Église en sortie 27 janvier 2017

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Daniel Paradis, responsable de l’organisme Présence-Compassion qui nous parle de cette initiative au service des itinérants du centre-ville de Montréal. L’abbé Claude Paradis nous offre sa première chronique des actualités de la rue de l’année 2017. Dans la troisième partie de l’émission, Francis Denis s’entretient avec Mme Estelle Drouvin sur le Centre de Services de justice réparatrice dont elle est la coordonnatrice.

Le pape François et la révolution médiatique

CNS photo/Paul Jeffrey

Ce mardi 24 janvier 2017, le pape François publiait comme à chaque année un message pour la Journée mondiale des communications sociales qui aura lieu le 28 mai prochain. Le message de cette année, « Ne crains pas, car je suis avec toi » (Is 43,5), s’adresse principalement aux artisans des médias qu’il appelle au discernement et à la responsabilité pour, selon les mots mêmes du Pape, qu’ils entrent « dans la logique de la Bonne nouvelle ».

Développer un bon discernement

Nous sommes tous des « consommateurs » de nouvelles. Toute personne est influencée par ce qu’elle voit, ce qu’elle entend et c’est d’autant plus vrai lorsque ces informations proviennent des médias, ceux-ci jouissant d’une crédibilité et d’une audience accrues. On aurait cependant tort de croire que les médias eux-mêmes sont au-dessus de la mêlée. En effet, les plus grands consommateurs de nouvelles ne sont-ils pas les journalistes et commentateurs eux-mêmes ? En cette époque ou tout et n’importe quoi peut devenir une nouvelle, ou la qualité de l’information peut être facilement mise de côté au profit de la quantité, tous doivent développer un bon jugement sur ce qui est important, pertinent, intéressant, approprié, etc. Pour le Pape, il est impératif de travailler à produire une « communication constructive qui, en rejetant les préjugés envers l’autre, favorise une culture de la rencontre grâce à laquelle il est possible d’apprendre à regarder la réalité en toute confiance ».

Une interprétation responsable

Il est vrai que cette relation de « confiance » de la population envers les médias en général a déjà connu des jours meilleurs. Plusieurs sont de plus en plus critiques devant une certaine orientation dans l’interprétation que l’on donne aux événements et on les soupçonne parfois d’être les marionnettes d’intérêts sous-jacents. Comme le dit le Pape : « Tout dépend du regard avec lequel elle est saisie, des « lunettes » à travers lesquelles on choisit de la regarder: en changeant les verres, la réalité aussi apparaît différente ». C’est pourquoi, selon lui, les artisans des médias devraient changer leurs « verres » en incarnant un « style ouvert et créatif » et qui « cherchant à mettre en lumière les solutions possibles » ne se limitent pas à mettre toujours au premier plan les mauvaises nouvelles.

Cette « logique de la bonne nouvelle » ne doit pas, comme le dit François « promouvoir une désinformation où le drame de la souffrance serait ignoré, ni de tomber dans un optimisme naïf » mais plutôt favoriser une présentation dans laquelle, même les pires événements, peuvent être le lieu de l’expression du bien. « Tout nouveau drame qui arrive dans l’histoire du monde devient aussi le scénario d’une possible bonne nouvelle ». Par exemple, lors de la présentation d’une catastrophe, un média responsable pourrait mettre l’accent sur les manifestations de courage et d’abnégation des secouristes. Cela, loin de minimiser la gravité d’une tragédie, contribuerait à promouvoir les vertus dont la société a grandement besoin et, ainsi, stimulerait l’implication des auditeurs. Comme le dit le Pape, une éthique journalistique conforme à la logique de la Bonne nouvelle permet de « dépasser ce sentiment de mécontentement et de résignation qui nous saisit souvent, nous plongeant dans l’apathie, et provoquant la peur ou l’impression qu’on ne peut opposer de limites au mal. »

Que ce soit par l’appel au jugement dans le discernement des nouvelles à privilégier ou encore par l’angle sous lequel les médias devraient présenter la nouvelle, le message du pape François pour la Journée mondiale des communications sociales présente plusieurs idées ingénieuses. Dans un monde où trop souvent la tentation du cynisme éteint le désir de l’améliorer, une révolution médiatique comme le propose le successeur de Pierre mérite que nous y réfléchissions et que nous y travaillions. Nous qui, dans cette ère de médias sociaux, sommes tous des communicateurs !

 

Homélie du pape François lors de la célébration des Vêpres de la Fête de la Conversion de saint Paul

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du pape François tel que prononcé lors de la cérémonie des Vêpres pour la Fête de la conversion de Saint-Paul en la basilique papale de Saint-Paul-Hors-les-Murs. Vous pouvez également consultez au lien suivant le livret de la célébration.

La rencontre avec Jésus sur la route vers Damas transforme radicalement la vie de saint Paul. À partir de ce moment, pour lui la signification de l’existence ne réside plus dans la confiance en ses propres forces pour observer scrupuleusement la Loi, mais dans l’adhésion de toute sa personne à l’amour gratuit et immérité de Dieu, à Jésus Christ crucifié et ressuscité. Ainsi, il connaît l’irruption d’une nouvelle vie, la vie selon l’Esprit, dans laquelle, par la puissance du Seigneur ressuscité, il fait l’expérience du pardon, de la familiarité et du réconfort. Et Paul ne peut garder pour lui-même cette nouveauté : il est poussé par la grâce à proclamer la joyeuse nouvelle de l’amour et de la réconciliation que Dieu offre pleinement dans le Christ à l’humanité.

Pour l’Apôtre des nations la réconciliation de l’homme avec Dieu, dont il est devenu ambassadeur (cf. 2 Cor 5, 20), est un don qui vient du Christ. Cela apparaît avec clarté dans le texte de la Deuxième Lettre aux Corinthiens, dont est extrait cette année le thème de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens: ‘‘L’amour du Christ nous pousse à la réconciliation’’ (cf. 2 Cor 5, 14- 20). ‘‘L’amour du Christ’’: il ne s’agit pas de notre amour pour le Christ, mais de l’amour que le Christ a pour nous. De même, la réconciliation vers laquelle nous sommes poussés n’est pas simplement notre initiative: c’est en premier lieu la réconciliation que Dieu nous offre dans le Christ. Avant d’être un effort humain de croyants qui cherchent à surmonter leurs divisions, c’est un don gratuit de Dieu. Comme effet de ce don, la personne, pardonnée et aimée, est appelée à son tour à proclamer l’évangile de la réconciliation en paroles et en actes, à vivre et à témoigner d’une existence réconciliée.

Dans cette perspective, nous pouvons nous demander aujourd’hui: comment proclamer cet évangile de réconciliation après des siècles de divisions? C’est Paul lui-même qui nous aide à trouver la voie. Il souligne que la réconciliation dans le Christ ne peut se réaliser sans sacrifice. Jésus a donné sa vie, en mourant pour tous. De même, les ambassadeurs de la réconciliation sont appelés, en son nom, à donner leur vie, à ne plus vivre pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour eux (cf. 2 Cor 5, 14-15). Comme Jésus l’enseigne, ce n’est que lorsque nous perdons la vie par amour pour lui que nous la gagnons vraiment (cf. Lc 9, 24). C’est la révolution que Paul a vécue, mais c’est la révolution chrétienne de toujours: ne plus vivre pour nous-mêmes, pour nos intérêts et retours d’image, mais à l’image du Christ, pour lui et selon lui, avec son amour et dans son amour.

Pour l’Église, pour chaque confession chrétienne, c’est une invitation à ne pas se fonder sur les programmes, sur les calculs et les avantages, à ne pas se fier aux opportunités et aux modes du moment, mais à chercher la vie en regardant toujours la croix du Seigneur: voilà notre programme de vie. C’est également une invitation à sortir de tout isolement, à surmonter la tentation de l’autoréférentialité, qui empêche de saisir ce que l’Esprit Saint réalise hors des milieux de chacun. Une réconciliation authentique parmi les chrétiens pourra se réaliser lorsque nous saurons reconnaître les dons les uns des autres et que nous serons capables, avec humilité et docilité, d’apprendre les uns des autres, sans attendre que ce soient les autres qui apprennent d’abord de nous.

Si nous vivons cette mort à nous-mêmes pour Jésus, notre vieux style de vie est relégué dans le passé et, comme cela est arrivé à saint Paul, nous entrons dans une nouvelle forme d’existence et de communion. Avec Paul, nous pourrons dire: «Le monde ancien s’en est allé» (2 Cor 5, 17). Jeter un regard en arrière aide et est d’autant plus nécessaire pour purifier la mémoire, mais être rivé au passé, en s’attardant à rappeler les torts subis et faits et en jugeant avec des paramètres uniquement humains, peut paralyser et empêcher de vivre le présent. La Parole de Dieu nous encourage à tirer force de la mémoire, à nous rappeler le bien reçu du Seigneur; mais elle nous demande aussi de laisser derrière nous le passé pour suivre Jésus dans l’aujourd’hui et pour vivre une vie nouvelle en lui. Permettons à Celui qui fait toute chose nouvelle (cf. Ap 21, 5) de nous orienter vers un avenir nouveau, ouvert à l’espérance que ne déçoit pas, un avenir dans lequel les divisions pourront être surmontées et les croyants, renouvelés dans l’amour, seront unis pleinement et de manière visible.

Tandis que nous cheminons sur la voie de l’unité, cette année, nous nous souvenons spécialement du cinquième centenaire de la Réforme protestante. Le fait qu’aujourd’hui catholiques et luthériens puissent se rappeler ensemble un événement qui a divisé les chrétiens, et qu’ils le fassent avec espérance, en mettant l’accent sur Jésus et sur son œuvre de réconciliation, est une étape remarquable, atteinte grâce à Dieu et à la prière, à travers cinquante ans de connaissance réciproque et de dialogue œcuménique.

En invoquant de Dieu le don de la réconciliation avec lui et entre nous, j’adresse mes salutations cordiales et fraternelles à Son Éminence le Métropolite Gennadios, représentant du Patriarche œcuménique, à Sa Grâce David Moxon, représentant personnel à Rome de l’Archevêque de Canterbury, et à tous les représentants des diverses Églises et Communautés ecclésiales ici réunis. Il m’est particulièrement agréable de saluer les membres de la Commission mixte pour le dialogue théologique entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes orientales, auxquels je souhaite un fructueux travail pour la session plénière qui se tient ces jours-ci. Je salue également les étudiants de l’Ecumenical Institute of Bossey, en visite à Rome pour approfondir leur connaissance de l’Église catholique, ainsi que les jeunes orthodoxes et les orthodoxes orientaux qui étudient à Rome grâce aux bourses d’étude du Comité de Collaboration Culturelle avec les Églises orthodoxes, qui œuvre auprès du Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens. J’exprime mon estime et ma gratitude aux Supérieurs et à tous les Collaborateurs de ce Dicastère.

