Homélie du pape François lors de la Divine Liturgie et béatification de 7 martyrs grec-catholiques

(Photo credit: CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François lors de la Divine Liturgie avec la béatification de 7 évêques grec-catholiques sur la Place de la liberté de Blaj en Roumanie: 

«Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jn 9, 2). Cette question des disciples à Jésus enclenche une série de mouvements et d’actions qui se dérouleront dans tout le récit évangélique en révélant et en mettant en évidence ce qui aveugle réellement le cœur humain.

Jésus, comme ses disciples, voit l’aveugle de naissance; il est capable de le reconnaître et de le mettre au centre. Au lieu d’expliquer que sa cécité n’était pas le fruit du péché, il mélange la poussière de la terre avec sa salive et la lui applique sur les yeux; puis, il lui demande d’aller se laver dans la piscine de Siloé. Après s’être lavé, l’aveugle retrouve la vue. Il est intéressant d’observer comment le miracle est raconté à peine en deux versets, tous les autres orientant l’attention non pas sur l’aveugle guéri mais sur les discussions qu’il suscite. Il semble que sa vie et surtout sa guérison deviennent banales, anecdotiques ou un élément de discussion, mais aussi d’irritation ou de colère. Dans un premier temps, l’aveugle guéri est interrogé par la foule étonnée, puis par les pharisiens; et ces derniers interrogent également ses parents. Ils mettent en doute l’identité de l’homme guéri; puis ils nient l’action de Dieu, en prétextant que Dieu n’agit pas le jour du sabbat. Ils vont même jusqu’à douter que l’homme soit né aveugle.

Toute la scène et les discussions révèlent combien il est difficile de comprendre les actions et les priorités de Jésus, capable de mettre au centre celui qui était à la périphérie, surtout quand on pense que c’est le ‘‘sabbat’’ qui bénéficie du primat et non l’amour du Père qui cherche à sauver tous les hommes (cf. 1 Tm 2, 4). L’aveugle devait coexister non seulement avec sa cécité mais aussi avec celle de ceux qui l’entouraient. Ainsi sont les résistances et les hostilités qui surgissent dans le cœur humain quand, au centre, au lieu des personnes, on met des intérêts particuliers, des étiquettes, des théories, des abstractions et des idéologies, qui ne font rien d’autre qu’aveugler tout et tous. En revanche, la logique du Seigneur est différente: loin de se cacher dans l’inaction ou dans l’abstraction idéologique, il cherche la personne avec son visage, avec ses blessures et son histoire. Il va à sa rencontre et ne se laisse pas duper par les discours incapables d’accorder la priorité à ce qui est réellement important et de le mettre au centre.

Ces terres connaissent bien la souffrance des gens lorsque le poids de l’idéologie ou d’un régime est plus fort que la vie et supplante même la vie et la foi des personnes comme norme; lorsque la capacité de décision, la liberté et l’espace de créativité se voient réduits, voire éliminés (cf. Lettre Enc. Laudato si’, n. 108). Chers frères et sœurs, vous avez souffert des discours et des actions fondés sur le mépris qui conduisent même à l’expulsion et à l’anéantissement de celui qui ne peut pas se défendre et font taire les voix discordantes. Pensons en particulier aux sept évêques gréco-catholiques que j’ai eu la joie de proclamer bienheureux! Face à la féroce oppression du régime, ils ont fait preuve d’une foi et d’un amour exemplaires pour leur peuple. Avec grand courage et force intérieure, ils ont accepté d’être soumis à la dure incarcération et à tout genre de mauvais traitements, pour ne pas renier leur appartenance à leur Église bien-aimée. Ces pasteurs, martyrs de la foi, ont recueilli et laissé au peuple roumain un précieux héritage que nous pouvons synthétiser en deux mots: liberté et miséricorde.

En pensant à la liberté, je ne peux pas ne pas observer que nous célébrons cette liturgie divine sur le ‘‘Champ de la liberté’’. Ce lieu significatif rappelle l’unité de votre peuple qui s’est réalisée dans la diversité des expressions religieuses: cela constitue un patrimoine spirituel qui enrichit et caractérise la culture et l’identité nationale roumaines. Les nouveaux Bienheureux ont souffert et sacrifié leur vie, en s’opposant à un système idéologique totalitaire et coercitif en ce qui concerne les droits fondamentaux de la personne humaine. Dans cette triste période, la vie de la communauté catholique était soumise à une rude épreuve par le régime dictatorial et athée: tous les évêques, et beaucoup de fidèles, de l’Église gréco-catholique et de l’Église catholique de rite latin ont été persécutés et emprisonnés.

