Discours du pape François aux évêques d’Amérique centrale


À 11h15 heure locale, le pape François a rencontré les évêques d’Amérique centrale en l’église Saint-François d’Assise. Il fut accueilli à l’entrée de l’église par le Cardinal José Luis Lacunza Maestrojuán, S.Excl. Mgr José Domingo Ulloa o.s.a., archevêque de Panama city, S.Excl. José Luis Escobar Alas, archevêque de San Salvador et président du Secrétariat épiscopal pour l’Amérique latine (SEDAC) et qui réunit les évêques du Panama, Salvador, Costa Rica, Guatemala, Honduras et du Nicaragua. Après un mot de bienvenue du président du SEDAC, le Pape François a prononcé son discours. À la fin de la rencontre, après avoir remercié le Cardinal, les cinq évêques du SEDAC et la séance photo, le pape est retourné à la Nonciature. Vous trouverez ci-dessous le texte de ce discours aux évêques d’Amérique centrale:

Chers frères:
Merci à Mgr José Luis Escobar Alas, archevêque de San Salvador, pour les paroles de bienvenue qu’il m’a adressées au nom de tous. Je me réjouis de pouvoir vous rencontrer et échanger avec vous, de manière plus familière et directe, sur les aspirations, les projets et les idées despasteurs à qui le Seigneur a confié le soin de son peuple saint.

Merci pour l’accueil fraternel.

Pouvoir me retrouver avec vous est aussi « m’offrir » l’opportunité de pouvoir étreindre et me sentir plus proche de vos peuples, de pouvoir faire miens leurs désirs, leurs découragements aussi et, surtout, cette foi « courageuse » qui sait stimuler l’espérance et faciliter la charité. Merci de me permettre de me rapprocher de cette foi éprouvée mais simple du visage pauvre de votre peuple qui sait que « Dieu est présent, qu’il ne dort pas, qu’il agit, observe et aide » (Saint Oscar Romero,Homélie, 16 décembre 1979).

Cette rencontre nous rappelle un évènement ecclésial de grande importance. Les pasteurs de cette région furent les premiers à créer en Amérique un organisme de communion et de participation qui a donné – et continue toujours à donner – des fruits abondants. Je fais référence auSecrétariat Épiscopal d’Amérique Centrale (SEDAC). Un espace de communion, de discernement et d’engagement qui nourrit, revitalise et enrichit vos églises. Des pasteurs qui ont su anticiper et donner un signe qui, loin d’être un élément seulement programmatique, a indiqué comment l’avenir de l’Amérique Centrale – et de n’importe quelle région dans le monde – passe nécessairement par la lucidité et la capacité à élargir le regard, à unir les efforts dans un travail patient et généreux d’écoute, de compréhension, de dévouement et de don, et à pouvoir ainsi discerner les nouveaux horizons vers lesquels l’Esprit nous conduit[1] (cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n.235).

Durant les 75 années depuis sa fondation, le SEDAC s’est efforcé de partager les joies et les tristesses, les luttes et les espérances des peuples d’Amérique Centrale, dont l’histoire est liée à celle de votre peuple fidèle et l’a forgée. Beaucoup d’hommes et de femmes, de prêtres, de personnes consacrées et de laïcs ont offert leur vie jusqu’à verser leur sang pour maintenir vive la voix prophétique de l’Église face à l’injustice, à l’appauvrissement de tant de personnes et à l’abus de pouvoir. Ils nous rappellent que « celui qui veut vraiment rendre gloire à Dieu par sa vie, celui qui désire réellement se sanctifier pour que son existence glorifie le Saint, est appelé à se consacrer,à s’employer, et à s’évertuer à essayer de vivre les œuvres de miséricorde » (Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n.107). Et cela, non pas comme une aumône mais comme une vocation.

Parmi les fruits prophétiques de l’Église en Amérique Centrale, je me réjouis de mentionner la figure de saint Oscar Romero, que j’ai eu le privilège de canoniser récemment dans le contexte du Synode des Évêques sur les jeunes. Sa vie et son enseignement sont une source permanente d’inspiration pour nos Églises et, d’une manière particulière, pour nous-mêmes, évêques.

La devise qu’il a choisie pour son blason épiscopal et qui se trouve sur sa pierre tombale, exprime de manière claire son principe inspirateur et ce qu’a été sa vie de pasteur : « Sentir avec l’Église ». Une boussole qui a orienté sa vie dans la fidélité, y compris dans les moments les plustroublés.

C’est un héritage qui peut se transformer en témoignage actif et vivifiant pour nous-mêmes, également appelés au don du martyr dans le service quotidien de nos peuples, et je voudrais m’appuyer sur cet héritage pour la réflexion que je tiens à partager avec vous. Je sais qu’il en est parmi nous qui l’ont connu en personne – comme le cardinal Rosa Chavez – c’est pourquoi, Éminence, si vous pensez que je me trompe avec telle ou telle appréciation, vous pouvez me corriger. Recourir à la figure de Romero, c’est invoquer la sainteté et le caractère prophétique qui vit dans l’ADN de vos églises particulières.

Sentir avec l’Église

1. Reconnaissance et gratitude

Quand saint Ignace propose les principes pour sentir avec l’Église, il cherche à aider celui qui fait les Exercices à dépasser tout type de fausses dichotomies ou d’antagonismes qui réduisentla vie de l’Esprit à la tentation habituelle d’adapter la Parole de Dieu à son intérêt personnel. Ainsi il rend possible pour celui qui fait les Exercices la grâce de se sentir et de se savoir faire partie d’uncorps apostolique plus grand que lui-même et, en même temps, avec la conscience réelle de ses forces et de ses potentialités : ni faible, ni sélectif ou téméraire. Se sentir partie d’un tout, qui sera toujours plus que la somme des parties (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n.235) et qui est uni à une Présence qui toujours le dépassera (cf. Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n.8).

D’où le fait que je souhaite axer ce premier Sentir avec l’Eglise de saint Oscar, comme une action de grâce et une reconnaissance pour tant de bien reçu, non mérité. Romero a pu rejoindre et apprendre à vivre l’Eglise parce qu’il aimait tendrement celle qui l’avait engendré dans la foi. Sans cet amour venu de ses entrailles, il serait plus difficile de comprendre son histoire et sa conversion, puisque ce fut ce même amour qui l’a conduit jusqu’au don du martyr ; cet amour qui naît de l’accueil d’un don totalement gratuit, qui ne nous appartient pas et qui nous libère de toute prétention et de toute tentation de nous en croire propriétaires et uniques interprètes. Nous n’avons pas inventé l’Église, elle n’est pas née avec nous et elle continuera sans nous. Une telle attitude, loin de nous abandonner à la paresse, éveille une insondable et inimaginable reconnaissance qui nourrit tout. Le martyre n’est pas synonyme de pusillanimité ou de l’attitude de celui qui n’aime pas la vieet qui ne sait pas reconnaître la valeur de celle-ci. Au contraire, le martyr est celui qui est capable de lui donner chair et de vivre concrètement cette action de grâce.

Romero a senti avec l’Église parce que, en premier lieu, il a aimé l’Église comme une mère qui l’a engendré dans la foi et qu’il s’est senti membre et partie d’elle.

2. Un amour au goût de peuple

Cet amour, adhésion et reconnaissance, l’a conduit à étreindre avec passion, mais égalementavec dévouement et réflexion, tout l’apport et le renouveau magistériel que le Concile Vatican II a proposé. Là, il a trouvé l’assurance de vivre la suite du Christ. Il ne fut ni idéologue ni idéologique ;son action est née d’une intégration des documents conciliaires. Illuminé par cet horizon ecclésial,sentir avec l’Église est pour Romero la contempler comme Peuple de Dieu. Parce que le Seigneur n’a pas voulu nous sauver isolément hors de tout lien mutuel, mais il a voulu former un peuple qui le confesse en vérité et le serve dans la sainteté (cf. Const. Dogm. Lumen Gentium, n.9). Un Peuple qui possède, garde et célèbre « l’onction du Saint » (ibid. n.12) et auprès duquel Romero se mettaità l’écoute pour ne pas repousser Son inspiration (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 16 juillet 1978). Ainsi il nous montre que le pasteur, pour chercher et trouver le Seigneur, doit apprendre à écouter le pouls de son peuple, sentir « l’odeur » des hommes et des femmes d’aujourd’hui jusqu’à reste imprégné de leurs joies et de leurs espérances, de leurs tristesses et de leurs angoisses (cf. Const. dogm. Gaudium et spes, n.1) et ainsi scruter la Parole de Dieu (cf. Const. dogm. Dei Verbum, n.13).Une écoute du peuple qui lui a été confié, jusqu’à respirer et découvrir à travers lui la volonté de Dieu qui nous appelle (cf. Discours durant la rencontre pour les familles, 4 octobre 2014). Sans dichotomie ou faux antagonismes, parce que seul l’amour de Dieu est capable d’intégrer tous nos amours dans un même sentir et un même regard.

Pour lui, en définitive, sentir avec l’Église, c’est participer à la gloire de l’Église qui est de porter dans ses entrailles toute la kénose du Christ. Dans l’Église, le Christ vit parmi nous et, pour cette raison, elle doit être humble et pauvre, parce qu’une Église hautaine, une Église pleine d’orgueil, une Église autosuffisante, n’est pas l’Église de la kénose (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 1er octobre 1978).

3. Porter dans ses entrailles la kénose du Christ

Cela n’est pas seulement la gloire de l’Église, mais aussi une vocation, une invitation à être notre gloire personnelle et notre chemin de sainteté. La kénose du Christ n’est pas de l’histoire ancienne mais une garantie actuelle pour sentir et découvrir sa présence agissante dans l’histoire. Présence que nous ne pouvons pas ni ne voulons taire, parce nous savons et nous avons faitl’expérience que Lui seul est « Chemin, Vérité et Vie ». La kénose du Christ nous rappelle que Dieu sauve dans l’histoire, dans la vie de chaque homme, que c’est également sa propre histoire et que là il vient à notre rencontre (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 7 décembre 1978). C’est important, frères, que nous n’ayons pas peur de toucher et de nous approcher des blessures de notre peuple, qui sont aussi nos blessures, et de le faire à la manière du Seigneur. Le pasteur ne peut pas rester éloigné de la souffrance de son peuple ; de plus, nous pourrions dire que le cœur du pasteur se juge à sacapacité à se laisser toucher face à tant de vies blessées et menacées. Le faire à la manière du Seigneur signifie laisser cette souffrance frapper et marquer nos priorités et nos préférences, l’emploi du temps et l’utilisation de l’argent, y compris la manière de prier, pour pouvoir oindre tout et tous avec la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, dans une communauté de foi qui contient et ouvre un horizon toujours nouveau qui donne sens et espérance à la vie (cf. Exhort. ap.Evangelii gaudium, n.49). La kénose du Christ implique d’abandonner la virtualité de l’existence et des discours pour écouter le bruit et la rengaine des personnes réelles qui nous défie de créer des liens. Et permettez-moi de vous le dire : les réseaux servent à créer des liens mais pas des racines, ils sont incapables de nous donner une appartenance, de nous faire sentir partie d’un même peuple. Sans ce sentir, toutes nos paroles, nos réunions, nos rencontres, et nos écrits seront le signe d’une foi qui n’a pas su accompagner la kénose du Seigneur, une foi qui est restée à mi-chemin.

La kénose du Christ est jeune

Ces Journées Mondiales de la Jeunesse sont une occasion unique pour sortir à la rencontre et s’approcher davantage de la réalité de nos jeunes, pleins d’espérance et de désirs, mais aussi profondément marqués par tant de blessures. Avec eux, nous pourrons déchiffrer, de manière renouvelée, notre époque et reconnaître les signes des temps parce que, comme l’ont affirmé les pères synodaux, les jeunes sont un des « lieux théologiques » dans lesquels le Seigneur nous donne à connaître certaines de ses attentes et de ses défis pour construire demain (cf. Synode sur les Jeunes,doc. fin., n.64). Avec eux, nous pouvons imaginer comment rendre plus visible et plus crédible l’Évangile dans le monde où nous devons vivre ; ils sont comme un thermomètre pour savoir où nous en sommes comme communauté et comme société.