Chers frères et sœurs, notre prière pour l’unité des chrétiens est une participation à la prière que Jésus a adressée à son Père avant la passion pour «que tous soient un» (Jn 17, 21). Ne nous laissons jamais de demander à Dieu ce don. Dans l’attente patiente et confiante que le Père accordera à tous les croyants le bien de la pleine communion visible, allons de l’avant sur notre chemin de réconciliation et de dialogue, encouragés par le témoignage héroïque de nombreux frères et sœurs, unis hier et aujourd’hui dans la souffrance pour le nom de Jésus. Profitons de chaque moment que la Providence nous offre pour prier ensemble, pour évangéliser ensemble, pour aimer et servir ensemble, surtout qui est plus pauvre et plus délaissé.
[00138-FR.01] [Texte original: Italien]

Message du Pape François pour la journée mondiale des communications sociales (28 mai 2017)

CNS photo/Tolga Bozoglu, EPA

Le thème 2017 pour la journée mondiale des communications sociales est  » Ne crains pas, car je suis avec toi » (Is 43, 5): communiquer l’espérance et la confiance en notre temps. Chaque année, ce message est publié le 24 janvier, fête de Saint-François de Sales, saint patron des journalistes et communicateurs. Cette journée est généralement commémorée à une date près du dimanche de la Pentecôte. Vous trouverez ci-dessous le texte complet de ce message du pape François:

«Ne crains pas, car je suis avec toi» (Is 43,5).
Communiquer l’espérance et la confiance en notre temps

L’accès aux médias, grâce au développement technologique, est tel que beaucoup de gens ont la possibilité de partager instantanément l’information et de la diffuser de manière capillaire. Ces informations peuvent être bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses. Par le passé, nos pères dans la foi parlaient de l’esprit humain comme de la meule d’un moulin qui, actionnée par l’eau, ne peut pas être arrêtée. Celui qui est responsable du moulin a cependant la possibilité de décider de moudre du grain ou de l’ivraie. L’esprit de l’homme est toujours en action et ne peut cesser de « moudre » ce qu’il reçoit, mais c’est à nous de décider de quel matériel l’approvisionner (cf. Cassien le Romain, Lettre à Léonce Higoumène).

Je voudrais que ce message puisse atteindre et encourager tous ceux qui, dans leur milieu professionnel ou dans leurs relations personnelles, « moulent » chaque jour beaucoup d’informations pour offrir un pain frais et bon à ceux qui se nourrissent des fruits de leur communication. Je voudrais exhorter chacun à une communication constructive qui, en rejetant les préjugés envers l’autre, favorise une culture de la rencontre grâce à laquelle il est possible d’apprendre à regarder la réalité en toute confiance.

Je pense qu’il faut briser le cercle vicieux de l’anxiété et endiguer la spirale de la peur, fruit de l’habitude de concentrer l’attention sur les « mauvaises nouvelles » (les guerres, le terrorisme, les scandales et toutes sortes d’échec dans les affaires humaines). Il ne s’agit pas évidemment de promouvoir une désinformation où le drame de la souffrance serait ignoré, ni de tomber dans un optimisme naïf qui ne se laisse pas atteindre par le scandale du mal. Je voudrais, au contraire, que tous nous cherchions à dépasser ce sentiment de mécontentement et de résignation qui nous saisit souvent, nous plongeant dans l’apathie, et provoquant la peur ou l’impression qu’on ne peut opposer de limites au mal. D’ailleurs, dans un système de communication où domine la logique qu’une bonne nouvelle n’a pas de prise et donc ne constitue pas une nouvelle, et où le drame de la souffrance et le mystère du mal sont facilement donnés en spectacle, il peut être tentant d’anesthésier la conscience ou de tomber dans le désespoir.

Je voudrais donc apporter une contribution à la recherche d’un style ouvert et créatif de communication qui ne soit jamais disposé à accorder au mal un premier rôle, mais qui cherche à mettre en lumière les solutions possibles,  inspirant une approche active et responsable aux personnes auxquelles l’information est communiquée. Je voudrais inviter à offrir aux hommes et aux femmes de notre temps des récits marqués par la logique de la « bonne nouvelle ».

La bonne nouvelle

La vie de l’homme n’est pas seulement une chronique aseptisée d’événements, mais elle est une histoire, une histoire en attente d’être racontée à travers le choix d’une clé de lecture qui permet de sélectionner et de recueillir les données les plus importantes. La réalité, en soi, n’a pas une signification univoque. Tout dépend du regard avec lequel elle est saisie, des « lunettes » à travers lesquelles on choisit de la regarder: en changeant les verres, la réalité aussi apparaît différente. D’où pouvons-nous donc partir pour lire la réalité avec de bonnes « lunettes »?

Pour nous chrétiens, les lunettes appropriées pour déchiffrer la réalité, ne peuvent être que celles de la bonne nouvelle, de la Bonne Nouvelle par excellence: «l’Evangile de Jésus, Christ, Fils de Dieu» (Mc 1,1). Avec ces mots, l’Evangéliste Marc commence son récit par l’annonce de la « bonne nouvelle » qui concerne Jésus,  mais plus qu’une information sur Jésus, c’est plutôt la bonne nouvelle qui est Jésus lui-même. En lisant les pages de l’Évangile, on découvre en effet, que le titre de l’œuvre correspond à son contenu et, surtout, que ce contenu est la personne même de Jésus.

Cette bonne nouvelle qui est Jésus lui-même, n’est pas bonne car dénuée de souffrance, mais parce que la souffrance aussi est vécue dans un cadre plus large, comme une partie intégrante de son amour pour le Père et pour l’humanité. En Christ, Dieu s’est rendu solidaire avec toutes les situations humaines, nous révélant que nous ne sommes pas seuls parce que nous avons un Père qui ne peut jamais oublier ses enfants. «Ne crains pas, car je suis avec toi» (Is 43,5) sont les paroles consolatrices d’un Dieu qui depuis toujours s’est impliqué dans l’histoire de son peuple. En son Fils bien-aimé, cette promesse de Dieu – «Je suis avec toi » – arrive à assumer toute notre faiblesse, jusqu’à mourir de notre mort. En Lui aussi les ténèbres et la mort deviennent des lieux de communion avec la Lumière et la Vie. Ainsi, une espérance voit le jour, accessible à tous, à l’endroit même où la vie connaît l’amertume de l’échec. C’est une espérance qui ne déçoit pas, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs (cf. Rm 5,5) et fait germer la vie nouvelle comme la plante germe du grain jeté en terre. Dans cette lumière tout nouveau drame qui arrive dans l’histoire du monde devient aussi le scénario d’une possible bonne nouvelle, car l’amour parvient toujours à trouver le chemin de la proximité et à susciter des cœurs capables de s’émouvoir, des visages capables de ne pas se décourager, des mains prêtes à construire.

La confiance dans la semence du Royaume

Pour introduire ses disciples et les foules à cet état d’esprit évangélique et leur donner les bonnes « lunettes » pour approcher la logique de l’amour qui meurt et ressuscite, Jésus utilisait les paraboles, dans lesquelles le Royaume de Dieu est souvent comparé à la semence, qui libère sa puissance vitale justement quand elle meurt dans le sol (cf. Mc 4,1 à 34). L’utilisation d’images et de métaphores pour communiquer l’humble puissance du Royaume n’est pas une façon d’en réduire l’importance et l’urgence, mais la forme miséricordieuse qui laisse à l’auditeur l’ »espace » de liberté pour l’accueillir et la rapporter aussi à lui-même. En outre, elle est le chemin privilégié pour exprimer l’immense dignité du Mystère Pascal, laissant les images – plus que les concepts – communiquer la beauté paradoxale de la vie nouvelle dans le Christ, où les hostilités et la croix n’empêchent pas, mais réalisent le salut de Dieu, où la faiblesse est plus forte que toute puissance humaine, où l’échec peut être le prélude à l’accomplissement le plus grand de toutes choses dans l’amour. Et c’est justement ainsi, en réalité, que mûrit et s’approfondit l’espérance du Royaume de Dieu: « Comme d’un homme qui aurait jeté du grain en terre : qu’il dorme et qu’il se lève, nuit et jour, la semence germe et pousse »  (Mc 4,26-27)

Le Royaume de Dieu est déjà parmi nous, comme une graine cachée à un regard superficiel et dont la croissance se fait en silence. Celui qui a des yeux rendus clairs par l’Esprit Saint peut le voir germer et ne se laisse pas voler la joie du Royaume par les mauvaises herbes toujours présentes.

Les horizons de l’Esprit

L’espérance fondée sur la bonne nouvelle qui est Jésus nous fait lever les yeux et nous pousse à le contempler dans le cadre liturgique de la Fête de l’Ascension. Bien qu’il semble que le Seigneur s’éloigne de nous, en fait, les horizons de l’espérance s’élargissent. Effectivement, chaque homme et chaque femme, dans le Christ, qui élève notre humanité jusqu’au Ciel, peut librement «entrer dans le sanctuaire grâce au sang de Jésus, chemin nouveau et vivant qu’il a inauguré pour nous en franchissant le rideau du Sanctuaire, c’est-à-dire sa chair » (He 10, 19-20). A travers « la force de l’Esprit Saint » nous pouvons être «témoins» et communicateurs d’une humanité nouvelle, rachetée, « jusqu’aux extrémités de la terre» (cf. Ac 1,7-8).

La confiance dans la semence du Royaume de Dieu et dans la logique de Pâques ne peut que façonner aussi la manière dont nous communiquons. Cette confiance nous permet d’agir – dans les nombreuses formes de communication d’aujourd’hui – avec la conviction qu’il est possible d’apercevoir et d’éclairer la bonne nouvelle présente dans la réalité de chaque histoire et dans le visage de toute personne.

Celui qui, avec foi, se laisse guider par l’Esprit Saint devient capable de discerner en tout évènement ce qui se passe entre Dieu et l’humanité, reconnaissant comment Lui-même, dans le scénario dramatique de ce monde, est en train de tisser la trame d’une histoire de salut. Le fil avec lequel est tissée cette histoire sacrée est l’espérance, et son tisserand est nul autre que l’Esprit Consolateur. L’espérance est la plus humble des vertus, car elle reste cachée dans les plis de la vie, mais elle est comme le levain qui fait lever toute la pâte. Nous la cultivons en lisant encore et encore la Bonne Nouvelle, l’Evangile qui a été « réédité » en de nombreuses éditions dans la vie des saints, des hommes et des femmes qui sont devenus des icônes de l’amour de Dieu. Aujourd’hui encore c’est l’Esprit qui sème en nous le désir du Royaume, à travers de nombreux « canaux »  vivants, par le biais de personnes qui se laissent conduire par la Bonne Nouvelle au milieu du drame de l’histoire et qui sont comme des phares dans l’obscurité de ce monde, qui éclairent la route et ouvrent de nouveaux chemins de confiance et d’espérance.

