Homélie du pape François pour le mercredi des Cendres

(Photo:CNS/Paul Haring) Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du Pape François lors de la célébration du Mercredi des cendres en la basilique Sainte-Sabine de Rome:

« Sonnez du cor, prescrivez un jeûne sacré » (Jl 2, 15), dit le prophète dans la Première Lecture. Le Carême s’ouvre avec un son strident, celui d’une corne qui ne caresse pas les oreilles, mais organise un jeûne. C’est un son puissant, qui veut ralentir notre vie qui va toujours au pas de course, mais souvent ne sait pas bien où. C’est un appel à s’arrêter, à aller à l’essentiel, à jeûner du superflu qui distrait. C’est un réveil pour l’âme.

Au son de ce réveil est joint le message que le Seigneur transmet par la bouche du prophète, un message bref et pressant : « Revenez à moi » (v. 12). Revenir. Si nous devons revenir, cela signifie que nous sommes allés ailleurs. Le Carême est le temps pour retrouver la route de la vie.Parce que dans le parcours de la vie, comme sur tout chemin, ce qui compte vraiment est de ne pas perdre de vue le but. Lorsqu’au contraire dans le voyage, ce qui intéresse est de regarder le paysage ou de s’arrêter pour manger, on ne va pas loin. Chacun de nous peut se demander : sur le chemin de la vie, est-ce que je cherche la route ? Ou est-ce que je me contente de vivre au jour le jour, en pensant seulement à aller bien, à résoudre quelques problèmes et à me divertir un peu ? Quelle est la route ? Peut-être la recherche de la santé, que beaucoup disent venir avant tout mais qui un jour ou l’autre passera ? Peut-être les biens et le bien-être ? Mais nous ne sommes pas au monde pour cela.Revenez à moi, dit le Seigneur. A moi. C’est le Seigneur le but de notre voyage dans le monde. La route est fondée sur Lui.

Pour retrouver la route, aujourd’hui nous est offert un signe : des cendres sur la tête. C’est un signe qui nous fait penser à ce que nous avons en tête. Nos pensées poursuivent souvent des choses passagères, qui vont et viennent. La légère couche de cendres que nous recevrons est pour nous dire, avec délicatesse et vérité : des nombreuses choses que tu as en tête, derrière lesquelles chaque jour tu cours et te donne du mal, il ne restera rien. Pour tout ce qui te fatigue, de la vie tu n’emporteras avec toi aucune richesse. Les réalités terrestres s’évanouissent, comme poussière au vent. Les biens sont provisoires, le pouvoir passe, le succès pâlit. La culture de l’apparence,aujourd’hui dominante, qui entraîne à vivre pour les choses qui passent, est une grande tromperie. Parce que c’est comme une flambée : une fois finie, il reste seulement la cendre. Le Carême est le temps pour nous libérer de l’illusion de vivre en poursuivant la poussière. Le Carême c’est redécouvrir que nous sommes faits pour le feu qui brûle toujours, non pour la cendre qui s’éteint tout de suite; pour Dieu, non pour le monde ; pour l’éternité du Ciel, non pour la duperie de la terre ; pour la liberté des enfants, non pour l’esclavage des choses. Nous pouvons nous demander aujourd’hui : de quel côté suis-je ? Est-ce que je vis pour le feu ou pour la cendre ?

Dans ce voyage de retour à l’essentiel qu’est le Carême, l’Evangile propose trois étapes que le Seigneur demande de parcourir sans hypocrisie, sans comédie : l’aumône, la prière, le jeûne. A quoi servent-elles ? L’aumône, la prière et le jeûne nous ramènent aux trois seules réalités qui ne disparaissent pas. La prière nous rattache à Dieu ; la charité au prochain ; le jeûne à nous-mêmes. Dieu, les frères, ma vie : voilà les réalités qui ne finissent pas dans le néant, sur lesquelles il faut investir. Voilà où le Carême nous invite à regarder : vers le Haut, avec la prière qui nous libère d’une vie horizontale, plate, où on trouve le temps pour le ‘je’ mais où l’on oublie Dieu. Et puisvers l’autre avec la charité qui libère de la vanité de l’avoir, du fait de penser que les choses vont bien si elles me vont bien à moi. Enfin, il nous invite à regarder à l’intérieur, avec le jeûne, qui nous libère de l’attachement aux choses, de la mondanité qui anesthésie le cœur. Prière, charité, jeûne : trois investissements pour un trésor qui dure.

Jésus a dit : « Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21). Notre cœur regarde toujours dans quelque direction : il est comme une boussole en recherche d’orientation. Nous pouvons aussi le comparer à un aimant : il a besoin de s’attacher à quelque chose. Mais s’il s’attache seulement aux choses terrestres, tôt ou tard, il en devient esclave : les choses dont on se sert deviennent des choses à servir. L’aspect extérieur, l’argent, la carrière, les passe-temps : si nous vivons pour eux, ils deviendront des idoles qui nous utilisent, des sirènes qui nous charment et ensuite nous envoient à la dérive. Au contraire, si le cœur s’attache à ce qui ne passe pas, nous nous retrouvons nous-même et nous devenons libres. Le Carême est un temps de grâce pour libérer le cœur des vanités. C’est un temps de guérison des dépendances qui nous séduisent. C’est un temps pour fixer le regard sur ce qui demeure.

Où fixer alors le regard le long du chemin du Carême ? Sur le Crucifié. Jésus en croix est la boussole de la vie, qui nous oriente vers le Ciel. La pauvreté du bois, le silence du Seigneur, son dépouillement par amour nous montrent les nécessités d’une vie plus simple, libre de trop de soucis pour les choses. De la Croix Jésus nous enseigne le courage ferme du renoncement. Parce que chargés de poids encombrants, nous n’irons jamais de l’avant. Nous avons besoin de nous libérer des tentacules du consumérisme et des liens de l’égoïsme, du fait de vouloir toujours plus, de n’être jamais content, du cœur fermé aux besoins du pauvre. Jésus sur le bois de la croix brûle d’amour, il nous appelle à une vie enflammée de Lui, qui ne se perd pas parmi les cendres du monde ; une vie qui brûle de charité et ne s’éteint pas dans la médiocrité. Est-il difficile de vivre comme lui le demande ? Oui, mais il conduit au but. Le Carême nous le montre. Il commence avec la cendre, mais à la fin, il nous mène au feu de la nuit de Pâques ; à découvrir que, dans le tombeau, la chair de Jésus ne devient pas cendre, mais resurgit glorieuse. Cela vaut aussi pour nous, qui sommes poussière : si avec nos fragilités nous revenons au Seigneur, si nous prenons le chemin de l’amour, nous embrasserons la vie qui n’a pas de couchant. Et nous serons dans la joie.

[00395-FR.01] [Texte original: Italien]

Message du pape François pour le carême 2019

Vous trouverez ci-dessous le texte complet du Message du pape François pour le Carême 2019 (CNS photo/Stefano Rellandini, Reuters):

«La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Rm 8,19)

Chers frères et sœurs,
Chaque année, Dieu, avec le secours de notre Mère l’Eglise, « accorde aux chrétiens de se préparer aux fêtes pascales dans la joie d’un cœur purifié » (Préface de Carême 1) pour qu’ils puissent puiser aux mystères de la rédemption, la plénitude offerte par la vie nouvelle dans le Christ. Ainsi nous pourrons cheminer de Pâques en Pâques jusqu’à la plénitude du salut que nous avons déjà reçue grâce au mystère pascal du Christ : « Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance » (Rm 8,24). Ce mystère de salut, déjà à l’œuvre en nous en cette vie terrestre, se présente comme un processus dynamique qui embrasse également l’Histoire et la création tout entière. Saint Paul le dit : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm8,19). C’est dans cette perspective que je souhaiterais offrir quelques points de réflexion pour accompagner notre chemin de conversion pendant le prochain carême.

1. La rédemption de la Création

La célébration du Triduum pascal de la passion, mort et résurrection du Christ, sommet de l’année liturgique, nous appelle, chaque fois, à nous engager sur un chemin de préparation, conscients que notre conformation au Christ (cf. Rm 8,29) est un don inestimable de la miséricorde de Dieu.

Si l’homme vit comme fils de Dieu, s’il vit comme une personne sauvée qui se laisse guider par l’Esprit Saint (cf. Rm 8,14) et sait reconnaître et mettre en œuvre la loi de Dieu, en commençant par celle qui est inscrite en son cœur et dans la nature, alors il fait également du bien à la Création, en coopérant à sa rédemption. C’est pourquoi la création, nous dit Saint Paul, a comme un désir ardent que les fils de Dieu se manifestent, à savoir que ceux qui jouissent de la grâce du mystère pascal de Jésus vivent pleinement de ses fruits, lesquels sont destinés à atteindre leur pleine maturation dans la rédemption du corps humain. Quand la charité du Christ transfigure la vie des saints – esprit, âme et corps –, ceux-ci deviennent une louange à Dieu et, par la prière, la contemplation et l’art, ils intègrent aussi toutes les autres créatures, comme le confesse admirablement le « Cantique des créatures » de saint François d’Assise (cf. Enc. Laudato Sì, n. 87). En ce monde, cependant, l’harmonie produite par la rédemption, est encore et toujours menacée par la force négative du péché et de la mort.