Ils portent avec eux une inquiétude que nous devons valoriser, respecter, accompagner, et qui nous fait tant de bien à tous parce qu’elle nous bouscule et nous rappelle que le pasteur ne cesse jamais d’être disciple et qu’il est en chemin. Cette saine inquiétude nous met en mouvement et nous devance. Comme l’ont rappelé les pères synodaux en disant : « les jeunes, à certains égards, sont en avance sur leurs pasteurs » (ibid., n.66). Nous devons être comblés de joie de constater comment le semis n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Beaucoup de leurs préoccupations et deleurs intuitions ont grandi dans le cadre familial, alimentées par une grand-mère ou une catéchiste, ou dans le cadre de la paroisse, de la pastorale éducative ou des jeunes. Préoccupations qui ontgrandi dans une écoute de l’Evangile et dans des communautés à la foi vive et fervente qui trouve une terre où germer. Comment ne pas remercier les jeunes soucieux pour l’Évangile ! Cette réalité nous stimule à un plus grand engagement pour les aider à grandir, en leur offrant plus et de meilleurs espaces qui les engendrent au rêve de Dieu. L’Eglise par nature est Mère et comme telle, elle engendre et fait éclore la vie en la protégeant de tout ce qui menace son développement. Gestation de la liberté et pour la liberté. Je vous invite donc à promouvoir des programmes et des centres éducatifs qui sachent accompagner, soutenir et renforcer vos jeunes ; des jeunes « récupérés » dans la rue, avant que la culture de mort, « en leur vendant de la fumée » et des solutions magiques, ne s’empare et ne profite de leur esprit. Et faites-le non pas avec paternalisme, du haut vers le bas,parce que ce n’est pas ce que le Seigneur nous demande, mais comme des pères, comme de frères à frères. Ils sont le visage du Christ pour nous, et nous ne pouvons pas aller au Christ du haut vers le bas, mais du bas vers le haut (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 2 septembre 1979).

Ils sont nombreux les jeunes qui ont été douloureusement séduits par des réponsesimmédiates qui hypothèquent la vie. Les pères synodaux nous l’ont dit : par durcissement ou parmanque d’alternatives, ils se trouvent plongés dans des situations très conflictuelles qui n’ont pas desolution à court terme : violence domestique, homicides contre les femmes – quel fléau vit notre continent à ce sujet ! –, bandes armées et criminelles, trafic de drogue, exploitation sexuelle desmineurs et de non mineurs, etc., et ça fait mal de constater qu’à la racine de beaucoup de cessituations, se trouve une expérience d’orphelin, fruit d’une culture et d’une société qui est partie « dans tous les sens ». Des foyers brisés tant de fois par un système économique qui n’a pas comme priorité les personnes et le bien commun et qui a fait de la spéculation « son paradis » d’où il continue à « s’engraisser », sans se soucier aux dépens de qui. Ainsi nos jeunes sans domicile, sans famille,sans communauté, sans appartenance, sont à découvert pour le premier escroc.

N’oublions pas que « la véritable souffrance qui sort de l’homme appartient en premier lieuà Dieu » (Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne ). Ne séparons pas ce que Lui a voulu unir en son Fils.

Demain exige de respecter le présent, en rendant dignes et en s’obstinant à valoriser les cultures de vos peuples. Là aussi se joue la dignité : dans la fierté culturelle. Vos peuples ne sont pas « l’arrière-cour » de la société, ni de personne. Ils ont une histoire riche qui doit être assumée, valorisée et confortée. Les semences du Royaume ont été plantées dans cette terre. Nous avons le devoir de les reconnaître, de veiller sur elles, de les protéger, pour que rien de ce que Dieu a plantéde bon ne se dessèche à cause d’intérêts illégitimes qui, en tous lieux, sèment la corruption et sedéveloppent avec l’exploitation des plus pauvres. Prendre soin des racines, c’est prendre soin duriche patrimoine historique, culturel et spirituel que cette terre durant des siècles a su « métisser ». Obstinez-vous et élevez la voix contre la désertification culturelle et spirituelle de vos peuples, qui provoque une indigence radicale puisqu’elle les laisse sans cette indispensable immunité vitale qui soutient la dignité dans les moments de plus grande difficulté.

Dans votre dernière lettre pastorale, vous avez affirmé : « Dernièrement, notre région a été impactée par la migration vécue d’une manière nouvelle, parce qu’elle est massive et organisée, et qu’elle a mis en évidence les raisons qui en font une migration forcée avec les risques qu’elle implique pour la dignité de la personne humaine » (SEDAC, Message au Peuple de Dieu et à toutes les personnes de bonne volonté, 30 novembre 2018).

Beaucoup de migrants ont un visage jeune, ils recherchent un bien plus grand pour leurs familles, ils n’ont pas peur de risquer et de tout laisser, afin de leur offrir le minimum de conditions qui leur garantissent un avenir meilleur. A ce sujet, il ne suffit pas seulement de dénoncer, mais nous devons annoncer concrètement une « bonne nouvelle ». L’Église, grâce à son universalité, peut offrir cette hospitalité fraternelle et accueillante, pour que les communautés d’origine et celles d’accueil dialoguent et contribuent à dépasser les peurs et les méfiances, et consolident les liens queles migrations, dans l’imaginaire collectif, menacent de rompre. « Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » peuvent être les quatre verbes avec lesquels l’Église, dans cette situation migratoire, conjugue sa maternité dans l’aujourd’hui de l’histoire (cf. Synode sur les jeunes, Doc. fin., n.147).

Tous les efforts que vous pouvez accomplir pour jeter des ponts entre les communautés ecclésiales, paroissiales, diocésaines, ainsi que par l’intermédiaire des Conférences épiscopales, seront un geste prophétique de l’Église qui dans le Christ est « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Cons. dogm. Lumen gentium, n.1). Ainsi latentation d’en rester à la seule dénonciation se dissipe et se fait annonce de la Vie nouvelle que le Seigneur nous offre.

Rappelons-nous l’exhortation de saint Jean : « Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3, 17-18).

Toutes ces situations posent des questions, elles sont des situations qui nous appellent à la conversion, à la solidarité et à une action éducative qui pénètre dans nos communautés. Nous ne pouvons pas rester indifférents (cf. Synode sur les jeunes, Doc. fin., n.41-44). Le monde exclut, nous le savons et nous en souffrons ; la kénose du Christ n’exclut pas, nous en avons fait l’expérience et nous continuons d’en faire l’expérience dans notre propre chair avec le pardon et laconversion. Cette tension nous oblige à nous interroger continuellement : où voulons-nous nous arrêter ?

La kénose du Christ est sacerdotale

L’impact qu’a eu le meurtre du P. Rutilio Grande dans la vie de Mgr Romero est connu, ainsi que l’amitié qu’il lui portait. Ce fut un évènement qui a marqué au fer son cœur d’homme, de prêtre et de pasteur. Romero n’était pas un administrateur de ressources humaines, il ne gérait pasdes personnes ni des organismes, il sentait avec l’amour d’un père, d’un ami et d’un frère. Une barre un peu haute, mais une barre dans le but d’évaluer notre cœur épiscopal, une barre face àlaquelle nous pouvons nous interroger : quand est-ce que je suis affecté par la vie de mes prêtres ? Quand suis-je capable de me laisser toucher par ce qu’ils vivent, de pleurer de leurs souffrances, ainsi que de fêter leurs joies et de m’en réjouir ? Le fonctionnalisme et le cléricalisme ecclésial – si tristement répandus et qui représentent une caricature et une perversion du ministère – commencentà être évalués par ces questions. Il n’est pas question de changement de style, de manière ou de langage – tout cela est important certainement –, mais surtout, il est question de l’impact et de la capacité de nos agendas épiscopaux à avoir de l’espace pour recevoir, accompagner et soutenir nos prêtres, un « espace réel » pour nous occuper d’eux. C’est ce qui fait de nous des pères féconds.

C’est à eux normalement qu’incombe de manière spéciale la responsabilité de faire que ce peuple soit le peuple de Dieu. Ils sont sur la ligne de tir. Ils portent sur leurs épaules le poids du jour et de la chaleur (cf. Mt 20,12), ils sont exposés à une multitude de situations quotidiennes qui peuvent les rendre plus vulnérables et, pour cette raison, ils ont besoin également de notre proximité, de notre compréhension et de notre encouragement, de notre paternité. Le résultat du travail pastoral, de l’évangélisation dans l’Église et de la mission, ne repose pas sur la richesse des ressources et des moyens matériels, ni sur le nombre d’évènements ou d’activités que nous réalisons, mais sur la centralité de la compassion : une des plus grandes marques distinctives que nous puissions offrir comme Église à nos frères. La kénose du Christ est l’expression maximale de la compassion du Père. L’Église du Christ est l’Église de la compassion, et cela commence à lamaison. Il est toujours bon de nous interroger comme pasteurs : quel impact a en moi la vie de mes prêtres ? Suis-je capable d’être un père ou bien est-ce que je me console d’être un simple exécutant ? Est-ce que je me laisse déranger ? Je me rappelle les paroles de Benoît XVI au début de son pontificat, s’adressant à ses compatriotes : « Le Christ ne nous a pas promis une vie facile. Celui qui cherche la facilité avec Lui, s’est trompé de chemin. Lui, il nous montre la voie qui nous conduit vers de grandes choses, vers le bien, vers une vie humaine authentique » (Benoît XVI,Discours aux pèlerins allemands, 25 avril 2005).

Nous savons que notre travail, dans les visites et les rencontres que nous accomplissons –surtout dans les paroisses – ont une dimension et une composante administrative qu’il est nécessaire de réaliser. S’assurer que cela se fait, oui, mais cela ne veut pas et ne voudra pas dire que nous devions utiliser le temps limité en tâches administratives. Dans les visites, l’essentiel et ce que nous ne pouvons pas déléguer, c’est « l’oreille ». Il y a beaucoup de choses que nous faisons tous les jours et que nous devrions confier à d’autres. Ce que nous ne pouvons pas confier, en revanche, c’est la capacité d’écouter, la capacité de suivre l’état de santé et la vie de nos prêtres. Nous ne pouvons pas déléguer à d’autres la porte ouverte à leur intention. Porte ouverte qui crée les conditions permettant la confiance plus que la peur, la sincérité plus que l’hypocrisie, l’échange franc et respectueux plus que le monologue disciplinaire.

Je me rappelle ces paroles de Rosmini : « Il ne fait aucun doute que seuls les grands hommes peuvent former d’autres grands hommes […] Dans les premiers siècles, la maison de l’évêque c’était le séminaire des prêtres et des diacres. La présence et la vie sainte de leur prélat s’avérait êtreune leçon brûlante, continue, sublime, dans laquelle on apprenait conjointement la théorie dans ses doctes paroles et la pratique dans ses occupations pastorales assidues. Et ainsi on voyait grandir le jeune Athanase auprès d’Alexandre » (Antonio Rosmini, Les cinq plaies de la sainte Eglise, p.63).

Il est important que le prêtre trouve le père, le pasteur dans lequel « se regarder », et non pas l’administrateur qui veut « passer les troupes en revue « . Il est fondamental, avec toutes les choses sur lesquelles nous sommes en désaccord, y compris les différends et les débats qui peuvent exister (et il est normal et attendu qu’ils existent), que les prêtres perçoivent dans l’évêque un homme capable de se risquer et de s’engager pour eux, de les faire avancer et d’être une main tendue quand ils sont enlisés. Un homme de discernement qui sache orienter et trouver des chemins concrets et praticables aux différents carrefours de chaque histoire personnelle.

Le mot autorité étymologiquement vient de la racine latine « augere » qui signifie augmenter, promouvoir, faire progresser. L’autorité du pasteur consiste en particulier à aider à grandir, à promouvoir ses prêtres, plus qu’à se promouvoir lui-même – cela un célibataire le fait –. La joie dupère/pasteur est de voir que ses fils ont grandi et qu’ils ont été féconds. Frères, que cela soit notre autorité et le signe de notre fécondité.