(Tratto dall’archivio della Radio Vaticana)

Église en sortie 13 janvier 2017

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Mgr Noël Simard, évêque de Valleyfield et membre du Conseil Église et société de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec, qui nous parle du document « Des solidarités à reconstituer et à reconstruire ». On vous présente également un reportage sur la distribution des paniers de Noël du Conseil 3193-Côte Saint-Paul des Chevaliers de Colomb de Montréal.

« Défi Mannequin » spécial Noël de Sel + Lumière

Vous connaissez le «mannequin challenge» (Défi mannequin). L’équipe de Sel et Lumière Toronto s’est mis de la partie avec son « défi mannequin spécial Noël ». JOYEUX NOËL à tous!

Top 10 de l’actualité catholique 2016


CNS/Paul Haring
La fin de l’année civile est toujours l’occasion des bilans et rétrospectives sur ce qui nous a marqués particulièrement durant l’année. Cette opération tout à fait normale nous aide à faire le point pour voir où nous nous situons comme personne par rapport aux évènements passés et ainsi nous préparer mentalement pour ce qui se présentera au courant de l’année qui vient. Ce qui est vrai personnellement l’est également pour toute institution, l’Église catholique comprise. Je vous offre donc ce que je considère être le top dix des évènements les plus marquants de cette année 2016 tant au niveau de l’Église universelle que des églises particulières.

1.Année de la Miséricorde

Le thème de cette année était évidemment celui de la Miséricorde divine. Le pape François avait organisé son horaire en fonction de ce Mystère et de sa préoccupation que tous puissent faire l’expérience de ce Dieu qui pardonne. Ce fut notamment le cas lors des différentes audiences générales jubilaires du samedi où, une fois par mois, le pape a approfondi ce thème central de la Révélation chrétienne qu’est la Miséricorde de Dieu. Un autre élément important, et certainement le plus fatiguant pour le Souverain Pontife, fut sa participation à de nombreuses activités jubilaires organisées par la Congrégation pour la Nouvelle Évangélisation telles que le Jubilé des malades, des prisonniers, des personnes âgées, des prêtres, des diacres, des religieux, etc. Enfin, plusieurs portes de la Miséricorde furent ouvertes dans des sanctuaires et des cathédrales du monde entier. Reprenant la riche tradition des Portes saintes et des indulgences qui y sont rattachées, cette initiative aura certainement permis de rendre les grâces de cette année accessibles au plus grand nombre.

2. Voyages du pape François

Cette année ne fut pas de tout repos pour le pape François. En effet, il s’est rendu dans  plusieurs pays aux cultures diverses manifestant toujours une attention particulière aux plus pauvres. Notons son voyage apostolique au Mexique où il s’est s’adressé à tous les citoyens de ce pays d’Amérique du Nord, ne laissant pas sous silence les nombreux défis auxquels il doit faire face, notamment, la pauvreté et les violences liées au narco-trafic. Le pape s’est également rendu dans des pays marqués par des tensions géopolitiques profondes. Jouant son rôle de « premier diplomate mondial », il a su construire les ponts nécessaires à la paix dans la région du Caucase. C’est ainsi qu’il s’est rendu en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie comme interlocuteur en faveur d’un rapprochement à la fois d’un point de vue politique, œcuménique et interreligieux.

Sous ce même thème de l’œcuménisme, soulignons sa visite en Suède pour commémorer le 500e anniversaire de la Réforme protestante. Cette visite fut, notamment, l’occasion pour le Saint-Père et les plus hautes autorités luthériennes de témoigner de leur volonté réciproque en faveur de l’unité des chrétiens par la signature d’une Déclaration commune qui restera certainement l’héritage par excellence de cette visite historique.

3. Journées mondiales de la jeunesse

Toujours dans le registre des voyages apostoliques du pape François, les Journées mondiales de la jeunesse de Cracovie, en Pologne, ont certainement occupé une place centrale dans le cœur du pape François. À ce propos, Émilie Callan, journaliste à Sel & Lumière et présente à ces journées, disait, à l’émission de fin d’année d’Église en sortie : « Contrairement aux autres JMJ où les jeunes pèlerins venaient comme missionnaires, cette fois-ci, les jeunes sont venus se ressourcer dans un pays à la foi forte et vivante ». Pays de la Miséricorde divine s’il en est un, les pèlerinages au monastère et sanctuaire liés aux apparitions à Sainte Faustine, auront certainement permis aux jeunes d’approfondir la joie de l’Évangile. Notons que tous ont également pu participer aux JMJ encore cette année par l’entremise des médias comme Sel + Lumière. Vous offrir une couverture spéciale de ces JMJ aura encore été cette année, un plaisir et une joie. En ce sens, vous pouvez revivre tous ces évènements ou lire les discours du Pape sur notre blogue en cliquant sur le lien suivant.


4. Canonisation de Mère Teresa

Un autre évènement important de la vie de l’Église universelle fut certainement la canonisation de Mère Teresa. En effet, le monde entier attendait avec impatience l’élévation à la gloire des autels de celle que l’on surnommait déjà durant sa vie « la petite sainte de Calcutta ». Bien qu’une certaine presse, confondant esprit critique et cynisme revanchard, ait tenté de détourner l’attention de cet exemple de don de soi pour les plus pauvres d’entre les pauvres, le monde a applaudi cette ultime reconnaissance de l’Église. À une époque où l’on voit s’effriter les droits des plus vulnérables de nos sociétés, cette déclaration solennelle fut également l’occasion de remettre à l’avant-scène les injustices subies par de nombreuses personnes. C’est le cas particulièrement des enfants à naître et des personnes âgées qui sont parmi les plus grandes victimes dans nos sociétés dites « avancées » gangrénée par la « culture du déchet ».

5. Publication d’Amoris Laetitia

La publication de la très attendue Exhortation apostolique post-synode Amoris Laetitia a également fait couler beaucoup d’encre. Loin de se laisser entraîner dans les différentes polémiques autour de la question de la communion des divorcés remariés civilement, le document se veut une magnifique réflexion sur la beauté de l’amour humain. En ce sens, ce document évite d’abord de tomber dans deux écueils qui sont, d’un côté, la vision romantique de l’amour et, de l’autre, la vision dite « réaliste » du mariage qui tend à en réduire la grandeur suite aux nombreux exemples d’échecs de celui-ci dans les sociétés occidentales.  Enfin, tous seront servis puisqu’il s’adresse aux différents ministères et vocations dans l’Église tout en gardant une attention particulière pour les couples et familles, premiers concernés. Comme le dit le Pape, à lire et à méditer « lentement » !

6. Terrorisme islamique

Cette année a également eu son lot de tragédies et de meurtres insensés contre des personnes innocentes. Affirmant à plusieurs reprises que « la violence au nom de Dieu est un blasphème », le Pape ne s’est toutefois pas arrêté à ces fortes condamnations. Il a manifesté un accueil et une présence auprès des victimes des différents attentats terroristes. Ce fut notamment le cas lors d’une audience spéciale organisée pour les familles des victimes des attentats terroristes de Nice en la Salle Paul VI au Vatican.

De plus, alors que les JMJ de Cracovie battaient leur plein, une deuxième attaque faisait une nouvelle victime en la personne du père Jacques Hamel, prêtre du diocèse de Rouen, en France, froidement assassiné alors qu’il célébrait la messe. Le récit de cet attentat terrible, orchestré par des jeunes se réclamant de l’Islam, relate une « conversation spirituelle » pourrait-on dire. Ainsi, le prêtre s’est adressé non pas à ses bourreaux, qui se trouvaient devant lui, mais à Satan lui-même, lui demandant de partir. Témoignage bouleversant qui nous rappelle que « ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter […] mais contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes » (Eph. 6, 12). Le pape François ayant levé le délai de prescription de cinq ans pour le commencement des procédures en canonisation, nous pourrions voir la reconnaissance du « martyre » du père Hamel dans des délais records. À surveiller.

7. Relations œcuméniques

Outre les évènements déjà mentionnés, l’année 2016 a connu des avancées majeures en matière d’œcuménisme. Notons d’abord, du côté orthodoxe, une avancée sur le chemin de l’unité à l’intérieur même de l’orthodoxie. En effet, parmi les sujets abordés lors du Concile Panorthodoxe se trouvaient : la doctrine sociale et les enjeux environnementaux, la liberté religieuse, les tensions causées par les différentes sortes d’extrémismes ainsi que la reconnaissance des autres Églises chrétiennes non orthodoxes parmi lesquelles figure bien évidemment l’Église catholique, la validité de l’ecclésialité de cette dernière étant désormais reconnue.

La rencontre entre le pape François et le patriarche orthodoxe russe Kirill à Cuba fut également une avancée notable réalisée en 2016. Lors de cet entretien, les deux évêques ont discuté à huis-clos pendant plus d’une heure avant de signer une Déclaration commune que d’aucuns ont appelée programme de l’engagement prophétique des Églises en ce début de XXIe siècle.

8. Conférence des évêques catholiques du Canada

Hormis les nombreux sujets au niveau de l’Église universelle, l’Église catholique du Canada ne doit pas être négligée. Parmi les éléments à retenir en 2016, mentionnons non seulement les nombreuses déclarations et actions politiques en faveur de la protection de la vie de la conception à la mort naturelle mais également la création d’une culture de la rencontre.

Tout d’abord la Déclaration pastorale pour les catholiques du Canada dans le rapport intitulé « L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient » dans laquelle on stipule notamment que : « Le suicide n’est pas un soin de santé. Tuer les personnes souffrant de maladies physiques ou mentales, qu’elles soient jeunes ou âgées, est contraire à la sollicitude et à l’amour pour nos frères et sœurs ». Le combat des évêques pour que soient offerts des soins palliatifs de qualité au Canada s’est ainsi inscrit dans le débat public à de nombreuses reprises durant l’année, faisant ainsi honneur à la charge pastorale et sociale des évêques. Dans un point de presse tenu au Parlement du Canada, les représentants de la CECC, accompagnés d’autres représentants des grandes religions et du corps médical, ont fait connaître leur « opposition à l’euthanasie et au suicide assisté, de même que leurs préoccupations concernant la législation proposée sur l’« aide médicale à mourir ».

Enfin, le rapprochement avec les peuples autochtones fut également au centre des préoccupations de la CECC. En ce sens, fut publié la Réponse catholique à l’Appel à l’action numéro 48 de la Commission de vérité et réconciliation et aux questions relatives à la « doctrine de la découverte ». Prenant acte des affirmations fortes des papes  saint Jean-Paul II et François, la CECC a vu la nécessité de faire face aux « nombreux et graves péchés qui ont été commis contre les peuples originaires de l’Amérique au nom de Dieu » tout en gardant une orientation ouverte à « continuer à cheminer avec les peuples autochtones pour édifier une société plus juste où seront cultivés et honorés leurs dons et ceux de toute la société ».

Ces deux dossiers centraux de la CECC seront évidemment à suivre en 2017.