L’autre aspect de l’héritage spirituel des nouveaux Bienheureux, est la miséricorde. Leur persévérance dans la profession de fidélité au Christ allait de pair avec la disposition au martyre sans aucune parole de haine envers leurs persécuteurs, pour lesquels ils ont eu une réelle douceur. Ce qu’a déclaré durant son emprisonnement l’évêque Iuliu Hossuest éloquent : «Dieu nous a envoyés dans ces ténèbres de la souffrance pour accorder le pardon et prier pour la conversion de tous». Ces paroles sont le symbole et la synthèse de l’attitude par laquelle ces Bienheureux, dans la période de l’épreuve, ont soutenu leur peuple en continuant à professer la foi sans faille et sans réserve. Cette attitude de miséricorde envers les bourreaux est un message prophétique, car il se présente aujourd’hui comme une invitation pour tous à vaincre la rancœur par la charité et le pardon, en vivant avec cohérence et courage la foi chrétienne.

Chers frères et sœurs, aujourd’hui également, réapparaissent de nouvelles idéologies qui, de manière subtile, cherchent à s’imposer et à déraciner nos peuples de leurs plus riches traditions culturelles et religieuses. Des colonisations idéologiques qui déprécient la valeur de la personne, de la vie, du mariage et de la famille (cf. Exhort. ap. postsyn. Amoris laetitia, n. 40) et qui nuisent, par des propositions aliénantes, aussi athées que par le passé, surtout à nos jeunes et à nos enfants en les privant de racines pour grandir (cf. Exhort. Ap. Christus vivit, n. 78). Et alors tout devient sans importance s’il ne sert pas à des intérêts personnels immédiats et pousse les personnes à profiter des autres et à les traiter comme de simples objets (cf. Lettre Enc. Laudato si’, nn. 123-124). Ce sont des voix qui, répandant la peur et la division, cherchent à éliminer et à enterrer le plus riche héritage que ces terres aient vu naître. Je pense, en fait d’héritage, par exemple à l’Édit de Torda en 1568 qui sanctionnait toute sorte de radicalisme émettant – un des premiers cas en Europe – un acte de tolérance religieuse.

Je voudrais vous encourager à porter la lumière de l’Évangile à nos contemporains et à continuer de lutter, comme ces Bienheureux contre ces nouvelles idéologies qui surgissent. Maintenant, c’est à nous qu’il revient de lutter, comme ils ont eu à le faire en leurs temps. Puissiez-vous être des témoins de liberté et de miséricorde, en faisant prévaloir la fraternité et le dialogue sur les divisions, en renforçant la fraternité du sang, qui trouve son origine dans la période de souffrance où les chrétiens, divisés au cours de l’histoire, se sont découverts plus proches et solidaires! Très chers frères et sœurs, que vous accompagnent dans votre cheminement la protection maternelle de la Vierge Marie, la Sainte Mère de Dieu, et l’intercession des nouveaux Bienheureux!

[00958-FR.02] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François au Sanctuaire de Şumuleu Ciuc en Roumanie

(Photo: CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François lors de la Messe au Sanctuaire marial de Şumuleu Ciuc en Roumanie:

Avec joie et reconnaissance à Dieu, je me trouve aujourd’hui avec vous, chers frères et sœurs, dans ce cher Sanctuaire marial, riche d’histoire et de foi, où, en tant qu’enfants, nous venons rencontrer notre Mère et nous reconnaître comme frères. Les sanctuaires, lieux quasi “sacramentels” d’une Église hôpital de campagne, gardent la mémoire du peuple fidèle qui, au milieu de ses épreuves, ne se lasse pas de chercher la source d’eau vive où rafraîchir son espérance. Ce sont des lieux de fête et de célébration, de larmes et de demandes. Nous venons aux pieds de la Mère, sans beaucoup de paroles, pour nous laisser regarder par elle et pour qu’avec son regard, elle nous mène à Celui qui est le Chemin, la Vérité et la Vie (Jn 14, 6).