La kénose du Christ est pauvre

Frères, sentir avec l’Église, c’est sentir avec le peuple fidèle, le peuple souffrant et espérant en Dieu. C’est savoir que notre identité ministérielle nait et se comprend à la lumière de cette appartenance unique et constitutive de notre être. Dans ce sens, j’aimerais vous rappeler ce que saint Ignace nous écrivait aux jésuites : « la pauvreté est une mère et un mur », elle engendre et elle contient. Mère parce qu’elle nous invite à la fécondité, à engendrer, à être capables de donner, chose impossible d’un cœur avare et qui cherche à accumuler. Et un mur parce qu’elle nous protège de l’une des tentations les plus subtiles à laquelle nous sommes confrontés, nous les consacrés, à savoir la mondanité spirituelle : c’est-à-dire, revêtir de valeurs religieuses et « pieuses » l’appât du pouvoir et le fait de vouloir se mettre en avant, la vanité, y compris l’orgueil et l’arrogance.

Un mur et une mère qui nous aident à être une Église qui soit toujours plus libre parce qu’elle est centrée sur la kénose de son Seigneur. Une Eglise qui ne veut pas que sa force soit – comme l’a dit Mgr Romero –dans le soutien des puissants ou de la politique, mais résulte de la noblesse à cheminer uniquement dans les bras du crucifié, qui est sa véritable force. Et cela se traduit en signes concrets et visibles, cela nous remet en question et nous pousse à un examen de conscience sur nos options et nos priorités dans l’utilisation des ressources, des influences et des positionnements. La pauvreté est une mère et une barrière parce qu’elle garde notre cœur pour qu’il ne glisse pas vers des concessions et des engagements qui affaiblissent la liberté et la « parresia” de ce à quoi le Seigneur nous appelle.

Frères, avant de terminer, mettons-nous sous le manteau de la Vierge, prions ensemble pour qu’elle garde notre cœur de pasteurs et nous aide à mieux servir le Corps de son Fils, le saint Peuple fidèle de Dieu qui chemine, vit et prie ici en Amérique Centrale.

Que Jésus vous bénisse et que la Vierge vous garde. Et, s’il vous plait, n’oubliez pas de prier pour moi.

Merci beaucoup. _____________________

[1] Je veux rendre présente la mémoire de pasteurs qui, mus par leur zèle pastoral et leur amour de l’Église, ont donnévie à cet organisme ecclésial, comme Mgr Luis Chavez y Gonzalez, archevêque de San Salvador, et Mgr VictorSanabria, archevêque de San José de Costa Rica, parmi d’autres.

[00112-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Discours du Pape François lors de la rencontre avec les Autorités civiles et politiques du Panama

Vous trouverez ci-dessous le discours du Pape François tel que prononcé lors de la rencontre officielle avec le Président du Panama ainsi que les autorités civiles et politiques:

Monsieur le Président,
Distinguées Autorités,
Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie, Monsieur le Président, pour vos paroles de bienvenue et pour votre aimable invitation à venir visiter cette nation. Je désire saluer en votre personne et remercier tout le peuple panaméen qui, de Darien à Chiriqui et Bocas del Toro, a accompli des efforts sans mesure pour accueillir tant de jeunes provenant de toutes les parties du monde. Merci de nous ouvrir les portes de votre maison.

Je commence mon pèlerinage en ce lieu historique où Simon Bolivar, affirmant que « si le monde devait choisir une capitale, l’isthme de Panama serait désigné pour être cette auguste destination », appela les leaders de son temps pour forger le rêve de l’unification de la Grande Patrie. Appel qui nous aide à comprendre que nos peuples sont capables de créer, forger et surtout rêver une grande patrie qui sache et puisse héberger, respecter et embrasser la richesse multiculturelle de chaque peuple et culture. Suivant cette inspiration, nous pouvons contempler Panama comme une terre d’appel et de rêves.

1. Une terre d’appel
C’est ainsi que l’a présentée le Congrès Amphictyonique, et c’est aussi ce que fait voir aujourd’hui le débarquement de milliers de jeunes qui portent avec eux le désir et l’envie de se rencontrer et de célébrer.

Votre pays, par sa position privilégiée, est devenu une enclave stratégique non seulement pour la région mais aussi pour le monde entier. Pont entre les océans et terre naturelle de rencontres, Panama, le pays le plus étroit de tout le continent américain, est le symbole du développement durable qui naît de la capacité à créer des liens et des alliances. Cette capacité constitue le cœur du peuple panaméen.

Chacun de vous a un rôle particulier dans la construction de la nation et est appelé à veiller à ce que cette terre puisse accomplir sa vocation à être une terre d’appels et de rencontres ; cela implique la décision, l’engagement et le travail quotidien pour que tous les habitants de ce sol aient l’opportunité de se sentir acteurs de leur destin, de leurs familles et de toute la nation. Il est impossible de penser l’avenir d’une société sans la participation active – et non seulement théorique – de chacun de ses membres, en sorte que la dignité se voit reconnue et garantie par l’accès à une éducation de qualité et la promotion d’emplois dignes. Ces deux réalités possèdent la force d’aider à reconnaitre et valoriser le génie et le dynamisme créateur de ce peuple et, par ailleurs, elles sont le meilleur antidote à tout type de tutelle qui prétendrait réduire la liberté et soumettre ou supprimer la dignité civile, plus particulièrement celle des plus pauvres.

Le génie de ces terres est marqué par la richesse de ses peuples d’origine : bribi, buglé, embera, kuna, nasoteribe, ngäbe et waunana, qui ont tant à dire et à rappeler à partir de leurs cultures et de leur vision du monde : je leur adresse mes salutations et ma gratitude. Etre terre d’appel suppose de célébrer, reconnaître et écouter ce qu’il y a de particulier en chacun de ces peuples et chez tous les hommes et les femmes qui constituent le visage panaméen, et c’est oser tisser un avenir d’espérance ; car c’est seulement si on est capable de défendre le bien commun par-dessus les intérêts de quelques- uns ou pour quelques-uns qu’existe la ferme décision de partager avec justice ses biens.

Les nouvelles générations, par leur joie et leur enthousiasme, par leur liberté, leur sensibilité et leur capacité critique demandent aux adultes, mais spécialement à tous ceux qui ont un leadership dans la vie publique, de mener une vie conforme à la dignité et à l’autorité qu’ils revêtent et qui leur a été confiées. C’est une invitation à vivre avec rigueur et transparence dans la responsabilité concrète pour les autres et pour le monde ; mener une vie qui montre que la fonction publique est synonyme d’honnêteté et de justice, et antinomique avec toute forme de corruption. Ils réclament un engagement où tous – à commencer par ceux que nous appelons chrétiens – nous ayons l’audace de construire « une politique authentiquement humaine » (Const. past. Gaudium et spes, n. 73) qui mette la personne au centre comme le cœur de tout, lequel pousse à créer une culture de plus grande transparence chez les pouvoirs publics, le secteur privé et toute la population, comme le demande cette belle prière que vous avez pour la patrie : « Donne-nous le pain de chaque jour : que nous puissions le manger chacun dans sa maison et avec une santé digne d’êtres humains ».

2. Terre de rêves
Ces jours-ci, Panama ne va pas être rappelé seulement comme centre régional et point stratégique pour le commerce et le passage de personnes ; elle va se changer en un “hub” de l’espérance. Point de rencontre où des jeunes provenant des cinq continents, remplis de rêves et d’espérances, vont célébrer, se rencontrer, prier et raviver le désir et leur engagement pour créer un monde plus humain. Ils vont mettre au défi les regards myopes à court terme qui, tentés par la résignation, l’avidité, ou prisonniers du paradigme technocratique, croient que le seul chemin possible passe par « le jeu de la compétitivité, [de la spéculation] et de la loi du plus fort, où le puissant mange le plus faible » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 53), fermant le lendemain à une nouvelle imagination de l’humanité. En accueillant les rêves de ces jeunes, Panama devient une terre de rêves qui défie beaucoup de certitudes de notre époque et génère des horizons de vie qui indiquent une nouvelle manière de marcher avec un regard respectueux et plein de compassion sur les autres. Durant ce temps nous serons témoins de l’ouverture de nouveaux canaux de communication et de compréhension, de solidarité, de créativité et d’aide mutuelle ; des canaux à dimension humaine qui stimulent l’engagement et rompent l’anonymat et l’isolement en vue d’une nouvelle manière de construire l’histoire.

Un autre monde est possible, nous le savons et les jeunes nous invitent à nous impliquer dans sa construction pour que les rêves ne tombent pas dans l’éphémère ou l’éthéré, mais pour qu’ils stimulent un pacte social dans lequel tous puissent avoir l’opportunité de rêver un lendemain : le droit à l’avenir est aussi un droit humain.

Les paroles de Ricardo Miró, chantant le terroir de ses amours, semblent prendre corps dans cet horizon ; il disait : « Pourquoi en te voyant, Patrie, on disait / que la volonté divine t’a formée / parce que sous le soleil qui t’éclaire / l’Humanité entière se réunira » (Patria de mis amores).

Je vous renouvelle mes remerciements pour tous ce que vous avez fait pour que cette rencontre soit possible, et je vous exprime, Monsieur le Président, à toutes les personnes ici présentes et à celles qui suivent à travers les moyens de communication, mes vœux les meilleurs d’une espérance renouvelée de joie dans le service du bien commun.
Que Santa Maria La Antigua bénisse et protège le Panama. [00111-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Message du pape François pour la Journée mondiale des Communications sociales 2019

Vous trouverez ci-dessous le Message du Pape François pour la 53e Journée Mondiale des Communications sociale et qui sera célébré cette année lors de la Solennité de l’Ascension de notre Seigneur le 2 juin 2019. Chaque année, le Vatican publie son message en la mémoire de saint François de Sales, patron des journalistes, le 24 janvier.

«Nous sommes membres les uns des autres» (Ép. 4,25).
Des communautés de réseaux sociaux à la communauté humaine

Chers frères et sœurs,
depuis l’avènement de l’Internet, l’Église a toujours cherché à en promouvoir l’utilisation au service de la rencontre entre les personnes et de la solidarité entre tous. Avec ce Message, je voudrais vous inviter une fois de plus à réfléchir sur le fondement et l’importance de notre être-en- relation et à redécouvrir, dans l’immensité des défis du contexte actuel de la communication, le désir de l’homme qui ne veut pas rester dans sa solitude.

Les métaphores du “réseau” et de la “communauté”

L’environnement des médias est aujourd’hui tellement envahissant qu’on ne peut le distinguer de la sphère de la vie quotidienne. Le réseau est un atout de notre temps. C’est une source de connaissances et de relations naguère impensables. De nombreux experts, cependant, à propos des transformations profondes imprimées par la technologie aux logiques de production, de circulation et d’utilisation des contenus, soulignent également les risques qui menacent la recherche et le partage d’une information authentique à l’échelle globale. Si l’Internet représente une possibilité extraordinaire d’accès au savoir, il est également vrai qu’il s’est avéré l’un des lieux les plus exposés à la désinformation et à la distorsion consciente et ciblée des faits et des relations interpersonnelles, qui souvent prennent la forme de discrédit.

Il faut reconnaître que les réseaux sociaux, s’ils servent d’une part à nous relier davantage, à nous permettre de nous retrouver et de nous entraider, de l’autre ils se prêtent aussi à une manipulation de données personnelles, visant à obtenir des avantages politiques ou économiques, sans le respect dû à la personne et à ses droits. Parmi les plus jeunes, les statistiques révèlent qu’un sur quatre est mêlé à des épisodes de cyber-harcèlement. [1]

Dans la complexité de ce contexte, il peut être utile de réfléchir à nouveau sur la métaphore du réseau mis initialement à la base de l’Internet, pour en redécouvrir le potentiel positif. L’image du réseau nous invite à réfléchir sur la multiplicité des parcours et des nœuds qui en assurent la solidité, en l’absence d’un centre, d’une structure hiérarchique, d’une organisation de type vertical. Le réseau fonctionne grâce à la coparticipation de tous les éléments.

Ramenée à la dimension anthropologique, la métaphore du réseau rappelle une autre figure riche de significations: celle de la communauté. Une communauté est d’autant plus forte qu’elle est cohésive et solidaire, animée par des sentiments de confiance et poursuivant des objectifs partagés. La communauté comme réseau solidaire requiert l’écoute mutuelle et le dialogue, basé sur l’utilisation responsable du langage.

