Audience générale du pape François – mercredi 10 janvier 2024

Le ci devant grand couvert de Gargantua moderne en famille. Photo de Wikimedia Commons.

Lors de son audience générale hebdomadaire, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur les vertus et les vices en se penchant sur le péché de gourmandise. Il a souligné la dimension mondiale de ce vice en déclarant que « le péché de ceux qui succombent devant un morceau de gâteau, tout compte fait, ne cause pas de grands dommages, mais la voracité avec laquelle nous pillons les biens de la planète depuis quelques siècles compromet l’avenir de tous. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre parcours de catéchèse que nous avons entrepris sur les vices et les vertus, aujourd’hui nous nous arrêtons sur le vice de la gourmandise.

Que nous dit l’Évangile à ce sujet ? Regardons Jésus. Son premier miracle, aux noces de Cana, révèle sa sympathie pour les joies humaines : il veille à ce que la fête se termine bien et donne aux mariés une grande quantité de très bon vin. Tout au long de son ministère, Jésus apparaît comme un prophète très différent du Baptiste : si l’on se souvient de Jean pour son ascétisme – il mangeait ce qu’il trouvait dans le désert -, Jésus est au contraire le Messie que l’on voit souvent à table. Son comportement suscite scandale pour certains, car non seulement il est bienveillant à l’égard des pécheurs, mais il mange même avec eux ; et ce geste démontrait sa volonté de communion et de proximité avec tous.

Mais il y a aussi autre chose. Si l’attitude de Jésus à l’égard des préceptes juifs révèle sa pleine soumission à la Loi, il fait cependant preuve de compréhension à l’égard de ses disciples : lorsqu’ils sont pris en flagrant délit de faim et qu’ils ramassent des épis le jour du sabbat, il les justifie en rappelant que le roi David et ses compagnons, se trouvant dans le besoin, avaient mangé des pains sacrés (cf. Mc 2, 23-26). Et Jésus affirme un nouveau principe : les invités aux noces ne peuvent pas jeûner quand l’époux est avec eux ; ils jeûneront quand l’époux leur sera enlevé. Tout est désormais relatif à Jésus. Quand il est au milieu de nous, nous ne pouvons pas nous affliger ; mais à l’heure de sa passion, alors oui, nous jeûnons (cf. Mc 2,18-20). Jésus veut que nous soyons dans la joie en sa compagnie- Lui est l’Epoux de l’Eglise ; mais il veut aussi que nous partagions ses souffrances, qui sont aussi celles des petits et des pauvres.

Un autre aspect important. Jésus abandonne la distinction entre aliments purs et impurs, qui était une distinction établie par la loi hébraïque. En réalité – enseigne Jésus – ce n’est pas ce qui entre dans l’homme qui le souille, mais ce qui sort de son cœur. C’est ainsi qu’il  » déclarait purs tous les aliments  » (Mc 7,19). C’est pourquoi le christianisme ne considère pas les aliments impurs. Mais l’attention que nous devons avoir est intérieure : elle ne porte donc pas sur la nourriture elle-même, mais sur la relation que nous entretenons avec elle. Et Jésus dit clairement que ce qui fait la bonté ou la malignité, pour ainsi dire, d’un aliment, ce n’est pas l’aliment lui-même, mais la relation que nous entretenons avec lui. Et nous le voyons, lorsqu’une personne a une relation désordonnée avec la nourriture, nous observons la façon dont elle mange, elle mange à la hâte, comme avec l’envie de se rassasier et ne se rassasie jamais, elle n’a pas une bonne relation avec la nourriture, elle est l’esclave de la nourriture.

Cette relation sereine que Jésus a établie envers l’alimentation devrait être redécouverte et valorisée, surtout dans les sociétés dites de l’abondance, où se manifestent tant de déséquilibres et tant de pathologies. On mange trop ou trop peu. Souvent on mange dans la solitude. Les troubles des comportements alimentaires se répandent : anorexie, boulimie, obésité… Et la médecine et la psychologie tentent de s’attaquer au mauvais rapport à la nourriture. Une mauvaise relation avec la nourriture est à l’origine de toutes ces maladies.

Il s’agit de maladies, souvent très douloureuses, qui sont principalement liées à des tourments de la psyché et de l’âme. L’alimentation est la manifestation de quelque chose d’intérieur : la prédisposition à l’équilibre ou à la démesure ; la capacité de rendre grâce ou la prétention arrogante à l’autonomie ; l’empathie de qui sait partager la nourriture avec celui qui est dans le besoin ou l’égoïsme de qui accumule tout pour soi-même. Cette demande est très importante : dis-moi comment tu manges et je te dirai quelle âme tu possèdes. Dans la manière de manger se révèlent notre intériorité, nos habitudes, nos attitudes psychiques.

Les anciens Pères donnaient au vice de la gourmandise le nom de « gastrimargie », terme que l’on peut traduire par « folie du ventre ». La gourmandise est une « folie du ventre ». Et il y a aussi ce proverbe qui dit qu’il faut manger pour vivre et non vivre pour manger. La gourmandise est un vice qui se greffe sur l’un de nos besoins vitaux, comme l’alimentation. Soyons prudents à ce sujet.

Si nous l’envisageons d’un point de vue social, la gourmandise est peut-être le vice le plus dangereux qui est en train de faire périr la planète. Car le péché de ceux qui cèdent devant une part de gâteau, somme toute, ne provoque pas de dommages importants, mais la voracité avec laquelle nous nous déchaînons, depuis quelques siècles, sur les biens de la planète, compromet l’avenir de tous. Nous nous sommes jetés sur tout, pour devenir maîtres de tout, alors que tout avait été confié à notre soin, et non à notre exploitation ! Voilà donc le grand péché, la fureur du ventre : nous avons abjuré le nom d’hommes, pour en prendre un autre, celui de « consommateurs ». C’est ainsi que l’on dit aujourd’hui dans la vie sociale : « consommateurs ». Nous ne nous sommes même pas aperçus que quelqu’un avait commencé à nous appeler ainsi. Nous sommes faits pour être des hommes et des femmes « eucharistiques », capables de rendre grâce, discrets dans l’utilisation de la terre, et au lieu de cela, le danger est de se transformer en prédateurs, et maintenant nous nous rendons compte que cette forme de « gloutonnerie » a fait beaucoup de mal au monde. Demandons au Seigneur de nous aider sur le chemin de la sobriété, et que les différentes formes de gourmandise n’envahissent pas nos vies.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

 

Conférence des États parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28): discours du Saint-Père

Le samedi 2 décembre 2023, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a prononcé le discours du pape François lors de la conférence COP28 à Dubaï (Émirats Arabes Unis). Le Saint-Père a affirmé que « c’est à cette génération d’écouter le cri des peuples, des jeunes et des enfants, et de jeter les bases d’un nouveau multilatéralisme. Pourquoi ne pas commencer précisément à partir de notre maison commune ? Le changement climatique signale la nécessité d’un changement politique. Sortons de l’étroitesse de l’intérêt personnel et du nationalisme ; ce sont des approches qui appartiennent au passé. Unissons-nous autour d’une vision alternative : cela contribuera à une conversion écologique. »

Voici le texte intégral:

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies,
Illustres Chefs d’État et de Gouvernement,
Mesdames et Messieurs,

Je ne peux malheureusement pas être présent parmi vous comme je l’aurais voulu, mais je suis avec vous parce que l’heure est grave. Je suis avec vous parce que, aujourd’hui plus que jamais, l’avenir de tous dépend du présent que nous choisissons. Je suis avec vous parce que la dévastation de la création est une offense à Dieu, un péché non seulement personnel mais aussi structurel qui se répercute sur l’être humain, en particulier sur les plus faibles, un grave danger qui pèse sur chacun et risque de déclencher un conflit entre les générations. Je suis avec vous parce que le changement climatique est « un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine » (Exhort. ap. Laudate Deum, n. 3). Je suis avec vous pour poser la question à laquelle nous sommes appelés à répondre à présent : œuvrons-nous pour une culture de la vie ou bien de la mort ? Je vous le demande de manière pressante : choisissons la vie, choisissons l’avenir ! Écoutons le gémissement de la terre, prêtons attention au cri des pauvres, tendons l’oreille aux espérances des jeunes et aux rêves des enfants ! Nous avons une grande responsabilité : faire en sorte que leur avenir ne soit pas refusé.

