« Christus vivit » ou comment persévérer sur le chemin des rêves 

(photo: Pixabay) Cette semaine était publiée la très attendue Exhortation apostolique post-synodale « Christus Vivit » du pape François. Portant sur le thème de la jeunesse, ce texte d’une soixantaine de pages est exceptionnel de par son style direct et son ton très personnel. Divisée en neuf chapitres, cette prise de parole du pape François cherche à manifester non seulement comment l’invitation universelle du Christ à la participation à sa vie divine répond à toutes les aspirations de la jeunesse mais également jusqu’à quel point le renouvellement de l’Église dépend de son dynamisme propre.

« Les jeunes ne vont pas bien » – The Offspring

Pendant ma lecture, je me suis replongé dans ces années pas si lointaines où moi-même je vivais cette période intense de la vie. Quelques airs de chansons que j’écoutais à l’époque me sont également revenus à l’esprit. Je me suis même surpris à les réécouter.  L’une de ces chansons : « The Kids Aren’t Alright » de « The Offspring » a particulièrement retenu mon attention. En effet, on y parle de jeunesse brisée, de rêves évanouis et de désespoir face à l’avenir qui affecte la vie de nombreux jeunes. Contrairement aux stéréotypes que l’on entend souvent sur la jeunesse, on y fait même l’éloge de la nostalgie : « Longing for what used to be » (Trad. « rechercher ce qui fut »).

Selon moi, les paroles de cette chanson du groupe punk californien manifestent la justesse des propos du Pape dans ce document. On y retrouve d’abord le constat qu’il est « encore difficile de voir » la crise que vivent les jeunes. En apparence, tout laisse présager que la « culture actuelle présente un modèle de personne très associé à l’image du jeune » (no 79) au point d’en faire un véritable objet de « vénération » (no 182). Or, comme nous le disent The Offspring et le pape François, la réalité des jeunes est parfois beaucoup plus souffrante que leur fierté ne le laisse transparaître. Ce sont des « vies fragiles » qui doivent être respectées et accueillies dans leur complexité. Contrairement aux « adultes […] qui veulent voler la jeunesse pour eux-mêmes ; sans qu’ils respectent, aiment et prennent soin des jeunes » (no 79), l’Église doit leur offrir un soutien à l’opposé de l’attitude de ces parents qui confient leurs enfants à la nouvelle gardienne universelle des écrans tactiles.

Un lieu pour déployer ses rêves

« Christus Vivit » parle beaucoup des rêves de la jeunesse. Le mot apparaît à 51 reprises dans le texte. En effet, la jeunesse est un âge où se formulent et se ressentent fortement les aspirations fondamentales qui guideront toute la vie. Comment nos sociétés et l’Église accueillent-elles ces aspirations à un avenir meilleur plein de possibilités ? Tant de « rêves brisés » n’est-il pas le signe que nous n’arrivons plus à canaliser ces forces vives ? Au contraire, l’épidémie de cynisme est plutôt le signe que nos institutions ne sont plus aptes à générer autre chose que découragement et ressentiment.

Nous devons donc nous demander avec le Pape : « Comment l’Église pourra-t-elle accueillir de la bonne manière les rêves de ces jeunes (no 41)[8] ? L’Église doit aujourd’hui être le lieu d’où peuvent se déployer les rêves de la jeunesse. Et pour cela, les jeunes doivent comprendre que leurs rêves sont également ceux de l’Église. Voilà le double appel du Pape à l’Église d’aujourd’hui : offrir la présence de Celui qui seul donne la force de « persévérer sur le chemin des rêves » (no 142).

Les jeunes: notre présent et avenir

Christus Vivit est un texte émouvant et plein d’espérance pour le présent et l’avenir de la société. Il s’agit d’une prise de parole personnelle du Pape, en dialogue avec les jeunes du monde entier qu’il a pu rencontrer durant son pontificat. Dans les prochaines semaines, nous approfondirons ensemble toute la richesse et la profondeur de ce document magistral, certainement l’un des plus importants du pontificat de François.