Il est évident pour tous que, dans le contexte actuel, la communauté des réseaux sociauxn’est pas automatiquement synonyme de communauté. Dans le meilleur des cas, les communautésréussissent à montrer cohésion et solidarité, mais elles ne restent souvent que des agrégats d’individus qui se reconnaissent autour d’intérêts ou d’arguments caractérisés par des liens faibles. En outre, dans le Web social trop souvent l’identité est basée sur l’opposition à l’autre, à l’étranger au groupe: on se définit à partir de ce qui divise plutôt que de ce qui unit, laissant cours à la suspicion et à l’explosion de toute sorte de préjugés (ethniques, sexuels, religieux et autres). Cette tendance alimente des groupes qui excluent l’hétérogénéité, qui nourrissent, également dans l’environnement numérique, un individualisme effréné qui finit parfois par fomenter des spirales de haine. Ce qui devrait être une fenêtre sur le monde devient ainsi une vitrine dans laquelle exhiber le propre narcissisme.

Le réseau est une occasion pour promouvoir la rencontre avec les autres, mais il peut également renforcer notre auto-isolement, telle une toile d’araignée susceptible de piéger. Les enfants se trouvent les plus exposés à l’illusion que le Web social puisse pleinement les satisfaire au plan relationnel, jusqu’au phénomène dangereux des jeunes « ermites sociaux » qui courent le risque de se rendre complètement étranger à la société. Cette dynamique dramatique révèle une faille sérieuse dans le tissu relationnel de la société, une lacération que nous ne pouvons ignorer.

Cette réalité multidimensionnelle et insidieuse pose diverses questions de caractère éthique, sociale, juridique, politique, économique, et interpelle aussi l’Église. Tandis que les gouvernements cherchent des voies de réglementation légale pour sauver la vision originelle d’un réseau libre, ouvert et sécurisé, nous avons tous la possibilité et la responsabilité d’en favoriser une utilisation positive.

Il est clair qu’il ne suffit pas de multiplier les connexions pour faire augmenter également la compréhension mutuelle. Comment retrouver, par conséquent, la vraie identité communautaire en ayant conscience de la responsabilité que nous avons les uns envers les autres aussi sur le réseau en ligne ?

“Nous sommes membres les uns des autres”

Une réponse possible peut être esquissée à partir d’une troisième métaphore, celle du corps et des membres, que Saint Paul utilise pour parler de la relation de réciprocité entre les personnes, fondée dans un organisme qui les unit. « Débarrassez-vous donc du mensonge, et dites la vérité, chacun à son prochain, parce que nous sommes membres les uns des autres. » (Ep 4,25). Être membres les uns des autres est la motivation profonde avec laquelle l’Apôtre exhorte à se débarrasser du mensonge et à dire la vérité: l’obligation de garder la vérité découle de la nécessité de ne pas nier la relation réciproque de la communion. La vérité, en fait, se révèle dans la communion. Le mensonge au contraire est un refus égoïste de reconnaître la propre appartenance au corps; c’est le refus de se donner aux autres, perdant ainsi la seule voie de se retrouver soi-même.

La métaphore du corps et des membres nous amène à réfléchir sur notre identité, qui est basée sur la communion et sur l’altérité. Comme chrétiens, nous nous reconnaissons tous membres de l’unique corps dont le Christ est la tête. Cela nous aide à ne pas voir les personnes comme des concurrents potentiels, mais à considérer même les ennemis comme des personnes. Il n’y a plus besoin de l’adversaire pour se définir soi-même, parce que le regard d’inclusion que nous apprenons du Christ nous fait découvrir l’altérité d’une nouvelle manière, comme partie intégrante et condition de la relation et de la proximité.

Une telle capacité de compréhension et de communication entre les personnes humaines a son fondement dans la communion de l’amour entre les Personnes divines. Dieu n’est pas Solitude, mais Communion; Dieu est Amour, et donc communication, parce que l’amour communique toujours, et bien plus se communique soi-même pour rencontrer l’autre. Pour communiquer avec nous et pour se communiquer à nous Dieu s’adapte à notre langage, établissant dans l’histoire un véritable dialogue avec l’humanité (cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, 2).

En vertu de notre être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui est communion et communication-de-soi, nous portons toujours dans le cœur la nostalgie de vivre en communion, d’appartenir à une communauté. « Rien, en fait – affirme Saint Basile –, n’est plus conforme à notre nature que de nous fréquenter mutuellement, d’avoir besoin les uns des autres ».[2]

Le contexte actuel nous appelle tous à investir dans les relations, à affirmer aussi sur le réseau et à travers le réseau le caractère interpersonnel de notre humanité. À plus forte raison nous, chrétiens, sommes appelés à manifester cette communion qui est la marque de notre identité de croyants. La foi elle-même, en fait, est une relation, une rencontre; et sous la poussée de l’amour de Dieu, nous pouvons communiquer, accueillir et comprendre le don de l’autre et y correspondre.

C’est la communion à l’image de la Trinité qui distingue la personne de l’individu. De la foi en un Dieu qui est Trinité, il découle que, pour être moi-même, j’ai besoin de l’autre. Je suis vraiment humain, vraiment personnel, seulement si je me mets en relation avec les autres. Le terme de personne désigne en fait l’être humain comme « visage », face à l’autre, engagé avec les autres. Notre vie grandit en humanité avec le passage du caractère individuel à celui personnel; l’authentique chemin d’humanisation va de l’individu qui perçoit l’autre comme un rival, à la personne qui le reconnaît comme un compagnon de voyage.

Du “j’aime” à l’“Amen”

L’image du corps et des membres nous rappelle que l’utilisation du Web social est complémentaire de la rencontre en chair et en os, qui vit à travers le corps, le cœur, les yeux, le regard, le souffle de l’autre. Si le réseau est utilisé comme une extension ou comme une attente d’une telle rencontre, alors il ne se trahit pas et demeure une ressource pour la communion. Si une famille utilise le réseau pour être plus connectée, pour ensuite se réunir à table et se regarder dans les yeux, alors c’est une ressource. Si une communauté ecclésiale coordonne sa propre activité à travers le réseau, pour ensuite célébrer l’Eucharistie ensemble, alors c’est une ressource. Si le réseau est une occasion pour se rapprocher des histoires et des expériences de beauté ou de souffrance physiquement loin de moi, pour prier ensemble et ensemble chercher le bien dans la redécouverte de ce qui nous unit, alors c’est une ressource.

Ainsi, nous pouvons passer du diagnostic à la thérapie: en ouvrant le chemin au dialogue, à la rencontre, au sourire, à la caresse… Ceci est le réseau que nous voulons. Un réseau qui n’est pas fait pour piéger, mais pour libérer, pour prendre soin de la communion entre des personnes libres. L’Église elle-même est un réseau tissé par la communion eucharistique, où l’union n’est pas fondée sur « j’aime », mais sur la vérité, sur l’“Amen”, avec lequel chacun adhère au Corps du Christ en accueillant les autres.

Du Vatican, le 24 janvier 2019 Mémoire de Saint François de Sales

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FRANCISCUS

[1] Pour endiguer ce phénomène un Observatoire international sur le cyber-harcèlement sera créé, avec son siège au V atican.
[2] Les Grandes Règles, III, 1: PG 31, 917; cf. Benoit XVI, Message pour la 43ème Journée mondiale des Communications Sociales (2009).

[00134-FR.01] [Texte original: Italien]

JMJ Panama 2019, à quoi s’attendre ?


(CNS photo/Bob Roller)
Du 22 au 27 janvier 2019 auront lieu au Panama les Journées mondiales de la jeunesse. Ayant pour thème, « Voici la servante du Seigneur; que tout m’advienne selon ta parole », (Lc 1, 38), les JMJ 2019 s’inscrivent dans le sillon des synodes et événements analogues qui ont eu pour but, cette année, de faire de la jeunesse un axe privilégié de la mission de l’Église aujourd’hui. Mais à quoi doit-on s’attendre pour cette édition hors du commun ? À quoi doit-on se préparer alors que nous sommes à quelques jours du début de cet événement de foi ?

Un événement à échelle humaine

Se déroulant dans un pays d’Amérique latine et en plein mois de janvier, il est clair que cette édition sera de dimension plus restreinte. En effet, lorsqu’on pense JMJ, on a tous en tête les images des éditions de Madrid, Manille ou Cologne. Ces rencontres avaient réuni des millions de jeunes, d’où une atmosphère de joyeuse frénésie qui a pu marquer tous ceux qui en ont fait l’expérience. Or, voulant davantage respecter l’horaire des scolaires de l’hémisphère sud, le Vatican avait décidé de célébrer cette édition des JMJ au mois de janvier. Ainsi, le Panama semblait le pays idéal pour réaliser cette première expérience d’une JMJ à dimension humaine. Est-ce que cela signifie un changement de vision pour les JMJ ? Aurons-nous dorénavant des événements plus petits avec tous les avantages et désavantages que cela comporte? Le déroulement de cette édition Panama 2019 permettra certainement de comparer les deux approches et de délimiter les orientations à venir.

Un pape latino-américain en Amérique latine

Nous savons la proximité du pape François, originaire d’Argentine, pour tous les enjeux liés à l’Amérique latine. Ayant minutieusement éviter un retour dans son pays natal, certainement par sacrifice personnel et voulant donner l’exemple d’une « Église en sortie », le Pape s’est rendu plusieurs fois sur le continent américain. Grâce à l’énergie de cette jeunesse enthousiaste à le rencontrer ou à sa parenté culturelle et linguistique avec elle, je crois qu’on peut s’attendre à voir aux JMJ un Pape très énergique et d’humeur festive. Enfin, le Pape ne manquera pas à son devoir de prêcher l’Évangile et parler des fruits  qu’il génère dans nos vies. En effet, les défis auxquels fait face l’Amérique latine à l’heure actuelle sont multiples : polarisation, politique accrue, crise économique, migration de masse, déforestation, narcotrafic et corruption ne sont que quelques exemples des tensions internes actuelles. Fidèle à son franc parler, le pape François ne manquera pas d’exhorter les jeunes à prendre leurs responsabilités là où ils se trouvent et à accepter de faire face à l’aventure de la vie dans la joie et l’espérance du Christ pour le monde.

Une visite apostolique suivant le « canon franciscain »

Les voyages apostoliques du pape François, lorsqu’on les compare à ceux de ses prédécesseurs, ont leurs particularités. Par exemple, dans la majorité des cas, le pape François non seulement assiste à plusieurs rencontres avec, les autorités civiles, les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses mais également il visite des centres caritatifs, des prisons, etc. L’agenda actuel du Saint-Père au Panama confirme cette habitude.

Ainsi, après son arrivée au Panama en soirée le mercredi 23 janvier prochain, le Pape se rendra le lendemain jeudi après-midi au palais présidentiel pour une cérémonie protocolaire avec le président (9h14-10h30) suivie d’une rencontre avec les autorités civiles, politiques et diplomatiques (10h40-11h10). En fin d’après-midi, le Pape rencontrera les évêques d’Amérique centrale en l’église Saint-François d’Assise (11h15-12h20) avant de se rendre au Parc S. Maria la Antigua pour une célébration d’accueil et d’ouverture des JMJ Panama 2019 (17h30-19h30).

La journée de vendredi le 25 janvier sera une journée sous le signe de la pénitence.  Elle débutera en fin d’après-midi (l’horaire ne fait pas mention de l’avant-midi mais on peut supposer qu’il soit dédié au repos) avec une liturgie, sans doute émouvante, avec les jeunes détenus du pénitencier de Pacora (10h30-11h45). C’est vers 17h30 que le Pape présidera au Chemin de Croix avec les jeunes au Parc Santa Maria la Antigua. L’horaire du pape François se poursuit samedi avec la célébration de la Sainte Messe avec des prêtres, et des personnes consacrées et des leaders de mouvements laïcs (9h00-11h00) en la Basilique-cathédrale Santa-Maria la Antigua. Lors de cette célébration, le Saint-Père consacrera notamment l’autel principal. Sa journée se poursuivra avec la Veillée de prière avec les jeunes au parc Saint Jean-Paul II (18h10-20h00).

La journée de dimanche débutera avec la célébration de la Messe des Journées Mondiales de la Jeunesse Panama 2019 au Parc Saint Jean-Paul II (7h30-10h00) suivie de la visite à la maison caritative « Le Bon samaritain » où il présidera à la récitation de la prière de l’Angelus (10h45-11h45). Le pape se rendra ensuite au stade Rommel Fernandez pour une rencontre avec les bénévoles impliqués dans la préparation et la réalisation des JMJ Panama 2019. C’est vers 18h00 que le pape François se rendra à l’aéroport international de Tocumen pour une cérémonie de départ en compagnie des autorités civiles et politiques.

