Voici l’homélie prononcée par le pape François à Maurice, ce lundi 9 septembre, lors de la messe au monument Marie Reine de la Paix.
Ici, devant cet autel dédié à Marie Reine de la Paix ; sur ce mont depuis lequel on voit la ville et au-delà la mer, nous faisons partie de cette multitude de visages qui sont venus de Maurice et d’autres îles de cette région de l’Océan Indien pour écouter Jésus prêcher les Béatitudes. La même Parole de Vie qui, comme il y a deux mille ans, a la même force, le même feu qui réchauffe les cœurs les plus froids. Ensemble nous pouvons dire au Seigneur : nous croyons en toi, et avec la lumière de la foi, et le battement du cœur, nous savons qu’elle est vraie la prophétie d’Isaïe : annoncez la paix et le salut, apportez de bonnes nouvelles …déjà règne notre Dieu. Les béatitudes « sont comme la carte d’identité du chrétien. Donc, si quelqu’un d’entre nous se pose cette question, “comment fait-on pour parvenir à être un bon chrétien ?”, la réponse est simple : il faut mettre en œuvre, chacun à sa manière, ce que Jésus déclare dans le sermon des béatitudes. À travers celles-ci se dessine le visage du Maître que nous sommes appelés à révéler dans le quotidien de nos vies » (Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n. 63), comme l’a fait celui que l’on appelle « l’apôtre de l’unité mauricienne » le Bienheureux Jacques-Désiré Laval si vénéré sur ces terres.
L’amour du Christ et des pauvres a marqué sa vie d’une telle manière qu’il fut protégé de l’illusion de réaliser une évangélisation « distante et aseptisée ». Il savait qu’évangéliser suppose d’être tout à tous (cf. 1 Co 9, 19-22) : il a appris la langue des esclaves récemment libérés et il leur a enseigné de façon simple la Bonne Nouvelle du salut. Il a su rassembler les fidèles, les former pour entreprendre la mission et fonder de petites communautés chrétiennes dans les quartiers, les villes et les villages voisins, petites communautés dont beaucoup d’entre-elles sont à l’origine des paroisses actuelles. Sa sollicitude le porta à faire confiance aux plus pauvres et aux personnes rejetées pour que ce soient eux les premiers à s’organiser et à trouver des réponses à leurs souffrances. A travers son dynamisme missionnaire et son amour, le Père Laval a donné à l’Eglise mauricienne une nouvelle jeunesse, un nouveau souffle qu’aujourd’hui nous sommes invités à poursuivre dans le contexte actuel. Et il faut prendre soin de cet élan missionnaire, parce qu’il peut arriver que, comme Eglise du Christ, nous tombions dans la tentation de perdre l’enthousiasme évangélisateur en nous réfugiant dans des sécurités mondaines qui, peu à peu, non seulement conditionnent la mission, mais aussi la rendent pesante et incapable d’attirer les gens (cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 26). L’élan missionnaire a un visage jeune et revigorant. Ce sont précisément les jeunes qui, par leur vitalité et leur disponibilité, peuvent lui donner la beauté et la fraicheur propres de la jeunesse, quand ils mettent au défi la communauté chrétienne de se renouveler et nous invitent à partir vers de nouveaux horizons (Cf. Exhort. ap. postsyn. Christus vivit n. 37).
Mais ceci n’est pas toujours facile, parce que cela exige que nous apprenions à les reconnaitre et à leur donner une place au sein de notre communauté, de notre société. Mais qu’il est dur de constater que, malgré la croissance économique que votre pays a connue ces dernières décennies, ce sont les jeunes qui souffrent le plus, ce sont eux qui ressentent le plus le chômage qui cause non seulement un avenir incertain, mais qui leur enlève aussi la possibilité de se sentir acteurs privilégiés de leur propre histoire commune. Un avenir incertain qui les pousse à l’écart et les oblige à concevoir leur vie en marge de la société, les laissant vulnérables et presque sans repères face aux nouvelles formes d’esclavage de ce XXIe siècle. Ceux-ci, nos jeunes, sont notre première mission! Nous devons les inviter à trouver leur bonheur en Jésus ; mais pas de manière aseptisée ou de loin, mais en apprenant à leur donner une place, en connaissant leur langage, en écoutant leurs histoires, en vivant à leurs côtés, en leur faisant sentir qu’ils sont bénis de Dieu. Ne nous laissons pas voler le visage jeune de l’Église et de la société ; ne laissons pas les marchands de la mort voler les prémices de cette terre ! A nos jeunes et à ceux qui comme eux se sentent sans voix parce qu’ils sont plongés dans la précarité, le Père Laval adresse l’invitation à laisser résonner l’annonce d’Isaïe : « Éclatez en cris de joie, vous, ruines de Jérusalem, car le Seigneur console son peuple, il rachète Jérusalem ! » (52,9).
