Pape au Mozambique: discours aux prêtres et religieux

(CNS photo/Paul Haring)

Voici le discours du pape François prononcé lors de sa rencontre avec les évêques, prêtres et religieux du Mozambique en la cathédrale de l’Immaculée Conception, à Maputo, le 5 septembre 2019.

Bien-aimés frères Cardinaux,
Chers frères évêques,
Chers prêtres,
religieuses, religieux et séminaristes,
Chers catéchistes et animateurs de communautés chrétiennes,
Chers frères et sœurs, bonsoir !

Je remercie pour la salutation de bienvenue de Monseigneur Hilário au nom de vous tous. Avec affection et grande reconnaissance, je vous salue tous. Je sais que vous avez fait un grand effort pour être ici. Ensemble, nous voulons renouveler la réponse à l’appel qui autrefois a fait brûler d’ardeur nos cœurs et que la Sainte Mère Église nous a aidés à discerner et à confirmer par la mission. Merci pour vos témoignages, qui parlent des heures difficiles et des graves défis que vous affrontez, en reconnaissant vos limites et vos faiblesses, mais aussi en admirant la miséricorde de Dieu. J’ai été heureux d’entendre dire, de la bouche d’une catéchiste : ‘‘Nous sommes une Église insérée dans une peuple héroïque’’. Merci ! Un peuple qui a connu la souffrance, mais garde vivante l’espérance. Avec cette saine fierté pour votre peuple, qui invite à renouveler la foi et l’espérance, nous voulons renouveler notre oui aujourd’hui. Comme la Sainte Mère Église est heureuse de vous entendre manifester l’amour du Seigneur et de la mission qu’il vous a confiée ! Comme elle est heureuse de voir votre désir de retourner toujours au « premier amour » (Ap 2, 4) !

Je supplie l’Esprit Saint de vous donner toujours la lucidité d’appeler chaque chose par son nom, le courage de demander pardon et la capacité d’apprendre à écouter ce qu’il veut nous dire. Chers frères et sœurs, que nous le voulions ou non, nous sommes appelés à affronter la réalité telle qu’elle est. Les temps changent et nous devons reconnaître que bien des fois nous ne savons pas comment nous insérer dans les nouveaux temps, dans les nouvelles situations ; nous pouvons rêver des « oignons d’Égypte » (Nb 11, 5), en oubliant que la Terre Promise est en face, pas derrière, et dans cette nostalgie des temps passés, nous nous pétrifions peu à peu, progressivement nous nous ‘‘momifions’’. Ce n’est pas une bonne chose ! Un évêque, un prêtre, une religieuse, un catéchiste momifié, non ce n’est pas bon ! Au lieu de proclamer la Bonne Nouvelle, ce que nous annonçons, c’est quelque chose de blafard qui n’attire ni n’enflamme le cœur de personne. Voilà la tentation ! Nous nous trouvons dans cette cathédrale, dédiée à l’Immaculée Conception, pour partager en tant que famille ce que nous vivons ; en tant que famille née dans ce oui que Marie a dit à l’ange. Elle n’a même pas regardé en arrière un instant. Celui qui fait le récit de ces événements du début du mystère de l’Incarnation, c’est l’évangéliste Luc. Dans sa manière de le faire, nous pouvons peut-être découvrir la réponse aux questions que vous avez posées aujourd’hui -évêques, prêtres, sœurs, catéchistes… Les séminaristes ne l’ont pas fait [ils rient] et trouver aussi le soutien nécessaire pour répondre avec la même générosité et la même sollicitude que Marie.

Saint Luc présente en parallèle les événements concernant saint Jean Baptiste et Jésus Christ ; il veut que, dans le contraste, nous découvrions ce qui disparaît progressivement dans la manière d’être de Dieu et de notre relation avec lui dans l’Ancien Testament, puis que nous découvrions la nouvelle façon que nous apporte le Fils de Dieu fait homme. Une façon, dans l’Ancien Testament, qui disparaît, et une autre, nouvelle, que Jésus apporte. Il est évident que, dans les deux Annonciations – celle de Jean Baptiste et celle de Jésus – il y a un ange. Cependant, dans l’une, l’apparition a lieu en Judée, dans la ville la plus importante – Jérusalem – et ne se déroule pas n’importe où, mais dans le temple et, là, dans le Saint des Saints ; elle s’adresse à un homme et… un prêtre. Tandis que l’annonce de l’Incarnation est faite en Galilée, la région la plus éloignée et la plus conflictuelle, dans un petit village – Nazareth – dans une maison et non dans la synagogue ou dans un endroit religieux ; elle est faite à une laïque et… une femme – pas à un prêtre, pas à un homme. Le contraste est grand. Qu’est-ce qui a changé ? Tout ! Tout a changé. Et dans ce changement, se trouve notre plus profonde identité. Vous demandiez ce qu’il faut faire face à la crise d’identité sacerdotale, comment la combattre.

À ce sujet, ce que je vais dire concernant les prêtres, c’est quelque chose que tous (évêques, catéchiste, consacrés) nous sommes appelés à cultiver et à développer. Je parlerai pour tous. Face à la crise d’identité sacerdotale, il nous faut peut-être sortir des lieux importants et solennels ; il nous faut retourner aux endroits où nous avons été appelés, où il était évident que l’initiative et le pouvoir étaient de Dieu. Personne parmi nous n’a été appelé pour un poste important, personne. Parfois, sans le vouloir, sans faute morale, nous avons coutume de confondre notre activité quotidienne de prêtres, de religieux, de consacrés, de laïcs, de catéchistes, avec certains rites, avec des réunions et des rencontres, où la place que nous occupons dans la réunion, à la table ou bien dans la salle, est d’ordre hiérarchique ; nous ressemblons plus à Zacharie qu’à Marie. « Je crois que nous n’exagérons pas si nous disons que le prêtre est une personne très petite : l’incommensurable grandeur du don qui nous est fait par le ministère nous relègue parmi les plus petits des hommes. Le prêtre est le plus pauvre des hommes- oui, le prêtre est le plus pauvre des hommes – si Jésus ne l’enrichit pas de sa pauvreté, il est le serviteur le plus inutile si Jésus ne l’appelle pas ami, le plus insensé des hommes si Jésus ne l’instruit pas patiemment comme Pierre, le plus désarmé des chrétiens si le Bon Pasteur ne le fortifie pas au milieu de son troupeau. -La faiblesse du prêtre, du consacré, du catéchiste-. Personne n’est plus petit qu’un prêtre laissé à ses seules forces ; donc notre prière de protection contre tout piège du Malin est la prière de notre Mère : je suis prêtre parce qu’il a regardé avec bonté ma petitesse (cf. Lc 1, 48) » (Homélie de la Messe Chrismale, 17 avril 2014).

Chers frères et sœurs, retourner à Nazareth, retourner en Galilée peut être le chemin pour affronter la crise d’identité. Jésus nous appelle, après sa résurrection, à retourner en Galilée, pour le rencontrer. Retourner à Nazareth, au premier appel, retourner en Galilée, pour résoudre la crise d’identité, pour nous renouveler comme pasteurs-disciples-missionnaires. Vousmêmes, vous parliez d’une certaine exagération dans le souci de gérer les ressources pour le bienêtre personnel, par des ‘‘voies tortueuses’’ qui bien des fois finissent par donner la priorité aux activités dont la rémunération est garantie et entravent la consécration de la vie à la pastorale quotidienne. La figure de cette jeune fille simple chez elle, en contraste avec toute la structure du temple et de Jérusalem, peut être un miroir où nous voyons nos complications, nos préoccupations qui obscurcissent et entravent la générosité de notre oui. Les doutes et le besoin d’explications de Zacharie détonnent avec le oui de Marie qui demande seulement à savoir comment va se réaliser tout ce qui lui est annoncé. Zacharie ne peut pas surmonter le souci de tout contrôler, il ne peut pas se départir de la logique d’être et de se sentir responsable et auteur de ce qui va se passer. Marie ne doute pas, elle ne se regarde pas elle-même : elle se donne, elle fait confiance. Il est exténuant de vivre la relation avec Dieu comme Zacharie, comme un docteur de la loi : toujours en accomplissant [la loi], toujours en jugeant que le salaire est proportionnel à l’effort fourni, que c’est mon mérite si Dieu me bénit, que l’Église a le devoir de reconnaître mes vertus et mes efforts…C’est exténuant ! Il est exténuant de vivre la relation avec Dieu comme le fait Zacharie. Nous ne pouvons pas poursuivre ce qui génère des bénéfices personnels ; nos fatigues doivent être plus liées à notre capacité de compassion. Ai-je la capacité de compassion ? Ce sont des tâches dans lesquelles le cœur est ‘‘mû’’ et ému.

Chers frères et sœurs, l’Église demande la capacité de compassion. Capacité de compassion. « Nous nous réjouissons avec les fiancés qui se marient – la vie pastorale – nous rions avec l’enfant qu’ils font baptiser ; nous accompagnons les jeunes qui se préparent au mariage et à la famille ; nous nous affligeons avec celui qui reçoit l’onction sur un lit d’hôpital ; nous pleurons avec ceux qui enterrent une personne chère… » (Homélie de la Messe Chrismale, 2 avril 2015). Nous passons des heures et des jours à accompagner cette mère qui a le sida, cet enfant orphelin, cette grand-mère qui a à sa charge de nombreux petits-enfants ou ce jeune venu en ville qui est désespéré parce qu’il ne trouve pas de travail… « Tant d’émotions… Si nous avons le cœur ouvert, cette émotion et tant d’affection fatiguent le cœur du pasteur. Pour nous, prêtres, les histoires de nos gens ne sont pas un bulletin d’information : nous connaissons nos gens, nous pouvons deviner ce qui se passe dans leur cœur ; et le nôtre, en souffrant avec eux, s’effiloche, se défait en mille morceaux, il est bouleversé et semble même mangé par les gens : prenez et mangez. C’est la parole que le prêtre de Jésus chuchote constamment quand il prend soin de son peuple fidèle : prenez et mangez, prenez et buvez… Et ainsi notre vie sacerdotale se donne dans le service, dans la proximité du peuple de Dieu… qui toujours, toujours fatigue » (Ibid.). Chers frères et sœurs, la proximité fatigue, fatigue toujours. La proximité avec le saint peuple de Dieu. La proximité fatigue.

Prêtre, sœur, catéchiste…, il est beau de se trouver fatigué de la proximité. Renouveler l’appel, bien des fois, c’est vérifier si nos fatigues et nos préoccupations ont à voir avec une certaine ‘‘mondanité spirituelle’’ dictée « par l’attrait de mille propositions de consommation dont nous ne pouvons pas nous défaire en nous secouant pour marcher, libres, sur les sentiers qui nous conduisent à l’amour de nos frères, au troupeau du Seigneur, aux brebis qui attendent la voix de leurs pasteurs » (Homélie de la Messe Chrismale, 24 mars 2016) ; Renouveler l’appel, notre appel, c’est choisir, dire oui et nous fatiguer dans ce qui est fécond aux yeux de Dieu, qui rend présent, incarne son Fils Jésus. Puissions-nous trouver, dans cette fatigue salutaire, la source de notre identité et de notre bonheur ! La proximité fatigue, et cette fatigue est sainteté.

Que nos jeunes découvrent en nous que nous nous laissons ‘‘prendre et manger’’, et que ce soit cela même qui les amène à s’interroger sur le fait de suivre Jésus et qu’émerveillés par la joie d’un don de soi quotidien, non pas imposé, mais mûri et choisi dans le silence et dans la prière, ils désirent dire oui. Toi qui t’interroges encore ou qui es déjà sur le chemin d’une consécration définitive, rends-toi compte que « l’anxiété et la rapidité de nombreuses stimulations qui nous bombardent, font qu’il ne reste plus de place pour ce silence intérieur où l’on perçoit le regard de Jésus et où l’on écoute son appel. Pendant ce temps, t’arriveront de nombreuses propositions maquillées, qui semblent belles et intenses, même si, avec le temps, elles te laisseront vide, fatigué et seul. Ne laisse pas cela t’arriver, parce que le tourbillon de ce monde te pousse à une course insensée, sans orientation, sans objectifs clairs, et qu’ainsi beaucoup de tes efforts seront vains. Cherche plutôt ces espaces de calme et de silence qui te permettront de réfléchir, de prier, de mieux regarder le monde qui t’entoure, et alors, oui, avec Jésus tu pourras reconnaître quelle est ta vocation sur cette terre » (Christus vivit, n. 277).