Discours du Pape aux personnes consacrées de Témara au Maroc

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François lors de la rencontre avec le clergé, religieux, religieuses ainsi que le Centre oecuménique des églises en la cathédrale de Rabat:

Chers frères et sœurs,
Je suis très heureux de pouvoir vous rencontrer. Je remercie spécialement le Père Germain et Sœur Mary pour leurs témoignages. Je tiens aussi à saluer les membres du Conseil Œcuménique des Églises, qui manifeste visiblement la communion vécue ici, au Maroc, entre les chrétiens de différentes confessions, sur le chemin de l’Unité. Les chrétiens sont un petit nombre dans ce pays. Mais cette réalité n’est pas, à mes yeux, un problème, même si elle peut parfois s’avérer difficile à vivre pour certains. Votre situation me rappelle la question de Jésus : « À quoi le règne de Dieu est- il comparable, à quoi vais-je le comparer ? […] Il est comparable au levain qu’une femme a pris et enfoui dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. » (Lc 13, 18.21). En paraphrasant les paroles du Seigneur nous pourrions nous demander : à quoi est comparable un chrétien sur ces terres ? A quoi puis-je le comparer ? Il est comparable à un peu de levain que la mère Eglise veut mélanger à une grande quantité de farine, jusqu’à ce que toute la pâte ait levé. En effet, Jésus ne nous a pas choisis et envoyés pour que nous devenions les plus nombreux ! Il nous a appelés pour une mission. Il nous a mis dans la société comme cette petite quantité de levain : le levain des béatitudes et de l’amour fraternel dans lequel, comme chrétiens, nous puissions tous nous retrouver pour rendre présent son Règne.

Cela signifie, chers amis, que notre mission de baptisés, de prêtres, de consacrés, n’est pas déterminée particulièrement par le nombre ou par l’espace que nous occupons, mais par la capacité que l’on a de produire et de susciter changement, étonnement et compassion ; par la manière dont nous vivons comme disciples de Jésus, au milieu de celles et ceux dont nous partageons le quotidien, les joies, les peines, les souffrances et les espoirs (cf. Conc. Oecum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, n. 1). Autrement dit, les chemins de la mission ne passent pas par le prosélytisme, qui conduit toujours à une impasse, mais par notre manière d’être avec Jésus et avec les autres. Ainsi le problème n’est donc pas d’être peu nombreux mais d’être insignifiants, de devenir un sel qui n’a plus la saveur de l’Évangile, ou une lumière qui n’éclaire plus rien (cf. Mt 5,13-15).

Je pense que la préoccupation surgit quand nous chrétiens, nous sommes harcelés par la pensée de pouvoir être signifiants seulement si nous sommes une masse et si nous occupons tous les espaces. Vous savez bien que la vie se joue avec la capacité que nous avons de « lever » là où nous nous trouvons et avec qui nous nous trouvons. Même si apparemment cela ne peut pas apporter d’avantages tangibles ou immédiats (cf. Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 210). Parce qu’être chrétien, ce n’est pas adhérer à une doctrine, ni à un lieu de culte, ni à un groupe ethnique. Etre chrétien c’est une rencontre. Nous sommes chrétiens parce que nous avons été aimés et rencontrés et non pas parce que nous sommes des fruits du prosélytisme. Être chrétien, c’est se savoir pardonnés et invités à agir de la même manière dont Dieu a agi avec nous, puisque « à ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 35).

Conscient du contexte dans lequel vous êtes appelés à vivre votre vocation baptismale, votre ministère, votre consécration, chers frères et sœurs, il me vient à l’esprit cette parole du saint Pape Paul VI dans son Encyclique Ecclesiam suam : « L’Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L’Église se fait parole ; l’Église se fait message ; l’Église se fait conversation » (n.67). Affirmer que l’Église doit entrer en dialogue ne relève pas d’une mode, encore moins d’une stratégie pour accroître le nombre de ses membres ! Si l’Église doit entrer en dialogue, c’est par fidélité à son Seigneur et Maître qui, depuis le commencement, mu par l’amour, a voulu entrer en dialogue comme un ami et nous inviter à participer à son amitié (cf. Conc. Oecum. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, n. 2). Ainsi, comme disciples de Jésus Christ, nous sommes appelés, depuis le jour de notre baptême, à faire partie de ce dialogue de salut et d’amitié, dont nous sommes les premiers bénéficiaires.

