la Vierge de l’Assomption d’Usquil, à la Vierge du Secours de Huanchoco, aux Reliques des Martyrs Conventuels de Chimbote.

Chaque communauté, chaque petite localité de ce territoire est assistée par le visage d’un saint, par l’amour pour Jésus Christ et pour sa Mère. Et il faut réaliser que là où il y a une communauté, là où il y a de la vie et des cœurs qui battent et qui sont désireux de trouver des raisons pour espérer, pour chanter, pour danser, pour vivre dignement… là se trouve le Seigneur, là nous trouvons sa Mère et aussi l’exemple de nombreux saints qui nous aident à demeurer joyeux dans l’espérance.

Avec vous, je rends grâce à notre Dieu pour sa délicatesse. Il trouve le moyen de s’approcher de chacun de manière à ce qu’on puisse le recevoir; et ainsi naissent les invocations les plus variées. Elles expriment le désir de notre Dieu qui veut être proche de chaque cœur parce que la langue de l’amour de Dieu, c’est toujours un dialecte; il n’a pas une autre manière de le faire. Et en outre, c’est un fait porteur d’espérance que de voir comment la Mère adopte les traits caractéristiques de ses enfants, leur manière de se vêtir, le dialecte des siens pour les faire participer à sa bénédiction. Marie sera toujours une Mère métisse, parce que dans son cœur tous les sangs trouvent une place, parce que l’amour recherche tous les moyens pour aimer et être aimé. Toutes ces images nous rappellent la tendresse avec laquelle Dieu veut être proche de chaque population, de chaque famille, de vous, de moi, de tous.

Je sais l’amour que vous portez à la Vierge Immaculée de la Porte d’Otuzco et qu’avec vous je voudrais déclarer aujourd’hui : Vierge de la Porte, ‘‘Mère de la Miséricorde et de l’Espérance’’. Sainte Vierge qui, tout au long des siècles passés, a montré son amour pour les enfants de cette terre, quand placée sur une porte, elle les a défendus et les a protégés des menaces qui les affectaient, suscitant l’amour de tous les Péruviens jusqu’à nos jours.

Elle continue de nous défendre et de nous indiquer la Porte qui nous ouvre le chemin de la vie authentique, de la Vie qui ne dépérit pas. Elle est celle qui sait accompagner chacun de ses enfants pour qu’ils retournent à la maison. Elle nous accompagne et nous conduit jusqu’à la Porte qui donne la Vie, parce que Jésus ne veut que personne reste dehors, à la merci de l’intempérie. Elle accompagne ainsi «la nostalgie de beaucoup du retour à la maison du Père qui attend leur venue»[1] et qui souvent ne savent pas comment revenir. Comme le disait saint Bernard : « Toi qui te sens loin de la terre ferme, entraîné par les vagues de ce monde, au milieu des bourrasques et des tempêtes : regarde l’Étoile et invoque Marie »[2]. Elle nous indique le chemin de la maison, elle nous conduit jusqu’à Jésus qui est la Porte de la Miséricorde.

En 2015, nous avons eu la joie de célébrer le Jubilé de la Miséricorde. Une année durant laquelle j’ai invité tous les fidèles à passer par la Porte de la Miséricorde, «où quiconque entrera pourra faire l’expérience de l’amour de Dieu qui console, pardonne, et donne l’espérance»[3]. Et j’aimerais réitérer avec vous le même désir que j’avais alors : «Combien je voudrais que les années à venir soient comme imprégnées de miséricorde pour aller à la rencontre de chacun en lui offrant la bonté et la tendresse de Dieu ! »[4]. Comme je voudrais que cette terre habitée par la Mère de la Miséricorde et de l’Espérance puisse démultiplier et apporter la bonté et la tendresse de Dieu en tout lieu. Car, chers frères, il n’y a pas de meilleure médecine pour soigner tant de blessures qu’un cœur qui connaît la miséricorde, qu’un cœur qui sait avoir de la compassion face à la souffrance et au malheur, face à l’erreur et au désir de se relever de beaucoup qui souvent ne savent pas comment y parvenir.

La compassion est active parce que «nous avons appris que Dieu se penche sur nous (cf. Os. 11, 14) pour que nous puissions, nous aussi, l’imiter et nous pencher sur nos frères » [5]. Nous pencher en particulier sur ceux qui souffrent le plus. Comme Marie, nous devons être attentifs à ceux qui n’ont plus le vin de la fête, comme cela est arrivé aux noces de Cana.

En regardant Marie, je ne voudrais pas terminer sans vous inviter à penser à toutes les mères et grands-mères de cette Nation ; elles sont la véritable force motrice de la vie et des familles du Pérou. Que serait le Pérou sans les mères et les grands-mères, que serait notre vie sans elles ! L’amour pour Marie doit nous aider à avoir des attitudes de reconnaissance et de gratitude envers la femme, envers nos mères et nos grands-mères qui sont un rempart dans la vie de nos cités. Presque toujours silencieuses, elles font avancer la vie. C’est le silence et la force de l’espérance. Merci pour leur témoignage.

Reconnaître et remercier; toutefois en regardant les mères et les grands-mères, je voudrais vous inviter à lutter contre un fléau qui touche notre continent américain: les nombreux cas de féminicide. Il y a de nombreuses situations de violence qui sont étouffées derrière tant de murs. Je vous invite à lutter contre cette source de souffrance, en demandant que soient encouragées une législation et une culture du rejet de toute forme de violence.

Chers frères, la Vierge de la Porte, Mère de la Miséricorde et de l’Espérance nous montre le chemin et nous indique la meilleure protection contre le mal de l’indifférence et de l’insensibilité. Elle nous conduit jusqu’à son Fils et elle nous invite aussi à promouvoir et à faire rayonner une « culture de la miséricorde, fondée sur la redécouverte de la rencontre des autres: une culture dans laquelle personne ne regarde l’autre avec indifférence ni ne détourne le regard quand il voit la souffrance des frères»[6].

Discours du pape François lors de la rencontre avec les prêtres, religieux, religieuses et séminaristes à Trujillo

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François telle que prononcée lors de la rencontre avec les prêtres, religieux, religieuses et séminaristes de Trujillo, Pérou:

Chers frères et sœurs, Bonsoir!

Je remercie pour les paroles que Monseigneur José Eguren Anselmi, archevêque de Piura, m’a adressées au nom de toutes les personnes présentes.

Vous rencontrer, vous connaître, vous écouter et exprimer l’amour pour le Seigneur et pour la mission qu’il nous a donnée est important. Je sais que vous avez fait des efforts pour être ici.

Merci!

C’est le Collège Séminaire, l’un des premiers créés en Amérique Latine pour la formation de nombreuses générations d’évangélisateurs, qui nous reçoit. Me retrouver ici et avec vous, c’est sentir que nous sommes dans l’un de ces ‘‘berceaux’’ de nombreux missionnaires. Et je n’oublie que cette terre a vu mourir, en mission, saint Toribio de Mogrovejo, patron des évêques latino- américains. Tout nous porte à regarder nos racines, ce qui nous soutient tout au long du temps et de l’histoire pour grandir et donner des fruits. Nos vocations auront toujours cette double dimension : des racines dans la terre et le cœur dans le ciel. Quand l’un manque, quelque chose commence à aller mal et notre vie peu à peu dépérit (cf. Lc 13, 6-9).

J’aime souligner que notre foi, notre vocation fait mémoire; c’est une dimension deutéronomique de la vie. Elles font mémoire, car elles savent reconnaître que ni la vie, ni la foi, ni l’Église ne commencent par la naissance de qui ce soit parmi nous : la mémoire regarde le passé pour trouver la sève qui a irrigué durant des siècles le cœur des disciples, et ainsi elle reconnaît le passage de Dieu dans la vie de son peuple. Mémoire de la promesse qu’il a faite à nos pères et qui, lorsqu’elle continue d’être vivante parmi nous, est cause de notre joie et nous fait chanter : « Quelles merveilles le Seigneur fit pour nous, nous étions en grande fête » (Ps 125, 3).

Je voudrais partager avec vous certaines vertus de ce fait de faire mémoire.

1. La joie consciente d’elle-même.
L’évangile que nous avons écouté, nous le lisons de coutume en utilisant la grille de la

vocation et ainsi nous nous concentrons sur la rencontre des disciples avec Jésus. Je voudrais, d’abord, regarder Jean-Baptiste. Il était accompagné de deux de ses disciples et en voyant Jésus passer, il leur dit: «Voici l’Agneau de Dieu» (Jn 1, 36); en entendant cela, ils ont quitté Jean et ils ont suivi Jésus (cf. v. 37). C’est surprenant; ils avaient fréquenté Jean, ils savaient qu’il était un homme bon, mieux, le plus grand parmi ceux qui sont nés d’une femme, comme Jésus le qualifie (cf. Mt 11, 11), mais il n’était pas celui qui devait venir. Jean aussi attendait un autre plus grand que lui-même. Jean savait clairement qu’il n’était pas le Messie mais que simplement il l’annonçait. Jean était l’homme qui faisait mémoire de la promesse et de sa propre personne.

Jean exprime la conscience du disciple qui sait qu’il n’est pas, ni ne sera jamais le Messie, mais qu’il est uniquement appelé à indiquer le passage du Seigneur dans la vie de son peuple. Nous, consacrés, nous ne sommes pas appelés à supplanter le Seigneur, ni par nos œuvres, ni par nos missions, ni par nos innombrables activités. Il nous est simplement demandé de travailler avec le Seigneur, coude-à-coude, mais sans jamais oublier que nous n’occupons pas sa place. Cela ne nous fait pas ‘‘nous ramollir’’ dans la mission d’évangélisation; au contraire, cela nous galvanise et exige de nous de travailler en nous souvenant que nous sommes des disciples de l’unique Maître. Le disciple sait qu’il passe et passera toujours après le Maître. C’est la source de notre joie.

Il faut que nous sachions que nous ne sommes pas le Messie! Cela nous évite de nous croire trop importants, trop occupés (c’est courant d’entendre dans certaines régions: ‘‘non, ne va pas à cette paroisse, parce que le Père est toujours très occupé’’). Jean-Baptiste savait que sa mission était d’indiquer le chemin, d’initier des processus, d’ouvrir des espaces, d’annoncer qu’un Autre était porteur de l’Esprit de Dieu. Faire mémoire nous délivre de la tentation des messianismes.

Cette tentation se combat de plusieurs manières, mais aussi par le rire. Oui, apprendre à rire de soi-même nous donne la capacité spirituelle de nous mettre devant le Seigneur avec nos propres limites, nos erreurs et nos péchés, mais aussi avec nos succès, et avec la joie de savoir qu’il est à nos côtés. Un beau test spirituel, c’est de nous demander notre capacité de rire de nous-mêmes. Le rire nous sauve du néo-pélagianisme «autoréférentiel et prométhéen de ceux qui, en définitive, font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres » (Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 94). Chers frères, riez en communauté, et non pas de la communauté ou des autres. Gardons-nous de ces gens si mais si importants que, dans la vie, ils ont oublié de sourire !

2. L’heure de l’appel
Jean l’Évangéliste recueille dans Évangile même l’heure de ce moment qui a changé sa vie :

« Il était quatre heures de l’après-midi » (v. 39). La rencontre avec Jésus change la vie, marque un avant et un après. Il faut se rappeler cette heure, ce jour clef pour chacun d’entre nous, où nous nous sommes rendus compte que le Seigneur attendait quelque chose de plus. La mémoire de cette heure où nous avons été touchés par sa mémoire.