2. La force destructrice du péché

En effet, lorsque nous ne vivons pas en tant que fils de Dieu, nous mettons souvent en acte des comportements destructeurs envers le prochain et les autres créatures, mais également envers nous-mêmes, en considérant plus ou moins consciemment que nous pouvons les utiliser selon notre bon plaisir. L’intempérance prend alors le dessus et nous conduit à un style de vie qui viole les limites que notre condition humaine et la nature nous demandent de respecter. Nous suivons alors des désirs incontrôlés que le Livre de la Sagesse attribue aux impies, c’est-à-dire à ceux qui n’ont pas Dieu comme référence dans leur agir, et sont dépourvus d’espérance pour l’avenir (cf. 2,1-11). Si nous ne tendons pas continuellement vers la Pâque, vers l’horizon de la Résurrection, il devient clair que la logique du « tout et tout de suite », du « posséder toujours davantage » finit par s’imposer.

La cause de tous les maux, nous le savons, est le péché qui, depuis son apparition au milieu des hommes, a brisé la communion avec Dieu, avec les autres et avec la création à laquelle nous sommes liés avant tout à travers notre corps. La rupture de cette communion avec Dieu a également détérioré les rapports harmonieux entre les êtres humains et l’environnement où ils sont appelés à vivre, de sorte que le jardin s’est transformé en un désert (cf. Gn 3,17-18). Il s’agit là du péché qui pousse l’homme à se tenir pour le dieu de la création, à s’en considérer le chef absolu et à en user non pas pour la finalité voulue par le Créateur mais pour son propre intérêt, au détriment des créatures et des autres.

Quand on abandonne la loi de Dieu, la loi de l’amour, c’est la loi du plus fort sur le plus faible qui finit par s’imposer. Le péché qui habite dans le cœur de l’homme (cf. Mc 7, 20-23) – et se manifeste sous les traits de l’avidité, du désir véhément pour le bien-être excessif, du désintérêt pour le bien d’autrui, et même souvent pour le bien propre – conduit à l’exploitation de la création, des personnes et de l’environnement, sous la motion de cette cupidité insatiable qui considère tout désir comme un droit, et qui tôt ou tard, finira par détruire même celui qui se laisse dominer par elle.

3. La force de guérison du repentir et du pardon

C’est pourquoi la création a un urgent besoin que se révèlent les fils de Dieu, ceux qui sont devenus “une nouvelle création” : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17). En effet, grâce à leur manifestation, la création peut elle aussi « vivre » la Pâque : s’ouvrir aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle (cf. Ap 21,1). Le chemin vers Pâques nous appelle justement à renouveler notre visage et notre cœur de chrétiens à travers le repentir, la conversion et le pardon afin de pouvoir vivre toute la richesse de la grâce du mystère pascal.

Cette “impatience ”, cette attente de la création, s’achèvera lors de la manifestation des fils de Dieu, à savoir quand les chrétiens et tous les hommes entreront de façon décisive dans ce “labeur” qu’est la conversion. Toute la création est appelée, avec nous, à sortir « de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (Rm 8,21). Le carême est un signe sacramentel de cette conversion. Elle appelle les chrétiens à incarner de façon plus intense et concrète le mystère pascal dans leur vie personnelle, familiale et sociale en particulier en pratiquant le jeûne, la prière et l’aumône.

Jeûner, c’est-à-dire apprendre à changer d’attitude à l’égard des autres et des créatures : de la tentation de tout “ dévorer” pour assouvir notre cupidité, à la capacité de souffrir par amour, laquelle est capable de combler le vide de notre cœur. Prier afin de savoir renoncer à l’idolâtrie et à l’autosuffisance de notre moi, et reconnaître qu’on a besoin du Seigneur et de sa miséricorde.Pratiquer l’aumône pour se libérer de la sottise de vivre en accumulant toute chose pour soi dans l’illusion de s’assurer un avenir qui ne nous appartient pas. Il s’agit ainsi de retrouver la joie du dessein de Dieu sur la création et sur notre cœur, celui de L’aimer, d’aimer nos frères et le monde entier, et de trouver dans cet amour le vrai bonheur.

Chers frères et sœurs, le « carême » du Fils de Dieu a consisté à entrer dans le désert de la création pour qu’il redevienne le jardin de la communion avec Dieu, celui qui existait avant le péché originel (cf. Mc 1,12-13 ; Is 51,3). Que notre Carême puisse reparcourir le même chemin pour porter aussi l’espérance du Christ à la création, afin qu’« elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, puisse connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (cf. Rm 8,21). Ne laissons pas passer en vain ce temps favorable ! Demandons à Dieu de nous aider à mettre en œuvre un chemin de vraie conversion. Abandonnons l’égoïsme, le regard centré sur nous-mêmes et tournons-nous vers la Pâque de Jésus : faisons-nous proches de nos frères et sœurs en difficulté en partageant avec eux nos biens spirituels et matériels. Ainsi, en accueillant dans le concret de notre vie la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, nous attirerons également sur la création sa force transformante.

Du Vatican, le 4 octobre 2018 Fête de Saint François d’Assise.

[00312-FR.01] [Texte original: Français]

Testo in lingua inglese

FRANÇOIS

Homélie du pape François pour la Pentecôte 2018

CNS photo/Paul Haring

Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François lors de la célébration de la Solennité de la Pentecôte en la basilique Saint-Pierre de Rome:

Dans la première Lecture de la liturgie d’aujourd’hui, la venue de l’Esprit Saint à la Pentecôte est comparée à « un violent coup de vent » (Ac 2, 2). Que nous dit cette image ? Le coup de vent violent fait penser à une grande force, mais qui n’est pas une fin en soi : c’est une force qui change la réalité. Le vent, en effet, apporte du changement : des courants chauds quand il fait froid, des courants frais quand il fait chaud, la pluie quand il fait sec…Ainsi fait-il. L’Esprit Saint aussi, à un tout autre niveau, fait de même : il est la force divine qui change, qui change le monde. La Séquence nous l’a rappelé : l’Esprit est « dans le labeur, le repos, dans les pleurs, le réconfort » ; et nous le supplions ainsi : « Lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé ». Il entre dans les situations et les transforme ; il change les cœurs et il change les événements.

Il change les cœurs. Jésus avait dit à ses Apôtres : « Vous allez recevoir une force quand le Saint Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins » (Ac 1, 8). Et il en fut exactement ainsi : ces disciples, auparavant craintifs, confinés dans une chambre fermée même après la résurrection du Maître, sont transformés par l’Esprit et, comme Jésus l’annonce dans l’Évangile de ce jour, lui rendent témoignage (cf. Jn 15, 27). Titubants, ils sont devenus courageux et, en partant de Jérusalem, ils vont aux confins du monde. Craintifs quand Jésus était parmi eux, ils sont devenus audacieux sans lui, car l’Esprit a changé leurs cœurs.

L’Esprit libère les esprits paralysés par la peur. Il vainc les résistances. À celui qui se contente de demi-mesures, il donne des élans de don. Il dilate les cœurs étriqués. Il pousse au service celui qui se vautre dans le confort. Il fait marcher celui qui croit être arrivé. Il fait rêver celui qui est gagné par la tiédeur. Voilà le changement du cœur. Beaucoup promettent des saisons de changement, de nouveaux départs, de prodigieux renouvellements, mais l’expérience enseigne qu’aucune tentative terrestre de changer les choses ne satisfait pleinement le cœur de l’homme. Le changement de l’Esprit est différent : il ne révolutionne pas la vie autour de nous, mais il change notre cœur ; il ne nous libère pas d’un seul coup des problèmes, mais il nous libère intérieurement pour les affronter ; il ne nous donne pas tout immédiatement, mais il nous fait marcher avec confiance, sans jamais nous lasser de la vie. L’Esprit garde le cœur jeune –c’est lui qui en renouvelle la jeunesse. La jeunesse, malgré tous les efforts pour la prolonger, passe tôt ou tard ; c’est l’Esprit qui, au contraire, prémunit contre l’unique vieillissement malsain, le vieillissement intérieur. Comment procède-t-il ? En renouvelant le cœur, en le transformant de pécheur en pardonné. Voilà le grand changement : de coupables, il nous fait devenir des justes et ainsi tout change, car esclaves du péché nous devenons libres, serviteurs nous devenons des fils, marginalisés nous devenons des personnes importantes, déçus nous devenons des personnes remplies d’espérance. Ainsi, l’Esprit Saint fait renaître la joie, il fait ainsi fleurir la paix dans le cœur.