Nous ne le faisons pas de n’importe quelle manière, nous sommes des pèlerins. Ici, chaque année, le samedi de Pentecôte, vous vous rendez en pèlerinage pour honorer le vœu de vos aïeux et pour fortifier votre foi en Dieu et votre dévotion à la Vierge, représentée par cette statue monumentale en bois. Ce pèlerinage annuel appartient à l’héritage de la Transylvanie, mais il honore en même temps les traditions religieuses roumaines et hongroises ; y participent aussi des fidèles d’autres confessions et il est un symbole de dialogue, d’unité et de fraternité, un appel à retrouver les témoignages d’une foi devenue vie et d’une vie qui s’est faite espérance. Partir en pèlerinage, c’est savoir que nous venons comme peuple dans notre maison. C’est savoir que nous avons conscience de constituer un peuple. Un peuple dont les mille visages, les mille cultures, langues et traditions sont la richesse ; le saint Peuple fidèle de Dieu qui est en pèlerinage avec Marie, chantant la miséricorde du Seigneur. Si, à Cana en Galilée, Marie a intercédé auprès de Jésus pour qu’il accomplisse le premier miracle, dans chaque sanctuaire, elle veille et intercède non seulement auprès de son Fils mais aussi auprès de chacun de nous pour que nous ne nous laissions pas voler la fraternité par les voix et les blessures qui nourrissent la division et le cloisonnement. Les vicissitudes complexes et tristes du passé ne doivent pas être oubliées ou niées, mais elles ne peuvent pas constituer non plus un obstacle ou un argument pour empêcher une coexistence fraternelle désirée. Partir en pèlerinage signifie se sentir appelés et poussés à marcher ensemble, en demandant au Seigneur la grâce de transformer les rancœurs et les méfiances anciennes et actuelles en de nouvelles opportunités de communion ; c’est quitter nos sécurités et notre confort à la recherche d’une nouvelle terre que le Seigneur veut nous donner. Partir en pèlerinage, c’est le défi de découvrir et de transmettre l’esprit du vivre ensemble, de ne pas avoir peur de nous mélanger, de nous rencontrer et de nous aider. Partir en pèlerinage, c’est participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane toujours solidaire pour bâtir l’histoire (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 87). Partir en pèlerinage, c’est regarder non pas tant ce qui aurait pu être (et n’a pas été) mais tout ce qui nous attend et que nous ne pouvons pas reporter davantage. C’est croire au Seigneur qui vient et qui est au milieu de nous, promouvant et encourageant la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité et de justice (cf. ibid., n. 71). Partir en pèlerinage, c’est s’engager à lutter pour que ceux qui hier étaient demeurés en arrière deviennent les protagonistes de demain, et pour que les protagonistes d’aujourd’hui ne soient pas laissés en arrière demain. Et cela, chers frères et sœurs, requiert le travail artisanal de tisser ensemble l’avenir. C’est pourquoi nous sommes ici pour dire ensemble : Mère enseigne-nous à bâtir l’avenir.

Le pèlerinage dans ce sanctuaire tourne notre regard vers Marie et vers le mystère de l’élection de Dieu. Elle, une jeune fille de Nazareth, petite localité de Galilée, à la périphérie de l’empire romain et aussi à la périphérie d’Israël, a été capable par son ‘oui’ d’engager la révolution de la tendresse (cf. ibid., n.88). Le mystère de l’élection de Dieu qui pose son regard sur le faible pour confondre les forts, nous pousse et nous encourage nous aussi à dire “oui”, comme elle, comme Marie, afin de parcourir les chemins de la réconciliation. Chers frères et sœurs, ne l’oublions pas: celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas! Marchons et marchons ensemble, prenons des risques, en laissant l’Évangile être le levain capable de tout imprégner et de donner à nos peuples la joie du salut, dans l’unité et dans la fraternité.

[00956-FR.02] [Texte original: Italien

Pape François en Roumanie: homélie lors de la Messe en la cathédrale Saint-Joseph

Le pape François se rend à la cathédrale catholique Saint-Joseph de Bucarest, en Roumanie, pour célébrer la messe du 31 mai 2019. (Photo CNS / Paul Haring)

Le 31 mai 2019, premier jour de son voyage apostolique en Roumanie et fête de la Visitation, le pape François a présidé la Messe à la cathédrale Saint-Joseph de Bucarest, capitale de la Roumanie. Dans son homélie, il a évoqué la visite de Marie à sa cousine Élisabeth. Lire le texte intégral de son homélie ci-dessous:

 

L’Evangile que nous venons d’entendre nous plonge dans la rencontre de deux femmes qui s’embrassent et qui remplissent tout de joie et de louanges: l’enfant exulte de joie et Elisabeth bénit sa cousine pour sa foi; Marie chante les merveilles que le Seigneur a réalisées en son humble servante avec le grand cantique d’espérance pour ceux qui ne peuvent plus chanter parce qu’ils ont perdu la voix… Cantique d’espérance qui veut nous réveiller nous aussi et nous inviter à l’entonner aujourd’hui par le moyen de trois précieux éléments qui naissent de la contemplation de la première disciple: Marie marche, Marie rencontre, Marie se réjouit.