Ce jeu de contrastes, que nous présente l’évangéliste Luc l’incarnation à Nazareth et l’annonciation à Zacharie dans le temple – culmine dans la rencontre de deux femmes : Elisabeth et Marie. La Vierge visite sa cousine âgée et tout est fête, danse et louange. C’est une partie d’Israël qui a compris le changement profond et vertigineux du projet de Dieu : c’est pourquoi elle accepte d’être visitée, c’est pourquoi l’enfant exulte dans son sein. Pendant un moment, dans une société patriarcale, le monde des hommes recule, muet comme Zacharie. De même, aujourd’hui nous a parlé une catéchiste, une sœur, une femme mozambicaine qui nous a rappelé que rien ne vous fera perdre l’enthousiasme d’évangéliser, d’accomplir votre engagement baptismal. Votre vocation, c’est d’évangéliser ; la vocation de l’Église, c’est d’évangéliser ; l’identité de l’Église, c’est d’évangéliser. Pas de faire du prosélytisme. Le prosélytisme n’est pas l’évangélisation. Le prosélytisme n’est pas chrétien. Notre vocation, c’est d’évangéliser. L’identité de l’Église, c’est d’évangéliser. Et notre sœur que voici représente tous ceux qui vont à la rencontre de leurs frères : aussi bien ceux qui rendent visite comme Marie, que ceux qui, se laissant visiter, acceptent volontiers que l’autre les transforme en partageant leur culture, leur façon de vivre la foi et de l’exprimer.

L’inquiétude que tu as exprimée nous montre que l’inculturation sera toujours un défi, comme un ‘‘voyage’’ entre ces deux femmes qui seront l’une et l’autre transformées par la rencontre et le service. « Les Églises particulières doivent développer activement des formes, au moins initiales, d’inculturation. Ce à quoi on doit tendre, en définitive, c’est que la prédication de l’Évangile, exprimée par des catégories propres à la culture où il est annoncé, provoque une nouvelle synthèse avec cette culture. Bien que ces processus soient toujours lents, parfois la crainte nous paralyse trop.» (Evangelii gaudium, n. 129). La peur nous paralyse. La ‘‘distance’’ entre Nazareth et Jérusalem est raccourcie, rendue inexistante par ce oui de Marie. En effet, les distances, les régionalismes et la partisanerie, la construction constante de murs, sapent la dynamique de l’incarnation, qui a brisé le mur qui nous séparait (cf. Ep 2, 14). Vous, du moins les plus anciens, qui avez été témoins de divisions et de rancœurs qui se sont soldées par des guerres, vous devez toujours être disposés à vous ‘‘rendre visite’’, afin de raccourcir les distances.

L’Église au Mozambique est invitée à devenir l’Église de la Visitation ; elle ne peut pas faire partie du problème des rivalités, des mépris et des divisions entre les uns et les autres, mais plutôt la porte vers une solution, un espace où le respect, l’échange et le dialogue sont possibles. La question posée sur la façon de se comporter avant le mariage interreligieux nous interpelle concernant notre tendance persistante au fractionnement, pour séparer au lieu d’unir. Il en va de même pour les relations entre les nationalités, les races, le nord et le sud, les communautés, les prêtres et les évêques. C’est un défi, car jusqu’à ce que se développe « une culture de la rencontre dans une harmonie multiforme », il faudra « un processus constant dans lequel chaque nouvelle génération se trouve engagée. C’est un travail lent et ardu qui exige de se laisser intégrer, et d’apprendre à le faire ». C’est la condition nécessaire pour la « construction d’un peuple en paix, juste et fraternel » pour « le développement de la cohabitation sociale et la construction d’un peuple où les différences s’harmonisent dans un projet commun » (Ibid., nn. 220.221). Comme Marie s’est rendue chez Élisabeth, de même, nous aussi appartenant à l’Église nous devons sonder le chemin face à de nouvelles problématiques, en cherchant à ne pas demeurer paralysés dans une logique qui oppose, divise, condamne. Mettez-vous en route et cherchez une réponse à ces défis, en demandant l’assistance sûre de l’Esprit Saint. C’est lui le Maître capable de montrer les nouveaux chemins à parcourir.

Ravivons, donc, l’appel de notre vocation ; faisons-le dans ce magnifique temple dédié à Marie et que notre oui engagé proclame les merveilles du Seigneur et réjouisse l’esprit de notre peuple en Dieu notre Sauveur (cf. Lc 1, 46-47). Et qu’il remplisse d’espérance, de paix et de réconciliation votre pays, notre Mozambique bien-aimé.

Je vous demande, s’il vous plaît, de prier et de faire prier pour moi. Que le Seigneur vous bénisse et que la très Sainte Vierge veille sur vous ! Merci!

Pape au Mozambique: rencontre interreligieuse avec les jeunes

(CNS photo/Paul Haring)

Voici le discours prononcé par le pape François lors de sa rencontre interreligieuse avec les jeunes du Mozambique, à Maputo le 5 septembre 2019.

Merci beaucoup pour vos paroles de bienvenue ; merci beaucoup également pour toutes et chacune des représentations artistiques que vous avez réalisées. Merci beaucoup ! Merci ! Asseyezvous, installez-vous bien. Vous me remerciez d’avoir réservé du temps à passer avec vous. Que peut-il y avoir de plus important pour un pasteur que d’être avec ses jeunes ? Qu’y a-t-il de plus important pour un pasteur que de rencontrer ses jeunes ? Vous êtes importants ! Il faut le savoir, il faut le croire : vous êtes importants ! Mais en toute humilité ! Car vous n’êtes pas que l’avenir du Mozambique, ou de l’Église et de l’humanité ; vous êtes le présent, vous êtes le présent du Mozambique, par tout ce que vous êtes et faites, vous apportez déjà votre contribution en lui offrant le meilleur que vous puissiez donner aujourd’hui. Sans votre enthousiasme, vos chants, votre joie de vivre, qu’en serait-il de ce pays ? Sans les jeunes, que serait ce pays ?

Vous voir chanter, sourire, danser au sein de toutes les difficultés que vous traversez – comme justement tu nous en faisais part – c’est le meilleur signe que vous les jeunes, vous êtes la joie de ce pays, la joie d’aujourd’hui, d’aujourd’hui. L’espérance de demain. La joie de vivre est l’une de vos caractéristiques principales, la caractéristique des jeunes, la joie de vivre, comme on peut s’en apercevoir ici ! La joie partagée et célébrée qui réconcilie, et devient le meilleur antidote à même de contredire tous ceux qui veulent vous diviser – attention : qui veulent vous diviser ! – qui veulent vous fragmenter, qui veulent vous opposer. Comme votre joie de vivre manque dans certaines régions du monde ! Comme on sent dans certaines régions du monde la joie d’être unis, de vivre ensemble, étant de diverses confessions religieuses mais enfants du même pays, unis !

Merci aux différentes confessions religieuses de se trouver ici. Merci d’oser affronter le défi de la paix et de la célébrer aujourd’hui en famille comme nous le faisons, en incluant ceux qui, ne faisant partie d’aucune tradition religieuse, y participent… Vous êtes en train de faire l’expérience que nous sommes tous nécessaires : avec nos différences, mais nécessaires. Nos différences sont nécessaires. Ensemble – comme vous l’êtes – vous êtes la vitalité de ce peuple, où chacun joue un rôle fondamental, dans un unique projet innovant, pour écrire une nouvelle page de l’histoire, une page remplie d’espérance, remplie de paix, remplie de réconciliation. Je vous demande : voulezvous écrire cette page ? [Ils répondent : oui !]. Quand je suis entré, vous avez chanté ‘‘réconciliation’’. Voulez-vous le répéter ? [Tous : Réconciliation ! Réconciliation ! Réconciliation !] Vous m’avez posé deux questions, mais je crois qu’elles sont liées. En voici une : comment faire pour que les rêves des jeunes deviennent réalité ? L’autre : comment faire pour que les jeunes s’impliquent dans les problèmes qui tourmentent le pays ? Aujourd’hui, vous nous avez indiqué le chemin et vous nous avez montré comment répondre à ces questions.

Vous l’avez exprimé par l’art, par la musique, par la richesse culturelle que tu mentionnais avec beaucoup de fierté… vous avez manifesté une partie de vos rêves et de vos réalités ; en chacune d’elles se révèlent différentes façons de faire face au monde et de fixer l’horizon : en ayant toujours les yeux débordant d’espérance, remplis d’avenir et de rêves. Vous les jeunes, vous marchez sur vos deux pieds comme les adultes, de la même manière ; mais contrairement aux adultes qui les gardent parallèles, vous en avez un devant l’autre, prêts à bondir, prêts à partir. Vous avez une force immense, vous êtes capables d’un regard chargé de beaucoup d’espérance ! Vous êtes une promesse de vie, qui comporte un certain degré de ténacité (cf. Christus vivit, n. 139), que vous ne devez ni perdre ni vous laisser voler. Comment réaliser les rêves, comment contribuer à apporter une solution aux problèmes du pays ? Je voudrais vous dire : ne vous laissez pas voler la joie ! Ne vous lassez pas de chanter et de vous exprimer en accord avec tout ce que vous apprenez de bon de vos traditions. Qu’on ne vous vole pas la joie ! Comme je vous l’ai dit, il y a beaucoup de manières de regarder l’horizon, le monde, de regarder le présent et l’avenir. Il y a plusieurs façons de le faire. Mais il faut veiller à deux attitudes qui tuent les rêves et l’espérance. Quelles sont-elles ? La résignation et l’angoisse.

Deux attitudes qui tuent les rêves et l’espérance. Ce sont de grandes ennemies de la vie, car normalement, elles nous poussent vers un chemin facile, mais d’échec ; et les frais de péage qu’elles demandent pour laisser passer sont très élevés. C’est très cher ! On paie de son propre bonheur, voire de sa propre vie. Résignation et angoisse : deux attitudes qui volent l’espérance. Que de fausses promesses de bonheur, qui finissent par mutiler des vies ! Vous connaissez certainement des amis, des proches – ou il a même pu vous arriver à vous-mêmes –en des moments difficiles, douloureux, quand tout semble vous tomber dessus, de rester prostrés dans la résignation. Il faut faire très attention, car cette attitude « te fait prendre la mauvaise route. Quand tout semble immobile et stagnant, quand les problèmes personnels nous inquiètent, quand les malaises sociaux ne trouvent pas les réponses qu’ils méritent, ce n’est pas bon de partir battu » (Ibid., n. 141). Ce n’est pas bon de partir battu ! Répétez : ce n’est pas bon de partir battu ! [Tous : ce n’est pas bon de partir battu !] Je sais que la majorité d’entre vous aime le football. N’est-ce pas ? Je me souviens d’un grand joueur de ce pays qui a appris à ne pas se résigner : Eusébio da Silva, la panthère noire. Il a commencé sa carrière sportive dans une équipe de cette ville.

Les graves difficultés économiques de sa famille et la mort prématurée de son père n’ont pas entravé ses rêves ; sa passion pour le football l’a fait persévérer, rêver et aller de l’avant… au point qu’il a marqué soixante-dix-sept buts pour cette équipe de Maxaquene ! Les raisons pour se résigner ne manquent pas… Et lui, il ne s’est pas résigné. Son rêve et sa volonté de jouer l’ont fait avancer, mais c’était également important pour lui de trouver avec qui jouer. Vous le savez, dans une équipe, tous ne sont pas égaux, ni font les mêmes choses ou pensent de la même manière. Non ! Chaque joueur a ses caractéristiques, comme nous pouvons le découvrir et l’apprécier dans cette rencontre : nous venons de diverses traditions et même nous pouvons parler des langues différentes, mais cela ne nous a pas empêchés de nous rencontrer. On a beaucoup souffert et on continue de souffrir, parce que certains estiment avoir le droit de déterminer qui peut ‘‘jouer’’ – non – et qui doit rester ‘‘hors du terrain de jeu’’, – c’est un droit injuste – et ceux-là passent leur vie à diviser et à opposer, et à faire la guerre. Aujourd’hui, chers amis, vous êtes, vous, un exemple, vous êtes un témoignage de la façon dont nous devons agir. Des témoins d’unité, de réconciliation, d’espérance. Comme une équipe de football. Comment s’engager pour le pays ? Comme vous êtes en train de faire maintenant, en restant unis indépendamment de ce qui peut vous différencier, en cherchant toujours l’opportunité de réaliser les rêves d’un pays meilleur, mais… ensemble. Ensemble !