Une couverture exclusive au Canada

Depuis notre fondation en 2002 suivant les JMJ de Toronto, Sel et Lumière est la référence au Canada pour connaître et suivre l’ensemble des voyages apostoliques. Cette édition des JMJ 2019 au Panama ne fait pas exception! Consultez notre horaire détaillé des diffusions de l’ensemble des célébrations et rencontres et ne manquez pas notre émission spéciale « Centrale JMJ » du lundi au vendredi 19h30 où j’aurai la joie de vous présenter un résumé complet des faits saillants de la journée ainsi que des témoignages de jeunes pèlerins et évêques canadiens grâce notre équipe présente sur place. Un merci tout spécial à notre station sœur KTO Télévision en France pour leur traduction simultanée et leur fantastique travail sur le terrain. Bonnes Journées mondiales de la jeunesse à tous jeunes et moins jeunes !

Homélie du pape François lors de l’ouverture de la semaine pour l’unité des chrétiens

À 17h30 cet après-midi en la basilique Saint-Paul-Hors-les-Murs à Rome, le pape François a présidé à la célébration des Vêpres de la première semaine du temps ordinaire pour souligner le commencement de la 52e semaine de prière pour l’Unité des chrétiens. Le thème de cette année est inspiré du livre du Deutéronome: « ils jugeront le peuple en de justes jugements » (Dt 16, 18-20). Des représentants d’églises chrétiennes non-catholiques ainsi que de communautés chrétiennes étaient également présents lors de cette célébration. À la fin des Vêpres et avant la bénédiction apostolique, son Éminence le Cardinal Kurt Koch, Président du Conseil pontifical pour la promotion de l’Unité des chrétiens a également prononcé un mot de remerciement pour le Saint-Père. Vous trouverez ci-dessous la version française du texte de l’homélie du pape François telle que prononcée lors de cette célébration solennelle:

Aujourd’hui a commencé la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, au cours de laquelle nous sommes tous invités à invoquer de Dieu ce grand don. L’unité des chrétiens est un fruit de la grâce de Dieu et nous devons nous disposer à l’accueillir avec un cœur généreux et disponible. Ce soir, je suis particulièrement heureux de prier avec les représentants des autres Eglises présentes à Rome, auxquelles j’adresse un cordial et fraternel salut. Je salue aussi la délégation œcuménique de la Finlande, les étudiants de l’Ecumenical Institute of Bossey, en visite à Rome pour approfondir leur connaissance de l’Eglise catholique, et les jeunes orthodoxes et orthodoxes orientaux qui étudient ici avec le soutien du Comité de Collaboration culturelle avec les Églises orthodoxes, travaillant auprès du Conseil pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens.

Le livre du Deutéronome imagine le peuple d’Israël installé dans les plaines de Moab, sur le point d’entrer dans la Terre que Dieu lui a promise. Ici, Moïse, comme un père prévenant et un chef désigné par le Seigneur, répète la Loi au peuple, l’instruit et lui rappelle qu’il devra vivre avec fidélité et justice une fois qu’il se sera établi dans la terre promise.

Le passage que nous venons d’écouter fournit des indications sur la manière de célébrer les trois principales fêtes de l’année : Pesach (Pâque), Shavuot (Pentecôte), Sukkot (Tabernacles). Chacune de ces fêtes appelle Israël à la gratitude pour les biens reçus de Dieu. La célébration d’une fête demande la participation de tous. Personne ne peut être exclu : « Tu te réjouiras en présence du Seigneur ton Dieu, au lieu choisi par le Seigneur ton Dieu pour y faire demeurer son nom, et avec toi se réjouiront ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, le lévite qui réside dans ta ville, l’immigré, l’orphelin et la veuve qui sont au milieu de toi » (Dt 16, 11).

Pour chaque fête, il faut accomplir un pèlerinage « dans le lieu choisi par le Seigneur ton Dieu pour y faire demeurer son nom » (v. 2). Là, le fidèle israélite doit se placer devant Dieu. Bien que chaque israélite ait été esclave en Égypte, sans aucune possession personnelle, « personne ne paraîtra les mains vides devant la face du Seigneur » (v. 16) et le don de chacun sera à la mesure de la bénédiction que le Seigneur lui aura donnée. Tous recevront donc leur part de la richesse du pays et bénéficieront de la bonté de Dieu.

Le fait que le texte biblique passe de la célébration des trois fêtes principales à la nomination des juges ne doit pas nous surprendre. Les fêtes-mêmes exhortent le peuple à la justice, rappelant l’égalité fondamentale entre tous les membres, tous également dépendants de la miséricorde divine, et invitant chacun à partager avec les autres les biens reçus. Rendre honneur et gloire au Seigneur dans les fêtes de l’année va de pair avec le fait de rendre honneur et justice à son prochain, surtout s’il est faible et dans le besoin.

Les chrétiens d’Indonésie, réfléchissant sur le choix du thème pour la Semaine de Prière actuelle, ont décidé de s’inspirer de ces paroles du Deutéronome : « C’est la justice, rien que la justice, que tu rechercheras » (16, 20). En elles, est vivante la préoccupation que la croissance économique de leur pays, animée par la logique de la concurrence, en laisse beaucoup dans la pauvreté permettant seulement à un petit nombre de s’enrichir grandement. C’est mettre en danger l’harmonie d’une société dans laquelle des personnes de différentes ethnies, langues et religions vivent ensemble, partageant le sens d’une responsabilité réciproque.

Mais cela ne vaut pas seulement pour l’Indonésie : cette situation se rencontre dans le reste du monde. Quand la société n’a plus comme fondement le principe de la solidarité et du bien commun, nous assistons au scandale de personnes qui vivent dans l’extrême misère à côté de gratte-ciels, d’hôtels imposants et de luxueux centres commerciaux, symboles d’une richesse éclatante. Nous avons oublié la sagesse de la loi mosaïque, selon laquelle si la richesse n’est pas partagée, la société se divise.

Saint Paul, écrivant aux Romains, applique la même logique à la communauté chrétienne : ceux qui sont forts doivent s’occuper des faibles. Il n’est pas chrétien de « faire ce qui nous plaît » (15, 1). En suivant l’exemple du Christ, nous devons en effet nous efforcer d’édifier ceux qui sont faibles. La solidarité et la responsabilité commune doivent être les lois qui régissent la famille chrétienne.

Comme peuple saint de Dieu, nous aussi sommes toujours sur le point d’entrer dans le Royaume que le Seigneur nous a promis. Mais, en étant divisés, nous avons besoin de rappeler l’appel à la justice que Dieu nous a adressé. Même parmi les chrétiens, il y a le risque que prédomine la logique connue des Israélites dans les temps anciens et du peuple indonésien au jour d’aujourd’hui, c’est-à-dire que, dans la tentative d’accumuler des richesses, nous oublions les faibles et les personnes dans le besoin. Il est facile d’oublier l’égalité fondamentale qui existe entre nous : qu’à l’origine nous étions tous esclaves du péché et que le Seigneur nous a sauvés dans le Baptême, nous appelant ses fils. Il est facile de penser que la grâce spirituelle qui nous a été donnée est notre propriété, quelque chose qui nous revient et qui nous appartient. Il est possible, en outre, que les dons reçus de Dieu nous rendent aveugles sur les dons faits aux autres chrétiens. C’est un grave péché de diminuer ou de mépriser les dons que le Seigneur à concédés aux autres frères, en croyant qu’ils sont en quelque sorte moins privilégiés de Dieu. Si nous nourrissons des pensées semblables, nous permettons que la grâce elle-même reçue devienne source d’orgueil, d’injustice et de division. Et comment pourrons-nous alors entrer dans le Royaume promis ?

Le culte qui sied à ce Royaume, le culte que la justice demande, est une fête qui concerne tout le monde, une fête dans laquelle les dons reçus sont rendus accessibles et partagés. Pour accomplir les premiers pas vers cette terre promise qui est notre unité, nous devons surtout reconnaître avec humilité que les bénédictions reçues ne sont pas nôtres de droit, mais qu’elles sont nôtres par don, et qu’elles nous ont été données afin que nous les partagions avec les autres. En second lieu, nous devons reconnaître la valeur de la grâce concédée aux autres communautés chrétiennes. Par conséquent, ce sera notre désir de participer aux dons des autres. Un peuple chrétien renouvelé et enrichi par cet échange de dons sera un peuple capable de marcher d’un pas assuré et confiant sur la voie qui conduit à l’unité.

[00094-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du Pape François en la Solennité de l’Épiphanie du Seigneur

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du pape François telle que prononcée lors de la célébration de la Solennité de l’Épiphanie du Seigneur en la basilique Saint-Pierre de Rome dimanche 6 janvier 2019(Photo CNS/Paul Haring):

Épiphanie : ce mot signifie la manifestation du Seigneur, qui, comme le dit saint Paul dans la deuxième lecture (cf. Ep. 3,6), se révèle à tous les peuples, représentés aujourd’hui par les Mages. Se dévoile ainsi la merveilleuse réalité de Dieu qui est venu pour tous : toutes les nations, langues et peuples sont accueillis par lui et aimés de lui. Le symbole de cela est la lumière qui rejoint et illumine toutes choses.

Maintenant, si notre Dieu se manifeste à tous, il est cependant surprenant de constater de quelle façon il se manifeste. Dans l’Évangile est raconté un va-et-vient autour du palais du roi Hérode, alors même que Jésus est présenté comme roi : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » (Mt 2,2), demandent les Mages. Ils le trouveront, mais pas là où ils pensaient : non pas dans le palais royal de Jérusalem, mais dans une humble demeure à Bethléem. Le même paradoxe émergeait à Noël, quand l’Évangile parlait du recensement de toute la terre à l’époque de l’empereur Auguste et du gouverneur Quirinius (cf. Lc 2,2). Mais aucun des puissants d’alors n’a réalisé que le Roi de l’histoire était né en leur temps. Et encore, quand Jésus, âgé d’une trentaine d’années, se manifeste publiquement, précédé par Jean le Baptiste, l’Évangile offre une autre présentation solennelle du contexte, en énumérant tous les « grands » d’alors, les pouvoirs séculiers et spirituels : l’empereur Tibère, Ponce Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, les grands prêtres Hanne et Caïphe. Et il conclut : « la Parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean » (Lc 3,2). Donc à aucun des grands, mais à un homme qui s’était retiré dans le désert. Voilà la surprise : Dieu ne s’élève pas au-devant de la scène du monde pour se manifester.

En écoutant cette liste de personnages illustres, pourrait surgir la tentation de « tourner les projecteurs » sur eux. Nous pourrions penser : c’eût été meilleur si l’étoile de Jésus était apparue à Rome, sur la colline du Palatin, d’où Auguste régnait sur le monde ; tout l’empire serait devenu immédiatement chrétien. Ou, s’il avait illuminé le palais d’Hérode, celui-ci aurait pu faire le bien, plutôt que le mal. Mais la lumière de Dieu ne va pas chez celui qui brille de sa propre lumière. Dieu se propose, il ne s’impose pas ; il éclaire, mais il n’éblouit pas. C’est toujours une grande tentation de confondre la lumière de Dieu et les lumières du monde. Combien de fois nous avons suivi les éclats séduisants du pouvoir et de la scène, convaincus de rendre un bon service à l’Évangile ! Mais nous avons ainsi détourné les lumières du mauvais côté, parce que Dieu n’était pas là. Sa douce lumière resplendit dans l’amour humble. Combien de fois, en tant qu’Église, nous avons essayé de briller de notre propre lumière ! Mais nous ne sommes pas le soleil de l’humanité. Nous sommes la lune, qui, même avec ses ombres, reflète la lumière véritable, le Seigneur. L’Église est le mysterium lunae et le Seigneur est la lumière du monde (cf. Jn 9,5). Lui, non pas nous.