Marie marche… de Nazareth à la maison de Zacharie et d’Elisabeth: c’est le premier des voyages de Marie que raconte l’Ecriture. Le premier d’un grand nombre. Elle ira de Galilée à Bethléem, où naîtra Jésus; elle fuira en Egypte pour sauver l’enfant d’Erode; elle se rendra encore à Jérusalem chaque année pour la Pâque, jusqu’au dernier où elle suivra Jésus au Calvaire. Ces voyages ont une caractéristique: ils n’ont jamais été des chemins faciles, ils ont demandé courage et patience. Ils nous disent que la Vierge connaît les montées, elle connaît nos montées: elle est pour nous une sœur sur le chemin. Experte en effort, elle sait comment nous prendre par la main dans les aspérités, quand nous nous trouvons face aux tournants les plus raides de la vie. En bonne mère, Marie sait que l’amour se fait chemin dans les petites choses quotidiennes. Amour et ingéniosité maternelle capables de transformer une grotte pour animaux en maison de Jésus, avec quelques pauvres langes et une montagne de tendresse. (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 286). Contempler Marie nous permet de poser le regard sur tant de femmes, de mères et de grand-mères de ces terres qui, avec sacrifice et de manière cachée, abnégation et engagement, façonnent le présent et tissent les rêves de demain. Donation silencieuse, persévérante et inaperçue, qui n’a pas peur de “se remonter les manches” et de charger les difficultés sur les épaules pour faire avancer la vie de ses enfants, et de toute la famille «espérant contre toute espérance» (Rm 4, 18). C’est un souvenir vivant le fait que, dans votre peuple, vit et palpite un fort sentiment d’espérance, au-delà de toutes les conditions qui peuvent l’obscurcir ou tentent de l’éteindre. En regardant Marie et tant de visages maternels, on fait l’expérience de l’espace et on le nourrit pour l’espérance (cf. Document d’Aparecida, n. 536) qui engendre et ouvre l’avenir. Disons-le avec force: dans notre peuple il y a de la place pour l’espérance. C’est pourquoi Marie marche et nous invite à marcher ensemble.

Marie rencontre Elisabeth (cf. Lc 1, 39-56), déjà avancée en âge (v. 7). Mais c’est elle, l’ancienne, qui parle d’avenir, qui prophétise: “remplie d’Esprit Saint” (v. 41), elle l’appelle «bienheureuse» parce qu’«elle a cru» (v. 45), anticipant la dernière béatitude de l’Evangile: bienheureux celui qui croit (cf. Jn 20, 29). Voilà, la jeune va à la rencontre de l’ancienne à la recherche des racines, et l’ancienne renaît et prophétise sur la jeune lui donnant un avenir. Ainsi, jeunes et anciens se rencontrent, s’embrassent et sont capables, chacun, de réveiller le meilleur de l’autre. C’est le miracle suscité par la culture de la rencontre où personne n’est écarté ni étiqueté, au contraire, où tous sont recherchés parce que nécessaires, pour faire transparaître le Visage du Seigneur. Ils n’ont pas peur de marcher ensemble et, quand cela arrive, Dieu vient et accomplit des prodiges dans son peuple. Car c’est l’Esprit Saint qui nous pousse à sortir de nous-mêmes, de nos enfermements et de nos particularismes, pour nous apprendre à regarder au-delà des apparences et nous offrir la possibilité de dire du bien des autres – “les bénir” – spécialement de beaucoup de nos frères qui sont laissés sans abri, privés peut être, non seulement d’un toit ou d’un peu de pain, mais de l’amitié et de la chaleur d’une communauté qui leur ouvre les bras, les protège et les accueille. Culture de la rencontre qui nous pousse, nous chrétiens, à faire l’expérience du miracle de la maternité de l’Eglise qui cherche, défend et unit ses enfants. Dans l’Eglise, lorsque des rites divers se rencontrent, quand ce ne sont pas les appartenances de chacun, son groupe ou son ethnie qui passent en premier, mais le Peuple qui, ensemble, sait louer Dieu, alors de grandes choses se produisent. Disons-le avec force: bienheureux celui qui croit (cf. Jn 20, 29) et s’efforce de créer rencontre et communion.