Chaque fois que nous oublions cette heure, nous oublions nos origines, nos racines; et en perdant ces repères fondamentaux, nous laissons de côté la chose la plus précieuse qu’un consacré puisse posséder : le regard du Seigneur. Peut-être n’es-tu pas content de cet endroit où le Seigneur t’a rencontré ; peut-être cela ne répond-il pas à une situation idéale ou que tu ‘‘aurais aimé mieux’’. Mais ce fut là qu’il t’a rencontré et a soigné tes blessures. Chacun d’entre nous connaît où et quand: peut-être à un moment caractérisé par des situations complexes, oui; dans des situations douloureuses, oui ; mais c’est là que t’a rencontré le Dieu de la Vie pour faire de toi un témoin de sa Vie, pour faire de toi une partie intégrante de sa Vie, pour te faire participer à sa mission et pour que tu sois avec lui une caresse de Dieu pour de nombreuses personnes. Il nous faut nous rappeler que nos vocations sont un appel d’amour pour aimer, pour servir. Si le Seigneur a jeté sur vous un regard d’amour et vous a choisis, ce n’est pas parce que vous êtes plus nombreux que les autres, car vous êtes le plus petit parmi les peuples, mais c’est par pur amour (cf. Dt 7, 7-8). Amour venant des entrailles, amour de miséricorde qui remue nos entrailles pour que nous allions servir les autres à la manière de Jésus Christ.

Je voudrais m’arrêter sur un aspect que je juge important. Beaucoup d’entre nous, au moment d’entrer au Séminaire ou dans la maison de formation, nous avons été encouragés par la foi de nos familles et de nos voisins. C’est ainsi que nous avons fait nos premiers pas, soutenus souvent par les manifestations de la piété populaire, qui au Pérou ont pris les formes plus exquises et pris racine dans le peuple fidèle et simple. Votre peuple a manifesté un grand attachement à Jésus Christ, à la Vierge ainsi qu’aux saints et aux bienheureux à travers de nombreuses dévotions que je n’ose pas énumérer de peur d’en omettre. Dans ces sanctuaires, «beaucoup de pèlerins prennent des décisions qui marquent leur vie. En ses murs sont inscrites beaucoup d’histoires de conversion, de pardon et de dons reçus, que des millions de personnes pourraient raconter » (5ème Conférence générale de l’Episcopat Latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida, 29 juin 2007, n. 260). Peut-être beaucoup de vos vocations sont-elles même gravées dans ces murs. Je vous exhorte à ne pas oublier, encore moins à mépriser, la foi fidèle et simple de votre peuple. Sachez accueillir, accompagner et encourager la rencontre avec le Seigneur. Ne devenez pas des professionnels du sacré, oubliant votre peuple, d’où le Seigneur vous a pris. Ne perdez pas la mémoire et le respect envers qui vous a appris à prier.

Se souvenir de l’heure de l’appel, faire mémoire, avec joie, du passage de Jésus Christ dans notre vie, cela nous aidera à dire cette belle prière de saint François Solano, grand prédicateur et ami des pauvres: « Mon bon Jésus, mon Rédempteur et mon ami. Qu’ai-je que tu ne m’aies donné ? Que sais-je que tu ne m’aies appris?»

Ainsi, le religieux, le prêtre, la consacrée, le consacré sont des personnes qui font mémoire, une mémoire joyeuse et reconnaissante : triade à former et à garder comme des ‘‘armes’’ face à tout ‘‘camouflage’’ vocationnel. La conscience reconnaissante élargit le cœur et nous incite au service. Sans reconnaissance, nous pouvons être de bons exécuteurs du sacré, mais il nous manquera l’onction de l’Esprit pour devenir serviteurs de nos frères, surtout des plus pauvres.

Le peuple fidèle de Dieu a du flair et sait distinguer entre le fonctionnaire du sacré et le serviteur reconnaissant. Il sait faire la différence entre celui qui fait mémoire et celui qui oublie. Le peuple de Dieu est endurant, mais il reconnaît celui qui le sert et le soigne avec l’huile de la joie et de la gratitude.

3. La joie contagieuse.
André était l’un des premiers disciples de Jean-Baptiste, qui avaient suivi Jésus ce jour-là.

Après être resté avec lui et avoir vu où il vivait, il est allé dans la maison de son frère Simon Pierre et lui a dit: «Nous avons trouvé le Messie» (Jn 1, 41). C’est la plus grande nouvelle qu’il puisse lui annoncer, et il l’a conduit à Jésus. La foi en Jésus est contagieuse, elle ne peut ni se confiner ni être enfermée; ici, on voit la fécondité du témoignage : les disciples nouvellement appelés attirent, à leur tour, d’autres à travers leur témoignage de foi, de la même manière que dans le passage de l’évangile, Jésus nous appelle à travers d’autres personnes. La mission jaillit spontanément de la rencontre avec Jésus. André commence son apostolat par les plus proches, par son frère Simon, presque comme quelque chose de naturel, en rayonnant de joie. C’est le meilleur signe que nous avons ‘‘découvert’’ le Messie. La joie est une constante dans le cœur des apôtres, et nous le constatons dans la force avec laquelle André confie à son frère: “Nous l’avons trouvé !”. Car « la joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 1).

Cette joie nous ouvre aux autres, c’est une joie à transmettre. Dans le monde divisé dans lequel nous vivons, qui nous pousse à nous isoler, nous avons le défi d’être des artisans et des prophètes de communauté. Car, personne ne se sauve seul. Et à ce sujet, je voudrais être clair. La division ou l’isolement n’est pas quelque chose qui se produit ‘‘à l’extérieur’’ comme si c’était un problème du ‘‘monde’’. Chers frères, les divisions, les guerres, les isolements, nous les vivons également dans nos communautés. Et que de mal elles nous font ! Jésus nous envoie porter la communion, l’unité, mais souvent, il semble que nous le fassions désunis et, pire, souvent en nous faisant des crocs-en-jambe. On nous demande d’être des artisans de communion et d’unité; ce qui ne revient pas à penser tous de la manière, à faire tous la même chose. Cela signifie valoriser les apports, les différences, le don des charismes dans l’Église en sachant que chacun, avec ses qualités y met du sien, mais a besoin des autres. Seul le Seigneur a la plénitude des dons, lui seul est le Messie. Et il a voulu partager ses dons de telle manière que nous puissions tous offrir le nôtre en nous enrichissant avec celui des autres. Il faut se garder de la tentation du ‘‘fils unique’’ qui veut tout pour lui, car il n’a personne avec qui partager. À ceux à qui il revient d’assumer des missions dans le service de l’autorité, je demande, s’il vous plaît, de ne pas devenir autoréférentiels ; essayez de prendre soin de vos frères, faites en sorte qu’ils se sentent bien ; car le bien se communique. Ne tombons pas dans le piège d’une autorité qui devient autoritarisme parce qu’elle oublie que, avant tout, elle est une mission de service.

Chers frères, de nouveau, merci, et que cette mémoire deutéronomique nous rende plus joyeux et plus reconnaissants afin que nous soyons des serviteurs de l’unité au sein de notre peuple.

Que le Seigneur vous bénisse et que la Vierge Sainte vous protège ! Et n’oubliez pas de prier pour moi!

[00067-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Homélie du pape François lors de la Messe sur la plage de Huanchaco, Pérou

CNS/Paul Messe sur la plage Huanchaco de Trujillo, Peru

Vous trouverez ci-dessous l’homélie du pape François lors de la Messe sur l’esplanade à Huanchaco, Pérou.

Cette terre a un goût d’Évangile. Tout l’environnement avec cette immense mer en arrière- fond nous aide à mieux comprendre l’expérience que les apôtres ont eue avec Jésus et que nous aussi, aujourd’hui, nous sommes invités à vivre. Je me réjouis de savoir que vous êtes venus de différents endroits du nord Pérou pour célébrer cette joie de l’Évangile.

Les disciples d’hier, comme beaucoup parmi vous aujourd’hui, gagnaient leur vie par la pêche. Ils utilisaient des barques comme certains d’entre vous continuent à le faire, avec les “embarcations de roseaux” [petits chevaux de roseaux] et, dans le même but, aussi bien pour eux que pour vous : gagner le pain de chaque jour. Voilà l’enjeu de la plupart de nos fatigues quotidiennes : pouvoir faire progresser nos familles et leur donner ce qui les aidera à construire un avenir meilleur.

Cette ‘‘lagune aux poissons dorés’’, comme on a voulu l’appeler, a été une source de vie et de bénédiction pour de nombreuses générations. Elle a su nourrir les rêves et les espérances au fil du temps.

Vous, comme les apôtres, vous connaissez la violence de la nature et vous avez subi ses coups. Tout comme eux ont affronté la tempête sur la mer, vous avez été frappés par le terrible coup du phénomène ‘‘El Niño de la côte’’, dont les conséquences douloureuses durent encore dans de nombreuses familles, en particulier dans les familles qui n’ont toujours pas pu reconstruire leurs maisons. C’est également pour cette raison que j’ai voulu être ici et prier avec vous.

En cette Eucharistie, nous nous souvenons également de ce moment si difficile qui interpelle et bien des fois fait douter notre foi. Nous voulons nous unir à Jésus. Il connaît la souffrance et les épreuves ; il a traversé toutes les souffrances pour pouvoir nous accompagner dans les nôtres. Jésus sur la croix veut être proche de chaque situation douloureuse pour nous donner la main et nous aider à nous relever. Car il est entré dans notre histoire, il a voulu partager notre chemin et toucher nos plaies. Nous n’avons pas un Dieu insensible à ce que nous éprouvons et à ce que nous souffrons, au contraire, au cœur de la souffrance il nous donne la main.

Ces chocs interpellent et mettent en jeu la valeur de notre esprit et de nos attitudes les plus élémentaires. Ainsi nous voyons combien il est important de ne pas être seuls mais unis, d’être riches de cette union qui est le fruit de l’Esprit Saint.

Qu’est-ce qui est arrivé aux jeunes filles de l’Évangile que nous venons d’entendre ? Soudain, elles entendent un cri qui les réveille et les met en mouvement. Certaines se sont rendu compte qu’elles n’avaient pas l’huile nécessaire pour éclairer le chemin dans l’obscurité ; les autres, en revanche, ont rempli leurs lampes et ont pu trouver et éclairer le chemin qui les conduisait vers l’époux. Au moment opportun, chacune a montré avec quoi elle avait rempli sa vie.

Il en va de même pour nous. Dans des circonstances déterminées, nous prenons conscience de ce avec quoi nous avons rempli notre vie. Comme il est important de remplir nos vies avec cette huile qui permet d’alimenter nos lampes dans les divers moments d’obscurité et de trouver les chemins pour aller de l’avant !

Je sais que, dans l’obscurité, quand elles ont subi le choc du ‘‘Niño’’, ces populations ont su se mettre en mouvement et elles avaient l’huile pour accourir et s’entraider comme de vrais frères. Il y avait l’huile de la solidarité, de la générosité qui vous a mis en mouvement et vous êtes allés à la rencontre du Seigneur par d’innombrables gestes concrets d’aide. En pleine obscurité, avec beaucoup d’autres, vous avez été des cierges vivants qui ont éclairé le chemin grâce à des mains ouvertes et disponibles pour atténuer la souffrance et partager ce que vous aviez dans leur pauvreté.