La lumière de Dieu va chez celui qui l’accueille. Isaïe, dans la première lecture (cf. 60,2) nous rappelle que la lumière divine n’empêche pas les ténèbres et les brumes épaisses de recouvrir la terre, mais qu’elle resplendit en celui qui est disposé à la recevoir. C’est pourquoi le prophète lance une invitation qui interpelle chacun de nous : « Debout, resplendis » (60,1). Il faut se mettre debout, c’est-à-dire se lever de sa propre sédentarité et se disposer à marcher. Autrement on reste immobile, comme les scribes consultés par Hérode, qui savaient bien où devait naître le Messie, mais qui n’ont pas bougé. Et puis il est nécessaire de se revêtir de Dieu qui est la lumière, chaque jour, jusqu’à ce que Jésus devienne notre vêtement quotidien. Mais pour mettre l’habit de Dieu, qui est simple comme la lumière, il faut d’abord se défaire des vêtements somptueux. Autrement on fait comme Hérode qui, à la lumière divine, préférait les lumières terrestres du succès et du pouvoir. Les Mages, au contraire, réalisent la prophétie, ils se lèvent pour être revêtus de lumière. Eux seuls voient l’étoile dans le ciel : ni les scribes, ni Hérode, personne à Jérusalem. Pour trouver Jésus, il faut déterminer un itinéraire différent, il faut prendre une voie alternative, la sienne, la voie de l’amour humble. Et il faut s’y maintenir. En effet l’Évangile de ce jour conclut en disant que les Mages, ayant rencontré Jésus, « regagnèrent leur pays par un autre chemin » (Mt 2, 12). Un autre chemin, différent de celui d’Hérode. Une voie alternative au monde, comme celle suivie par ceux qui à Noël sont avec Jésus : Marie et Joseph, les bergers. Eux, comme les Mages, ont laissé leurs maisons et sont devenus pèlerins sur les chemins de Dieu. Parce que seul celui qui abandonne ses attachements mondains pour se mettre en chemin trouve le mystère de Dieu.

C’est aussi valable pour nous. Il ne suffit pas de savoir où Jésus est né, comme les scribes, si nous ne rejoignons pas ce . Quand son devient le nôtre, que son quand devient notre quand, sa personne notre vie, alors les prophéties s’accomplissent en nous. Alors Jésus naît au-dedans de nous et il devient Dieu vivant pour moi. Aujourd’hui, frères et sœurs, nous sommes invités à imiter les Mages. Ils ne discutent pas, mais ils marchent ; ils ne restent pas à regarder, mais ils entrent dans la maison de Jésus ; ils ne se mettent pas au centre, mais ils se prosternent devant lui qui est le centre ; ils ne se fixent pas sur leurs plans, mais ils se disposent à prendre d’autres chemins. Dans leurs actes, il y a un contact étroit avec le Seigneur, une ouverture radicale à lui, une implication totale en lui. Avec lui, ils utilisent le langage de l’amour, la même langue que Jésus, encore enfant, parle déjà. En effet, les Mages vont chez le Seigneur non pas pour recevoir, mais pour donner. Demandons-nous : à Noël avons-nous porté un cadeau à Jésus, pour sa fête, ou avons-nous échangé des cadeaux seulement entre nous ?

Si nous sommes allés chez le Seigneur les mains vides, aujourd’hui nous pouvons y remédier. L’֤Évangile présente, en effet, pour ainsi dire, une petite liste de cadeaux : l’or, l’encens et la myrrhe. L’or, considéré comme l’élément le plus précieux, rappelle qu’à Dieu revient la première place. Il doit être adoré. Mais pour le faire, il est nécessaire de se priver soi-même de la première place et de se reconnaître pauvres, et non pas autosuffisants. Voilà alors l’encens, pour symboliser la relation avec le Seigneur, la prière, qui comme un parfum monte vers Dieu (cf. Ps 141,2). Mais, comme l’encens doit brûler pour parfumer, ainsi faut-il pour la prière « brûler » un peu de temps, le dépenser pour le Seigneur. Et le faire vraiment, pas seulement en paroles. A propos des faits, voici la myrrhe, un onguent qui sera utilisé pour envelopper avec amour le corps de Jésus descendu de la croix (cf. Jn 19,39). Le Seigneur désire que nous prenions soin des corps éprouvés par la souffrance, de sa chair la plus faible, de celui qui est laissé en arrière, de celui qui peut seulement recevoir sans rien donner de matériel en échange. Elle est précieuse aux yeux de Dieu la miséricorde envers celui qui n’a rien à redonner, la gratuité ! Elle est précieuse aux yeux de Dieu la gratuité. En ce temps de Noël qui arrive à sa fin, ne perdons pas l’occasion de faire un beau cadeau à notre Roi, venu pour tous, non pas sur les scènes somptueuses du monde, mais dans la pauvreté lumineuse de Bethléem. Si nous le faisons, sa lumière resplendira sur nous.

Angelus du pape François pour le 1er de l’an 2019

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François précédent la récitation de la prière de l’Angelus telle que prononcée du haut de la fenêtre du palais apostolique le mardi 1er janvier 2019 (photo: Courtoisie Vatican Media):

« Tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers » (Lc 2, 18). S’étonner : c’est à cela que nous sommes conviés aujourd’hui, en conclusion de l’Octave de Noël, le regard encore posé sur l’enfant né pour nous, pauvre de tout et riche en amour. Etonnement : c’est l’attitude qu’il convient d’avoir en début d’année, parce que la vie est un don qui nous donne la possibilité de toujours recommencer, même de très bas.

Mais aujourd’hui c’est aussi le jour de s’étonner devant la Mère de Dieu : Dieu est un petit enfant dans les bras d’une femme qui nourrit son Créateur. La statue qui se trouve devant représente la Mère et l’Enfant unis au point de sembler n’être qu’une seule chose. C’est le mystère de ce jour qui suscite un étonnement infini : Dieu s’est lié à l’humanité pour toujours. Dieu et l’homme toujours ensemble : voilà la bonne nouvelle de début d’année. Dieu n’est pas un maître distant qui habite, solitaire, dans les cieux, mais il est l’Amour incarné, né comme nous d’une mère pour être le frère de chacun, pour être proche : le Dieu de la proximité. Il est sur les genoux de sa mère, qui est aussi notre mère, et, de là, il reverse sur l’humanité une tendresse nouvelle. Et nous comprenons mieux l’amour divin – qui est paternel et maternel – comme celui d’une mère qui ne cesse de croire en ses fils et qui ne les abandonne jamais. Le Dieu-avec-nous nous aime indépendamment de nos erreurs, de nos péchés, de la manière dont nous faisons aller le monde. Dieu croit en l’humanité dont se détache, première et inégalable, sa Mère.

Au début de l’année, demandons-lui la grâce de l’étonnement devant le Dieu des surprises. Renouvelons l’étonnement des origines, quand la foi est née en nous. La Mère de Dieu nous aide : la Mère, qui a engendré le Seigneur, nous engendre au Seigneur. Elle est mère, et elle régénère chez ses enfants l’étonnement de la foi, parce que la foi est une rencontre, ce n’est pas une religion. La vie sans étonnement devient grise, routinière ; il en est de même de la foi. Et l’Eglise aussi a besoin de renouveler son étonnement d’être la demeure du Dieu vivant, l’Epouse du Seigneur, la Mère qui engendre des fils. Autrement, elle risque de ressembler à un beau musée du passé. L’“Eglise musée”. La Vierge, au contraire, apporte dans l’Eglise l’atmosphère de la maison, d’une maison habitée par le Dieu de la nouveauté. Accueillons avec étonnement le mystère de la Mère de Dieu, comme les habitants d’Ephèse à l’époque du Concile. Comme eux, acclamons-la : “Sainte Mère de Dieu”. Laissons-nous regarder par elle, laissons-nous embrasser, laissons-nous prendre par la main.

Laissons-nous regarder. Cela, surtout dans les moments de besoin, quand nous nous trouvons empêtrés dans les nœuds les plus compliqués de la vie, regardons à juste titre vers la Vierge vers la Mère. Mais il est beau, surtout, de se laisser regarder par la Vierge. Quand elle nous regarde, elle ne voit pas des pécheurs, mais des fils. On dit que les yeux sont le miroir de l’âme ; les yeux de la pleine de grâce reflètent la beauté de Dieu, ils réfléchissent sur nous le paradis. Jésus a dit que l’œil est « la lampe du corps » (Mt 6, 22) : les yeux de la Vierge savent éclairer toute obscurité, ils rallument partout l’espérance. Son regard, tourné vers nous, nous dit : “Chers enfants courage ; je suis là, votre mère !”.

Ce regard maternel, qui donne confiance, aide à grandir dans la foi. La foi est un lien avec Dieu qui engage la personne tout entière, et qui, pour être gardée, a besoin de la Mère de Dieu. Son regard maternel nous aide à nous voir comme des enfants aimés dans le peuple croyant de Dieu, et à nous aimer entre nous, au-delà des limites et des orientations de chacun. La Vierge nous enracine dans l’Eglise où l’unité compte plus que la diversité, et elle nous exhorte à prendre soin les uns des autres. Le regard de Marie rappelle que la tendresse, qui remédie à la tiédeur, est essentielle pour la foi. Tendresse : l’Eglise de la tendresse. Tendresse, parole qu’aujourd’hui beaucoup veulent effacer du dictionnaire. Quand, dans la foi, il y a de la place pour la Mère de Dieu, on ne perd jamais le centre, le Seigneur, car Marie ne se désigne jamais elle-même, mais Jésus ; et les frères, parce que Marie est mère.

Regard de la Mère, regard des mères. Un monde qui regarde l’avenir sans regard maternel est myope. Peut-être, les profits augmenteront ils, mais il ne saura plus voir, dans les hommes, des enfants. Il y aura des gains, mais ils ne seront pas pour tous. Nous habiterons la même maison, mais non comme des frères. La famille humaine se fonde sur les mères. Un monde dans lequel la tendresse maternelle est reléguée à un pur sentiment pourra être riche de choses, mais pas riche de lendemains. Mère de Dieu, enseigne-nous ton regard sur la vie, et tourne ton regard vers nous, vers nos misères. Tourne vers nous tes yeux miséricordieux.

Laissons-nous embrasser. Après le regard, entre ici en jeu le cœur dans lequel, dit l’Evangile de ce jour, « Marie, retenait tous ces événements et les méditait » (Lc 2, 19). Cela veut dire que la Vierge avait tout à cœur, elle embrassait tout, évènements favorables et contraires. Et elle méditait tout, c’est-à-dire portait tout à Dieu. Voilà son secret. De la même manière, elle tient à cœur la vie de chacun de nous : elle désire embrasser toutes nos situations et les présenter à Dieu.

Dans la vie dispersée d’aujourd’hui, où nous risquons de perdre le fil, l’étreinte de la Mère est essentielle. Il y a partout tant d’éparpillement et de solitude : le monde est entièrement connecté, mais il semble être de plus en plus désuni. Nous avons besoin de nous confier à la Mère. Dans l’Ecriture elle embrasse beaucoup de situations concrètes et elle est présente là où il y a besoin : elle se rend chez sa cousine Elisabeth, elle porte secours aux époux de Cana, elle encourage les disciples au Cénacle… Marie est un remède à la solitude et à la désagrégation. Elle est la Mère de la consolation, qui con-sole : elle est avec celui qui est seul. Elle sait que, pour consoler, les paroles ne suffisent pas, il faut la présence ; là elle est présente comme mère. Permettons-lui d’embrasser notre vie. Dans le Salve Regina nous l’appelons “notre vie” : cela paraît exagéré car c’est le Christ qui est notre vie (cf. Jn 14, 6) ; mais Marie est si unie à lui et si proche de nous qu’il n’y a rien de mieux que de mettre notre vie entre ses mains et de la reconnaître comme “notre vie, notre douceur, et notre espérance”.

Et puis, sur le chemin de la vie, laissons-nous prendre par la main. Les mères prennent par la main les enfants et les introduisent avec amour dans la vie. Mais combien d’enfants aujourd’hui, allant à leur propre compte, perdent la direction, se croient forts et s’égarent, de libres ils deviennent esclaves. Combien, oublieux de l’affection maternelle, vivent fâchés avec eux-mêmes et indifférents à tout ! Combien, malheureusement, réagissent à tout et à tous avec venin et méchanceté ! La vie est ainsi. Se montrer méchant semble même être parfois un signe de force. Mais c’est seulement de la faiblesse. Nous avons besoin d’apprendre des mères que l’héroïsme réside dans le fait de se donner ; la force, dans le fait d’avoir de la pitié ; la sagesse, dans la douceur.