En ces terres, le chrétien apprend à être sacrement vivant du dialogue que Dieu veut engager avec chaque homme et chaque femme, quelle que soit sa condition de vie. Un dialogue que, par conséquent, nous sommes invités à réaliser à la manière de Jésus, doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29), avec un amour fervent et désintéressé, sans calculs et sans limites, dans le respect de la liberté des personnes. Dans cet esprit, nous trouvons des frères aînés qui nous montrent le chemin, parce que, par leur vie, ils ont témoigné que cela est possible, une « mesure haute » qui nous défie et nous stimule. Comment ne pas évoquer la figure de saint François d’Assise qui, en pleine croisade, est allé rencontrer le Sultan al-Malik al-Kamil? Et comment ne pas mentionner le Bienheureux Charles de Foucault qui, profondément marqué par la vie humble et cachée de Jésus à Nazareth, qu’il adorait en silence, a voulu être un « frère universel » ? Ou encore ces frères et sœurs chrétiens qui ont choisi d’être solidaires avec un peuple jusqu’au don de leurs propre vies ? Ainsi, quand l’Eglise, fidèle à la mission reçue du Seigneur, entre en dialogue avec le monde et se fait conversation, elle participe à l’avènement de la fraternité, qui a sa source profonde non pas en nous, mais dans la Paternité de Dieu. Ce dialogue de salut, comme consacrés, nous sommes invités à le vivre avant tout comme une intercession pour le peuple qui nous a été confié. Je me souviens d’une fois, parlant avec un prêtre qui se trouvait comme vous sur une terre où les chrétiens sont une minorité, il me racontait que la prière du « Notre Père » avait acquis en lui un écho spécial parce que, en priant au milieu de personnes d’autres religions, il ressentait avec force les paroles « donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour ». La prière d’intercession du missionnaire pour ce peuple, qui d’une certaine manière lui avait été confié, non pas pour l’administrer mais pour l’aimer, le conduisait à prier cette prière avec un ton et un goût spécial. Le consacré, le prêtre porte à son autel, dans sa prière la vie de ses compatriotes et maintient vivante, comme à travers une petite brèche dans cette terre, la force vivifiante de l’Esprit.

Comme il est beau de savoir que, en divers lieux de cette terre, dans vos voix, la création peut implorer et continuer à dire : « Notre Père ».

C’est donc un dialogue qui devient prière et que nous pouvons réaliser concrètement tous les jours au nom « de la “fraternité humaine” qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux. Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d’intégrisme et de division, par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes » (Document sur la fraternité humaine, Abu Dhabi, 4 février 2019). Une prière qui ne fait pas de distinction, ne sépare pas et ne marginalise pas, mais qui se fait l’écho de la vie du prochain ; prière d’intercession qui est capable de dire au Père : « Que ton Règne vienne ». Non pas par la violence, non pas par la haine, ni par la suprématie ethnique, religieuse, économique, mais par la force de la compassion répandue sur la Croix pour tous les hommes. C’est l’expérience vécue par la majorité d’entre vous.

Je remercie Dieu pour ce que vous avez fait, comme disciples de Jésus Christ, ici au Maroc, en trouvant chaque jour dans le dialogue, dans la collaboration et dans l’amitié, les instruments pour semer avenir et espérance. Ainsi vous démasquez et réussissez à mettre en évidence toutes les tentatives d’utiliser les différences et l’ignorance pour semer la peur, la haine et le conflit. Parce que nous savons que la peur et la haine, nourries et manipulées, déstabilisent et laissent spirituellement sans défense nos communautés.

Je vous encourage, sans autre désir que de rendre visible la présence et l’amour du Christ qui s’est fait pauvre pour nous pour nous enrichir de sa pauvreté (cf. 2 Co 8,9) : continuez à vous faire proches de ceux qui sont souvent laissés de côté, des petits et des pauvres, des prisonniers et des migrants. Que votre charité se fasse toujours active et soit ainsi un chemin de communion entre les chrétiens de toutes les confessions présentes au Maroc : l’œcuménisme de la charité. Qu’elle puisse être aussi un chemin de dialogue et de coopération avec nos frères et sœurs musulmans et avec toutes les personnes de bonne volonté. La charité, spécialement envers les plus faibles, est la meilleure opportunité que nous avons pour continuer à travailler en faveur d’une culture de la rencontre. Qu’elle soit enfin ce chemin qui permette d’aller, sous le signe de la fraternité, vers les personnes blessées, éprouvées, empêchées de se reconnaître membres de l’unique famille humaine. Comme disciples de Jésus Christ, dans ce même esprit de dialogue et de coopération, ayez toujours à cœur d’apporter votre contribution au service de la justice et de la paix, de l’éducation des enfants et des jeunes, de la protection et de l’accompagnement des personnes âgées, des faibles, des handicapés et des opprimés.

Je vous remercie encore vous tous, frères et sœurs, pour votre présence et pour votre mission ici au Maroc. Merci pour votre présence humble et discrète, à l’exemple de nos anciens dans la vie consacrée, parmi lesquels je veux saluer la doyenne, sœur Ersilia. A travers toi, chère sœur, j’adresse un salut cordial aux sœurs et aux frères âgés qui, en raison de leur état de santé, ne sont pas présents physiquement mais sont unis à nous par la prière.

Vous tous, vous êtes des témoins d’une histoire qui est glorieuse parce qu’elle est une histoire de sacrifices, d’espérance, de lutte quotidienne, de vie consumée dans le service, de constance dans le travail fatigant, parce que tout travail est à la sueur du front. Mais permettez-moi de vous dire aussi : « Vous n’avez pas seulement à vous rappeler et à raconter une histoire glorieuse, mais vous avez à construire une grande histoire ! Regardez vers l’avenir, où l’Esprit vous envoie » (Exhort apost. postsyn. Vita consecrata, n. 110), pour continuer à être un signe vivant de cette fraternité à laquelle le Père nous a appelés, sans volontarisme ni résignation, mais comme des croyants qui savent que le Seigneur nous précède toujours et ouvre des espaces d’espérance là où quelque chose ou quelqu’un semblait perdu.