Comme il est important de ne pas oublier que l’inimitié sociale détruit. Ensemble ! [Tous : l’inimitié sociale détruit]. Et l’inimitié détruit une famille. L’inimitié détruit un pays. Ensemble ! [Tous : l’inimitié sociale détruit]. L’inimitié détruit le monde. Et l’inimitié la plus grande, c’est la guerre, parce qu’on est incapable de s’asseoir et de se parler […]. Soyez capables de créer l’amitié sociale (cf. Ibid, n. 169]. Je me souviens du proverbe qui dit : ‘‘Si tu veux aller vite, marche seul ; si tu veux aller loin, fais-toi accompagner’’. Répétons-le : [Tous : ‘‘Si tu veux aller vite, marche seul ; si tu veux aller loin, fais-toi accompagner’’]. Il s’agit de rêver ensemble, comme vous êtes en train de le faire aujourd’hui. Rêvez avec d’autres ; jamais contre les autres, rêvez comme vous l’avez fait en préparant cette rencontre : tous unis et sans barrières. Cela fait partie de la ‘‘nouvelle page de l’histoire’’ du Mozambique. Football, équipes, jouer ensemble. Jouer ensemble nous enseigne que ce n’est pas uniquement la résignation qui est l’ennemi des rêves et de l’engagement, mais que l’angoisse l’est également. Résignation et angoisse. L’angoisse : celle-ci « peut être une grande ennemie lorsqu’il nous arrive de baisser les bras parce que nous découvrons que les résultats ne sont pas immédiats. Les rêves les plus beaux se conquièrent avec espérance, patience et effort, en renonçant à l’empressement. En même temps il ne faut pas s’arrêter par manque d’assurance, il ne faut pas avoir peur de parier et de faire des erreurs » (Ibid., n. 142), c’est normal ! Les plus belles choses se font avec le temps et, si quelque chose ne te réussit à la première tentative, n’aie pas peur de tenter encore et encore et encore. N’aie pas peur de te tromper ! Nous pouvons nous tromper mille fois, mais ne commettons pas l’erreur de nous arrêter, parce qu’il y a des choses qui ne réussissent pas à la première tentative.

La pire erreur serait d’abandonner, en raison de l’angoisse, d’abandonner les rêves et la détermination pour un pays meilleur. Par exemple, vous avez sous vos yeux ce beau témoignage donné par Maria Mutola, qui a appris à persévérer, à continuer de tenter, même si elle n’a pas accompli son rêve d’une médaille d’or lors des trois premiers jeux olympiques qu’elle a disputés ; par la suite, lors de sa quatrième tentative, cette athlète des huit-cents mètres a obtenu sa médaille d’or aux Olympiades de Sidney. Tenter, tenter ! L’angoisse ne l’a pas amenée à se replier sur elle-même ; ses neuf titres mondiaux ne lui ont pas fait oublier son peuple, ses racines. Mais elle a continué à se soucier des enfants mozambicains qui sont dans le besoin. Comme le sport nous apprend à persévérer dans nos rêves ! Je voudrais ajouter un autre élément important. Non à l’angoisse, non à la résignation, et maintenant un autre élément important : non à l’exclusion de vos anciens ! Vos anciens peuvent également vous aider de telle sorte que vos rêves et vos aspirations ne s’étiolent pas, ne soient pas emportés par le premier vent de difficulté ou d’impuissance. Les anciens sont nos racines. Nous le répétons ? [Tous : les anciens sont nos racines. Les anciens sont nos racines]. Les générations passées ont beaucoup à vous apprendre, à vous proposer. Certes, parfois, nous les anciens, nous le faisons de manière autoritaire, comme avertissement, en effrayant.

C’est vrai, parfois nous effrayons ou bien nous voulons que vous agissiez, parliez et viviez exactement comme nous. C’est une erreur ! Vous devriez faire votre propre synthèse, mais en écoutant, en valorisant ceux qui vous ont précédés. N’est-ce pas ce que vous avez fait pour votre musique ? Au rythme traditionnel mozambicain, la marrabenta, vous avez ajouté d’autres rythmes modernes, et est né le pandza. Ce que vous écoutiez, ce que vous voyiez vos parents et grandsparents chanter et danser, vous l’avez adopté comme vôtre. C’est le chemin que je vous propose : un chemin « fait de liberté, d’enthousiasme, de créativité, d’horizons nouveaux, mais en cultivant en même temps ces racines qui nourrissent et soutiennent » (Ibid., n. 184). Les anciens sont nos racines. [Tous : les anciens sont nos racines ]. Tout cela, ce sont de petits conseils qui peuvent vous offrir le soutien nécessaire pour que vous ne vous enfermiez pas dans les moments difficiles, mais que vous ouvriez une brèche d’espérance ; une brèche qui vous aidera à faire usage de votre créativité et à trouver des chemins ainsi que des espaces nouveaux pour répondre aux problèmes avec un sens de la solidarité. Beaucoup d’entre vous sont nés sous le signe de la paix, une paix laborieuse qui a connu divers moments : les uns plus faciles et d’autres d’épreuve.

La paix est un processus que vous aussi vous êtes appelés à faire progresser, en étendant toujours vos mains surtout à ceux qui traversent des moments difficiles. Le pouvoir de la main tendue et de l’amitié qui se manifeste concrètement est grand ! Je pense à la souffrance de ces jeunes gens arrivés en ville remplis de rêves, en quête de travail, et qui aujourd’hui sont sans toit, sans famille et sans trouver une main amie. Comme il est important que nous apprenions à être une main amie et tendue ! Ce geste, le geste de la main tendue. Tous ensemble ! Le geste de la main tendue. [Tous : le geste de la main tendue]. Merci ! Essayez également de grandir dans l’amitié avec ceux qui pensent différemment, pour que la solidarité grandisse entre vous et devienne la meilleure arme pour transformer l’histoire. La solidarité est la meilleure arme pour transformer l’histoire. Main tendue, qui nous rappelle aussi la nécessité de nous engager pour la sauvegarde de notre Maison Commune. Sans aucun doute, vous avez été bénis à travers une beauté naturelle admirable : des forêts et des fleuves, des vallées et des montagnes et de nombreuses belles plages. Malheureusement, il y a quelques mois, vous avez souffert du passage de deux cyclones, vous avez fait l’expérience des conséquences de l’effondrement écologique que nous affrontons. Beaucoup ont déjà pris à bras le corps l’impérieux défi de protéger notre Maison commune. Permettez-moi de vous faire part d’une dernière réflexion : Dieu vous aime et, sur cette affirmation, toutes nos traditions religieuses sont d’accord : « Tu as vraiment de la valeur pour lui, tu n’es pas insignifiant, tu lui importes, parce que tu es une œuvre de ses mains. Parce qu’il t’aime. Essaye de rester un moment en silence en te laissant aimer par lui. Essaye de faire taire toutes les voix et les cris intérieurs, et reste un moment dans les bras de son amour » (Ibid., n. 115). Faisons-le ensemble maintenant ! [Ils observent un moment de silence].

C’est l’amour du Seigneur qui apprend plus à redresser qu’à faire chuter, à réconcilier qu’à interdire, à donner de nouvelles chances qu’à condamner, à regarder l’avenir plus que le passé » (Ibid., n. 116). Je sais que vous croyez en cet amour qui rend possible la réconciliation. Merci beaucoup et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ! Que Dieu vous bénisse !

Pape au Mozambique: Discours aux autorités

(CNS photo/Paul Haring)

Voici le discours du pape François lors de sa rencontre avec le président du Mozambique et les autorités du pays, prononcé le 5 septembre 2019 au palais présidentiel, à Maputo.

Monsieur le Président,
Membres du Gouvernement et du Corps Diplomatique,
Distinguées Autorités,
Représentants de la société civile,
Mesdames et Messieurs,

Merci, Monsieur le Président, pour vos paroles de bienvenue comme pour l’aimable invitation à visiter cette Nation. Je suis heureux de me trouver de nouveau en Afrique et de commencer ce voyage apostolique par ce pays, si béni par sa beauté naturelle comme par sa grande richesse culturelle qui ajoute, à la joie de vivre éprouvée de votre peuple, l’espérance d’un avenir meilleur. Je salue cordialement les membres du Gouvernement et du Corps diplomatique ainsi que les représentants de la société civile ici présents. À travers vous, je voudrais approcher et saluer affectueusement tout le peuple mozambicain qui, de Rovuma jusqu’à Maputo, nous ouvre ses portes pour préparer un avenir redessiné de paix et de réconciliation. Je veux que mes premières paroles de proximité et de solidarité aillent à tous ceux sur qui se sont récemment abattus les cyclones Idai et Kenneth, dont les conséquences dévastatrices continuent de peser sur de nombreuses familles, surtout dans des endroits où la reconstruction n’a pas encore été possible, requérant une attention spéciale.

Malheureusement, je ne pourrai pas me rendre personnellement auprès de vous, mais je veux que vous sachiez que je partage votre angoisse, votre souffrance ainsi que l’engagement de la communauté catholique pour faire face à une situation si dure. Au sein de la catastrophe et de la désolation, je demande à la Providence que ne vous fasse pas défaut la sollicitude de tous les acteurs civils et sociaux qui, en mettant la personne au centre, seront capables de promouvoir la reconstruction nécessaire. Je désire également exprimer ma reconnaissance et celle d’une grande partie de la communauté internationale pour les efforts qui, depuis des décennies, sont accomplis afin que la paix redevienne la norme et la réconciliation, le meilleur chemin pour affronter les difficultés et les défis que vous avez en tant que Nation. Dans cet esprit et à cet effet, vous avez signé, il y a environ un mois, dans le Parc national de Gorongosa, l’accord du cessez-le-feu définitif entre frères mozambicains. C’est un jalon, que nous saluons et espérons décisif, posé par des personnes courageuses sur la voie de la paix qui part de cet Accord général de 1992 conclu à Rome. Que d’événements se sont succédé depuis la signature du traité historique qui a scellé la paix et produit ses premières pousses ! Ce sont ces pousses qui soutiennent l’espérance et donnent confiance pour empêcher que la manière d’écrire l’histoire ne soit une lutte fratricide, mais plutôt la capacité de se reconnaître comme frères, fils d’une même terre, administrateurs d’un destin commun. Le courage de la paix ! Un courage de haute volée : non pas celui de la force brute et de la violence, mais celui qui se concrétise dans la recherche inlassable du bien commun (cf. PAUL VI, Message pour la journée mondiale de la paix, 1973)

Vous avez connu la souffrance, le deuil et l’affliction, mais nous n’avez pas voulu que le critère régulateur des relations humaines soit la vengeance ou la répression, ni que la haine et la violence aient le dernier mot. Comme le rappelait mon prédécesseur saint Jean-Paul II durant sa visite dans votre pays en 1988, avec la guerre « beaucoup d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent de ne pas avoir une maison où habiter, assez de nourriture, d’écoles pour s’instruire, d’hôpitaux pour se soigner, d’églises où se réunir pour prier et de champs où déployer la maind’œuvre. Des milliers de personnes sont contraintes à se déplacer en quête de sécurité et de moyens pour survivre ; d’autres se réfugient dans des pays voisins (…) Non à la violence et oui à la paix ! » (Discours lors de la visite au Président de la République, 16 septembre 1988, n. 3).

Durant toutes ces années, vous avez fait l’expérience que la recherche d’une paix durable – une mission qui engage tous – exige un travail ardu, constant et sans trêve, car la paix « est comme une fleur fragile qui cherche à s’épanouir au milieu des pierres de la violence » (Message pour la journée mondiale de la paix, 2019) et, pour cela, elle demande que l’on continue d’affirmer, avec détermination mais sans fanatisme, avec courage mais sans exaltation, avec ténacité mais de manière intelligente : non à la violence qui détruit, oui à la paix et à la réconciliation ! Comme nous le savons, la paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais l’engagement inlassable – surtout de la part de nous autres qui exerçons une charge liée à une plus grande responsabilité – de reconnaître, de garantir et de reconstruire concrètement la dignité, bien des fois oubliée ou ignorée, de nos frères, pour qu’ils puissent se sentir les principaux protagonistes du destin de leur Nation. Nous ne pouvons pas perdre de vue que « sans égalité de chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. Quand la société – locale, nationale ou mondiale – abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y a ni programmes politiques, ni forces de l’ordre ou d’intelligence qui puissent assurer sans fin la tranquillité » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 59).

La paix a rendu possible le développement du Mozambique dans beaucoup de domaines. Les progrès enregistrés dans le domaine de l’éducation et de la santé sont prometteurs. Je vous encourage à poursuivre le travail de consolidation des structures et des institutions nécessaires pour que personne ne se sente abandonné, surtout vos jeunes, qui constituent la majorité de la population. Ils ne sont pas seulement l’espérance de cette terre, ils sont le présent qui interpelle, cherche et a besoin de trouver des moyens dignes leur permettant de développer leurs talents ; ils sont un potentiel pour semer et développer l’amitié sociale tant désirée. Une culture de paix exige « un processus constant dans lequel chaque nouvelle génération se trouve engagée » (Ibid., n. 220).

C’est pourquoi, le chemin doit être tel qu’il puisse favoriser une culture de la rencontre, de sorte que tout en soit imprégné : reconnaître l’autre, nouer des liens, construire des ponts. Dans ce sens, il est indispensable de garder vivante la mémoire comme chemin qui ouvre à l’avenir ; comme cheminement, qui conduit à rechercher des objectifs communs, des valeurs partagées, des idées qui aident à surmonter des intérêts sectoriels, corporatifs ou de parties afin que les richesses de votre nation soient mises au service de tous, surtout des plus pauvres. Vous avez une mission exigeante et historique à accomplir : ne relâchez pas l’effort tant qu’il y aura des enfants et des adolescents sans éducation, des familles sans toit, des travailleurs en chômage, des paysans sans terre… Voilà les fondements d’un avenir d’espérance, parce qu’avenir de dignité ! Voilà les armes de la paix !