Aujourd’hui donc, nous apprenons ce qu’il faut faire quand nous avons besoin d’un vrai changement. Qui d’entre nous n’en a pas besoin ? Surtout quand nous sommes à terre, quand nous peinons sous le poids de la vie, quand nos faiblesses nous oppriment, quand aller de l’avant est difficile et aimer semble impossible. Alors, il nous faudrait un ‘‘fortifiant’’ efficace : c’est lui, la force de Dieu. C’est lui qui, comme nous le professons dans le ‘‘Credo’’, « donne la vie ». Comme il nous ferait du bien de prendre chaque jour ce fortifiant de vie ! Dire, au réveil : « Viens, Esprit Saint, viens dans mon cœur, viens dans ma journée ».

L’Esprit, après les cœurs, change les événements. Comme le vent souffle partout, de même il atteint également les situations les plus impensables. Dans les Actes des Apôtres – qui est un livre tout à découvrir, où l’Esprit est protagoniste – nous voyons un dynamisme continuel, riche de surprises. Quand les disciples ne s’y attendent pas, l’Esprit les envoie vers les païens. Il ouvre des chemins nouveaux, comme dans l’épisode du diacre Philippe. L’Esprit le pousse sur une route déserte, conduisant de Jérusalem à Gaza – comme ce nom sonne douloureusement aujourd’hui ! Que l’Esprit change les cœurs ainsi que les événements et apporte la paix en Terre sainte ! – Sur cette route, Philippe prêche au fonctionnaire éthiopien et le baptise ; ensuite l’Esprit le conduit à Ashdod, puis à Césarée : toujours dans de nouvelles situations, pour qu’il diffuse la nouveauté de Dieu. Il y a, en outre, Paul, qui « contraint par l’Esprit » (Ac 20, 22) voyage jusqu’aux confins lointains, en portant l’Évangile à des populations qu’il n’avait jamais vues. Quand il y a l’Esprit, il se passe toujours quelque chose, quand il souffle il n’y a pas d’accalmie, jamais !

Quand la vie de nos communautés traverse des périodes ‘‘d’essoufflement’’, où on préfère la quiétude de la maison à la nouveauté de Dieu, c’est un mauvais signe. Cela veut dire qu’on cherche un refuge contre le vent de l’Esprit. Quand on vit pour l’autoconservation et qu’on ne va pas vers ceux qui sont loin, ce n’est pas bon signe. L’Esprit souffle, mais nous baissons pavillon. Pourtant tant de fois nous l’avons vu faire des merveilles. Souvent, précisément dans les moments les plus obscurs, l’Esprit a suscité la sainteté la plus lumineuse ! Parce qu’il est l’âme de l’Eglise, il la ranime toujours par l’espérance, la comble de joie, la féconde de nouveautés, lui donne des germes de vie. C’est comme quand, dans une famille, naît un enfant : il bouleverse les horaires, fait perdre le sommeil, mais il apporte une joie qui renouvelle la vie, en la faisant progresser, en la dilatant dans l’amour. Voilà, l’Esprit apporte une ‘‘saveur d’enfance’’ dans l’Eglise! Il réalise des renaissances continuelles. Il ravive l’amour des débuts. L’Esprit rappelle à l’Église que, malgré ses siècles d’histoire, elle a toujours vingt ans, la jeune Épouse dont le Seigneur est éperdument amoureux. Ne nous lassons pas alors d’inviter l’Esprit dans nos milieux, de l’invoquer avant nos activités : « Viens, Esprit Saint ! ».

Il apportera sa force de changement, une force unique qui est, pour ainsi dire, en même temps centripète et centrifuge. Elle est centripète, c’est-à-dire qu’elle pousse vers le centre, car elle agit dans l’intime du cœur. Elle apporte l’unité dans ce qui est fragmentaire, la paix dans les afflictions, le courage dans les tentations. Paul le rappelle dans la Deuxième Lecture, en écrivant que le fruit de l’Esprit est joie, paix, fidélité, maîtrise de soi (cf. Ga 5, 22). L’Esprit donne l’intimité avec Dieu, la force intérieure pour aller de l’avant. Mais en même temps, il est une force centrifuge, c’est-à-dire qu’il pousse vers l’extérieur. Celui qui conduit vers le centre est le même qui envoie vers la périphérie, vers toute périphérie humaine ; celui qui nous révèle Dieu nous pousse vers nos frères. Il envoie, il fait de nous des témoins et pour cela il répand – écrit encore Paul – amour, bienveillance, bonté, douceur. Seulement dans l’Esprit Consolateur, nous disons des paroles de vie et encourageons vraiment les autres. Celui qui vit selon l’Esprit est dans cette tension spirituelle : il est tendu à la fois vers Dieu et vers le monde.

Demandons-lui d’être ainsi. Esprit Saint, vent impétueux de Dieu, souffle sur nous. Souffle dans nos cœurs et fais-nous respirer la tendresse du Père. Souffle sur l’Église et pousse-la vers les confins lointains afin que, guidée par toi, elle n’apporte rien d’autre que toi. Souffle sur le monde la tiédeur délicate de la paix et la fraicheur rénovatrice de l’espérance. Viens, Esprit Saint, change-nous intérieurement et renouvelle la face de la terre ! Amen.

[00801-FR.02] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François lors de la Messe du Dimanche de la Divine Miséricorde

CNS photo/Paul Haring

Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie du pape François telle que prononcée lors de la liturgie du Dimanche de la Divine Miséricorde en la Place Saint-Pierre au Vatican:

Dans l’Évangile de ce jour, le verbe voir revient plusieurs fois : «Les disciples furent remplis de joie en voyant le Seigneur» (Jn 20, 20). Ils dirent ensuite à Thomas: «Nous avons vu le Seigneur» (v.25). Mais l’Evangile ne décrit pas comment ils l’ont vu, il ne décrit pas le Ressuscité, il met seulement en évidence un détail: «Il leur montra ses mains et son côté» (v. 20). L’Evangile semble vouloir nous dire que les disciples ont reconnu Jésus ainsi: par ses plaies. La même chose est arrivée à Thomas lui aussi voulait voir « dans ses mains la marque des clous» (v. 25) et croire après avoir vu (v. 27).

Malgré son incrédulité, nous devons remercier Thomas car il ne s’est pas contenté d’entendre dire par les autres que Jésus était vivant, ni même de le voir en chair et en os ; mais il a voulu voir dedans, toucher de la main ses plaies, les signes de son amour. L’Evangile appelle Thomas « Didyme » (v. 24), ce qui veut dire jumeau, et, en cela, il est vraiment notre frère jumeau. Car il ne nous suffit pas non plus de savoir que Dieu existe : un Dieu ressuscité mais lointain ne remplit pas notre vie ; un Dieu distant ne nous attire pas, même s’il est juste et saint. Non, nous avons besoin, nous aussi, de “voir Dieu”, de toucher de la main qu’il est ressuscité pour nous.

Comment pouvons-nous le voir ? Comme les disciples : à travers ses plaies. En regardant là, ils ont compris qu’il ne les aimait pas pour plaisanter et qu’il les pardonnait même s’il y en avait un parmi eux qui l’avait renié et qui l’avait abandonné. Entrer dans ses plaies c’est contempler l’amour démesuré qui déborde de son cœur. C’est comprendre que son cœur bat pour moi, pour toi, pour chacun de nous. Chers frères et sœurs, nous pouvons nous estimer et nous dire chrétiens, et parler de nombreuses belles valeurs de la foi, mais, comme les disciples, nous avons besoin de voir Jésus en touchant son amour. C’est seulement ainsi que nous allons au cœur de la foi et, comme les disciples, nous trouvons une paix et une joie (cf. vv. 19-20) plus fortes que tout doute.

Thomas s’est exclamé après avoir vu les plaies du Seigneur : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (v. 28). Je voudrais attirer l’attention sur cet adjectif que Thomas répète : mon. C’est un adjectif possessif et, si nous y réfléchissons bien, il pourrait sembler impropre de le référer à Dieu : Comment Dieu peut-il être à moi ? Comment puis-je faire mien le Tout Puissant ? En réalité, en disant mon nous ne profanons pas Dieu, mais nous honorons sa miséricorde, parce que c’est lui qui a voulu se “faire nôtre”. Et nous lui disons, comme dans une histoire d’amour : “Tu t’es fait homme pour moi, tu es mort et ressuscité pour moi, en donc tu n’es pas seulement Dieu, tu es mon Dieu, tu es ma vie. En toi j’ai trouvé l’amour que je cherchais, et beaucoup plus, comme jamais je ne l’aurais imaginé”.