Que le Seigneur bénisse chacun de vous, et à travers vous les membres de toutes vos communautés. Que son Esprit vous aide à porter des fruits en abondance : des fruits de dialogue, de justice, de paix, de vérité et d’amour pour qu’ici, sur cette terre aimée de Dieu, grandisse la fraternité humaine. Et, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci.

Et maintenant, mettons-nous sous la protection de la Vierge Marie, en récitant l’Angélus. [00535-FR.01] [Texte original: Italien]

Église en Sortie 29 mars 2019

Cette semaine à Église en Sortie, on s’entretient avec le père dominicain Timothy Radcliffe o.p. sur plusieurs sujets d’actualité. Dans cette entrevue, Francis Denis aborde avec ce théologien de renom des enjeux actuels tels que l’environnement, la crise des abus sexuels dans l’Église, le transhumanisme, les tensions mondiales entre local et le global, les communications, la place des jeunes dans l’Église et l’espérance chrétienne. Dans la deuxième partie de l’émission, nous vous présentons un reportage sur le Colloque « Les chrétiens et l’école : quelles options ? » organisé par l’Observatoire Justice et Paix en collaboration avec le Magazine Le Verbe au Montmartre canadien de Québec.

Église en Sortie 22 mars 2019

Cette semaine à Église en Sortie, on s’entretient avec la pianiste de renommée internationale Anne-Marie Dubois sur son parcours de pianiste classique et ses récitals spirituels commentés sur la vie de saints ou d’autres thématiques spirituelles. On vous présente un extrait du plus récent documentaire de Francis Denis intitulé « L’appel de l’Unité ». Dans la troisième partie d’émission, on reçoit le père Pierre Charland OFM pour parler des nouveautés de la Province du Saint-Esprit de l’Ordre des Franciscains au Canada.

Église en Sortie 15 mars 2019

Cette semaine à Église en Sortie, on s’entretient avec l’abbé Marc Girard, théologien, exégète et professeur invité à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. On vous présente un reportage sur la première québécoise du film « Les filles au Moyen âge » organisée par le magazine Le Verbe au théâtre Gesù de Montréal. Dans la troisième partie de l’émission, Francis Denis poursuit son entretien avec l’abbé Marc Girard au sujet du livre « Quarante mille pages un trésor spirituel : Soeur Rose-Anna Martel a.m.j. (1905-2000) ».

Message du pape François pour le carême 2019

Vous trouverez ci-dessous le texte complet du Message du pape François pour le Carême 2019 (CNS photo/Stefano Rellandini, Reuters):

«La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Rm 8,19)

Chers frères et sœurs,
Chaque année, Dieu, avec le secours de notre Mère l’Eglise, « accorde aux chrétiens de se préparer aux fêtes pascales dans la joie d’un cœur purifié » (Préface de Carême 1) pour qu’ils puissent puiser aux mystères de la rédemption, la plénitude offerte par la vie nouvelle dans le Christ. Ainsi nous pourrons cheminer de Pâques en Pâques jusqu’à la plénitude du salut que nous avons déjà reçue grâce au mystère pascal du Christ : « Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance » (Rm 8,24). Ce mystère de salut, déjà à l’œuvre en nous en cette vie terrestre, se présente comme un processus dynamique qui embrasse également l’Histoire et la création tout entière. Saint Paul le dit : « La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu » (Rm8,19). C’est dans cette perspective que je souhaiterais offrir quelques points de réflexion pour accompagner notre chemin de conversion pendant le prochain carême.

1. La rédemption de la Création

La célébration du Triduum pascal de la passion, mort et résurrection du Christ, sommet de l’année liturgique, nous appelle, chaque fois, à nous engager sur un chemin de préparation, conscients que notre conformation au Christ (cf. Rm 8,29) est un don inestimable de la miséricorde de Dieu.

