Du 5 au 8 mars prochain, le pape François se rendra en Irak pour un voyage apostolique. Qualifiée par plusieurs d’événement historique, cette présence du pape dans les circonstances actuelles de pandémie et d’instabilité politique ne devrait cependant pas nous surprendre. Depuis le début de son pontificat, le Saint-Père n’a jamais cessé de nous donner des exemples de fidélité au souffle audacieux de l’Esprit. Ainsi, que ce soit par le témoignage de sa proximité avec les catholiques de la région, par ce geste concret au service de l’urgence humanitaire à laquelle font face les catholiques irakiens ou par son dévouement au profit de la construction d’une culture du dialogue, cette première visite du Souverain pontife en 2021 aura un caractère hautement prophétique.
L’urgence de la proximité
La situation en Irak n’est certainement pas enviable. Depuis plusieurs décennies, de nombreux conflits ont meurtri ce pays considéré comme le berceau de l’humanité. Récemment, le conflit en Syrie et la naissance du groupe armé ISIS ont multiplié les souffrances, particulièrement chez les chrétiens. Dans ce contexte, les catholiques furent l’une des cibles privilégiées d’organisations terroristes et, par d’insoutenables persécutions, ont forcé une grande partie de la population à s’exiler.
Ce départ en masse des chrétiens d’Orient a évidemment occasionné lui aussi des drames et des blessures profondes. Les pasteurs sont les premiers à pouvoir témoigner de cette tragédie. Alors qu’ils ne peuvent s’empêcher de comprendre le choix douloureux de nombreux fidèles de partir, faute de pouvoir garantir la sécurité de leur famille, ceux qui restent en sont néanmoins affaiblis sinon encore plus marginalisés.
Tout cela sans compter le fait que la présence chrétienne dans l’ensemble du Moyen-Orient est originelle et précède de plusieurs siècles l’arrivée de la religion musulmane. Encourager le maintien d’une présence catholique forte en Irak sans jugement pour ceux qui sont partis n’est pas une mince affaire. Elle est néanmoins essentielle à la stabilité culturelle et politique de ce pays. Connaissant l’implication du pape François en faveur des migrants en Europe, cette tâche d’encourager les chrétiens à rester sur leur terre sera un exercice difficile. À la hauteur des aptitudes pastorales de l’évêque de Rome !
Une diplomatie de la paix
Bien que principalement « pastorale », c’est-à-dire destiné aux catholiques, à leur témoigner de sa proximité par une présence réconfortante et priante, le voyage du Pape en Irak a également pour but de s’assurer du respect de leurs droits humains fondamentaux. En ce sens, plusieurs rencontres sont organisées avec les dignitaires et responsables politiques de la République irakienne. Ce sera notamment le cas du Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi qui aura l’occasion de recevoir officiellement le pape François le vendredi 5 mars.
Lors de ces rencontres, outre les échanges protocolaires et les gestes diplomatiques, on peut s’attendre, tant en coulisse que dans les discours officiels, à ce que le Pape fasse sentir l’urgence de la paix. Pour ce dernier, l’établissement d’un véritable climat de paix est impossible sans l’apport d’une vision éclairée de la citoyenneté qui« se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice ». Par-delà les différences religieuses, l’ensemble des citoyens de la République d’Irak doivent, ensemble, se mettre au travail pour rebâtir leur pays. La présence du Pape pourrait être un événement pivot en ce sens.
L’impératif du dialogue
En se rendant sur place, le Pape fait de lui-même un exemple de cette culture de la rencontre qui, par « le dialogue, la compréhension, la diffusion de la culture de la tolérance, de l’acceptation de l’autre et de la coexistence entre les êtres humains contribueraient notablement à réduire de nombreux problèmes économiques, sociaux, politiques et environnementaux qui assaillent une grande partie du genre humain »[4]. Comme ce fut le cas lors de son voyage à Abu Dhabi, ce voyage en Irak sera l’occasion pour lui de poursuivre le dialogue avec des chefs de plusieurs dénominations musulmanes.
À première vue, cette ouverture à la rencontre inter-religieuse n’a rien de nouveau. Les fruits du Concile Vatican II nous ont habituer à cette fraternité des Papes envers les leaders d’autres religions. Toutefois, elle revêt, cette fois-ci, un caractère particulier puisque nombre de violences subies par les chrétiens furent commises au nom d’une vision erronée de l’Islam. En effet, comme le dit la « Déclaration sur la Fraternité humaine » signée par d’éminents représentants musulmans : « De même nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang ».
Nul peuple sur terre ne peut prétendre à une plus grande identification au Christ crucifié que les chrétiens d’Irak. En ce sens, qui peut juger de la rancœur de celui qui a subi les pires atrocités. Le Pape devra donc chercher à concilier cette soif de justice des chrétiens d’Irak avec l’exhortation au pardon du Fils de Dieu. Cet équilibre qui, à vue humaine, semble presque impossible à obtenir, peut néanmoins être assuré du soutien de la Providence. Le pape François manifeste donc au monde son profond enracinement dans la Parole de Dieu selon laquelle « là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 20). Cette dimension du voyage sera certainement à surveiller.
À la rencontre des rêves de Dieu
On le comprend d’emblée, la présence du Pape en Irak ne sera certainement pas de tout repos. Dans une courte période de temps, il sera presque constamment en mouvement passant de rencontre en rencontre. N’y avait-il pas un meilleur moment pour se rendre sur place, un moment plus sécuritaire, plus « raisonnable »? Si on regarde de l’extérieur et selon les critères du monde, il semblerait que oui. Mais, comme le dit l’épitre de Jacques « la miséricorde triomphe du jugement » (Jc, 2, 13). Le Pape a donc considéré que la priorité revenait à ceux qui souffraient davantage, quoi qu’il en coûte.
Durant ces quelques jours, le monde entier sera témoin d’un pasteur prêt à tout pour ses brebis. Que ce soit par le témoignage de son affection pour ces catholiques identifiés à la Croix, par un travail diplomatique au service de l’urgence humanitaire ou par un désir de rapprochement avec nos frères musulmans, ce voyage du pape en Irak laissera la marque d’un homme entièrement dévoué à la cause de la paix. Prions pour que ce pèlerinage porte les fruits qui résident dans le cœur de Dieu et, que, par la collaboration de tous les Irakiens, ses rêves de «paix et de réconciliation »deviennent réalité.