Dans la lecture, nous pouvons observer comment les jeunes filles qui n’ont pas d’huile sont parties au village pour en acheter. A ce moment crucial de leur vie, elles se sont rendu compte que leurs lampes étaient vides, qu’il leur manquait l’essentiel pour trouver le chemin de la joie authentique. Elles étaient seules et ainsi elles ont été privées de la fête. Il y a des choses, comme vous le savez, qui ne s’improvisent pas et qui, encore moins, ne s’achètent pas. L’âme d’une communauté se juge à la manière dont elle parvient à s’unir pour faire face aux moments difficiles, à l’adversité, pour maintenir vivante l’espérance. Par cette attitude, vous donnez le meilleur témoignage évangélique : « À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres » (Jn 13, 35). Parce que la foi nous ouvre à un amour concret, fait d’œuvres, de mains tendues, de compassion ; un amour qui sache construire et reconstruire l’espérance quand tout semble perdu. Ainsi, nous devenons participants de l’action divine, telle que nous la présente l’apôtre Jean quand il nous montre que Dieu essuie les larmes de ses enfants. Et cette mission divine, Dieu l’accomplit avec la même tendresse que celle d’une mère qui cherche à faire sécher les larmes de ses enfants. Quelle belle question nous posera le Seigneur : combien de larmes as-tu essuyées aujourd’hui ?

D’autres tempêtes peuvent s’abattre sur ces côtes et avoir des effets dévastateurs sur la vie des enfants de ce pays. Des tempêtes qui nous interpellent également comme communauté et mettent en jeu la valeur de notre esprit. Ces tempêtes s’appellent la violence organisée telle que l’assassinat et l’insécurité qu’il provoque ; le manque de perspectives éducatives et professionnelles, en particulier dans les rangs des plus jeunes, ce qui les empêche de construire un avenir avec dignité ; le manque d’un toit sûr pour de nombreuses familles forcées de vivre dans des zones de grande instabilité et sans accès sûrs ; ainsi que tant d’autres situations que vous connaissez et que vous subissez, qui comme les pires glissements de terrain détruisent la confiance mutuelle si nécessaire pour construire un réseau de soutien et d’espérance. Des glissements de terrain qui affectent l’âme et nous interpellent concernant l’huile dont nous disposons pour y faire face.

Bien des fois, nous nous interrogeons sur la manière d’affronter ces tempêtes, ou sur la façon d’aider nos enfants à aller de l’avant face à ces situations. Je voudrais vous le dire : il n’y a pas de meilleure solution que celle de l’Évangile. Elle s’appelle Jésus Christ. Remplissez toujours vos vies de l’Évangile. Je voudrais vous encourager à être une communauté qui se laisse oindre par son Seigneur avec l’huile de l’Esprit. Il transforme tout, renouvelle tout, consolide tout. En Jésus, nous avons la force de l’Esprit pour ne pas rendre naturel ce qui nous fait du mal, ce qui assèche notre cœur, et pire, ce qui nous vole l’espérance. En Jésus, nous avons l’Esprit qui nous tient unis pour nous soutenir les uns les autres et pour affronter ce qui veut nous prendre le meilleur de nos familles. En Jésus, Dieu fait de nous une communauté croyante qui sait se soutenir; une communauté qui espère et par conséquent lutte pour faire reculer et transformer les nombreuses adversités ; une communauté qui aime, car elle ne permet pas que nous croisions les bras. Avec Jésus, l’âme de ce peuple de Trujillo pourra continuer à s’appeler ‘‘la ville de l’éternel printemps’’, parce qu’avec le Seigneur tout est une opportunité pour l’espérance.

Je connais l’amour que ce pays a pour la Vierge, et je sais combien la dévotion à Marie vous soutient toujours en vous conduisant jusqu’à Jésus. Demandons-lui de nous couvrir de son manteau et de nous conduire toujours à son Fils ; mais disons-le-lui par cette belle chanson populaire : « Petite Vierge de la porte, accorde-moi ta bénédiction. Petite Vierge de la porte, donne-nous la paix et beaucoup d’amour ».

[00066-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Visite du pape François au foyer « Le Petit Prince » à Puerto Maldonado

Le Saint Père s’est arrêté dans un foyer pour enfants en difficulté, « Le Petit Prince » (Hogar El Principito), à Puerto Maldonado au Pérou, ce vendredi 19 janvier. Cette rencontre s’est déroulée dans le cadre de son 22e voyage apostolique. Veuillez trouver le texte complet de son discours ci-dessous:

Chers frères et sœurs, Chers enfants,

Merci beaucoup pour ce bel accueil et pour vos paroles de bienvenue. Vous voir danser me comble de joie.

Je ne pouvais pas repartir de Porto Maldonado sans venir vous rendre visite. Vous avez voulu venir de différentes maisons d’accueil au Foyer Le Petit Prince. Merci pour les efforts que vous avez faits pour être ici aujourd’hui.

Nous venons de célébrer la Nativité. Nous avons eu le cœur ému par la représentation de l’Enfant Jésus. C’est lui notre trésor, et vous, les enfants, vous êtes son reflet, et vous êtes aussi notre trésor, le trésor de nous tous, le trésor le plus précieux que nous devons protéger. Pardonnez les fois où, nous les plus grands, nous ne le faisons pas, ou bien nous ne vous donnons pas l’importance que vous méritez. Vos regards, vos vies exigent toujours un plus grand engagement et du travail de notre part pour que nous ne devenions pas aveugles ou indifférents face à tant d’autres enfants qui souffrent et sont dans le besoin. Vous êtes, sans l’ombre d’un doute, le trésor le plus précieux que nous devions protéger.

Chers enfants du Foyer Le Petit Prince, et vous les jeunes des autres maisons d’accueil, je sais que certains d’entre vous sont parfois tristes la nuit. Je sais que vous manquent le papa ou la maman qui ne sont pas là, et je sais aussi qu’il y a des blessures qui vous font beaucoup souffrir. Dirsey, tu as été courageux et tu nous as fait part de cela. Et tu me disais: ‘‘Que mon message soit un message d’espérance’’. Mais laisse-moi te dire quelque chose : ta vie, tes paroles, et celle de vous tous sont une lumière d’espérance. Je voudrais vous remercier pour votre témoignage. Merci d’être lumière d’espérance pour nous tous.

Je suis heureux de voir que vous avez un foyer où vous êtes accueillis, où, avec tendresse et amitié, on vous aide à découvrir que Dieu vous tend les mains et qu’il sème des rêves vos cœurs. Quel beau témoignage que le vôtre, vous les jeunes qui êtes passés par ce chemin, qui avez rempli hier votre cœur d’amour dans cette maison, et qui aujourd’hui avez pu construire votre avenir ! Vous êtes pour nous tous le signe des immenses potentialités que possède chaque personne. Pour ces enfants, vous êtes le meilleur exemple à suivre, l’espérance qu’eux aussi pourront le faire. Nous avons tous besoin de modèles à suivre, les enfants ont besoin de regarder en avant et de trouver des modèles positifs : ‘‘je veux être comme lui ou comme elle’’, sentent-ils et disent-ils. Tout ce que vous les jeunes pouvez faire, comme venir jouer avec eux, passer du temps avec eux, est important. Soyez pour eux comme disait le Petit Prince: les petites étoiles qui éclairent dans la nuit (cf. Antoine de Saint-Exupéry, XXIV; XXVI).

Certains d’entre vous, jeunes qui nous accompagnez, viennent des communautés indigènes. Avec tristesse vous voyez la destruction des forêts. Vos grands-parents vous ont enseigné à les découvrir ; ils y trouvaient leur nourriture et les médicaments qui les soignaient. Elles sont aujourd’hui dévastées par le vertige d’un progrès mal compris. Les rivières qui vous ont vus jouer et qui vous ont offert de la nourriture sont aujourd’hui boueuses, polluées, mortes. Jeunes, ne vous résignez pas face à ce qui est en train de se passer. Ne renoncez pas à l’héritage de vos grands- parents, à votre vie ni à vos rêves. J’aimerais vous encourager à étudier, à vous préparer, à saisir l’occasion que vous avez de vous former. Le monde a besoin de vous, jeunes des peuples autochtones, et il a besoin de vous comme vous êtes. Ne vous contentez pas d’être le wagon de queue de la société, accrochés et vous laissant porter ! Nous avons besoin de vous comme moteur, qui impulse. Ecoutez vos grands-parents, valorisez vos traditions, ne refreinez pas votre curiosité. Cherchez vos racines et, en même temps, ouvrez les yeux à ce qui est nouveau, oui… et faites votre propre synthèse. Rendez au monde ce que vous apprenez, car le monde a besoin de vous dans votre originalité, tels que vous êtes en réalité, non comme des imitations. Nous avons besoin de vous dans votre authenticité, en tant que jeunes fiers d’appartenir aux peuples amazoniens et qui apportent à l’humanité une alternative de vie vraie. Chers amis, souvent nos sociétés ont besoin de corriger le cap et vous, les jeunes autochtones – j’en suis sûr – vous pouvez énormément aider dans ce défi, surtout en nous apprenant un style de vie basé sur la sauvegarde et non sur la destruction de tout ce qui s’oppose à notre cupidité.

Je voudrais remercier le Père Xavier, les religieux et religieuses, les missionnaires laïques qui font un travail magnifique et tous les bienfaiteurs qui forment cette famille ; les volontaires qui offrent leur temps gratuitement, qui est un baume rafraichissant sur les blessures. Je voudrais remercier aussi ceux qui confirment ces jeunes dans leur identité amazonienne et les aident à forger un avenir meilleur pour leurs communautés et pour toute la planète.

Chers enfants, demandons à Dieu de nous donner sa bénédiction. Que le Seigneur vous bénisse et vous garde, qu’il fasse resplendir sur vous son visage, que le Seigneur tourne vers vous son visage et vous accorde tous ses bienfaits, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. (Cf. Nb 6, 24-26 ; Ps 66, Bénédiction du Temps ordinaire)

Je vous demande une faveur : priez pour moi et merci d’être les petites étoiles qui éclairent dans la nuit.

Discours du pape François aux peuples de l’Amazonie

Dans la matinée du vendredi 19 janvier, le Saint Père a rencontré plus de 4000 représentants des peuples de l’Amazonie péruviennes au stade « Madre de Dios » à Puerto Maldonado. Vous trouverez, ci-dessous, le texte complet du discours qu’il leur a adressé, traduit par ZENIT l’agence d’information internationale.

Chers frères et sœurs,

Le cantique de saint François: ‘‘Loué sois-tu, mon Seigneur’’ jaillit en moi, comme en vous. Oui, loué sois-tu pour l’opportunité que tu nous donnes à travers cette rencontre! Merci à vous, Monseigneur David Martínez de Aguirre Guinea, Monsieur Héctor, Madame Yésica et Madame María Luzmila pour vos paroles de bienvenue, et pour vos témoignages. En vous, je voudrais remercier et saluer tous les habitants de l’Amazonie.

Je vois que vous provenez des différents peuples autochtones de l’Amazonie : Harakbut, Esse-ejas, Matsiguenkas, Yines, Shipibos, Asháninkas, Yaneshas, Kakintes, Nahuas, Yaminahuas, Juni Kuin, Madijá, Manchineris, Kukamas, Kandozi, Quichuas, Huitotos, Shawis, Achuar, Boras, Awajún, Wampís, entre autres. Je constate également que sont présentes avec nous des populations provenant des Andes, venues dans la région forestière et qui sont devenues amazoniennes. J’ai beaucoup désiré cette rencontre… J’ai tenu à venir ici dans le cadre de cette visite au Pérou. Merci de votre présence et de m’aider à voir de plus près, dans vos visages, le reflet de cette terre. Un visage pluriel, d’une diversité infinie et d’une énorme richesse biologique, culturelle, spirituelle. Nous qui n’habitons pas ces terres, nous avons besoin de votre sagesse et de votre connaissance pour pouvoir pénétrer, sans le détruire, le trésor que renferme cette région. Et les paroles du Seigneur à Moïse résonnent : «Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Ex 3, 5).