Il est avéré que les changements climatiques en cours résultent du réchauffement de la planète, causé principalement par l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, provoquée elle-même par l’activité humaine qui est devenue insoutenable pour l’écosystème au cours des dernières décennies. La volonté de produire et de posséder s’est transformée en obsession et a conduit à une avidité sans limite qui a fait de l’environnement l’objet d’une exploitation effrénée. Le climat devenu fou sonne comme une alarme pour stopper ce délire de toute-puissance. Reconnaissons de nouveau avec humilité et courage notre limite comme unique voie pour vivre en plénitude.

Qu’est-ce qui fait obstacle à ce chemin ? Les divisions qui existent entre nous. Mais un monde entièrement connecté, comme celui d’aujourd’hui, ne peut pas être déconnecté de ceux qui le gouvernent, avec des négociations internationales qui « ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la position des pays qui mettent leurs intérêts nationaux au-dessus du bien commun général » (Lett. enc. Laudato sì’, n. 169). Nous assistons à des positions rigides, voire inflexibles, qui tendent à protéger des revenus de particuliers et ceux de leurs entreprises, en se justifiant parfois sur la base de ce que d’autres ont fait dans le passé, avec des renvois périodiques de responsabilité. Mais le devoir auquel nous sommes appelés aujourd’hui ne concerne pas le passé, mais l’avenir ; un avenir qui, qu’on le veuille ou non, sera à tous ou ne sera pas.

Les tentatives de faire retomber la responsabilité sur les nombreux pauvres et sur le nombre de naissances sont particulièrement frappantes. Ce sont des tabous auxquels il faut absolument mettre fin. Ce n’est pas la faute des pauvres puisque près de la moitié du monde la plus pauvre n’est responsable que de 10 % à peine des émissions polluantes, alors que l’écart entre les quelques riches et les nombreux démunis n’a jamais été aussi abyssal. Ces derniers sont en fait les victimes de ce qui se passe : pensons aux populations autochtones, à la déforestation, au drame de la faim, à l’insécurité en eau et alimentaire, aux flux migratoires induits. Les naissances ne sont pas un problème, mais une ressource : elles ne sont pas contre la vie, mais pour la vie, alors que certains modèles idéologiques et utilitaristes, imposés avec des gants de velours aux familles et aux populations, représentent de véritables colonisations. Il ne faut pas pénaliser le développement de nombre pays, déjà chargés de lourdes dettes économiques, mais considérer l’impact de quelques nations, responsables d’une dette écologique inquiétante envers tant d’autres (cf. ibid., nn. 51-52). Il conviendrait de trouver les moyens appropriés pour supprimer les dettes financières qui pèsent sur divers peuples, à la lumière également de la dette écologique qui leur est due.

Mesdames et Messieurs, je me permets de m’adresser à vous, au nom de la maison commune que nous habitons, comme à des frères et sœurs, pour nous poser la question suivante : quelle est la porte de sortie ? Celle que vous emprunter ces jours-ci : la voie qui consiste à être ensemble, le multilatéralisme. En effet, « le monde devient tellement multipolaire, et en même temps tellement complexe, qu’un cadre différent pour une coopération efficace est nécessaire. Il ne suffit pas de penser aux rapports de force […]. Il s’agit d’établir des règles globales et efficaces » (Laudate Deum, n. 42). Il est préoccupant, en ce sens, que le réchauffement de la planète s’accompagne d’un refroidissement général du multilatéralisme, d’une défiance croissante à l’égard de la Communauté internationale, d’une perte de la « conscience commune d’être […] une famille de nations » (S. Jean-Paul II, Discours à la 50ème Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies, New York, 5 octobre 1995, 14). Il est essentiel de rétablir la confiance, fondement du multilatéralisme.

Cela vaut tant pour la protection de la création que pour la paix : ce sont les questions les plus urgentes et elles sont liées. Combien d’énergie l’humanité gaspille-t-elle dans les si nombreuses guerres en cours, comme en Israël et en Palestine, en Ukraine et en beaucoup d’autres régions du monde : des conflits qui ne résoudront pas les problèmes mais les accroîtront ! Combien de ressources sont-elles gaspillées en armements, qui détruisent des vies et ruinent la maison commune ! Je renouvelle une proposition : « Avec les ressources financières consacrées aux armes ainsi qu’à d’autres dépenses militaires, créons un Fonds mondial, en vue d’éradiquer une bonne fois pour toutes la faim » (Lett. enc. Fratelli tutti, n. 262 ; cf. saint Paul VI, Lett. Enc. Populorum Progressio, n. 51) et mettre en œuvre des activités qui favorisent le développement durable des pays les plus pauvres, en luttant contre le changement climatique.

Il appartient à cette génération de prêter l’oreille aux peuples, aux jeunes et aux enfants pour jeter les bases d’un nouveau multilatéralisme. Pourquoi ne pas commencer par la maison commune ? Les changements climatiques mettent en évidence la nécessité d’un changement politique. Sortons des ornières des particularismes et des nationalismes, ce sont des modèles du passé. Adoptons une vision alternative et commune : elle permettra une conversion écologique, car « il n’y a pas de changement durable sans changement culturel » (Laudate Deum, n. 70). J’assure en cela l’engagement et le soutien de l’Église catholique, active en particulier dans l’éducation et la sensibilisation à la participation commune, ainsi que dans la promotion des styles de vie, car la responsabilité est celle de tous, et celle de chacun est fondamentale.

Sœurs et frères, un changement de rythme qui ne soit pas une modification partielle de cap, mais une nouvelle façon de procéder ensemble, est essentiel. Si sur le chemin de la lutte contre le changement climatique, ouvert à Rio de Janeiro en 1992, l’Accord de Paris a marqué « un nouveau départ » (ibid., n. 47), il faut maintenant relancer la marche. Il est nécessaire de donner un signe d’espoir concret. Que cette COP soit un tournant : qu’elle manifeste une volonté politique claire et tangible, conduisant à une accélération décisive de la transition écologique, à travers des formes qui aient trois caractéristiques : qu’elles soient « efficaces, contraignantes et facilement contrôlables » (ibid., n. 59). Qu’elles soient mises en œuvre dans quatre domaines : l’efficacité énergétique, les sources renouvelables, l’élimination des combustibles fossiles et l’éducation à des modes de vie moins dépendants de ces derniers.

S’il vous plaît : allons de l’avant, ne revenons pas en arrière. Il est bien connu que divers accords et engagements pris « n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de manquement, n’avait été établi » (Laudato si’, n. 167). Il s’agit ici de ne plus reporter mais de mettre en œuvre, et de ne pas seulement souhaiter, le bien de vos enfants, de vos citoyens, de vos pays, de notre monde. Soyez les artisans d’une politique qui donne des réponses concrètes et cohérentes, en démontrant la noblesse du rôle que vous jouez, la dignité du service que vous accomplissez. Car c’est à cela que sert le pouvoir, à servir. Il ne sert à rien de préserver aujourd’hui une autorité dont on se souviendra demain que pour son incapacité à intervenir quand cela était urgent et nécessaire (cf. ibid., n. 57). L’histoire vous en sera reconnaissante. De même que les sociétés dans lesquelles vous vivez, au sein desquelles règne une division néfaste entre “supporters” : entre les catastrophistes et les indifférents, entre les écologistes radicaux et les négationnistes du climat… Il ne sert à rien d’entrer dans des factions ; dans ce cas, comme pour la cause de la paix, cela ne mène à aucune solution. C’est la bonne politique qui est la solution : si le sommet donne un exemple concret de cohésion, la base en profitera, là où de très nombreuses personnes, en particulier des jeunes, s’impliquent déjà dans la promotion du soin de la maison commune.