Dieu ne s’offense pas d’être “nôtre”, car l’amour demande de la familiarité, la miséricorde demande de la confiance. Déjà, au début des dix commandements, Dieu disait : « Je suis le Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 2) et il répétait : « Moi le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux » (v. 5). Voilà la proposition de Dieu, amoureux et jaloux qui se présente comme ton Dieu. Et la réponse jaillit du cœur bouleversé de Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». En entrant aujourd’hui, à travers les plaies, dans le mystère de Dieu, nous comprenons que la miséricorde n’est pas une de ses qualités parmi les autres, mais le battement de son cœur même. Et alors, comme Thomas, nous ne vivons plus comme des disciples hésitants, dévots mais titubants ; nous devenons, nous aussi, de vrais amoureux du Seigneur !

Comment savourer cet amour, comment toucher aujourd’hui de la main la miséricorde de Jésus ? L’Evangile, encore, nous le suggère lorsqu’il souligne que, le soir même de Pâques (cf. v. 19), c’est-à-dire à peine ressuscité, Jésus, avant toute chose, donne l’Esprit pour pardonner les péchés. Pour faire l’expérience de l’amour, il faut passer par là : se laisser pardonner. Mais aller se confesser semble difficile. Face à Dieu, nous sommes tentés de faire comme les disciples dans l’Evangile : nous barricader portes fermées. Ils le faisaient par crainte, et, nous aussi, nous avons peur, honte de nous ouvrir et de dire nos péchés. Que le Seigneur nous donne la grâce de comprendre la honte, de la voir non pas comme une porte fermée, mais comme le premier pas de la rencontre. Quand nous éprouvons de la honte, nous devons être reconnaissants : cela veut dire que nous n’acceptons pas le mal, et cela est bon. La honte est une invitation secrète de l’âme qui a besoin du Seigneur pour vaincre le mal. Le drame c’est quand on n’a plus honte de rien. N’ayons pas peur d’éprouver de la honte ! Et passons de la honte au pardon !

Il y a, en revanche, une porte fermée devant le pardon du Seigneur, celle de la résignation. Les disciples en ont fait l’expérience qui, à Pâques, constataient amèrement que tout était redevenu comme avant : ils étaient encore là, à Jérusalem, découragés ; le “chapitre Jésus” semblait clos, et après tant de temps passé avec lui, rien n’avait changé. Nous aussi nous pouvons penser : “Je suis chrétien depuis si longtemps, et cependant rien ne change, je fais toujours les mêmes péchés”.

Alors, découragés, nous renonçons à la miséricorde. Mais le Seigneur nous interpelle : “Ne crois-tu pas que ma miséricorde est plus grande que ta misère ? Tu récidives dans ton péché ? Récidive dans la demande de miséricorde, et nous verrons qui l’emportera ! ” Et puis – celui qui connaît le Sacrement du pardon le sait – il n’est pas vrai que tout recommence comme avant. A chaque pardon nous sommes ragaillardis, encouragés, car nous nous sentons à chaque fois plus aimés. Et quand, aimés, nous retombons, nous éprouvons davantage de souffrance qu’avant. C’est une souffrance bénéfique qui lentement nous détache du péché. Nous découvrons alors que la force de la vie c’est recevoir le pardon de Dieu et aller de l’avant, de pardon en pardon.

Après la honte et la résignation, il y a une autre porte fermée, blindée parfois : notre péché. Quand je commets un gros péché, si moi, en toute honnêteté, je ne veux pas me pardonner, pourquoi Dieu devrait-il le faire ? Mais cette porte est verrouillée seulement d’un côté, le nôtre ; pour Dieu elle n’est jamais infranchissable. Comme nous l’apprend l’Evangile, il aime, justement, entrer “les portes étant fermées”, quand tout passage semble barré. Là, Dieu fait des merveilles. Il ne décide jamais de se séparer de nous, c’est nous qui le laissons dehors. Mais quand nous nous confessons il se produit une chose inouïe : nous découvrons que même ce péché qui nous tenait à distance du Seigneur devient le lieu de la rencontre avec lui. Là, le Dieu blessé d’amour vient à la rencontre de nos blessures. Et il rend nos misérables plaies semblables à ses plaies glorieuses. Car il est miséricorde et opère des merveilles dans nos misères. Comme Thomas, demandons aujourd’hui la grâce de reconnaître notre Dieu : de trouver dans son pardon notre joie, dans sa miséricorde notre espérance.

[00556-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du père Cantalamessa du Vendredi Saint 2018 en la Basilique Saint-Pierre de Rome

Vous trouverez ci-dessous l’homélie du père Raniero Cantalamessa, O.F.M. lors de la célébration du Vendredi Saint 2018 en la basilique Saint-Pierre de Rome:

CELUI QUI A VU REND TEMOIGNAGE

Homélie du Vendredi Saint 2018, en la Basilique Saint-Pierre

Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage, et son témoignage est véridique ; et celui-là sait qu’il dit vrai afin que vous aussi, vous croyiez (Jn 19, 33-35).

Personne ne pourra jamais nous convaincre que cette attestation solennelle ne correspond pas à la vérité historique, et que celui qui prétend avoir été là et avoir vu, en réalité n’était pas là et n’a pas vu. Il en va, dans ce cas, de l’honnêteté de l’auteur. Sur le Calvaire, aux pieds de la Croix, se tenait la mère de Jésus, et à ses côtés, “le disciple que Jésus aimait”. Nous avons un témoin oculaire! Non seulement il “a vu” ce qui arrivait sous le regard de tous; mais dans la lumière de l’Esprit-Saint, après la Pâque, il “a vu” également le sens de ce qui s’était passé: qu’à ce moment-là, le véritable

Agneau de Dieu était immolé et que s’accomplissait le sens de la Pâque antique; que le Christ sur la Croix était le nouveau temple de Dieu, du côté duquel , comme l’avait prédit le prophète Ezéchiel (47, 1 12), jaillit l’eau de la vie; que l’esprit qu’il rend au moment de sa mort marque le début de la nouvelle création, comme “l’esprit de Dieu”, se mouvant sur les eaux, avait transformé le chaos initial en cosmos. Jean a comprit le sens ultime des derniers mots de Jésus: “Tout est accomplit” (Jn 19, 30).

Mais demandons-nous pourquoi cette concentration illimitée de sens autour de la croix du Christ? Pourquoi cette omniprésence du Crucifix dans nos églises, sur les autels et dans tous les lieux fréquentés par les chrétiens? Quelqu’un a offert une clé de lecture pour comprendre le mystère chrétien, en disant que Dieu se révèle “sub contraria specie”, à travers le contraire de ce qu’il est réellement: il révèle sa puissance dans la faiblesse, sa sagesse dans la folie, sa richesse dans la pauvreté …

Cette clé de lecture ne s’applique pas à la croix. Sur la croix Dieu se révèle “sub propria specie”, pour ce qu’il est, dans sa réalité la plus intime et la plus vraie. “Dieu est agapè”, écrit saint Jean (1Jn 4,10), amour oblatif, et ce n’est que sur la croix que devient manifeste la capacité infinie d’auto-donation de Dieu. “ ” (Jn13,1); “ ” (Jn 3, 16); “ Ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné [à la mort] son Fils unique Il m’a aimé et s’est livré [à la mort] lui-même pour moi ” (Ga 2, 20). ***

En cette année où l’Église célèbre un synode sur les jeunes et veut les placer au centre de sa sollicitude pastorale, la présence sur le Calvaire du disciple que Jésus aimait contient un message spécial. Nous avons toutes les raisons de croire que Jean a suivi Jésus quand il était encore très jeune. Ce fut une véritable histoire d’amour. Tout le reste est soudainement passé en arrière-plan. Ce fut une rencontre “personnelle”, existentielle. Si, au centre de la pensée de Paul, il y a l’œuvre de Jésus et son mystère pascal de mort et de résurrection, au centre de la pensée de Jean il y a l’être, la personne de Jésus. Et à partir de là tout ces “Je suis” aux résonances éternelles qui ponctuent son Évangile: “Je suis le chemin, la vérité, et la vie”, “Je suis la lumière”, “Je suis la porte”, simplement “Je suis”.

Jean était presque certainement l’un des deux disciples du Baptiste qui suivirent Jésus quand ce dernier se présenta devant eux. A leur question: “Rabbi, où demeures-tu?”, Jésus répondit : “Venez et voyez”. “Ils allèrent donc et ils restèrent auprès de lui ce jour-là; il était environ quatre heures de l’après-midi ” (Jn 1, 35-39). Cette heure avait été décisive pour sa vie et il ne l’avait plus oubliée.

Cette année, nous nous efforcerons, à juste titre, de découvrir ce que le Christ attend des jeunes, ce qu’ils peuvent donner à l’Église et à la société. La chose la plus importante est cependant autre: c’est faire connaître aux jeunes ce que Jésus a à leur donner. Jean l’a découvert en restant avec lui: “vie en abondance”, “joie parfaite”.