Permettez-moi, une fois encore, de dire: Loué sois-tu Seigneur pour cette œuvre merveilleuse de tes peuples amazoniens et pour toute la biodiversité que ces terres renferment. Ce cantique de louange s’interrompt quand nous écoutons et voyons les blessures profondes que portent en eux l’Amazonie et ses peuples. Et j’ai voulu venir vous rendre visite et vous écouter, afin que nous soyons unis dans le cœur de l’Église, afin de partager vos défis et de réaffirmer avec vous une option sincère pour la défense de la vie, pour la défense de la terre et pour la défense des cultures.

Probablement, les peuples autochtones amazoniens n’ont jamais été aussi menacés sur leurs territoires qu’ils le sont présentement. L’Amazonie est une terre disputée sur plusieurs fronts: d’une part, le néo-extractivisme et la forte pression des grands intérêts économiques qui convoitent le pétrole, le gaz, le bois, l’or, les monocultures agro-industrielles. D’autre part, la menace visant ses territoires vient de la perversion de certaines politiques qui promeuvent la ‘‘conservation’’ de la nature sans tenir compte de l’être humain et, concrètement, de vous, frères amazoniens qui y habitez. Nous connaissons des mouvements qui, au nom de la conservation de la forêt, accaparent de grandes superficies de terre et en font un moyen de négociation, créant des situations d’oppression des peuples autochtones pour lesquels, le territoire et les ressources naturelles qui s’y trouvent deviennent ainsi inaccessibles. Cette problématique asphyxie vos populations et provoque la migration des nouvelles générations face au manque d’alternatives locales. Nous devons rompre avec le paradigme historique qui considère l’Amazonie comme une réserve inépuisable des États sans prendre en compte ses populations.

Je crois qu’il est indispensable de faire des efforts pour créer des instances institutionnelles de respect, de reconnaissance et de dialogue avec les peuples natifs, en assumant et en sauvegardant la culture, la langue, les traditions, les droits et la spiritualité qui leur sont propres. Un dialogue interculturel dans lequel ils soient «les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on développe les grands projets qui affectent leurs espaces» (Lett. enc. Laudato si’, n. 146). La reconnaissance et le dialogue seront la meilleure voie pour transformer les relations historiques marquées par l’exclusion et la discrimination.

En contrepartie, il est juste de reconnaître qu’il existe des initiatives porteuses d’espérance qui surgissent de vos bases et organisations et permettent que les peuples autochtones eux-mêmes ainsi que les communautés soient les gardiens des forêts, et que les ressources produites par la sauvegarde de ces forêts reviennent comme bénéfice à leurs familles, pour l’amélioration de leurs conditions de vie, pour la santé et l’éducation de leurs communautés. Ce ‘‘bien-faire’’ se trouve en syntonie avec les pratiques du ‘‘bien-vivre’’ que nous découvrons dans la sagesse de nos peuples. Et permettez-moi de vous dire que vraiment, pour certains, vous êtes considérés comme un obstacle ou une ‘‘gêne’’ ; en vérité, par vos vies, vous constituez un cri pour qu’on prenne conscience du mode de vie qui ne parvient pas à limiter ses propres coûts. Vous êtes la mémoire vivante de la mission que Dieu nous a donnée à nous tous: sauvegarder la Maison commune.

La défense de la terre n’a d’autre finalité que la défense de la vie. Nous savons la souffrance que certains d’entre vous endurent à cause des déversements d’hydrocarbures qui menacent sérieusement la vie de vos familles et contaminent votre milieu naturel.

Parallèlement, il existe une autre atteinte à la vie qui est causée par cette contamination environnementale due à l’exploitation minière illégale. Je me réfère à la traite des personnes : la main-d’œuvre esclave ou l’abus sexuel. La violence à l’encontre des adolescents et des femmes est un cri qui parvient au ciel. «La situation de ceux qui font l’objet de diverses formes de traite des personnes m’a toujours attristé. Je voudrais que nous écoutions le cri de Dieu qui nous demande à tous : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). Où est ton frère esclave ? […] Ne faisons pas semblant de rien. Il y a de nombreuses complicités. La question est pour tout le monde ! » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 211).

Comment ne pas se souvenir de saint Toribio lorsqu’il dénonçait, très peiné, au 3ème Concile de Lima « que non seulement par le passé on a causé tant de tort à ces pauvres et usé à leur encontre de la force avec tant d’excès, mais qu’aujourd’hui encore beaucoup cherchent à faire de même… » (Ses. III, c. 3). Malheureusement, après cinq siècles ces paroles continuent d’être actuelles. Les paroles prophétiques de ces hommes de foi – comme Héctor et Yésica nous l’ont rappelé –, sont le cri de ces personnes souvent étouffées ou auxquelles on ôte la parole. Cette prophétie doit demeurer dans notre Église, qui ne se lassera jamais de crier pour les marginalisés et pour ceux qui souffrent.

De cette préoccupation naît l’option primordiale pour la vie des plus démunis. Je pense aux peuples désignés comme les ‘‘Peuples Indigènes dans l’Isolement Volontaire’’ (PIIV). Nous savons qu’ils sont les plus vulnérables parmi les vulnérables. Les retards du passé les ont obligés à s’isoler, y compris de leurs propres ethnies; ils se sont engagés dans une histoire de captivité dans des régions les plus inaccessibles de la forêt pour pouvoir vivre libres. Continuez à défendre ces frères les plus vulnérables. Leur présence nous rappelle que nous ne pouvons pas disposer des biens communs selon l’avidité de la consommation. Il faut des limites qui nous aident à nous prémunir contre toute volonté de destruction massive de l’habitat qui nous conditionne.

La reconnaissance de ces peuples – qui ne peuvent jamais être considérés comme une minorité, mais comme d’authentiques interlocuteurs – et de tous les peuples autochtones nous rappelle que nous ne sommes pas les propriétaires absolus de la création. Il urge de prendre en compte la contribution essentielle qu’ils apportent à la société tout entière, de ne pas faire de leurs cultures l’idéal d’un état naturel ni non plus une espèce de musée d’un genre de vie d’antan. Leur cosmovision, leur sagesse ont beaucoup à nous enseigner, à nous qui n’appartenons pas à leur culture. Tous les efforts que nous déploierons pour améliorer la vie des peuples amazoniens seront toujours insuffisants[1].

La culture de nos peuples est signe de vie. L’Amazonie, outre qu’elle constitue une réserve de biodiversité, est également une réserve culturelle que nous devons sauvegarder face aux nouveaux colonialismes. La famille est et a toujours été l’institution sociale qui a contribué le plus à maintenir vivantes nos cultures. Aux moments de crise par le passé, face aux différents impérialismes, la famille des peuples autochtones a été le meilleur rempart de la vie. Un effort spécial nous est demandé pour ne pas nous laisser attraper par les colonialismes idéologiques sous le couvert de progrès qui imprègnent peu à peu en dissipant les identités culturelles et en établissant une pensée uniforme, unique… et fragile. Écoutez les personnes âgées, s’il vous plaît. Elles ont une sagesse qui vous met en contact avec ce qui est transcendant et vous fait découvrir l’essentiel de la vie. N’oublions pas que «la disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale» (Lett. enc. Laudato si’, n. 145). Et la seule manière pour les cultures de ne pas se perdre, c’est d’être dynamiques, toujours en mouvement. Ce que Yésica et Héctor nous ont dit est si important : ‘‘Nous voulons que nos enfants étudient, mais nous  ne voulons pas que l’école efface nos traditions, nos langues ; nous ne voulons pas oublier la sagesse héritée de nos ancêtres’’!

L’éducation nous aide à construire des ponts et à créer une culture de rencontre. L’école et l’éducation des peuples autochtones doivent être une priorité et un devoir pour l’État ; devoir d’intégration et inculturé qui assume, respecte et prend en compte comme un bien de la nation tout entière la sagesse héritée de vos ancêtres, nous faisait remarquer María Luzmila.

Je demande à mes frères évêques, comme on le fait déjà y compris dans les régions les plus reculées de la forêt, de continuer à promouvoir des espaces d’éducation interculturelle et bilingue dans les écoles et dans les instituts pédagogiques ainsi que dans les universités (cf. 5ème Conférence générale de l’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida, 29 juin 2007, n. 530). Je salue les initiatives que l’Église amazonienne péruvienne conduit pour la promotion des peuples autochtones: écoles, résidences d’étudiants, centres de recherche et de promotion tels que le Centre Culturel José Pío Aza, le CAAAP et le CETA, des espaces universitaires interculturels novateurs et importants tels que NOPOKI, destinés expressément à la formation des jeunes issus des différentes ethnies de notre Amazonie.

Je salue également tous ces jeunes des peuples autochtones qui s’emploient à élaborer, de votre propre point de vue, une nouvelle anthropologie et œuvrent pour la relecture de l’histoire de vos peuples à partir de votre perspective. Je salue ceux qui, à travers la peinture, la littérature, l’artisanat, la musique, montrent au monde votre cosmovision et votre richesse naturelle. Beaucoup ont écrit et parlé de vous. Il est bon qu’à présent vous vous définissiez vous-mêmes et nous montriez votre identité. Nous avons besoin de vous écouter.

Que de missionnaires, hommes et femmes, se sont dépensés pour vos peuples et ont défendu vos cultures ! Ils l’ont fait, en s’inspirant de l’Évangile. Le Christ s’est incarné aussi dans une culture, la culture juive, et à partir d’elle, il s’est offert à nous comme nouveauté pour tous les peuples, de façon que chacun, à partir de son identité, se retrouve personnellement en lui. Ne succombez pas aux essais, perceptibles, visant à déraciner la foi catholique de vos peuples (cf. ibid., n. 531). Chaque culture et chaque cosmovision qui reçoivent l’Évangile enrichissent l’Eglise par la perception d’une nouvelle facette du visage du Christ. L’Église n’est pas étrangère à votre problématique et à vos vies, elle ne veut pas être étrangère à votre mode de vie et à votre organisation. Pour nous, il est nécessaire que les peuples autochtones modèlent culturellement les Églises locales amazoniennes. J’étais très heureux que certains extraits de Laudato Si aient été lus dans vos langues… Aidez vos évêques, vos missionnaires, afin qu’ils se fassent l’un d’entre vous, et ainsi en dialoguant ensemble, vous pourrez façonner une Église avec un visage amazonien et une Église avec un visage indigène. C’est dans cet esprit que j’ai convoqué un Synode pour l’Amazonie pour l’année 2019. Et la première réunion pré-synodale sera ici, cet après-midi.

Je fais confiance à la capacité d’adaptation des peuples et à leur capacité de réaction face aux situations difficiles à affronter. Cela, ils l’ont démontré lors des différentes crises dans l’histoire, par leurs apports, par leur vision spécifique des relations humaines, par leur environnement et par le témoignage de la foi.

Je prie pour vous, pour votre pays béni par Dieu, et je vous demande, s’il vous plaît, de ne pas oublier de prier pour moi.

Merci beaucoup!
Tinkunakama (Quechua: Au revoir!).

Discours du pape François à la population de Puerto Maldonado

Le vendredi 19 janvier, le pape François s’est adressé à la population de Puerto Maldonado, dans l’Amazonie péruvienne. Voici le texte complet de son allocution:

Chers frères et sœurs,

Je vois que vous êtes venus non seulement des endroits reculés de cette Amazonie péruvienne, mais aussi des Andes et d’autres pays voisins. Quelle belle image de l’Église qui ne connaît pas de frontières et dans laquelle tous les peuples peuvent trouver place ! Comme nous avons besoin de ces moments où nous pouvons nous retrouver et, au-delà de la provenance, nous encourager à créer une culture de rencontre qui nous renouvelle dans l’espérance.

