Rencontre avec les représentants de quelques Centres d’aide et de charité au « Centro Paroquial de Serafina » : Discours du Saint-Père

Vendredi, le 4 août 2023
En ce troisième jour de sa visite apostolique au Portugal, le pape François s’adresse aux représentants de quelques centres d’aide et de charité au « Centro Paroquial de Serafina ».

Voici le texte intégral :

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS

Rencontre avec les représentants de quelques centres d’aide et de charité
Centro Paroquial de Serafina, Lisbonne
Vendredi, le 4 août 2023

Chers frères et sœurs, bonjour ! 

Je remercie le Curé pour ses paroles et je vous salue tous, en particulier les amis du Centro Paroquial da Serafina, de la Casa Famiglia Ajuda de Berço et de l’Association Acreditar. Il est bon d’être ici ensemble alors que, dans le contexte des Journées Mondiales de la Jeunesse, nous voyons la Vierge Marie se lever et partir aider sa parente âgée Élisabeth (cf. Lc 1, 39). La charité, en effet, est l’origine et le but du cheminement chrétien, et votre présence, réalité concrète d’ « amour en action », nous aide à ne pas oublier le cap, le sens de ce que nous faisons. Je vous remercie pour vos témoignages dont je voudrais souligner trois aspects : faire le bien ensemble, agir concrètement et être proches des plus fragiles

Premièrement : faire le bien ensemble.  « Ensemble », est le mot clé que j’ai entendu répéter plusieurs fois dans vos discours. Vivre, aider et aimer ensemble : jeunes et adultes, en bonne santé et malades, ensemble. João nous a dit une chose très importante : nous ne devons pas nous laisser  « définir » par la maladie, mais en faire une partie vivante de la contribution que nous apportons à l’ensemble, à la communauté. C’est vrai : nous ne devons pas nous laisser  « définir » par la maladie ou par les problèmes, parce que nous ne sommes ni une maladie ni un problème : nous sommes, chacun, un don, un don unique avec ses limites, un don précieux et sacré pour Dieu, pour la communauté chrétienne et pour la communauté humaine. Alors, tels que nous sommes, enrichissons l’ensemble et laissons-nous enrichir par l’ensemble ! 

Deuxièmement : agir concrètement. Cela aussi est important. Comme nous l’a rappelé l’abbé Francisco, en citant saint Jean XXIII, l’Église « n’est pas un musée d’archéologie. Elle est l’ancienne fontaine du village qui donne de l’eau aux générations d’aujourd’hui, comme elle l’a donnée à celles d’autrefois » (Homélie de la liturgie en rite byzantin-slave en l’honneur de saint Jean Chrysostome, 13 novembre 1960). La fontaine sert à désaltérer les voyageurs qui arrivent, avec le poids et la fatigue de leur route, tels qu’ils sont ! Du concret, donc, une attention au  « ici et maintenant », comme vous le faites déjà, avec le souci du détail et le sens pratique, de belles vertus typiques du peuple portugais. Quand on ne perd pas son temps à se plaindre de la réalité, mais qu’on se préoccupe de répondre aux besoins concrets, avec joie et confiance en la Providence, il se passe des choses merveilleuses. Votre histoire en témoigne : de la rencontre avec le regard d’une personne âgée dans la rue, naît un centre de charité  « polyvalent » comme celui dans lequel nous nous trouvons ; d’un défi moral et social, la  « campagne pour la vie », naît une association qui aide les mamans et les familles en attente, les enfants et les jeunes en difficulté, afin que, comme nous l’a dit Sandra, ils trouvent un projet de vie fiable ; de l’expérience de la maladie naît une communauté de soutien à ceux qui mènent la lutte contre le cancer, en particulier les enfants, afin que, comme nous l’a dit João, « l’évolution du soin et la meilleure qualité de vie deviennent une réalité pour eux ». Merci pour ce que vous faites ! Continuez avec douceur et gentillesse à vous laisser interpeller par la réalité, avec ses pauvretés anciennes et nouvelles, et à y répondre de manière concrète, avec créativité et courage. 

Le troisième aspect : être proche des plus fragiles. Nous sommes tous fragiles et nécessiteux, mais le regard de compassion de l’Évangile nous pousse à voir les besoins des plus nécessiteux ; et à servir les pauvres, les bien-aimés de Dieu qui s’est fait pauvre pour nous (cf. 2 Co 8, 9) : les exclus, les marginalisés, les laissés-pour-compte, les petits, les personnes sans-défense. Ils sont le trésor de l’Église, ils sont les préférés de Dieu ! Et, parmi eux, souvenons-nous de ne pas faire de différence. Pour un chrétien, en effet, il n’y a pas de préférences entre ceux qui, dans le besoin, frappent à la porte : compatriotes ou étrangers, appartenant à un groupe ou à un autre, jeunes ou vieux, sympathiques ou antipathiques… 

Et, en parlant de charité, je voudrais maintenant vous raconter une histoire, surtout à vous, les enfants, qui ne la connaissez peut-être pas. C’est l’histoire, qui s’est réellement passée, d’un jeune homme portugais qui a vécu il y a très longtemps. Il s’appelait Jean Ciudad et vivait à Montemor-o-Novo. Il rêvait d’une vie pleine d’aventures et, tout jeune, il partit de la maison en quête du bonheur. Il le trouva après de nombreuses années et de nombreuses aventures, lorsqu’il rencontra Jésus. Et il fut tellement heureux de cette découverte qu’il décida même de changer de nom et de s’appeler désormais non plus Jean Ciudad, mais Jean de Dieu. Et il fit une chose audacieuse : il alla dans la ville et se mit à mendier dans les rues, en disant aux gens : « Faites du bien à vous-mêmes, mes frères ». Vous comprenez ? Il demandait la charité, mais il disait à ceux qui la lui donnaient qu’en l’aidant, ils s’aidaient d’abord eux-mêmes ! Il expliquait donc que les gestes d’amour sont un d’abord un don pour celui qui les pose, avant même que pour celui qui les reçoit ; parce que tout ce que l’on amasse pour soi sera perdu, tandis que ce que l’on donne par amour ne sera jamais perdu, mais sera notre trésor dans le ciel. 

C’est pourquoi il disait : « Faites du bien à vous-mêmes, mes frères ». Mais l’amour ne rend pas heureux seulement au ciel, il le fait déjà sur terre, parce qu’il élargit le cœur et permet d’embrasser le sens de la vie. Si nous voulons vraiment être heureux, apprenons à tout transformer en amour, en offrant aux autres notre travail et notre temps, en disant des paroles bonnes et en accomplissant de bonnes actions, et avec un sourire, avec une accolade, avec une écoute, avec un regard. Chers jeunes, frères et sœurs, vivons ainsi ! Nous pouvons tous le faire et nous en avons tous besoin, ici et partout dans le monde. 

Savez-vous ce qui est arrivé à Jean ? Ils ne l’ont pas compris ! Ils l’ont pris pour un fou et l’ont enfermé dans un asile. Mais il ne s’est pas découragé, parce que l’amour n’abandonne pas, parce que celui qui suit Jésus ne perd pas la paix et ne pleure pas sur lui-même. Et c’est là précisément, dans l’asile, en portant la croix, que s’est manifestée l’inspiration de Dieu. Jean se rendit compte à quel point les malades avaient besoin d’aide et lorsqu’on le laissa enfin sortir, après quelques mois, il commença à s’occuper d’eux avec d’autres compagnons, en fondant un ordre religieux : les Frères Hospitaliers. Cependant, certains commencèrent à les appeler autrement, selon les termes mêmes de ce jeune homme qui disait à tout le monde : « Faites du bien mes frères » ! À Rome nous les appelons ainsi : les  « Fatebenefratelli ». Quel beau nom, quelle importante leçon ! Aider les autres est un cadeau pour soi-même et fait du bien à tout le monde. Oui, aimer est un don pour tous ! Souvenons-nous :  « o amor é um presente para todos ! ». Répétons-le ensemble : o amor é um presente para todos ! 

Aimons-nous ainsi ! Continuez à faire de votre vie un cadeau d’amour et de joie. Je vous remercie et je vous recommande, à vous tous, mais surtout aux enfants : allez de l’avant et priez pour moi. Obrigado ! 


Paroles improvisées

Il y a beaucoup de choses que je voudrais vous dire maintenant, mais il se trouve que mes « réflecteurs » ne fonctionne pas et je ne peux pas bien lire. Je vous le donne donc, pour que vous le rendiez public par la suite. On ne peut pas se forcer la vue et lire mal.

Je veux juste m’arrêter sur quelque chose qui n’est pas écrit, mais qui est dans l’esprit de la rencontre : le concret. L’amour abstrait n’existe pas. L’amour platonique est dans les nuages, il n’est pas une réalité. L’amour concret, celui qui se salit les mains. Chacun de nous peut se demander : l’amour que je ressens pour tous ceux qui sont ici, l’amour que je ressens pour les autres, est-il concret ou abstrait ? Quand je donne la main à une personne dans le besoin, à un malade, à un marginal, après avoir donné la main, est-ce que je fais tout de suite comme ceci [il se frotter ma main sur son vêtement] pour ne pas être infecté ? La pauvreté me dégoûte-t-elle, la pauvreté des autres ? Est-ce que je cherche toujours une vie « distillée », qui existe dans mon imagination mais qui n’existe pas dans la réalité ? Combien de vies distillées, inutiles, qui passent sans laisser d’empreinte, parce que ces vies n’ont pas de poids !

Or nous avons ici une réalité qui laisse une empreinte, une réalité depuis tant années, tant d’années, qui laisse une empreinte, source d’inspiration pour les autres. Les Journées Mondiale de la Jeunesse ne pourraient pas exister sans tenir compte de cette réalité. Car c’est aussi cela la jeunesse, dans le sens où vous générez sans cesse une nouvelle vie. Par votre conduite, par votre engagement, par le fait que vous vous salissez les mains pour toucher la réalité de la misère des autres, vous générez de l’inspiration, vous générez de la vie. Je vous en remercie ! Je vous remercie de tout mon cœur. Continuez et ne vous découragez pas ! Et si vous vous découragez, prenez un verre d’eau et en avant !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège et Libreria Editrice Vaticana.

Cérémonie de bienvenue au « Parque Eduardo VII » : Allocution du Saint-Père | Journées Mondiales de la Jeunesse à Lisbonne 2023

Jeudi, le 3 août 2023
Le troisième jour des Journées Mondiales de la Jeunesse à Lisbonne, le pape François présente son allocution à la cérémonie de bienvenue au « Parque Eduardo VII » à Lisbonne.

Voici le texte intégral :

ALLOCUTION DU PAPE FRANÇOIS

Cérémonie de bienvenue
Parque Eduardo VII, Lisbonne
Jeudi, le 3 août 2023

Chers jeunes, bonsoir ! 

Bienvenue et merci d’être là, je suis heureux de vous voir ! Et aussi d’entendre le beau vacarme que vous faites et d’être contaminé par votre joie. Il est bon d’être ensemble à Lisbonne : vous avez été appelés par moi, par le Patriarche que je remercie pour ses paroles, par vos évêques, vos prêtres, vos catéchistes et vos animateurs. Remercions-les et applaudissons-les ! Mais c’est surtout Jésus qui vous a appelés : remercions-le ! 

Chers amis, vous n’êtes pas ici par hasard. Le Seigneur vous a appelés, non seulement ces jours-ci, mais depuis le début de votre vie. Oui, il vous a appelés par votre nom. Appelés par votre nom : essayez d’imaginer ces trois mots écrits en grosses lettres ; ensuite pensez qu’ils sont écrits en vous, dans vos cœurs, comme pour former le titre de votre vie, le sens de ce que vous êtes : tu es appelé par ton nom, tu es appelé par ton nom, je suis appelé par mon nom. Au début de la trame de la vie, avant les talents que nous avons, avant les ombres et les blessures que nous portons en nous, nous sommes appelés. Appelés parce que aimés. Aux yeux de Dieu, nous sommes des enfants précieux, qu’Il appelle chaque jour pour les étreindre et les encourager ; pour faire de chacun de nous un chef-d’œuvre unique et original, dont nous ne pouvons qu’entrevoir la beauté. 

Au cours de ces Journées Mondiales de la Jeunesse, aidons-nous mutuellement à reconnaître cette réalité essentielle : que ces journées soient des échos vibrants de l’appel à l’amour de Dieu, parce que nous sommes précieux à ses yeux, en dépit de ce que nos yeux voient parfois, obscurcis par la négativité et éblouis par beaucoup de distractions. Que ce soient des journées où ton nom, à travers les frères et les sœurs de nombreuses langues et nations qui le prononcent avec amitié, résonne comme une nouvelle unique dans l’histoire, parce que la palpitation de Dieu pour toi est unique. Puissions-nous durant ces journées fixer en nos cœurs le fait que nous sommes aimés tels que nous sommes. C’est cela le point de départ des JMJ, mais surtout de la vie. 

Appelés par votre nom : ce n’est pas une manière de dire, c’est la Parole de Dieu (cf. Is 43, 1 ; 2 Tm 1, 9). Cher ami, si Dieu t’appelle par ton nom, cela signifie que pour Lui tu n’es pas un numéro, mais un visage. Je voudrais te faire remarquer une chose : beaucoup aujourd’hui connaissent ton nom, mais ne t’appellent pas par ton nom. Ton nom est connu, il apparaît sur les réseaux sociaux, il est traité par des algorithmes qui lui associent des goûts et des préférences. Mais tout cela ne met pas en jeu ton unicité, seulement ton utilité pour les études de marché. Combien de loups se cachent derrière des sourires de fausse bonté, qui disent savoir qui tu es mais ne t’aiment pas, insinuent qu’ils croient en toi et te promettent que tu deviendras quelqu’un, pour ensuite te laisser seul quand tu ne les intéresses plus. Ce sont les illusions du virtuel, et nous devons veiller à ne pas nous laisser tromper, car beaucoup de réalités qui nous attirent et nous promettent le bonheur se révèlent ensuite pour ce qu’elles sont : des choses vaines et superflues, des succédanés qui nous laissent vides à l’intérieur. Jésus non : Il a confiance en vous, pour Lui tu comptes. 

C’est pourquoi nous, son Église, sommes la communauté des appelés : non pas des meilleurs – non, absolument pas – mais des convoqués, de ceux qui accueillent, avec d’autres, le don d’être appelés. Nous sommes la communauté des frères et sœurs de Jésus, fils et filles du même Père. Dans les lettres que vous m’avez adressées – elles sont magnifiques, merci ! – vous dites : « Cela me fait peur de savoir qu’il y a des gens qui ne m’acceptent pas et qui ne pensent pas qu’il y a une place pour moi. […] Je me demande même s’il y a une place pour moi ». Et encore : « Je sens que dans ma paroisse, il n’y a pas de place pour l’erreur ».

Chers amis, je voudrais être clair avec vous qui êtes allergiques aux mensonges et aux paroles creuses : il y a de la place pour tout le monde dans l’Église, pour tout le monde ! Personne n’est inutile, personne n’est superflu, il y a de la place pour tout le monde. Tel que nous sommes, tout le monde. Et Jésus le dit clairement quand il envoie les apôtres inviter au banquet de cet homme qui l’avait préparé, il dit : « Allez chercher tout le monde, jeunes et vieux, bien portants et malades, justes et pécheurs : tous, tous, tous ». Dans l’Église, il y a de la place pour tous. « Père, mais je suis un misérable…, je suis une misérable, y a-t-il de la place pour moi? » Il y a de la place pour tout le monde ! Tous ensemble, chacun dans sa langue, répétez avec moi : « Tous, tous, tous ! ». [ils répètent] On n’entend pas, encore ! « Tous, tous, tous ! » Et c’est cela l’Église, la Mère de tous. Il y a de la place pour tous. Le Seigneur ne montre pas du doigt, mais il ouvre ses bras. Cela nous fait penser : le Seigneur ne sait pas faire ceci [montrer du doigt], mais il sait faire cela [étreindre], il nous étreint tous.