Marie qui marche et qui rencontre Elisabeth nous rappelle où Dieu a voulu demeurer et vivre, quel est son sanctuaire et en quel lieu nous pouvons entendre le battement [de son cœur ]: au milieu de son Peuple. Il est là, il vit là, il nous attend là. Nous sentons l’invitation du prophète qui nous est adressée de ne pas craindre, de ne pas baisser les bras. Car le Seigneur notre Dieu est au milieu de nous, il est un sauveur puissant (cf. So 3, 16-17), il est au milieu de son peuple. Cela c’est le secret du christianisme: Dieu est au milieu de nous comme un sauveur puissant. Cette certitude nous permet, comme pour Marie, de chanter et d’exulter de joie. Marie se réjouit, elle se réjouit parce qu’elle est celle qui porte l’Emmanuel, le Dieu avec nous. «Etre chrétien est joie dans l’Esprit Saint» (Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n. 122). Sans joie nous restons paralysés, esclaves de nos tristesses. Souvent le problème de la foi n’est pas tant le manque de moyens et de structures, de quantité, ni même la présence de celui qui ne nous accepte pas; le problème de la foi est le manque de joie. La foi vacille quand on navigue dans la tristesse et dans le découragement. Quand nous vivons dans le manque de confiance, enfermés sur nous-mêmes, nous contredisons la foi, car au lieu de nous sentir enfants pour lesquels Dieu fait de grandes choses (cf. v. 49), nous réduisons tout à la mesure de nos problèmes et nous oublions que nous ne sommes pas orphelins; dans la tristesse, nous oublions que nous ne sommes pas orphelins, que nous avons un Père au milieu de nous, sauveur et puissant. Marie nous vient en aide car, au lieu de rapetisser, elle magnifie, c’est-à-dire, elle“grandit” le Seigneur, elle loue sa grandeur. Voilà le secret de la joie. Marie, petite et humble, part de la grandeur de Dieu et, malgré ses difficultés – qui étaient nombreuses – elle demeure dans la joie, car elle fait, en tout, confiance au Seigneur. Elle nous rappelle que Dieu peut toujours accomplir des merveilles si nous restons ouverts à lui et aux frères. Pensons aux grands témoins de ces terres: des personnes simples, qui ont fait confiance à Dieu au milieu des persécutions. Ils n’ont pas mis leur espérance dans le monde, mais dans le Seigneur, et ils sont ainsi allés de l’avant. Je voudrais rendre grâce pour ces humbles vainqueurs, pour ces saints de la porte d’à côté qui nous montrent le chemin. Leurs larmes n’ont pas été stériles, elles ont été une prière qui est montée au ciel et qui a irrigué l’espérance de ce peuple.

Chers frères et sœurs, Marie marche, elle rencontre et se réjouit parce qu’elle a porté une chose plus grande qu’elle-même: elle a été porteuse d’une bénédiction. Comme elle, nous aussi n’ayons pas peur d’être les porteurs de la bénédiction dont a besoin la Roumanie. Soyez les promoteurs d’une culture de la rencontre qui désavoue l’indifférence et qui désavoue la division et permet à cette terre de chanter avec force les miséricordes du Seigneur.

Pape François en Roumanie: méditation sur le Notre-Père en la cathédrale orthodoxe de Bucarest

Le pape François et le patriarche orthodoxe roumain Daniel prient le Notre Père en latin dans la nouvelle cathédrale orthodoxe roumaine de Bucarest, en Roumanie, le 31 mai 2019. (Photo CNS / Paul Haring)

Au cours de son voyage apostolique de trois jours en Roumanie, le pape François s’est rendu à la cathédrale orthodoxe de Bucarest, où il a rencontré le patriarche orthodoxe Daniel. Lors de cette rencontre, le Saint Père a médité sur la prière du Notre Père. Voici le texte complet de son allocution :

Sainteté, cher Frère, chers frères et sœurs!

Je voudrais exprimer ma gratitude et mon émotion de me trouver en ce temple saint, qui nous rassemble dans l’unité. Jésus a appelé les frères André et Pierre à laisser les filets pour devenir ensemble des pêcheurs d’hommes (cf. Mc 1, 16-17). L’appel personnel n’est pas complet sans celui du frère. Nous voulons aujourd’hui, élever, les uns à côté des autres, du cœur du pays, la prière du Notre Père. Notre identité d’enfants y est contenue et, aujourd’hui de manière particulière, [notre identité] de frères qui prient l’un à côté de l’autre. La prière du Notre Père contient la certitude de la promesse faite par Jésus à ses disciples: «Je ne vous laisserai pas orphelins» (Jn 14, 18), et elle nous donne confiance pour recevoir et accueillir le don du frère. Je voudrais donc partager quelques paroles en préparation à la prière que je réciterai pour notre chemin de fraternité et pour que la Roumanie puisse toujours être une maison pour tous, une terre de rencontre, un jardin où fleurissent la réconciliation et la communion.

Chaque fois que nous disons Notre Père, nous rappelons que le mot Père ne peut pas être sans dire notre. Unis dans la prière de Jésus, nous nous unissons aussi à son expérience d’amour et d’intercession qui nous conduit à dire: mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu (cf. Jn 20, 17). C’est une invitation à ce que le “mon” se transforme en notre et que le notre devienne prière. Aide-nous, Père, à prendre au sérieux la vie du frère, à faire nôtre son histoire. Aide-nous, Père, à ne pas juger le frère pour ses actions et ses limites, mais à l’accueillir d’abord comme ton enfant. Aide-nous à vaincre la tentation de nous sentir des fils aînés, qui, à force de rester au centre, oublient le don de l’autre (cf. Lc 15, 25-32).

