Cette semaine à « Église en Sortie » on parle du livre « Marcher, parler, écouter: l’exercice pèlerin » avec l’auteure Brigitte Harouni. On vous présente la deuxième partie de notre portrait de l’artiste peintre Pierre Lussier. Et on discute des grandes tendances du pèlerinage au Québec avec le théologien Éric Laliberté.Église en sortie est tous les lundis à 20H30 et en reprise les vendredis à 19H30. Sur les ondes de Sel + Lumière, votre chaîne canadienne de télévision catholique.
À la recherche du temps du coeur
La crise du COVID-19 et les mesures de confinement qui ont suivi nous ont tous obligés, malgré nous, à arrêter ou, à tout le moins, ralentir la cadence de nos activités habituelles. Cette nouvelle perspective nous a tous invités à revoir nos priorités, à examiner ce qui, dans notre train-train quotidien, peut toujours se faire. Certains ont donc d’abord souligné la réduction quantitative de nos possibilités. De mon côté, j’aimerais attirer votre attention sur l’aspect qualitatif du temps qui nous est alloué à partir d’une de ses dimensions les plus importantes.
Le temps des calculs
Dans son livre « La liberté intérieure » le père Jacques Philippe fait la distinction entre le « temps de la tête » et le « temps du cœur » (p. 100-102). Pour ce théologien, temps psychologique correspond au « temps cérébral, celui que nous nous représentons, que nous calculons et découpons en heures, que nous essayons de gérer et de programmer » (p.100). Cette première dimension du temps, que les anciens nommaient « chronos » d’où sont notamment tirés des mots tels que « chronomètre » ou « chronologique », est clairement le plus affecté par la pandémie actuelle. Alors que, jusqu’à encore tout récemment, ce temps nous manquait grandement, c’est l’inverse qui se produit à l’heure actuelle pour beaucoup d’entre nous. Cette période exceptionnelle est donc une invitation à redécouvrir l’autre dimension du temps qui, malheureusement est trop souvent négligée.
Le temps de la profondeur
Toujours dans son livre « La liberté intérieure », le père Philippe invite à redécouvrir ce qu’il nomme le « temps du cœur » c’est-à-dire « le temps de Dieu, celui des rythmes profonds de la grâce dans notre vie » (p.101). Contrairement au temps cérébral, le temps du cœur « kairos » celui des considérations sur le passé et des projections vers le futur, est centré sur le présent pleinement vécu. C’est ce que l’on dit lorsqu’on parle de « prendre le temps » de faire quelque chose. Cette pleine attention à nos activités, à nos conversations, à notre travail ou dans nos relations, voilà ce que la crise actuelle nous permet de dévopper.
Une autre caractéristique importante du temps du cœur est qu’il nous rend aptes à accueillir les événements de la vie qui sont hors de notre contrôle. Alors que, trop souvent, ce qui nous rend anxieux découle du fait que notre volonté et nos projets ne se réalisent pas, la recherche du temps présent nous habitue à accueillir ce qui vient avec liberté et détachement. Cette habitude, très difficile à développer, je vous l’accorde, est un don que nous recevons gratuitement par la prière fréquente, spécialement l’oraison. Ainsi, nous pourrons vivre « dans le plus grand abandon, sans inquiétude et sans peur, n’avoir d’autre souci que de faire la volonté divine, être pleinement disponible aux événements et aux personnes » (p.102).
Faire du bien avec le mal
Dieu n’est évidemment pas responsable des calamités que subissent les hommes. Il est clair que la présente pandémie n’est pas pour Lui l’occasion de réjouissances. Toutefois, nous savons par la Révélation que le mal est permis puisque Dieu est en mesure d’en tirer un plus grand bien. À nous de découvrir le bien que Dieu désire que nous découvrions actuellement. Réapprendre à vivre une relation sereine avec le temps, savoir s’ajuster et adapter nos vies au temps dans ses deux dimensions pourraient être un effet positif de la crise actuelle. Au-delà de la course effrénée centrée sur la quantité, laissons-nous transformer par la prière réintégrons et recherchons ces moments de qualité qui sont les seuls, à pouvoir véritablement nous combler.