Faisons en sorte que, dans tous les discours sur les jeunes et aux jeunes, résonne, comme une musique de fond, l’appel du Saint Père dans la Evangelii gaudium:

“J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui” (EG, n. 3).

Rencontrer personnellement le Christ, même aujourd’hui, cela est possible car il est ressuscité; il est une personne vivante, non pas un personnage. Tout est possible après cette rencontre personnelle; rien, sans elle, ne va vraiment changer dans la vie de chacun.

***

Au-delà de l’exemple de sa vie, l’évangéliste Jean a également laissé un message écrit aux jeunes. Dans sa Première Lettre, nous lisons ces paroles émouvantes d’un ancien aux jeunes des églises qu’il :

“Je vous l’ai écrit, jeunes gens : Vous êtes forts, la parole de Dieu demeure en vous, vous avez vaincu le Mauvais. N’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde” (1 Gv 2, 14-15).

Le monde que nous ne devons pas aimer et auquel nous ne devons pas nous conformer n’est pas, nous le savons, le monde créé et aimé par Dieu, ce ne sont pas les personnes du monde vers lesquelles, au contraire, nous devons toujours aller, surtout les pauvres, les derniers. Se “mêler” avec ce monde de la souffrance et de la marginalisation est, paradoxalement, le meilleur moyen de « se séparer » du monde, parce que c’est aller vers ce que le monde fuit de toutes ses forces. C’est se séparer du principe même qui gouverne le monde qui est l’égoïsme.

Non, le monde à ne pas aimer est un autre; c’est le monde tel qu’il est devenu sous la domination de Satan et du péché, “la puissance de l’air”, comme l’appelle Saint Paul (Ep 2,1-2). L’opinion publique y joue un rôle décisif, elle est aujourd’hui, même littéralement, puissance “qui est dans l’air”, parce qu’elle se propage par la voie des ondes à travers les possibilités illimitées de la technologie. « Un esprit de grande intensité historique auquel l’individu peut difficilement échapper est déterminé. Nous suivons l’esprit général, il est tenu pour évidence. Agir ou penser ou dire quelque chose contre celui-ci est considéré comme insensé ou même une injustice ou un crime. Alors, on n’ose plus faire face aux choses et aux situations, et surtout à la vie, d’une manière différente de la façon dont il les présente » (H. Schlier).

C’est ce que nous appelons l’adaptation à l’esprit du temps, le conformisme. Un grand poète croyant du siècle dernier, T.S. Eliot, a écrit trois versets (Family Reunion, II, sc. 2) qui en disent davantage que des livres entiers: “ Dans un monde de fugitifs, celui qui prend la direction opposée aura l’air de s’enfuir ” .

Chers jeunes chrétiens, s’il est permis à un « ancien », comme l’était Jean, de s’adresser directement à vous, je vous exhorte: soyez de ceux qui prennent la direction opposée! Osez aller à contre- courant! Pour nous, la direction opposée n’est pas un lieu, c’est une personne, c’est Jésus notre ami et rédempteur.

Une tâche vous est particulièrement confiée: sauver l’amour humain de la dérive tragique dans laquelle il est tombé: l’amour qui n’est plus un don de soi, mais seulement la possession – souvent violente et tyrannique – de l’autre. Sur la croix, Dieu s’est révélé comme agapè, l’amour qui se donne. Mais l’agapè n’est jamais séparée de l’éros, de l’amour de recherche, du désir et de la joie d’être aimé. Dieu ne nous fait pas simplement la “charité” de nous aimer; il nous désire, dans la Bible, il se révèle comme un époux amoureux et jaloux. Son amour est également un amour “érotique”, au sens noble de ce terme. C’est ce qu’a expliqué Benoît XVI dans l’encyclique “Deus caritas est”.

“Éros et agapè – dit-il – , amour ascendant et amour descendant, ne se laissent jamais séparer complètement l’un de l’autre […]. La foi biblique ne construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène humain originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme, intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même temps de nouvelles dimensions” (nr. 7-8). a fondées

Il ne s’agit donc pas de renoncer aux joies de l’amour, à l’attraction et à l’éros, mais de savoir unir l’éros à l’agapè, au désir de l’autre, la capacité de se donner à l’autre, en rappelant ce que saint Paul rapporte comme un dicton de Jésus: “ Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir ” (Ac 20,35).

C’est une capacité qui ne s’invente pas en un jour. Il faut se préparer à faire don total de soi à une autre créature dans le mariage, ou à Dieu dans la vie consacrée, en commençant à donner de son temps, de son sourire et de sa jeunesse en famille, dans la paroisse, dans le bénévolat. Ce que beaucoup d’entre vous font déjà et en silence.

Jésus sur la croix ne nous a pas seulement donné l’exemple d’un amour oblatif poussé à l’extrême; il nous a mérité la grâce de le mettre en œuvre, dans quelque mesure, dans notre vie. L’eau et le sang jaillis de son côté arrivent à nous aujourd’hui par les sacrements de l’Église, par la Parole, ou tout simplement en regardant le Crucifix avec foi. Sous la croix, Jean vit prophétiquement, une dernière chose : des hommes et des femmes de tous temps et de tous lieux qui regardaient “celui qui a été transpercé” et pleuraient de repentir et de consolation (cf. Jn 19, 37; Za 12,10). Nous aussi, nous nous unissons à eux par les gestes liturgiques qui suivront maintenant.

Traduit en Français par les Frères Mineurs Capucins de Lourdes

Homélie du pape François lors de la Messe chrismale

CNS photo/Paul Haring

Vous trouverez ci-dessous le texte officiel de l’homélie du pape François telle que prononcée lors de la Messe chrismale 2018 en la basilique Saint-Pierre de Rome:

Chers frères, prêtres du diocèse de Rome et des autres diocèses du monde!
En lisant les textes de la liturgie de ce jour il me venait à l’esprit, avec insistance, le passage du Deutéronome qui dit : «Quelle est en effet la grande nation dont les dieux soient aussi proches que le Seigneur notre Dieu est proche de nous chaque fois que nous l’invoquons» (4, 7). La proximité de Dieu… notre proximité apostolique.

Dans le texte du prophète Isaïe nous contemplons l’envoyé de Dieu autrefois “oint et envoyé”, au milieu de son peuple, proche des pauvres, des malades, des prisonniers…; et l’Esprit qui “est sur lui”, qui le pousse et l’accompagne le long du chemin.

Dans le Psaume 88 nous voyons comment la compagnie de Dieu, qui a guidé par la main le roi David dès son enfance et qui lui a prêté son bras, maintenant que celui-ci est âgé prend le nom de fidélité: la proximité qui se conserve au cours du temps s’appelle fidélité.

L’Apocalypse nous rapproche, au point de nous le rendre visible, de l’Erchomenos, le Seigneur en personne qui, toujours, «vient». L’allusion au fait que le verront «aussi ceux qui l’ont crucifié» nous fait sentir que les plaies du Seigneur ressuscité sont toujours visibles, que le Seigneur vient toujours à notre rencontre si nous voulons “nous faire proches” de la chair de tous ceux qui souffrent, spécialement des enfants.

Dans l’image centrale de l’Evangile de ce jour, nous contemplons le Seigneur à travers les yeux de ses compatriotes qui étaient « fixés sur lui» (Lc 4, 20). Jésus se leva pour lire dans la synagogue de Nazareth. Le rouleau du prophète Isaïe lui fut donné. Il le déroula jusqu’à ce qu’il trouve le passage de l’envoyé de Dieu. Il lut à voix haute: «L’Esprit du Seigneur Dieu est sur moi […] il m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé…» (61, 1). Et il conclut en établissant la proximité si provocatrice de ces paroles: «Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre» (Lc 4, 21).

Jésus trouve le passage et lit avec la compétence des scribes. Il aurait pu parfaitement être un scribe ou un docteur de la loi, mais il a voulu être un “évangélisateur”, un prédicateur de rue, le «Messager des Bonnes Nouvelles» pour son peuple, le prédicateur dont les pieds sont beaux, comme le dit Isaïe (cf. 52, 7).

Voilà le grand choix de Dieu : le Seigneur a choisi d’être quelqu’un qui se tient proche de son peuple. Trente ans de vie cachée ! Après seulement, il commencera à prêcher. C’est la pédagogie de l’incarnation, de l’inculturation; pas seulement dans les cultures lointaines, mais aussi dans la paroisse même, dans la nouvelle culture des jeunes…

La proximité est plus que le nom d’une vertu particulière, elle est une attitude qui implique toute la personne, sa manière d’établir des liens, d’être en même temps en soi-même et attentif à l’autre. Quand les gens disent d’un prêtre qu’il “est proche”, cela fait ressortir en général deux choses : la première, qu’ “il est toujours là” (contrairement au fait qu’ “il ne soit jamais là”. On dit souvent : “je sais, mon père, que vous êtes très occupé”). Et l’autre, qu’il sait trouver une parole pour chacun. Les gens disent : “Il parle avec tout le monde ; avec les grands, avec les petits, avec les pauvres, avec ceux qui ne croient pas…” Des prêtres proches, qui sont présents, qui parlent avec tout le monde… Des prêtres de rue.