La paix nous invite également à prendre soin de notre Maison Commune. À cet égard, le Mozambique est une nation bénie, et vous êtes particulièrement invités à sauvegarder cette bénédiction. La protection de la terre est aussi la protection de la vie, qui demande une attention spéciale quand on constate la tendance au pillage et à la spoliation, causée par l’obsession d’accumuler qui, en général, n’est même pas nourrie par des personnes qui habitent ce pays, ni motivée par le bien commun de votre peuple. Une culture de paix implique un développement productif, substantiel et inclusif, où chaque mozambicain puisse sentir que ce pays est sien, et dans lequel il puisse établir des relations de fraternité et d’équité avec son voisin et avec tout ce qui l’entoure.

Monsieur le Président, distinguées Autorités ! Vous êtes tous des constructeurs de la plus belle œuvre à réaliser : un avenir de paix et de réconciliation comme garanties du droit à un avenir de paix pour vos enfants. Je demande à Dieu que, durant ce temps que je passerai avec vous – moi aussi, en communion avec mes frères évêques et avec l’Église catholique qui pérégrine dans ce pays – je puisse contribuer à ce que la paix, la réconciliation et l’espérance règnent définitivement parmi vous. Merci

Homélie du pape François lors de la Divine Liturgie et béatification de 7 martyrs grec-catholiques

(Photo credit: CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François lors de la Divine Liturgie avec la béatification de 7 évêques grec-catholiques sur la Place de la liberté de Blaj en Roumanie: 

«Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jn 9, 2). Cette question des disciples à Jésus enclenche une série de mouvements et d’actions qui se dérouleront dans tout le récit évangélique en révélant et en mettant en évidence ce qui aveugle réellement le cœur humain.

Jésus, comme ses disciples, voit l’aveugle de naissance; il est capable de le reconnaître et de le mettre au centre. Au lieu d’expliquer que sa cécité n’était pas le fruit du péché, il mélange la poussière de la terre avec sa salive et la lui applique sur les yeux; puis, il lui demande d’aller se laver dans la piscine de Siloé. Après s’être lavé, l’aveugle retrouve la vue. Il est intéressant d’observer comment le miracle est raconté à peine en deux versets, tous les autres orientant l’attention non pas sur l’aveugle guéri mais sur les discussions qu’il suscite. Il semble que sa vie et surtout sa guérison deviennent banales, anecdotiques ou un élément de discussion, mais aussi d’irritation ou de colère. Dans un premier temps, l’aveugle guéri est interrogé par la foule étonnée, puis par les pharisiens; et ces derniers interrogent également ses parents. Ils mettent en doute l’identité de l’homme guéri; puis ils nient l’action de Dieu, en prétextant que Dieu n’agit pas le jour du sabbat. Ils vont même jusqu’à douter que l’homme soit né aveugle.

Toute la scène et les discussions révèlent combien il est difficile de comprendre les actions et les priorités de Jésus, capable de mettre au centre celui qui était à la périphérie, surtout quand on pense que c’est le ‘‘sabbat’’ qui bénéficie du primat et non l’amour du Père qui cherche à sauver tous les hommes (cf. 1 Tm 2, 4). L’aveugle devait coexister non seulement avec sa cécité mais aussi avec celle de ceux qui l’entouraient. Ainsi sont les résistances et les hostilités qui surgissent dans le cœur humain quand, au centre, au lieu des personnes, on met des intérêts particuliers, des étiquettes, des théories, des abstractions et des idéologies, qui ne font rien d’autre qu’aveugler tout et tous. En revanche, la logique du Seigneur est différente: loin de se cacher dans l’inaction ou dans l’abstraction idéologique, il cherche la personne avec son visage, avec ses blessures et son histoire. Il va à sa rencontre et ne se laisse pas duper par les discours incapables d’accorder la priorité à ce qui est réellement important et de le mettre au centre.

Ces terres connaissent bien la souffrance des gens lorsque le poids de l’idéologie ou d’un régime est plus fort que la vie et supplante même la vie et la foi des personnes comme norme; lorsque la capacité de décision, la liberté et l’espace de créativité se voient réduits, voire éliminés (cf. Lettre Enc. Laudato si’, n. 108). Chers frères et sœurs, vous avez souffert des discours et des actions fondés sur le mépris qui conduisent même à l’expulsion et à l’anéantissement de celui qui ne peut pas se défendre et font taire les voix discordantes. Pensons en particulier aux sept évêques gréco-catholiques que j’ai eu la joie de proclamer bienheureux! Face à la féroce oppression du régime, ils ont fait preuve d’une foi et d’un amour exemplaires pour leur peuple. Avec grand courage et force intérieure, ils ont accepté d’être soumis à la dure incarcération et à tout genre de mauvais traitements, pour ne pas renier leur appartenance à leur Église bien-aimée. Ces pasteurs, martyrs de la foi, ont recueilli et laissé au peuple roumain un précieux héritage que nous pouvons synthétiser en deux mots: liberté et miséricorde.

En pensant à la liberté, je ne peux pas ne pas observer que nous célébrons cette liturgie divine sur le ‘‘Champ de la liberté’’. Ce lieu significatif rappelle l’unité de votre peuple qui s’est réalisée dans la diversité des expressions religieuses: cela constitue un patrimoine spirituel qui enrichit et caractérise la culture et l’identité nationale roumaines. Les nouveaux Bienheureux ont souffert et sacrifié leur vie, en s’opposant à un système idéologique totalitaire et coercitif en ce qui concerne les droits fondamentaux de la personne humaine. Dans cette triste période, la vie de la communauté catholique était soumise à une rude épreuve par le régime dictatorial et athée: tous les évêques, et beaucoup de fidèles, de l’Église gréco-catholique et de l’Église catholique de rite latin ont été persécutés et emprisonnés.

L’autre aspect de l’héritage spirituel des nouveaux Bienheureux, est la miséricorde. Leur persévérance dans la profession de fidélité au Christ allait de pair avec la disposition au martyre sans aucune parole de haine envers leurs persécuteurs, pour lesquels ils ont eu une réelle douceur. Ce qu’a déclaré durant son emprisonnement l’évêque Iuliu Hossuest éloquent : «Dieu nous a envoyés dans ces ténèbres de la souffrance pour accorder le pardon et prier pour la conversion de tous». Ces paroles sont le symbole et la synthèse de l’attitude par laquelle ces Bienheureux, dans la période de l’épreuve, ont soutenu leur peuple en continuant à professer la foi sans faille et sans réserve. Cette attitude de miséricorde envers les bourreaux est un message prophétique, car il se présente aujourd’hui comme une invitation pour tous à vaincre la rancœur par la charité et le pardon, en vivant avec cohérence et courage la foi chrétienne.

Chers frères et sœurs, aujourd’hui également, réapparaissent de nouvelles idéologies qui, de manière subtile, cherchent à s’imposer et à déraciner nos peuples de leurs plus riches traditions culturelles et religieuses. Des colonisations idéologiques qui déprécient la valeur de la personne, de la vie, du mariage et de la famille (cf. Exhort. ap. postsyn. Amoris laetitia, n. 40) et qui nuisent, par des propositions aliénantes, aussi athées que par le passé, surtout à nos jeunes et à nos enfants en les privant de racines pour grandir (cf. Exhort. Ap. Christus vivit, n. 78). Et alors tout devient sans importance s’il ne sert pas à des intérêts personnels immédiats et pousse les personnes à profiter des autres et à les traiter comme de simples objets (cf. Lettre Enc. Laudato si’, nn. 123-124). Ce sont des voix qui, répandant la peur et la division, cherchent à éliminer et à enterrer le plus riche héritage que ces terres aient vu naître. Je pense, en fait d’héritage, par exemple à l’Édit de Torda en 1568 qui sanctionnait toute sorte de radicalisme émettant – un des premiers cas en Europe – un acte de tolérance religieuse.

Je voudrais vous encourager à porter la lumière de l’Évangile à nos contemporains et à continuer de lutter, comme ces Bienheureux contre ces nouvelles idéologies qui surgissent. Maintenant, c’est à nous qu’il revient de lutter, comme ils ont eu à le faire en leurs temps. Puissiez-vous être des témoins de liberté et de miséricorde, en faisant prévaloir la fraternité et le dialogue sur les divisions, en renforçant la fraternité du sang, qui trouve son origine dans la période de souffrance où les chrétiens, divisés au cours de l’histoire, se sont découverts plus proches et solidaires! Très chers frères et sœurs, que vous accompagnent dans votre cheminement la protection maternelle de la Vierge Marie, la Sainte Mère de Dieu, et l’intercession des nouveaux Bienheureux!

[00958-FR.02] [Texte original: Italien]

Allocution du pape François à la rencontre avec les familles de Iasi, Roumanie

(Photo credit: CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’allocution du pape François lors de la rencontre avec les familles sur l’esplanade du palais gouvernemental à Iasi en Romanie:

Chers frères et soeurs, bună seara!

Ici, avec vous, on sent la chaleur d’être en famille, entouré des petits et des grands. C’est facile, en vous voyant et en vous entendant, de se sentir chez soi. Le Pape parmi vous se sent chez lui. Merci pour votre accueil chaleureux et pour les témoignages que vous nous avez donnés. Mgr Petru, comme un bon et fier père de famille, vous a tous pris dans ses bras avec ses paroles en vous présentant et tu l’as confirmé Eduard quand tu nous as dit que cette rencontre ne veut être ni seulement celle des jeunes, ni celle des adultes, ni celle des autres, mais que vous “avez désiré que nos parents et nos grands-parents soient avec nous ce soir”.

Aujourd’hui sur ces terres, c’est la journée des enfants. Nous les Des applaudissements pour les enfants ! Je voudrais que la première chose que nous fassions soit de prier pour eux : demandons à la Vierge de les garder sous son manteau. Jésus les a placés au milieu de ses apôtres, nous voulons nous aussi les placer au milieu et réaffirmer notre engagement à les aimer du même amour avec lequel le Seigneur les aime, en nous engageant à leur garantir le droit à un avenir. Voici un bel héritage: garantir aux enfants le droit à un avenir!

Je suis heureux de savoir que sur cette place, il y a le visage de la famille de Dieu qui embrasse des enfants, des jeunes, des couples mariés, des personnes consacrées, des anciens, roumains de diverses régions et traditions, ainsi que de la Moldavie, et même ceux qui sont venus de l’autre bord de la rivière Prut, les fidèles de langue csango, polonaise et russe. L’Esprit Saint nous convoque tous et nous aide à découvrir la beauté d’être ensemble, de pouvoir nous rencontrer pour marcher ensemble. Chacun dans sa propre langue et sa propre tradition, mais heureux de se retrouver entre frères. Avec cette joie que nous partageaient Elisabetta et Ioan, – tous deux sont à féliciter – avec leurs onze enfants, tous différents, arrivés de divers lieux, mais “ aujourd’hui ils sont tous réunis, tout comme il y a quelque temps, chaque dimanche matin, ils prenaient tous ensemble la route vers l’église”. La joie des parents de voir leurs enfants réunis. Je suis sûr qu’aujourd’hui, on fait la fête dans le ciel, en voyant tant d’enfants qui ont décidé d’être ensemble.

C’est l’expérience d’une nouvelle Pentecôte, comme nous l’avons entendu dans la lecture. Où l’Esprit embrasse nos différences et nous donne la force d’ouvrir des chemins d’espérance en tirant le meilleur de chacun; le même chemin que les apôtres ont commencé, il y a deux mille ans, et dont il nous appartient de prendre le relais aujourd’hui et de nous décider à semer. Nous ne pouvons pas attendre que d’autres le fassent, cela nous appartient. Nous sommes responsables! Cela nous revient!

C’est difficile de marcher ensemble, n’est-ce pas ? C’est un don que nous devons demander, une œuvre artisanale que nous sommes appelés à construire et un beau don à transmettre. Mais par où commençons-nous à marcher ensemble ?