Jésus nous le montre sur la croix, en ouvrant si grand les bras au point d’être crucifié et de mourir pour nous. Jésus ne ferme jamais la porte, jamais, mais il t’invite à entrer : « entre et vois ». Jésus te reçoit, Jésus accueille. En ces jours, que chacun d’entre nous transmette le message d’amour de Jésus : « Dieu t’aime, Dieu t’appelle ». Comme c’est beau ! Dieu m’aime, Dieu m’appelle, il veut que je sois près de Lui.

Vous ce soir, vous m’avez posé aussi des questions, beaucoup de questions. Ne vous lassez jamais de poser des questions ! c’est bien, c’est même souvent mieux que de donner des réponses, parce que celui qui pose des questions reste « inquiet », et l’inquiétude est le meilleur remède contre l’habitude, contre cette normalité plate qui anesthésie l’âme. Chacun de nous porte en lui ses propres inquiétudes. Portons ces inquiétudes et portons-les dans le dialogue entre nous, portons-les quand nous prions devant Dieu. Ces questions qui deviennent des réponses avec la vie, nous n’avons qu’à les attendre. Il y a une chose très intéressante : Dieu aime par surprise, ce n’est pas programmé. L’amour de Dieu est surprise. Il surprend toujours, il nous tient toujours éveillés et nous surprend.

Chers garçons et filles, je vous invite à penser à cette chose si belle : Dieu nous aime, Dieu nous aime tels que nous sommes, et non pas tels que nous voudrions être ou tels que la société voudrait que nous soyons : tels que nous sommes. Il nous aime avec les défauts que nous avons, avec les limites que nous avons et avec le désir que nous avons d’avancer dans la vie. C’est ainsi que Dieu nous appelle. Ayez confiance parce que Dieu est Père, et il est un Père qui nous aime, un Père qui nous veut du bien. Ce n’est pas très facile, et c’est pourquoi nous avons une grande aide avec la Mère du Seigneur, qui est aussi notre Mère. Elle est notre Mère. Je voulais seulement vous dire cela. N’ayez pas peur, ayez du courage, allez de l’avant, en sachant que nous sommes protégés par l’amour de Dieu. Dieu nous aime. Disons-le ensemble, tous : « Dieu nous aime ». Plus fort, que je n’entends pas! [ils répètent] On n’entend pas ici… [ils répètent] Merci!

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège et Libreria Editrice Vaticana.

Rencontre avec les étudiants à l’Universidade Católica Portugesa : Discours du Saint-Père

Jeudi, le 3 août 2023
Le deuxième jour de sa visite apostolique au Portugal, le pape François s’adresse aux étudiants à l’Universidade Católica Portugesa.

Voici le texte intégral :

DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS

Rencontre avec les étudiants
Universidade Católica Portugesa, Lisbonne
Jeudi, le 3 août 2023

Chers frères et sœurs, bonjour ! 

Merci, Madame la Rectrice, pour vos paroles : vous avez dit que nous nous sentons tous « pèlerins ». C’est un beau mot dont la signification mérite d’être méditée. Il signifie littéralement laisser de côté la routine habituelle et se mettre en chemin avec une intention, en se déplaçant « à travers les champs » ou « au-delà de ses frontières », c’est-à-dire hors de sa zone de confort, vers un horizon de sens. Dans le mot  « pèlerin », nous voyons se refléter la condition humaine, parce que chacun est appelé à se confronter à de grandes questions qui n’ont pas de réponse simpliste ou immédiate, mais qui invitent à accomplir un voyage, à se dépasser, à aller plus loin. C’est un processus qu’un universitaire comprend bien, car la science naît ainsi. Et ainsi grandit également la recherche spirituelle. Méfions-nous des formules préfabriquées, des réponses qui semblent à portée de main, tirées de la manche comme des cartes à jouer truquées ; méfions-nous de ces propositions qui semblent tout donner sans rien demander. Dans une parabole de Jésus, se trouve la perle de grande valeur celui qui la cherche avec intelligence et initiative ; et il donne tout, il risque tout ce qu’il a pour l’avoir (cf. Mt 13, 45-46). Chercher et risquer : voilà les verbes des pèlerins.

Pessoa a dit, de manière tourmentée mais correcte, qu’ « être insatisfait, c’est être homme » (Mensagem, O Quinto Império). N’ayons pas peur de nous sentir inquiets, de penser que ce que nous faisons ne suffit pas. Être insatisfait, dans ce sens et dans une juste mesure, est un bon antidote contre la présomption d’autosuffisance et le narcissisme. L’imperfection caractérise notre condition de chercheurs et de pèlerins parce que, comme dit Jésus, nous sommes dans le monde, mais nous ne sommes pas du monde (cf. Jn 17, 16). Nous sommes appelés à quelque chose de plus, à un décollage sans lequel il n’y a pas de vol. Ne nous alarmons pas alors si nous nous trouvons assoiffés de l’intérieur, inquiets, inachevés, avides de sens et d’avenir, com saudades do futuro ! Ne soyons pas malades, mais vivants ! Inquiétons-nous plutôt lorsque nous sommes prêts à remplacer la route à faire par un quelconque point de rafraîchissement, pourvu qu’il nous donne l’illusion du confort ; lorsque nous remplaçons les visages par les écrans, le réel par le virtuel ; lorsque, à la place des questions qui déchirent, nous préférons les réponses faciles qui anesthésient.

Chers amis, permettez-moi de vous dire : cherchez et risquez. En ce moment historique, les défis sont énormes et les gémissements douloureux, mais nous embrassons le risque de penser que nous ne sommes pas en agonie, mais en accouchement ; non pas à la fin, mais au début d’un grand spectacle. Soyez donc des protagonistes d’une  « nouvelle chorégraphie » qui mette au centre la personne humaine, soyez chorégraphes de la danse de la vie. Les paroles de Madame la Rectrice ont été pour moi inspirantes, en particulier quand elle a dit que « l’université n’existe pas pour se préserver comme institution, mais pour répondre avec courage aux défis du présent et de l’avenir ». L’auto-préservation est une tentation, un réflexe conditionné par la peur qui fait regarder l’existence de manière déformée. Si les graines se préservaient, elles gaspilleraient complètement leur puissance génératrice et elles nous condamneraient à la faim ; si les hivers se préservaient, il n’y aurait pas l’émerveillement du printemps. Ayez donc le courage de remplacer les peurs par des rêves : non pas des administrateurs de peurs, mais des entrepreneurs de rêves !

Ce serait un gaspillage de penser à une université engagée à former les nouvelles générations uniquement pour perpétuer le système élitiste et inégal actuel du monde, où l’enseignement supérieur reste un privilège pour quelques-uns. Si la connaissance n’est pas accueillie comme une responsabilité, elle devient stérile. Si celui qui a reçu un enseignement supérieur (qui reste aujourd’hui, au Portugal et dans le monde, un privilège) ne s’efforce pas de restituer ce dont il a bénéficié, il n’a pas compris tout à fait ce qui lui a été offert. Dans la Genèse, les premières questions que Dieu pose à l’homme sont : « Où es-tu ? » (Gn 3, 9) et « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). Demandons-nous : Où suis-je ? Suis-je enfermé dans ma bulle ou est-ce que je cours le risque de sortir de mes sécurités pour devenir un chrétien pratiquant, un artisan de justice et de beauté ? Et encore : Où est mon frère ? Des expériences de service fraternel comme la Missão Pais et beaucoup d’autres qui naissent du milieu académique devraient être considérées comme indispensables pour ceux qui passent par une université. Le diplôme ne doit en effet pas être considéré seulement comme une permission pour construire le bien-être personnel, mais comme un mandat pour se consacrer à une société plus juste et inclusive, c’est-à-dire plus avancée. On m’a dit qu’une de vos grandes poètes, Sophia de Mello Breyner Andresen, dans une interview qui est une sorte de testament, à la question : « Qu’aimeriez-vous voir réalisé au Portugal en ce nouveau siècle ? », a répondu sans hésiter : « Je voudrais voir la justice sociale réalisée, la réduction du fossé entre riches et pauvres » (Entrevista de Joaci Oliveira, in Cidade Nova, nº 3/2001). Je vous adresse en retour cette question. Vous, chers étudiants, pèlerins du savoir, que voulez-vous voir réalisé au Portugal et dans le monde ? Quels changements, quelles transformations ? Et comment l’université, surtout l’université catholique, peut-elle y contribuer ?

Beatriz, Mahoor, Mariana et Tomás, je vous remercie pour vos témoignages. Ils ont tous un ton d’espérance, une charge d’enthousiasme réaliste, sans plaintes ni fuites en avant idéalistes. Vous voulez être « protagonistes du changement », comme l’a dit Mariana. En vous écoutant, j’ai pensé à une phrase qui vous est peut-être familière, de l’écrivain José de Almada Negreiros : « J’ai rêvé d’un pays où tous parvenaient à être maîtres » (A Invenção do Dia Claro). De même, cet ancien qui vous parle rêve que votre génération devienne une génération de maîtres. Maîtres d’humanité. Maîtres de compassion. Maîtres de nouvelles opportunités pour la planète et ses habitants. Maîtres d’espérance.

Comme certains d’entre vous l’ont souligné, nous devons reconnaître l’urgence dramatique de prendre soin de la maison commune. Cependant, cela ne peut se faire sans une conversion du cœur et un changement de la vision anthropologique qui est à la base de l’économie et de la politique. On ne peut se contenter de simples mesures palliatives ou de compromis timides et ambigus, car, « les justes milieux retardent seulement un peu l’effondrement » (Lett. enc. Laudato si’, n. 194). Il s’agit au contraire de prendre en charge ce qui, malheureusement, continue à être reporté : la nécessité de redéfinir ce que nous appelons progrès et évolution. Parce que, au nom du progrès, on a fait trop de chemin à reculons. Vous êtes la génération qui peut relever ce défi : vous avez les outils scientifiques et technologiques les plus avancés mais, s’il vous plaît, ne tombez pas dans le piège de visions partielles. N’oubliez pas que nous avons besoin d’une écologie intégrale, d’écouter la souffrance de la planète en même temps que celle des pauvres ; de mettre le drame de la désertification en parallèle avec celui des réfugiés ; le thème des migrations avec celui de la dénatalité ; de nous occuper de la dimension matérielle de la vie dans une dimension spirituelle. Pas des polarisations, mais des visions d’ensemble.

Merci, Tomás, pour avoir dit qu’ « une authentique écologie intégrale sans Dieu n’est pas possible, qu’il ne peut y avoir d’avenir dans un monde sans Dieu ». Je voudrais vous dire : rendez la foi crédible à travers vos choix. Car si la foi n’engendre pas des styles de vie convaincants, elle ne fait pas lever la pâte du monde. Il ne suffit pas qu’un chrétien soit convaincu, il doit être convaincant ; nos actions sont appelées à refléter la beauté, joyeuse et à la fois radicale, de l’Évangile. En outre, le christianisme ne peut pas être habité comme une forteresse entourée de murs, qui élève des bastions contre le monde. C’est pourquoi j’ai trouvé émouvant le témoignage de Beatriz, quand elle a dit qu’ « à partir du champ de la culture » elle se sent appelée à vivre les Béatitudes. À chaque époque, l’une des tâches les plus importantes pour les chrétiens est de retrouver le sens de l’incarnation. Sans l’incarnation, le christianisme devient une idéologie. C’est l’incarnation qui permet d’être émerveillé de la beauté que le Christ révèle à travers chaque frère et sœur, chaque homme et chaque femme.

À ce propos, il est intéressant que, dans votre nouvelle chaire consacrée à l’ « Économie de François », vous ayez ajouté la figure de Claire. En effet, la contribution des femmes est indispensable. On voit d’ailleurs dans la Bible comment l’économie de la famille est en grande partie entre les mains de la femme. C’est elle la véritable  « régente » de la maison, avec une sagesse qui n’a pas pour but exclusif le profit, mais le soin, la coexistence, le bien-être physique et spirituel de chacun, et aussi le partage avec les pauvres et les étrangers. Il est passionnant d’aborder les études économiques dans cette perspective : avec le but de redonner à l’économie la dignité qui lui revient, afin qu’elle ne soit pas la proie du marché sauvage et de la spéculation.

L’initiative du Pacte Éducatif Mondial, et les sept principes qui en forment l’architecture, comprennent beaucoup de ces thèmes, du soin de la maison commune à la pleine participation des femmes, jusqu’à la nécessité de trouver de nouvelles façons de comprendre l’économie, la politique, la croissance et le progrès. Je vous invite à étudier ce Pacte Éducatif Mondial et à vous en passionner. L’un des points qu’il traite est l’éducation à l’accueil et à l’inclusion. Nous ne pouvons pas feindre de ne pas avoir entendu les paroles de Jésus au chapitre 25 de Matthieu : « J’étais un étranger, et vous m’avez accueilli » (v. 35). J’ai écouté avec émotion le témoignage de Mahoor, quand elle a évoqué ce que signifie vivre avec « le sentiment constant d’absence d’un foyer, d’une famille, d’amis […], d’être restée sans maison, sans université, sans argent […], fatiguée, épuisée et abattue par la douleur et les pertes ». Elle nous a dit qu’elle avait retrouvé l’espoir parce que quelqu’un avait cru en l’impact transformant de la culture de la rencontre. Chaque fois que quelqu’un pratique un geste d’hospitalité, il provoque une transformation.

Chers amis, je suis heureux de vous voir comme une communauté éducative vivante, ouverte à la réalité, avec l’Évangile qui ne sert pas d’ornement mais qui anime les parties et l’ensemble. Je sais que votre parcours comprend différents domaines : études, amitié, service social, responsabilité civile et politique, soin de la maison commune, expressions artistiques… Être une université catholique signifie d’abord ceci : que chaque élément est en relation avec le tout et que le tout se retrouve dans les parties. Ainsi, en acquérant des compétences scientifiques, on mûrit en tant que personne dans la connaissance de soi et dans le discernement de sa propre voie. Alors, continuez !

Une tradition médiévale raconte que lorsque les pèlerins du chemin de Saint Jacques se croisaient, l’un saluait l’autre en s’exclamant « Ultreia » et l’autre répondait « et Suseia ». Ce sont des expressions d’encouragement à continuer la recherche et le risque du chemin, en se disant : « Va plus loin, plus haut ; allons, courage, va plus loin ». C’est ce que je vous souhaite de tout cœur.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

Homélie du pape François lors des Vêpres avec les évêques, les prêtres, les diacres, les personnes consacrées, les séminaristes et les agents pastoraux au « Mosteiro dos Jerónimos ».

Mercredi, le 2 août 2023
Le pape François a prononcé l’homélie lors des Vêpres avec les évêques, les prêtres, les diacres, les personnes consacrées, les séminaristes et les agents pastoraux au « Mosteiro dos Jerónimos » à Lisbonne.

Voici le texte intégral :

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Les Vêpres avec les évêques, les prêtres, les diacres, les personnes consacrées, les séminaristes et les agents pastoraux
Mosteiro dos Jerónimos, Lisbonne
Mercredi, le 2 août 2023

Chers frères Évêques,
chers prêtres et diacres, personnes consacrées et séminaristes,
chers agents pastoraux, frères et sœurs, bonsoir ! 