Que 2024 marque un tournant. J’aimerais qu’un événement survenu en 1224, soit de bon augure. Cette année-là, François d’Assise composa le Cantique des créatures. Il le fit après une nuit passée dans la douleur physique, devenu complètement aveugle. Après cette nuit de lutte, porté dans son âme par une expérience spirituelle, il voulut louer le Très-Haut pour ces créatures qu’il ne pouvait plus voir, mais qu’il sentait être ses frères et sœurs, parce que provenant d’un même Père et partagées avec les autres hommes et femmes. Un sentiment inspiré de fraternité le conduisit à transformer la douleur en louange et la peine en engagement. Peu après, il ajouta un verset dans lequel il louait Dieu pour ceux qui pardonnent, et il le fit pour régler – avec succès ! – une querelle scandaleuse entre l’Autorité du lieu et l’évêque. Moi aussi je porte le nom de François, avec un ton vibrant d’une prière, je voudrais vous dire : laissons de côté les divisions et unissons nos forces ! Et, avec l’aide de Dieu, sortons de la nuit des guerres et des dévastations environnementales pour transformer l’avenir commun en une aube de lumière. Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

 

Écologie intégrale et préservation du patrimoine: l’intuition de l’AECQ

(Image: courtoisie Pixabay) Le 17 juin dernier, l’Assemblée des évêques catholiques du Québec publiait un document de réflexion sur « les relations entre la sauvegarde de l’environnement et le patrimoine immobilier des communautés chrétiennes ». Intitulé « Crise climatique et patrimoine religieux », ce texte manifeste non seulement, les principes qui doivent présider au mouvement de reconversions architecturales et immobilisées de l’Église au Québec et l’esprit dans lequel elles doivent s’opérer mais également donne des exemples concrets pouvant être une source d’inspiration. S’inscrivant dans la ligne du pape François et de son encyclique Laudato sì, les évêques du Québec nous invitent donc à discerner les différentes avenues dans lesquelles notre Église peut trouver sa place dans cette prise de consciente écologique. En ce sens, il est primordial de s’interroger sur le propre de la mission de l’Église dans cet enjeu crucial de notre temps.

L’écologie intégrale contre la bétonisation du monde

On le sait, les défis environnementaux qui nous affectent aujourd’hui ont beaucoup à voir avec les façons de voir qui ont prévalu au siècle passé. Souvent mues par un optimisme naïf et une foi simpliste dans le progrès technique, nos sociétés se sont développées sans égard au rythme et cycle de la nature. De plus, lorsque nous regardons le patrimoine architectural de cette même époque, on se rend vite compte que le réflexe était trop souvent de mettre du béton partout. D’une idée erronée du développement découlait malheureusement une esthétique de la laideur. Ou se pourrait-il que ce soit l’inverse ? Se pourrait-il qu’une éducation aux beaux-arts aurait pu éviter ces excès ? Comment donc s’assurer de ne pas répéter les erreurs du passé ? Pour Jésus comme pour l’Église, la solution procède toujours de la prière et du surplus de charité découlant de cette dernière. En ce sens, il est clair que la préservation du patrimoine religieux et culturel de l’Église aura un effet sur la mobilisation en faveur de l’environnement mais celle-ci ne sera réelle que dans la logique d’une contemplation plus grande du Mystère qu’elle présente au monde.

Dans son encyclique Laudato sì, la pape François nous invite à délaisser une sortie du « paradigme technocratique » (no 109)pour embrasser la voie de la création et de la contemplation qui arrive « à dépasser le pouvoir objectivant en une sorte de salut qui se réalise dans le beau et dans la personne qui le contemple » (no 112). En ce sens, la préservation et le rayonnement de ces joyaux que sont nos églises sont des pierres angulaires de cette œuvre d’éducation « environnementale [et qui] demeure un enjeu pastoral significatif » (no 4.1). Ainsi, le sens profondément écologique de l’Évangile présuppose donc une redécouverte du nœud de la conversion écologique qui se trouve dans l’attitude contemplative. En ce sens, les beaux-arts dont nos églises regorgent sont des alliés précieux dont notre société ne peut se passer sans conséquences pour la planète. Paradoxalement, nous devons comprendre que notre monde a besoin de communautés témoignant de l’efficacité de la contemplation. Pour l’Église, la crise climatique est donc, d’abord et avant tout, une invitation à remettre l’adoration eucharistique au centre de notre vie ecclésiale. Étant intérieurement transformées par cette « attitude d’adoration » (no 127), nos communautés sauront faire preuve de la créativité nécessaire pour surmonter les défis qui sont les nôtres.

Faire fleurir la richesse des personnalités

Chercher le propre de l’apport de la spiritualité chrétienne dans le « virage vert » de nos sociétés doit, comme le disent les évêques, être beaucoup plus que « l’effet d’une nouvelle mode verte » (no3). C’est donc en cherchant et en s’enracinant dans son propre patrimoine que l’Église pourra trouver l’inspiration nécessaire pour faire preuve de créativité. L’expérience de plus de deux millénaires montrent en effet que l’Église est constituée avant tout de personnes divines et humaines qui, dans la relation d’Amour de haut en bas et de bas en haut, devient par le fait même le lieu privilégié pour faire émerger la personnalité de ses membres. On prend souvent pour acquis que les personnes humaines sont toutes uniques et que cette unicité n’a pas besoin d’être enrichie. Or, personne n’est auto-suffisant. Comme le dit le pape François, les capacités des hommes c’est-à-dire :

La capacité de réflexion, l’argumentation, la créativité, l’interprétation, l’élaboration artistique, et d’autres capacités inédites, montrent une singularité qui transcende le domaine physique et biologique. La nouveauté qualitative qui implique le surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une action directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation d’un Tu avec un autre tu. (No 81)

On peut, en effet, comparer l’Église à un jardin qui, donnant les nutriments et éléments essentiels à leur croissance, permet aux fleurs d’éclore et de resplendir de leur caractère propre. Être des lieux de développement de l’intégralité des personnes humaines aura évidemment des effets sur les relations que ceux-ci entretiennent avec la nature. On peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de beaucoup de difficultés du monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas toujours consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de la techno-science un paradigme de compréhension qui conditionne la vie des personnes et le fonctionnement de la société (no107).

L’écologie intégrale exige donc que nos communautés soient des lieux d’éducation et de déploiement de la personnalité de chacun de ses membres. Ainsi, rayonnant de personnalités riches et pleinement développées du point de vue spirituel, intellectuel, affectif, professionnel, etc., l’Église sera beaucoup plus en mesure d’offrir sa contribution unique aux défis environnementaux. C’est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur ordonnance et leurs lois et leurs valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser. (Gaudium et Spes, no2). Parce qu’elle aura su, à l’intérieur de son propre fonctionnement, intégrer la logique même de la création, l’Église pourra de nouveau témoigner par des solutions créatives, originales et pleinement humaine.

La paroisse au rythme de l’écologie intégrale

Que ce soit dans la justesse de son intuition, la reconnaissance des différentes tendances de notre époque ou par l’apport d’exemples concrets aptes à nous motiver dans les années à venir, le plus récent texte du Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec est un très bon instrument pour faire un pas dans la transition écologique. Reflétant les liens intimes que le traitement du patrimoine bâti de l’Église avec le manque de respect pour l’environnement du XXe siècle, nous comprenons mieux l’opportunité pastorale que peut représenter cette prise de conscience de l’urgence climatique. Espérons que nos communautés saisiront cette occasion rêvée de faire rayonner la Présence réelle de Dieu pour nous aujourd’hui et maintenant.

Vers une création nouvelle

En marge de l’année « Laudato Sì » décrétée par le pape François, nous poursuivons aujourd’hui nos réflexions sur le thème de la création. C’est un fait établi, la planète montre, depuis un moment déjà, les signes d’un épuisement systématique qui met en péril l’ensemble des écosystèmes. Cette invitation du Saint-Père nous porte donc à reconsidérer notre foi à la lumière du dogme de la Création. Enrichis de nos réflexions, nous serons plus en mesure de faire preuve de discernement lorsque viendra le temps de passer à l’action. 

La Foi en un Dieu Créateur 

La doctrine de la création fait partie du cœur même de notre Foi. Chaque dimanche, lors de la récitation du CREDO, nous affirmons croire en un Dieu « Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible ». Or, tant dans la liturgie de la Parole que dans l’Eucharistie, ne mettons-nous pas davantage l’accent sur l’action salvatrice de Dieu ? Ne portons-nous pas notre attention sur le Christ venu « pour nous sauver » ? Pourquoi est-il important de garder en tête qu’Il est, à la fois, notre Sauveur et notre Créateur ?

Dans son célèbre prologue, saint Jean nous enseigne qu’ « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement auprès de Dieu. C’est par lui que tout est venu à l’existence » (Jn 1, 1-3). L’évangéliste met donc clairement l’emphase sur l’égalité, l’unité mais introduit une certaine distinction entre le Verbe (le Fils) et Dieu (le Père). Cela manifeste donc que l’acte créateur est l’œuvre de toute la Trinité. Or, ces versets mettent également l’accent sur l’action du Verbe dans l’acte créateur. Cela est certainement dû au fait qu’à l’époque de Jean, certaines doctrines « néo-platoniciennes » enseignaient l’existence d’un « démiurge » : d’un créateur du monde mais inégal au premier principe. Pour éviter tout quiproquo, saint Jean, sous l’inspiration du Saint Esprit, souligne que, bien qu’au commencement « Le Verbe était Dieu », « Rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui » (Jn 1, 3). La seconde Personne de la Trinité était et est toujours pleinement présente dans l’acte créateur. Mais, pour revenir à la question initiale : qu’est-ce que cela apporte de plus de savoir que Celui qui nous sauve est, en même temps, Celui qui nous a créé ?