Je voudrais à nouveau “voler” les paroles de ces grands-parents, Elisabetta et Ioan. C’est beau de voir quand l’amour prend racine grâce au dévouement et à l’engagement, par le travail et la prière. L’amour a pris racine en vous et a donné beaucoup de fruit. Comme l’a dit Joël, quand jeunes et anciens se rencontrent, les grands-parents n’ont pas peur de rêver (cf. Jl 3,1). Et cela a été votre rêve : “Nous rêvons qu’ils puissent se construire un avenir sans oublier d’où ils sont partis. Nous rêvons que tout notre peuple n’oublie pas ses racines”. Vous regardez vers l’avenir et vous ouvrez l’avenir pour vos enfants, pour vos petits-enfants, pour votre peuple, en offrant le meilleur de ce que vous avez appris sur votre chemin : qu’ils n’oublient pas d’où ils sont partis. Où qu’ils aillent, quoiqu’ils fassent, qu’ils n’oublient pas les racines. C’est le même rêve, la même recommandation que Saint Paul a faite à Timothée : maintenir vivante la foi de sa mère et de sa grand-mère (Cf. 2 Tm 1, 5-7). Dans la mesure où tu grandis – dans tous les sens : fort, grand, et aussi en te faisant un nom – n’oublie pas la chose la plus belle et la plus précieuse que tu as apprise en famille. C’est la sagesse que l’on reçoit avec les années : quand tu grandis, n’oublie pas ta mère et ta grand-mère et cette foi simple mais solide qui les caractérisait et qui leur donnait force et constance pour aller de l’avant et ne pas baisser les bras. C’est une invitation à rendre grâce et à réhabiliter la générosité, le courage, le désintéressement d’une foi “faite maison”, qui passe inaperçue mais qui construit peu à peu le Royaume de Dieu.

Certes, la foi qui “n’est pas cotée en bourse”, n’a rien à vendre, et comme nous le rappelait Eduard, elle peut sembler “ne servir à rien”. Mais la foi est un don qui maintient vivante une assurance profonde et belle : notre appartenance d’enfants, et d’enfants aimés de Dieu. Dieu aime avec un amour de Père. Chaque vie, chacun de nous lui appartient. Et c’est une appartenance d’enfants, mais aussi de petits-enfants, d’époux, de grands-parents, d’amis, de voisins; une appartenance de frères. Le malin divise, disperse, sépare et crée la discorde, il sème la méfiance. Il veut que nous vivions “détachés” des autres et de nous-mêmes. L’Esprit, au contraire, nous rappelle que nous ne sommes pas des êtres anonymes, abstraits, des êtres sans visage, sans histoire, sans identité. Nous ne sommes pas des êtres vides ni superficiels. Il existe un réseau spirituel très puissant qui nous unit, nous “connecte” et nous soutient et qui est plus puissant que tout autre type de connexion. Et ce réseau, ce sont les racines: savoir que nous nous appartenons les uns aux autres, que la vie de chacun est amarrée à la vie des autres. “Les jeunes s’épanouissent quand ils sont vraiment aimés”, disait Eduard. Tous, nous nous épanouissons quand nous nous sentons aimés. Parce que l’amour prend racine et nous invite à les porter dans la vie des autres. Comme ces belles paroles de votre poète national qui souhaitait à sa douce Roumanie que “tes enfants vivent seulement dans la fraternité, comme les étoiles de la nuit” (M. EMINESCU, “Ce que je te souhaite, douce Roumanie”). Eminescu était un adulte, il avait grandi, s’était senti mûr, mais en plus, il avait le sens de la fraternité, et pour cela il veut que la Roumanie, que tous les roumains soient frères ‘‘comme les étoiles de la nuit’’. Nous appartenons les uns aux autres et le bonheur personnel passe par le fait de rendre les autres heureux. Tout le reste, ce sont des fables.

Pour marcher ensemble là où tu es, n’oublie pas ce que tu as appris en famille. N’oublie pas tes racines!

Cela m’a rappelé la prophétie d’un saint ermite de ces terres. Un jour, le moine Galaction Ilie du Monastère Sihăstria, marchant avec les moutons sur la montagne, rencontra un saint ermite qu’il connaissait et lui demanda: “Dis-moi, père, quand sera la fin du monde ?” Et le vénérable ermite, soupirant du fond du cœur, dit : “Père Galaction, sais-tu quand sera la fin du monde ? Quand il n’y aura plus de sentiers de voisin à voisin ! C’est-à-dire, quand il n’y aura plus d’amour chrétien et de compréhension entre frères, parents, chrétiens et entre peuples ! Quand les personnes n’aimeront plus, ce sera vraiment la fin du monde. Parce que sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur la terre !

La vie commencera à s’éteindre et à flétrir, notre cœur cessera de battre et se dessèchera, les anciens ne rêveront plus et les jeunes ne prophétiseront plus, quand il n’y aura plus de sentiers de voisin à voisin… Parce que sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur la terre.

Eduard nous a dit que lui, comme tant d’autres dans son pays, essaie de vivre la foi au milieu de nombreuses provocations. Il y a vraiment beaucoup de provocations qui peuvent nous décourager et nous fermer en nous-mêmes. Nous ne pouvons pas le nier, nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était. Les difficultés existent et elles sont évidentes. Mais cela ne peut pas nous faire perdre de vue que la foi nous donne la plus grande des provocations : celle qui, loin de t’enfermer ou de t’isoler, fait germer le meilleur de chacun. Le Seigneur est le premier à nous provoquer et à nous dire que le pire vient “quand il n’y aura plus de sentiers de voisin à voisin”, quand nous voyons plus de tranchées que de chemins. Le Seigneur est celui qui nous offre un chant plus fort que celui de toutes les sirènes qui veulent paralyser notre marche. Et il le fait de la même manière : en entonnant un chant plus beau et plus attirant.

Le Seigneur nous donne à tous une vocation qui est une provocation pour nous faire découvrir les talents et les capacités que nous possédons et pour que nous les mettions au service des autres. Il nous demande d’user de notre liberté comme liberté de choix, de dire “oui” à un projet d’amour, à un visage, à un regard. C’est une liberté bien plus grande que de pouvoir consommer et acheter des choses. Une vocation qui nous met en mouvement, qui nous fait supprimer des tranchées et ouvrir des chemins qui nous rappellent notre appartenance d’enfants et de frères.

Dans cette capitale historique et culturelle du Pays, on partait ensemble – au Moyen-Âge – comme pèlerins par la Via Transilvana, pour Saint Jacques de Compostelle. Aujourd’hui, vivent ici de nombreux étudiants de diverses parties du monde. Je me souviens d’une rencontre virtuelle que nous avons eue, en mars, avec Scholas Occurentes, dans laquelle on me disait aussi que cette ville, durant cette année, est la capitale nationale de la jeunesse. Est-ce vrai? Est-ce vrai que cette ville, cette année, est la capitale nationale de la jeunesse? [Les jeunes répondent: ‘‘Oui!’’]. Vivent les jeunes! Deux très bons éléments : une ville qui historiquement sait ouvrir et initier des processus – comme le chemin de Compostelle – ; une ville qui sait accueillir des jeunes provenant de diverses parties du monde comme actuellement. Deux caractéristiques qui rappellent les potentialités et la grande mission que vous pouvez développer : ouvrir des chemins pour marcher ensemble et réaliser ce rêve des grands-parents qui est une prophétie : sans amour et sans Dieu, aucun homme ne peut vivre sur la terre. D’ici, aujourd’hui, peuvent partir de nouvelles voies d’avenir vers l’Europe et vers tant d’autres lieux du monde. Jeunes, vous êtes des pèlerins du XXIe siècle, capables d’imaginer de manière nouvelle les liens qui nous unissent.

Mais il ne s’agit pas de créer de grands programmes ni de grands projets, mais de laisser grandir la foi, de permettre aux racines de nous apporter la sève. Comme je vous le disais au début: la foi ne se transmet pas seulement avec les paroles, mais par des gestes, des regards, des caresses comme celles de nos mères, de nos grands-mères; avec la saveur des choses que nous avons apprises à la maison, de manière simple et authentique. Là où il y a beaucoup de bruit, que nous sachions écouter; là où il y a de la confusion, que nous inspirions de l’harmonie; là où tout se revêt d’ambiguïté, que nous puissions mettre de la clarté; là où il y a de l’exclusion, que nous apportions du partage; au milieu du sensationnalisme, des messages et des nouvelles rapides, que nous prenions soin de l’intégrité des autres; au milieu de l’agressivité, que nous donnions la priorité à la paix; au milieu du mensonge, que nous apportions la vérité; qu’en tout, en tout nous privilégions l’ouverture de chemins pour sentir cette appartenance d’enfants et de frères (cf. Message pour la 52ème Journée mondiale des Communications Sociales 2018). Ces dernières paroles que j’ai prononcées portent la marque de la ‘‘musique’’ de François d’Assise. Vous savez ce que conseillait saint François d’Assise à ses frères pour transmettre la foi? Il disait ceci: ‘‘Allez, prêchez l’Évangile et, si nécessaire, également par les paroles’’. [Applaudissements]. Ces applaudissements sont pour saint François d’Assise!

Je suis sur le point de finir, il reste un paragraphe, mais je ne peux m’empêcher de faire part d’une expérience que j’ai vécue lors de mon entrée sur la place. Il y avait une femme âgée, d’un certain âge, une grand-mère. Elle portait dans ses bras son petit-fils d’environ deux mois, pas plus. Quand je suis passé, elle me l’a fait voir. Elle souriait, et elle arborait un sourire de complicité, comme pour me dire : ‘‘Regarde, à présent, je peux rêver’’. Sur le champ, j’ai été pris d’émotion et je n’ai pas eu le courage d’aller la chercher pour la conduire ici devant. C’est pourquoi j’en parle. Les grands-parents nourrissent des rêves quand leurs petits-fils progressent et les petits-fils ont du courage lorsqu’ils prennent racines des grands-parents.

La Roumanie est le “jardin de la Mère de Dieu” et dans cette rencontre, j’ai pu m’en rendre compte, parce qu’elle est une Mère qui cultive les rêves de ses enfants, qui en garde les espérances, qui apporte la joie dans la maison. C’est une Mère tendre et concrète qui prend soin de nous. Vous êtes la communauté vivante et florissante, pleine d’espérance que nous pouvons offrir à notre Mère. A elle, à la Mère, nous consacrons l’avenir des jeunes, l’avenir des familles et de l’Église. Mulțumesc! [Merci!]

[00957-FR.02] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François au Sanctuaire de Şumuleu Ciuc en Roumanie

(Photo: CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François lors de la Messe au Sanctuaire marial de Şumuleu Ciuc en Roumanie:

Avec joie et reconnaissance à Dieu, je me trouve aujourd’hui avec vous, chers frères et sœurs, dans ce cher Sanctuaire marial, riche d’histoire et de foi, où, en tant qu’enfants, nous venons rencontrer notre Mère et nous reconnaître comme frères. Les sanctuaires, lieux quasi “sacramentels” d’une Église hôpital de campagne, gardent la mémoire du peuple fidèle qui, au milieu de ses épreuves, ne se lasse pas de chercher la source d’eau vive où rafraîchir son espérance. Ce sont des lieux de fête et de célébration, de larmes et de demandes. Nous venons aux pieds de la Mère, sans beaucoup de paroles, pour nous laisser regarder par elle et pour qu’avec son regard, elle nous mène à Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6).

Nous ne le faisons pas de n’importe quelle manière, nous sommes des pèlerins. Ici, chaque année, le samedi de Pentecôte, vous vous rendez en pèlerinage pour honorer le vœu de vos aïeux et pour fortifier votre foi en Dieu et votre dévotion à la Vierge, représentée par cette statue monumentale en bois. Ce pèlerinage annuel appartient à l’héritage de la Transylvanie, mais il honore en même temps les traditions religieuses roumaines et hongroises ; y participent aussi des fidèles d’autres confessions et il est un symbole de dialogue, d’unité et de fraternité, un appel à retrouver les témoignages d’une foi devenue vie et d’une vie qui s’est faite espérance. Partir en pèlerinage, c’est savoir que nous venons comme peuple dans notre maison. C’est savoir que nous avons conscience de constituer un peuple. Un peuple dont les mille visages, les mille cultures, langues et traditions sont la richesse ; le saint Peuple fidèle de Dieu qui est en pèlerinage avec Marie, chantant la miséricorde du Seigneur. Si, à Cana en Galilée, Marie a intercédé auprès de Jésus pour qu’il accomplisse le premier miracle, dans chaque sanctuaire, elle veille et intercède non seulement auprès de son Fils mais aussi auprès de chacun de nous pour que nous ne nous laissions pas voler la fraternité par les voix et les blessures qui nourrissent la division et le cloisonnement. Les vicissitudes complexes et tristes du passé ne doivent pas être oubliées ou niées, mais elles ne peuvent pas constituer non plus un obstacle ou un argument pour empêcher une coexistence fraternelle désirée. Partir en pèlerinage signifie se sentir appelés et poussés à marcher ensemble, en demandant au Seigneur la grâce de transformer les rancœurs et les méfiances anciennes et actuelles en de nouvelles opportunités de communion ; c’est quitter nos sécurités et notre confort à la recherche d’une nouvelle terre que le Seigneur veut nous donner. Partir en pèlerinage, c’est le défi de découvrir et de transmettre l’esprit du vivre ensemble, de ne pas avoir peur de nous mélanger, de nous rencontrer et de nous aider. Partir en pèlerinage, c’est participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane toujours solidaire pour bâtir l’histoire (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 87). Partir en pèlerinage, c’est regarder non pas tant ce qui aurait pu être (et n’a pas été) mais tout ce qui nous attend et que nous ne pouvons pas reporter davantage. C’est croire au Seigneur qui vient et qui est au milieu de nous, promouvant et encourageant la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité et de justice (cf. ibid., n. 71). Partir en pèlerinage, c’est s’engager à lutter pour que ceux qui hier étaient demeurés en arrière deviennent les protagonistes de demain, et pour que les protagonistes d’aujourd’hui ne soient pas laissés en arrière demain. Et cela, chers frères et sœurs, requiert le travail artisanal de tisser ensemble l’avenir. C’est pourquoi nous sommes ici pour dire ensemble : Mère enseigne-nous à bâtir l’avenir.