A Toi, qui es aux cieux – les cieux qui embrassent tout le monde et où tu fais lever le soleil sur les bons et sur les méchants, les justes et les injustes (cf. Mt 5, 45), à Toi nous demandons cette entente que nous n’avons pas su préserver sur terre. Nous la demandons par l’intercession de tant de frères et sœurs dans la foi qui habitent ensemble ton Ciel après avoir cru, aimé et beaucoup souffert, également de nos jours, du seul fait d’être chrétien.

Nous voulons aussi, comme eux, sanctifier ton nom en le mettant au centre de toutes nos préoccupations. Que ce soit ton Nom Seigneur, et non pas le nôtre qui nous pousse et nous éveille à exercer la charité. Combien de fois, en priant, nous nous limitons à demander des dons, et à faire la liste de requêtes, en oubliant que la première chose à faire est de louer ton nom, adorer ta personne, pour, ensuite, reconnaître dans la personne du frère que tu as mis à côté de nous ton reflet vivant. Au milieu de tant de choses qui passent et pour lesquelles nous nous inquiétons, aide-nous, Père à rechercher ce qui demeure: ta présence et celle du frère.

Nous sommes dans l’attente que ton règne vienne: nous le demandons et nous le désirons car nous voyons que les dynamiques du monde ne le favorisent pas. Des dynamiques orientées par les logiques de l’argent, des intérêts, du pouvoir. Alors que nous nous trouvons plongés dans une consommation toujours plus effrénée, qui séduit avec des éclats scintillants mais évanescents, aide-nous, Père, à croire ce pourquoi nous prions: renoncer aux sécurités confortables du pouvoir, aux séductions trompeuses de la mondanité, à la présomption vide de nous croire autosuffisants, à l’hypocrisie de soigner les apparences. Ainsi, nous ne perdrons pas de vue ce Règne où tu nous appelles.

Que ta volonté soit faite, non la nôtre. «La volonté de Dieu c’est le salut de tous» (S. Jean Cassien, Conférences spirituelles, IX, n. 20). Nous avons besoin, Père, d’élargir les horizons afin de ne pas réduire à nos limites ta miséricordieuse volonté de salut, qui veut embrasser tout le monde. Aide-nous, Père, en envoyant sur nous, comme à la Pentecôte, l’Esprit Saint, auteur du courage et de la joie, pour qu’il nous pousse à annoncer le joyeuse nouvelle de l’Evangile au-delà des frontières de nos appartenances, des langues, des cultures et des nations.

Chaque jour nous avons besoin de Lui, notre pain quotidien. Il est le pain de la vie (cf. Jn 6, 35.48), qui nous fait nous sentir enfants aimés, et qui nourrit toute solitude et toute situation d’orphelin. Il est le pain du service: il est rompu pour se faire notre serviteur, il nous demande de nous servir mutuellement (cf. Jn 13, 14). Père, alors que tu nous donnes le pain quotidien, nourris en nous la nostalgie du frère, le besoin de le servir. En demandant le pain quotidien, nous te demandons aussi le pain de la mémoire, la grâce d’affermir les racines communes de notre identité chrétienne, racines indispensables en un temps où l’humanité, et les jeunes générations en particulier, risquent de se sentir déracinées au milieu de tant de situations liquides, dans l’incapacité de fonder leur existence. Que le pain que nous demandons, avec sa longue histoire qui va de la semence à l’épi, de la récolte à la table, inspire en nous le désir d’être de patients cultivateurs de communion qui ne se fatiguent pas de faire germer des semences d’unité, de faire lever le bien, d’œuvrer toujours à côté du frère: sans suspicion et sans distance, sans contrainte et sans homologations, dans la convivialité des diversités réconciliées.

Le pain que nous demandons aujourd’hui est aussi le pain dont chaque jour beaucoup sont privés, alors que quelques-uns ont du superflu. Le Notre Père n’est pas une prière qui tranquillise, c’est un cri face aux pénuries d’amour de notre époque, face à l’individualisme et à l’indifférence qui profanent ton nom, Père. Aide-nous à avoir faim de nous donner. Rappelle-nous, chaque fois que nous prions, que pour vivre nous n’avons pas besoin de nous conserver, mais de nous rompre; de partager, non pas d’accumuler; de nourrir les autres plus que de nous remplir nous-mêmes, car le bien être est tel seulement s’il appartient à tous.