Merci à Monseigneur David, pour ses paroles de bienvenue. Merci à Arturo et à Margarita de partager avec nous tous leurs expériences. Ils nous disaient: ‘‘Vous nous visitez sur cette terre, si oubliée, blessée et marginalisée… mais nous sommes la terre de personne’’. Merci de le dire: nous ne sommes la terre de personne. Et c’est quelque chose qu’il faut dire avec force: vous n’êtes la terre de personne. Cette terre a des noms, elle a des visages: elle vous a, vous.

Cette région est désignée par ce très beau nom: Mère de Dieu. Je ne peux m’empêcher de me référer à Marie, jeune fille qui vivait dans un village éloigné, perdu, considéré également par beaucoup comme une ‘‘terre qui n’appartenait à personne’’. C’est là qu’elle a reçu la salutation la plus grande dont une personne puisse faire l’expérience: être Mère de Dieu; il y a des joies que seuls les tout-petits peuvent sentir (« Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange, ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits » (Mt 11, 25).

Vous avez en Marie, non seulement un témoin à regarder, mais aussi une Mère et là où il y a une mère, il n’y a pas ce pas ce mal terrible de sentir que nous n’appartenons à personne, ce sentiment qui naît quand commence à disparaître la certitude que nous appartenons à une famille, à un peuple, à une terre, à notre Dieu. Chers frères, la première chose que je voudrais vous dire – et je voudrais le faire avec force -, c’est ceci : cette terre n’est pas orpheline, c’est la terre de la Mère ! Et s’il y a une mère, il y a des enfants, il y a une famille, il y a une communauté. Et là où il y a une mère, une famille et une communauté, les problèmes peuvent ne pas disparaître, mais il est certain qu’on trouve la force de les affronter d’une manière différente.

Il est regrettable de constater comment certains veulent éteindre cette certitude et transformer Mère de Dieu en une terre anonyme, sans enfants, une terre stérile. Une terre facile à vendre et à exploiter. Mais il nous faut répéter dans nos maisons, dans nos communautés, chacun au plus profond de son cœur : cette terre n’est pas orpheline ! Elle a une Mère! Cette bonne nouvelle se transmet de génération en génération grâce à l’effort de nombreuses personnes qui partagent ce cadeau de savoir que nous sommes enfants de Dieu; et cette bonne nouvelle nous aide à reconnaître l’autre comme un frère.

À maintes occasions, je me suis référé à la culture de rejet. Une culture qui ne se contente pas simplement d’exclure, mais qui progresse en faisant taire, en ignorant et en écartant tout ce qui sert pas ses intérêts ; il semblerait que le consumérisme asservissant de certains ne parvient pas à percevoir l’ampleur de la souffrance qui asphyxie d’autres. C’est une culture anonyme, sans liens, sans visages. Une culture sans mère qui ne veut que consommer. La terre est traitée dans cette logique. Les forêts, les fleuves et les ravins sont usés, utilisés jusqu’à la dernière ressource et ensuite abandonnés, inoccupés et inutiles. Les personnes sont aussi traitées dans cette logique : elles sont exploitées jusqu’à l’épuisement et ensuite abandonnées comme ‘‘inutiles’’.

En pensant à ces choses, permettez-moi de m’arrêter sur un thème douloureux. Nous avons coutume d’employer le terme ‘‘traite des personnes’’, mais en réalité nous devrions parler d’esclavage: esclavage du travail, esclavage sexuel, esclavage du profit. Il est regrettable de constater à quel point sur cette terre, qui est sous la protection de la Mère de Dieu, de nombreuses femmes sont dévalorisées, méprisées et exposées à d’innombrables violences. On ne peut pas ‘‘naturaliser’’ la violence à l’encontre des femmes, en entretenant une culture machiste qui ne prend pas en compte le rôle important de la femme dans nos communautés. Il ne nous est pas permis de regarder de l’autre côté et de permettre que tant de femmes, surtout adolescentes, soient ‘‘bafouées’’ dans leur dignité.

De nombreuses personnes ont émigré vers l’Amazonie en cherchant un toit, une terre et un travail. Elles y sont venues, en quête d’un avenir meilleur pour elles-mêmes et pour leurs familles. Elles ont abandonné leurs vies humbles, pauvres mais dignes. Beaucoup d’entre elles, avec la promesse que certains travaux mettraient fin à leurs situations précaires, se sont laissées attirer par l’éclat prometteur de l’exploitation de l’or. Mais l’or peut devenir un faux dieu qui exige des sacrifices humains.

Les faux dieux, les idoles de l’avarice, de l’argent, du pouvoir corrompent tout. Ils corrompent la personne et les institutions; ils détruisent les forêts également. Jésus disait qu’il y a des démons qui, pour être expulsés, exigent beaucoup de prière. En voilà un! Je vous encourage à continuer de vous organiser en mouvements et en communautés de tout genre pour aider à surmonter ces situations; et également pour que, dans une optique de foi, vous vous organisiez comme des communautés ecclésiales de vie autour de la personne de Jésus. Avec la prière sincère et la rencontre avec le Christ fondée sur l’espérance, nous pourrons parvenir à la conversion qui nous fasse découvrir la vraie vie. Jésus nous a promis la vraie vie, la vie authentique, éternelle. Pas une vie fictive, comme les fausses promesses éblouissantes qui, promettant la vie, nous conduisent à la mort.

Le salut n’est pas générique, ni abstrait. Notre Père regarde les personnes concrètes, avec leurs visages et leurs histoires. Toutes les communautés chrétiennes doivent être le reflet de ce regard, de cette présence qui crée des liens, qui crée une famille et une communauté. Des communautés, où chacun se sent partie prenante, se sent appelé par son nom et encouragé à être artisan d’une vie pour les autres, sont une manière de rendre visible le Royaume des cieux.

Je fonde mon espoir sur vous, sur le cœur de tant de personnes qui désirent une vie bénie. Elles sont venues la chercher ici, auprès de l’un des déploiements de vie les plus exubérants de la planète. Aimez cette terre, en la sentant vôtre. Flairez-la, écoutez-la, émerveillez-vous-en! Tombez amoureux de cette terre Mère de Dieu, engagez-vous et sauvegardez-là! Ne l’utilisez pas comme un simple objet jetable, mais comme un vrai trésor dont il faut jouir, à faire prospérer et à transmettre à vos enfants.

Nous nous recommandons à Marie, Mère de Dieu et notre Mère; nous nous mettons sous sa protection. Et s’il vous plaît, ne cessez pas de prier pour moi.

Je vous salue, Marie…

Allocution du pape François lors de la rencontre avec les prêtres, religieux, religieuses et séminaristes

Vous trouverez ci-dessous le texte officiel de l’allocution du pape François lors de la rencontre avec les prêtres, religieux, religieuses et séminariste telle que prononcée en la cathédrale de Santiago au Chili:

Chers frères et sœurs,

Je me réjouis de pouvoir partager cette rencontre avec vous. J’ai apprécié la façon dont le Cardinal Ezzati progressait en vous présentant: ici il y a… les consacrées, les consacrés, les prêtres, les diacres permanents, les séminaristes. Me vient à la mémoire le jour de notre ordination ou de notre consécration quand, après la présentation, nous disions : « Me voici Seigneur pour faire ta volonté ». Au cours de cette rencontre, nous voulons dire au Seigneur : « nous voici » pour renouveler notre oui. Nous voulons renouveler ensemble la réponse à l’appel qui un jour a secoué notre cœur.

Et pour ce faire, je crois que cela peut nous aider de partir du passage de l’Évangile que nous avons écouté et de partager trois moments connus par Pierre et par la première communauté: Pierre/la communauté abattue, Pierre/la communauté bénéficiaire de miséricorde et Pierre / la communauté transfigurée. Je fais jouer ce binôme Pierre-communauté parce que l’expérience des apôtres relève toujours de ce double aspect, l’un personnel et l’autre communautaire. Ils vont de pair et nous ne pouvons pas les séparer. Nous sommes certes appelés personnellement, mais toujours à faire partie d’un groupe plus grand. Le selfie vocationnel n’existe pas. La vocation exige que la photo te soit prise par un autre ; on n’y peut rien !

1. Pierre abattu
J’apprécie toujours le style des Évangiles qui ne décore pas ni n’embellit pas les évènements, et ne les dépeint pas plus beaux. Il nous présente la vie comme elle vient et non comme il faudrait qu’elle soit. L’Évangile ne craint pas de nous présenter les moments difficiles, et même conflictuels que les disciples ont traversés.

Recomposons la scène. Ils avaient tué Jésus ; certaines femmes disaient qu’il était vivant (Lc 24, 22-24). Même si elles ont vu Jésus Ressuscité, l’évènement est si fort que les disciples auront besoin de temps pour comprendre ce qui s’est passé. Compréhension qui leur viendra à la Pentecôte, avec l’envoi de l’Esprit Saint. L’apparition du Ressuscité prendra du temps pour trouver une place dans le cœur des siens.

Les disciples retournent à leurs lieux d’origine. Ils vont faire ce qu’ils savent faire : pêcher. Non pas tous, seuls quelques-uns. Divisés ? Dispersés ? Nous ne le savons pas. Ce que nous disent les Écritures, c’est qu’ils n’ont rien pêché. Les filets sont vides.

Cependant il y avait un autre vide qui pesait inconsciemment sur eux : le désarroi et le trouble à cause de la mort de leur Maître. Il n’est plus, il a été crucifié. Cependant ce n’était pas seulement lui qui a été crucifié, mais eux aussi, parce que la mort de Jésus a mis en évidence un tourbillon de conflits dans le cœur de ses amis. Pierre l’a renié, Judas l’a trahi, les autres ont fui et se sont cachés. Seule une poignée de femmes et le disciple bien-aimé sont restés. Les autres s’en sont allés. En l’espace de quelques jours, tout s’est effondré. Ce sont les heures de désarroi et de trouble dans la vie du disciple. Dans les moments « où la poussière des persécutions, des épreuves, des doutes, etc. est soulevée par les évènements culturels et historiques, il n’est pas facile trouver le chemin à suivre. Il existe diverses tentations propres à ces moment-là : agiter des idées, ne pas prêter l’attention adéquate au problème, faire trop de cas des persécuteurs… Et il me semble que la pire de toutes les tentations, c’est de rester là à ruminer le chagrin » (Jorge M. BERGOGLIO, Las cartas de la tribulación, 9, Ed. Diego de Torres, Buenos Aires 1987.). Oui, rester là à ruminer le chagrin.

Comme nous le disait le Cardinal Ezzati, « la vie sacerdotale et la vie consacrée au Chili ont traversé et traversent des heures difficiles de turbulences et des difficultés non négligeables. Parallèlement à la fidélité de l’immense majorité, l’ivraie du mal s’est développée avec son cortège de scandale et d’abandon ».

Moment de turbulences. Je connais la douleur qu’ont signifiée les cas d’abus commis sur des mineurs et je suis de près ce que l’on fait pour surmonter ce grave et douloureux mal. Douleur pour le mal et la souffrance des victimes et de leurs familles, qui ont vu trahie la confiance qu’elles avaient placée dans les ministres de l’Église. Douleur pour la souffrance des communautés ecclésiales, et douleur pour vous, frères, qui, en plus de l’épuisement dû à votre dévouement, avez vécu la souffrance qu’engendrent la suspicion et la remise en cause, ayant pu provoquer chez quelques-uns ou plusieurs le doute, la peur et le manque de confiance. Je sais que parfois vous avez essuyé des insultes dans le métro ou en marchant dans la rue, qu’être « habillé en prêtre » dans beaucoup d’endroits se « paie cher ». C’est pourquoi je vous invite à ce que nous demandions à Dieu de nous donner la lucidité d’appeler la réalité par son nom, le courage de demander pardon et la capacité d’apprendre à écouter ce que le Seigneur est en train de nous dire.