Croire en la bonté de la création

Dans un premier temps, cela nous évite d’imputer à Dieu l’existence du mal. Si Dieu s’est incarné en Jésus-Christ en vue de nous sauver par l’entremise de sa passion et de sa mort sur la Croix, il devient évident que l’existence du mal ne peut lui être créditée. Comme le dit le pape François, le Christ n’était pas « sado-masochiste ». De plus, saint Paul écrit : « Tout est créé par lui et pour lui. Il est avant toute chose, et tout subsiste en lui » (Col, 16-17), cela montre bien que la création en tant que telle n’est pas mauvaise mais bonne. Le péché ne peut donc pas s’identifier aux êtres mais au non-respect de leur nature. Par exemple, ce n’est pas la nourriture qui est mauvaise mais son abus, ce n’est pas la sexualité qui est mauvaise mais son exercice en dehors de l’amour véritable, etc. 

S’agenouiller à la Messe devant le crucifix signifie donc, non seulement un acte d’adoration devant l’œuvre rédemptrice de Dieu, mais également une profession de foi en la bonté et en la valeur inestimable de toute la création. Par son sacrifice, notre Sauveur manifeste aussi l’accomplissement de son œuvre créatrice. Il accomplit ce qui était « prévu avant tous les siècles ». Or, cette prise de conscience est primordiale si nous voulons que les choses s’améliorent.

En effet, il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre certaines personnes qui, par un souci légitime de l’environnement, dénigrent l’être humain. Selon eux, pour le bien de la création, il vaudrait mieux que l’humanité n’existe pas. Or, comme nous l’avons vu, la vision chrétienne est aux antipodes de cette conception. Sous prétexte de défendre la nature, certains sont prêts à en exclure une bonne partie. Dénigrer l’humanité c’est aussi dénigrer son environnement. Au contraire, le christianisme nous invite à, non seulement considérer l’humanité comme partie prenante de la création, mais aussi à croire en sa capacité de faire le bien. Ainsi puisque, la croix est le lieu et le symbole de la création nouvelle, les chrétiens sont invités à faire de leur vie un témoignage de l’efficacité transformatrice de Dieu sur la création toute entière. Sur l’autel, ce n’est pas seulement l’humanité qui est sauvée mais aussi, et à travers elle, c’est la création entière qui est transfigurée. Dans ce contexte, prendre sa croix signifiera aussi prendre sur soi la responsabilité d’agir en protecteur du monde créé.

Le discernement pour éviter le pire

Nous le voyons de plus en plus clairement, avoir de beaux sentiments ne suffira pas à inverser la tendance qui va dans le sens de la dégradation de la création. Tant par sa Révélation d’un Dieu créateur et sauveur, Jésus-Christ nous invite non seulement à retrouver une juste conception de la création  mais aussi à redécouvrir cette confiance en l’humanité, celle-là même dont Il a fait preuve lors de son ultime Sacrifice. De cela surgiront une attitude de contemplation devant l’univers et de nouvelles pistes de solution pour faire face à l’avenir. 

«Tout est lié»: une année pour une prise de conscience

Le 24 mai dernier, le pape François annonçait la tenue d’une année consacrée à l’encyclique « Laudato Sì »[1]pour souligner le cinquième anniversaire de la publicationde ce document programmatique de son pontificat. Cette année sera donc l’occasion de redécouvrir ce thème de la sauvegarde de la maison commune en approfondissant nos réflexions sur cet enjeu crucial pour notre temps. Dans ce contexte, j’ai donc cru approprié d’écrire une série d’articles sur l’amour de la création qui, j’ose l’espérer, pourront nous aider à cheminer personnellement et collectivement vers un monde plus propre et plus respectueux de la nature.

Environnement ou création ?

Dans le langage courant, nous utilisons souvent le terme « environnement » pour parler du monde qui nous entoure. La tradition chrétienne, cependant, a toujours préféré celui de « création ». Ce qui n’est pas anodin puisque l’utilisation de ce mot a deux significations implicites. D’abord, on comprend que l’humanité est le centre de l’univers créé. Lorsque nous y pensons, le mot « environnement » signifie ce qui nous entoure. Deuxièmement, ce mot introduit une séparation de l’humanité avec le reste l’univers puisque si l’environnement est tout ce qui est autour de nous, c’est que nous n’en faisons pas vraiment partie. Pour ces deux raisons, l’Église préfère parler de « création ».

En effet, le mot création a le double mérite d’éviter les deux écueils que je viens de souligner. Par ce terme, on comprend tout de suite que l’humanité, bien qu’ayant une place de choix dans la création, ne l’a toutefois pas créée. L’humanité n’en est donc ni le centre et n’est pas non plus un démiurge pensant pouvoir en faire ce qu’il veut. Toutes prétentions à imposer au réel ses propres volontés indépendamment des lois de la nature voulues par le créateur sont donc implicitement exclues dans l’utilisation du terme « création ». Comprendre que seul Dieu est le maître et possesseur de l’univers signifie aussi que l’humanité n’est pas à l’extérieur de l’environnement mais à l’intérieur de la création.

Ni dieux, ni bêtes

Comprendre la profondeur du mot création nous porte également à découvrir deux tendances que l’on trouve aujourd’hui sous des formes inédites.Comme l’enseigne la Doctrine sociale de l’Église : « Une vision de l’homme et des choses sans aucune référence à la transcendance a conduit à réfuter le concept de création et à attribuer à l’homme et à la nature une existence complètement autonome » (CDSE no 464). Cette illusion d’autonomie a aujourd’hui deux visages.

L’immense pouvoir que nous donnent les technologies modernes pose plus que jamais la question des principes guidant leur utilisation. Or, la crise climatique actuelle est la preuve que, contrairement à ce que nous avons fait par le passé, nous ne pouvons plus « réduire de manière utilitariste la nature à un simple objet de manipulation et d’exploitation » (CDSE no 463). Notre vocation personnelle et collective est un appel à la responsabilité. Chacun à son niveau, nous devons donc nous interroger sur notre rapport avec l’ordre créé par Dieu qui se trouve, comme nous l’avons vu, tant à l’intérieurqu’à l’extérieurde nous. Mon opinion personnelle est que la santé de la planète ne se réalisera que si la santé spirituelle et morale de l’homme est prise au sérieux. Malheureusement, cela ne semble pas être la priorité à l’heure actuelle.

L’urgence de prendre au sérieux les enjeux climatiques en porte aussi plusieurs à entretenir un rapport nocif avec la création en la faisant «prévaloir sur la personne humaine au plan de la dignité(CDSE no 463).La nature n’est pas une déesse ! Même si nous la considérons responsable du désastre actuel, il ne sert à rien de sous-estimer la valeur de notre propre dignité. C’est justement du manque de conscience de sa propre grandeur qu’on procédés les courses effrénées au profit et à sans égards aux cycles et aux limites de notre planète. En d’autres termes, c’est parce que nous avons trop souvent abaissé notre conception de la nature humaine à celle de consommateur que nous sommes restés volontairement aveugles à l’épuisement des ressources.  Ainsi,  notre engagement en faveur de notre maison commune dépendra en grande partie d’une juste conception de nous-mêmes. Ni dieux, ni bêtes.

Duc in altum

Alors que nous amorçons la troisième décennie du XXIe siècle, le Pape nous invite à poursuivre la réflexion sur les liens qui nous unissent avec Dieu, entre nous et avec toute la création. Les derniers mois ont été particulièrement révélateurs de la grandissante interconnexion de l’humanité. Prions pour que cette connexion soit l’occasion de véritablement entreprendre un changement de paradigme en faveur d’un monde où la dignité de tous les êtres sera reconnue à sa juste valeur, ni plus ni moins. 

Message du pape François pour la 4e Journée mondiale de prière pour la création

CNS photo/Alessandro Bianchi, Reuters

Olivier Bonnel VM -Dans son message à l’occasion de la quatrième journée mondiale de prière pour la Création, le Pape François revient sur ce don précieux qu’est l’eau, et invite à des changements concrets pour en garantir l’accès à tous. Vous trouverez ci-dessous le Message du pape François pour la 4e Journée mondiale de prière pour la création:

Chers frères et sœurs!