Si l’homme vit comme fils de Dieu, s’il vit comme une personne sauvée qui se laisse guider par l’Esprit Saint (cf. Rm 8,14) et sait reconnaître et mettre en œuvre la loi de Dieu, en commençant par celle qui est inscrite en son cœur et dans la nature, alors il fait également du bien à la Création, en coopérant à sa rédemption. C’est pourquoi la création, nous dit Saint Paul, a comme un désir ardent que les fils de Dieu se manifestent, à savoir que ceux qui jouissent de la grâce du mystère pascal de Jésus vivent pleinement de ses fruits, lesquels sont destinés à atteindre leur pleine maturation dans la rédemption du corps humain. Quand la charité du Christ transfigure la vie des saints – esprit, âme et corps –, ceux-ci deviennent une louange à Dieu et, par la prière, la contemplation et l’art, ils intègrent aussi toutes les autres créatures, comme le confesse admirablement le « Cantique des créatures » de saint François d’Assise (cf. Enc. Laudato Sì, n. 87). En ce monde, cependant, l’harmonie produite par la rédemption, est encore et toujours menacée par la force négative du péché et de la mort.

2. La force destructrice du péché

En effet, lorsque nous ne vivons pas en tant que fils de Dieu, nous mettons souvent en acte des comportements destructeurs envers le prochain et les autres créatures, mais également envers nous-mêmes, en considérant plus ou moins consciemment que nous pouvons les utiliser selon notre bon plaisir. L’intempérance prend alors le dessus et nous conduit à un style de vie qui viole les limites que notre condition humaine et la nature nous demandent de respecter. Nous suivons alors des désirs incontrôlés que le Livre de la Sagesse attribue aux impies, c’est-à-dire à ceux qui n’ont pas Dieu comme référence dans leur agir, et sont dépourvus d’espérance pour l’avenir (cf. 2,1-11). Si nous ne tendons pas continuellement vers la Pâque, vers l’horizon de la Résurrection, il devient clair que la logique du « tout et tout de suite », du « posséder toujours davantage » finit par s’imposer.

La cause de tous les maux, nous le savons, est le péché qui, depuis son apparition au milieu des hommes, a brisé la communion avec Dieu, avec les autres et avec la création à laquelle nous sommes liés avant tout à travers notre corps. La rupture de cette communion avec Dieu a également détérioré les rapports harmonieux entre les êtres humains et l’environnement où ils sont appelés à vivre, de sorte que le jardin s’est transformé en un désert (cf. Gn 3,17-18). Il s’agit là du péché qui pousse l’homme à se tenir pour le dieu de la création, à s’en considérer le chef absolu et à en user non pas pour la finalité voulue par le Créateur mais pour son propre intérêt, au détriment des créatures et des autres.

Quand on abandonne la loi de Dieu, la loi de l’amour, c’est la loi du plus fort sur le plus faible qui finit par s’imposer. Le péché qui habite dans le cœur de l’homme (cf. Mc 7, 20-23) – et se manifeste sous les traits de l’avidité, du désir véhément pour le bien-être excessif, du désintérêt pour le bien d’autrui, et même souvent pour le bien propre – conduit à l’exploitation de la création, des personnes et de l’environnement, sous la motion de cette cupidité insatiable qui considère tout désir comme un droit, et qui tôt ou tard, finira par détruire même celui qui se laisse dominer par elle.

3. La force de guérison du repentir et du pardon

C’est pourquoi la création a un urgent besoin que se révèlent les fils de Dieu, ceux qui sont devenus “une nouvelle création” : « Si donc quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né » (2 Co 5,17). En effet, grâce à leur manifestation, la création peut elle aussi « vivre » la Pâque : s’ouvrir aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle (cf. Ap 21,1). Le chemin vers Pâques nous appelle justement à renouveler notre visage et notre cœur de chrétiens à travers le repentir, la conversion et le pardon afin de pouvoir vivre toute la richesse de la grâce du mystère pascal.

Cette “impatience ”, cette attente de la création, s’achèvera lors de la manifestation des fils de Dieu, à savoir quand les chrétiens et tous les hommes entreront de façon décisive dans ce “labeur” qu’est la conversion. Toute la création est appelée, avec nous, à sortir « de l’esclavage de la dégradation, pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (Rm 8,21). Le carême est un signe sacramentel de cette conversion. Elle appelle les chrétiens à incarner de façon plus intense et concrète le mystère pascal dans leur vie personnelle, familiale et sociale en particulier en pratiquant le jeûne, la prière et l’aumône.

Jeûner, c’est-à-dire apprendre à changer d’attitude à l’égard des autres et des créatures : de la tentation de tout “ dévorer” pour assouvir notre cupidité, à la capacité de souffrir par amour, laquelle est capable de combler le vide de notre cœur. Prier afin de savoir renoncer à l’idolâtrie et à l’autosuffisance de notre moi, et reconnaître qu’on a besoin du Seigneur et de sa miséricorde.Pratiquer l’aumône pour se libérer de la sottise de vivre en accumulant toute chose pour soi dans l’illusion de s’assurer un avenir qui ne nous appartient pas. Il s’agit ainsi de retrouver la joie du dessein de Dieu sur la création et sur notre cœur, celui de L’aimer, d’aimer nos frères et le monde entier, et de trouver dans cet amour le vrai bonheur.