9. Assemblées des évêques catholiques du Québec

L’AECQ s’est non seulement démarquée en 2016 par des documents sur l’Église au Québec mais également par de nombreuses prises de positions publiques dans des débats de société où sa voix est requise.

La publication du document « Le tournant missionnaire des communautés chrétiennes Devenir une « Église en sortie » à la suite de La Joie de l’Évangile », le 26 janvier 2016, sera certainement un document de référence pour tous les diocèses au Québec dans les années à venir. Fruit d’une session d’étude et de réflexion qui a eu lieu à Trois-Rivières les 12 et 13 mars 2014, ce document invite les lecteurs à s’interroger sur les différents niveaux de changement qu’implique le tournant missionnaire voulu par le pape François. En ce sens, vous pouvez réécouter l’entrevue sur ce document réalisée avec Mgr Alain Faubert, devenu depuis évêque auxiliaire de Montréal, dans le cadre de l’émission Église en sortie.

Parmi les prises de position dans le débat public, notons l’intervention de l’AECQ par l’entremise du Cardinal Lacroix, Mgr Paul Lortie ainsi que Mgr Christian Lépine en commission parlementaire, le 27 octobre 2016. Ils ont présenté leur mémoire sur le « projet de loi 62 Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État »

10. Travail sur le terrain

Cette bien humble et brève revue de l’année ne serait pas complète sans mentionner le travail inlassable de toutes les personnes qui vivent la dimension missionnaire de leur vocation chrétienne dans l’Église. Quelque soit l’organisme dans lequel ils s’engagent comme par exemple, les Chevaliers de Colomb ou tous les agents et agentes de pastorale, l’Église et la présence de Jésus dans notre société ne seraient absolument pas possibles sans ce « fiat » désintéressé, cette disponibilité à se mettre au service des autres au nom de Jésus.  J’ai souvenir de ma visite au lancement de l’année pastorale du diocèse de Mont-Laurier où j’ai pu être témoin du dévouement et de la joie des acteurs pastoraux de ce diocèse du Québec.

Pour ce qui est des médias catholiques, j’ai noté durant la dernière année un souffle nouveau, une fierté de retrouver, de proclamer haut et fort la joie, l’intelligence et l’engagement que suscite la foi catholique. Que ce soit à la télévision, sur internet ou dans la riche diversité de la presse écrite catholique, un grand nombre d’ouvriers sont occupés à transmettre une information religieuse de qualité, soucieux de mettre de l’avant la justice et la miséricorde éternellement inspirantes.

Je vous souhaite donc une Sainte et Heureuse Année 2017. Qu’elle soit pour vous tous l’occasion d’approfondir ce Mystère du salut présent en nous depuis notre baptême. Que Dieu vous bénisse !

« Misericordia et misera » ou la Miséricorde comme socle de l’action pastorale

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Photo: CNS/Paul Haring

Dimanche dernier, alors que se terminait la liturgie de conclusion de l’année jubilaire de la miséricorde, le pape François apposait sa signature sur la lettre apostolique « Misericordia et misera ». Faisant sienne la célèbre expression de Saint-Augustin selon laquelle « il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse », l’Évêque de Rome a voulu, par ce document, laisser un testament spirituelle de ce Jubilé à l’ensemble du Peuple de Dieu.

Pour vous tous qui avez pu suivre de près ou de loin l’agenda chargé du pape François lors de cette année, vous aurez certainement remarqué qu’il a tenu à rendre la miséricorde accessible et compréhensible pour tous. Que ce soit par l’organisation de pèlerinages et de rencontres à Rome tels que les jubilés des malades, des pauvres, des prisonniers, des catéchètes, et j’en passe, il est clair que le Pape voulait que tous aient l’occasion de faire l’expérience de la Miséricorde c’est-à-dire de l’Amour incommensurable que Dieu met à la portée de notre pauvreté.

Ainsi, comme un père attentif à ce que ses enfants aient bien compris, le Pape a voulu écrire cette lettre apostolique dans laquelle on retrouve plusieurs éléments. Dans un premier temps, il nous offre une réflexion sur l’Évangile dit de la « femme adultère » (Jn 8, 1-11) que l’on peut considérer comme « l’icône de ce que nous avons vécu durant le Jubilé » (no1).

En effet, pour François, cet épisode manifeste bien la logique de l’Évangile qui « replace la loi mosaïque dans son intention originelle » (no1). Jésus, de la même manière qu’Il allait, en décrétant son indissolubilité, réinsérer le mariage dans l’intention du Créateur, il allait aussi remettre la loi dans l’intention du Dieu Unique qui était d’être miséricordieux devant l’humanité blessée. En effet, « Il y a une valeur propédeutique dans la loi (cf. Ga 3,24) qui a comme fin, la charité (cf. Tm 1,5) » (no 11). Elle n’est que le commencement de la sainteté, son socle fondamental. Toutefois, puisqu’éviter le mal n’est pas encore faire le bien, nous devons aller plus loin en portant notre regard davantage sur l’horizon à atteindre que sur le sol qui nous porte.

De plus, la lumière miséricordieuse du Père nous libère de toute volonté de justification fortuite. Plus besoin de nous déculpabiliser en rationalisant ou en accusant les autres de nos propres fautes. Devant la croix du Christ, nous pouvons laisser tout cela derrière nous en acceptant la vérité sur nous-mêmes. Nos yeux fixés sur le visage du Christ, nous rencontrons l’Amour inconditionnel du Père qui nous purifie de notre égoïsme et nos infidélités. Lui, qui nous a pardonné « alors que nous étions ses ennemis » (Rm 5, 10), ne dédaigne aucune de nos contritions lorsqu’elles sont présentées dans l’humilité, le regret et « le désir sincère de ne plus offenser Dieu et de faire pénitence ». Ainsi chaque admission en confession nous permettra de revivre cet acte originel de salut reçu au baptême. D’où l’insistance du pape à redécouvrir le sacrement de pénitence (no8-11).

De cette expérience mille fois renouvelée, naît une joie constante et indéfectible capable de nous porter à travers tous les aléas de la vie. Citant le Pasteur d’Hermas, le Saint-Père affirme « Tout homme joyeux fait le bien, pense le bien et méprise la tristesse » (no3) non pas que nous devons cesser de « pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12, 15) mais plutôt que nous ne devons pas nous laisser détourner de ce qui risque d’être détourné cette joie profonde que procure l’espérance d’être sauvé. Tentation toujours présente en un monde où les nouvelles de scandales et de corruptions sont omniprésentes.

Le document se poursuit par une série de paragraphes orientés à manifester différentes conséquences concrètes de la miséricorde dans la vie de l’Église et du monde. Exhortant tous et chacun à mettre de côté ce qui fait obstacle au déploiement du pardon de Dieu en notre monde, on peut interpréter dans ce contexte l’élargissement du pouvoir de tous les prêtres à octroyer l’absolution pour le péché d’avortement ainsi que l’étendue de la permission de confesser et de se confesser licitement à un prêtre de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (no 12).

Réaffirmant la mission profondément salvifique de l’Église par ses réformes Ad Intra, le Pape offre ensuite sa volonté que perdure cette pratique de souligner la miséricorde présente dans toutes les pratiques de l’Église, qu’elles soient liturgiques, spirituelles, sociales ou missionnaires.

Je vous invite à lire cette Lettre apostolique du pape François. On a pu le remarquer durant l’année, ce thème de la miséricorde, si cher au successeur de Pierre, nous permet à tous de faire un pas de plus vers la sainteté à laquelle nous sommes appelés. En nous donnant les instruments nécessaires pour prendre acte les grâces auxquelles nous avons pu assister ou bénéficier durant cette année jubilaire, le Pape nous invite à rendre grâce en partageant cette expérience qui nous a tous transformés profondément. Goûter de près cette proximité de Dieu aura donc été pour nous le socle nouveau sur lequel appuyer l’ensemble de la mission qui se présente devant nous.

 

Lettre Apostolique du pape François « Miséricorde et Paix »

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Misericordia et misera sont les deux termes qu’utilise Saint Augustin pour raconter la rencontre entre Jésus et la femme adultère (cf. Jn 8, 1-11). Il ne pouvait trouver expression plus belle et plus juste pour faire comprendre le mystère de l’amour de Dieu quand il vient à la rencontre du pécheur : « Il ne resta que la misérable pécheresse en face de la bonté miséricordieuse »1. Que de pitié et de justice divine dans ce récit ! Son enseignement éclaire la conclusion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde et nous indique la route que nous sommes appelés à suivre à l’avenir.

1. Cette page d’Évangile peut être considérée à bon droit comme une icône de ce que nous avons célébré durant l’Année Sainte, un temps riche de miséricorde, laquelle demande à être encore célébrée et vécue dans nos communautés. De fait, la miséricorde ne peut être une parenthèse dans la vie de l’Église, mais elle en constitue l’existence même, qui rend manifeste et tangible la vérité profonde de l’Évangile. Tout se révèle dans la miséricorde ; tout se résout dans l’amour miséricordieux du Père.

Une femme et Jésus se sont rencontrés. Elle, adultère, et, selon la Loi, passible de lapidation. Lui, par sa prédication et le don total de lui-même, qui le conduira jusqu’à la Croix, a replacé la loi mosaïque dans son intention originelle. Au centre, il n’y a pas la loi ni la justice de la loi, mais l’amour de Dieu qui sait lire dans le cœur de chacun, pour en saisir le désir le plus caché, et qui doit avoir le primat sur tout. Dans ce récit évangélique, cependant, on ne rencontre pas le péché et le jugement de manière abstraite, mais une pécheresse et le Sauveur. Jésus a regardé cette femme dans les yeux et il a lu dans son cœur : il y a trouvé le désir d’être comprise, pardonnée, et libérée. La misère du péché a été recouverte par la miséricorde de l’amour. Il n’y a chez Jésus aucun jugement qui ne soit marqué par la pitié et la compassion pour la condition de la pécheresse. À ceux qui voulaient la juger et la condamner à mort, Jésus répond par un long silence, pour laisser la voix de Dieu se faire entendre dans les consciences, tant celle de la femme que celles de ses accusateurs. Ceux-ci laissent les pierres tomber de leurs mains et s’en vont un par un (cf. Jn 8, 9). À la suite de ce silence, Jésus dit : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? …Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus » (vv. 10-11). De cette manière, il l’aide à se tourner vers l’avenir avec espérance et à être prête à se remettre en route. Désormais, si elle le désire, elle pourra « vivre dans l’amour » (cf. Ep 5, 2). Revêtue de la miséricorde, même si la condition de faiblesse du péché demeure, elle sera comme recouverte par l’amour qui permet de regarder plus loin et de vivre autrement.