J’aimerais ajouter en outre un autre aspect important. Nos sociétés sont en train de changer. Le Chili d’aujourd’hui est bien différent de celui que j’ai connu dans ma jeunesse, quand je me formais. Sont en train de naître de nouvelles et différentes formes culturelles qui ne cadrent pas avec les repères connus. Et il faut reconnaître que, souvent, nous ne savons pas comment nous insérer dans ces nouvelles circonstances. Souvent, nous rêvons des « oignons d’Égypte » et nous oublions que la terre promise est devant. Que la promesse date d’hier mais est faite pour l’avenir. Et nous pouvons céder à la tentation de nous enfermer et de nous isoler pour défendre nos approches qui finissent par devenir rien de plus que de bons monologues. Nous pouvons être tentés de penser que tout va mal, et au lieu d’annoncer une « bonne nouvelle », la seule chose que nous annonçons, c’est l’apathie et la désillusion. Ainsi nous fermons les yeux face aux défis pastoraux en croyant que l’Esprit n’aurait rien à dire. Ainsi nous oublions que l’Évangile est un chemin de conversion, non seulement pour « les autres », mais pour nous aussi.

Que cela nous plaise ou pas, nous sommes invités à affronter la réalité telle qu’elle se présente à nous. La réalité personnelle, communautaire et sociale. Les filets –affirment les disciples- sont vides, et nous pouvons comprendre les sentiments que cela génère. Ils reviennent à la maison sans grandes aventures à raconter ; ils reviennent à la maison les mains vides ; ils reviennent à la maison, abattus.

Que reste-t-il de ces disciples forts, enthousiastes, qui se donnaient des airs, qui se sentaient choisis et qui avaient tout quitté pour suivre Jésus ? (cf. Mc 1, 16-20) ; que reste-t-il de ces disciples sûrs d’eux-mêmes prêts à aller en prison et qui iraient jusqu’à donner leur vie pour leur Maître (cf. Lc 22, 33), et qui pour le défendre voulaient faire descendre du feu sur la terre (cf. Lc 9, 54) ; pour lequel ils dégaineraient l’épée et combattraient ? (cf. Lc 22, 49-51), que reste-t-il du Pierre qui apostrophait son Maître sur la manière dont celui-ci devrait gérer sa vie ? (cf. Mc 8, 31-33).

2. Pierre bénéficiaire de miséricorde
C’est l’heure de vérité dans la vie de la première communauté. C’est l’heure où Pierre a été

confronté à une partie de lui-même. À la partie de sa vérité que tant de fois il n’a pas voulu voir. Il a fait l’expérience de ses limites, de sa fragilité, de son être de pécheur. Pierre, l’homme de tempérament, le chef impulsif et sauveur, avec une bonne dose d’autosuffisance et un excès de confiance en lui-même ainsi qu’en ses capacités, a dû accepter sa faiblesse et son péché. Il était aussi pécheur que les autres, il était aussi démuni que les autres, il était aussi fragile que les autres. Pierre a déçu celui qu’il avait promis de protéger. Heure cruciale dans la vie de Pierre.

Comme disciples, comme Église, la même chose peut nous arriver : il existe des moments où nous ne nous retrouvons pas devant nos exploits, mais devant notre faiblesse. Heures cruciales dans la vie des disciples, pourtant c’est en ces heures que naît l’apôtre. Laissons-nous guider par le texte. «Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment plus que ceux-ci ?”» (Jn 21, 15).

Après le repas, Jésus invite Pierre à faire un tour et l’unique parole est une interrogation, une interrogation d’amour: M’aimes-tu? Jésus ne s’oriente pas vers la réprimande ni vers la condamnation. La seule chose qu’il veut faire, c’est de sauver Pierre. Il veut le sauver du danger de rester enfermé dans son péché, de rester là à ‘‘ruminer’’ le chagrin, fruit de ses limites ; du risque de laisser s’effondrer, à cause de ses limites, tout ce qu’il avait vécu de bien avec Jésus. Jésus veut le sauver de l’enfermement et de l’isolement. Il veut le sauver de cette attitude destructrice qui consiste à se faire passer pour une victime, ou au contraire, à tomber dans un « toujours le même » et qui, au bout du compte, finit par édulcorer n’importe quel engagement avec le relativisme le plus nocif. Il veut le libérer du fait de considérer celui qui s’oppose à lui comme un ennemi, ou de ne pas accepter avec sérénité les contradictions ou les critiques. Il veut le libérer de la tristesse et spécialement de la mauvaise humeur. Avec cette question, Jésus invite Pierre à écouter son cœur et à apprendre à discerner. Car « ce n’est pas le propre de Dieu de défendre la vérité au détriment de la charité, ni la charité aux dépens de la vérité, ou l’équilibre au détriment des deux. Jésus veut éviter que Pierre ne devienne un vrai destructeur, ou un menteur charitable ou une personne perplexe paralysée» (cf. Ibid.), comme cela peut nous arriver dans ces situations.

Jésus a interrogé Pierre sur son amour et il a insisté auprès de lui jusqu’à ce qu’il puisse lui donner une réponse réaliste : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime » (Jn 21, 17). C’est ainsi que Jésus l’a confirmé dans sa mission. C’est ainsi qu’il devient définitivement son apôtre.

Qu’est-ce qui consolide Pierre comme apôtre ? Qu’est-ce qui nous maintient apôtres? Une seule chose: «nous avons été traités avec miséricorde » (1 Tm 1, 12-16). « Au cœur de nos péchés, de nos limites, de nos misères ; au milieu de nos nombreuses chutes, Jésus Christ nous a vus, il s’est approché, il nous a donné sa main et nous a traités avec miséricorde. Chacun d’entre nous pourrait en faire mémoire, en repensant à toutes les fois où le Seigneur l’a vu, l’a regardé, s’est approché et l’a traité avec miséricorde » (Message Vidéo au CELAM à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde sur le Continent américain, 27 août 2016). Nous ne sommes pas ici parce que nous serions meilleurs que les autres. Nous ne sommes pas des superhéros qui, de leur hauteur, descendent pour rencontrer des « mortels ». Mais plutôt, nous sommes envoyés avec la conscience d’être des hommes et des femmes pardonnés. Et c’est la source de notre joie. Nous sommes consacrés, pasteurs à la manière de Jésus blessé, mort et ressuscité. Le consacré est celui qui trouve dans ses blessures les signes de la Résurrection. Il est celui qui peut voir dans les blessures du monde la force de la Résurrection. Il est celui qui, à la manière de Jésus, ne va pas à la rencontre de ses frères avec le reproche et la condamnation.

Jésus Christ ne se présente pas aux siens sans ses blessures ; précisément c’est grâce à ses blessures que Thomas peut confesser sa foi. Une Église avec des blessures est capable de comprendre les blessures du monde d’aujourd’hui, et de les faire siennes, de les porter en elle- même, d’y prêter attention et de chercher à les guérir. Une Église avec des blessures ne se met pas au centre, ne se croit pas parfaite, mais elle place au centre le seul qui peut guérir les blessures et qui a pour nom: Jésus Christ.

La conscience d’être nous-mêmes blessés nous libère; oui, elle nous libère du risque de devenir autoréférentiels, de nous croire supérieurs. Elle nous libère de cette tendance « prométhéenne de ceux qui, en définitive, font confiance uniquement à leurs propres forces et se sentent supérieurs aux autres parce qu’ils observent des normes déterminées ou parce qu’ils sont inébranlablement fidèles à un style catholique justement propre au passé » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.94).

En Jésus, nos blessures sont ressuscitées. Elles nous rendent solidaires; elles nous aident à détruire les murs qui nous enferment dans une attitude élitiste pour nous encourager à construire des ponts et aller à la rencontre de tant de personnes assoiffées du même amour miséricordieux que seul Christ peut nous offrir. Que de fois « rêvons-nous de plans apostoliques, expansionnistes, méticuleux et bien dessinés, typiques des généraux défaits ! Ainsi nous renions notre histoire d’Église, qui est glorieuse en tant qu’elle est histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie dépensée dans le service, de constance dans le travail pénible, parce que tout travail est accompli à la sueur de notre front » (Ibid., n.96). Je vois avec une certaine préoccupation qu’il existe des communautés qui vivent, mues plus par le découragement de ne plus être à l’affiche, par le souci d’occuper les espaces, de paraître et de se montrer, que par celui de se retrousser les manches et de sortir afin de toucher la réalité difficile de notre peuple fidèle.

Qu’elle est lourde d’interrogation, la réflexion de ce saint chilien qui faisait remarquer : «Elles seront, en effet, fausses méthodes toutes celles qui seraient imposées en raison de l’uniformité ; toutes celles qui prétendent nous conduire à Dieu en nous faisant perdre de vue nos frères ; toutes celles qui nous font fermer les yeux sur l’univers, au lieu de nous apprendre à les ouvrir pour tout élever vers le Créateur de tout être ; toutes celles qui rendent égoïstes et nous conduisent à nous replier sur nous-mêmes » (SAN ALBERTO HURTADO, Discurso a jóvenes de la Acción Católica,1943).

Le peuple de Dieu n’attend pas de nous ni nous demande que nous soyons des superhéros, il veut des pasteurs, des consacrés, qui aient de la compassion, qui sachent tendre la main, qui sachent s’arrêter devant la personne à terre et, comme Jésus, qui aident à sortir de cette obsession de « ruminer » le chagrin qui empoisonne l’âme.

3. Pierre transfiguré
Jésus invite Pierre à discerner et, ainsi, commencent à prendre force de nombreux évènements de la vie de Pierre, comme le geste prophétique du lavement des pieds. Pierre, lui qui a résisté avant de se laisser laver les pieds, commence à comprendre que la véritable grandeur passe par le fait de se faire petit et serviteur (« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous » [Mc. 9,35]).

Quelle pédagogie de la part de notre Seigneur ! Du geste prophétique de Jésus à l’Église prophétique qui, lavée de son péché, n’a pas peur de sortir pour servir une humanité blessée.

Pierre a connu dans sa chair la blessure non seulement du péché, mais aussi de ses propres limites et faiblesses. Pourtant il a découvert en Jésus que ses blessures peuvent être un chemin de Résurrection. Connaître Pierre abattu pour connaître Pierre transfiguré est l’invitation à passer d’une Église de personnes abattues en proie au chagrin à une Église servante des nombreuses personnes abattues qui se trouvent à nos côtés. Une Église capable de se mettre au service de son Seigneur en celui qui a faim, en celui qui est prisonnier, en celui qui a soif, en celui qui est expulsé, en celui qui est nu, en celui qui est malade… (Mt 25, 35). Un service qui ne s’identifie pas à de l’assistanat ou à du paternalisme, mais à une conversion du cœur. Le problème n’est pas seulement de donner à manger au pauvre, de vêtir celui qui est nu, d’être aux côtés de celui qui est malade, mais de considérer que le pauvre, la personne nue, le malade, le prisonnier, la personne expulsée sont dignes de s’asseoir à nos tables, de se sentir « à la maison » parmi nous, de se sentir en famille. C’est le signe que le Royaume des Cieux est parmi nous. C’est le signe d’une Église qui a été blessée par son péché, a obtenu miséricorde da la part de son Seigneur, et qui est devenue prophétique par vocation.