Je suis heureux d’être parmi vous pour vivre, avec un grand nombre de jeunes, les Journées Mondiales de la Jeunesse, mais aussi pour partager votre cheminement ecclésial, vos luttes et vos espérances. Je remercie Monseigneur José Ornelas Carvalho pour les paroles qu’il m’a adressées. Je voudrais prier avec vous pour que, comme il l’a dit, nous devenions avec les jeunes, audacieux pour étreindre le « rêve de Dieu et pour trouver des voies de participation joyeuse, généreuse et transformante, pour l’Église et pour l’humanité » . 

Je me suis immergé dans la beauté de votre pays, une terre de jonction entre le passé et l’avenir, un lieu de traditions anciennes et de grands changements, embelli par des vallées luxuriantes et des plages dorées donnant sur la beauté infinie de l’océan qui borde le Portugal. Cela me ramène au contexte du premier appel des disciples, que Jésus appela sur les rives de la Mer de Galilée. Je voudrais m’arrêter sur cet appel qui met en lumière ce que nous venons d’entendre dans la brève lecture des vêpres : le Seigneur nous a sauvés et nous a appelés non pas selon nos œuvres, mais selon sa grâce (cf. 2 Tm 1, 9). C’est ce qui s’est passé dans la vie des premiers disciples, lorsque Jésus, en passant, « vit deux barques qui se trouvaient au bord du lac ; les pêcheurs en étaient descendus et lavaient leurs filets » (Lc 5, 2). Jésus monte alors dans la barque de Simon et, après avoir parlé aux foules, transforme la vie de ces pêcheurs en les invitant à prendre le large et à jeter leurs filets. Nous remarquons immédiatement un contraste : d’une part, les pêcheurs descendent de la barque pour laver leurs filets, c’est-à-dire pour les nettoyer, les garder en bon état et rentrer chez eux ; d’autre part, Jésus monte dans la barque et les invite à jeter à nouveau leurs filets pour pêcher. Les différences sont manifestes : les disciples descendent, Jésus monte ; ils veulent ranger les filets, Lui veut qu’ils soient jetés à nouveau à la mer pour pêcher

Tout d’abord, les pêcheurs descendent de la barque pour laver leurs filets. C’est la scène que Jésus a sous les yeux et il s’y arrête précisément. Il vient à peine de faire sa prédication dans la synagogue de Nazareth, mais ses concitoyens l’ont chassé de la ville et ont même essayé de le tuer (cf. Lc 4, 28-30). Il sort alors du lieu sacré et commence à prêcher la Parole parmi les gens, sur les routes où les femmes et les hommes de son temps peinent chaque jour. Le Christ veut apporter la proximité de Dieu précisément dans les lieux et les situations où les gens vivent, luttent, espèrent, en serrant parfois dans leurs mains les échecs et les revers, tout comme ces pêcheurs qui n’avaient rien pris durant la nuit. Jésus regarde avec tendresse Simon et ses compagnons qui, fatigués et amers, lavent leurs filets, faisant un geste répétitif, mais aussi fatigué et résigné : il ne restait plus qu’à rentrer à la maison les mains vides. 

Parfois, dans notre cheminement ecclésial, nous pouvons faire l’expérience d’une lassitude similaire lorsqu’il nous semble tenir dans nos mains que des filets vides. C’est un sentiment assez répandu dans les pays de vieille tradition chrétienne qui connaissent de nombreux changements sociaux et culturels, et qui sont de plus en plus marqués par la sécularisation, l’indifférence à l’égard de Dieu, un recul croissant de la pratique de la foi. Et cela est souvent accentué par la déception et la colère que certains ressentent à l’égard de l’Église, parfois à cause de notre mauvais témoignage et des scandales qui en ont défiguré le visage et qui appellent à une purification humble et constante, en partant du cri de douleur des victimes, toujours à accueillir et à écouter. Mais le risque, lorsque qu’on se sent découragé, est de descendre de la barque en restant pris dans les filets de la résignation et du pessimisme. Au contraire, nous devons apporter au Seigneur nos peines et nos larmes, pour ensuite affronter les situations pastorales et spirituelles en y faisant face avec ouverture de cœur, et en faisant ensemble l’expérience de nouvelles voies à suivre, confiants que Jésus continue à prendre par la main et à relever son Épouse bien-aimée. 

En effet, dès que les apôtres descendent pour laver les outils utilisés, Jésus monte dans la barque et les invite à jeter à nouveau leurs filets. Il vient nous chercher dans nos solitudes et dans nos crises pour nous aider à recommencer. Aujourd’hui encore, il passe sur les rivages de notre existence pour réveiller l’espérance et dire à nous aussi, comme à Simon et aux autres : « Avance au large, et jetez vos filets pour la pêche. » (Lc 5, 4). Frères et sœurs, ce que nous vivons est certainement une époque difficile, mais le Seigneur demande aujourd’hui à cette Église : « Veux-tu descendre de la barque et sombrer dans la déception, ou me laisser monter et permettre à la nouveauté de ma Parole de reprendre en main le gouvernail ? Veux-tu simplement t’accrocher au passé que tu as derrière toi, ou bien jeter à nouveau avec enthousiasme les filets pour la pêche ? » Voilà ce que le Seigneur nous demande : de réveiller notre préoccupation pour l’Évangile. Et nous pouvons dire qu’il s’agit d’une « bonne » préoccupation que l’immensité de l’océan vous donne, à vous Portugais : quitter le rivage non pas pour conquérir le monde, mais pour le réjouir de la consolation et de la joie de l’Évangile. Nous pouvons lire dans cette optique les paroles de l’un de vos grands missionnaires, le père António Vieira, appelé « Paiaçu » , « Père grand » : il disait que Dieu vous a donné une petite terre pour naître, mais qu’en vous ouvrant sur l’océan, il vous a donné le monde entier pour mourir : « Pour naître, peu de terre ; pour mourir, toute la terre : pour naître, le Portugal ; pour mourir, le monde » (A. VIEIRA, Homélies, Vol. III, Tome VII, Porto 1959, p. 69). Jeter de nouveau les filets et étreindre le monde avec l’espérance de l’Évangile : c’est à cela que nous sommes appelés ! Le moment n’est pas venu de s’arrêter et d’abandonner, d’amarrer la barque sur le rivage ou de regarder en arrière. Nous ne devons pas fuir ce moment parce qu’il nous ferait peur et nous réfugier dans des formes et des styles du passé. Non, c’est un temps de grâce que le Seigneur nous donne pour nous aventurer sur la mer de l’évangélisation et de la mission. 

Mais, pour ce faire, nous avons aussi besoin de faire des choix. Je voudrais en indiquer trois, inspirés par l’Évangile. 

Tout d’abord, avancer au large. Pour jeter à nouveau les filets à la mer, il est nécessaire de quitter le rivage des déceptions et de l’immobilisme, de nous éloigner de cette tristesse douceâtre et de ce cynisme ironique qui nous assaillent face aux difficultés. Cela est nécessaire pour passer du défaitisme à la foi, comme Simon qui, après avoir peiné toute la nuit pour rien, dit : « Sur ta parole, je vais jeter les filets » (Lc 5, 5). Mais pour faire confiance chaque jour au Seigneur et à sa Parole, les mots ne suffisent pas, beaucoup de prière est nécessaire. Ce n’est que dans l’adoration, devant le Seigneur, que l’on retrouve le goût et la passion de l’évangélisation. On surmonte alors la tentation de mener une « pastorale de la nostalgie et des regrets » et on trouve le courage d’avancer au large, sans idéologies et sans mondanités, animé d’un seul désir : que l’Évangile parvienne à tous. Vous avez beaucoup d’exemples sur cette route et, puisque nous sommes entourés de jeunes, j’aimerais rappeler un jeune de Lisbonne, Saint João de Brito, qui, il y a des siècles, au milieu de nombreuses difficultés, est parti pour l’Inde et a commencé à parler et à s’habiller de la même manière que ceux qu’il rencontrait afin d’annoncer Jésus. Nous aussi, nous sommes appelés à plonger nos filets dans l’époque que nous vivons, à dialoguer avec tous, à rendre l’Évangile compréhensible, même si, pour le faire, nous risquons quelque tempêtes. Comme les jeunes qui viennent ici du monde entier pour défier les vagues géantes de Nazaré, nous avançons au large sans peur. Ne craignons pas d’affronter la haute mer car, au milieu de la tempête et face aux vents contraires, Jésus vient à notre rencontre et nous dit : « Confiance ! c’est moi ; n’ayez plus peur ! » (Mt 14, 27) 

Un deuxième choix : mener ensemble la pastorale. Dans le texte, Jésus confie à Pierre la tâche d’avancer au large, mais il parle ensuite au pluriel en disant « jetez les filets » (Lc 5, 4) : Pierre conduit la barque, mais tous sont dans la barque et tous sont appelés à jeter les filets. Et lorsqu’ils prennent une grande quantité de poissons, ils ne pensent pas y arriver tout seuls, ils ne considèrent pas le don comme une possession et une propriété privée, mais, dit l’Évangile, « ils font signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir les aider » (Lc 5, 7). Ils remplissent ainsi deux barques, et non une seule. 1- signifie solitude, fermeture, prétention à l’autosuffisance ; 2- signifie relation. L’Église est synodale, elle est communion, entraide, chemin commun. C’est ce à quoi tend le synode en cours qui aura, en octobre prochain, son premier moment en assemblée. Sur la barque de l’Église, il doit y avoir de la place pour tous : tous les baptisés sont appelés à y monter et à jeter les filets, en s’engageant personnellement dans l’annonce de l’Évangile. C’est un grand défi, surtout dans les contextes où les prêtres et les personnes consacrées sont épuisés parce que, alors que les besoins pastoraux augmentent, ils sont de moins en moins nombreux. Nous pouvons cependant considérer cette situation comme une occasion d’impliquer les laïcs dans un enthousiasme fraternel et une saine créativité pastorale. Les filets des premiers disciples deviennent alors une image de l’Église qui est un « réseau de relations » humaines, spirituelles et pastorales. S’il n’y a pas de dialogue, de coresponsabilité et de participation, l’Église vieillit. Je le dirais ainsi : jamais un Évêque sans son presbyterium et le peuple de Dieu ; jamais un prêtre sans ses confrères ; et tous ensemble – prêtres, religieuses, religieux et fidèles laïcs –, en tant qu’Église, jamais sans les autres, sans le monde. Sans mondanité, mais avec le monde. Dans l’Église, on s’aide, on se soutient les uns les autres, et on est appelé à répandre, également à l’extérieur, un climat constructif de fraternité. D’autre part, saint Pierre écrit que nous sommes les pierres vivantes utilisées pour la construction d’un édifice spirituel (cf. 1 P 2, 5). Je voudrais ajouter : vous, fidèles portugais, êtes aussi une « calçada » , vous êtes les pierres de valeur de ce pavement accueillant et splendide sur lequel l’Évangile doit marcher : pas même une pierre ne doit manquer, sinon on le remarque tout de suite. Voilà l’Église qu’avec l’aide de Dieu nous sommes appelés à construire ! 

Enfin, le troisième choix : devenir pêcheurs d’hommes. Jésus confie aux disciples la mission de prendre le large sur la mer du monde. Souvent, dans l’Écriture, la mer est associée au lieu du mal et des puissances adverses que les hommes ne parviennent pas à maîtriser. Par conséquent, pêcher les personnes et les sortir de l’eau c’est les aider à se relever de là où elles ont sombré, les sauver du mal qui risque de les engloutir, les ressusciter de toutes les formes de mort. L’Évangile, en effet, est une annonce de vie sur la mer de la mort, de liberté dans les tourbillons de l’esclavage, de lumière dans l’abysse des ténèbres. Comme l’affirme saint Ambroise, « les instruments de pêche des Apôtres sont les filets qui ne font point périr leur prise, mais la conservent et la retirent des abîmes à la lumière » (Exp. Luc. IV, 68-79). Dans la société actuelle, il y a beaucoup de ténèbres, même ici au Portugal. Nous avons l’impression que l’enthousiasme, le courage de rêver, la force d’affronter les défis, la confiance dans l’avenir ont disparu ; et, pendant ce temps, nous naviguons dans les incertitudes, dans la précarité économique, dans la pauvreté en amitié sociale, dans le manque d’espérance. C’est à nous, en tant qu’Église, qu’est confiée la tâche de nous plonger dans les eaux de cette mer en jetant le filet de l’Évangile, sans pointer du doigt mais en apportant aux hommes de notre temps une proposition de vie nouvelle, celle de Jésus : susciter l’accueil de l’Évangile dans une société multiculturelle ; rendre proche le Père dans les situations de précarité et de pauvreté qui se multiplient, en particulier chez les jeunes ; apporter l’amour du Christ là où la famille est fragile et les relations blessées ; transmettre la joie de l’Esprit là où règnent la démoralisation et le fatalisme. Un de vos écrivains a écrit : « Pour parvenir à l’infini, et je crois que nous pouvons y parvenir, nous avons besoin d’un port, d’un seul, sûr, et de là partir vers l’Infini » (F. PESSOA, Livro do Desassossego, Lisboa 1998, 247). Nous rêvons de l’Église portugaise comme d’un « port sûr » pour tous ceux qui font face aux traversées, aux naufrages et aux tempêtes de la vie. 

Je vous remercie de tout cœur, frères et sœurs, pour votre écoute, pour ce que vous faites, pour votre exemple et pour votre constance. Merci beaucoup. Je vous confie à la Vierge de Fatima, à la garde de l’ange du Portugal et à la protection de vos grands saints, en particulier, ici à Lisbonne, de saint Antoine, apôtre infatigable, prédicateur inspiré, disciple de l’Évangile attentif aux maux de la société et plein de compassion pour les pauvres : qu’il intercède pour vous et vous donne la joie d’une nouvelle pêche miraculeuse. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

Rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique du Portugal : Allocution du Saint-Père

Le pape François s’adresse aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique lors de sa première rencontre en Portugal. Cette visite apostolique dure cinq jours, du 2 au 6 août.

Voici le texte intégral :

ALLOCUTION DU PAPE FRANÇOIS

Rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique
Centre culturel de Belém, Lisbonne
Mercredi, le 2 août 2023

 

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Président de l’Assemblée de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Membres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
Autorités, Représentants de la société civile et du monde de la culture,
Mesdames et Messieurs ! 

Je vous salue cordialement et je remercie Monsieur le Président pour son accueil et pour les aimables paroles qu’il m’a adressées. Je suis heureux d’être à Lisbonne, ville de la rencontre qui embrasse divers peuples et cultures et qui devient, ces jours-ci, encore plus universelle. Elle devient, en un certain sens, la capitale du monde. Cela correspond bien à son caractère multiethnique et multiculturel – je pense au quartier de Mouraria, où vivent en harmonie des personnes de plus de soixante pays – et révèle la caractéristique cosmopolite du Portugal qui plonge ses racines dans le désir de s’ouvrir au monde et de l’explorer, en naviguant vers des horizons nouveaux et plus vastes. 

Non loin d’ici, à Cabo da Roca, la phrase d’un grand poète de cette ville est sculptée : « Ici… où la terre se termine et où commence la mer » (L. VAZ DE CAMÕES, Os Lusíadas, III, 20). Pendant des siècles, on a cru que l’extrémité du monde se trouvait là et, en un sens, c’est vrai : nous sommes aux confins du monde parce que ce pays borde l’océan qui délimite les continents. Lisbonne en porte l’étreinte et le parfum. J’aime m’associer à ce que les Portugais se plaisent à chanter : « Lisbonne sent les fleurs et la mer » (A. RODRIGUES, Cheira bem, cheira a Lisboa, 1972). Une mer qui, beaucoup plus qu’un élément du paysage, est un appel gravé dans l’âme de chaque Portugais. Une poétesse locale l’a désignée comme « une mer qui résonne, une mer sans fond, une mer sans fin » (S. DE MELLO BREYNER ANDRESEN, Mar sonoro). Un autre poète priait ainsi : « Dieu de la mer donne-nous plus de vagues, Dieu de la terre donne-nous plus de mer » (D. FARIA, No país de Deus). Face à l’océan, les Portugais réfléchissent sur les immenses espaces de l’âme et sur le sens de la vie dans le monde. Et moi aussi, en me laissant emporter par l’image de l’océan, j’aimerais vous partager quelques pensées. 