2. Jésus l’avait d’ailleurs déjà enseigné avec clarté, lorsqu’invité à partager le repas chez un pharisien, une femme connue de tous comme une pécheresse s’était approchée de lui (cf. Lc 7, 36-50). Elle avait répandu du parfum sur les pieds de Jésus, les avait arrosés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux (cf. v. 37-38). À la réaction scandalisée du pharisien, Jésus répondit : « Ses péchés, ses nombreux péchés, sont pardonnés, woman-anointing-jesus-feet-bethanypuisqu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour » (v. 47).

Le pardon est le signe le plus visible de l’amour du Père, que Jésus a voulu révéler dans toute sa vie. Il n’y a aucune page de l’Évangile où cet impératif de l’amour qui va jusqu’au pardon ne soit présent. Même au moment ultime de son existence terrestre, alors qu’il est cloué sur la croix, Jésus a des paroles de pardon : « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23,34).

Rien de ce qu’un pécheur qui se repent place devant la miséricorde de Dieu ne peut demeurer sans l’étreinte de son pardon. C’est pourquoi aucun d’entre nous ne peut poser de conditions à la miséricorde. Elle demeure sans cesse un acte gratuit du Père céleste, un amour inconditionnel et immérité. Nous ne pouvons donc pas courir le risque de nous opposer à l’entière liberté de l’amour par lequel Dieu entre dans la vie de chacun.

La miséricorde est cette action concrète de l’amour qui, en pardonnant, transforme et change la vie. C’est ainsi que se manifeste son mystère divin. Dieu est miséricordieux (cf. Ex 34, 6) ; sa miséricorde demeure pour l’éternité (cf. Ps 136) ; de génération en génération, elle embrasse toute personne qui met en lui sa confiance, la transforme en lui donnant sa propre vie.

3. Que de joie a ainsi jailli du cœur de ces deux femmes, l’adultère et la pécheresse ! Le pardon les a fait se sentir enfin libres et heureuses comme jamais auparavant. Les larmes de la honte et de la douleur se sont transformées en sourire de celle qui se sait aimée. La miséricorde suscite la joie, car le cœur s’ouvre à l’espérance d’une vie nouvelle. La joie du pardon est indicible, mais elle transparait en nous chaque fois que nous en faisons l’expérience. L’amour avec lequel Dieu vient à notre rencontre en est l’origine, brisant le cercle d’égoïsme qui nous entoure, pour faire de nous, à notre tour, des instruments de miséricorde.

Comme sont riches de sens également pour nous les paroles anciennes qui guidaient les premiers chrétiens : « Revêts-toi donc de la joie qui plaît toujours à Dieu et qu’il accueille favorablement : fais-en tes délices. Tout homme joyeux fait le bien, pense le bien et méprise la tristesse […] Ils vivront pour Dieu, ceux qui rejetteront loin d’eux la tristesse et se revêtiront de la seule joie »2. Faire l’expérience de la miséricorde donne de la joie. Ne laissons pas nos afflictions et nos préoccupations l’éloigner de nous. Qu’elle demeure bien enracinée dans notre cœur et nous fasse toujours considérer notre vie quotidienne avec sérénité.

Dans une culture souvent dominée par la technique, les formes de tristesse et de solitude où tombent tant de personnes et aussi tant de jeunes, semblent se multiplier. L’avenir semble être l’otage de l’incertitude qui ne permet pas la stabilité. C’est ainsi qu’apparaissent souvent des sentiments de mélancolie, de tristesse et d’ennui, qui peu à peu peuvent conduire au désespoir. Nous avons besoin de témoins d’espérance et de véritable joie, pour chasser les chimères qui promettent un bonheur facile fait de paradis artificiels. Le vide profond ressenti par beaucoup peut être comblé par l’espérance que nous portons dans le cœur et par la joie qui en découle. Nous avons tant besoin de reconnaître la joie qui se révèle dans un cœur touché par la miséricorde. Tirons donc profit de ces paroles de l’Apôtre : « Soyez toujours dans la joie du Seigneur » (Ph 4,4 ; cf. 1 Th 5,16).

4. Nous avons célébré une Année intense durant laquelle la grâce de la miséricorde nous a été donnée en abondance. Tel un vent impétueux et salutaire, la bonté et la miséricorde du Seigneur se sont répandues sur le monde entier. Et face à ce regard aimant de Dieu, qui s’est posé sur chacun de nous de façon prolongée, nous ne pouvons pas rester indifférents car il change la vie.

En premier lieu, nous ressentons le besoin de remercier le Seigneur et de lui dire : « Tu as aimé, Seigneur, cette terre […] tu as ôté le péché de ton peuple, tu as couvert toute sa faute » (Ps 84,2-3). C’est ainsi : Dieu a piétiné nos fautes et il a jeté nos péchés au fond de la mer (cf. Mi 7,19) ; il ne s’en souvient plus, il les a jetés derrière lui (cf. Is 38,17) ; aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de lui nos péchés (cf. Ps 102,12).

Au cours de cette Année Sainte, l’Église a su se mettre à l’écoute, et elle a fait l’intense expérience de la présence et de la proximité du Père qui, par l’Esprit Saint, lui a rendu plus manifeste le don et la mission de Jésus Christ concernant le pardon. Le Seigneur nous a vraiment rendu visite une nouvelle fois. Nous avons senti son souffle de vie se répandre sur l’Église, et une fois encore, ses paroles ont indiqué la mission : « Recevez l’Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. » (Jn 20,22-23).

5. À l’heure où s’achève ce Jubilé, il est temps de regarder en avant et de comprendre comment continuer avec fidélité, joie et enthousiasme, à faire l’expérience de la richesse de la miséricorde divine. Nos communautés pourront rester vivantes et dynamiques dans la mission de nouvelle évangélisation dans la mesure où la « conversion pastorale » que nous sommes appelés à vivre3 sera imprégnée chaque jour de la force rénovatrice de la miséricorde. Ne mettons pas de limites à son action; n’attristons pas l’Esprit qui indique toujours des chemins nouveaux pour annoncer à tous l’Évangile du salut.

Nous sommes d’abord appelés à célébrer la miséricorde. Que de richesses se dégagent de la prière de l’Église quand elle invoque Dieu comme Père miséricordieux ! Dans la liturgie, la miséricorde n’est pas seulement évoquée maintes fois : elle est réellement reçue et vécue. Du début à la fin de la célébration eucharistique, la miséricorde est évoquée plusieurs fois dans le dialogue entre l’assemblée priante et le cœur du Père qui se réjouit quand il peut répandre son amour miséricordieux. Après la demande de pardon initiale, par l’invocation «Seigneur, prends pitié», nous sommes immédiatement rassurés : « Que Dieu tout puissant nous fasse miséricorde, qu’il nous pardonne nos péchés et nous conduise à la vie éternelle ». La communauté, dans cette confiance, se rassemble en présence du Seigneur, tout spécialement le saint jour de la résurrection. Beaucoup d’oraisons – collectes – rappellent le grand don de la miséricorde. Pendant le Carême par exemple, nous prions ainsi: « Tu es la source de toute bonté, Seigneur, et toute miséricorde vient de toi ; tu nous as dit comment guérir du péché par le jeûne, la prière et le partage ; écoute l’aveu de notre faiblesse : nous avons conscience de nos fautes, patiemment, relève-nous avec amour ».4 Nous entrons ensuite dans la grande prière eucharistique par la préface qui proclame : « Ton amour pour le monde est si grand que tu nous as envoyé un sauveur. Tu l’as voulu semblable aux hommes en toute chose à l’exception du péché, afin d’aimer en nous ce que tu aimais en lui ».5 La quatrième prière eucharistique, quant à elle, est une hymne à la miséricorde de Dieu: « Dans ta miséricorde, tu es venu en aide à tous les hommes pour qu’ils te cherchent et puissent te trouver ». « Sur nous tous nous implorons ta bonté »6, telle est la supplique du prêtre dans la prière eucharistique pour implorer la participation à la vie éternelle. Après le Notre Père, le prêtre prolonge la prière, invoquant la paix et la libération du péché « par ta miséricorde ». Et avant le signe de paix, échangé comme expression de fraternité et d’amour réciproque à la lumière du pardon reçu, il prie de nouveau : « Ne regarde pas nos péchés mais la foi de ton Église ».7 Par ces paroles, nous demandons avec une humble confiance le don de l’unité et de la paix pour notre sainte Mère l’Église. La célébration de la miséricorde divine atteint son sommet dans le Sacrifice eucharistique, mémorial du mystère pascal du Christ, d’où vient le salut pour tout homme, pour l’histoire et le monde entier. En bref, chaque moment de la célébration eucharistique fait référence à la miséricorde de Dieu.

La miséricorde nous est offerte en abondance dans toute la vie sacramentelle. Il n’est pas anodin que l’Église ait voulu évoquer explicitement la miséricorde dans la formule des deux sacrements dits « de guérison », à savoir la Réconciliation et le Sacrement des malades. La formule d’absolution dit : « Que Dieu, notre Père, vous montre sa miséricorde. Par la mort et la résurrection de son Fils, il a réconcilié le monde avec lui, et il a envoyé l’Esprit Saint pour la rémission des péchés, par le ministère de l’Église, qu’il vous donne le pardon et la paix ».8 Dans l’Onction des malades, on dit : « Par cette Onction sainte, que le Seigneur, en sa grande bonté, vous réconforte par la grâce de l’Esprit Saint ».9 Dans la prière de l’Église, l’appel à la miséricorde n’est donc pas seulement parénétique, il est hautement performatif, ce qui signifie qu’elle nous est accordée lorsque nous l’invoquons avec foi ; quand nous la confessons comme vivante et réelle, elle nous transforme vraiment. C’est là un des contenus fondamentaux de notre foi que nous devons conserver dans toute son originalité : avant la révélation du péché, nous avons celle de l’amour par lequel Dieu a créé le monde et les êtres humains.

L’amour est le premier acte par lequel Dieu se fait connaître et vient à notre rencontre. Tenons donc ouvert notre cœur à la confiance d’être aimés de Dieu. Son amour nous précède toujours, nous accompagne et demeure à nos côtés malgré notre péché.

6. Dans ce contexte, l’écoute de la Parole de Dieu a une importance particulière. Chaque dimanche, la Parole de Dieu est proclamée dans la communauté chrétienne pour que le Jour du Seigneur soit éclairé par la lumière qui émane du mystère pascal.10 Dans la célébration eucharistique, c’est comme si l’on assistait à un vrai dialogue entre Dieu et son peuple. De fait, dans la proclamation des lectures bibliques, on parcourt à nouveau l’histoire de notre salut à travers l’annonce qui est faite de l’incessante œuvre de miséricorde. Dieu nous parle encore aujourd’hui comme à des amis ; il s’« entretient » avec nous11 pour nous accompagner et nous montrer le chemin de la vie. Sa parole se fait interprète de nos demandes et de nos préoccupations et réponse féconde pour que nous fassions l’expérience concrète de sa proximité. L’homélie est d’une grande importance, là où «la vérité accompagne la beauté et le bien »,12 pour faire vibrer le cœur des croyants face à la grandeur de la miséricorde ! Je recommande beaucoup la préparation de l’homélie et le soin de la prédication. Elle sera d’autant plus féconde que le prêtre aura fait l’expérience en lui-même de la bonté miséricordieuse du Seigneur. Transmettre la certitude que Dieu nous aime n’est pas un exercice rhétorique, mais la condition de crédibilité de son sacerdoce. Vivre la miséricorde est donc la voie royale pour en faire une véritable annonce de consolation et de conversion dans la vie pastorale. L’homélie, tout comme la catéchèse, ont besoin d’être sans cesse irriguées par ce cœur battant de la vie chrétienne.