Quelqu’un qui a bien appris de Jésus à être un prédicateur de rue, c’est Philippe. Les Actes disent qu’il allait de lieu en lieu en annonçant la Bonne Nouvelle de la Parole en prêchant dans toutes les villes et que celles-ci étaient pleines de joie (cf. 8, 4.5-8). Philippe était un de ceux que l’Esprit pouvait « saisir » à tout moment, le faire partir pour évangéliser en allant d’un endroit à un autre, quelqu’un capable aussi de baptiser les personnes de bonne foi, comme le ministre de la reine d’Ethiopie, et de le faire n’importe où, le long de la route (cf. Ac 8, 5 ; 36-40).

La proximité est la clé de l’évangélisateur car elle est une attitude-clé dans l’Evangile (le Seigneur l’utilise pour décrire le Royaume). Nous considérons pour acquis le fait que la proximité est la clé de la miséricorde, parce que la miséricorde, comme une “bonne Samaritaine”, ne serait pas ce qu’elle est si l’on ne s’efforçait pas toujours de réduire les distances. Mais je crois que nous avons besoin de mieux percevoir le fait que la proximité est aussi la clé de la vérité. Peut-on supprimer les distances dans la vérité ? Oui, on le peut. La vérité n’est pas seulement en effet la définition qui permet de nommer les situations et les choses en les tenant à distance avec des concepts et des raisonnements logiques. Elle n’est pas seulement cela. La vérité est aussi fidélité (emeth), celle qui te permet de désigner les personnes par leur nom propre, comme le Seigneur les nomme, avant de les classifier ou de définir “ leur situation”.

Il faut faire attention à ne pas tomber dans la tentation de se faire des idoles de certaines vérités abstraites. Ce sont des idoles commodes, à portée de main, qui donnent un certain prestige et pouvoir, et qui sont difficiles à reconnaître. Car la “vérité-idole” se déguise, elle utilise les paroles évangéliques comme un vêtement mais elle ne permet pas de toucher le cœur. Et, ce qui est pire, elle éloigne les gens simples de la proximité de la Parole et des Sacrements de Jésus, qui guérit.

Sur ce point, adressons-nous à Marie, Mère des prêtres. Nous pouvons l’invoquer comme “Vierge de la Proximité” : « Comme une vraie mère, elle marche avec nous, lutte avec nous, et répand sans cesse la proximité de l’amour de Dieu » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 286), de telle manière que personne ne se sente exclu. Notre Mère est non seulement proche en se mettant au service avec cet « empressement » (ibid., n. 288) qui est une forme de proximité, mais aussi avec sa manière de dire les choses. A Cana, l’à-propos et le ton avec lesquels elle dit aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (Jn 2, 5), feront que ces mots deviendront le modèle maternel de tout langage ecclésial. Mais, pour les dire comme elle, en plus de demander la grâce, il faut savoir se trouver là où les choses importantes se « mijotent », celles qui comptent pour tout cœur, pour toute famille, pour toute culture. C’est seulement avec cette proximité que l’on peut discerner quel est le vin qui manque, et quel est celui de meilleure qualité que le Seigneur veut donner.

Je vous suggère de méditer trois domaines de proximité sacerdotale dans lesquels ces paroles : “Tout ce qu’il vous dira, faites-le” doivent résonner – de mille manières différentes mais avec un même ton maternel – dans le cœur des personnes auxquelles nous parlons : le domaine de l’accompagnement spirituel, celui de la Confession et celui de la prédication.

Nous pouvons méditer la proximité dans le dialogue spirituel en contemplant la rencontre du Seigneur avec la Samaritaine. Le Seigneur lui apprend à reconnaître avant tout comment adorer, en Esprit et en vérité. Puis, avec délicatesse, il l’aide à donner un nom à son péché ; enfin il la gagne de son esprit missionnaire et va avec elle évangéliser dans son village. Modèle de dialogue spirituel que celui du Seigneur qui sait mettre au jour le péché de la Samaritaine sans faire de l’ombre à sa prière d’adoratrice ni mettre d’obstacles à sa vocation missionnaire.

Nous pouvons méditer la proximité dans la Confession en contemplant le passage de la femme adultère. On voit là clairement comment la proximité est décisive, car les vérités de Jésus s’approchent toujours et se disent (on peut dire, toujours) seul à seul. Regarder l’autre dans les yeux – comme le Seigneur quand il se met debout après avoir été à genoux près de la femme adultère qu’ils voulaient lapider et quand il lui dit : « Moi non plus je ne te condamne pas » (Jn 8, 11) – ce n’est pas aller contre la loi. Et l’on peut ajouter : « désormais ne pèche plus » (ibid.) non pas avec un ton qui appartient au domaine juridique de la vérité-définition – le ton de celui qui doit décider quelles sont les conditions de la Miséricorde divine – mais avec une expression que l’on emploie dans le domaine de la vérité-fidélité, qui permet au pécheur de regarder en avant et non en arrière.

Le ton juste de ce « ne pèche plus » est celui du confesseur qui le dit en étant prêt à le répéter soixante-dix fois sept fois. Enfin, le domaine de la prédication. Méditons là-dessus en pensant à ceux qui sont loin, et faisons-le en écoutant la première prédication de Pierre, qui se situe dans le contexte de l’événement de la Pentecôte. Pierre annonce que la parole est «pour tous ceux qui sont loin» (Ac 2, 39) et prêche de telle sorte que le kérygme “transperce leurs cœurs” et les conduit à demander « Que devons-nous faire?» (Ac 2, 37). Une question, comme nous le disions, que nous devons poser et à laquelle nous devons toujours répondre sur un ton marial, ecclésial. L’homélie est la pierre de touche « pour évaluer la proximité et la capacité de rencontre d’un pasteur avec son peuple» (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 135). Dans l’homélie on voit combien nous avons été proches de Dieu dans la prière, et combien nous sommes proches de nos gens dans leur vie quotidienne.

La bonne nouvelle se réalise quand ces deux proximités se nourrissent et s’entretiennent mutuellement. Si tu te sens loin de Dieu, approche-toi de son peuple qui te guérira des idéologies qui ont refroidi ta ferveur. Les petits t’apprendront à regarder Jésus de manière différente. A leurs yeux, la personne de Jésus est attachante, son bon exemple donne de l’autorité morale, ses enseignements sont utiles pour la vie. Si tu te sens loin des gens, rapproche-toi du Seigneur, de sa Parole : dans l’Evangile, Jésus t’apprendra sa manière de regarder les gens, quelle valeur a, à ses yeux, chacun de ceux pour qui il a versé son sang sur la croix. Dans la proximité avec Dieu, la Parole se fera chair en toi et tu deviendras un prêtre proche de toute chair. Dans la proximité avec le peuple de Dieu, sa chair douloureuse deviendra parole dans ton cœur et tu auras de quoi parler avec Dieu, tu deviendras un prêtre intercesseur.

Le prêtre qui est proche, qui marche au milieu de ses gens avec la proximité et la tendresse du bon pasteur (et, dans sa pastorale, parfois devant, parfois au milieu et parfois derrière), les gens non seulement l’apprécient beaucoup, mais plus encore : ils sentent pour lui quelque chose de spécial, quelque chose qui se sent seulement en présence de Jésus. Par conséquent, cette reconnaissance de notre proximité n’est pas seulement une chose en plus. En elle se joue le fait que Jésus sera rendu présent dans la vie de l’humanité, ou bien qu’il restera au plan des idées, enfermé en lettres d’imprimerie, incarné tout au plus dans quelque bonne habitude qui peu à peu deviendra routine.

Demandons à Marie, “Vierge de la Proximité”, de se faire proche de nous et d’unifier notre ton au moment où nous disons à notre peuple de “faire tout ce que Jésus dit”, afin que dans la diversité de nos opinions soit rendue présente sa proximité maternelle qui, par son “oui” nous a pour toujours rapprochés de Jésus.

[00507-FR.01] [Texte original: Italien]

Message de Pâques 2018 du Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada

Vous trouverez ci-dessous le Message de pâques 2018 de Mgr Lionel Gendron, P.S.S., évêque de Saint-Jean-Longueuil et président de la Conférence des évêques catholiques du Canada:

Au Canada, la célébration de Pâques, qui coïncide avec l’arrivée du printemps, est toujours remplie d’un sentiment de vie nouvelle. Alors que nous commençons à nous défaire de nos manteaux d’hiver et de nos bottes, les jours rallongent, le soleil devient plus chaud et la vie nouvelle abonde avec les arbres qui bourgeonnent et les plantes qui commencent à pousser.