Selon la mythologie classique, Océan est fils du ciel (Ouranos) : son immensité conduit les mortels à regarder vers le haut et à s’élever vers l’infini. Mais, en même temps, Océan est fils de la terre (Gaia) qu’il étreint, invitant ainsi à envelopper de tendresse l’ensemble du monde habité. L’océan ne relie pas seulement, en effet, les peuples et les pays, mais les terres et les continents. C’est pourquoi Lisbonne, ville de l’océan, rappelle l’importance de l’ensemble, du fait de penser les frontières comme des zones de contact, non comme des frontières qui séparent. Nous savons aujourd’hui que les grandes questions sont mondiales, alors que nous faisons souvent l’expérience de l’inefficacité à y répondre, précisément parce que, face aux problèmes communs, le monde est divisé, ou du moins pas assez uni, incapable d’affronter en commun ce qui met le monde en crise. Il semble que les injustices planétaires, les guerres, les crises climatiques et migratoires aillent plus vite que la capacité, et souvent la volonté, de faire face ensemble à ces défis. 

Lisbonne peut suggérer un changement de rythme. Ici, en 2007, a été signé l’homonyme Traité de réforme de l’Union Européenne. Celui-ci affirme que « l’Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples » (Traité de Lisbonne qui modifie le Traité sur l’Union Européenne et le Traité qui institue la Communauté Européenne, art. 1, 4/2.1) ; mais il va plus loin en affirmant que « dans ses relations avec le reste du monde […] elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la terre, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme » (art. 1, 4/2.5). Ce ne sont pas seulement des mots, mais des jalons pour la marche de la communauté européenne, gravés dans la mémoire de cette ville. Voilà l’esprit de l’ensemble, animé par le rêve européen d’un multilatéralisme plus large que le seul contexte occidental. 

Selon une étymologie discutée, le nom Europe proviendrait d’un mot indiquant la direction de l’occident. Il est certain que Lisbonne est la capitale la plus à l’ouest de l’Europe continentale. Elle rappelle donc la nécessité d’ouvrir des voies de rencontre plus vastes, comme le Portugal le fait déjà, surtout avec les pays d’autres continents unis par la même langue. Je souhaite que les Journées Mondiales de la Jeunesse soient, pour le « vieux continent », une impulsion d’ouverture universelle. Car de l’Europe, la vraie, dont le monde a besoin : il a besoin de son rôle de bâtisseur de ponts et d’artisan de paix dans sa partie orientale, en Méditerranée, en Afrique et au Moyen-Orient. L’Europe pourra ainsi apporter sur la scène internationale son originalité spécifique, qui s’est dessinée au siècle dernier lorsque, dans le creuset des conflits mondiaux, elle a fait jaillir l’étincelle de la réconciliation en rêvant de construire l’avenir avec l’ennemi d’hier, engageant des voies de dialogue et d’inclusion, développant une diplomatie de paix qui éteint les conflits et apaise les tensions, capable de saisir les moindres signaux de détente et de lire entre les lignes les plus tordues. 

Nous naviguons sur l’océan de l’histoire en des temps tumultueux et nous ressentons le manque de courageux itinéraires de paix. En regardant avec affection l’Europe et l’esprit de dialogue qui la caractérise, on pourrait lui demander : vers où navigues-tu, si tu ne proposes pas d’itinéraires de paix, de voies créatives pour mettre fin à la guerre en Ukraine ainsi qu’à beaucoup d’autres conflits qui ensanglantent le monde ? Et encore une fois, en élargissant le champ : quelle route suis-tu, Occident ? Ta technologie, qui a marqué le progrès et globalisé le monde, ne suffit pas à elle seule ; moins encore les armes les plus sophistiquées qui ne sont en rien des investissements pour l’avenir, mais qui appauvrissent du véritable capital humain, celui de l’éducation, de la santé, de la protection sociale. Il est inquiétant de lire qu’en de nombreux endroits l’on investit continuellement des fonds dans les armes plutôt que dans l’avenir des enfants. Je rêve d’une Europe, cœur de l’Occident, qui mette à profit son ingéniosité pour éteindre les foyers de guerre et allumer des lueurs d’espérance ; une Europe qui sache retrouver son âme juvénile en rêvant de la grandeur de l’ensemble et en allant au-delà des besoins de l’immédiat ; une Europe qui inclue les peuples et les personnes sans poursuivre théories et colonisations idéologiques. 

L’océan, immense étendue d’eau, rappelle les origines de la vie. Dans le monde développé d’aujourd’hui, il est devenu paradoxalement prioritaire de défendre la vie humaine, mise en danger par des dérives utilitaristes qui l’utilisent et l’éliminent. Je pense à tous ces enfants qui ne sont pas nés et ces personnes âgées abandonnées à elles-mêmes, à la difficulté d’accueillir, de protéger, de promouvoir et d’intégrer ceux qui viennent de loin et frappent aux portes, à la solitude de nombreuses familles qui luttent pour mettre au monde et élever des enfants. On serait aussi tenté de dire ici : vers où naviguez-vous, Europe et Occident, avec le rejet des personnes âgées, les murs aux fils barbelés, les tragédies en mer et les berceaux vides ? Où allez-vous si, face au mal de vivre, vous offrez des remèdes hâtifs et erronés, comme l’accès facile à la mort, solution de facilité qui paraît douce, mais qui est en réalité plus amère que les eaux de la mer ? 

Lisbonne, embrassée par l’océan, nous donne cependant des raisons d’espérer. Un océan de jeunes se déverse dans cette ville accueillante ; et je voudrais exprimer ma gratitude pour le grand travail et l’engagement généreux du Portugal pour accueillir un événement si complexe à gérer, mais porteur d’espérance. Comme on dit ici : « À côté des jeunes, on ne vieillit pas ». Des jeunes, venus du monde entier, cultivant les désirs de l’unité, de la paix et de la fraternité, nous incitent à réaliser leurs rêves de bien. Ils ne sont pas dans les rues pour crier de colère, mais pour partager l’espérance de l’Évangile. Et si l’on respire aujourd’hui dans de nombreuses régions un climat de protestation et d’insatisfaction, terreau fertile aux populismes et aux complotismes, les Journées Mondiales de la Jeunesse sont l’occasion de construire ensemble. Elles ravivent le désir de créer de la nouveauté, de prendre le large et de naviguer ensemble vers l’avenir. Des paroles audacieuses de Pessoa me viennent à l’esprit : « Naviguer est nécessaire, mais il n’est pas nécessaire de vivre […] ; ce qu’il faut c’est créer » (Navegar é preciso). Travaillons donc avec créativité pour construire ensemble ! J’imagine trois chantiers d’espérance où nous pouvons tous travailler unis : l’environnement, l’avenir, la fraternité. 

L’environnement. Le Portugal fait avec l’Europe beaucoup d’efforts exemplaires pour la protection de la création. Mais le problème mondial reste extrêmement sérieux : les océans sont surchauffés et, de leurs fonds, remonte à la surface la laideur avec laquelle nous avons pollué la maison commune. Nous transformons ces grandes réserves de vie en décharges de plastique. L’océan nous rappelle que la vie de l’homme est appelée à s’harmoniser avec un environnement plus vaste que nous, qui doit être protégé avec soin, en pensant aux jeunes générations. Comment pouvons-nous dire que nous croyons en la jeunesse, si nous ne leur donnons pas un espace sain pour construire l’avenir ? 

L’avenir est le deuxième chantier. Et l’avenir, ce sont les jeunes. Mais de nombreux facteurs les découragent, comme le manque de travail, les rythmes effrénés dans lesquels ils sont plongés, l’augmentation du coût de la vie, la difficulté à trouver un logement et, plus préoccupant encore, la peur de former une famille et de mettre des enfants au monde. En Europe, et plus généralement en Occident, on assiste à une triste phase descendante de la courbe démographique : le progrès semble être une question de développement technique et de confort des individus, alors que l’avenir exige de contrer la dénatalité et le déclin de l’envie de vivre. Une bonne politique peut faire beaucoup en cela, elle peut être génératrice d’espérance. Elle n’est pas en effet appelée à détenir le pouvoir, mais à donner aux gens la possibilité d’espérer. Elle est appelée, aujourd’hui plus que jamais, à corriger les déséquilibres économiques d’un marché qui produit des richesses mais ne les distribue pas, appauvrissant les esprits en ressources et en certitudes. Elle est appelée à se redécouvrir génératrice de vie et de soins, à investir avec clairvoyance dans l’avenir, dans les familles et dans les enfants, à promouvoir des alliances intergénérationnelles, où l’on ne supprime pas d’un coup d’éponge le passé, mais où l’on favorise les liens entre jeunes et personnes âgées. C’est ce que rappelle le sentiment de la saudade portugaise, qui exprime une nostalgie, un désir de bien absent qui renaît seulement au contact de ses propres racines. En ce sens, l’éducation est importante. Elle ne peut pas se contenter de transmettre des notions techniques pour progresser économiquement, mais elle est destinée à s’insérer dans une histoire, à transmettre une tradition, à valoriser le besoin religieux de l’homme et à favoriser l’amitié sociale. 

Le dernier chantier d’espérance est celui de la fraternité que nous, chrétiens, apprenons du Seigneur Jésus Christ. Dans de nombreuses régions du Portugal, le sens du voisinage et la solidarité sont très vivants. Cependant, dans le contexte général d’une mondialisation qui nous rapproche, ne procurant pas cependant de proximité fraternelle, nous sommes tous appelés à cultiver le sens de la communauté, en commençant par la recherche de celui qui habite à côté. Comme l’a remarqué Saramago, « ce qui donne le vrai sens à la rencontre, c’est la recherche, et il faut faire beaucoup de chemin pour rejoindre ce qui est proche » (Todos os nomes, 1997). Comme il est beau de se redécouvrir frères et sœurs, de travailler pour le bien commun en laissant de côté les oppositions et les différences de vues ! Ici aussi, il y a par exemple les jeunes qui, avec leur cri de paix et leur envie de vivre, nous poussent à abattre les rigides barrières de l’appartenance, érigées au nom d’opinions et de croyances différentes. J’ai entendu parler de nombreux jeunes qui cultivent ici le désir de se faire proches. Je pense à l’initiative Missão País qui a conduit des milliers de jeunes à vivre, dans l’esprit de l’Évangile, des expériences de solidarité missionnaire dans les zones périphériques, en particulier dans les villages à l’intérieur du pays, en allant rendre visite à de nombreuses personnes âgées seules. Je voudrais remercier et encourager, avec toute les personnes dans la société portugaise qui s’occupent des autres, l’Église locale qui fait beaucoup de bien, loin de la lumière des projecteurs. Sentons-nous tous ensemble appelés, fraternellement, à donner de l’espérance au monde dans lequel nous vivons et à ce magnifique pays. Que Dieu bénisse le Portugal !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

La visite apostolique du Saint-Père au Canada : Rétrospective un an après

Ottawa, le 26 juillet 2023 – Aujourd’hui, en la solennité liturgique des saints Anne et Joachim, nous nous souvenons qu’il y a un an, en juillet 2022, Sa Sainteté le pape François est venu parmi nous au Canada (son 37e voyage apostolique) pour entreprendre ce qu’il a appelé un « pèlerinage pénitentiel ». Cette visite pastorale très importante pour le Saint-Père, effectuée en communion avec la Conférence des évêques catholiques du Canada, a marqué une étape importante en vue de « marcher ensemble » dans les relations de l’Église avec les peuples autochtones, tant au Canada qu’à l’étranger. Après avoir parcouru plus de 8 000 km pour arriver au Canada, le pape François a parcouru 5 700 km à l’intérieur du pays, s’arrêtant à Edmonton, à Québec et à Iqaluit, où il a participé à sept événements au total.

Lors du discours de Sa Sainteté à Maskwacis, le pape François a déclaré : « Je suis ici parce que la première étape de ce pèlerinage pénitentiel au milieu de vous est celle de renouveler la demande de pardon et de vous dire, de tout mon cœur, que je suis profondément affligé : je demande pardon pour la manière dont, malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones. Je suis affligé. Je demande pardon, en particulier, pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée des gouvernements de l’époque, qui ont abouti au système des écoles résidentielles. »

En se rappelant de la visite apostolique, Mgr Raymond Poisson, président de la CECC, souligne son importance : « Au cours de ces journées passées avec le pape François au Canada, nous avons reconnu en lui la miséricorde du Seigneur qu’il nous a offerte. Nous avons constaté que la présence du Saint-Père lui avait demandé un grand effort personnel et physique, mais nous comprenions aussi toute l’importance de ses rencontres avec les peuples autochtones, qui représentent toujours l’expression vivante d’un effort mutuel – du Saint-Père et de l’Église au Canada – pour « marcher ensemble » et ouvrir de nouveaux horizons d’espérance au sein de nos communautés. »

Depuis la visite du Saint-Père, la Conférence des évêques catholiques du Canada a publié quatre lettres pastorales sur la réconciliation avec les peuples autochtones : aux Premières Nations, aux Inuits, aux Métis et au Peuple de Dieu. Conçues comme un point de référence pour l’engagement local auprès des peuples autochtones, ces lettres sont le fruit de plusieurs mois de rencontres avec les peuples autochtones au niveau diocésain ou régional, notamment dans le cadre des Cercles d’écoute organisés à travers le Canada, ainsi que de la Délégation autochtone au Vatican en avril 2022 et de la visite apostolique du pape François au Canada en juillet de la même année.

De plus, la CECC a mis sur pied le Fonds de réconciliation avec les Autochtones (FRA) afin de recevoir les dons de 73 diocèses et éparchies catholiques à travers le pays, conformément à son engagement de 30 millions de dollars sur cinq ans. Jusqu’à présent, le Fonds a recueilli plus d’un tiers de la promesse initiale (11 264 838 $) et est en bonne voie d’atteindre son objectif. À ce jour, plus de 50 projets ont reçu des subventions du FRA pour faire avancer les initiatives de guérison et de réconciliation. Le Fonds vise à soutenir des projets au niveau local, déterminés en collaboration avec des partenaires des Premières Nations, des Métis et des Inuits.

En mars dernier, le Dicastère pour la culture et l’éducation et le Dicastère pour le service du développement humain intégral ont publié une note conjointe sur le concept de « doctrine de la découverte ». Cette note conjointe, que la CECC a accueillie favorablement dans sa propre déclaration, rejette tout concept qui ne reconnaît pas les droits inhérents des peuples autochtones et exprime son soutien aux principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment en ce qui a trait à l’amélioration des conditions de vie des peuples autochtones, à la protection de leurs droits et au soutien de leur autodéveloppement dans le respect de leur identité, de leur langue, de leur histoire et de leur culture. Un projet de symposium sur le sujet est présentement à l’étude.

En juin 2023, le Conseil permanent de la CECC a publié un guide pour aider les diocèses à élaborer leurs propres politiques diocésaines en ce qui a trait aux documents qu’ils pourraient détenir relativement aux Autochtones. Tel que promis lors de l’Assemblée plénière de 2022, ce guide tente, avec transparence et simplicité, d’aborder les processus parfois lourds d’identification et de demandes de documents.