7. La Bible est le grand récit qui raconte les merveilles de la miséricorde de Dieu. Chaque page est baignée par l’amour du Père qui, depuis la création, a voulu imprimer dans l’univers les signes de son amour. L’Esprit Saint, à travers les paroles des prophètes et les écrits sapientiaux, a modelé l’histoire d’Israël pour y reconnaitre la tendresse et la proximité de Dieu, malgré l’infidélité du peuple. La vie de Jésus et sa prédication marquent de façon déterminante l’histoire de la communauté chrétienne qui a compris sa propre mission à partir du mandat donné par le Christ d’être l’instrument permanent de sa miséricorde et de son pardon (cf. Jn 20,23). À travers l’Écriture Sainte, maintenue vivante dans la foi de l’Église, le Seigneur continue de parler à son Épouse et lui montre les chemins à parcourir pour que l’Évangile du salut parvienne à tous. Je désire vivement que la Parole de Dieu soit toujours davantage célébrée, connue et diffusée, pour qu’à travers elle, le mystère d’amour qui jaillit de cette source de miséricorde soit toujours mieux compris. C’est ce que rappelle clairement l’Apôtre : « Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice » (2 Tm 3,16).

Il serait bon qu’un dimanche de l’année liturgique chaque communauté puisse renouveler son engagement à diffuser, faire connaître et approfondir l’Écriture Sainte : un dimanche entièrement consacré à la Parole de Dieu pour comprendre l’inépuisable richesse qui provient du dialogue permanent entre Dieu et son peuple. La créativité ne manquera pas pour enrichir ce moment par des initiatives qui stimuleront les croyants à être de vivants instruments de transmission de la Parole. Parmi ces initiatives, il y a certainement la diffusion plus large de la lectio divina, afin que la vie spirituelle trouve un soutien et les moyens de sa croissance dans la lecture priante du texte sacré. La lectio divina, sur les thèmes de la miséricorde, permettra de toucher du doigt quelle fécondité jaillit du texte sacré lorsqu’il est lu à la lumière de toute la tradition spirituelle de l’Église, et qu’il débouche nécessairement sur des gestes et des œuvres concrètes de charité.13

8. La célébration de la miséricorde advient tout particulièrement dans le Sacrement de la Réconciliation. C’est le moment où nous nous sentons embrassés par le Père qui vient à notre rencontre pour nous redonner la grâce d’être de nouveau ses enfants. Nous sommes pécheurs et nous portons en nous le poids de la contradiction entre ce que nous voudrions faire, et ce qu’au contraire nous faisons concrètement (cf. Rm 7,14-21). Cependant, la grâce nous précède toujours et prend le visage de la miséricorde qui devient efficace dans la réconciliation et le pardon. Précisément, Dieu nous fait comprendre son immense amour face à notre être pécheur. La grâce est la plus forte et dépasse toute résistance possible, car l’amour est vainqueur de toute chose (cf. 1 Co 13,7).

Dans le sacrement du Pardon, Dieu montre le chemin pour revenir à lui et invite à faire de nouveau l’expérience de sa proximité. C’est un pardon que l’on peut obtenir, d’abord, en commençant à vivre la charité. C’est ce que rappelle aussi l’Apôtre Pierre quand il écrit que : « la charité couvre une multitude de péchés » (1 P 4,8). Dieu seul pardonne les péchés, mais il nous demande aussi d’être prêts à pardonner les autres comme lui-même nous pardonne : « Remets-nous nos dettes, comme nous- mêmes nous remettons leurs dettes à nos débiteurs » (Mt 6,12). Quelle tristesse quand nous restons enfermés en nous-mêmes et incapables de pardonner ! La rancœur, la colère, la vengeance prennent alors le dessus, nous rendant la vie malheureuse et vain l’engagement joyeux pour la miséricorde.

9. Le service accompli par les Missionnaires de la Miséricorde a certainement été une expérience de grâce que l’Église a vécue avec beaucoup d’efficacité au cours de l’Année jubilaire. Leur action pastorale a voulu rendre manifeste le fait que Dieu ne pose pas de limite à ceux qui le recherchent avec un cœur contrit, car il va à la rencontre de tous comme un Père. J’ai reçu beaucoup de témoignages joyeux d’une rencontre renouvelée avec le Seigneur dans le sacrement de la Confession. Ne laissons pas passer l’opportunité de vivre la foi aussi comme une expérience de réconciliation. « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20) : tel est l’appel lancé, encore aujourd’hui, par l’Apôtre pour faire découvrir à tout croyant la puissance de l’amour qui fait de nous une « créature nouvelle » (2 Co 5,17).

Je veux dire ma gratitude à tous les Missionnaires de la Miséricorde pour le précieux service rendu afin de rendre efficace la grâce du pardon. Cependant, ce ministère extraordinaire ne s’arrête pas avec la fermeture de la Porte Sainte. Je désire en effet qu’il demeure, jusqu’à plus ample informé, comme signe concret que la grâce du Jubilé est toujours vivante et efficace partout dans le monde. Le Conseil pontifical pour la Promotion de la nouvelle Évangélisation aura la charge d’accompagner les Missionnaires de la Miséricorde pendant cette période, comme expression directe de ma sollicitude et de ma proximité, et de trouver les formes les plus adaptées pour l’exercice de ce précieux ministère.

10. Je renouvelle aux prêtres l’invitation à se préparer avec grand soin au ministère de la Confession, qui est une vraie mission sacerdotale. Je vous exprime toute ma gratitude pour votre service, et je vous demande d’être accueillants envers tous, témoins de la tendresse paternelle malgré la gravité du péché, prompts à aider la réflexion sur le mal commis, clairs dans l’exposé des principes moraux, disponibles pour accompagner les fidèles dans leur chemin pénitentiel, au plus près de leur démarche avec patience, clairvoyants dans le discernement de chaque cas particulier, généreux en donnant le pardon de Dieu. Comme Jésus a choisi de rester en silence face à la femme adultère pour la sauver de la condamnation à mort, que le prêtre, dans le confessionnal, ait un cœur magnanime, conscient que tout pénitent le renvoie à sa propre condition personnelle : pécheur, mais ministre de la miséricorde.

11. Je voudrais que nous méditions tous les paroles de l’Apôtre, écrites vers la fin de sa vie, quand il confesse à Timothée avoir été le premier des pécheurs, mais « il m’a été fait miséricorde » (1 Tm 1,16). Ses mots ont une grande puissance pour nous provoquer à réfléchir, nous aussi, sur notre existence, et pour voir à l’œuvre la miséricorde de Dieu qui change, convertit, et transforme notre cœur: « Je suis plein de gratitude envers celui qui me donne la force, le Christ Jésus notre Seigneur, car il m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère, moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent. Mais il m’a été fait miséricorde » (1 Tm 1,12-13).

Avec une passion pastorale toujours renouvelée, rappelons-nous donc les paroles de l’Apôtre : « Dieu nous a réconciliés avec lui par le Christ, et il nous a donné le ministère de la réconciliation » (2 Co 5,18). C’est en vue de ce ministère que nous avons été pardonnés en premier, faits témoins privilégiés de l’universalité du pardon. Aucune loi ni précepte ne peut empêcher Dieu d’embrasser de nouveau le fils qui revient vers lui reconnaissant s’être trompé mais décidé à recommencer au début. Ne s’arrêter qu’à la loi, c’est rendre vaines la foi et la miséricorde divine. Il y a une valeur propédeutique dans la loi (cf. Ga 3,24) qui a comme fin, la charité (cf. 1 Tm 1,5). Cependant, le chrétien est invité à vivre la nouveauté de l’Évangile, « la loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ » (Rm 8,2). Même dans les cas les plus difficiles, où l’on est tenté de faire prévaloir une justice qui vient seulement des normes, on doit croire en la force qui jaillit de la grâce divine.

Nous autres confesseurs, nous avons l’expérience de nombreuses conversions qui se manifestent sous nos yeux. Ayons conscience de la responsabilité des gestes et des paroles afin qu’ils touchent le cœur du pénitent pour qu’il découvre la proximité et la tendresse du Père qui pardonne. Ne rendons pas vains ces moments par des comportements qui pourraient contredire l’expérience de la miséricorde recherchée. Aidons plutôt à éclairer l’espace de la conscience personnelle avec l’amour infini de Dieu (cf. 1 Jn 3,20).

Le sacrement de la Réconciliation doit retrouver sa place centrale dans la vie chrétienne. C’est pourquoi il exige des prêtres qu’ils mettent leur vie au service du « ministère de la réconciliation » (2 Co 5,18) de sorte qu’aucun pénitent sincère ne soit empêché d’accéder à l’amour du Père qui attend son retour, et que la possibilité de faire l’expérience de la force libératrice du pardon soit offerte à tous.

La célébration de l’initiative des 24 heures pour le Seigneur, en lien avec le IVème dimanche de Carême, peut être une occasion à saisir. Elle a déjà reçu un accueil favorable dans les diocèses et demeure un appel pastoral fort pour vivre intensément le sacrement de la Confession.

12. En fonction de cette exigence, et pour qu’aucun obstacle ne s’interpose entre la demande de réconciliation et le pardon de Dieu, je concède à tous les prêtres, à partir de maintenant, en vertu de leur ministère, la faculté d’absoudre le péché d’avortement. Ce que j’avais concédé pendant le temps limité du Jubilé14 est étendu désormais dans le temps, nonobstant toutes choses contraires. Je voudrais redire de toutes mes forces que l’avortement est un péché grave, parce qu’il met fin à une vie innocente. Cependant, je peux et je dois affirmer avec la même force qu’il n’existe aucun péché que ne puisse rejoindre et détruire la miséricorde de Dieu quand elle trouve un cœur contrit qui demande à être réconcilié avec le Père. Que chaque prêtre se fasse donc guide, soutien et réconfort dans l’accompagnement des pénitents sur ce chemin particulier de réconciliation.

Au cours de l’Année jubilaire, j’avais concédé aux fidèles qui, pour des raisons diverses, fréquentent les églises desservies par des prêtres de la Fraternité Saint Pie X, la faculté de recevoir validement et licitement l’absolution sacramentelle de leurs péchés.15 Pour le bien pastoral de ces fidèles et comptant sur la bonne volonté de leurs prêtres afin que la pleine communion dans l’Église catholique puisse être recouvrée avec l’aide de Dieu, j’établis par ma propre décision d’étendre cette faculté au-delà de la période jubilaire, jusqu’à ce que soient prises de nouvelles dispositions, pour que le signe sacramentel de la réconciliation à travers le pardon de l’Église ne fasse jamais défaut à personne.