Chaque fois que nous prions, nous demandons que nos dettes soient remises. Il nous faut du courage, parce qu’en même temps nous nous engageons à remettre les dettes que les autres ont envers nous. Par conséquent, nous devons trouver la force de pardonner de tout cœur au frère (cf. Mt 18, 35) comme toi, Père, tu pardonnes nos péchés: de laisser derrière nous le passé et d’embrasser ensemble le présent. Aide-nous, Père, à ne pas céder à la peur, à ne pas voir dans l’ouverture un danger; à avoir la force de nous pardonner et de marcher, le courage de ne pas nous contenter d’une vie tranquille et de rechercher toujours, avec transparence et sincérité, le visage du frère.

Et quand le mal, tapi à la porte du cœur, (cf. Gn 4, 7), nous incitera à nous enfermer en nous-mêmes; quand la tentation de nous isoler se fera plus forte, en cachant la réalité du péché, qui est éloignement de Toi et de notre prochain, aide-nous encore, Père. Encourage-nous à trouver dans le frère ce soutien que tu as mis à nos côtés pour marcher vers Toi, et ensemble avoir le courage de dire: “Notre Père”. Amen.

Et maintenant récitons la prière que le Seigneur nous a enseignée.

Pape François en Roumanie: discours au corps diplomatique

Photo: Le pape François parle lors d’une réunion avec des dirigeants civils et politiques et des membres du corps diplomatique au Palais Cotroceni à Bucarest, en Roumanie, le 31 mai 2019. (Photo CNS / Paul Haring)

Ce matin, le pape François a commencé son voyage apostolique en Roumanie. Après son arrivée à Bucarest, la capitale de la Roumanie, il a rencontré les dirigeants du pays. Voici le discours qu’il a prononcé devant les autorités civils et les membres du corps diplomatique:

Monsieur le Président,
Madame le Premier Ministre,
Béatitude,
Illustres Membres du Corps Diplomatiques,
Distinguées Autorités,
Distingués Représentants des diverses confessions religieuses et de la société civile,
Chers frères et sœurs,

J’adresse ma cordiale salutation et ma gratitude à Monsieur le Président et à Madame le Premier Ministre pour l’invitation à visiter la Roumanie et pour les aimables paroles de bienvenue à mon égard, également au nom des autres Autorités de la Nation et de votre peuple bien-aimé. Je salue les membres du Corps Diplomatique et les représentants de la société civile ici réunis.

Je salue avec un amour fraternel mon frère Daniel. Je présente avec déférence mon salut à tous les Métropolites et aux Évêques du Saint Synode, ainsi qu’à tous les fidèles de l’Église orthodoxe Roumaine. Je salue avec affection les Évêques, les prêtres, les religieux, les religieuses et tous les membres de l’Église catholique, que je viens confirmer dans la foi et encourager dans leur cheminement de vie et de témoignage chrétiens.

Je suis heureux de me trouver sur votre belle terre, à vingt ans de la visite de saint Jean-Paul II et alors que la Roumanie – pour la première fois depuis qu’elle est entrée dans l’Union Européenne – préside ce semestre le Conseil Européen.

C’est un moment propice pour jeter un regard d’ensemble sur les trente ans déjà passés depuis que la Roumanie s’est libérée d’un régime qui opprimait la liberté civile et religieuse et l’isolait des autres pays européens, et qui en outre avait conduit à la stagnation de son économie et à l’épuisement de ses forces créatrices. Durant ce temps, la Roumanie s’est engagée dans la construction d’un projet démocratique à travers le pluralisme des forces politiques et sociales et leur dialogue réciproque, pour la reconnaissance fondamentale de la liberté religieuse et pour la pleine insertion du pays dans un espace international plus vaste. Il est important de reconnaître qu’on a beaucoup progressé sur ce chemin même au milieu de grandes difficultés et privations. La volonté de progresser dans les divers domaines de la vie civile, sociale et scientifique, a mis en marche de nombreuses énergies et projets, a libéré beaucoup de forces créatrices tenues autrefois captives et a donné un nouvel élan aux multiples initiatives commencées, introduisant le pays dans le 21ème siècle. Je vous encourage à continuer de travailler pour consolider les structures et les institutions nécessaires non seulement pour donner une réponse aux justes aspirations des citoyens, mais aussi pour stimuler et permettre à votre peuple d’exprimer tout le potentiel et le génie dont nous le savons capable.