Tournée vers l’avenir, tout en restant ancrée dans les riches discours pastoraux prononcés par le pape François lors de sa visite historique au Canada, une vidéo intitulée Visite papale au Canada, un an après, a été produite par l’archidiocèse d’Edmonton avec des réflexions du Cardinal Gérald Cyprien Lacroix, de Mgr Anthony Wieslaw Krotki, de Mgr Richard Smith et du chef Victor Buffalo de Maskwacis. La vidéo décrit la visite du pape François comme une étape historique sur le chemin de la guérison et de la réconciliation, tout en précisant que le travail et l’engagement se poursuivront. Elle montre que la visite du Saint-Père a également permis de rêver non seulement à l’idée, mais à la réalisation de la réconciliation.

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Maribel Mayorga 

Directrice des Communications
Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC)
communications@cecc.ca

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Rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique: Discours du Saint-Père

Le pape François s’adresse aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique lors de sa première rencontre en Hongrie. Cette visite apostolique dure trois jours du 28 au 30 avril.

Voici le texte intégral:

Madame la Présidente de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Membres distingués du Gouvernement et du Corps diplomatique
Autorités et Représentants illustres de la société civile,
Mesdames et Messieurs ! 

Je vous salue cordialement et je remercie Madame la Présidente pour son accueil et ses aimables paroles. La politique naît de la ville, de la polis, d’une passion concrète pour la vie en commun, dans la garantie des droits et le respect des devoirs. Peu de villes nous aident à y réfléchir comme Budapest, qui n’est pas seulement une capitale majestueuse et vitale, mais un lieu central de l’histoire : témoin de tournants importants au cours des siècles, elle est appelée à être protagoniste du présent et de l’avenir ; ici, comme l’a écrit l’un de vos grands poètes, « Du Danube qui est futur, passé, présent, les doux flots ne cessent de s’embrasser » (A. József, Au bord Danube). Je voudrais donc vous faire part de quelques réflexions, en m’inspirant de Budapest en tant que ville d’histoire, ville de ponts et ville de saints

1. Ville d’histoire. Cette capitale a des origines anciennes, comme en témoignent les vestiges celtiques et romains. Sa splendeur nous ramène cependant à la modernité, lorsqu’elle était capitale de l’Empire austro-hongrois pendant cette période de paix connue sous le nom de belle époque, qui a duré à partir des années de sa fondation jusqu’à la Première Guerre mondiale. Née en temps de paix, elle a connu de douloureux conflits: non seulement les invasions d’autrefois mais, au siècle dernier, les violences et les oppressions causées par les dictatures nazie et communiste – comment oublier 1956 ? Et, pendant la Seconde Guerre mondiale, la déportation de dizaines et de dizaines de milliers d’habitants, avec le reste de la population d’origine juive enfermée dans le ghetto et soumis à de nombreux massacres. Dans ce contexte, il y a eu beaucoup de justes valeureux – je pense au Nonce Angelo Rotta -, beaucoup de résilience et un grand engagement dans la reconstruction, de sorte que Budapest est aujourd’hui une des villes européennes ayant le plus grand pourcentage de population juive, centre d’un pays qui connaît la valeur de la liberté et qui, après avoir payé un lourd tribut aux dictatures, porte en elle la mission de garder le trésor de la démocratie et le rêve de la paix. 

À ce propos, je voudrais revenir sur la fondation de Budapest qui est célébrée cette année de manière solennelle. Elle a eu lieu, en efet, il y a 150 ans, en 1873, par l’union de trois villes : Buda et Óbuda à l’ouest du Danube avec Pest, située sur la rive opposée. La naissance de cette grande capitale au cœur du continent rappelle le chemin unitaire entrepris par l’Europe, dans laquelle la Hongrie trouve son berceau vital. Après la guerre, l’Europe a été, avec les Nations Unies, le grand espoir dans l’objectif commun que des liens plus étroits entre les nations empêcheraient de nouveaux conflits. Cependant, dans le monde où nous vivons, la passion pour la politique communautaire et le multilatéralisme semble être un beau souvenir du passé : on semble assister au triste déclin du rêve choral de paix, tandis que les solistes de la guerre prennent la place. D’une manière générale, l’enthousiasme pour la construction d’une communauté des nations pacifique et stable semble s’être désintégré dans les esprits, tandis que l’on marque les zones, que l’on marque les différences, que les nationalismes recommencent à gronder et que l’on exacerbe les jugements et les tons à l’égard des autres. Au niveau international, il semble même que la politique ait pour effet d’enflammer les esprits plutôt que de résoudre les problèmes. Elle oublie la maturité acquise des horreurs de la guerre et régresse vers une sorte d’infantilisme belliqueux. Mais la paix ne viendra jamais de la poursuite d’intérêts stratégiques particuliers, mais plutôt de politiques capables de considérer l’ensemble, le développement de tous : attentives aux personnes, aux pauvres et à l’avenir, et pas seulement au pouvoir, aux gains et aux opportunités du moment. 

Dans ce moment historique, l’Europe est fondamentale. Parce que, grâce à son histoire, elle représente la mémoire de l’humanité et elle est donc appelée à jouer le rôle qui lui correspond : celui d’unir ceux qui sont loin, d’accueillir en son sein les peuples et de ne laisser personne être un ennemi pour toujours. Il est donc essentiel de retrouver l’âme européenne : l’enthousiasme et le rêve des pères fondateurs, des hommes d’État qui ont su regarder au-delà de leur époque, au-delà des frontières nationales et des besoins immédiats, en mettant en œuvre des diplomaties capables de recoudre l’unité et non d’élargir les déchirures. Je pense au moment où De Gasperi, lors d’une table ronde à laquelle participaient également Schuman et Adenauer, a dit : « C’est pour elle-même, et non pour l’opposer aux autres, que nous envisageons une Europe unie… nous travaillons pour l’unité et non pour la division » (Allocution à la Table ronde de l’Europe, Rome, 13 octobre 1953). Et encore, à ce que Schuman a dit : « La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques », parce que – paroles mémorables ! – « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent » (Déclaration Schuman, 9 mai 1950). Dans ce moment historique, les dangers sont nombreux ; mais, je me demande, en pensant également à l’Ukraine meurtrie, où sont les efforts créatifs pour la paix ?

2. Budapest est une ville de ponts. Vue d’en haut, la “perle du Danube” montre son caractère unique grâce aux ponts qui relient ses parties, harmonisant sa configuration avec celle du grand fleuve. Cette harmonie avec l’environnement m’amène à saluer l’attention écologique que ce pays poursuit avec beaucoup d’engagement. Mais les ponts, qui relient des réalités différentes, nous suggèrent également de réfléchir à l’importance d’une unité qui n’est pas synonyme d’uniformité. À Budapest, cela se traduit par la variété remarquable de circonscriptions qui la composent, plus de vingt. L’Europe des vingt-sept elle aussi, construite pour créer des ponts entre les nations, a besoin de la contribution de tous sans diminuer la spécificité de chacun. À cet égard, un père fondateur préconisait : « L’Europe existera et rien de ce qui a fait la gloire et le bonheur de chaque nation ne sera perdu. C’est précisément dans une société plus vaste, dans une harmonie plus puissante, que l’individu peut s’affirmer » (Intervention cit.). Cette harmonie est nécessaire : un tout qui n’aplatit pas les parties et des parties qui se sentent bien intégrées dans le tout. La Constitution hongroise est significative à cet égard lorsqu’elle affirme : « La liberté individuelle ne peut se développer qu’en collaboration avec les autres » ; et encore : « Nous considérons que notre culture nationale est une riche contribution à l’unité européenne multicolore ».

Je pense donc à une Europe qui ne soit pas l’otage des partis, en proie aux populismes autoréférentiels, mais qui ne se transforme pas non plus en une réalité fluide, voire gazeuse, en une sorte de supranationalisme abstrait, oublieux de la vie des peuples. C’est la voie néfaste des “colonisations idéologiques” qui éliminent les différences, comme dans le cas de ladite culture du genre, ou qui font passer des conceptions réductrices de liberté avant la réalité de la vie, par exemple en vantant un “droit insensé à l’avortement”, qui est toujours un échec tragique. Qu’il est beau, au contraire, de construire une Europe centrée sur la personne et sur les peuples, où existent des politiques efficaces pour la natalité et la famille, soigneusement poursuivies dans ce pays, où différentes nations forment une famille dans laquelle la croissance et l’unicité de chacun sont préservées. Le plus célèbre pont de Budapest, celui des chaînes, nous aide à imaginer à une Europe semblable, composée de nombreux grands anneaux différents, qui trouvent leur solidité dans la formation de liens solides entre eux. En cela, la foi chrétienne est une aide et la Hongrie peut servir de “pont”, en tirant parti de son caractère œcuménique spécifique : ici, différentes Confessions coexistent sans antagonisme, collaborant avec respect, dans un esprit constructif. Mon esprit et mon cœur se portent sur l’Abbaye de Pannonhalma, l’un des grands monuments spirituels de ce pays, un lieu de prière et un pont de fraternité. 

3. Cela m’amène à considérer le dernier aspect : Budapest ville de saints, comme nous le suggère également le nouveau tableau placé dans cette salle. Notre pensée ne peut que se porter sur saint Étienne, premier roi de Hongrie, qui a vécu à une époque où les chrétiens d’Europe étaient en pleine communion. Sa statue, à l’intérieur du château de Buda, domine et protège la ville, tandis que la basilique qui lui est dédiée au cœur de la capitale est, avec celle de Esztergom, l’édifice religieux le plus imposant du pays. L’histoire hongroise est donc née sous le signe de la sainteté, et pas seulement celle d’un roi, mais celle de toute une famille : son épouse, la bienheureuse Giselle, et leur fils, saint Émeric. Ce dernier reçut de son père des recommandations qui constituent une sorte de testament spirituel pour le peuple magyar. Nous y lisons des paroles très actuelles : « Je te recommande d’être bon non seulement envers ta famille et ta parenté, ou envers les puissants et les personnes aisées, ou envers ton voisin et tes habitants, mais aussi envers les étrangers ». Saint Étienne justifie cela par un véritable esprit chrétien, en écrivant : « C’est la pratique de l’amour qui conduit au bonheur suprême ». Et il conclut en disant : « Sois doux pour ne jamais combattre la vérité » (Admonitions, X). Il associe ainsi de manière inséparable la vérité et la douceur. C’est un grand enseignement de la foi : les valeurs chrétiennes ne peuvent être témoignées à travers la rigidité et les fermetures, car la vérité du Christ implique douceur et amabilité, dans l’esprit des Béatitudes. C’est là que s’enracine cette bonté populaire hongroise, révélée dans certaines expressions du langage courant, telles que : “jónak lenni jó” [il est bien d’être bon] et “jobb adni mint kapni” [il est préférable de donner que de recevoir].

De cela transparaît non seulement la richesse d’une solide identité, mais la nécessité d’ouverture aux autres, comme le reconnaît la Constitution lorsqu’elle déclare : « Nous respectons la liberté et la culture des autres peuples, nous nous engageons à coopérer avec toutes les nations du monde ». Elle affirme encore : « Les minorités nationales qui vivent avec nous font partie de la communauté politique hongroise et font partie intégrante de l’État », et propose l’engagement « pour le soin et la protection […] des langues et des cultures des minorités nationales en Hongrie ». Cette perspective est véritablement évangélique, contrecarrant une certaine tendance, parfois justifiée au nom des traditions et même de la foi, à se replier sur soi-même. 

Le texte constitutif, en quelques paroles décisives empreintes d’esprit chrétien, affirme également : « Nous déclarons que l’assistance aux nécessiteux et aux pauvres est une obligation ». Cela rappelle le déroulement de l’histoire de la sainteté hongroise, racontée par les nombreux lieux de culte de la capitale : du premier roi qui a jeté les bases de la vie communautaire, l’on passe à une princesse qui élève l’édifice à une plus grande pureté. Il s’agit de sainte Élisabeth, dont le témoignage est parvenu à toutes les latitudes. Cette fille de votre terre mourut à vingt-quatre ans après avoir renoncé à toute richesse, tout donné aux pauvres. Elle se consacra jusqu’au bout, dans l’hôpital qu’elle avait fait construire, au soin des malades, est un joyau de l’Évangile. 

Distinguées Autorités, je voudrais vous remercier pour la promotion des œuvres caritatives et éducatives inspirées par ces valeurs et dans lesquelles la communauté catholique locale est engagée, ainsi que pour le soutien concret apporté à tant de chrétiens éprouvés dans le monde, en particulier en Syrie et au Liban. Une collaboration fructueuse entre l’État et l’Église est féconde, mais pour l’être, elle doit sauvegarder les distinctions appropriées. Il est important que chaque chrétien s’en souvienne, en gardant l’Évangile comme point de référence, pour adhérer aux choix libres et libérateurs de Jésus et ne pas se prêter à une sorte de connivence avec les logiques du pouvoir. De ce point de vue, une saine laïcité, qui ne tombe pas dans le laïcisme généralisé se montrant allergique à tout ce qui est sacré pour s’immoler ensuite sur les autels du profit, est une bonne chose. Ceux qui se professent chrétiens, accompagnés par les témoins de la foi, sont avant tout appelés à témoigner et à marcher avec tous, en cultivant un humanisme inspiré de l’Évangile et cheminant sur deux voies fondamentales : se reconnaître fils bien-aimés du Père et aimer chacun comme un frère. 

En ce sens, saint Étienne laissait à son fils d’extraordinaires paroles de fraternité, en disant que ceux qui viennent avec des langues et des coutumes différentes « ornent le pays ». Car, écrivait il, « un pays qui n’a qu’une seule langue et une seule coutume est faible et décadent. C’est pourquoi je te recommande d’accueillir bien volontiers les étrangers et de les considérer avec honneur, afin qu’ils préfèrent rester chez toi plutôt qu’ailleurs » (Admonitions, VI). C’est un sujet, celui de l’accueil, qui suscite beaucoup de débats à notre époque et qui est certainement complexe. Cependant, pour ceux qui sont chrétiens, l’attitude de base ne peut pas être différente de celle que saint Étienne a transmise, après l’avoir apprise de Jésus qui s’est identifié à l’étranger à accueillir (cf. Mt 25, 35). C’est en pensant au Christ présent en tant de frères et sœurs désespérés qui fuient les conflits, la pauvreté et le changement climatique, qu’il faut aborder le problème sans excuses ni retards. C’est un thème qui doit être abordé ensemble, communautairement, aussi parce que, dans le contexte où nous vivons, les conséquences affecteront tôt ou tard tout le monde. C’est pourquoi il est urgent, en tant qu’Europe, de travailler à des voies sûres et légales, à des mécanismes partagés face à un défi historique qui ne pourra être maîtrisé par le rejet, mais qui doit être accueilli pour préparer un avenir qui, s’il n’est pas ensemble, ne sera pas. Cela appelle en première ligne ceux qui suivent Jésus et veulent suivre l’exemple des témoins de l’Évangile. 

Il n’est pas possible de citer tous les grands confesseurs de la foi de la Pannonie sacrée, mais je voudrais au moins mentionner saint Ladislas et sainte Marguerite, et faire référence à certaines figures majestueuses du siècle dernier, telles que le cardinal József Mindszenty, les bienheureux évêques martyrs Vilmos Apor et Zoltán Meszlényi, le bienheureux László Batthyány-Strattmann. Ils sont, avec beaucoup de justes de diverses confessions, les pères et les mères de votre patrie. C’est à eux que je voudrais confier l’avenir de ce pays qui m’est si cher. Et tout en vous remerciant d’avoir écouté ce que j’avais à partager, je vous assure de ma proximité et de ma prière pour tous les Hongrois, avec une pensée particulière pour ceux qui vivent hors de la patrie et pour ceux que j’ai rencontrés dans la vie et qui m’ont fait tant de bien. Isten, áldd meg a magyart ! (Que Dieu bénisse les Hongrois !)