Même si ce qui nous accable semble n’avoir aucune solution, l’espérance en Jésus nous invite à retrouver la certitude du triomphe de Dieu non seulement au-delà de l’histoire, mais aussi dans la trame cachée des petites histoires qui s’entremêlent et qui font de nous les protagonistes de la victoire de Celui qui nous a donné le Royaume. Pour vivre l’Évangile, nous ne pouvons pas espérer que tout ce qui nous entoure soit favorable, parce que souvent les ambitions du pouvoir et les intérêts mondains jouent contre nous. Saint Jean-Paul II disait qu’elle « est malade, la société qui, dans ses formes d’organisation sociale, de production et de consommation, rend plus difficile la réalisation de ce don [de soi] et la formation de la solidarité entre les hommes » (Lett. enc. Centesimus annus n. 41c). Dans une telle société, il devient difficile de vivre les Béatitudes, devenant même quelque chose de mal vu, soupçonné, ridiculisé (cf. Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n. 91). C’est vrai, mais nous ne pouvons pas nous laisser gagner par le découragement. Au pied de ce mont, dont je voudrais aujourd’hui qu’il soit le Mont des Béatitudes, nous devons nous aussi retrouver cette invitation à être heureux. Seuls les chrétiens joyeux éveillent le désir de suivre ce chemin ; « le mot “heureux” ou “bienheureux”, devient synonyme de “saint”, parce qu’il exprime le fait que la personne qui est fidèle à Dieu et qui vit sa Parole atteint, dans le don de soi, le vrai bonheur » (ibid., n. 64).
Lorsque nous entendons le pronostic menaçant « nous sommes de moins en moins », nous devrions d’abord nous préoccuper non pas du déclin de tel ou tel mode de consécration dans l’Église, mais du manque d’hommes et de femmes qui désirent vivre le bonheur sur des chemins de sainteté, des hommes et des femmes qui laissent leur cœur brûler par l’annonce la plus belle et la plus libératrice. « Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de JésusChrist, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie » ( Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 49). Quand un jeune homme voit un projet de vie chrétienne accompli avec joie, cela l’enthousiasme et l’encourage, et il ressent ce désir qu’il peut exprimer ainsi : “Je veux gravir ce mont des Béatitudes, je veux rencontrer le regard de Jésus et qu’Il m’indique quel est mon chemin de bonheur”. Prions chers frères et sœurs, pour nos communautés, afin que témoignant de la joie de la vie chrétienne, elles voient fleurir la vocation à la sainteté dans les diverses formes de vie que l’Esprit nous propose. Implorons-le pour ce diocèse, comme pour les autres qui aujourd’hui ont fait l’effort de venir ici. Le Père Laval, le Bienheureux dont nous vénérons les reliques a également connu des moments de déception et de difficulté avec la communauté chrétienne, mais finalement le Seigneur a vaincu dans son cœur. Il avait confiance dans la force du Seigneur. Qu’elle touche le cœur de beaucoup d’hommes et de femmes de cette terre, qu’elle touche aussi nos cœurs afin que sa nouveauté puisse renouveler nos vies et celle de notre communauté (cf. ibid., n.11). Et n’oublions pas que celui qui convoque avec force, qui construit l’Église, c’est l’Esprit Saint.
L’image de Marie, la Mère qui nous protège et nous accompagne nous rappelle qu’elle a été appelée la “bienheureuse”. A celle qui a vécu la douleur comme une épée qui perce son cœur, à celle qui est passée par le plus horrible seuil de douleur en voyant son fils mourir, demandons le don de l’ouverture à l’Esprit Saint, de la joie persévérante, celle qui ne s’en va pas ou ne se replie pas… celle qui toujours nous refait expérimenter et affirmer que “le Tout-Puissant fait de grandes œuvres, saint est son nom”