Il faut en même temps reconnaître que les transformations rendues nécessaires par l’ouverture d’une nouvelle ère ont comporté – avec les acquis positifs – l’émergence d’inévitables obstacles à surmonter et de conséquences pas toujours faciles à gérer pour la stabilité sociale et même pour l’administration du territoire. Je pense, en premier lieu, au phénomène de l’émigration qui a touché plusieurs millions de personnes qui ont quitté leur maison et leur patrie à la recherche de nouvelles opportunités de travail et de vie digne. Je pense au dépeuplement de tant de villages, qui ont vu en peu d’années partir une partie considérable de leurs habitants, et aux conséquences que tout cela peut avoir sur la qualité de la vie en ces territoires et à la fragilisation de vos plus riches racines culturelles et spirituelles qui vous ont soutenus durant les plus difficiles moments. Je rends hommage aux sacrifices de nombreux fils et filles de la Roumanie qui, par leur culture, leur patrimoine de valeurs et leur travail, enrichissent les pays où ils ont émigré, et qui par le fruit de leur labeur aident leurs familles restées dans leur patrie. Penser aux frères et sœurs qui sont à l’extérieur est un acte de patriotisme, un acte de fraternité, c’est un acte de justice. Continuez à le faire!

Pour affronter les problèmes de cette nouvelle étape historique, pour identifier des solutions efficaces et trouver la force de les appliquer, il faut promouvoir la collaboration positive des forces politiques, économiques, sociales et spirituelles; il est nécessaire de marcher ensemble, de marcher ensemble, et de s’engager tous avec conviction à ne pas renoncer à la vocation la plus noble à laquelle un État doit aspirer: assurer le bien commun de son peuple. Marcher ensemble, comme façon de construire l’histoire, demande la noblesse de renoncer à quelque chose de sa propre vision ou d’un intérêt propre spécifique en faveur d’un projet plus grand, de façon à créer une harmonie qui permette d’avancer en toute sécurité vers des objectifs communs. Voilà la noblesse de base!

De cette manière, on peut construire une société inclusive, dans laquelle chacun, mettant à disposition ses propres talents et compétence, avec une éducation de qualité et un travail créatif, participatif et solidaire (cf. Evangelii gaudium, n. 192), devient protagoniste du bien commun; une société où les plus faibles, les plus pauvres et les derniers ne sont pas vus comme des indésirables, comme des entraves qui empêchent la ‘‘machine’’ de fonctionner, mais comme des citoyens, comme des frères à intégrer de plein droit dans la vie civile; bien au contraire, il sont vus comme le meilleur test de la bonté réelle du modèle de société qu’on est en train de construire. En effet, plus une société se soucie du sort des plus désavantagés, plus elle peut se dire vraiment civilisée.

Il faut que tout cela ait une âme et un cœur ainsi qu’une direction de marche claire, non pas imposée par des considérations extrinsèques ou par le pouvoir envahissant des centres de la haute finance, mais par la conscience de la centralité de la personne humaine et de ses droits inaliénables (cf. ibid., n. 203). Pour un harmonieux développement durable, pour l’activation concrète de la solidarité et de la charité, pour la sensibilisation des forces sociales, civiles et politiques envers le bien commun, il ne suffit pas de mettre à jour les théories économiques, ni ne suffisent les techniques et les aptitudes professionnelles, certes nécessaires. Il s’agit, en effet, de développer l’âme de votre peuple ainsi que l’ensemble des conditions matérielles. Parce que les peuples sont dotés d’une âme, ils ont une façon de saisir la réalité, de vivre la réalité. Retourner toujours à l’âme de son propre peuple, cela fait progresser le peuple.

En ce sens, les Églises chrétiennes peuvent aider à retrouver et à alimenter le cœur palpitant d’où faire jaillir une action politique et sociale qui parte de la dignité de la personne et conduise à s’engager loyalement et généreusement pour le bien commun de la collectivité. En même temps, elles s’efforcent de devenir un reflet crédible et un témoignage attrayant de l’action de Dieu, et ainsi se promeuvent entre elles une amitié et une collaboration authentiques. L’Église catholique veut se situer à ce niveau, elle veut apporter sa contribution à l’édification de la société, désireuse d’être un signe d’harmonie, d’espérance ainsi que d’unité et se mettre au service de la dignité humaine et du bien commun. Elle entend collaborer avec les Autorités, avec les autres Églises et avec tous les hommes et femmes de bonne volonté afin de marcher ensemble et de mettre ses talents au service de la communauté tout entière. L’Église catholique n’est pas étrangère, mais elle partage pleinement l’esprit national, comme le montre la participation de ses fidèles au façonnement du destin de la nation, à la création et au développement de structures d’éducation intégrale et de formes d’assistance propres à un État moderne. C’est pour cela qu’elle souhaite offrir sa contribution à l’édification de la société et de la vie civile et spirituelle sur votre belle terre de Roumanie.

Monsieur le Président, en souhaitant à la Roumanie prospérité et paix, j’invoque sur vous, sur votre famille, sur toutes les personnes présentes, ainsi que sur la population tout entière du pays l’abondance des bénédictions divines et la protection de la Sainte Mère de Dieu.

Que Dieu bénisse la Roumanie!

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