Dieu ne s’est pas passé de sa Mère : à plus forte raison en avons-nous besoin. Jésus lui- même nous l’a donnée, non pas à n’importe quel moment, mais de la croix ; il dit au disciple, à tout disciple : « Voici ta mère » (Jn 19, 27). La Vierge n’est pas optionnelle : elle doit être accueillie dans la vie. Elle est la Reine de la paix, qui vainc le mal et conduit sur les voies du bien, qui rétablit l’unité entre ses enfants, qui éduque à la compassion.

Prends-nous par la main, Marie. Agrippés à toi nous passerons les virages les plus difficiles de l’histoire. Par la main, amène-nous à redécouvrir les liens qui nous unissent. Rassemble-nous tous sous ton manteau, dans la tendresse de l’amour vrai, où se reconstitue la famille humaine : “Sous ta protection nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu”. Disons-le tous ensemble à la Vierge : “Sous ta protection nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu”.

[00001-FR.02] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François pour la Solennité de Marie très Sainte Mère de Dieu

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’homélie du pape François pour la Solennité de sainte Marie très Sainte Mère de Dieu ainsi que pour la 52e Journée mondiale de la paix:

« Tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leur racontaient les bergers » (Lc 2, 18). S’étonner : c’est à cela que nous sommes conviés aujourd’hui, en conclusion de l’Octave de Noël, le regard encore posé sur l’enfant né pour nous, pauvre de tout et riche en amour. Etonnement : c’est l’attitude qu’il convient d’avoir en début d’année, parce que la vie est un don qui nous donne la possibilité de toujours recommencer, même de très bas.

Mais aujourd’hui c’est aussi le jour de s’étonner devant la Mère de Dieu : Dieu est un petit enfant dans les bras d’une femme qui nourrit son Créateur. La statue qui se trouve devant représente la Mère et l’Enfant unis au point de sembler n’être qu’une seule chose. C’est le mystère de ce jour qui suscite un étonnement infini : Dieu s’est lié à l’humanité pour toujours. Dieu et l’homme toujours ensemble : voilà la bonne nouvelle de début d’année. Dieu n’est pas un maître distant qui habite, solitaire, dans les cieux, mais il est l’Amour incarné, né comme nous d’une mère pour être le frère de chacun, pour être proche : le Dieu de la proximité. Il est sur les genoux de sa mère, qui est aussi notre mère, et, de là, il reverse sur l’humanité une tendresse nouvelle. Et nous comprenons mieux l’amour divin – qui est paternel et maternel – comme celui d’une mère qui ne cesse de croire en ses fils et qui ne les abandonne jamais. Le Dieu-avec-nous nous aime indépendamment de nos erreurs, de nos péchés, de la manière dont nous faisons aller le monde. Dieu croit en l’humanité dont se détache, première et inégalable, sa Mère.

Au début de l’année, demandons-lui la grâce de l’étonnement devant le Dieu des surprises. Renouvelons l’étonnement des origines, quand la foi est née en nous. La Mère de Dieu nous aide : la Mère, qui a engendré le Seigneur, nous engendre au Seigneur. Elle est mère, et elle régénère chez ses enfants l’étonnement de la foi, parce que la foi est une rencontre, ce n’est pas une religion. La vie sans étonnement devient grise, routinière ; il en est de même de la foi. Et l’Eglise aussi a besoin de renouveler son étonnement d’être la demeure du Dieu vivant, l’Epouse du Seigneur, la Mère qui engendre des fils. Autrement, elle risque de ressembler à un beau musée du passé. L’“Eglise musée”. La Vierge, au contraire, apporte dans l’Eglise l’atmosphère de la maison, d’une maison habitée par le Dieu de la nouveauté. Accueillons avec étonnement le mystère de la Mère de Dieu, comme les habitants d’Ephèse à l’époque du Concile. Comme eux, acclamons-la : “Sainte Mère de Dieu”. Laissons-nous regarderpar elle, laissons-nous embrasser, laissons-nous prendre par la main.

Laissons-nous regarder. Cela, surtout dans les moments de besoin, quand nous nous trouvons empêtrés dans les nœuds les plus compliqués de la vie, regardons à juste titre vers la Vierge vers la Mère. Mais il est beau, surtout, de se laisser regarder par la Vierge. Quand elle nous regarde, elle ne voit pas des pécheurs, mais des fils. On dit que les yeux sont le miroir de l’âme ; les yeux de la pleine de grâce reflètent la beauté de Dieu, ils réfléchissent sur nous le paradis. Jésus a dit que l’œil est « la lampe du corps » (Mt 6, 22) : les yeux de la Vierge savent éclairer toute obscurité, ils rallument partout l’espérance. Son regard, tourné vers nous, nous dit : “Chers enfants courage ; je suis là, votre mère !”.

Ce regard maternel, qui donne confiance, aide à grandir dans la foi. La foi est un lien avec Dieu qui engage la personne tout entière, et qui, pour être gardée, a besoin de la Mère de Dieu. Son regard maternel nous aide à nous voir comme des enfants aimés dans le peuple croyant de Dieu, et à nous aimer entre nous, au-delà des limites et des orientations de chacun. La Vierge nous enracine dans l’Eglise où l’unité compte plus que la diversité, et elle nous exhorte à prendre soin les uns des autres. Le regard de Marie rappelle que la tendresse, qui remédie à la tiédeur, est essentielle pour la foi. Tendresse : l’Eglise de la tendresse. Tendresse, parole qu’aujourd’hui beaucoup veulent effacer du dictionnaire. Quand, dans la foi, il y a de la place pour la Mère de Dieu, on ne perd jamais le centre, le Seigneur, car Marie ne se désigne jamais elle-même, mais Jésus ; et les frères, parce que Marie est mère.

Regard de la Mère, regard des mères. Un monde qui regarde l’avenir sans regard maternel est myope. Peut-être, les profits augmenteront ils, mais il ne saura plus voir, dans les hommes, des enfants. Il y aura des gains, mais ils ne seront pas pour tous. Nous habiterons la même maison, mais non comme des frères. La famille humaine se fonde sur les mères. Un monde dans lequel la tendresse maternelle est reléguée à un pur sentiment pourra être riche de choses, mais pas riche de lendemains. Mère de Dieu, enseigne-nous ton regard sur la vie, et tourne ton regard vers nous, vers nos misères. Tourne vers nous tes yeux miséricordieux.

Laissons-nous embrasser. Après le regard, entre ici en jeu le cœur dans lequel, dit l’Evangile de ce jour, « Marie, retenait tous ces événements et les méditait » (Lc 2, 19). Cela veut dire que la Vierge avait tout à cœur, elle embrassait tout, évènements favorables et contraires. Et elle méditait tout, c’est-à-dire portait tout à Dieu. Voilà son secret. De la même manière, elle tient à cœur la vie de chacun de nous : elle désire embrasser toutes nos situations et les présenter à Dieu.

Dans la vie dispersée d’aujourd’hui, où nous risquons de perdre le fil, l’étreinte de la Mère est essentielle. Il y a partout tant d’éparpillement et de solitude : le monde est entièrement connecté, mais il semble être de plus en plus désuni. Nous avons besoin de nous confier à la Mère. Dans l’Ecriture elle embrasse beaucoup de situations concrètes et elle est présente là où il y a besoin : elle se rend chez sa cousine Elisabeth, elle porte secours aux époux de Cana, elle encourage les disciples au Cénacle… Marie est un remède à la solitude et à la désagrégation. Elle est la Mère de la consolation, qui con-sole : elle est avec celui qui est seul. Elle sait que, pour consoler, les paroles ne suffisent pas, il faut la présence ; là elle est présente comme mère. Permettons-lui d’embrasser notre vie. Dans le Salve Regina nous l’appelons “notre vie” : cela paraît exagéré car c’est le Christ qui est notre vie (cf. Jn 14, 6) ; mais Marie est si unie à lui et si proche de nous qu’il n’y a rien de mieux que de mettre notre vie entre ses mains et de la reconnaître comme “notre vie, notre douceur, et notre espérance”.

Et puis, sur le chemin de la vie, laissons-nous prendre par la main. Les mères prennent par la main les enfants et les introduisent avec amour dans la vie. Mais combien d’enfants aujourd’hui, allant à leur propre compte, perdent la direction, se croient forts et s’égarent, de libres ils deviennent esclaves. Combien, oublieux de l’affection maternelle, vivent fâchés avec eux-mêmes et indifférents à tout ! Combien, malheureusement, réagissent à tout et à tous avec venin et méchanceté ! La vie est ainsi. Se montrer méchant semble même être parfois un signe de force. Mais c’est seulement de la faiblesse. Nous avons besoin d’apprendre des mères que l’héroïsme réside dans le fait de se donner ; la force, dans le fait d’avoir de la pitié ; la sagesse, dans la douceur.

Dieu ne s’est pas passé de sa Mère : à plus forte raison en avons-nous besoin. Jésus lui-même nous l’a donnée, non pas à n’importe quel moment, mais de la croix ; il dit au disciple, à tout disciple : « Voici ta mère » (Jn 19, 27). La Vierge n’est pas optionnelle : elle doit être accueillie dans la vie. Elle est la Reine de la paix, qui vainc le mal et conduit sur les voies du bien, qui rétablit l’unité entre ses enfants, qui éduque à la compassion.

Prends-nous par la main, Marie. Agrippés à toi nous passerons les virages les plus difficiles de l’histoire. Par la main, amène-nous à redécouvrir les liens qui nous unissent. Rassemble-nous tous sous ton manteau, dans la tendresse de l’amour vrai, où se reconstitue la famille humaine : “Sous ta protection nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu”. Disons-le tous ensemble à la Vierge : “Sous ta protection nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu”.

Message du pape François lors de la bénédiction « Urbi et Orbi »

Vous trouverez ci-dessous le message du pape François précédent la bénédiction de Noël « Ubi et Orbi »(CNS photo/Paul Haring):

Chers frères et sœurs, joyeux Noël!

À vous, fidèles de Rome, à vous pèlerins, et à vous tous qui êtes venus de partout dans le monde, je renouvelle la joyeuse annonce de Bethléem : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre, qu’il aime » (Lc 2, 14).

Comme les pasteurs, accourus les premiers à la grotte, nous restons stupéfaits face au signe que Dieu nous a donné : « Un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 12). En silence, nous nous agenouillons, et nous adorons.

Et que nous dit cet Enfant, né pour nous de la Vierge Marie ? Quel est le message universel de Noël ? Il nous dit que Dieu est un Père bon et que nous sommes tous frères.

Cette vérité est à la base de la vision chrétienne de l’humanité. Sans la fraternité que Jésus Christ nous a offerte, nos efforts pour un monde plus juste s’essoufflent, et même les meilleurs projets risquent de devenir des structures sans âme.

C’est pourquoi mes vœux de joyeux Noël sont des vœux de fraternité.Fraternité entre les personnes de chaque nation et culture.Fraternité entre les personnes d’idées différentes, mais capables de se respecter et d’écouter l’autre. Fraternité entre les personnes de religions différentes. Jésus est venu révéler le visage de Dieu à tous ceux qui le cherchent.

Et le visage de Dieu s’est manifesté dans un visage humain concret. Il n’est pas apparu dans un ange, mais dans un homme, né dans un temps et dans un lieu.Et ainsi, par son incarnation, le Fils de Dieu nous indique que le salut passe par l’amour, l’accueil, le respect de notre pauvre humanité que nous partageons tous dans une grande variété d’ethnies, de langues, de cultures…, mais tous en tant que frères en humanité !

Alors nos différences ne sont pas un préjudice ou un danger, elles sont une richesse. Comme pour un artiste qui veut faire une mosaïque : c’est mieux d’avoir à disposition des tesselles de plusieurs couleurs plutôt que des tesselles de peu de couleurs !

L’expérience de la famille nous l’enseigne : entre frères et sœurs, nous sommes différents les uns des autres, et nous ne sommes pas toujours d’accord, mais il y a un lien indissoluble qui nous lie et l’amour des parents nous aide à nous aimer. Il en est de même pour la famille humaine, mais ici c’est Dieu qui est le ‘‘géniteur’’, le fondement et la force de notre fraternité.