Le pèlerinage dans ce sanctuaire tourne notre regard vers Marie et vers le mystère de l’élection de Dieu. Elle, une jeune fille de Nazareth, petite localité de Galilée, à la périphérie de l’empire romain et aussi à la périphérie d’Israël, a été capable par son ‘oui’ d’engager la révolution de la tendresse (cf. ibid., n.88). Le mystère de l’élection de Dieu qui pose son regard sur le faible pour confondre les forts, nous pousse et nous encourage nous aussi à dire “oui”, comme elle, comme Marie, afin de parcourir les chemins de la réconciliation. Chers frères et sœurs, ne l’oublions pas: celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas! Marchons et marchons ensemble, prenons des risques, en laissant l’Évangile être le levain capable de tout imprégner et de donner à nos peuples la joie du salut, dans l’unité et dans la fraternité.

[00956-FR.02] [Texte original: Italien

Pape François en Roumanie: homélie lors de la Messe en la cathédrale Saint-Joseph

Le pape François se rend à la cathédrale catholique Saint-Joseph de Bucarest, en Roumanie, pour célébrer la messe du 31 mai 2019. (Photo CNS / Paul Haring)

Le 31 mai 2019, premier jour de son voyage apostolique en Roumanie et fête de la Visitation, le pape François a présidé la Messe à la cathédrale Saint-Joseph de Bucarest, capitale de la Roumanie. Dans son homélie, il a évoqué la visite de Marie à sa cousine Élisabeth. Lire le texte intégral de son homélie ci-dessous:

 

L’Evangile que nous venons d’entendre nous plonge dans la rencontre de deux femmes qui s’embrassent et qui remplissent tout de joie et de louanges: l’enfant exulte de joie et Elisabeth bénit sa cousine pour sa foi; Marie chante les merveilles que le Seigneur a réalisées en son humble servante avec le grand cantique d’espérance pour ceux qui ne peuvent plus chanter parce qu’ils ont perdu la voix… Cantique d’espérance qui veut nous réveiller nous aussi et nous inviter à l’entonner aujourd’hui par le moyen de trois précieux éléments qui naissent de la contemplation de la première disciple: Marie marche, Marie rencontre, Marie se réjouit.

Marie marche… de Nazareth à la maison de Zacharie et d’Elisabeth: c’est le premier des voyages de Marie que raconte l’Ecriture. Le premier d’un grand nombre. Elle ira de Galilée à Bethléem, où naîtra Jésus; elle fuira en Egypte pour sauver l’enfant d’Erode; elle se rendra encore à Jérusalem chaque année pour la Pâque, jusqu’au dernier où elle suivra Jésus au Calvaire. Ces voyages ont une caractéristique: ils n’ont jamais été des chemins faciles, ils ont demandé courage et patience. Ils nous disent que la Vierge connaît les montées, elle connaît nos montées: elle est pour nous une sœur sur le chemin. Experte en effort, elle sait comment nous prendre par la main dans les aspérités, quand nous nous trouvons face aux tournants les plus raides de la vie. En bonne mère, Marie sait que l’amour se fait chemin dans les petites choses quotidiennes. Amour et ingéniosité maternelle capables de transformer une grotte pour animaux en maison de Jésus, avec quelques pauvres langes et une montagne de tendresse. (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 286). Contempler Marie nous permet de poser le regard sur tant de femmes, de mères et de grand-mères de ces terres qui, avec sacrifice et de manière cachée, abnégation et engagement, façonnent le présent et tissent les rêves de demain. Donation silencieuse, persévérante et inaperçue, qui n’a pas peur de “se remonter les manches” et de charger les difficultés sur les épaules pour faire avancer la vie de ses enfants, et de toute la famille «espérant contre toute espérance» (Rm 4, 18). C’est un souvenir vivant le fait que, dans votre peuple, vit et palpite un fort sentiment d’espérance, au-delà de toutes les conditions qui peuvent l’obscurcir ou tentent de l’éteindre. En regardant Marie et tant de visages maternels, on fait l’expérience de l’espace et on le nourrit pour l’espérance (cf. Document d’Aparecida, n. 536) qui engendre et ouvre l’avenir. Disons-le avec force: dans notre peuple il y a de la place pour l’espérance. C’est pourquoi Marie marche et nous invite à marcher ensemble.

Marie rencontre Elisabeth (cf. Lc 1, 39-56), déjà avancée en âge (v. 7). Mais c’est elle, l’ancienne, qui parle d’avenir, qui prophétise: “remplie d’Esprit Saint” (v. 41), elle l’appelle «bienheureuse» parce qu’«elle a cru» (v. 45), anticipant la dernière béatitude de l’Evangile: bienheureux celui qui croit (cf. Jn 20, 29). Voilà, la jeune va à la rencontre de l’ancienne à la recherche des racines, et l’ancienne renaît et prophétise sur la jeune lui donnant un avenir. Ainsi, jeunes et anciens se rencontrent, s’embrassent et sont capables, chacun, de réveiller le meilleur de l’autre. C’est le miracle suscité par la culture de la rencontre où personne n’est écarté ni étiqueté, au contraire, où tous sont recherchés parce que nécessaires, pour faire transparaître le Visage du Seigneur. Ils n’ont pas peur de marcher ensemble et, quand cela arrive, Dieu vient et accomplit des prodiges dans son peuple. Car c’est l’Esprit Saint qui nous pousse à sortir de nous-mêmes, de nos enfermements et de nos particularismes, pour nous apprendre à regarder au-delà des apparences et nous offrir la possibilité de dire du bien des autres – “les bénir” – spécialement de beaucoup de nos frères qui sont laissés sans abri, privés peut être, non seulement d’un toit ou d’un peu de pain, mais de l’amitié et de la chaleur d’une communauté qui leur ouvre les bras, les protège et les accueille. Culture de la rencontre qui nous pousse, nous chrétiens, à faire l’expérience du miracle de la maternité de l’Eglise qui cherche, défend et unit ses enfants. Dans l’Eglise, lorsque des rites divers se rencontrent, quand ce ne sont pas les appartenances de chacun, son groupe ou son ethnie qui passent en premier, mais le Peuple qui, ensemble, sait louer Dieu, alors de grandes choses se produisent. Disons-le avec force: bienheureux celui qui croit (cf. Jn 20, 29) et s’efforce de créer rencontre et communion.

Marie qui marche et qui rencontre Elisabeth nous rappelle où Dieu a voulu demeurer et vivre, quel est son sanctuaire et en quel lieu nous pouvons entendre le battement [de son cœur ]: au milieu de son Peuple. Il est là, il vit là, il nous attend là. Nous sentons l’invitation du prophète qui nous est adressée de ne pas craindre, de ne pas baisser les bras. Car le Seigneur notre Dieu est au milieu de nous, il est un sauveur puissant (cf. So 3, 16-17), il est au milieu de son peuple. Cela c’est le secret du christianisme: Dieu est au milieu de nous comme un sauveur puissant. Cette certitude nous permet, comme pour Marie, de chanter et d’exulter de joie. Marie se réjouit, elle se réjouit parce qu’elle est celle qui porte l’Emmanuel, le Dieu avec nous. «Etre chrétien est joie dans l’Esprit Saint» (Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n. 122). Sans joie nous restons paralysés, esclaves de nos tristesses. Souvent le problème de la foi n’est pas tant le manque de moyens et de structures, de quantité, ni même la présence de celui qui ne nous accepte pas; le problème de la foi est le manque de joie. La foi vacille quand on navigue dans la tristesse et dans le découragement. Quand nous vivons dans le manque de confiance, enfermés sur nous-mêmes, nous contredisons la foi, car au lieu de nous sentir enfants pour lesquels Dieu fait de grandes choses (cf. v. 49), nous réduisons tout à la mesure de nos problèmes et nous oublions que nous ne sommes pas orphelins; dans la tristesse, nous oublions que nous ne sommes pas orphelins, que nous avons un Père au milieu de nous, sauveur et puissant. Marie nous vient en aide car, au lieu de rapetisser, elle magnifie, c’est-à-dire, elle“grandit” le Seigneur, elle loue sa grandeur. Voilà le secret de la joie. Marie, petite et humble, part de la grandeur de Dieu et, malgré ses difficultés – qui étaient nombreuses – elle demeure dans la joie, car elle fait, en tout, confiance au Seigneur. Elle nous rappelle que Dieu peut toujours accomplir des merveilles si nous restons ouverts à lui et aux frères. Pensons aux grands témoins de ces terres: des personnes simples, qui ont fait confiance à Dieu au milieu des persécutions. Ils n’ont pas mis leur espérance dans le monde, mais dans le Seigneur, et ils sont ainsi allés de l’avant. Je voudrais rendre grâce pour ces humbles vainqueurs, pour ces saints de la porte d’à côté qui nous montrent le chemin. Leurs larmes n’ont pas été stériles, elles ont été une prière qui est montée au ciel et qui a irrigué l’espérance de ce peuple.

Chers frères et sœurs, Marie marche, elle rencontre et se réjouit parce qu’elle a porté une chose plus grande qu’elle-même: elle a été porteuse d’une bénédiction. Comme elle, nous aussi n’ayons pas peur d’être les porteurs de la bénédiction dont a besoin la Roumanie. Soyez les promoteurs d’une culture de la rencontre qui désavoue l’indifférence et qui désavoue la division et permet à cette terre de chanter avec force les miséricordes du Seigneur.

Pape François en Roumanie: méditation sur le Notre-Père en la cathédrale orthodoxe de Bucarest

Le pape François et le patriarche orthodoxe roumain Daniel prient le Notre Père en latin dans la nouvelle cathédrale orthodoxe roumaine de Bucarest, en Roumanie, le 31 mai 2019. (Photo CNS / Paul Haring)

Au cours de son voyage apostolique de trois jours en Roumanie, le pape François s’est rendu à la cathédrale orthodoxe de Bucarest, où il a rencontré le patriarche orthodoxe Daniel. Lors de cette rencontre, le Saint Père a médité sur la prière du Notre Père. Voici le texte complet de son allocution :

Sainteté, cher Frère, chers frères et sœurs!

Je voudrais exprimer ma gratitude et mon émotion de me trouver en ce temple saint, qui nous rassemble dans l’unité. Jésus a appelé les frères André et Pierre à laisser les filets pour devenir ensemble des pêcheurs d’hommes (cf. Mc 1, 16-17). L’appel personnel n’est pas complet sans celui du frère. Nous voulons aujourd’hui, élever, les uns à côté des autres, du cœur du pays, la prière du Notre Père. Notre identité d’enfants y est contenue et, aujourd’hui de manière particulière, [notre identité] de frères qui prient l’un à côté de l’autre. La prière du Notre Père contient la certitude de la promesse faite par Jésus à ses disciples: «Je ne vous laisserai pas orphelins» (Jn 14, 18), et elle nous donne confiance pour recevoir et accueillir le don du frère. Je voudrais donc partager quelques paroles en préparation à la prière que je réciterai pour notre chemin de fraternité et pour que la Roumanie puisse toujours être une maison pour tous, une terre de rencontre, un jardin où fleurissent la réconciliation et la communion.

Chaque fois que nous disons Notre Père, nous rappelons que le mot Père ne peut pas être sans dire notre. Unis dans la prière de Jésus, nous nous unissons aussi à son expérience d’amour et d’intercession qui nous conduit à dire: mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (cf. Jn 20, 17). C’est une invitation à ce que le “mon” se transforme en notre et que le notre devienne prière. Aide-nous, Père, à prendre au sérieux la vie du frère, à faire nôtre son histoire. Aide-nous, Père, à ne pas juger le frère pour ses actions et ses limites, mais à l’accueillir d’abord comme ton enfant. Aide-nous à vaincre la tentation de nous sentir des fils aînés, qui, à force de rester au centre, oublient le don de l’autre (cf. Lc 15, 25-32).

A Toi, qui es aux cieux – les cieux qui embrassent tout le monde et où tu fais lever le soleil sur les bons et sur les méchants, les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45), à Toi nous demandons cette entente que nous n’avons pas su préserver sur terre. Nous la demandons par l’intercession de tant de frères et sœurs dans la foi qui habitent ensemble ton Ciel après avoir cru, aimé et beaucoup souffert, également de nos jours, du seul fait d’être chrétien.