Chers frères et sœurs, le « carême » du Fils de Dieu a consisté à entrer dans le désert de la création pour qu’il redevienne le jardin de la communion avec Dieu, celui qui existait avant le péché originel (cf. Mc 1,12-13 ; Is 51,3). Que notre Carême puisse reparcourir le même chemin pour porter aussi l’espérance du Christ à la création, afin qu’« elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, puisse connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu » (cf. Rm 8,21). Ne laissons pas passer en vain ce temps favorable ! Demandons à Dieu de nous aider à mettre en œuvre un chemin de vraie conversion. Abandonnons l’égoïsme, le regard centré sur nous-mêmes et tournons-nous vers la Pâque de Jésus : faisons-nous proches de nos frères et sœurs en difficulté en partageant avec eux nos biens spirituels et matériels. Ainsi, en accueillant dans le concret de notre vie la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, nous attirerons également sur la création sa force transformante.

Du Vatican, le 4 octobre 2018 Fête de Saint François d’Assise.

[00312-FR.01] [Texte original: Français]

Testo in lingua inglese

FRANÇOIS

Sur la route du diocèse de Chicoutimi (2e partie)

Dans cet épisode de « Sur la route des diocèses », Francis Denis vous présente la deuxième partie de son escale dans le diocèse de Chicoutimi à la rencontre de ces visages qui forment le peuple de Dieu dans cette région du Québec. Après avoir retracé les différentes étapes de l’histoire de ce diocèse, Francis Denis nous fait découvrir les services pastoraux qui parsèment son territoire. Que ce soit par sa présence paroissiale auprès des peuples autochtones, ses sanctuaires, son engagement social ou sa présence auprès des jeunes, le diocèse de Chicoutimi est pleinement engagé et disponible aux motions de l’Esprit Saint qui ne cessent de surprendre.

Discours du pape François aux bénévoles des JMJs 2019

(Photo:VaticanMedia) Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François tel que prononcé lors de la rencontre avec les jeunes bénévoles des Journées mondiales de la jeunesse 2019 au Panama:

Chers volontaires
Discours du Saint-Père

Avant de terminer ces Journées Mondiales de la Jeunesse, j’ai voulu me retrouver avec vous tous, pour vous remercier, chacun de vous, du service qui a été accompli durant ces jours et dans les derniers mois qui ont précédés ces Journées.

Merci à Bartosz, à Stella Maris del Carmen et à Maria Margarida pour le partage de leurs expériences de première main. Comme il est important de les écouter et de se rendre compte de la communion qui est engendrée quand nous nous unissons pour servir les autres. Nous expérimentons comment la foi acquiert une saveur et une force complètement nouvelles : elle devient plus vivante, dynamique et réelle. On fait l’expérience d’une joie différente pour avoir eu l’opportunité de travailler côte à côte avec les autres pour réaliser un rêve commun. Je sais que vous avez tous vécu cela.

Vous savez maintenant comment le cœur palpite quand on vit une mission, non pas parce que quelqu’un vous l’a dit, mais parce que vous l’avez vécu. Vous avez touché dans votre propre vie qu’« il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15,13).

Vous avez eu à vivre aussi des moments durs qui ont exigé l’un ou l’autre sacrifice. Comme tu nous as dit, Bartosz, on expérimente aussi ses propres faiblesses. La bonne chose, c’est que ces faiblesses ne t’ont pas arrêté dans ton dévouement, ni ne sont devenues l’essentiel et le plus important. Tu en as fait l’expérience dans le service, oui ; en essayant de comprendre et de servir les autres volontaires et les pèlerins, oui ; mais tu as eu le courage que cela ne te freine pas, ne te paralyse pas, tu es allé de l’avant. Ainsi c’est la beauté de nous savoir envoyés, la joie de savoir que par-dessus tous les inconvénients nous avons une mission qui nous porte de l’avant. Ne pas laisser les limites, les faiblesses, y compris les péchés, nous freiner et nous empêcher de vivre la mission, parce que Dieu nous invite à faire ce que nous pouvons et à demander ce que nous ne pouvons pas, en sachant que son amour nous prend et nous transforme de manière progressive (cf. Exhort. Ap. Gaudete et exsultate, n.49-50). Tu as mis le service et la mission à la première place, le reste, tu verras, viendra en plus.