Que cette fête de Noël nous fasse redécouvrir les liens de fraternité qui nous unissent en tant qu’êtres humains et lient tous les peuples. Qu’elle permette aux Israéliens et aux Palestiniens de reprendre le dialogue et d’entreprendre un chemin de paix qui mette fin à un conflit qui depuis plus de soixante-dix ans déchire la Terre choisie par le Seigneur pour montrer son visage d’amour.

Que l’Enfant Jésus permette à la bien-aimée et martyrisée Syrie de retrouver la fraternité après ces longues années de guerre. Que la communauté internationale œuvre résolument pour une solution politique qui mette de côté les divisions et les intérêts partisans, de sorte que le peuple syrien, surtout ceux qui ont dû quitter leur terre pour chercher refuge ailleurs, puissent retourner vivre en paix dans leur pays.

Je pense au Yémen, avec l’espoir que la trêve obtenue grâce à la médiation de la communauté internationale puisse finalement soulager les nombreux enfants et les populations épuisés par la guerre et la famine.

Je pense ensuite à l’Afrique, où des millions de personnes sont des réfugiés ou des déplacés et ont besoin d’assistance humanitaire ainsi que de sécurité alimentaire. Que le Divin Enfant, Roi de la paix, fasse taire les armes et fasse surgir une aube nouvelle de fraternité dans tout le continent, en bénissant les efforts de ceux qui œuvrent pour favoriser des processus de réconciliation au niveau politique et social.

Que Noël renforce les liens fraternels qui unissent la Péninsule coréenne et permette de poursuivre le cheminement de rapprochement entrepris et d’arriver à des solutions partagées qui assurent à tous le développement et le bien-être.

Que ce temps de bénédiction permette au Venezuela de retrouver la concorde et à toutes les composantes sociales de travailler fraternellement en vue du développement du pays et pour assister les couches les plus faibles de la population.

Que le Seigneur qui est né apporte du soulagement à la bien-aimée Ukraine, désireuse de reconquérir une paix durable qui tarde à venir. Seul grâce à la paix, respectueuse des droits de chaque nation, le pays peut se remettre des souffrances subies et rétablir des conditions de vie dignes pour ses citoyens. Je suis proche des communautés chrétiennes de cette région, et je prie pour qu’elles puissent tisser des liens de fraternité et d’amitié.

Devant l’Enfant Jésus, que les habitants du cher Nicaragua se redécouvrent frères, afin que ne prévalent pas les divisions et les mésententes, mais que tous œuvrent pour favoriser la réconciliation et construire ensemble l’avenir du pays.

Je voudrais évoquer les peuples qui subissent des colonisations idéologiques, culturelles et économiques en voyant violées leur liberté et leur identité, et qui souffrent de faim et du manque des services éducatifs et sanitaires.

Une pensée particulière va à nos frères et sœurs qui célèbrent la Nativité du Seigneur dans des contextes difficiles, pour ne pas dire hostiles, surtout là où la communauté chrétienne est une minorité, parfois vulnérable et non considérée. Que le Seigneur leur donne ainsi qu’à toutes les minorités de vivre en paix et de voir reconnaître leurs droits, surtout la liberté religieuse.

Que l’Enfant petit et transi de froid que nous contemplons aujourd’hui dans la mangeoire protège tous les enfants de la terre ainsi que toute personne fragile, sans défense et marginalisée. Puissions-nous tous recevoir la paix et le réconfort par la naissance du Sauveur et, en nous sentant aimés par l’unique Père céleste, nous retrouver et vivre comme des frères !

[02108-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du Pape François pour la Messe de la nuit de Noël

(CNS photo/Paul Haring; Basilique de St-Pierre – Vatican 24 décembre 2018) À 21h30 ce soir, dans la basilique du Vatican, le Saint-Père François a présidé la messe de la nuit à l’occasion de la solennité du Noël du Seigneur 2018. Au cours de la célébration eucharistique, après la proclamation du saint évangile, le pape a prononcé l’homélie qui suit:

Joseph, avec Marie son épouse, monta jusqu’à « la ville de David appelée Bethléem» (Lc 2,4). Cette nuit, nous aussi, nous montons jusqu’à Bethléem pour y découvrir le mystère de Noël.

1. Bethléem: le nom signifie maison du pain. Dans cette ‘‘maison’’, le Seigneur donne aujourd’hui rendez-vous à l’humanité. Il sait que nous avons besoin de nourriture pour vivre. Mais il sait aussi que les aliments du monde ne rassasient pas le cœur. Dans l’Écriture, le péché originel de l’humanité est associé précisément au manger : « elle prit de son fruit, et en mangea » dit le livre de la Genèse (3, 6). Elle prit et elle mangea. L’homme est devenu avide et vorace. Avoir, amasser des choses semble pour beaucoup de personnes le sens de la vie. Une insatiable voracité traverse l’histoire humaine, jusqu’aux paradoxes d’aujourd’hui ; ainsi quelques-uns se livrent à des banquets tandis que beaucoup d’autres n’ont pas de pain pour vivre.

Bethléem, c’est le tournant pour changer le cours de l’histoire. Là, Dieu, dans la maison du pain, naît dans une mangeoire. Comme pour nous dire : me voici tout à vous, comme votre nourriture. Il ne prend pas, il offre à manger : il ne donne pas quelque chose, mais lui-même. À Bethléem, nous découvrons que Dieu n’est pas quelqu’un qui prend la vie mais celui qui donne la vie. À l’homme, habitué depuis les origines à prendre et à manger, Jésus commence à dire : « Prenez, mangez : ceci est mon corps » (Mt 26, 26). Le petit corps de l’Enfant de Bethléem lance un nouveau modèle de vie : non pas dévorer ni accaparer, mais partager et donner. Dieu se fait petit pour être notre nourriture. En nous nourrissant de lui, Pain de vie, nous pouvons renaître dans l’amour et rompre la spirale de l’avidité et de la voracité. De la ‘‘maison du pain’’, Jésus ramène l’homme à la maison, pour qu’il devienne un familier de son Dieu et frère de son prochain. Devant la mangeoire, nous comprenons que ce ne sont pas les biens qui entretiennent la vie, mais l’amour ; non pas la voracité, mais la charité ; non pas l’abondance à exhiber, mais la simplicité à préserver.

Le Seigneur sait que nous avons besoin chaque jour de nous nourrir. C’est pourquoi il s’est offert à nous chaque jour de sa vie, depuis la mangeoire de Bethléem jusqu’au cénacle de Jérusalem. Et aujourd’hui encore sur l’autel, il se fait Pain rompu pour nous : il frappe à notre porte pour entrer et prendre son repas avec nous (cf. Ap 3, 20). À Noël, nous recevons sur terre Jésus, Pain du ciel : c’est une nourriture qui ne périme jamais, mais qui nous fait savourer déjà la vie éternelle.

À Bethléem, nous découvrons que la vie de Dieu court dans les veines de l’humanité. Si nous l’accueillons, l’histoire change à commencer par chacun d’entre nous. En effet, quand Jésus change le cœur, le centre de la vie n’est plus mon moi affamé et égoïste, mais lui qui naît et vit par amour. Appelés cette nuit à sortir de Bethléem, maison du pain, demandons-nous : quelle est la nourriture de ma vie, dont je ne peux me passer ? Est-ce le Seigneur ou quelque chose d’autre ? Puis, en entrant dans la grotte, flairant dans la tendre pauvreté de l’Enfant un nouveau parfum de vie, celle de la simplicité, demandons-nous : ai-je vraiment besoin de beaucoup de choses, de recettes compliquées pour vivre ? Est-ce j’arrive à me passer de tant de garnitures superflues, pour mener une vie plus simple ? À Bethléem, à côté de Jésus, nous voyons des gens qui ont marché, comme Marie, Joseph et les pasteurs. Jésus est le Pain de la route. Il n’aime pas des digestions paresseuses, longues et sédentaires, mais il demande qu’on se lève en hâte de table pour servir, comme des pains rompus pour les autres. Demandons-nous : à Noël, est-ce je partage mon pain avec celui qui n’en a pas ?

2. Après Bethléem maison du pain, réfléchissons sur Bethléem maison de David. Là, David, jeune garçon, faisait le pasteur et à ce titre il a été choisi par Dieu, pour être pasteur et guide de son peuple. À Noël, dans la ville de David, pour accueillir Jésus, il y a précisément les pasteurs. Dans cette nuit « ils furent saisis d’une grande crainte, nous dit l’Évangile » (Lc 2, 9), mais l’ange leur dit : « Ne craignez pas » (v. 10). Dans l’Évangile revient tant de fois ce ne craignez pas : c’est comme un refrain de Dieu à la recherche de l’homme. En effet, l’homme depuis les origines, encore à cause du péché, a peur de Dieu : « j’ai eu peur […], et je me suis caché » (Gn 3, 10), a dit Adam après le péché. Bethléem est le remède à la peur, parce que malgré les ‘‘non’’ de l’homme, là Dieu dit pour toujours ‘‘oui’’ : pour toujours il sera Dieu-avec-nous. Et pour que sa présence n’inspire pas la peur, il s’est fait un tendre enfant. Ne craignez pas : cela n’est pas dit à des saints, mais à des pasteurs, des gens simples qui en même temps ne se distinguent pas par la finesse ni par la dévotion. Le Fils de David naît parmi les pasteurs pour nous dire que personne n’est jamais seul ; nous avons un Pasteur qui surmonte nos peurs et nous aime tous, sans exceptions.

Les pasteurs de Bethléem nous disent aussi comment aller à la rencontre du Seigneur. Ils veillent dans la nuit : ils ne dorment pas, mais font ce que Jésus demandera à plusieurs reprises : veiller (cf. Mt 25, 13 ; Mc 13, 35 ; Lc 21, 36). Ils restent éveillés, attendent éveillés dans l’obscurité ; et Dieu « les enveloppa de sa lumière » (Lc 2, 9). Cela vaut aussi pour nous. Notre vie peut être une attente, qui également dans les nuits des problèmes s’en remet au Seigneur et le désire ; alors elle recevra sa lumière. Ou bien une prétention, où ne comptent que les forces et les moyens propres : mais dans ce cas, le cœur reste fermé à la lumière de Dieu. Le Seigneur aime être attendu et on ne peut pas l’attendre dans le divan, en dormant. En effet, les pasteurs se déplacent : « ils se hâtèrent » dit le texte (v. 16). Ils ne restent pas sur place comme celui qui sent qu’il est arrivé et n’a besoin de rien, mais ils s’en vont ; laissant le troupeau sans surveillance, ils prennent des risques pour Dieu. Et après avoir vu Jésus, sans même être des experts de discours, ils vont l’annoncer, à telle enseigne que « tous ceux qui entendirent s’étonnaient de ce que leurs racontaient les bergers » (v. 18).

Attendre éveillé, aller, risquer, raconter la beauté : ce sont des gestes d’amour. Le bon Pasteur, qui à Noël vient donner la vie aux brebis, à Pâques adressera à Pierre et, à travers lui à nous tous, la question finale : « M’aimes-tu » (Jn 21, 15). C’est de la réponse que dépendra l’avenir du troupeau. Cette nuit, nous sommes appelés à répondre, à lui dire nous aussi : ‘‘Je t’aime’’. La réponse de chacun est essentielle pour le troupeau tout entier.

«Allons jusqu’à Bethléem » (Lc 2, 15) : c’est ce qu’ont dit et fait les pasteurs. Nous aussi, Seigneur, nous voulons venir à Bethléem. Aujourd’hui également la route est ascendante : on doit dépasser le sommet de l’égoïsme, il ne faut pas glisser dans les ravins de la mondanité et du consumérisme. Je veux arriver à Bethléem, Seigneur, parce que c’est là que tu m’attends. Et me rendre compte que toi, déposé dans une mangeoire, tu es le pain de ma vie. J’ai besoin du parfum tendre de ton amour pour être, à mon tour, pain rompu pour le monde. Prends-moi sur tes épaules, bon Pasteur : aimé par toi, je pourrai moi aussi aimer et prendre mes frères par la main. Alors, ce sera Noël quand je pourrai te dire : ‘‘Seigneur, tu sais tout, tu sais que je t’aime’’ (cf. Jn 21, 17).

[02017-FR.01] [Texte original: Italien]

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