Nous voulons aussi, comme eux, sanctifier ton nom en le mettant au centre de toutes nos préoccupations. Que ce soit ton Nom Seigneur, et non pas le nôtre qui nous pousse et nous éveille à exercer la charité. Combien de fois, en priant, nous nous limitons à demander des dons, et à faire la liste de requêtes, en oubliant que la première chose à faire est de louer ton nom, adorer ta personne, pour, ensuite, reconnaître dans la personne du frère que tu as mis à côté de nous ton reflet vivant. Au milieu de tant de choses qui passent et pour lesquelles nous nous inquiétons, aide-nous, Père à rechercher ce qui demeure: ta présence et celle du frère.

Nous sommes dans l’attente que ton règne vienne: nous le demandons et nous le désirons car nous voyons que les dynamiques du monde ne le favorisent pas. Des dynamiques orientées par les logiques de l’argent, des intérêts, du pouvoir. Alors que nous nous trouvons plongés dans une consommation toujours plus effrénée, qui séduit avec des éclats scintillants mais évanescents, aide-nous, Père, à croire ce pourquoi nous prions: renoncer aux sécurités confortables du pouvoir, aux séductions trompeuses de la mondanité, à la présomption vide de nous croire autosuffisants, à l’hypocrisie de soigner les apparences. Ainsi, nous ne perdrons pas de vue ce Règne où tu nous appelles.

Que ta volonté soit faite, non la nôtre. «La volonté de Dieu c’est le salut de tous» (S. Jean Cassien, Conférences spirituelles, IX, n. 20). Nous avons besoin, Père, d’élargir les horizons afin de ne pas réduire à nos limites ta miséricordieuse volonté de salut, qui veut embrasser tout le monde. Aide-nous, Père, en envoyant sur nous, comme à la Pentecôte, l’Esprit Saint, auteur du courage et de la joie, pour qu’il nous pousse à annoncer le joyeuse nouvelle de l’Evangile au-delà des frontières de nos appartenances, des langues, des cultures et des nations.

Chaque jour nous avons besoin de Lui, notre pain quotidien. Il est le pain de la vie (cf. Jn 6, 35.48), qui nous fait nous sentir enfants aimés, et qui nourrit toute solitude et toute situation d’orphelin. Il est le pain du service: il est rompu pour se faire notre serviteur, il nous demande de nous servir mutuellement (cf. Jn 13, 14). Père, alors que tu nous donnes le pain quotidien, nourris en nous la nostalgie du frère, le besoin de le servir. En demandant le pain quotidien, nous te demandons aussi le pain de la mémoire, la grâce d’affermir les racines communes de notre identité chrétienne, racines indispensables en un temps où l’humanité, et les jeunes générations en particulier, risquent de se sentir déracinées au milieu de tant de situations liquides, dans l’incapacité de fonder leur existence. Que le pain que nous demandons, avec sa longue histoire qui va de la semence à l’épi, de la récolte à la table, inspire en nous le désir d’être de patients cultivateurs de communion qui ne se fatiguent pas de faire germer des semences d’unité, de faire lever le bien, d’œuvrer toujours à côté du frère: sans suspicion et sans distance, sans contrainte et sans homologations, dans la convivialité des diversités réconciliées.

Le pain que nous demandons aujourd’hui est aussi le pain dont chaque jour beaucoup sont privés, alors que quelques-uns ont du superflu. Le Notre Père n’est pas une prière qui tranquillise, c’est un cri face aux pénuries d’amour de notre époque, face à l’individualisme et à l’indifférence qui profanent ton nom, Père. Aide-nous à avoir faim de nous donner. Rappelle-nous, chaque fois que nous prions, que pour vivre nous n’avons pas besoin de nous conserver, mais de nous rompre; de partager, non pas d’accumuler; de nourrir les autres plus que de nous remplir nous-mêmes, car le bien être est tel seulement s’il appartient à tous.

Chaque fois que nous prions, nous demandons que nos dettes soient remises. Il nous faut du courage, parce qu’en même temps nous nous engageons à remettre les dettes que les autres ont envers nous. Par conséquent, nous devons trouver la force de pardonner de tout cœur au frère (cf. Mt 18, 35) comme toi, Père, tu pardonnes nos péchés: de laisser derrière nous le passé et d’embrasser ensemble le présent. Aide-nous, Père, à ne pas céder à la peur, à ne pas voir dans l’ouverture un danger; à avoir la force de nous pardonner et de marcher, le courage de ne pas nous contenter d’une vie tranquille et de rechercher toujours, avec transparence et sincérité, le visage du frère.

Et quand le mal, tapi à la porte du cœur, (cf. Gn 4, 7), nous incitera à nous enfermer en nous-mêmes; quand la tentation de nous isoler se fera plus forte, en cachant la réalité du péché, qui est éloignement de Toi et de notre prochain, aide-nous encore, Père. Encourage-nous à trouver dans le frère ce soutien que tu as mis à nos côtés pour marcher vers Toi, et ensemble avoir le courage de dire: “Notre Père”. Amen.

Et maintenant récitons la prière que le Seigneur nous a enseignée.

Pape François en Roumanie: discours au corps diplomatique

Photo: Le pape François parle lors d’une réunion avec des dirigeants civils et politiques et des membres du corps diplomatique au Palais Cotroceni à Bucarest, en Roumanie, le 31 mai 2019. (Photo CNS / Paul Haring)

Ce matin, le pape François a commencé son voyage apostolique en Roumanie. Après son arrivée à Bucarest, la capitale de la Roumanie, il a rencontré les dirigeants du pays. Voici le discours qu’il a prononcé devant les autorités civils et les membres du corps diplomatique:

Monsieur le Président,
Madame le Premier Ministre,
Béatitude,
Illustres Membres du Corps Diplomatiques,
Distinguées Autorités,
Distingués Représentants des diverses confessions religieuses et de la société civile,
Chers frères et sœurs,

J’adresse ma cordiale salutation et ma gratitude à Monsieur le Président et à Madame le Premier Ministre pour l’invitation à visiter la Roumanie et pour les aimables paroles de bienvenue à mon égard, également au nom des autres Autorités de la Nation et de votre peuple bien-aimé. Je salue les membres du Corps Diplomatique et les représentants de la société civile ici réunis.

Je salue avec un amour fraternel mon frère Daniel. Je présente avec déférence mon salut à tous les Métropolites et aux Évêques du Saint Synode, ainsi qu’à tous les fidèles de l’Église orthodoxe Roumaine. Je salue avec affection les Évêques, les prêtres, les religieux, les religieuses et tous les membres de l’Église catholique, que je viens confirmer dans la foi et encourager dans leur cheminement de vie et de témoignage chrétiens.

Je suis heureux de me trouver sur votre belle terre, à vingt ans de la visite de saint Jean-Paul II et alors que la Roumanie – pour la première fois depuis qu’elle est entrée dans l’Union Européenne – préside ce semestre le Conseil Européen.

C’est un moment propice pour jeter un regard d’ensemble sur les trente ans déjà passés depuis que la Roumanie s’est libérée d’un régime qui opprimait la liberté civile et religieuse et l’isolait des autres pays européens, et qui en outre avait conduit à la stagnation de son économie et à l’épuisement de ses forces créatrices. Durant ce temps, la Roumanie s’est engagée dans la construction d’un projet démocratique à travers le pluralisme des forces politiques et sociales et leur dialogue réciproque, pour la reconnaissance fondamentale de la liberté religieuse et pour la pleine insertion du pays dans un espace international plus vaste. Il est important de reconnaître qu’on a beaucoup progressé sur ce chemin même au milieu de grandes difficultés et privations. La volonté de progresser dans les divers domaines de la vie civile, sociale et scientifique, a mis en marche de nombreuses énergies et projets, a libéré beaucoup de forces créatrices tenues autrefois captives et a donné un nouvel élan aux multiples initiatives commencées, introduisant le pays dans le 21ème siècle. Je vous encourage à continuer de travailler pour consolider les structures et les institutions nécessaires non seulement pour donner une réponse aux justes aspirations des citoyens, mais aussi pour stimuler et permettre à votre peuple d’exprimer tout le potentiel et le génie dont nous le savons capable.

Il faut en même temps reconnaître que les transformations rendues nécessaires par l’ouverture d’une nouvelle ère ont comporté – avec les acquis positifs – l’émergence d’inévitables obstacles à surmonter et de conséquences pas toujours faciles à gérer pour la stabilité sociale et même pour l’administration du territoire. Je pense, en premier lieu, au phénomène de l’émigration qui a touché plusieurs millions de personnes qui ont quitté leur maison et leur patrie à la recherche de nouvelles opportunités de travail et de vie digne. Je pense au dépeuplement de tant de villages, qui ont vu en peu d’années partir une partie considérable de leurs habitants, et aux conséquences que tout cela peut avoir sur la qualité de la vie en ces territoires et à la fragilisation de vos plus riches racines culturelles et spirituelles qui vous ont soutenus durant les plus difficiles moments. Je rends hommage aux sacrifices de nombreux fils et filles de la Roumanie qui, par leur culture, leur patrimoine de valeurs et leur travail, enrichissent les pays où ils ont émigré, et qui par le fruit de leur labeur aident leurs familles restées dans leur patrie. Penser aux frères et sœurs qui sont à l’extérieur est un acte de patriotisme, un acte de fraternité, c’est un acte de justice. Continuez à le faire!

Pour affronter les problèmes de cette nouvelle étape historique, pour identifier des solutions efficaces et trouver la force de les appliquer, il faut promouvoir la collaboration positive des forces politiques, économiques, sociales et spirituelles; il est nécessaire de marcher ensemble, de marcher ensemble, et de s’engager tous avec conviction à ne pas renoncer à la vocation la plus noble à laquelle un État doit aspirer: assurer le bien commun de son peuple. Marcher ensemble, comme façon de construire l’histoire, demande la noblesse de renoncer à quelque chose de sa propre vision ou d’un intérêt propre spécifique en faveur d’un projet plus grand, de façon à créer une harmonie qui permette d’avancer en toute sécurité vers des objectifs communs. Voilà la noblesse de base!

De cette manière, on peut construire une société inclusive, dans laquelle chacun, mettant à disposition ses propres talents et compétence, avec une éducation de qualité et un travail créatif, participatif et solidaire (cf. Evangelii gaudium, n. 192), devient protagoniste du bien commun; une société où les plus faibles, les plus pauvres et les derniers ne sont pas vus comme des indésirables, comme des entraves qui empêchent la ‘‘machine’’ de fonctionner, mais comme des citoyens, comme des frères à intégrer de plein droit dans la vie civile; bien au contraire, il sont vus comme le meilleur test de la bonté réelle du modèle de société qu’on est en train de construire. En effet, plus une société se soucie du sort des plus désavantagés, plus elle peut se dire vraiment civilisée.

Il faut que tout cela ait une âme et un cœur ainsi qu’une direction de marche claire, non pas imposée par des considérations extrinsèques ou par le pouvoir envahissant des centres de la haute finance, mais par la conscience de la centralité de la personne humaine et de ses droits inaliénables (cf. ibid., n. 203). Pour un harmonieux développement durable, pour l’activation concrète de la solidarité et de la charité, pour la sensibilisation des forces sociales, civiles et politiques envers le bien commun, il ne suffit pas de mettre à jour les théories économiques, ni ne suffisent les techniques et les aptitudes professionnelles, certes nécessaires. Il s’agit, en effet, de développer l’âme de votre peuple ainsi que l’ensemble des conditions matérielles. Parce que les peuples sont dotés d’une âme, ils ont une façon de saisir la réalité, de vivre la réalité. Retourner toujours à l’âme de son propre peuple, cela fait progresser le peuple.

En ce sens, les Églises chrétiennes peuvent aider à retrouver et à alimenter le cœur palpitant d’où faire jaillir une action politique et sociale qui parte de la dignité de la personne et conduise à s’engager loyalement et généreusement pour le bien commun de la collectivité. En même temps, elles s’efforcent de devenir un reflet crédible et un témoignage attrayant de l’action de Dieu, et ainsi se promeuvent entre elles une amitié et une collaboration authentiques. L’Église catholique veut se situer à ce niveau, elle veut apporter sa contribution à l’édification de la société, désireuse d’être un signe d’harmonie, d’espérance ainsi que d’unité et se mettre au service de la dignité humaine et du bien commun. Elle entend collaborer avec les Autorités, avec les autres Églises et avec tous les hommes et femmes de bonne volonté afin de marcher ensemble et de mettre ses talents au service de la communauté tout entière. L’Église catholique n’est pas étrangère, mais elle partage pleinement l’esprit national, comme le montre la participation de ses fidèles au façonnement du destin de la nation, à la création et au développement de structures d’éducation intégrale et de formes d’assistance propres à un État moderne. C’est pour cela qu’elle souhaite offrir sa contribution à l’édification de la société et de la vie civile et spirituelle sur votre belle terre de Roumanie.