En cette Journée de Prière, je souhaite avant tout remercier le Seigneur pour le don de la maison commune et pour tous les hommes de bonne volonté qui œuvrent à la protéger. Je suis aussi reconnaissant pour les nombreux projets visant à promouvoir l’étude et la protection des écosystèmes, pour les efforts en vue du développement d’une agriculture plus durable et d’une alimentation plus responsable, pour les diverses initiatives éducatives, spirituelles et liturgiques qui, dans le monde entier, engagent de nombreux chrétiens pour la sauvegarde de la création.

Nous devons le reconnaître: nous n’avons pas su prendre soin de la création de manière responsable. La situation de l’environnement, au niveau global ainsi qu’en de nombreux endroits spécifiques, ne peut être jugée satisfaisante. Avec raison, se fait sentir la nécessité d’une relation renouvelée et saine entre l’humanité et la création, la conviction que seule une vision de l’homme, authentique et intégrale, nous permettra de prendre mieux soin de notre planète au bénéfice de la génération présente et de celles à venir, car «il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate » (Lett. Enc. Laudato si’, n. 118).

En cette Journée Mondiale de Prière pour la sauvegarde de la création que l’Église catholique célèbre, depuis quelques années, en union avec les frères et les sœurs orthodoxes, et avec l’adhésion d’autres Églises et Communautés chrétiennes, je souhaite attirer l’attention sur la question de l’eau, élément si simple et si précieux, dont malheureusement l’accès est difficile sinon impossible pour beaucoup de personnes. Pourtant, «l’accès à l’eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l’exercice des autres droits humains. Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à l’eau potable, parce que c’est leur nier le droit à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable» (ibid, n. 30).

L’eau nous invite à réfléchir sur nos origines. Le corps humain est composé en majeure partie d’eau; et beaucoup de civilisations, dans l’histoire, sont nées près de grands cours d’eau qui en ont marqué l’identité. L’image utilisée au début du Livre de la Genèse, où il est dit qu’au commencement l’esprit du Créateur «planait sur les eaux» (1, 2), est significative.

En pensant à son rôle fondamental dans la création et dans le développement de l’homme, je sens le besoin de rendre grâce à Dieu pour ‘‘sœur eau’’, simple et utile comme rien d’autre pour la vie sur la planète. Précisément pour cela, prendre soin des sources et des bassins hydriques est un impératif urgent. Aujourd’hui plus que jamais, il faut un regard qui aille au-delà de l’immédiat (cf. Laudato si’, n. 36), au-delà d’un «critère utilitariste d’efficacité et de productivité pour le bénéfice individuel» (ibid, n. 159). Il faut de toute urgence des projets communs et des gestes concrets, prenant en compte le fait que toute privatisation du bien naturel de l’eau au détriment du droit humain de pouvoir y avoir accès est inacceptable.

Pour nous chrétiens, l’eau représente un élément essentiel de purification et de vie. La pensée se dirige immédiatement vers le Baptême, sacrement de notre renaissance. L’eau sanctifiée par l’Esprit est la matière par laquelle Dieu nous a vivifiés et renouvelés; c’est la source bénie d’une vie qui ne meurt plus. Le Baptême représente aussi, pour les chrétiens de diverses confessions, le point de départ réel et inaliénable pour vivre une fraternité toujours plus authentique tout au long du chemin vers la pleine unité. Jésus, au cours de sa mission, a promis une eau à même d’étancher pour toujours la soif de l’homme (cf Jn 4, 14) et a promis: «Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive » (Jn 7, 37). Aller à Jésus, s’abreuver de lui signifie le rencontrer personnellement comme Seigneur, en puisant dans sa Parole le sens de la vie. Que vibrent en nous avec force ces paroles qu’il a prononcées sur la croix: « J’ai soif» (Jn 19, 28)! Le Seigneur demande encore à étancher sa soif, il a soif d’amour. Il nous demande de lui donner à boire dans les nombreuses personnes qui ont soif aujourd’hui, pour nous dire ensuite: «J’avais soif, et vous m’avez donné à boire» (Mt 25, 35). Donner à boire, dans le village global, ne comporte pas uniquement des gestes personnels de charité, mais des choix concrets et un engagement constant pour garantir à tous le bien fondamental de l’eau.

Je voudrais aborder également la question des mers et des océans. Il faut remercier le Créateur pour l’imposant et merveilleux don des grandes eaux et de tout ce qu’elles contiennent (cf. Gn 1, 20- 21; Ps 145, 6), et le louer pour avoir revêtu la terre d’océans (cf. Ps 103, 6). Orienter nos pensées vers les immenses étendues des mers, en mouvement continuel, est aussi, dans un certain sens, une occasion pour penser à Dieu qui accompagne constamment sa création en la faisant aller de l’avant, en la maintenant dans l’existence (cf. S. Jean-Paul II, Catéchèse, 7 mai 1986).

Prendre soin chaque jour de ce bien inestimable constitue aujourd’hui une responsabilité inéluctable, un vrai et propre défi : il faut une coopération réelle entre les hommes de bonne volonté pour collaborer à l’œuvre continue du Créateur. Tant d’efforts, malheureusement, sont réduits à rien par manque de règlementation et de contrôles effectifs, surtout en ce qui concerne la protection des zones marines au-delà des territoires nationaux (cf. Laudato si’, n. 174). Nous ne pouvons pas permettre que les mers et les océans se couvrent d’étendues inertes de plastique flottantes. En raison de cette même urgence, nous sommes appelés à nous engager, de manière active, en priant comme si tout dépendait de la Providence divine et en œuvrant comme si tout dépendait de nous.

Prions pour que les eaux ne soient pas un signe de séparation entre les peuples, mais de rencontre pour la communauté humaine. Prions pour que soient sauvés ceux qui risquent leur vie sur les flots à la recherche d’un avenir meilleur. Demandons au Seigneur et à ceux qui exercent le haut service de la politique de faire en sorte que les questions les plus délicates de notre époque, telles que celles liés aux migrations, aux changements climatiques, au droit pour tous de jouir des biens fondamentaux, soient affrontées de manière responsable, clairvoyante en regardant l’avenir, avec générosité et dans un esprit de collaboration, surtout entre les pays qui ont plus de moyens. Prions pour ceux qui se consacrent à l’apostolat de la mer, pour ceux qui aident à réfléchir sur les problèmes touchant les écosystèmes marins, pour ceux qui contribuent à l’élaboration et à l’application des normes internationales concernant les mers susceptibles de protéger les personnes, les pays, les biens, les ressources naturelles – je pense par exemple à la faune et à la flore piscicoles, ainsi qu’aux barrières de corail (cf. ibid., n. 41) ou aux fonds marins – et garantir un développement intégral dans la perspective du bien commun de la famille humaine tout entière et non d’intérêts particuliers. Souvenons-nous aussi de ceux qui œuvrent pour la sauvegarde des zones marines, pour la protection des océans et de leurs biodiversités, afin qu’ils accomplissent cette tâche de manière responsable et honnête.

Enfin, ayons présent à l’esprit les jeunes générations et prions pour elles afin qu’elles grandissent dans la connaissance et dans le respect de la maison commune et avec le désir de prendre soin du bien essentiel de l’eau en faveur de tous. Mon souhait est que les communautés chrétiennes contribuent toujours davantage et toujours plus concrètement afin que tout le monde puisse jouir de cette ressource indispensable, dans la sauvegarde respectueuse des dons reçus du Créateur, en particulier des cours d’eau, des mers et des océans.

Du Vatican, le 1er septembre 2018

[01294-FR.01] [Texte original: Italien]

FRANÇOIS

Discours du pape François aux peuples de l’Amazonie

Dans la matinée du vendredi 19 janvier, le Saint Père a rencontré plus de 4000 représentants des peuples de l’Amazonie péruviennes au stade « Madre de Dios » à Puerto Maldonado. Vous trouverez, ci-dessous, le texte complet du discours qu’il leur a adressé, traduit par ZENIT l’agence d’information internationale.

Chers frères et sœurs,

Le cantique de saint François: ‘‘Loué sois-tu, mon Seigneur’’ jaillit en moi, comme en vous. Oui, loué sois-tu pour l’opportunité que tu nous donnes à travers cette rencontre! Merci à vous, Monseigneur David Martínez de Aguirre Guinea, Monsieur Héctor, Madame Yésica et Madame María Luzmila pour vos paroles de bienvenue, et pour vos témoignages. En vous, je voudrais remercier et saluer tous les habitants de l’Amazonie.