Pape François en Roumanie: méditation sur le Notre-Père en la cathédrale orthodoxe de Bucarest
Au cours de son voyage apostolique de trois jours en Roumanie, le pape François s’est rendu à la cathédrale orthodoxe de Bucarest, où il a rencontré le patriarche orthodoxe Daniel. Lors de cette rencontre, le Saint Père a médité sur la prière du Notre Père. Voici le texte complet de son allocution :
Sainteté, cher Frère, chers frères et sœurs!
Je voudrais exprimer ma gratitude et mon émotion de me trouver en ce temple saint, qui nous rassemble dans l’unité. Jésus a appelé les frères André et Pierre à laisser les filets pour devenir ensemble des pêcheurs d’hommes (cf. Mc 1, 16-17). L’appel personnel n’est pas complet sans celui du frère. Nous voulons aujourd’hui, élever, les uns à côté des autres, du cœur du pays, la prière du Notre Père. Notre identité d’enfants y est contenue et, aujourd’hui de manière particulière, [notre identité] de frères qui prient l’un à côté de l’autre. La prière du Notre Père contient la certitude de la promesse faite par Jésus à ses disciples: «Je ne vous laisserai pas orphelins» (Jn 14, 18), et elle nous donne confiance pour recevoir et accueillir le don du frère. Je voudrais donc partager quelques paroles en préparation à la prière que je réciterai pour notre chemin de fraternité et pour que la Roumanie puisse toujours être une maison pour tous, une terre de rencontre, un jardin où fleurissent la réconciliation et la communion.
Chaque fois que nous disons Notre Père, nous rappelons que le mot Père ne peut pas être sans dire notre. Unis dans la prière de Jésus, nous nous unissons aussi à son expérience d’amour et d’intercession qui nous conduit à dire: mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (cf. Jn 20, 17). C’est une invitation à ce que le “mon” se transforme en notre et que le notre devienne prière. Aide-nous, Père, à prendre au sérieux la vie du frère, à faire nôtre son histoire. Aide-nous, Père, à ne pas juger le frère pour ses actions et ses limites, mais à l’accueillir d’abord comme ton enfant. Aide-nous à vaincre la tentation de nous sentir des fils aînés, qui, à force de rester au centre, oublient le don de l’autre (cf. Lc 15, 25-32).
A Toi, qui es aux cieux – les cieux qui embrassent tout le monde et où tu fais lever le soleil sur les bons et sur les méchants, les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45), à Toi nous demandons cette entente que nous n’avons pas su préserver sur terre. Nous la demandons par l’intercession de tant de frères et sœurs dans la foi qui habitent ensemble ton Ciel après avoir cru, aimé et beaucoup souffert, également de nos jours, du seul fait d’être chrétien.
Nous voulons aussi, comme eux, sanctifier ton nom en le mettant au centre de toutes nos préoccupations. Que ce soit ton Nom Seigneur, et non pas le nôtre qui nous pousse et nous éveille à exercer la charité. Combien de fois, en priant, nous nous limitons à demander des dons, et à faire la liste de requêtes, en oubliant que la première chose à faire est de louer ton nom, adorer ta personne, pour, ensuite, reconnaître dans la personne du frère que tu as mis à côté de nous ton reflet vivant. Au milieu de tant de choses qui passent et pour lesquelles nous nous inquiétons, aide-nous, Père à rechercher ce qui demeure: ta présence et celle du frère.
Nous sommes dans l’attente que ton règne vienne: nous le demandons et nous le désirons car nous voyons que les dynamiques du monde ne le favorisent pas. Des dynamiques orientées par les logiques de l’argent, des intérêts, du pouvoir. Alors que nous nous trouvons plongés dans une consommation toujours plus effrénée, qui séduit avec des éclats scintillants mais évanescents, aide-nous, Père, à croire ce pourquoi nous prions: renoncer aux sécurités confortables du pouvoir, aux séductions trompeuses de la mondanité, à la présomption vide de nous croire autosuffisants, à l’hypocrisie de soigner les apparences. Ainsi, nous ne perdrons pas de vue ce Règne où tu nous appelles.