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège

Discours du Saint-Père aux autorités et le corps diplomatique du Soudan de Sud

Le pape François a entamé sa visite apostolique au Soudan du Sud le 3 février, accompagné de l’archevêque de Canterbury et du modérateur de l’Église d’Écosse, par une rencontre avec le président, les vice-présidents, les autorités, la société civile et le corps diplomatique du jeune pays. Il a déclaré que ce « pèlerinage œcuménique de paix représente un changement de direction, une opportunité pour le Soudan du Sud de recommencer à naviguer en eaux calmes » un «  temps pour construire », pour « laisser derrière soi le temps de la guerre et laisser poindre un temps de paix. »

 

RENCONTRE AVEC LES AUTORITÉS ET LE CORPS DIPLOMATIQUE
DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Palais Présidentiel (Djouba)
Vendredi 3 février 2023

 

Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Vice-Présidents,
Membres illustres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
Autorités religieuses distinguées,
Représentants insignes de la société civile et du monde de la culture,
Mesdames et Messieurs !

Je suis heureux d’être sur cette terre que je porte dans mon cœur. Je vous remercie, Monsieur le Président, pour les mots d’accueil que vous m’avez adressés. Je salue cordialement chacun de vous et, à travers vous, toutes les femmes et les hommes qui peuplent ce jeune et cher pays. Je viens comme pèlerin de réconciliation, avec le rêve de vous accompagner sur votre chemin de paix, un chemin tortueux mais qui ne peut plus être reporté. Je ne suis pas venu seul, parce que dans la paix, comme dans la vie, on marche ensemble. Je suis donc chez vous avec deux frères, l’Archevêque de Canterbury et le Modérateur de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, que je remercie pour ce qu’ils viennent de nous dire. Ensemble, nous nous présentons à vous et à ce peuple au nom de Jésus-Christ, Prince de la paix.

Nous avons en effet entrepris ce pèlerinage œcuménique de paix après avoir écouté le cri de tout un peuple qui, avec grande dignité, pleure à cause de la violence qu’il subit, du perpétuel manque de sécurité, de la pauvreté qui le frappe et des catastrophes naturelles qui sévissent. Les années de guerres et de conflits ne semblent pas connaître de fin et même, récemment, de durs affrontements ont eu lieu alors que les processus de réconciliation semblent paralysés et que les promesses de paix restent inaccomplies. Que cette souffrance épuisante ne soit pas vaine. Que la patience et les sacrifices du peuple sud-soudanais, de cette population jeune, humble et courageuse, nous interpellent tous. Qu’ils voient éclore des germes de paix qui portent du fruit, tels des semences qui en terre donnent vie à la plante.

Les fruits et la végétation abondent ici, grâce au grand fleuve qui traverse le pays. Ce que l’historien de l’antiquité Hérodote disait de l’Égypte, qu’elle un “don du Nil”, vaut aussi pour le Soudan du Sud., Comme on le dit ici, cette terre est vraiment une “terre de grande abondance”. Je voudrais donc me laisser porter par l’image du grand fleuve qui traverse ce pays récent mais à l’histoire ancienne. Au cours des siècles, les explorateurs se sont introduits sur le territoire où nous sommes pour remonter le Nil Blanc à la recherche des sources du fleuve le plus long du monde. C’est par la recherche des sources du vivre ensemble que je voudrais commencer mon parcours avec vous. Parce que cette terre, qui regorge de tant de biens dans le sous-sol, mais surtout dans les cœurs et les esprits de ses habitants, a besoin d’être à nouveau désaltérée par des sources fraîches et vitales.

Autorités distinguées, c’est vous qui êtes ces sources, les sources qui irriguent la cohabitation, les pères et les mères de ce jeune pays. Vous êtes appelées à régénérer la vie sociale, comme des sources limpides de prospérité et de paix, car c’est de cela dont ont besoin les enfants du Soudan du Sud : de pères, non de maîtres ; d’étapes stables de développement, non de chutes continuelles. Les années qui ont suivi la naissance du pays, marquées par une enfance blessée, doivent laisser place à une croissance pacifique. Illustres Autorités, vos “enfants” et l’histoire elle-même se rappelleront de vous dans la mesure où vous aurez fait du bien à cette population qui vous a été confiée pour la servir. Les générations futures honoreront ou effaceront la mémoire de vos noms en fonction de ce que vous faites maintenant parce que, comme le fleuve quitte ses sources pour commencer son cours, le cours de l’histoire laissera derrière les ennemis de la paix et donnera de l’éclat à ceux qui œuvrent pour la paix. En effet, comme l’enseigne l’Écriture, « un avenir est promis aux pacifiques » (cf. Ps 37, 37).

La violence, au contraire, fait reculer le cours de l’histoire. Le même Hérodote en relevait les bouleversements générationnels, notant qu’en guerre ce ne sont plus les enfants qui enterrent les pères, mais les pères qui enterrent les enfants (cf. Histoires, I, 87). Je vous prie, de tout cœur d’accueillir une parole simple pour que cette terre ne se réduise pas à un cimetière, mais redevienne un jardin florissant. Non pas la mienne, mais celle du Christ. Il l’a prononcé dans un jardin, à Gethsémani, lorsque, voyant l’un de ses disciples qui avait dégainé l’épée, il dit : « Assez ! » (Lc 22, 51). Monsieur le Président, Messieurs les Vice-Présidents, au nom de Dieu, du Dieu qu’ensemble nous avons prié à Rome, du Dieu doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29) en qui tant de personnes de ce cher pays croient, il est temps de dire assez, sans “si” et sans “mais” : assez de sang versé, assez de conflits, assez de violences et d’accusations réciproques sur ceux qui les commettent, assez d’abandonner le peuple assoiffé de paix. Assez de destructions, c’est l’heure de la construction ! Que le temps de la guerre soit rejeté et que se lève un temps de paix!

Revenons aux sources du fleuve, à l’eau qui symbolise la vie. Aux sources de ce pays il y a un autre mot qui désigne le parcours entrepris par le peuple sud-soudanais le 9 juillet 2011 : République. Mais que signifie être une res publica ? Cela signifie se reconnaître comme une réalité publique, affirmer que l’État est pour tous ; et donc que ceux qui, en son sein, assument des responsabilités majeures, le présidant et le gouvernant, ne peuvent que se mettre au service du bien commun. Voilà le but du pouvoir : servir la communauté. La tentation qui guette toujours est de s’en servir pour ses propres intérêts. Il ne suffit donc pas de s’appeler République, il faut l’être, à partir des biens primaires : que les ressources abondantes avec lesquelles Dieu a béni cette terre ne soient pas réservées à quelques-uns, mais l’apanage de tous, et que des projets de répartition équitable des richesses correspondent aux plans de relance économique.

Le développement démocratique est fondamental pour la vie d’une République. Il protège la distinction bénéfique des pouvoirs, de sorte que, par exemple, celui qui administre la justice puisse l’exercer sans conditionnement de la part de celui qui légifère ou gouverne. La démocratie suppose également le respect des droits humains, protégés par la loi et son application, et en particulier la liberté d’exprimer ses idées. Il faut en effet rappeler que sans justice il n’y a pas de paix (cf. saint Jean-Paul II, Message pour la célébration de la 35ème Journée Mondiale de la Paix, 1er janvier 2002), mais aussi que sans liberté il n’y a pas de justice. Il faut donc donner à toute citoyenne et tout citoyen la possibilité de disposer du don unique et irremplaçable de l’existence avec les moyens appropriés pour le réaliser : comme l’écrivait le Pape Jean, « tout être humain a droit à la vie, à l’intégrité physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente » (saint Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris, n. 11).

Le Nil, après avoir quitté ses sources, traversé des zones accidentées créant des cascades et des rapides, et une fois entré dans la plaine sud-soudanaise, à proximité de Djouba, il devient navigable, pour ensuite pénétrer dans des zones plus marécageuses. Par analogie, j’espère que le chemin de paix de la République ne progressera pas avec des hauts et des bas, mais, qu’à partir de cette capitale, il deviendra praticable, sans rester enlisé dans l’inertie. Chers amis, il est temps de passer des paroles aux faits. Il est temps de tourner la page, le temps est venu de l’engagement pour une transformation urgente et nécessaire. Le processus de paix et de réconciliation demande un nouveau sursaut. Que l’on s’entende et que l’on face avancer l’Accord de paix, ainsi que la Feuille de route ! Dans un monde marqué par les divisions et les conflits, ce pays accueille un pèlerinage œcuménique de paix, qui constitue une rareté ; que celui-ci pose un changement de rythme, qu’il soit l’occasion, pour le Soudan du Sud, de recommencer à naviguer sur des eaux tranquilles, en reprenant le dialogue, sans duplicités ni opportunismes. Qu’il soit pour tous une occasion de relancer l’espérance : que chaque citoyen comprenne que ce n’est plus le moment de se laisser emporter par les eaux insalubres de la haine, du tribalisme, du régionalisme et des différences ethniques ; le temps est venu de naviguer ensemble vers l’avenir !

Le parcours du grand fleuve nous aide encore, en nous suggérant la manière. Dans son cours, près du lac No il rejoint un autre fleuve, donnant vie à ce qu’on appelle le Nil Blanc. La clarté limpide des eaux jaillit donc de la rencontre. Telle est la voie : se respecter, se connaître, dialoguer. Car, si derrière toute violence il y a de la colère et de la rancœur – et derrière toute colère et rancœur il y a le souvenir non guérie de blessures, d’humiliations et d’offenses – la seule direction pour en sortir est celle de la rencontre : accueillir les autres comme des frères et leur donner de l’espace, y compris en sachant faire des concessions. Cette attitude, essentielle pour les processus de paix, est également indispensable pour le développement homogène de la société. Et pour passer de l’incivilité de l’affrontement à la civilité de la rencontre, le rôle que les jeunes peuvent et veulent jouer est décisif. Que des espaces libres de rencontre pour se retrouver et débattre leurs soient donc assurés ; et qu’ils puissent prendre en main, sans crainte, l’avenir qui leur appartient ! Que les femmes, les mères qui savent comment l’on donne et conserve la vie, soient également davantage impliquées dans les processus politiques et décisionnels. Qu’il y ait du respect à leur égard, car celui qui commet une violence contre une femme la commet contre Dieu, qui d’une femme a pris chair.

Le Christ, le Verbe incarné, nous a enseigné que plus on se fait petit, en donnant de l’espace aux autres et en accueillant le prochain comme un frère, plus on devient grand aux yeux du Seigneur. La jeune histoire de ce pays déchiré par des affrontements ethniques, a besoin de retrouver la mystique de la rencontre, la grâce du fait d’être ensemble. Il faut regarder au-delà des groupes et des différences pour marcher comme un seul peuple, dans lequel, comme pour le Nil, les différents affluents apportent des richesses. Ce fut précisément à par le fleuve que les premiers missionnaires, il y a plus d’un siècle, arrivèrent sur ces rivages ; à leur présence s’est ajouta au fil du temps celle de nombre de travailleurs humanitaires. Je voudrais tous les remercier pour le travail précieux qu’ils font. Mais je pense aussi aux missionnaires qui, malheureusement, trouvent la mort en semant la vie. Ne les oublions pas et n’oublions pas de leur garantir, ainsi qu’aux travailleurs humanitaires, la sécurité, ainsi que les soutiens nécessaires à leurs œuvres pour que le fleuve du bien continue à couler.

Un grand fleuve, cependant, peut parfois déborder et provoquer des catastrophes. Sur cette terre, les nombreuses victimes d’inondations l’ont malheureusement expérimenté, auxquelles j’exprime ma proximité, en demandant qu’elles ne soient pas privées d’aides appropriées. Les catastrophes naturelles révèlent une création blessée et chamboulée, qui, source de vie peut se transformer en menace de mort. Il faut en prendre soin avec un regard clairvoyant, tourné vers les générations futures. Je pense en particulier à la nécessité de lutter contre la déforestation causée par l’avidité du gain.

Pour éviter les inondations d’un fleuve, il est nécessaire de garder son lit propre. Par métaphore, le nettoyage dont le cours de la vie sociale a besoin est la lutte contre la corruption. Circuits financiers injustes, intrigues cachées pour s’enrichir, affaires clientélistes, manque de transparence : voilà le fond pollué de la société humaine, qui fait manquer les ressources nécessaires à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut d’abord combattre la pauvreté, qui constitue le terrain fertile dans lequel s’enracinent les haines, les divisions et la violence. L’urgence d’un pays civilisé est de prendre soin de ses citoyens, en particulier des plus fragiles et des plus défavorisés. Je pense surtout aux millions de personnes déplacées qui habitent ici : combien ont dû quitter leur maison et se trouvent reléguées en marge de la vie à la suite d’affrontements et de déplacements forcés !

Pour que les eaux de vie ne se transforment pas en dangers de mort, il est essentiel de doter un fleuve de digues adéquates. Il en va de même pour la coexistence humaine. Il faut en premier lieu endiguer l’arrivée d’armes qui, malgré les interdictions, continuent d’arriver dans de nombreux pays de la zone, y compris au Soudan du Sud. Beaucoup de choses sont nécessaires ici, mais certainement pas d’instruments de mort supplémentaires. D’autres digues sont indispensables pour garantir le cours de la vie sociale : je fais référence au développement de politiques de santé adéquates, au besoin d’infrastructures vitales et, en particulier, au rôle primordial de l’alphabétisation et de l’éducation, seule voie pour que les enfants de cette terre prennent leur avenir en main. Comme tous les enfants de ce continent et du monde, ils ont le droit de grandir avec en main des cahiers et des jouets, pas des instruments de travail ni des armes.

Le Nil Blanc, enfin, quitte le Soudan du Sud, traverse d’autres États, il rencontre le Nil Bleu et arrive à la mer : le fleuve ne connaît pas de frontières, mais il relie des territoires. De même, pour atteindre un développement convenable, il est essentiel, aujourd’hui plus que jamais, de cultiver des relations positives avec d’autres pays, à commencer par ceux qui sont autour. Je pense également à la précieuse contribution de la Communauté internationale à l’égard de ce pays : j’exprime ma reconnaissance pour l’engagement visant à en favoriser la réconciliation et le développement. Je suis convaincu que, pour apporter des contributions fructueuses, la compréhension réelle des dynamiques et des problèmes sociaux est indispensable. Il ne suffit pas de les observer et de les dénoncer de l’extérieur. Il faut s’impliquer, avec patience et détermination et, plus généralement, résister à la tentation d’imposer des modèles préétablis et étrangers à la réalité locale. Comme le disait saint Jean-Paul II, il y a trente ans, au Soudan : « des solutions africaines doivent être trouvées aux problèmes africains » (Appel à la Cérémonie de bienvenue, 10 février 1993).

Monsieur le Président, distinguées Autorités, en suivant le cours du Nil, j’ai voulu m’introduire dans le cheminement de ce pays qui m’est cher autant qu’il est jeune. Je sais que certaines de mes expressions peuvent avoir été franches et directes, mais je vous prie de croire que cela naît seulement de l’affection et de la préoccupation avec lesquelles je suis vos vicissitudes, avec les frères avec lesquels je suis venu ici, pèlerin de paix. Nous désirons offrir de tout cœur notre prière et notre soutien afin que le Soudan du Sud se réconcilie et change de cap, pour que son cours vital ne soit plus empêché par l’inondation de la violence, entravé par les marais de la corruption et anéanti par le débordement de la pauvreté. Que le Seigneur du ciel, qui aime cette terre, lui donne un temps nouveau de paix et de prospérité : que Dieu bénisse la République du Soudan du Sud !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

Discours du Saint-Père lors de sa rencontre avec les évêques à la CENCO

Le pape François s’adresse à la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) avant de conclure sa visite apostolique en République démocratique du Congo et  se diriger vers le Soudan du Sud pour un pèlerinage œcuménique de paix.