Je vois que vous provenez des différents peuples autochtones de l’Amazonie : Harakbut, Esse-ejas, Matsiguenkas, Yines, Shipibos, Asháninkas, Yaneshas, Kakintes, Nahuas, Yaminahuas, Juni Kuin, Madijá, Manchineris, Kukamas, Kandozi, Quichuas, Huitotos, Shawis, Achuar, Boras, Awajún, Wampís, entre autres. Je constate également que sont présentes avec nous des populations provenant des Andes, venues dans la région forestière et qui sont devenues amazoniennes. J’ai beaucoup désiré cette rencontre… J’ai tenu à venir ici dans le cadre de cette visite au Pérou. Merci de votre présence et de m’aider à voir de plus près, dans vos visages, le reflet de cette terre. Un visage pluriel, d’une diversité infinie et d’une énorme richesse biologique, culturelle, spirituelle. Nous qui n’habitons pas ces terres, nous avons besoin de votre sagesse et de votre connaissance pour pouvoir pénétrer, sans le détruire, le trésor que renferme cette région. Et les paroles du Seigneur à Moïse résonnent : «Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » (Ex 3, 5).

Permettez-moi, une fois encore, de dire: Loué sois-tu Seigneur pour cette œuvre merveilleuse de tes peuples amazoniens et pour toute la biodiversité que ces terres renferment. Ce cantique de louange s’interrompt quand nous écoutons et voyons les blessures profondes que portent en eux l’Amazonie et ses peuples. Et j’ai voulu venir vous rendre visite et vous écouter, afin que nous soyons unis dans le cœur de l’Église, afin de partager vos défis et de réaffirmer avec vous une option sincère pour la défense de la vie, pour la défense de la terre et pour la défense des cultures.

Probablement, les peuples autochtones amazoniens n’ont jamais été aussi menacés sur leurs territoires qu’ils le sont présentement. L’Amazonie est une terre disputée sur plusieurs fronts: d’une part, le néo-extractivisme et la forte pression des grands intérêts économiques qui convoitent le pétrole, le gaz, le bois, l’or, les monocultures agro-industrielles. D’autre part, la menace visant ses territoires vient de la perversion de certaines politiques qui promeuvent la ‘‘conservation’’ de la nature sans tenir compte de l’être humain et, concrètement, de vous, frères amazoniens qui y habitez. Nous connaissons des mouvements qui, au nom de la conservation de la forêt, accaparent de grandes superficies de terre et en font un moyen de négociation, créant des situations d’oppression des peuples autochtones pour lesquels, le territoire et les ressources naturelles qui s’y trouvent deviennent ainsi inaccessibles. Cette problématique asphyxie vos populations et provoque la migration des nouvelles générations face au manque d’alternatives locales. Nous devons rompre avec le paradigme historique qui considère l’Amazonie comme une réserve inépuisable des États sans prendre en compte ses populations.

Je crois qu’il est indispensable de faire des efforts pour créer des instances institutionnelles de respect, de reconnaissance et de dialogue avec les peuples natifs, en assumant et en sauvegardant la culture, la langue, les traditions, les droits et la spiritualité qui leur sont propres. Un dialogue interculturel dans lequel ils soient «les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on développe les grands projets qui affectent leurs espaces» (Lett. enc. Laudato si’, n. 146). La reconnaissance et le dialogue seront la meilleure voie pour transformer les relations historiques marquées par l’exclusion et la discrimination.

En contrepartie, il est juste de reconnaître qu’il existe des initiatives porteuses d’espérance qui surgissent de vos bases et organisations et permettent que les peuples autochtones eux-mêmes ainsi que les communautés soient les gardiens des forêts, et que les ressources produites par la sauvegarde de ces forêts reviennent comme bénéfice à leurs familles, pour l’amélioration de leurs conditions de vie, pour la santé et l’éducation de leurs communautés. Ce ‘‘bien-faire’’ se trouve en syntonie avec les pratiques du ‘‘bien-vivre’’ que nous découvrons dans la sagesse de nos peuples. Et permettez-moi de vous dire que vraiment, pour certains, vous êtes considérés comme un obstacle ou une ‘‘gêne’’ ; en vérité, par vos vies, vous constituez un cri pour qu’on prenne conscience du mode de vie qui ne parvient pas à limiter ses propres coûts. Vous êtes la mémoire vivante de la mission que Dieu nous a donnée à nous tous: sauvegarder la Maison commune.

La défense de la terre n’a d’autre finalité que la défense de la vie. Nous savons la souffrance que certains d’entre vous endurent à cause des déversements d’hydrocarbures qui menacent sérieusement la vie de vos familles et contaminent votre milieu naturel.

Parallèlement, il existe une autre atteinte à la vie qui est causée par cette contamination environnementale due à l’exploitation minière illégale. Je me réfère à la traite des personnes : la main-d’œuvre esclave ou l’abus sexuel. La violence à l’encontre des adolescents et des femmes est un cri qui parvient au ciel. «La situation de ceux qui font l’objet de diverses formes de traite des personnes m’a toujours attristé. Je voudrais que nous écoutions le cri de Dieu qui nous demande à tous : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). Où est ton frère esclave ? […] Ne faisons pas semblant de rien. Il y a de nombreuses complicités. La question est pour tout le monde ! » (Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 211).

Comment ne pas se souvenir de saint Toribio lorsqu’il dénonçait, très peiné, au 3ème Concile de Lima « que non seulement par le passé on a causé tant de tort à ces pauvres et usé à leur encontre de la force avec tant d’excès, mais qu’aujourd’hui encore beaucoup cherchent à faire de même… » (Ses. III, c. 3). Malheureusement, après cinq siècles ces paroles continuent d’être actuelles. Les paroles prophétiques de ces hommes de foi – comme Héctor et Yésica nous l’ont rappelé –, sont le cri de ces personnes souvent étouffées ou auxquelles on ôte la parole. Cette prophétie doit demeurer dans notre Église, qui ne se lassera jamais de crier pour les marginalisés et pour ceux qui souffrent.

De cette préoccupation naît l’option primordiale pour la vie des plus démunis. Je pense aux peuples désignés comme les ‘‘Peuples Indigènes dans l’Isolement Volontaire’’ (PIIV). Nous savons qu’ils sont les plus vulnérables parmi les vulnérables. Les retards du passé les ont obligés à s’isoler, y compris de leurs propres ethnies; ils se sont engagés dans une histoire de captivité dans des régions les plus inaccessibles de la forêt pour pouvoir vivre libres. Continuez à défendre ces frères les plus vulnérables. Leur présence nous rappelle que nous ne pouvons pas disposer des biens communs selon l’avidité de la consommation. Il faut des limites qui nous aident à nous prémunir contre toute volonté de destruction massive de l’habitat qui nous conditionne.

La reconnaissance de ces peuples – qui ne peuvent jamais être considérés comme une minorité, mais comme d’authentiques interlocuteurs – et de tous les peuples autochtones nous rappelle que nous ne sommes pas les propriétaires absolus de la création. Il urge de prendre en compte la contribution essentielle qu’ils apportent à la société tout entière, de ne pas faire de leurs cultures l’idéal d’un état naturel ni non plus une espèce de musée d’un genre de vie d’antan. Leur cosmovision, leur sagesse ont beaucoup à nous enseigner, à nous qui n’appartenons pas à leur culture. Tous les efforts que nous déploierons pour améliorer la vie des peuples amazoniens seront toujours insuffisants[1].

La culture de nos peuples est signe de vie. L’Amazonie, outre qu’elle constitue une réserve de biodiversité, est également une réserve culturelle que nous devons sauvegarder face aux nouveaux colonialismes. La famille est et a toujours été l’institution sociale qui a contribué le plus à maintenir vivantes nos cultures. Aux moments de crise par le passé, face aux différents impérialismes, la famille des peuples autochtones a été le meilleur rempart de la vie. Un effort spécial nous est demandé pour ne pas nous laisser attraper par les colonialismes idéologiques sous le couvert de progrès qui imprègnent peu à peu en dissipant les identités culturelles et en établissant une pensée uniforme, unique… et fragile. Écoutez les personnes âgées, s’il vous plaît. Elles ont une sagesse qui vous met en contact avec ce qui est transcendant et vous fait découvrir l’essentiel de la vie. N’oublions pas que «la disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale» (Lett. enc. Laudato si’, n. 145). Et la seule manière pour les cultures de ne pas se perdre, c’est d’être dynamiques, toujours en mouvement. Ce que Yésica et Héctor nous ont dit est si important : ‘‘Nous voulons que nos enfants étudient, mais nous  ne voulons pas que l’école efface nos traditions, nos langues ; nous ne voulons pas oublier la sagesse héritée de nos ancêtres’’!