Merci à tous, parce qu’en ces jours, vous avez été attentifs et ouverts jusqu’aux plus petits, quotidiens, et apparemment insignifiants détails, comme offrir un verre d’eau, et, en même temps, vous vous êtes occupés de choses plus importantes qui requièrent beaucoup de planification. Vous avez préparé chaque détail avec joie, créativité et engagement, et avec beaucoup de prière. Parce que les choses priées sont ressenties avec profondeur. La prière donne une épaisseur et une vitalité à tout ce que nous faisons. En priant, nous découvrons que nous faisons partie d’une famille plus grande que ce que nous pouvions voir et imaginer. En priant, « nous ouvrons le jeu » à l’Eglise qui nous soutient et nous accompagne du ciel, aux saints et aux saintes qui ont marqué notre chemin, mais surtout « nous ouvrons le jeu » à Dieu.

Vous avez voulu consacrer votre temps, votre énergie, vos moyens à rêver et à construire cette rencontre. Vous pourriez parfaitement avoir choisi d’autres choses, mais vous avez voulu vous engager. Donner le meilleur de soi-même, pour rendre possible le miracle de la multiplication non seulement des pains mais de l’espérance. Ici, une fois de plus, vous avez montré qu’il est possible de renoncer à ses propres intérêts en faveur des autres. Comme tu l’as fait toi aussi, Stella Maris, qui as rassemblé pesos après pesos pour pouvoir participer aux JMJ à Cracovie, mais qui as renoncé à y aller pour payer les obsèques de tes trois grands-parents. Tu as renoncé à participer à quelque chose qui te plaisait et dont tu avais rêvé, afin de pouvoir aider et accompagner ta famille, pour honorer tes racines ; et le Seigneur, sans que tu l’attendes ni ne le penses, te préparait le cadeau des JMJ qui allaient venir dans ton pays. Comme Stella Maris, beaucoup d’entre vous ont réalisé des renoncements de tout type. Vous avez eu à reporter les rêves de prendre soin de votre terre, de vos racines. Cela le Seigneur le bénit toujours, et il ne se laisse pas vaincre par la générosité. Chaque fois que nous renonçons à quelque chose qui nous plaît pour le bien des autres et spécialement des plus fragiles, ou de nos racines comme le sont nos grands-parents et les anciens, le Seigneur nous le rend à cent pour un. Parce que dans la générosité personne ne peut le battre, et dans l’amour personne ne peut le surpasser. Mes amis : donnez et il vous sera donné, et vous connaitrez comment le Seigneur « versera dans le pan de votre vêtement une mesure bien pleine, tassée, secouée et débordante » (Lc 6,38).

Vous avez fait une expérience de foi plus vivante, plus réelle ; vous avez vécu la force qui naît de la prière et une joie différente, fruit du travail côte à côte, y compris avec des personnes que vous ne connaissiez pas. Maintenant vient le moment de l’envoi : allez et racontez, allez et témoignez, allez et transmettez ce que vous avez vu et entendu. Tout cela, chers amis, donnez-le à connaître. Non pas avec beaucoup de paroles mais, comme vous l’avez fait ici, avec des gestes simples et quotidiens, ceux qui transforment et rendent chaque heure nouvelle.

Demandons au Seigneur sa bénédiction. Qu’il bénisse vos familles et vos communautés et toutes les personnes que vous allez rencontrer et croiser dans un avenir proche. Mettons-nous également sous le manteau de la Vierge Sainte. Qu’elle vous accompagne toujours. Et comme je vous l’ai dit à Cracovie, je ne sais pas si je serai aux prochaines JMJ, mais Pierre y sera assurément et il vous confirmera dans la foi. Continuez d’avancer, avec audace et courage, et s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi. Merci beaucoup.

Discours du pape François aux évêques d’Amérique centrale


À 11h15 heure locale, le pape François a rencontré les évêques d’Amérique centrale en l’église Saint-François d’Assise. Il fut accueilli à l’entrée de l’église par le Cardinal José Luis Lacunza Maestrojuán, S.Excl. Mgr José Domingo Ulloa o.s.a., archevêque de Panama city, S.Excl. José Luis Escobar Alas, archevêque de San Salvador et président du Secrétariat épiscopal pour l’Amérique latine (SEDAC) et qui réunit les évêques du Panama, Salvador, Costa Rica, Guatemala, Honduras et du Nicaragua. Après un mot de bienvenue du président du SEDAC, le Pape François a prononcé son discours. À la fin de la rencontre, après avoir remercié le Cardinal, les cinq évêques du SEDAC et la séance photo, le pape est retourné à la Nonciature. Vous trouverez ci-dessous le texte de ce discours aux évêques d’Amérique centrale:

Chers frères:
Merci à Mgr José Luis Escobar Alas, archevêque de San Salvador, pour les paroles de bienvenue qu’il m’a adressées au nom de tous. Je me réjouis de pouvoir vous rencontrer et échanger avec vous, de manière plus familière et directe, sur les aspirations, les projets et les idées despasteurs à qui le Seigneur a confié le soin de son peuple saint.