Redevenir prophétique, c’est renouveler notre engagement à ne pas vouloir un monde idéal, une communauté idéale, un disciple idéal pour vivre ou pour évangéliser, mais c’est créer les conditions afin que chaque personne abattue puisse rencontrer Jésus. On n’aime pas les situations ni les communautés idéales, on aime les personnes.

La reconnaissance sincère, douloureuse et priante de nos limites, loin de nous éloigner de notre Seigneur, nous permet de revenir vers Jésus en sachant qu’il « peut toujours, avec sa nouveauté, renouveler notre vie et notre communauté, et même si la proposition chrétienne traverse des époques d’obscurité et de faiblesses ecclésiales, elle ne vieillit jamais… Chaque fois que nous cherchons à revenir à la source pour récupérer la fraîcheur originale de l’Évangile, surgissent des voies nouvelles, des méthodes créatives, d’autres formes d’expression, des signes plus éloquents, des paroles chargées de sens renouvelé pour le monde d’aujourd’hui » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n.11). Que cela nous fait du bien à nous tous de laisser Jésus renouveler nos cœurs!

Quand je commençais cette rencontre, je vous disais que nous venions pour renouveler notre oui, avec enthousiasme, avec passion. Nous voulons renouveler notre oui, mais un oui réaliste, parce qu’il est soutenu par le regard de Jésus. Je vous invite à faire dans votre cœur, quand vous serez rentrés chez vous, une espèce de testament spirituel, à la manière du Cardinal Raul Silva Henriquez. Cette belle prière qui commence en disant:

«L’Église que j’aime est la Sainte Église de chaque jour… la tienne, la mienne, la Sainte Église de chaque jour…

Jésus Christ, l’Évangile, le pain, l’Eucharistie, le Corps du Christ humble chaque jour. Avec des visages de pauvres et des visages d’hommes et de femmes qui chantaient, qui luttaient, qui souffraient. La Sainte Église de chaque jour».

Comment est l’Église que tu aimes? Aimes-tu cette Église blessée qui trouve la vie dans les plaies de Jésus?

Merci pour cette rencontre. Merci pour l’opportunité de renouveler avec vous le «Oui». Que Notre-Dame du Carmel vous couvre de son manteau. S’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. [00055-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Allocution du pape François lors de sa visite au centre de détention pour femmes de Santiago, Chili

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François lors de la visite au Centre de détention pour femmes de Santiago, Chili:

Chers sœurs et frères,
Merci pour l’occasion que vous m’offrez de pouvoir vous rendre visite; il est important pour moi de partager ce temps avec vous et de pouvoir être plus proche de beaucoup de nos frères qui aujourd’hui sont privés de liberté. Merci, Sœur Nelly, de vos paroles et surtout de témoigner que la vie triomphe toujours de la mort. Merci Janeth de vouloir partager, avec nous tous, tes douleurs et cette courageuse demande de pardon. Que de choses devons-nous apprendre de ton attitude de courage et d’humilité ! Je te cite : « Nous demandons pardon à tous ceux que nous avons blessés par nos délits ». Merci de nous rappeler cette attitude sans laquelle nous nous déshumanisons, nous perdons conscience du fait que nous nous trompons et que chaque jour nous sommes invités à prendre un nouveau départ.

À l’instant même me vient aussi à l’esprit la phrase de Jésus: «Celui […] qui est sans péché, qu’il soit le premier à jeter une pierre » (Jn 8, 7). Il nous invite à abandonner la logique simpliste de diviser la réalité entre bons et mauvais, pour entrer dans cette autre dynamique à même d’assumer la fragilité, les limites et y compris le péché, pour nous aider à aller de l’avant.

Quand j’entrais, deux mères m’attendaient avec leurs enfants et des fleurs. Ce sont elles qui m’ont souhaité la bienvenue, qu’on peut bien exprimer en trois mots : mères, enfants et fleurs.

Mère: beaucoup d’entre vous sont des mères et savent ce que signifie donner la vie. Vous avez su ‘‘porter’’ dans votre sein une vie et engendrer. La maternité n’est jamais ni ne sera jamais un problème, c’est un don, l’un des présents les plus merveilleux que vous puissiez faire. Aujourd’hui, vous vous trouvez devant un défi très semblable: il s’agit aussi de donner la vie. Aujourd’hui, on vous demande d’engendrer l’avenir. De le faire grandir, de l’aider à se développer. Non seulement pour vous, mais aussi pour vos enfants et pour la société tout entière. Vous, les femmes, vous avez une capacité incroyable de pouvoir vous adapter aux situations et d’aller de l’avant. Je voudrais en ce jour faire appel à cette capacité de faire naître l’avenir qui vit en chacune d’entre vous. Cette capacité qui vous permet de lutter contre les nombreux déterminismes ‘‘chosifiants’’ qui finissent par tuer l’espérance.

Être privé de liberté, comme tu le disais si bien Janet, n’est pas synonyme de perdre les rêves et l’espérance. Être privé de liberté, ce n’est pas la même chose que d’être privé de dignité. D’où la nécessité de lutter contre tout type de carcan, d’étiquette selon lesquels on ne peut pas changer, ou que cela ne vaut pas la peine, ou que tout revient au même. Chères sœurs, non! Tout ne revient pas au même. Chaque effort qui se fait pour lutter en vue d’un lendemain meilleur – même si bien des fois il semble tomber dans un sac troué – portera toujours des fruits et sera récompensé.

Le deuxième mot, c’est enfants: ils sont force, ils sont espérance, ils sont encouragement. Ils sont le souvenir vivant du fait que la vie se construit vers l’avenir et non vers le passé. Aujourd’hui tu es privée de liberté, mais cela ne signifie pas que cette situation marque la fin. D’aucune manière! Il faut toujours regarder l’horizon, vers l’avenir, vers la réinsertion dans la vie courante de la société. C’est pourquoi, je loue et invite à intensifier tous les efforts possibles pour que les projets comme l’Espace Mandela et la Fondation Femme, lève-toi puissent gagner en importance et se renforcer.

Le nom de la Fondation semble me rappeler cette scène de l’Évangile où beaucoup se moquaient de Jésus parce qu’il a dit que la fille du chef de la synagogue n’était pas morte, mais qu’elle dormait. Face aux moqueries, l’attitude de Jésus est pragmatique: en entrant là où elle était, il la prit par la main et lui dit: «Jeune fille, je te le dis, lève-toi» (Mc 5, 21). Ce genre d’initiatives constitue un signe vivant de ce Jésus qui entre dans la vie de chacun d’entre nous, qui va au-delà de toute moquerie, qui ne considère aucune bataille comme perdue, au point de nous prendre par la main et de nous inviter à nous lever. Qu’il est bon qu’il y ait des chrétiens et des personnes de bonne volonté qui suivent les traces de Jésus et qui sont déterminés à entrer et à être signe cette main tendue qui relève!

Nous savons tous que souvent, malheureusement, la peine de prison se réduit surtout à une punition, sans offrir des moyens adéquats afin de créer des processus. Et c’est mauvais. En revanche, ces espaces qui promeuvent des programmes de formation au travail et un accompagnement pour recoudre les liens sont un signe d’espérance et d’avenir. Aidons à ce qu’ils grandissent. Il ne faut pas réduire la sécurité publique à des mesures de contrôle accentué, mais et surtout, il faut l’édifier sur des mesures de prévention, sur le travail, sur l’éducation et en faisant grandir la communauté.

Et enfin, fleurs: je crois que c’est ainsi que la vie fleurit, que la vie parvient à nous offrir sa plus grande beauté ; quand nous arrivons à travailler de concert les uns avec les autres de sorte que la vie gagne, qu’elle dispose toujours davantage de possibilités. Avec ce sentiment, je voudrais bénir et saluer tous les agents pastoraux, volontaires, professionnels et, de manière spéciale, les fonctionnaires de la Gendarmerie ainsi que leurs familles. Je prie pour vous. Vous avez une tâche délicate et complexe, et pour cela j’invite les Autorités à ce qu’ils puissent vous offrir également les conditions nécessaires pour accomplir votre travail dans la dignité. Dignité qui engendre dignité.

À Marie, qui est Mère et dont nous sommes les enfants, dont vous êtes les filles, nous demandons d’intercéder pour vous, pour chacun de ses enfants, pour les personnes que vous portez dans vos cœurs, et de vous couvrir de son manteau. Et s’il vous plaît, je vous demande de ne pas oublier de prier pour moi.

Et ces fleurs que vous m’avez offertes, je les porterai à la Vierge au nom de vous toutes. De nouveau, merci!

[00054-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Homélie du pape François lors de la Messe au Parc O’Higgins de Santiago, Chili

Vous trouverez ci-dessous le texte officiel de l’homélie du pape François lors de la Messe célébrée au Parc O’Higgins de Santiago au Chili:

«Voyant les foules» (Mt 5, 1). En ces premières paroles de l’Évangile, nous trouvons dans quelle attitude Jésus veut venir à notre rencontre, cette même attitude par laquelle Dieu a toujours surpris son peuple (cf. Ex 3, 7). La première attitude de Jésus est de voir, c’est de regarder le visage des siens. Ces visages suscitent l’amour viscéral de Dieu. Ce ne sont pas des idées ou des concepts qui font agir Jésus… ce sont les visages, ce sont les personnes; c’est la vie qui crie vers la Vie que le Père veut nous transmettre.

En voyant les foules, Jésus regarde le visage des personnes qui le suivaient et le plus beau, c’est de constater qu’en retour ils trouvent dans le regard de Jésus l’écho de leurs quêtes et aspirations. De cette rencontre naît la liste des béatitudes qui sont l’horizon vers lequel nous sommes invités et les défis à affronter. Les béatitudes ne naissent pas d’une attitude passive face à la réalité, ni ne peuvent non plus trouver leur origine dans un spectateur devenant un triste auteur de statistiques de ce qui se passe. Elles ne proviennent pas de prophètes de malheur qui se contentent de semer de la désillusion. Ni non plus de mirages qui nous promettent le bonheur avec un ‘‘clic’’, le temps d’ouvrir et de fermer les yeux. Par contre, les béatitudes naissent du cœur compatissant de Jésus qui rencontre le cœur d’hommes et de femmes qui veulent et désirent une vie bénie; d’hommes et de femmes qui savent ce qu’est la souffrance ; qui connaissent le désarroi et la douleur qu’on éprouve quand ‘‘tout s’affaisse sous vos pieds’’ ou que ‘‘les rêves sont noyés’’ et que le travail de toute une vie s’écroule ; mais qui sont davantage tenaces et davantage combatifs pour aller de l’avant; qui sont davantage capables de reconstruire et de recommencer.

Que le cœur chilien est capable de reconstruire et de recommencer! que vous êtes capables de vous lever après de nombreuses chutes! C’est à ce cœur que Jésus fait appel ; c’est à ce cœur que sont destinées les béatitudes.

Les béatitudes ne naissent pas d’attitudes critiques ni de ‘‘bavardages à bon marché’’ de ceux qui croient tout savoir mais ne veulent s’engager ni à rien ni avec personne, et finissent ainsi par bloquer toute possibilité de créer des processus de transformation et de reconstruction dans nos communautés, dans nos vies. Les béatitudes naissent du cœur miséricordieux qui ne se lasse pas d’espérer. Et il fait l’expérience que l’espérance «est le jour nouveau, l’extirpation d’une immobilité, la remise en cause d’une prostration négative » (PABLO NERUDA, El habitante y su esperanza, p. 5).