L’éducation nous aide à construire des ponts et à créer une culture de rencontre. L’école et l’éducation des peuples autochtones doivent être une priorité et un devoir pour l’État ; devoir d’intégration et inculturé qui assume, respecte et prend en compte comme un bien de la nation tout entière la sagesse héritée de vos ancêtres, nous faisait remarquer María Luzmila.

Je demande à mes frères évêques, comme on le fait déjà y compris dans les régions les plus reculées de la forêt, de continuer à promouvoir des espaces d’éducation interculturelle et bilingue dans les écoles et dans les instituts pédagogiques ainsi que dans les universités (cf. 5ème Conférence générale de l’Épiscopat Latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida, 29 juin 2007, n. 530). Je salue les initiatives que l’Église amazonienne péruvienne conduit pour la promotion des peuples autochtones: écoles, résidences d’étudiants, centres de recherche et de promotion tels que le Centre Culturel José Pío Aza, le CAAAP et le CETA, des espaces universitaires interculturels novateurs et importants tels que NOPOKI, destinés expressément à la formation des jeunes issus des différentes ethnies de notre Amazonie.

Je salue également tous ces jeunes des peuples autochtones qui s’emploient à élaborer, de votre propre point de vue, une nouvelle anthropologie et œuvrent pour la relecture de l’histoire de vos peuples à partir de votre perspective. Je salue ceux qui, à travers la peinture, la littérature, l’artisanat, la musique, montrent au monde votre cosmovision et votre richesse naturelle. Beaucoup ont écrit et parlé de vous. Il est bon qu’à présent vous vous définissiez vous-mêmes et nous montriez votre identité. Nous avons besoin de vous écouter.

Que de missionnaires, hommes et femmes, se sont dépensés pour vos peuples et ont défendu vos cultures ! Ils l’ont fait, en s’inspirant de l’Évangile. Le Christ s’est incarné aussi dans une culture, la culture juive, et à partir d’elle, il s’est offert à nous comme nouveauté pour tous les peuples, de façon que chacun, à partir de son identité, se retrouve personnellement en lui. Ne succombez pas aux essais, perceptibles, visant à déraciner la foi catholique de vos peuples (cf. ibid., n. 531). Chaque culture et chaque cosmovision qui reçoivent l’Évangile enrichissent l’Eglise par la perception d’une nouvelle facette du visage du Christ. L’Église n’est pas étrangère à votre problématique et à vos vies, elle ne veut pas être étrangère à votre mode de vie et à votre organisation. Pour nous, il est nécessaire que les peuples autochtones modèlent culturellement les Églises locales amazoniennes. J’étais très heureux que certains extraits de Laudato Si aient été lus dans vos langues… Aidez vos évêques, vos missionnaires, afin qu’ils se fassent l’un d’entre vous, et ainsi en dialoguant ensemble, vous pourrez façonner une Église avec un visage amazonien et une Église avec un visage indigène. C’est dans cet esprit que j’ai convoqué un Synode pour l’Amazonie pour l’année 2019. Et la première réunion pré-synodale sera ici, cet après-midi.

Je fais confiance à la capacité d’adaptation des peuples et à leur capacité de réaction face aux situations difficiles à affronter. Cela, ils l’ont démontré lors des différentes crises dans l’histoire, par leurs apports, par leur vision spécifique des relations humaines, par leur environnement et par le témoignage de la foi.

Je prie pour vous, pour votre pays béni par Dieu, et je vous demande, s’il vous plaît, de ne pas oublier de prier pour moi.

Merci beaucoup!
Tinkunakama (Quechua: Au revoir!).

Église en sortie 23 septembre 2016

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Mathieu Bock-Côté, sociologue et chroniqueur au Journal de Montréal qui nous parle des relations entre l’Église catholique et la société québécoise. Nous assistons à la conférence sur l’encyclique « Laudato Sì » du pape François organisée par Développement et Paix dans le cadre du Forum social mondial de Montréal. Dans la troisième partie de l’émission, Francis Denis s’entretient avec Éric Bédard, historien et professeur à TELUQ, sur l’histoire de l’Église catholique au Québec.

Pape au Kenya: Discours à la paroisse St. Joseph de Kangemi à Nairobi

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Ce dimanche 27 novembre 2015, le pape François a visité le quartier pauvre de Kangemi à Nairobi. Vous trouverez ci-dessous le texte officiel de son discours:

Merci de me recevoir dans votre quartier. Merci à Mgr l’Archevêque Kivuva et au Père Pascal pour leurs paroles. En vérité, je me sens comme chez moi, en partageant ce moment avec des frères et des sœurs qui, je n’ai pas honte de le dire, ont une place de choix dans ma vie et dans mes options. Je suis ici pour vous assurer que vos joies et vos espérances, vos angoisses et vos tristesses, ne me sont pas indifférentes. Je connais les difficultés que vous traversez quotidiennement ! Comment ne pas dénoncer les injustices que vous subissez ?

Mais avant tout, je voudrais m’arrêter sur une réalité que les discours d’exclusion n’arrivent pas à reconnaître ou qu’ils semblent ignorer. Je veux parler de la sagesse des quartiers populaires. Une sagesse qui jaillit de la « résistance obstinée de ce qui est authentique » (Laudato Si’, n. 112) des valeurs évangéliques que la société opulente, endormie par la consommation effrénée, semble avoir oubliées. Vous êtes capables de tisser des « liens d’appartenance et de cohabitation, qui transforment l’entassement en expérience communautaire où les murs du moi sont rompus et les barrières de l’égoïsme dépas­sées » (Ibid., n. 149).

La culture des quartiers populaires imprégnée de cette sagesse particulière « a des caractéristiques très positives, qui sont un apport au monde où il nous revient de vivre, elle s’exprime par des valeurs telles que la solidarité ; donner sa vie pour l’autre ; préférer la naissance à la mort ; donner une sépulture chrétienne aux morts. Offrir une place au malade dans sa propre maison, partager le pain avec l’affamé : ‘‘là où 10 mangent, 12 mangent’’ ; la patience et le courage face aux grandes adversités, etc. » (Équipe de Prêtres d’Argentine, Réflexions sur l’urbanisation et la culture de bidonville, 2010). Valeurs qui se fondent sur la vérité que chaque être humain est plus important que le dieu argent. Merci de nous rappeler qu’il y a un autre type de culture possible.

Je voudrais revendiquer en premier lieu ces valeurs que vous pratiquez, des valeurs qui ne sont pas cotées en Bourse, des valeurs qui ne sont pas objet de spéculation, ni n’ont pas de prix sur le marché. Je vous félicite, je vous accompagne et je veux que vous sachiez que le Seigneur ne vous oublie jamais. Le chemin de Jésus commence dans les périphéries, il part des pauvres et avec les pauvres, et va vers tous.

Reconnaître ces manifestations de vie honnête qui grandissent chaque jour au milieu de vous n’implique, en aucune manière, d’ignorer l’atroce injustice de la marginalisation urbaine. Celle-ci, ce sont les blessures provoquées par les minorités qui concentrent le pouvoir, la richesse et gaspillent de façon égoïste tandis que des majorités toujours croissantes sont obligées de se réfugier dans des périphéries abandonnées, contaminées, marginalisées.

Cela s’aggrave lorsque nous voyons l’injuste distribution de la terre (peut-être pas dans ce quartier, mais sûrement dans d’autres) qui conduit dans beaucoup de cas des familles entières à payer des loyers exorbitants pour des logements qui se trouvent dans des conditions inadéquates. Je connais aussi le grave problème de l’accaparement de terres par des ‘‘promoteurs privés’’ sans visage qui vont jusqu’à vouloir s’approprier la cour des écoles de vos enfants. Cela se passe parce qu’on oublie que « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne » (Centesimus annus n. 31).