13. La miséricorde a aussi le visage de la consolation. « Consolez, consolez mon peuple » (Is 40,1) sont les paroles venant du fond du cœur que le prophète fait entendre encore aujourd’hui, afin qu’une parole d’espérance puisse parvenir à tous ceux qui sont dans la souffrance et la douleur. Ne nous laissons pas voler l’espérance qui vient de la foi dans le Seigneur ressuscité. Il est vrai que nous sommes souvent soumis à rude épreuve, mais la certitude que le Seigneur nous aime ne doit jamais nous quitter. Sa miséricorde s’exprime aussi à travers la proximité, l’affection et le soutien que tant de frères et sœurs manifestent lorsque surviennent les jours de tristesse et d’affliction. Essuyer les larmes est une action concrète qui brise le cercle de la solitude où nous sommes souvent enfermés.

Nous avons tous besoin de consolation, car personne d’entre nous n’est exempt de souffrance, de douleur ou d’incompréhension. Que de douleur peut provoquer une parole haineuse, fruit de l’envie, de la jalousie et de la colère ! Que de souffrance entraîne l’expérience de la trahison, de la violence et de l’abandon ! Que d’amertume devant la mort des personnes chères ! Cependant, Dieu n’est jamais loin lorsque de tels drames sont vécus. Une parole qui réchauffe le cœur, une accolade qui te manifeste la compréhension, une caresse qui fait percevoir l’amour, une prière qui permet d’être plus fort… expriment la proximité de Dieu à travers la consolation offerte par les frères.

Parfois, le silence aussi pourra être une grande aide. Car parfois il n’y a pas de parole qui réponde aux questions de celui qui souffre. Cependant la compassion de celui qui est présent, proche, qui aime et tend la main, peut suppléer l’absence de paroles. Il n’est pas vrai que le silence soit la marque de l’impuissance. Au contraire, il est un moment de force et d’amour. Le silence aussi fait partie de notre langage de consolation, parce qu’il se transforme en œuvre concrète de partage et de participation à la souffrance du frère.

14. Dans une période particulière comme la nôtre, marquée par tant de crises dont celle de la famille, il est important qu’une parole de force consolatrice soit adressée à nos familles. Le don du mariage est une grande vocation à laquelle correspond, avec la grâce du Christ, un amour généreux, fidèle et patient. La beauté de la famille demeure inchangée, malgré tant d’obscurités et de propositions alternatives : « La joie de l’amour qui est vécue dans les familles est aussi la joie de l’Église ».16 Le chemin de vie qui amène un homme et une femme à se rencontrer, s’aimer, et se promettre fidélité pour toujours devant Dieu, est souvent interrompu par la souffrance, la trahison ou la solitude. La joie du don des enfants n’est pas exempte des soucis des parents concernant leur croissance et leur formation, leur avenir digne d’être intensément vécu.

La grâce du sacrement de Mariage, non seulement fortifie la famille afin qu’elle soit un lieu privilégié pour vivre la miséricorde, mais elle engage aussi la communauté chrétienne et tout l’agir pastoral à promouvoir la grande valeur de proposition de la famille. Cette Année jubilaire ne peut cependant pas nous faire perdre de vue la complexité de la réalité familiale actuelle. L’expérience de la miséricorde nous rend capables de regarder toutes les difficultés humaines dans l’attitude de l’amour de Dieu qui ne se lasse jamais d’accueillir et d’accompagner.

17. Nous ne pouvons pas oublier que chacun est porteur de la richesse et du poids de sa propre histoire qui le rendent absolument unique. Notre vie, avec ses joies et ses peines, est quelque chose d’unique et non reproductible, qui se déroule sous le regard miséricordieux de Dieu. Cela requiert, surtout de la part du prêtre, un discernement spirituel attentif, profond et clairvoyant, de sorte que nul ne soit exclu, quelle que soit la situation dans laquelle il vit, et qu’il puisse se sentir accueilli concrètement par Dieu, participer activement à la vie de la communauté, être inséré dans ce Peuple de Dieu qui avance infatigablement vers la plénitude du Règne de Dieu, règne de justice, d’amour, de pardon et de miséricorde.

15. Le moment de la mort est d’une importance toute particulière. L’Église a toujours vécu ce passage dramatique à la lumière de la Résurrection de Jésus Christ qui a ouvert la voie à la certitude de la vie future. C’est un grand défi que nous avons à relever, spécialement dans la culture contemporaine qui tend souvent à banaliser la mort jusqu’à la faire devenir une simple fiction ou à la cacher. Au contraire, la mort doit être affrontée et l’on doit s’y préparer, comme un passage douloureux et inévitable, mais riche de sens : celui de l’ultime acte d’amour envers les personnes qu’on laisse et envers Dieu vers lequel on va. Dans toutes les religions, le moment de la mort, comme celui de la naissance, est accompagné par une présence religieuse. Nous vivons l’expérience des obsèques comme une prière riche d’espérance pour l’âme du défunt, et pour consoler ceux qui souffrent du départ de la personne aimée.

Je suis convaincu que, dans la pastorale animée d’une foi vive, il nous faut faire toucher du doigt combien les signes liturgiques et nos prières sont des expressions de la miséricorde du Seigneur. C’est lui-même qui nous adresse des paroles d’espérance, pour que rien ni personne ne puisse nous séparer de son amour (cf. Rm 8,35). Le partage de ce moment par le prêtre est un accompagnement important, parce qu’il permet de vivre la proximité de la communauté chrétienne dans un moment de faiblesse, de solitude, d’incertitude et de pleurs.

16. Le Jubilé s’achève et la Porte Sainte se ferme. Mais la porte de la miséricorde de notre cœur demeure toujours grande ouverte. Nous avons appris que Dieu se penche sur nous (cf. Os 11,4) pour que nous puissions, nous aussi, l’imiter et nous pencher sur nos frères. La nostalgie de beaucoup du retour à la maison du Père, qui attend leur venue, est suscitée aussi par des témoins sincères et généreux de la tendresse divine. La Porte Sainte que nous avons franchie en cette Année jubilaire nous a placés sur le chemin de la charité que nous sommes appelés à parcourir chaque jour avec fidélité et dans la joie. C’est la route de la miséricorde qui permet de rencontrer de nombreux frères et sœurs qui tendent la main pour que quelqu’un puisse la saisir afin de cheminer ensemble.

Vouloir être proche du Christ exige de se faire proche des frères, car rien ne plait davantage au Père qu’un geste concret de miséricorde. Par sa nature même, la miséricorde se fait visible et tangible à travers une action concrète et dynamique. Une fois qu’on en a fait l’expérience en vérité, on ne peut plus retourner en arrière : elle grandit sans cesse et transforme la vie. C’est une authentique et nouvelle création qui crée un cœur nouveau, capable d’aimer pleinement, et qui purifie le regard afin qu’il reconnaisse les besoins les plus cachés. Combien sont-elles vraies les paroles avec lesquelles l’Église prie durant la Veillée Pascale, après la lecture du récit de la création : « Seigneur notre Dieu, toi qui as fait merveille en créant l’homme et plus grande merveille encore en le rachetant ». 18

La miséricorde renouvelle et libère car elle est la rencontre de deux cœurs : celui de Dieu qui vient à la rencontre de celui de l’homme. Celui-ci est réchauffé, et celui-là le guérit : le cœur de pierre est transformé en cœur de chair (cf. Ez 36,26), capable d’aimer malgré son péché. C’est ici que l’on prend conscience d’être vraiment une « créature nouvelle » (cf. Ga 6,15) : je suis aimé, donc j’existe ; je suis pardonné, donc je renais à une vie nouvelle ; il m’a été fait miséricorde, donc je deviens instrument de miséricorde.

17. Pendant l’Année Sainte, et spécialement les « vendredis de la miséricorde », j’ai pu toucher du doigt tout le bien présent dans le monde. Bien souvent, il n’est pas connu, car il est fait chaque jour de façon discrète et silencieuse. Même s’ils ne font pas les manchettes, il existe beaucoup de gestes concrets de bonté et de tendresse tournés vers les plus petits et les plus faibles, les plus seuls et abandonnés. Ils existent vraiment, ces protagonistes de la charité qui vivent la solidarité avec les pauvres et les malheureux. Rendons grâce au Seigneur pour ces dons précieux qui invitent à découvrir la joie de se faire proche face à la faiblesse de l’humanité blessée. Je pense avec gratitude à tant de volontaires qui, chaque jour, consacrent leur temps à manifester la présence et la proximité de Dieu à travers leur dévouement. Leur service est une authentique œuvre de miséricorde qui aide beaucoup de personnes à s’approcher de l’Église.

18. Le moment est venu de donner libre cours à l’imagination de la miséricorde pour faire naître de nombreuses œuvres nouvelles, fruits de la grâce. L’Église a besoin aujourd’hui de raconter ces « nombreux autres signes » que Jésus a accomplis et « qui ne sont pas écrits » (Jn 20,30), pour exprimer avec éloquence la fécondité de l’amour du Christ et de la communauté qui vit de lui. Plus de deux mille ans se sont écoulés, et pourtant les œuvres de miséricorde continuent à rendre visible la bonté de Dieu.

Aujourd’hui encore des populations entières souffrent de la faim et de la soif. Les images des enfants qui n’ont rien à manger suscitent de grandes préoccupations. Des personnes continuent à émigrer en masse d’un pays à l’autre, à la recherche de nourriture, de travail, d’une maison et de paix. La maladie, sous ses différentes formes, est un motif permanent de souffrance qui demande aide, consolation, et soutien. Les prisons sont des lieux où s’ajoutent souvent à la peine elle-même des désagréments parfois graves, dus aux conditions de vie inhumaines. L’analphabétisme est encore très présent ; il empêche les garçons et les filles d’être éduqués et les expose à de nouvelles formes d’esclavage. La culture de l’individualisme exacerbé, surtout en Occident, conduit à faire disparaître le sens de la solidarité et de la responsabilité envers les autres. Dieu lui-même aujourd’hui demeure, pour beaucoup, un inconnu ; cela représente la plus grande pauvreté et l’obstacle le plus grand à la reconnaissance de la dignité inviolable de la vie humaine.

En bref, les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles constituent jusqu’à aujourd’hui la confirmation de la grande et positive incidence de la miséricorde en tant que valeur sociale. Elle nous pousse en effet à retrousser nos manches pour redonner dignité à des millions de personnes qui sont nos frères et sœurs, appelés à construire avec nous une « cité fiable ».19

19. De nombreux gestes concrets de miséricorde ont été posés pendant cette Année Sainte. Des communautés, des familles, des croyants, ont redécouvert la joie du partage et la beauté de la solidarité. Cependant, cela ne suffit pas. Le monde continue à produire de nouvelles formes de pauvreté spirituelle et matérielle qui attentent à la dignité des personnes. C’est pour cette raison que l’Église doit toujours être vigilante et prête à identifier de nouvelles œuvres de miséricorde et à les mettre en œuvre avec générosité et enthousiasme.