 

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES
DISCOURS DU SAINT-PÈRE

CENCO (Kinshasa)
Vendredi 3 février 2023

Chers frères Évêques, bonjour !

Je suis heureux de vous rencontrer et je vous remercie de tout cœur pour votre accueil chaleureux. Merci à Mgr Utembi Tapa pour les salutations qu’il m’a adressées et de vous avoir donné la parole à travers les siennes. Je vous suis reconnaissant de la manière dont vous annoncez courageusement la consolation du Seigneur, en marchant au milieu du peuple, en partageant leurs peines et leurs espérances.

Il m’a été agréable de passer ces jours-ci dans votre pays, qui, avec sa grande forêt, est le « cœur vert » de l’Afrique, un poumon pour le monde entier. L’importance de ce patrimoine écologique nous rappelle que nous sommes appelés à protéger la beauté de la création et à la défendre contre les blessures causées par l’égoïsme prédateur. Mais cette immense étendue de verdure qu’est votre forêt est aussi une image qui parle à notre vie chrétienne : en tant qu’Église, nous avons besoin de respirer l’air pur de l’Évangile, chasser l’air pollué de la mondanité, garder le cœur juvénile de la foi. C’est ainsi que j’imagine l’Église africaine et c’est ainsi que je vois cette Église congolaise : une Église jeune, dynamique, joyeuse, animée par la soif missionnaire, par l’annonce que Dieu nous aime et que Jésus est le Seigneur. Votre Église est présente dans l’histoire concrète de ce peuple, enracinée en profondeur dans la réalité, actrice dans la charité ; une communauté capable d’attirer et de contaminer par son enthousiasme et, comme le font vos forêts, avec beaucoup d' »oxygène ». Merci, d’être un poumon qui donne du souffle à l’Église universelle !

C’est laid de commencer un paragraphe par le mot « malheureusement », mais je dois le faire ! Malheureusement, je suis bien conscient que la communauté chrétienne de ce pays présente également une autre physionomie. Votre visage jeune, lumineux et beau est en effet marqué par la douleur et la fatigue, parfois par la peur et le découragement. C’est le visage d’une Église qui souffre pour son peuple, c’est un cœur qui bat au rythme de la vie du peuple avec ses joies et ses tribulations. C’est une Église signe visible du Christ qui, aujourd’hui encore, est rejeté, condamné et méprisé dans les nombreux crucifiés du monde, et qui pleure nos propres larmes. C’est une Église qui, comme Jésus, veut aussi sécher les larmes du peuple, en s’évertuant à prendre sur elle les blessures matérielles et spirituelles des gens, et en faisant couler sur elles l’eau vive qui guérit du côté du Christ.

Avec vous, frères, je vois Jésus souffrant dans l’histoire de ce peuple, peuple crucifié, peuple opprimé, frappé par une violence qui n’épargne pas, marqué par la souffrance des innocents ; un peuple contraint de vivre dans les eaux troubles de la corruption et de l’injustice qui polluent la société, et qui souffre de la pauvreté en tant de ses enfants. Mais je vois en même temps un peuple qui n’a pas perdu l’espérance, qui embrasse avec enthousiasme la foi et se tourne vers ses pasteurs, qui sait revenir au Seigneur et se remettre entre ses mains afin que la paix à laquelle il aspire, étouffée par l’exploitation, l’égoïsme partisan, par les poisons des conflits et des vérités manipulées, puisse enfin advenir comme un don d’en haut.

On en vient à se demander : comment exercer le ministère dans cette situation ? En pensant à vous, pasteurs du Peuple saint de Dieu, l’histoire de Jérémie m’est venue à l’esprit, un prophète appelé à vivre sa mission à un moment dramatique de l’histoire d’Israël, au milieu des injustices, des abominations et des souffrances. Il a dépensé sa vie à proclamer que Dieu n’abandonne jamais son peuple et fait émerger des projets de paix, même dans les situations qui semblent perdues et irrécupérables. Mais cette annonce consolante de la foi, Jérémie l’a vécue d’abord dans sa personne, il a le premier fait l’expérience de la proximité de Dieu. Ce n’est que de cette manière qu’il a pu apporter aux autres une courageuse prophétie d’espérance. Votre ministère épiscopal vit aussi entre ces deux dimensions dont je voudrais vous parler : la proximité de Dieu et la prophétie pour le peuple.

Avant tout, je voudrais vous dire : laissez-vous toucher et réconforter par la proximité de Dieu. Il est proche de nous. La première parole que le Seigneur adresse à Jérémie est celle-ci : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais » (Jr 1, 5). C’est une déclaration d’amour que Dieu grave dans le cœur de chacun d’entre nous, que personne ne peut effacer et qui, au milieu des tempêtes de la vie, devient une source de réconfort. Pour nous, qui avons reçu l’appel à être les pasteurs du Peuple de Dieu, il est important de nous appuyer sur cette proximité du Seigneur, en nous « structurant dans la prière », en nous tenant pendant des heures devant Lui. Ce n’est qu’ainsi que le peuple qui nous est confié se rapproche du Bon Pasteur, et ce n’est qu’ainsi que nous devenons vraiment des pasteurs, car sans Lui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15, 5). Nous serions des entrepreneurs, des « maîtres », mais nous ne suivrions pas l’appel du Seigneur. Sans Lui, nous ne pouvons rien faire. Qu’il ne nous arrive pas de nous considérer comme autosuffisants, et encore moins de voir dans l’épiscopat la possibilité d’accéder à une position sociale et d’exercer un pouvoir. Cet horrible esprit de  » carriérisme « . Et surtout : que n’entre pas l’esprit mondain qui nous fait interpréter le ministère selon les critères de nos intérêts lucratifs personnels, qui nous rend froids et détachés dans l’administration de ce qui nous est confié, qui nous pousse à nous servir de la fonction au lieu de servir les autres, et à ne plus nous soucier de la relation indispensable, humble et quotidienne, de la prière. N’oublions pas que la mondanité est le pire qui puisse arriver à l’Église, c’est le pire. J’ai toujours été touché par la fin du livre du cardinal de Lubac sur l’Église, les trois ou quatre dernières pages, où il dit : la mondanité spirituelle est le pire qui puisse arriver, pire encore que l’époque des papes mondains et concubins. C’est pire. Et la mondanité est toujours à l’affût. Soyons attentifs !

Chers frères évêques, soignons notre proximité avec le Seigneur afin d’être ses témoins crédibles et les porte-paroles de son amour auprès du peuple. C’est à travers nous qu’il veut l’oindre de l’huile de la consolation et de l’espérance ! Vous êtes la voix avec laquelle Dieu veut dire aux Congolais : « Tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu » (Dt 7, 6). L’annonce de l’Évangile, l’animation de la vie pastorale, la conduite du peuple ne peuvent se réduire à des principes éloignés de la réalité de la vie quotidienne, mais doivent toucher les blessures et communiquer la proximité divine, afin que les personnes découvrent leur dignité de fils de Dieu et apprennent à marcher la tête haute, sans jamais s’incliner devant les humiliations et les oppressions. Par vous, ce peuple a la grâce de s’entendre dire des paroles semblables à celles que le Seigneur adressa à Jérémie : « Tu es un peuple béni, avant de te former dans le ventre de ta mère, j’ai pensé à toi, je t’ai connu, je t’ai aimé ». Si nous cultivons la proximité avec Dieu, nous serons poussés vers le peuple et nous éprouverons toujours de la compassion pour ceux qui nous sont confiés. Cette attitude de compassion, qui n’est pas un sentiment, c’est un souffrir avec. Réconfortés et fortifiés par le Seigneur, nous devenons à notre tour des instruments de consolation et de réconciliation pour les autres, pour guérir les blessures de ceux qui souffrent, apaiser la peine de ceux qui pleurent, relever les pauvres, libérer les personnes de nombreuses formes d’esclavage et d’oppression. C’est dire que la proximité de Dieu fait de nous des prophètes pour le peuple, capables de semer la Parole qui sauve dans l’histoire blessée de cette terre.

Et pour approfondir ce deuxième point, la prophétie pour le peuple, regardons à nouveau l’expérience de Jérémie. Après avoir reçu la Parole aimante et consolante de Dieu, il est appelé à être « prophète pour les nations » (Jr 1, 5), envoyé pour apporter la lumière dans les ténèbres, pour témoigner dans un contexte de violence et de corruption. Et Jérémie, qui dévore la Parole du Seigneur, car elle est pour lui joie et allégresse du cœur (cf. Jr 15, 10), confesse que cette même Parole sème en lui une inquiétude irrépressible et le pousse à aller vers les autres pour qu’ils soient touchés par la présence de Dieu. Il écrit : « Elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir » (Jr 20, 9). Nous ne pouvons pas garder la Parole de Dieu pour nous seuls, nous ne pouvons pas contenir sa puissance : elle est un feu qui brûle notre apathie et allume en nous le désir d’éclairer ceux qui sont dans les ténèbres. La Parole de Dieu est un feu qui brûle à l’intérieur et qui nous pousse à sortir ! Voilà notre identité épiscopale : brûlés par la Parole de Dieu, en sortie vers le peuple de Dieu, avec zèle apostolique !

Mais – nous pouvons nous demander – en quoi consiste cette annonce prophétique de la Parole, cette ardeur? Le Seigneur dit au prophète Jérémie : « Voici, je mets dans ta bouche mes paroles ! Vois : aujourd’hui, je te donne autorité sur les nations et les royaumes, pour arracher et renverser, pour détruire et démolir, pour bâtir et planter » (Jr 1, 9-10). Ce sont des verbes forts : d’abord arracher et renverser, pour finalement bâtir et planter. Il s’agit de collaborer à une histoire nouvelle que Dieu veut construire dans un monde de perversion et d’injustice. Vous aussi, donc, vous êtes appelés à continuer à faire entendre votre voix prophétique pour que les consciences se sentent interpellées et que chacun devienne acteur et responsable d’un avenir différent. Il faut donc arracher les plantes vénéneuses de la haine et de l’égoïsme, de la rancœur et de la violence ; renverser les autels consacrés à l’argent et à la corruption ; bâtir une coexistence basée sur la justice, la vérité et la paix ; et, enfin, planter les graines de la renaissance pour que le Congo de demain soit vraiment ce dont le Seigneur rêve : une terre bénie et heureuse, plus jamais violentée, opprimée ni ensanglantée.

Mais attention, il ne s’agit pas d’une action politique. La prophétie chrétienne s’incarne dans de multiples actions politiques et sociales, mais telle n’est pas la tâche des évêques et des pasteurs en général. Elle est d’annoncer la Parole pour éveiller les consciences, pour dénoncer le mal, pour réconforter ceux qui sont affligés et sans espérance.  » Consolez, consolez mon peuple  » : cette devise qui revient, revient, est une invitation du Seigneur : consolez le peuple. « Consolez, consolez mon peuple ». Il s’agit d’une annonce faite non seulement de mots mais aussi de proximité et de témoignage : proximité, tout d’abord, avec les prêtres – les prêtres sont ceux qui sont les plus proches d’un évêque -, écoute des agents pastoraux, encouragement de l’esprit synodal pour travailler ensemble. Et le témoignage, parce que les pasteurs doivent être crédibles, avant tout, en toutes choses, et en particulier dans le fait de cultiver la communion, dans la vie morale et dans l’administration des biens. Il est essentiel, en ce sens, de savoir construire l’harmonie sans se mettre sur des piédestaux, sans rudesses, mais en donnant le bon exemple du soutien et du pardon mutuel, en travaillant ensemble comme des modèles de fraternité, de paix et de simplicité évangéliques. Qu’il n’arrive jamais, alors que le peuple souffre de la faim, que l’on puisse dire de vous : « Ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce » (Mt 22, 5). Non, le commerce, s’il vous plaît, laissons-le en dehors de la vigne du Seigneur ! Un pasteur ne peut pas être un homme d’affaires, il ne peut pas ! Nous sommes pasteurs et serviteurs du peuple de Dieu, pas des administrateurs de biens, pas des hommes d’affaires, des pasteurs ! L’administration de l’évêque doit être celle du berger : devant le troupeau, au milieu du troupeau, derrière le troupeau. Devant le troupeau pour montrer le chemin ; au milieu du troupeau pour sentir le troupeau, pour ne pas le perdre ; derrière le troupeau pour aider ceux qui vont plus lentement, et aussi pour laisser le troupeau seul pendant un moment et voir où il trouve des pâturages. Le berger doit se déplacer dans ces trois directions.

Chers frères évêques, j’ai partagé avec vous ce que je portais dans mon cœur : cultiver la proximité avec le Seigneur afin d’être des signes prophétiques de sa compassion pour le peuple. Je vous prie de ne pas négliger le dialogue avec Dieu et de ne pas laisser le feu de la prophétie s’éteindre, à cause de calculs ou de compromis avec le pouvoir, ni à cause d’une vie tranquille et routinière. Face au peuple qui souffre et face à l’injustice, l’Évangile exige que nous élevions la voix. Quand nous élevons notre voix selon Dieu, nous risquons. C’est ce qu’a fait l’un de vos frères, le serviteur de Dieu Mgr Christophe Munzihirwa, un pasteur courageux et une voix prophétique, qui a gardé son peuple en offrant sa vie. La veille de sa mort, il avait envoyé un message à tous en disant : « En ces jours, que pouvons-nous encore faire ? Restons fermes dans la foi. Ayons confiance que Dieu ne nous abandonnera pas et que, de quelque part, une petite lueur d’espérance naîtra pour nous. Dieu ne nous abandonnera pas si nous nous engageons à respecter la vie de nos voisins, quel que soit le groupe ethnique auquel ils appartiennent ». Le lendemain, il a été tué sur la place de la ville, mais sa graine, plantée dans cette terre, avec celle de beaucoup d’autres, portera du fruit. Il est bon de se souvenir, avec gratitude, des grands pasteurs qui ont marqué l’histoire de votre pays et de votre Église, de ceux qui vous ont évangélisés et précédés dans la foi. Frères, ils sont vos racines qui vous fortifient dans l’ardeur évangélique. Je pense à tout le bien que reçu par le fait d’avoir connu le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya.

Bien-aimés, n’ayez pas peur d’être des prophètes d’espérance pour le peuple, des voix concordantes de la consolation du Seigneur, des témoins et des messagers joyeux de l’Évangile, des apôtres de la justice, des Samaritains de la solidarité, des témoins de la miséricorde et de la réconciliation au milieu des violences déclenchées, non seulement par l’exploitation des ressources et les conflits ethniques et tribaux, mais aussi et surtout par la puissance obscure du malin, l’ennemi de Dieu et de l’homme. Mais ne vous découragez jamais : le Crucifié est ressuscité, Jésus est victorieux, bien plus, il a déjà vaincu le monde (cf. Jn 16, 33) et il veut briller en vous, dans votre précieux travail, dans votre ensemencement fécond de paix ! Frères, je veux vous remercier pour votre service, pour votre zèle pastoral, pour votre témoignage.

Et, maintenant que je suis arrivé au terme de ce voyage, je tiens à vous exprimer toute ma gratitude, ainsi qu’à ceux qui l’ont préparé ici. Vous avez eu la patience d’attendre un an, vous êtes bons ! Merci pour cela ! Vous avez dû travailler deux fois, car la première fois la visite a été annulée, mais je sais que vous êtes miséricordieux envers le Pape! Merci beaucoup ! En juin prochain, vous célébrerez le Congrès eucharistique national à Lubumbashi. Jésus est vraiment présent et à l’œuvre dans l’Eucharistie ; là, il restaure et guérit, console et unit, illumine et transforme ; là, il inspire, soutient et rend votre ministère efficace. Que la présence de Jésus, le pasteur doux et humble, vainqueur du mal et de la mort, transforme ce grand pays et soit toujours votre joie et votre espérance ! Je vous bénis de tout cœur.