Mais qu’est au juste la vie nouvelle qui nous remplit de la joie pascale? En fait, c’est une vie nouvelle enracinée profondément dans l’expérience de notre réconciliation avec Dieu par la mort et la résurrection du Christ. Tout ce qui pouvait nous séparer de Dieu a été enlevé, détruit, et par cette réconciliation, nous avons obtenu la libération des ténèbres du péché et de la mort. Nous sommes libérés, capables de rejeter ce qui nous rend esclaves afin de nous plonger dans l’étreinte d’amour universel de notre Dieu.

Mais la vie nouvelle pascale nous demande davantage. Pâques nous rappelle qu’alors même que nous célébrons notre réconciliation avec Dieu, nous sommes appelés à nous réconcilier avec nos frères et sœurs, dans nos familles, dans nos paroisses, dans nos communautés et dans le monde. Nous sommes appelés à partager notre joie pascale en faisant la paix avec notre prochain.

Le pape François, dans une homélie à la population de Villavicencio, en Colombie, a dit : « Tout effort de paix sans un engagement sincère de réconciliation sera toujours voué à l’échec. » Il a ajouté : « Se réconcilier, c’est ouvrir une porte à toutes les personnes et à chaque personne, qui ont vécu la réalité dramatique du conflit. »

Plus tôt cette année, j’ai eu le privilège de participer à la Coordination de la Terre Sainte avec d’autres évêques du monde entier.  Nous avons rencontré beaucoup de jeunes dont la vie est durement marquée par un conflit dont ils ont hérité malgré eux. Pendant nos conversations avec eux, il est apparu très clairement que ces jeunes désirent un nouveau genre de relations les uns avec les autres. Cela est évident dans les nombreuses initiatives dans lesquelles les jeunes s’engagent pour promouvoir le dialogue et établir la justice, la paix et la réconciliation dans leur vie et dans les communautés au milieu desquelles ils vivent.

Un parfait exemple fut la rencontre de deux jeunes membres d’un groupe appelé « Cercle parents-famille ». Ils nous ont raconté leur expérience, comment à la suite du meurtre d’une jeune palestinienne par un Israélien et de la mort d’une jeune israélienne lors d’un attentat-suicide à la bombe par un palestinien, les parents des familles des deux jeunes tuées ont choisi de  ne pas se haïr les uns les autres. Ensuite ils ont appris à leurs enfants à ne pas se haïr et ces deux jeunes sont devenus de grands amis, des exemples vivants de ce que nous voulons dire par la volonté de réconciliation même au milieu d’une tragédie et d’un deuil profonds. Les familles ont compris la conséquence tragique des conflits, ont répondu avec amour et ont lancé le Cercle parents-familles. Voilà ce que c’est que la réconciliation.

Ici au Canada, nous sommes vivement conscients de l’appel à nous réconcilier avec les peuples autochtones. Nous reconnaissons le besoin de cette réconciliation comme première étape, et nous cherchons des moyens pour la réaliser par l’écoute et le dialogue dans des organismes comme le Cercle Notre-Dame-de-Guadalupe et le Conseil autochtone. Ce processus sera long et il exige foi, sincérité du cœur et engagement pour une paix durable.

Nous vivons dans un monde trop souvent marqué par les divisions. On a tendance à dénigrer l’« autre » et à nourrir des soupçons contre l’« étranger ». Nous sommes appelés à reconnaitre notre humanité commune, à reconnaitre que nous sommes tous frères et sœurs créés à l’image de Dieu.

Une fois réconciliés avec Dieu par la mort et la résurrection du Christ, nous sommes appelés à chercher la réconciliation avec les autres. La paix entre nous sera un signe de la véritable joie pascale!

+Lionel Gendron, P.S.S.
Évêque de Saint-Jean-Longueuil et
Président de la Conférence des évêques
catholiques du Canada

Pâques 2018

Homélie du pape François pour le Dimanche des rameaux 2018

Homélie du pape François 2018

Jésus entre à Jérusalem. La liturgie nous a invités à intervenir et à participer à la joie ainsi qu’à la fête du peuple qui est capable de crier et de louer son Seigneur ; une joie qui se ternit et laisse un goût amer et douloureux lorsqu’on a fini d’écouter le récit de la Passion. Dans cette célébration semblent s’entrecroiser des histoires de joie et de souffrance, d’erreurs et de succès qui font partie de notre vie quotidienne de disciples, car elles parviennent à mettre à nu des sentiments et des contradictions que nous aussi nous éprouvons souvent aujourd’hui, hommes et femmes de ce temps : capables de beaucoup aimer… mais aussi de haïr – et beaucoup – ; capables de courageux sacrifices, mais aussi capables de savoir ‘‘se laver les mains’’ au moment opportun ; capables de fidélité mais aussi de grands abandons et de grandes trahisons.Et on voit clairement dans tout le récit évangélique que la joie suscitée par Jésus est, pour certains, un motif de gêne et d’agacement.

Entouré de ses gens, Jésus entre dans la ville, parmi les chants et les cris bruyants. Nous pouvons imaginer que c’est la voix du fils pardonné, celle du lépreux guéri ou le bêlement de la brebis égarée qui, tous ensemble, résonnent fortement lors de cette entrée. C’est le chant du publicain et de l’homme impur ; c’est le cri de celui qui vivait en marge de la ville. C’est le cri des hommes et des femmes qui l’ont suivi parce qu’ils ont fait l’expérience de sa compassion face à leur douleur et à leur misère… C’est le chant et la joie spontanés de tant de personnes marginalisées qui, touchées par Jésus, peuvent crier : “Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !”. Comment ne pas acclamer celui qui leur avait redonné la dignité et l’espérance ? C’est la joie de tant de pécheurs pardonnés qui ont retrouvé confiance et espérance. Et ils crient. Ils se réjouissent. C’est la joie ! Cette joie de l’hosanna se révèle gênante et devient absurde et scandaleuse pour ceux qui se considèrent justes et ‘‘fidèles’’ à la loi et aux préceptes rituels.[1] Joie insupportable pour ceux qui sont restés insensibles à la douleur, à la souffrance et à la misère. Et beaucoup d’entre ceux-ci pensent : ‘‘Regarde, quel peuple mal éduqué !’’. Joie intolérable pour ceux qui ont perdu la mémoire et oublié les nombreuses faveurs reçues. Pour celui qui cherche à se justifier lui-même et à s’installer, comme il est difficile de comprendre la joie et la fête de la miséricorde de Dieu ! Pour ceux qui ne mettent leur confiance qu’en leurs propres forces et qui se sentent supérieurs aux autres[2], comme il est difficile de pouvoir partager cette joie !

Et c’est ainsi que naît le cri de celui dont la voix ne tremble pas pour hurler : ‘‘Crucifie-le !’’ Il ne s’agit pas d’un cri spontané, mais c’est le cri artificiel, construit, fait du mépris, de la calomnie, de faux témoignages suscités. C’est le cri qui naît dans le passage du fait au compte-rendu, qui naît dans le compte-rendu. C’est la voix de celui qui manipule la réalité, crée une version à son avantage et ne se pose aucun problème pour ‘‘coincer” les autres afin de s’en sortir. C’est un [faux] compte- rendu ! C’est le cri de celui qui n’a pas de scrupules à chercher les moyens de se renforcer et à faire taire les voix dissonantes. C’est le cri qui naît de la réalité ‘‘truquée’’ et présentée de telle sorte qu’elle finit par défigurer le visage de Jésus et le transformer en ‘‘malfaiteur’’. C’est la voix de celui qui veut défendre sa propre position en discréditant spécialement celui qui ne peut pas se défendre. C’est le cri, fabriqué par les ‘‘intrigues’’ de l’autosuffisance, de l’orgueil et de l’arrogance, qui proclame sans problèmes : ‘‘Crucifie-le, crucifie-le !’’.

Et on finit ainsi par faire taire la fête du peuple, on détruit l’espérance, on tue les rêves, on supprime la joie ; on finit ainsi par blinder le cœur, on refroidit la charité. C’est le cri du ‘‘sauve-toi toi-même’’ qui veut endormir la solidarité, éteindre les idéaux, rendre le regard insensible… le cri qui veut effacer la compassion, ce ‘‘pâtir avec’’, la compassion, qui est la faiblesse de Dieu.

Face à toutes ces voix qui hurlent, le meilleur antidote, c’est de regarder la croix du Christ et de nous laisser interpeller par son dernier cri. Le Christ est mort en criant son amour pour chacun d’entre nous : pour les jeunes et pour les personnes âgées, pour les saints et les pécheurs, son amour pour ceux de son temps et pour ceux de notre temps. Nous avons été sauvés sur sa croix pour que personne n’éteigne la joie de l’Évangile ; pour que personne, dans la situation où il se trouve, ne reste éloigné du regard miséricordieux du Père. Regarder la croix signifie se laisser interpeller dans nos priorités, nos choix et nos actions. Cela signifie laisser notre sensibilité être interpelée par celui qui passe ou vit un moment difficile. Chers frères et sœurs, que voit notre cœur ? Jésus continue-t-il d’être un motif de joie et de louange dans notre cœur ou bien avons-nous honte de ses priorités pour les pécheurs, les derniers, ceux qui sont oubliés ?