Efforçons-nous donc de donner des formes concrètes à la charité, et en même temps intelligence aux œuvres de miséricorde. Cette dernière possède une action inclusive, c’est pourquoi elle tend à s’élargir comme une tache d’huile et ne connait pas de limite. En ce sens, nous sommes appelés à donner un visage nouveau aux œuvres de miséricorde que nous connaissons depuis toujours. De fait, la miséricorde exagère ; elle va toujours plus loin, elle est féconde. Elle est comme le levain qui fait fermenter la pâte (cf. Mt 13,33) et comme la graine de moutarde qui devient un arbre (cf. Lc 13,19).

Il nous suffit de penser, à titre d’exemple, à l’œuvre de miséricorde corporelle qui consiste à vêtir celui qui est nu (cf. Mt 25,36.38.43.44). Elle nous ramène au commencement, au jardin d’Eden, lorsqu’Adam et Eve découvrirent qu’ils étaient nus, et entendant le Seigneur s’approcher, eurent honte et se cachèrent (cf. Gn 3,7-8). Nous savons qu’ils furent punis par le Seigneur. Pourtant, il « fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en revêtit » (Gn 3,21). La honte est dépassée et la dignité retrouvée.

Fixons le regard également sur Jésus au Golgotha. Sur la croix, le Fils de Dieu est nu. Sa tunique a été tirée au sort et prise par les soldats (cf. Jn 19,23-24). Il n’a plus rien. Sur la croix, se révèle jusqu’à l’extrême la solidarité de Jésus avec ceux qui ont perdu toute dignité en étant privé du nécessaire. De même que l’Église est appelée à être la « tunique du Christ »20 pour revêtir son Seigneur, de même elle est engagée à se rendre solidaire de tous les nus de la terre, afin qu’ils retrouvent la dignité dont ils ont été dépouillés. « J’étais nu, et vous m’avez habillé » (Mt 25,36) : cela oblige donc à ne pas détourner notre regard des nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation, qui empêchent les personnes de vivre dignement.

Être sans travail et ne pas recevoir un juste salaire, ne pas avoir une maison ou une terre où habiter, subir des discriminations pour la foi, la race, le statut social… ces réalités, et d’autres encore, sont des conditions qui attentent à la dignité de la personne face auxquelles l’agir miséricordieux des chrétiens répond avant tout par la vigilance et la solidarité. Combien sont nombreuses les situations aujourd’hui où l’on peut rendre la dignité aux personnes et permettre une vie humaine ! Qu’il suffise de penser à de nombreux jeunes enfants qui subissent des violences de toutes sortes qui leur volent la joie de vivre. Leur visages tristes et défaits sont imprimés dans mon esprit. Ils demandent notre aide pour être libérés de l’esclavage du monde contemporain. Ces enfants sont les jeunes de demain. Comment les préparons-nous à vivre de façon digne et responsable ? Avec quelle espérance peuvent- ils affronter leur présent et leur avenir ?

Le caractère social de la miséricorde exige de ne pas rester inertes et de chasser l’indifférence et l’hypocrisie, afin que les plans et les projets ne demeurent pas lettre morte. Que l’Esprit Saint nous aide à être toujours prêts à offrir notre participation de manière active et désintéressée, afin que la justice et une vie digne ne demeurent pas des paroles de circonstance, mais marquent l’engagement concret de celui qui veut témoigner de la présence du Royaume de Dieu.

20. Nous sommes appelés à faire grandir une culture de la miséricorde, fondée sur la redécouverte de la rencontre des autres : une culture dans laquelle personne ne regarde l’autre avec indifférence ni ne détourne le regard quand il voit la souffrance des frères. Les œuvres de miséricorde sont « artisanales » : aucune d’entre elles n’est semblable à une autre ; nos mains peuvent les modeler de mille manières et même si Dieu qui les inspire est unique, tout comme est unique la « matière » dont elles sont faites, à savoir la miséricorde elle-même, chacune acquiert une forme différente.

Les œuvres de miséricorde, en effet, concernent la vie entière d’une personne. C’est pour cela que nous pouvons donner naissance à une véritable révolution culturelle, précisément à partir de la simplicité des gestes qui savent rejoindre le corps et l’esprit, c’est-à-dire la vie des personnes. C’est un engagement que la communauté chrétienne peut faire sien, consciente que la Parole du Seigneur l’appelle sans cesse à sortir de l’indifférence et de l’individualisme dans lesquels on est tenté de s’enfermer pour mener une existence confortable et sans problèmes. « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous » (Jn 12,8), dit Jésus à ses disciples. Aucun alibi ne peut justifier un désengagement lorsque l’on sait qu’il s’est identifié à chacun d’eux.

La culture de la miséricorde s’élabore dans la prière assidue, dans l’ouverture docile à l’action de l’Esprit, dans la familiarité avec la vie des saints et dans la proximité concrète des pauvres. C’est un appel pressant à ne pas mal interpréter où il est déterminant de s’engager. La tentation de faire la « théorie de la miséricorde » est surmontée dans la mesure où celle-ci est notre vie quotidienne de participation et de partage. Nous ne devrons d’ailleurs jamais oublier les paroles de l’apôtre Paul racontant sa rencontre avec Pierre, Jacques et Jean, après sa conversion : il met en relief un aspect essentiel de sa mission et de toute la vie chrétienne : « Ils nous ont seulement demandé de nous souvenir des pauvres, ce que j’ai pris grand soin de faire » (Ga 2,10). Nous ne pouvons pas oublier les pauvres : c’est un appel plus que jamais d’actualité et qui s’impose dans son évidence évangélique.

21. Que l’expérience du Jubilé imprime en nous les paroles de l’Apôtre Pierre : « Autrefois vous n’aviez pas obtenu miséricorde, mais maintenant vous avez obtenu miséricorde » (1 P 2,10). Ne gardons pas jalousement seulement pour nous tout ce que nous avons reçu. Sachons le partager avec les frères souffrants pour qu’ils soient soutenus par la force de la miséricorde du Père. Que nos communautés s’ouvrent pour rejoindre ceux qui vivent sur leur territoire, pour qu’à travers le témoignage des croyants la caresse de Dieu parvienne à tous.

Voici venu le temps de la miséricorde. Chaque journée de notre route est marquée par la présence de Dieu qui guide nos pas avec la force de la grâce que l’Esprit répand dans le cœur pour le modeler et le rendre capable d’aimer. Voici venu le temps de la miséricorde pour tous et pour chacun, pour que personne ne puisse penser être étranger à la proximité de Dieu et à la puissance de sa tendresse. Voici venu le temps de la miséricorde pour que ceux qui sont faibles et sans défense, loin et seuls, puissent accueillir la présence de frères et sœurs qui les tireront du besoin. Voici venu le temps de la miséricorde pour que les pauvres sentent se poser sur eux le regard respectueux mais attentif de ceux qui, ayant vaincu l’indifférence, découvrent l’essentiel de la vie. Voici venu le temps de la miséricorde pour que tout pécheur ne se lasse jamais de demander pardon et sente la main du Père qui accueille toujours et serre contre lui.

À la lumière du «Jubilé des personnes socialementexclues», alors que dans toutes les cathédrales et dans les sanctuaires du monde les Portes de la Miséricorde se fermaient, j’ai eu l’intuition que, comme dernier signe concret de cette Année Sainte extraordinaire, on devait célébrer dans toute l’Église, le XXXIIIème Dimanche du Temps ordinaire, la Journée mondiale des pauvres. Ce sera la meilleure préparation pour vivre la solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’Univers, qui s’est identifié aux petits et aux pauvres et qui nous jugera sur les œuvres de miséricorde (cf. Mt 25,31-46). Ce sera une journée qui aidera les communautés et chaque baptisé à réfléchir sur la manière dont la pauvreté est au cœur de l’Évangile et sur le fait que, tant que Lazare git à la porte de notre maison (cf. Lc 16,19-21), il ne pourra y avoir de justice ni de paix sociale. Cette Journée constituera aussi une authentique forme de nouvelle évangélisation (cf. Mt 11,5) par laquelle se renouvellera le visage de l’Église dans son action continuelle de conversion pastorale pour être témoin de la miséricorde.

22. Que demeurent tournés vers nous les yeux miséricordieux de la Sainte Mère de Dieu. Elle est la première qui nous ouvre le chemin et nous accompagne dans le témoignage de l’amour. Que la Mère de Miséricorde nous rassemble tous à l’abri de son manteau, comme l’art a souvent voulu la représenter. Confions-nous à son aide maternelle et suivons son indication constante à regarder Jésus, visage rayonnant de la miséricorde de Dieu.

Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 20 novembre, Solennité de Notre Seigneur Jésus Christ, Roi de l’Univers, de l’An du Seigneur 2016, quatrième de mon pontificat.

FRANÇOIS

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1 In Joh 33,5.
2 Le Pasteur d’Hermas, XLII, 1-4.
3 Cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 27.
4 Missel Romain, IIIéme Dimanche de Carême.
5 Ibid., Préface des dimanches du Temps Ordinaire VII.
6 Ibid., Prière eucharistique II.
7 Ibid., Rite de communion.
8 Célébrer la Pénitence et la Réconciliation, n° 85.
9 Sacrement pour les malades, n° 112.
10 Cf. CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. Sacrosanctum Concilium, n. 106.
11 CONC. ŒCUM. VAT. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 2.
12 Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 142.
13 Cf. BENOIT XVI, Exhort. ap. post syn. Verbum Domini, nn. 86-87.
14 Cf. Lettre accordant l’indulgence à l’occasion du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde, 1er septembre 2015.
15 Cf. ibid.
16 Exhort. ap. post syn. Amoris laetitia, n. 1.
17 Cf. ibid., nn. 291-300
18 Missel Romain, Veillée Pascale, Oraison après la 1ère lecture. 19 Lettre. enc. Lumen fidei, n. 50.
20 Cf. CYPRIEN, L’unité de l’Église catholique, 7.

[01867-FR.01] [Texte original: Italien]

Église en sortie 11 novembre 2016

Cette semaine à Église en sortie, nous recevons Jonathan Guilbault qui nous parle des Éditions Novalis et de son livre-entretien avec Charles Taylor Les avenues de la foi. On vous présente un reportage sur la Messe des vocations de l’archidiocèse de Montréal. Et dans la troisième partie de l’émission, nous vous présentons une entrevue réalisée avec Antoine Malenfant, rédacteur en chef de la revue Le Verbe, qui nous parle les nouveautés de cette revue bien de chez nous.

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