Que ta volonté soit faite, non la nôtre. «La volonté de Dieu c’est le salut de tous» (S. Jean Cassien, Conférences spirituelles, IX, n. 20). Nous avons besoin, Père, d’élargir les horizons afin de ne pas réduire à nos limites ta miséricordieuse volonté de salut, qui veut embrasser tout le monde. Aide-nous, Père, en envoyant sur nous, comme à la Pentecôte, l’Esprit Saint, auteur du courage et de la joie, pour qu’il nous pousse à annoncer le joyeuse nouvelle de l’Evangile au-delà des frontières de nos appartenances, des langues, des cultures et des nations.
Chaque jour nous avons besoin de Lui, notre pain quotidien. Il est le pain de la vie (cf. Jn 6, 35.48), qui nous fait nous sentir enfants aimés, et qui nourrit toute solitude et toute situation d’orphelin. Il est le pain du service: il est rompu pour se faire notre serviteur, il nous demande de nous servir mutuellement (cf. Jn 13, 14). Père, alors que tu nous donnes le pain quotidien, nourris en nous la nostalgie du frère, le besoin de le servir. En demandant le pain quotidien, nous te demandons aussi le pain de la mémoire, la grâce d’affermir les racines communes de notre identité chrétienne, racines indispensables en un temps où l’humanité, et les jeunes générations en particulier, risquent de se sentir déracinées au milieu de tant de situations liquides, dans l’incapacité de fonder leur existence. Que le pain que nous demandons, avec sa longue histoire qui va de la semence à l’épi, de la récolte à la table, inspire en nous le désir d’être de patients cultivateurs de communion qui ne se fatiguent pas de faire germer des semences d’unité, de faire lever le bien, d’œuvrer toujours à côté du frère: sans suspicion et sans distance, sans contrainte et sans homologations, dans la convivialité des diversités réconciliées.
Le pain que nous demandons aujourd’hui est aussi le pain dont chaque jour beaucoup sont privés, alors que quelques-uns ont du superflu. Le Notre Père n’est pas une prière qui tranquillise, c’est un cri face aux pénuries d’amour de notre époque, face à l’individualisme et à l’indifférence qui profanent ton nom, Père. Aide-nous à avoir faim de nous donner. Rappelle-nous, chaque fois que nous prions, que pour vivre nous n’avons pas besoin de nous conserver, mais de nous rompre; de partager, non pas d’accumuler; de nourrir les autres plus que de nous remplir nous-mêmes, car le bien être est tel seulement s’il appartient à tous.
Chaque fois que nous prions, nous demandons que nos dettes soient remises. Il nous faut du courage, parce qu’en même temps nous nous engageons à remettre les dettes que les autres ont envers nous. Par conséquent, nous devons trouver la force de pardonner de tout cœur au frère (cf. Mt 18, 35) comme toi, Père, tu pardonnes nos péchés: de laisser derrière nous le passé et d’embrasser ensemble le présent. Aide-nous, Père, à ne pas céder à la peur, à ne pas voir dans l’ouverture un danger; à avoir la force de nous pardonner et de marcher, le courage de ne pas nous contenter d’une vie tranquille et de rechercher toujours, avec transparence et sincérité, le visage du frère.
Et quand le mal, tapi à la porte du cœur, (cf. Gn 4, 7), nous incitera à nous enfermer en nous-mêmes; quand la tentation de nous isoler se fera plus forte, en cachant la réalité du péché, qui est éloignement de Toi et de notre prochain, aide-nous encore, Père. Encourage-nous à trouver dans le frère ce soutien que tu as mis à nos côtés pour marcher vers Toi, et ensemble avoir le courage de dire: “Notre Père”. Amen.
Et maintenant récitons la prière que le Seigneur nous a enseignée.