En disant heureux le pauvre, celui qui pleure, la personne affligée, le malade, celui qui a pardonné…, Jésus vient extirper l’immobilité paralysante de celui qui croit que les choses ne peuvent pas changer, de celui qui a cessé de croire au pouvoir régénérateur de Dieu le Père et en ses frères, spécialement en ses frères les plus fragiles, en ses frères rejetés. Jésus, en proclamant les béatitudes, vient remettre en cause cette prostration négative appelée résignation qui nous fait croire que nous pouvons vivre mieux si nous esquivons les problèmes ou nous enfermons dans nos conforts, si nous nous endormons dans un conformisme tranquillisant (Cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 2). Cette résignation qui nous conduit à nous isoler de tout le monde, à nous diviser, à nous séparer ; à devenir aveugles face à la vie et à la souffrance des autres.

Les béatitudes sont ce jour nouveau pour tous ceux qui continuent de miser sur l’avenir, qui continuent de rêver, qui continuent de se laisser toucher et pousser par l’Esprit de Dieu.

Qu’il nous fait du bien de penser que Jésus, depuis le Cerra Renca ou Puntilla vient nous dire : heureux…! Oui, heureux vous et vous; heureux vous qui vous laissez contaminer par l’Esprit de Dieu et qui luttez et travaillez pour ce jour nouveau, pour ce Chili nouveau, car le royaume des cieux vous appartiendra. «Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu» (Mt 5, 9).

Face à la résignation qui, comme une méchante rumeur, compromet les relations vitales et nous divise, Jésus nous dit: heureux ceux qui œuvrent pour la réconciliation. Heureux ceux qui sont capables de se salir les mains et de travailler pour que d’autres vivent en paix. Heureux ceux qui s’efforcent pour ne pas semer de la division. Ainsi, la béatitude fait de nous des artisans de paix; elle nous invite à nous engager pour que l’esprit de réconciliation gagne de l’espace parmi nous. Veux-tu l’épanouissement? Veux-tu le bonheur? Heureux ceux qui œuvrent pour que les autres puissent avoir une vie épanouie. Veux-tu la paix? Travaille pour la paix.

Je ne peux m’empêcher d’évoquer ce grand pasteur de Santiago, quand lors d’un Te Deum il disait: «Si tu veux la paix, travaille pour la justice… Et si quelqu’un nous demande ‘‘qu’est-ce que la justice?’’ ou si au contraire elle consiste simplement à ‘‘ne pas voler’’, nous lui dirons qu’il existe une autre justice: celle qui exige que chaque homme soit traité comme homme» (Card. Raúl SILVA HENRÍQUEZ, Homélie lors du Te Deum Œcuménique, 18 septembre 1977).

Semer la paix par la proximité, dans le voisinage! En sortant de sa maison et en regardant les visages, en allant à la rencontre de celui qui est dans une mauvaise passe, qui n’a pas été traité comme une personne, comme un digne enfant de ce pays. C’est pour nous l’unique façon de tisser un avenir de paix, de recoudre une réalité qui peut s’effilocher. L’artisan de paix sait qu’il faut souvent vaincre de grandes ou de petites mesquineries et des ambitions, qui trouvent leur origine dans la prétention de grandir et de ‘‘se faire un nom’’, de gagner du prestige au détriment des autres. L’artisan de paix sait qu’il ne suffit pas de dire: je ne fais de mal à personne, puisque comme disait saint Albert Hurtado: «C’est très bien de ne pas faire de mal, mais il est très difficile de faire du bien» (Meditación radial, avril 1944).

Construire la paix est un processus qui nous place en face d’un défi et stimule notre créativité à créer des relations permettant de voir dans mon voisin non pas un étranger, un inconnu, mais un enfant de ce pays.

Confions-nous à la Vierge Immaculée qui depuis le Cerra San Cristobal protège et accompagne cette ville. Qu’elle nous aide à vivre et à désirer l’esprit des béatitudes; pour que partout dans cette ville on entende comme un susurrement : «Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu» (Mt 5, 9).

[00053-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Discours du pape François lors de la rencontre avec les autorités civiles du Chili

Vous trouverez ci-dessous le texte complet du discours du pape François lors de la rencontre avec les autorités civiles du Chili:

Madame la Présidente,
Membres du Gouvernement de la République et du Corps diplomatique,
Représentants de la société civile, Distinguées autorités
Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi une joie de pouvoir me retrouver sur le sol latino-américain et de commencer cette visite par cette terre chilienne bien-aimée qui a su m’accueillir et me former dans ma jeunesse ; je voudrais que ce temps avec vous soit aussi un moment de gratitude pour tant de bien reçu. Je me souviens de cette strophe de votre hymne national : « Chili, pur est ton ciel bleu/, de pures brises te traversent aussi, / et ton champ bordé de fleurs/ est la copie réussie de l’Éden », un authentique chant de louange à la terre, riche de promesse et de défis, que vous habitez ; mais surtout pleine d’avenir.

Merci Madame la Présidente pour les paroles de bienvenue que vous m’avez adressées. En vous, je voudrais saluer et embrasser le peuple chilien depuis l’extrême nord de la région d’Arica et du Parinacota jusqu’à l’archipel sud «et à son déchaînement de péninsules et de canaux» (Gabriela Mistral, Elogios de la tierra de Chile). La diversité et la richesse géographiques que vous possédez nous permettent d’entrevoir la richesse de cette polyphonie culturelle qui vous caractérisent.

J’apprécie la présence des membres du Gouvernement; celle des Présidents du Sénat, de la Chambre des Députés et de la Cour Suprême, ainsi que des autres Autorités de l’État et de leurs collaborateurs. Je salue le Président élu ici présent, Monsieur Sebastián Piñera Echenique, qui a récemment reçu le mandant du peuple chilien pour prendre les rênes du pays pour les quatre prochaines années.

Le Chili a été caractérisé, ces dernières décennies, par le développement d’une démocratie qui lui a permis un progrès soutenu. Les récentes élections politiques ont été une manifestation de la solidité et de la maturité civique que vous avez atteintes, ce qui revêt un cachet particulier cette année où se commémorent les 200 ans de la déclaration de l’indépendance. Moment particulièrement important, car il a marqué votre destin en tant que peuple, fondé sur la liberté et sur le droit, qui a dû également affronter diverses périodes turbulentes mais qu’il a réussi – non sans mal – à surmonter. Ainsi, vous avez su consolider et renforcer le rêve de vos pères fondateurs.

En ce sens, je me rappelle les paroles emblématiques du Cardinal Silva Henríquez quand, lors d’un Te Deum, il affirmait: «Nous sommes – tous – des constructeurs de la belle œuvre : la patrie. La patrie terrestre qui préfigure et prépare la patrie sans frontières. Cette patrie ne commence pas aujourd’hui, avec nous ; mais elle ne peut grandir et porter des fruits sans nous. C’est pourquoi, nous la recevons avec respect, comme une tâche qui commençait il y a de nombreuses années, comme un héritage dont nous sommes fiers et en même temps qui nous engage » (Homélie lors du Te Deum œcuménique, 4 novembre 1970).

Chaque génération doit faire siens les luttes et les acquis des générations passées et les conduire à des sommets plus hauts encore. Le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes; il faut les conquérir chaque jour. Il n’est pas possible de se contenter de ce qui a été réalisé dans le passé et de s’installer pour en jouir comme si cette condition nous conduisait à ignorer que beaucoup de nos frères subissent des situations d’injustice qui nous interpellent tous.

Vous avez tous, par conséquent, un défi grand et passionnant: continuer à travailler pour que la démocratie et le rêve de vos aînés, au-delà de leurs aspects formels, soient vraiment un lieu de rencontre pour tous. Qu’ils soient un lieu où tous, sans exception, se sentent appelés à construire une maison, une famille et une nation. Un lieu, une maison, une famille, appelée Chili : généreux, accueillant, qui aime son histoire, qui travaille pour son présent de convivialité et regarde avec espérance vers l’avenir. Il convient de rappeler ici les paroles de saint Albert Hurtado: «Une nation, plus que par ses frontières, plus que par sa terre et ses chaînes de montagne, ses mers, plus que par sa langue ou ses traditions, est une mission à accomplir » (Te Deum, septembre 1948). C’est l’avenir. Et cet avenir se joue, en grande partie, dans la capacité de votre peuple et de vos autorités à écouter.

Cette capacité d’écoute revêt une grande importance dans cette nation où la pluralité ethnique, culturelle et historique demande à être préservée de toute tentative de division ou de suprématie et qui requiert de nous la capacité de nous défaire des dogmatismes qui excluent, pour une saine ouverture au bien commun (qui, s’il n’a pas un caractère communautaire, ne sera jamais un bien). Il faut écouter : écouter les chômeurs, qui ne peuvent pas subvenir dans le présent et encore moins dans l’avenir aux besoins de leurs familles ; les peuples autochtones, souvent oubliés et dont les droits ont besoin d’être pris en compte et la culture protégée, pour que ne se perde pas une partie de l’identité et de la richesse de cette nation. Écouter les migrants, qui frappent à la porte de ce pays à la recherche d’un mieux-être et, en même temps, avec la force et l’espérance de vouloir construire un avenir meilleur pour tous. Écouter les jeunes, dans leur désir d’avoir plus d’opportunités, surtout sur le plan éducatif et, ainsi se sentir des protagonistes du Chili dont ils rêvent, en les préservant activement du fléau de la drogue qui les prive du meilleur de leurs vies. Écouter les personnes âgées, avec leur sagesse si nécessaire et leur fragilité croissante. Nous ne pouvons pas les abandonner. Écouter les enfants, qui se présentent au monde les yeux remplis d’étonnement et d’innocence et attendent de nous des réponses réelles pour un avenir de dignité. Et ici, je ne peux m’empêcher de manifester la douleur et la honte que je ressens face au mal irréparable fait à des enfants par des ministres de l’Église. Je voudrais m’unir à mes frères dans l’épiscopat, car s’il est juste de demander pardon et de soutenir avec force les victimes, il nous faut en même temps nous engager pour que cela ne se reproduise pas.

Par cette capacité d’écoute, nous sommes invités – aujourd’hui, de façon spéciale – à prêter une attention préférentielle à notre maison commune : promouvoir une culture qui sache protéger la terre et ainsi ne pas nous contenter juste d’offrir des réponses ponctuelles aux graves problèmes écologiques et environnementaux qui se posent ; à cet effet, il faut l’audace d’offrir « un regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme technocratique» (Lettre encyclique Laudato si’, n. 111), qui privilégie l’agression du pouvoir économique contre les écosystèmes naturels et, par conséquent, contre le bien commun de nos peuples. La sagesse des peuples autochtones peut constituer une grande contribution. De ceux-ci, nous pouvons apprendre qu’il n’y a pas de développement authentique pour un peuple qui tourne le dos à la terre et à tous ceux qui l’entourent. Le Chili a dans ses racines une sagesse capable d’aider à transcender la conception purement consumériste de l’existence pour adopter une attitude de sagesse face à l’avenir.

Ce qui caractérise l’âme chilienne, c’est la vocation à être, cette volonté tenace d’exister (Cf. Gabriela MISTRAL, Breve descripción de Chile, en Anales de la Universidad de Chile [14], 1934). Vocation à laquelle vous êtes tous appelés et par rapport à laquelle personne ne peut se sentir exclu ou superflu. Vocation qui exige une option radicale pour la vie, surtout sous toutes les formes où celle-ci se voit menacée.

Je remercie, une fois encore, pour l’invitation qui m’a permis de venir vous rencontrer, rencontrer l’âme de ce peuple ; et je prie pour que la Vierge du Carmel, Mère et Reine du Chili, continue d’accompagner et de prendre soin des rêves de cette nation bien-aimée.

[00052-FR.01] [Texte original: Espagnol]

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