Et vous, chers jeunes, la joie que Jésus suscite en vous est un motif de gêne et également d’agacement pour certains, parce qu’il est difficile de manipuler un jeune joyeux. Qu’il est difficile de manipuler un jeune joyeux !
Mais il y a aujourd’hui la possibilité d’un troisième cri : « Quelques pharisiens qui se trouvaient dans la foule dirent à Jésus : “Maître, réprimande tes disciples”. Mais il prit la parole en disant : “Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront” » (Lc 19, 39-40). Faire taire les jeunes est une tentation qui a toujours existé. Les mêmes pharisiens s’en prennent à Jésus et lui demandent de les calmer et de les faire taire.

Il y a de nombreuses manières de rendre les jeunes silencieux et invisibles. De nombreuses manières de les anesthésier et de les endormir pour qu’ils ne fassent pas de bruit, pour qu’ils ne s’interrogent pas et ne se remettent pas en question. ‘‘Vous, taisez-vous !’’ Il y a de nombreuses manières de les faire tenir tranquilles pour qu’ils ne s’impliquent pas et que leurs rêves perdent de la hauteur et deviennent des rêvasseries au ras du sol, mesquines, tristes.

En ce Dimanche des Rameaux, célébrant la Journée Mondiale de la Jeunesse, il nous est bon d’entendre la réponse de Jésus aux pharisiens d’hier et de tous les temps, également à ceux d’aujourd’hui : « Si eux se taisent, les pierres crieront » (Lc 19, 40).

Chers jeunes, c’est à vous de prendre la décision de crier, c’est à vous de vous décider pour l’Hosanna du dimanche, pour ne pas tomber dans le “crucifie-le !” du vendredi… et cela dépend de vous de ne pas rester silencieux. Si les autres se taisent, si nous, les aînés et les responsables – bien des fois corrompus – restons silencieux, si le monde se tait et perd la joie, je vous le demande : vous, est-ce que vous crierez ?
S’il vous plaît, décidez-vous avant que les pierres ne crient !

image: CNS

Le double bénéfice de l’aumône

CNS photo/Gregory A. Shemitz

Nous poursuivons aujourd’hui notre lecture du message du pape François pour le Carême 2018. Après la vérité et la prière, nous en sommes à l’analyse de l’aumône comme instrument privilégié de sanctification du temps liturgique.

À quoi ça sert de donner de l’argent ?

Plus qu’un simple bienfait économique pour celui qui en bénéficie, l’aumône est, d’abord et avant tout, un bénéfice pour celui qui partage. Comme l’enseignait la traditionnelle théologie morale, l’aumône est un acte de la vertu de libéralité c’est-à-dire, de cette vertu « par laquelle nous faisons un bon usage de tous les biens extérieurs qui nous ont été accordés pour soutenir notre existence » (Somme théologique, 2a, 2ae, art.1). Dans ce monde qui est le nôtre, où le péché laisse des traces économiques partout, il est un devoir pour le chrétien d’aider son prochain, victime d’injustice particulière ou sociale. Par contre, l’aumône, lorsqu’elle est exercée par amour pour le Christ, nous permet de « faire bon usage des biens extérieurs » en ce sens que nous les utilisons pour la plus noble des causes, celle, comme l’enseigne la Préface du temps du Carême, de nous « détacher des choses qui passent pour nous attacher à celle qui ne passe pas ».

Mais en plus d’orienter notre cœur « vers le Seigneur », l’aumône nous rend encore plus attentif au moment présent. En cette époque de médias sociaux, où nous sommes constamment bombardés de publicités et de sollicitations de tous genres, l’aumône nous permet de garder le regard fixé sur le véritable trésor qu’est le Christ Présent en toute personne et, spécialement en celle qui est dans le besoin. Ainsi, par ce détachement des richesses que nous exprimons concrètement lorsque nous donnons de l’argent, nous accumulons au ciel le trésor d’un cœur plus près et plus conforme à la tendresse du Dieu de toute miséricorde.

Un nécessaire discernement

Les bénéfices de l’exercice de l’aumône ne sont pas uniquement spirituels. En effet, donner de l’argent n’est pas une fin en soi. L’aumône doit être précédée d’un discernement pour que cette ressource soit utilisée à bon escient c’est-à-dire pour la plus grande gloire de Dieu. En ce temps de Carême, pourquoi ne pas réfléchir à nos priorités lorsque nous donnons. Sommes-nous véritablement conscients de l’urgence de la mission de l’Église aujourd’hui et des besoins qui en découlent ? Avons-nous, comme catholiques, la certitude que les véritables pauvres sont, comme Mère Thérésa le disait : « Les personnes qui sont dans les grandes villes des pays riches ». C’est-à-dire les personnes qui n’ont même plus conscience de leur propre fragilité et qui, plutôt que de s’en remettre à la Providence divine, préfèrent écraser leurs frères et sœurs afin d’avoir la première place ?

Que ce Carême 2018 soit pour nous l’occasion de méditer sur notre implication dans cette œuvre missionnaire de l’Église aujourd’hui et maintenant.

 

Le doux remède de la prière

CNS photo/Gregory A. Shemitz

Nous poursuivons notre exploration du message du pape François pour le Carême 2018. Après le « remède amer de la vérité », le Saint-Père nous invite à renouveler notre engagement envers ce qu’il nomme « le doux remède de la prière ». En effet, comme il existe des remèdes plus agréables que d’autres, la prière en est un qui nous aide à nous connaître davantage et ainsi, nous faire accéder de manière plus directe à la Présence réconfortante de Dieu.

La prière comme remède

La prière, que l’on définit habituellement comme « un dialogue avec Dieu », est un remède en ce sens qu’en nous permettant d’accéder, dès ici-bas, à la quiétude du ciel elle rétablit notre équilibre intérieur et extérieur.

En d’autres termes, la prière remet les choses à leur place intérieurement, non pas à la manière d’une journée au spa ou une séance de relaxation, mais en réorientant jour après jour l’ensemble de notre être à la volonté de Dieu. Créé par Dieu pour vivre de toute éternité en Union parfaite avec la Trinité, l’être humain perd trop souvent conscience des appels décisifs de l’Esprit Saint et finit par ne rechercher que le confort, ce qui se termine bien souvent dans le péché. C’est en ce sens que le « doux remède de la prière » nous permet de rétablir cet ordre intérieur, cette priorité donnée à l’orientation de tout notre être vers Dieu.

Par contre, comme le fait remarquer la plus récente instruction de la Congrégation de la Doctrine de la foi Placuit Deo, cet équilibre intérieur qu’offre Dieu dans la prière, ne doit pas nous convaincre qu’il s’agit d’un « parcours purement intérieur, en marge de nos rapports avec les autres et avec le monde créé ». Nous devons donc aussi demander, dans la prière, la force d’acquérir l’ensemble des vertus nécessaires à notre vocation de frères et sœurs dans le Christ, cet appel à trouver dans l’Église ou dans le monde ceux qui ont besoin de notre aide.

Le doux remède de la prière

Que notre cœur ne puisse être comblé que par l’Infini Amour de Dieu, l’expérience de chaque jour nous le prouve. Combien d’insatisfaits la recherche d’argent, du plaisir, du succès, etc. a-t-elle créés? De fait, « le salut total de la personne ne consiste pas en ce que l’homme pourrait obtenir par lui-même, comme la richesse ou le bien-être matériel, la science ou la technique, le pouvoir ou l’influence sur les autres, la bonne réputation ou l’auto-satisfaction ». Bien au contraire, ces tentatives nous éloignent du seul réconfort possible c’est-à-dire de se savoir aimé d’un Dieu Père qui prend soin de nous inconditionnellement.

Dans ce contexte, la prière nous met physiquement et spirituellement dans les bras de Celui qui, par le Christ, désire, plus que tout, que nous le rejoignions dans sa divinité même. Confiant en sa fidélité indéfectible, nous sommes ainsi délestés des soucis quotidiens qui empoisonnent trop souvent notre vie. Nous arrachant aux illusions des fausses assurances terrestres, la prière nous redonne la liberté nécessaire au bonheur humain. Ainsi, par contraste, on perçoit la douceur de cette prière qui apaise notre cœur et le libère de toutes ces insécurités qui naissent de cette incapacité à voir la Présence aimante de Dieu dans notre vie.

Nous poursuivrons la semaine prochaine cette analyse du message du pape François pour le Carême 2018.

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