Monsieur le Président, en souhaitant à la Roumanie prospérité et paix, j’invoque sur vous, sur votre famille, sur toutes les personnes présentes, ainsi que sur la population tout entière du pays l’abondance des bénédictions divines et la protection de la Sainte Mère de Dieu.

Que Dieu bénisse la Roumanie!

Discours du pape François lors de la rencontre oecuménique et interreligieuse avec les jeunes à Skopje

Le pape François salue des jeunes Nord-Macédoniens à son arrivée au Centre pastoral, le 7 mai 2019. (Vatican Media)

Chers amis, 

C’est toujours un motif de joie et d’espérance de pouvoir avoir ces rencontres. Je vous remercie de l’avoir rendu possible et de m’avoir offert cette opportunité. Je vous remercie de tout cœur pour votre danse et vos questions. Je les avais reçues et je les connaissais, et j’ai préparé quelques points pour cette rencontre. 

Je commence par la dernière (comme disait le Seigneur, les derniers seront les premiers). Liridona, après avoir partagé avec nous tes aspirations, tu me demandais : « Est-ce que je rêve trop ? ». Une demande très belle à laquelle il nous plairait de pouvoir répondre ensemble. Pour vous, Liridona rêve-t-elle trop ? 

Je voudrais vous dire : rêver n’est jamais de trop. Un des principaux problèmes d’aujourd’hui et de tant de jeunes, est qu’ils ont perdu la capacité de rêver. Ni trop ni peu, ils ne rêvent pas. Et quand une personne ne rêve pas, quand un jeune ne rêve pas, cet espace est occupé de plainte et de résignation. « Celles-là, nous les laissons à ceux qui suivent la “déesse lamentation” […] Elle est une tromperie ; elle te fait prendre la mauvaise route. Quand tout semble immobile et stagnant, quand les problèmes personnels nous inquiètent, quand les malaises sociaux ne trouvent pas les réponses qu’ils méritent, ce n’est pas bon de partir battus » (Exhort. Ap. Postsyn. Christus vivit, n.141). Pour cela, chère Liridona, chers amis, jamais et encore jamais on ne rêve trop. Cherchez à penser à vos rêves les plus grands, à ceux comme celui de Liridona – vous rappelez- vous ? – : donner espérance à un monde fatigué, ensemble avec les autres, chrétiens et musulmans. Sans doute, c’est un très beau rêve. Elle n’a pas pensé à des petites choses, “au ras du sol”, mais elle a rêvé en grand. 

Il y a quelques mois, avec un ami, le Grand Imam d’Al-Azhar Ahmad Al-Tayyeb, nous aussi, nous avions un rêve très semblable au tien qui nous a conduits à vouloir nous engager et à signer ensemble un document qui dit que la foi doit nous conduire, nous les croyants, à voir dans les autres des frères que nous devons soutenir et aimer sans nous laisser manipuler par des intérêts mesquins1. Il n’y a pas d’âge pour rêver…Rêvez, et rêvez en grand ! 

Et ceci me fait penser à ce que nous disait Bozanka : que vous les jeunes, vous aimez les aventures. Et je suis content que cela soit ainsi, parce que c’est la belle manière d’être jeunes : vivre une aventure, une bonne aventure. Le jeune n’a pas peur de faire de sa vie une bonne aventure. Et je vous demande : quelle aventure demande plus de courage que ce rêve que Liridona nous a partagé : donner espérance à un monde fatigué ? Le monde est fatigué, le monde est divisé et il semble avantageux de le diviser et de nous diviser encore plus. Comme résonnent fortement les paroles du Seigneur : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9) ! Quelle adrénaline plus grande que de s’engager tous les jours, avec dévouement, à être artisans de rêves, artisans d’espérance ? Les rêves nous aident à maintenir vivante la certitude de savoir qu’un autre monde est possible et que nous sommes appelés à nous impliquer en lui et à en faire partie avec notre travail, avec notre engagement et notre action. 

Dans ce pays, il y a une belle tradition, celle des artisans tailleurs de pierre, habiles à tailler la pierre et à la travailler. Ainsi, il faut faire comme ces artistes et devenir des bons tailleurs de pierre de ses rêves. Un tailleur de pierre prend la pierre dans ses mains et lentement commence à lui donner forme et à la transformer, avec application et effort, et spécialement avec un grand désir de voir comment cette pierre, pour laquelle personne n’aurait rien donné, devient une œuvre d’art. 

« Les rêves les plus beaux se conquièrent avec espérance, patience et effort, en renonçant à l’empressement. En même temps il ne faut pas s’arrêter par manque d’assurance, il ne faut pas avoir peur de parier et de faire des erreurs. Il faut avoir peur de vivre paralysés, comme morts dans la vie, transformés en des personnes qui ne vivent pas, parce qu’elles ne veulent pas risquer, parce qu’elles ne persévèrent pas dans leurs engagements et parce qu’elles ont peur de se tromper. Même si tu te trompes, tu pourras toujours lever la tête et recommencer, parce que personne n’a le droit de te voler l’espérance » (Exhort. Ap. Postsyn. Christus vivit, n. 142). N’ayez pas peur de devenir artisans de rêves et d’espérance. 

« En tant que membres de l’Eglise, il est certain que nous ne devons pas être des personnes étranges. Tous doivent sentir que nous sommes frères et proches, comme les Apôtres qui « avaient la faveur de tout le peuple » (Ac 2,47; cf. 4, 21.33; 5,13). Mais, en même temps, nous devons oser être différents, afficher d’autres rêves que ce monde n’offre pas, témoigner de la beauté de la générosité, du service, de la pureté, du courage, du pardon, de la fidélité à sa vocation, de la prière, de la lutte pour la justice et le bien commun, de l’amour des pauvres, de l’amitié sociale » (ibid., n. 36). 

Pensez à Mère Teresa : quand elle vivait ici, elle ne pouvait pas imaginer comment aurait été sa vie, mais elle ne se cessa pas de rêver et de se remuer pour chercher toujours à découvrir le visage de son grand amour, Jésus, dans tous ceux qui demeuraient au bord de la route. Elle a rêvé en grand et pour cela, elle a aimé en grand. Elle avait les pieds bien plantés ici, dans sa terre, mais elle ne restait pas inactive avec ses mains. Elle voulait être “un crayon dans les mains de Dieu”. Voici son rêve artisanal. Elle l’a offert à Dieu, elle y a cru, elle en a souffert, mais elle n’y a jamais renoncé. Et Dieu a commencé à écrire avec ce crayon des pages inédites et superbes. 

Chacun de vous, comme Mère Teresa, est appelé à travailler avec ses propres mains, à prendre la vie au sérieux, pour faire d’elle quelque chose de beau. Ne permettons pas qu’on nous vole les rêves (cf. ibid., n. 17), ne nous privons pas de la nouveauté que le Seigneur veut nous offrir. Vous rencontrerez beaucoup d’imprévus, beaucoup…, mais c’est important que vous puissiez les affronter et chercher avec créativité comment les transformer en opportunité. Jamais seuls ; personne ne peut combattre seul. Comme nous ont témoigné Dragan et Marija : “notre communion nous donne la force pour affronter les défis de la société d’aujourd’hui”. 

Voici un très beau secret pour rêver et faire de notre vie une belle aventure. Personne ne peut affronter la vie de manière isolée, on ne peut pas vivre la foi, les rêves sans communauté, seul dans son cœur ou à la maison, fermés et isolés entre quatre murs, nous avons besoin d’une communauté qui nous soutient, qui nous aide et dans laquelle nous nous aidons mutuellement à regarder de l’avant. 

Comme c’est important de rêver ensemble ! Comme vous faites aujourd’hui : ici, tous unis, sans barrière. S’il vous plaît, rêvez ensemble, pas seuls ; avec les autres, jamais contre les autres. Seuls, on risque d’avoir des mirages par lesquels tu vois ce qu’il n’y a pas ; les rêves se construisent ensemble. Dragan et Marija nous ont dit combien c’est difficile quand tout semble nous isoler et nous priver de l’opportunité de nous rencontrer. A mon âge (et ce n’est pas peu), savez-vous quelle est la meilleure leçon que j’ai reçue et expérimentée dans toute ma vie ? Le “face à face”. Nous sommes entrés dans l’ère des connexions, mais nous savons peu des communications. Beaucoup sont connectés et peu sont impliqués les uns avec les autres. Parce que s’impliquer demande la vie, exige d’y être et de partager des beaux moments…et d’autres moins beaux. Au Synode consacré aux jeunes l’année dernière, nous avons pu vivre l’expérience de nous rencontrer face à face, jeunes et moins jeunes, et de nous écouter, de rêver ensemble, de regarder en avant avec espérance et gratitude. Cela a été le meilleur antidote contre le découragement et la manipulation, contre la culture de l’éphémère et des faux prophètes qui annoncent seulement malheurs et destructions : écouter et s’écouter. Et permettez-moi de vous dire quelque chose que je ressens dans mon cœur : donnez-vous l’opportunité de partager et de vous réjouir d’un bon “face à face” avec tous, mais surtout avec vos grands-parents, avec les anciens de votre communauté. Quelqu’un m’a peut-être déjà entendu le dire, mais je pense que c’est un antidote contre tous ceux qui veulent vous enfermer dans le présent en vous noyant et en vous étouffant par des pressions et des exigences d’un présumé bonheur, où il semble que le monde est en train de finir et il faut tout faire et vivre et tout de suite. Cela engendre avec le temps beaucoup d’anxiété, d’insatisfaction et de résignation. Pour un cœur malade de résignation, il n’y a pas de remède meilleur que d’écouter les expériences des anciens. 

Chers amis, prenez le temps avec vos personnes âgées, avec vos anciens, écoutez leurs longs récits, qui parfois semblent pleins de fantaisies, mais, en réalité, sont remplis d’une expérience précieuse, de symboles éloquents et de sagesse cachée à découvrir et à valoriser. Ce sont des récits qui demandent du temps (cf. Exhort. Ap. Christus vivit, n. 195). N’oublions pas le dicton qu’un nain peut voir plus loin en étant sur les épaules d’un géant. De cette manière vous acquerrez une vision jusque-là jamais atteinte. Entrez dans la sagesse de votre peuple, de vos gens, sans honte ni complexe, et vous trouverez une source de créativité insoupçonnée qui remplira tout, vous permettra de voir des routes là où les autres voient des murs, des possibilités là où d’autres voient du danger, la résurrection là où beaucoup annoncent seulement la mort. 

Merci, chers jeunes, pour cette rencontre. Dans vos témoignages et vos questions, je trouve des inquiétudes, des rêves, une recherche, tout un terrain fécond pour faire de grandes choses dans votre vie. Cela me donne tant d’espérance de voir des jeunes qui démentent les étiquettes pré- confectionnées et qui ne supportent plus les divisions du passé et du présent, et qui vont au-delà ; qui n’acceptent pas la logique du déchet et qui osent prendre des risques ; des jeunes qui consacrent du temps à servir les pauvres, à défendre la vie humaine, à promouvoir la famille ; des jeunes qui ne se résignent pas à la corruption et luttent pour la légalité ; des jeunes qui voient la maison commune malade et qui s’engagent à la rendre plus propre. Ainsi, chers amis, vous êtes des artisans d’espérance. 

Et quand les rêves diminuent et que le cœur semble s’éteindre, cherchez une communauté, prenez-vous par la main et rappelez-vous qu’il y a Quelqu’un qui vous veut vivants (cf. ibid., n. 1). 

Que le Miséricordieux et le Clément – comme l’invoquent si souvent nos frères et sœurs musulmans – vous renforce et fasse que, ce dont vous rêvez dans votre cœur, vous puissiez le transformer jour après jour avec vos mains. 

Avant de conclure, prions ensemble cette prière de Mère Teresa, afin que cette certitude s’imprime dans tous nos cœurs et puisse toujours devenir vie. 

Seigneur, veux-tu mes mains ? (Prière de Mère Teresa)

Seigneur, veux-tu mes mains pour passer cette journée à aider les pauvres et les malades qui en ont besoin ? 

Seigneur, aujourd’hui je te donne mes mains. 

Seigneur, veux-tu mes pieds pour passer cette journée à visiter ceux qui ont besoin d’un ami ? 

Seigneur, aujourd’hui, je te donne mes pieds. 

Seigneur, veux-tu ma voix pour passer cette journée à parler à ceux qui ont besoin de paroles d’amour ? 

Seigneur, aujourd’hui je te donne ma voix. 

Seigneur, veux-tu mon cœur pour passer cette journée à aimer chaque homme seul, rien que parce qu’il est un homme ? 

Seigneur, aujourd’hui je te donne mon cœur. 

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