Dans ce sens, un grave problème est le manque d’accès aux infrastructures et aux services de base. Je me réfère aux toilettes, aux égouts, aux drainages, à la collecte des déchets, à l’éclairage, aux routes mais aussi aux écoles, aux hôpitaux, aux centres de loisir et de sport, aux ateliers d’art. Je veux me référer en particulier à l’eau potable. « L’accès à l’eau potable et sûre est un droit humain primordial, fondamental et uni­versel, parce qu’il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une condition pour l’exercice des autres droits humains. Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à l’eau po­table, parce que c’est leur nier le droit à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable » (Laudato Si’, n. 30). Priver une famille d’eau, sous quelque prétexte bureaucratique, est une grande injustice, surtout lorsqu’on se fait du profit avec cette nécessité.

Cette situation d’indifférence et d’hostilité que subissent les quartiers populaires s’aggrave lorsque la violence se généralise et que les organisations criminelles, au service d’intérêts économiques ou politiques, utilisent des enfants et des jeunes comme ‘‘chair à canon’’ pour leurs affaires entachées de sang. Je connais aussi les souffrances des femmes qui luttent héroïquement pour préserver leurs enfants de ces dangers. Je demande à Dieu que les autorités empruntent avec vous la voie de l’inclusion sociale, de l’éducation, du sport, de l’action communautaire et de la protection des familles parce que c’est l’unique garantie d’une paix juste, véritable et durable.

Ces réalités que j’ai énumérées ne sont pas une combinaison fortuite de problèmes isolés. Elles sont même une conséquence de nouvelles formes de colonialisme qui veut encore que les pays africains soient « les pièces d’un mécanisme, les parties d’un engrenage gigantesque » (Ecclesia in Africa, n. 52).

De fait, les pressions ne manquent pas pour que soient adoptées des politiques de marginalisation, comme celle de la réduction de la natalité, qui veulent « légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où une minorité se croit le droit de consommer dans une proportion qu’il serait impossible de généraliser » (Laudato Si’, n. 50).

En ce sens, je propose de revenir sur l’idée d’une intégration urbaine respectueuse. Ni éradication, ni paternalisme, ni indifférence, ni pur confinement. Nous avons besoin de villes intégrées et pour tous. Nous avons besoin de dépasser la pure déclaration de droits qui, en pratique, ne sont pas respectés, de réaliser des actions systématiques améliorant l’habitat populaire et de planifier de nouvelles urbanisations de qualité pour héberger les futures générations. La dette sociale, la dette environnementale envers les pauvres des villes se paie en rendant effectif le droit sacré aux trois ‘‘T’’ : terre, toit, et travail. Ce n’est pas de la philanthropie, c’est une obligation pour tous.

Je voudrais appeler tous les chrétiens, en particulier les pasteurs, à renouveler l’impulsion missionnaire, à prendre l’initiative face à tant d’injustices, à s’impliquer dans les problèmes des voisins, à les accompagner dans leurs luttes, à préserver les fruits de leur travail communautaire et à célébrer ensemble chaque victoire, petite ou grande. Je sais qu’ils font beaucoup, mais je leur demande de se souvenir qu’il ne s’agit pas d’une tâche de plus ; c’est peut-être la plus importante, parce que « les pauvres sont les destinataires privilégiés de l’Evangile » (Benoît XVI, Discours à l’occasion de la rencontre avec l’Episcopat brésilien, 11 mai 2007, n. 3).

Chers voisins, chers frères, prions, travaillons et engageons-nous ensemble pour que toute famille ait un toit digne, ait accès à l’eau potable, ait des toilettes, ait de l’énergie sûre pour s’éclairer, cuisiner, puisse améliorer ses logements… afin que tout quartier ait des routes, des places, des écoles, des hôpitaux, des espaces de sport, de loisir et d’art ; afin que les services de base arrivent à chacun d’entre vous ; afin qu’on écoute vos réclamations et votre demande d’opportunités ; afin que tous puissent jouir de la paix et de la sécurité qu’ils méritent conformément à leur dignité humaine infinie. Mungu awabariki (Que Dieu vous bénisse !)

Je vous le demande, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi !

Vue d’ensemble de l’encyclique « Laudato Si »

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Cité du Vatican, 17 juin (VIS).

Instrument pour une première lecture de l’encyclique, le texte qui suit aide à en comprendre la dynamique d’ensemble et à en extraire les lignes de force. Les trois premières pages présentent l’encyclique dans son ensemble, avant de décrire les chapitres en reprenant des passages-clef. Les deux dernières pages présentent le sommaire dans son intégralité.

Un regard d’ensemble:

« Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent? Cette interrogation est au cœur de Laudato Si’, l’encyclique attendue du Pape François sur le soin de notre maison commune. Le Pape poursuit: Cette question ne concerne pas seulement l’environnement de manière isolée, parce qu’on ne peut pas poser la question de manière fragmentaire, et ceci conduit à s’interroger sur le sens de l’existence et de ses valeurs à la base de la vie sociale: Pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous? Si cette question de fond n’est pas prise en compte, dit le Souverain Pontife, je ne crois pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets significatifs. L’encyclique prend le nom de l’invocation de saint François Loué sois-tu mon Seigneur du Cantique des Créatures, qui rappelle que la terre, notre maison commune, est « comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts. Nous-mêmes sommes terre. Notre corps est lui-même constitué des éléments de la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure. Aujourd’hui, cette terre, maltraitée et saccagée, pleure, et ses gémissements rejoignent ceux de tous les laissés-pour-compte dans le monde. Le Pape François invite à les écouter, en sollicitant chacun de nous, individus, familles, collectivités locales, nations et communauté internationale à une conversion écologique, selon l’expression de Jean-Paul II, c’est-à-dire changer de cap, en assumant la beauté et la responsabilité d’un engagement pour le soin de notre maison commune. Dans le même temps, le Pape François reconnaît une sensibilité croissante concernant aussi bien l’environnement que la protection de la nature, et une sincère et douloureuse préoccupation qui grandit pour ce qui arrive à notre planète, légitimant ainsi un regard d’espérance qui ponctue toute l’encyclique, et envoie à tous un message clair et plein d’espérance: L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune- L’être humain est encore capable d’intervenir positivement, tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer.

Le Pape François s’adresse bien sûr aux fidèles catholiques, en reprenant les paroles de Jean-Paul II: Les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi, mais propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet notre maison commune. Le dialogue parcourt tout le texte, et dans le chapitre 5, devient un instrument pour affronter et résoudre les problèmes. Depuis toujours, le Pape François rappelle que d’autres Eglises et communautés chrétiennes, comme aussi d’autres religions, ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur le thème de l’écologie. Il en assume même explicitement la contribution, en citant amplement le cher Patriarche oecuménique Barthélémy. A plusieurs reprises, le souverain pontife remercie les protagonistes de cet engagement que ce soient des individus, des associations ou des institutions, en reconnaissant que la réflexion d’innombrables scientifiques, philosophes, théologiens et organisations sociales qui ont enrichi la pensée de l’Eglise sur ces questions, et invite chacun à reconnaître la richesse que les religions peuvent offrir pour une écologie intégrale et pour et pour un développement plénier de l’humanité.

L’itinéraire de l’encyclique est tracé au paragraphe 15, et s’articule en six chapitres. On passe d’une écoute de la situation à partir des meilleurs données scientifiques disponibles (chapitre 1), à la confrontation avec la Bible et la tradition judéo-chrétienne (chapitre 2), en identifiant les racines des problèmes (chapitre 3) posés par la technocratie et un repli auto-référentiel excessif de l’être humain. La proposition de l’encyclique (chapitre

4) est celle d’une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales, inséparablement liée à la question environnementale. Dans cette perspective, le Pape François propose (chapitre 5) d’avoir, à chaque niveau de la vie sociale, économique et politique, un dialogue honnête qui structure des processus de décision transparents, et rappelle (chapitre 6) qu’aucun projet ne peut être efficace s’il n’est pas animé d’une conscience formée et responsable, en donnant des pistes éducatives, spirituelles, ecclésiales, politiques et théologiques pour croître dans cette direction. Le texte s’achève par deux prières, l’une s’adressant à ceux qui croient en un Dieu Créateur et Tout Puissant, et l’autre proposée à ceux qui professent la foi en Jésus-Christ, rythmée par la ritournelle du Laudato Si’ qui ouvre et ferme l’encyclique. L’encyclique est traversée par plusieurs axes thématiques, traités selon diverses perspectives, qui lui donnent une forte unité: L’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète, la conviction que tout est lié dans le monde, la critique du nouveau paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie, l’invitation à chercher d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès, la valeur propre de chaque créature, le sens humain de l’écologie, la nécessité de débats sincères et honnêtes, la grave responsabilité de la politique internationale et locale, la culture du déchet et la proposition d’un nouveau style de vie.

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