Je voudrais ajouter une seule chose : j’ai dit  » soyez miséricordieux « . La miséricorde. Pardonnez toujours. Quand un croyant vient se confesser, il vient demander le pardon, il vient demander la caresse du Père. Et nous, d’un doigt accusateur : « Combien de fois ? Et comment l’avez-vous fait ?… ». Non, pas ça. Pardonnez. Toujours. « Mais je ne sais pas…, parce que le code me dit… ». Le code nous devons l’observer, car il est important, mais le cœur du pasteur va au-delà ! Prenez le risque. Pour le pardon, prenez des risques. Toujours. Pardonnez toujours dans le Sacrement de la Réconciliation. Et ainsi vous sèmerez le pardon pour l’ensemble de la société.

Je vous bénis de tout mon cœur. Et s’il vous plait, continuez à prier pour moi, car cette charge est un peu difficile ! Mais je me confie à vous. Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Discours du Saint-Père lors de sa rencontre de prière avec les prêtres, les diacres, les personnes consacrées et les séminaristes dans la cathédrale Notre-Dame du Congo

Le pape François poursuit sa visite en République démocratique du Congo et s’adresse aux prêtres, les diacres, les personnes consacrées et les séminaristes dans la cathédrale Notre-Dame du Congo.

Le Saint-Père visitera le Soudan du Sud dans les prochains jours (3-5 février) en pèlerinage œcuménique de paix.

 

RENCONTRE DE PRIÈRE AVEC LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES CONSACRÉES ET LES SÉMINARISTES

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Cathédrale Notre-Dame du Congo (Kinshasa)
Jeudi 2 février 2023

Chers frères prêtres, diacres et séminaristes,
chers consacrés, bonsoir et bonne fête !

Je suis heureux de me trouver avec vous en ce jour précis, Présentation du Seigneur, le jour où nous prions spécialement pour la vie consacrée. Tous, comme Siméon, nous attendons la lumière du Seigneur pour qu’elle éclaire les ténèbres de notre vie. Plus encore, nous désirons tous vivre la même expérience qu’il a faite dans le Temple de Jérusalem : tenir Jésus dans ses bras. Le tenir dans les bras de manière à l’avoir devant les yeux et sur le cœur. En mettant Jésus au centre, le regard sur la vie change et, malgré les souffrances et les peines intérieures, nous nous sentons enveloppés de sa lumière, consolés par son Esprit, encouragés par sa Parole, soutenus par son amour.

Je dis cela en pensant au mot de bienvenue prononcé par le Cardinal Ambongo, que je remercie. Il a parlé « d’énormes défis » à affronter pour vivre l’engagement sacerdotal et religieux en cette terre marquée par des « conditions difficiles et parfois dangereuses », terre de tant de souffrances. Pourtant, comme il le rappelait, il y a aussi beaucoup de joie dans le service de l’Évangile et les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée sont nombreuses. C’est l’abondance de la grâce de Dieu qui agit dans la faiblesse (cf. 2 Co 12, 9) et qui vous rend capables, avec les fidèles laïcs, de générer l’espérance dans les situations souvent douloureuses de votre peuple.

La certitude qui nous accompagne aussi dans les difficultés est donnée par la fidélité de Dieu qui dit, par le prophète Isaïe : « Je ferai passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides » (43, 19). J’ai pensé vous proposer quelques réflexions à partir de ces paroles d’Isaïe : Dieu ouvre des chemins dans nos déserts et nous, ministres ordonnés et personnes consacrées, nous sommes appelés à être le signe de cette promesse et à la réaliser dans l’histoire du Peuple saint de Dieu. Mais, concrètement, à quoi sommes-nous appelés ? À servir le peuple comme témoins de l’amour de Dieu. Isaïe nous aide à comprendre comment.

Par la bouche du prophète, le Seigneur rejoint son peuple à un moment dramatique, lorsque les Israélites sont déportés à Babylone et réduits en esclavage. Poussé par la compassion, Dieu veut les consoler. Cette partie du livre d’Isaïe est connue en effet comme “Livre de la Consolation”, parce que le Seigneur adresse à son peuple des paroles d’espérance et des promesses de salut. Et tout d’abord, il rappelle le lien d’amour qui le lie à son peuple : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas, la flamme ne te consumera pas » (43, 1-2). Le Seigneur se révèle ainsi comme Dieu de la compassion et Il assure ne jamais nous laisser seuls, être toujours à nos côtés, refuge et force dans les difficultés. Dieu est compatissant. Les trois noms de Dieu, les trois caractéristiques de Dieu sont miséricorde, compassion et tendresse. Car tous ceux-ci font la proximité de Dieu : un Dieu proche, compatissant et tendre.

Chers prêtres et diacres, consacrés, séminaristes : à travers vous, le Seigneur veut aujourd’hui encore oindre son peuple avec l’huile de la consolation et de l’espérance. Et vous êtes appelés à vous faire l’écho de cette promesse de Dieu, à rappeler qu’Il nous a façonnés et que nous Lui appartenons, à encourager le cheminement de la communauté et à l’accompagner dans la foi à la rencontre de Celui qui marche déjà à nos côtés. Dieu ne permet pas aux eaux de nous submerger, ni au feu de nous brûler. Sentons que nous sommes porteurs de cette annonce au milieu des souffrances des gens. C’est ce que signifie être serviteurs du peuple : prêtres, sœurs, missionnaires qui ont fait l’expérience de la joie de la rencontre libératrice avec Jésus et qui l’offrent aux autres. Souvenons-nous-en : le sacerdoce et la vie consacrée deviennent arides si nous les vivons pour “nous servir” du peuple au lieu de “le servir”. Il ne s’agit pas d’un métier pour gagner ou avoir une position sociale, non plus pour s’occuper de la famille d’origine ; mais ils ont pour mission d’être des signes de la présence du Christ, de son amour inconditionnel, du pardon par lequel il veut nous réconcilier, de la compassion avec laquelle il veut prendre soin des pauvres. Nous avons été appelés à offrir notre vie pour nos frères et sœurs, en leur apportant Jésus, le seul qui guérit les blessures du cœur.

Pour vivre ainsi notre vocation, nous avons toujours des défis à affronter, des tentations à vaincre. Je voudrais m’arrêter brièvement sur les trois suivantes : la médiocrité spirituelle, le confort mondain, la superficialité.

Avant tout vaincre la médiocrité spirituelle. Comment ? La Présentation du Seigneur, qui dans l’Orient chrétien est appelée “fête de la rencontre”, nous rappelle la priorité de notre vie : rencontrer le Seigneur, en particulier dans la prière personnelle, car la relation avec Lui est le fondement de notre action. N’oublions pas que le secret de tout, c’est la prière car le ministère et l’apostolat ne sont pas d’abord notre œuvre et ne dépendent pas seulement de moyens humains. Alors vous me direz : oui, c’est vrai, mais les engagements, les urgences pastorales, les efforts apostoliques, la fatigue et autres risquent de ne pas laisser suffisamment de temps et d’énergie pour la prière. C’est pourquoi je voudrais partager quelques conseils : avant tout, tenons à certains rythmes liturgiques de la prière qui cadencent la journée, de la messe au bréviaire. La célébration eucharistique quotidienne est le cœur battant de la vie sacerdotale et religieuse. La Liturgie des Heures nous permet de prier avec l’Église, et avec régularité : ne la négligeons jamais ! Et n’oublions pas non plus la confession : nous avons toujours besoin d’être pardonnés afin de pouvoir donner la miséricorde. Un autre conseil : comme nous le savons, nous ne pouvons pas nous limiter à la récitation rituelle des prières, mais il faut réserver chaque jour un temps intense de prière, pour être cœur à cœur avec le Seigneur : un moment prolongé d’adoration, de méditation de la Parole, le saint Rosaire ; une rencontre intime avec Celui que nous aimons par-dessus tout. De plus, lorsque nous sommes en pleine activité, nous pouvons également recourir à la prière du cœur, à de brèves “oraisons jaculatoires” – elles sont un trésor, les oraisons jaculatoires –, des paroles de louange, d’action de grâce et d’invocation à répéter au Seigneur partout où nous nous trouvons. La prière nous décentre, nous ouvre à Dieu, nous remet sur pied parce qu’elle nous met entre ses mains. Elle crée en nous de l’espace pour faire l’expérience de la proximité de Dieu, afin que sa Parole nous devienne familière et, à travers nous, familière à tous ceux que nous rencontrons. Sans prière, on ne va pas loin. Enfin, pour surmonter la médiocrité spirituelle, ne nous lassons jamais d’invoquer la Vierge – elle est notre Mère – et d’apprendre d’elle à contempler et à suivre Jésus.

Le deuxième défi est celui de vaincre la tentation du confort mondain, d’une vie confortable dans laquelle on règle plus ou moins toutes les choses en avançant par inertie, recherchant notre confort et en nous traînant sans enthousiasme. Mais on perd de cette façon le cœur de la mission qui est de sortir des territoires du moi pour aller vers les frères et les sœurs, en exerçant, au nom de Dieu, l’art de la proximité. Un grand risque lié à la mondanité, spécialement dans un contexte de pauvreté et de souffrances, est celui de profiter du rôle que nous avons pour satisfaire nos besoins et notre confort. Il est triste, très triste de se replier sur soi-même en devenant de froids bureaucrates de l’esprit. Alors, au lieu de servir l’Évangile, nous nous soucions de gérer les finances et de mener à bien quelque affaire avantageuse pour nous. Frères et sœurs, c’est un scandale quand cela arrive dans la vie d’un prêtre ou d’un religieux, qui devraient au contraire être des modèles de sobriété et de liberté intérieure. Qu’il est beau en revanche de rester transparent dans les intentions et libéré des compromis avec l’argent, en embrassant avec joie la pauvreté évangélique et en travaillant aux côtés des pauvres ! Et qu’il est beau de rayonner en vivant le célibat comme signe de disponibilité complète au Royaume de Dieu ! Que ces vices, que nous voudrions éradiquer chez les autres et dans la société, ne se trouvent jamais enracinés en nous. S’il vous plaît, faisons attention au confort mondain.

Enfin, le troisième défi est celui de vaincre la tentation de la superficialité. Si le Peuple de Dieu attend d’être rejoint et consolé par la Parole du Seigneur, il y a besoin de prêtres et des religieux préparés, formés, passionnés de l’Évangile. Un don a été mis entre nos mains et il serait présomptueux de notre part de penser pouvoir vivre la mission à laquelle Dieu nous a appelés sans travailler chaque jour sur nous-mêmes, et sans nous former de manière comme il convient à la vie spirituelle à la théologie. Les gens n’ont pas besoin de fonctionnaires du sacré ni de diplômés à part du peuple. Nous sommes tenus d’entrer au cœur du mystère chrétien, d’en approfondir la doctrine, d’étudier et de méditer la Parole de Dieu ; et en même temps de rester ouverts aux inquiétudes de notre temps, aux questions toujours plus complexes de notre époque, pour comprendre la vie et les besoins des personnes, pour comprendre comment les prendre par la main et les accompagner. Par conséquent, la formation du clergé n’est pas une option. Je le dis aux séminaristes, mais cela vaut pour tous : la formation est un chemin à poursuivre toujours et toute la vie. On l’appelle formation permanente : la formation tout au long de la vie.

Ces défis dont je vous ai parlé doivent être affrontés si nous voulons servir le peuple comme témoins de l’amour de Dieu, car le service n’est efficace que s’il passe par le témoignage. Ne pas oublier ce mot : le témoignage. En effet, après avoir prononcé des paroles de consolation, le Seigneur dit par l’intermédiaire d’Isaïe : « Qui, parmi eux, peut annoncer cela et nous rappeler les événements du passé ? Vous êtes mes témoins » (43, 9.10). Témoins. Pour être de bons prêtres, diacres et personnes consacrées, les paroles et les intentions ne suffisent pas : c’est avant tout la vie qui parle, la vie personnelle. Chers frères et sœurs, en vous regardant, je rends grâce à Dieu, car vous êtes des signes de la présence de Jésus qui passe le long des routes de ce pays et touche la vie des personnes, les blessures de leur chair. Mais il faut encore de jeunes qui disent “oui” au Seigneur, d’autres prêtres et religieux qui, par leur vie, laissent transparaître sa beauté.

Dans vos témoignages, vous m’avez rappelé combien il est difficile de vivre la mission sur une terre riche de tant de beautés naturelles et de ressources, mais blessée par l’exploitation, la corruption, la violence et l’injustice. Mais vous avez aussi parlé de la parabole du bon samaritain : c’est Jésus qui passe le long de nos routes et, spécialement à travers son Église, qui s’arrête et prend soin des blessures des opprimés. Très chers amis, le ministère auquel vous êtes appelés est celui-ci : offrir proximité et consolation, comme une lumière toujours allumée au milieu de tant d’obscurité. Apprenons du Seigneur qui est proche, toujours. Et pour être frères et sœurs de tous, soyez-le d’abord entre vous : témoins de fraternité, jamais en guerre ; témoins de paix, apprenant à dépasser aussi les aspects particuliers des cultures et des origines ethniques, parce que, comme l’a affirmé Benoît XVI en s’adressant aux prêtres africains, « votre témoignage de vie pacifique, par-delà les frontières tribales et raciales, peut toucher les cœurs » (Exhort. ap. Africae munus, n. 108).

Un proverbe dit : « Le vent ne brise pas ce qui sait se plier ». L’histoire de beaucoup de peuples de ce continent a été malheureusement courbée et meurtrie par des blessures et des violences. Et donc, si un désir monte du cœur, c’est bien celui de ne plus devoir le faire, ne plus devoir se soumettre à l’autorité du plus fort, ne plus avoir à baisser la tête sous le joug de l’injustice. Mais nous pouvons accueillir les paroles du proverbe surtout dans un sens positif. Se plier n’est pas toujours synonyme de faiblesse, d’être lâche, mais de force. C’est aussi être flexible en surmontant les rigidités ; c’est cultiver une humanité docile qui ne se ferme pas dans la haine et la rancœur ; c’est être disponible à se laisser changer sans s’accrocher à ses idées et positions. Si nous nous inclinons devant Dieu, avec humilité, Il nous fait devenir comme Lui, des artisans de miséricorde. Quand nous restons dociles entre les mains de Dieu, Il nous façonne et fait de nous des personnes réconciliées, qui savent s’ouvrir et dialoguer, accueillir et pardonner, faire couler des fleuves de paix dans les steppes arides de la violence. Et, ainsi, lorsque soufflent impétueusement les vents des conflits et des divisions, ces personnes ne peuvent pas être brisées, parce qu’elles sont remplies de l’amour de Dieu. Soyez ainsi, vous aussi : dociles au Dieu de la miséricorde, jamais brisés par les vents des divisions.

Sœurs et frères, je vous remercie de tout cœur pour ce que vous êtes et ce que vous faites, je vous remercie pour votre témoignage à l’Église et au monde. Ne vous découragez pas, il y a besoin de vous ! Vous êtes précieux, importants : je vous le dis au nom de l’Église tout entière. Je vous souhaite d’être toujours des canaux de la consolation du Seigneur et des témoins joyeux de l’Évangile, prophétie de paix dans les spirales de la violence, disciples de l’Amour, prêts à soigner les blessures des pauvres et de ceux qui souffrent. Merci beaucoup, sœurs et frères, merci encore pour votre service et pour votre zèle pastoral. Je vous bénis et je vous porte dans mon cœur. Et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ! Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

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