Merci pour l’accueil fraternel.

Pouvoir me retrouver avec vous est aussi « m’offrir » l’opportunité de pouvoir étreindre et me sentir plus proche de vos peuples, de pouvoir faire miens leurs désirs, leurs découragements aussi et, surtout, cette foi « courageuse » qui sait stimuler l’espérance et faciliter la charité. Merci de me permettre de me rapprocher de cette foi éprouvée mais simple du visage pauvre de votre peuple qui sait que « Dieu est présent, qu’il ne dort pas, qu’il agit, observe et aide » (Saint Oscar Romero,Homélie, 16 décembre 1979).

Cette rencontre nous rappelle un évènement ecclésial de grande importance. Les pasteurs de cette région furent les premiers à créer en Amérique un organisme de communion et de participation qui a donné – et continue toujours à donner – des fruits abondants. Je fais référence auSecrétariat Épiscopal d’Amérique Centrale (SEDAC). Un espace de communion, de discernement et d’engagement qui nourrit, revitalise et enrichit vos églises. Des pasteurs qui ont su anticiper et donner un signe qui, loin d’être un élément seulement programmatique, a indiqué comment l’avenir de l’Amérique Centrale – et de n’importe quelle région dans le monde – passe nécessairement par la lucidité et la capacité à élargir le regard, à unir les efforts dans un travail patient et généreux d’écoute, de compréhension, de dévouement et de don, et à pouvoir ainsi discerner les nouveaux horizons vers lesquels l’Esprit nous conduit[1] (cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n.235).

Durant les 75 années depuis sa fondation, le SEDAC s’est efforcé de partager les joies et les tristesses, les luttes et les espérances des peuples d’Amérique Centrale, dont l’histoire est liée à celle de votre peuple fidèle et l’a forgée. Beaucoup d’hommes et de femmes, de prêtres, de personnes consacrées et de laïcs ont offert leur vie jusqu’à verser leur sang pour maintenir vive la voix prophétique de l’Église face à l’injustice, à l’appauvrissement de tant de personnes et à l’abus de pouvoir. Ils nous rappellent que « celui qui veut vraiment rendre gloire à Dieu par sa vie, celui qui désire réellement se sanctifier pour que son existence glorifie le Saint, est appelé à se consacrer,à s’employer, et à s’évertuer à essayer de vivre les œuvres de miséricorde » (Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n.107). Et cela, non pas comme une aumône mais comme une vocation.

Parmi les fruits prophétiques de l’Église en Amérique Centrale, je me réjouis de mentionner la figure de saint Oscar Romero, que j’ai eu le privilège de canoniser récemment dans le contexte du Synode des Évêques sur les jeunes. Sa vie et son enseignement sont une source permanente d’inspiration pour nos Églises et, d’une manière particulière, pour nous-mêmes, évêques.

La devise qu’il a choisie pour son blason épiscopal et qui se trouve sur sa pierre tombale, exprime de manière claire son principe inspirateur et ce qu’a été sa vie de pasteur : « Sentir avec l’Église ». Une boussole qui a orienté sa vie dans la fidélité, y compris dans les moments les plustroublés.

C’est un héritage qui peut se transformer en témoignage actif et vivifiant pour nous-mêmes, également appelés au don du martyr dans le service quotidien de nos peuples, et je voudrais m’appuyer sur cet héritage pour la réflexion que je tiens à partager avec vous. Je sais qu’il en est parmi nous qui l’ont connu en personne – comme le cardinal Rosa Chavez – c’est pourquoi, Éminence, si vous pensez que je me trompe avec telle ou telle appréciation, vous pouvez me corriger. Recourir à la figure de Romero, c’est invoquer la sainteté et le caractère prophétique qui vit dans l’ADN de vos églises particulières.

Sentir avec l’Église

1. Reconnaissance et gratitude

Quand saint Ignace propose les principes pour sentir avec l’Église, il cherche à aider celui qui fait les Exercices à dépasser tout type de fausses dichotomies ou d’antagonismes qui réduisentla vie de l’Esprit à la tentation habituelle d’adapter la Parole de Dieu à son intérêt personnel. Ainsi il rend possible pour celui qui fait les Exercices la grâce de se sentir et de se savoir faire partie d’uncorps apostolique plus grand que lui-même et, en même temps, avec la conscience réelle de ses forces et de ses potentialités : ni faible, ni sélectif ou téméraire. Se sentir partie d’un tout, qui sera toujours plus que la somme des parties (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n.235) et qui est uni à une Présence qui toujours le dépassera (cf. Exhort. ap. Gaudete et exsultate, n.8).

D’où le fait que je souhaite axer ce premier Sentir avec l’Eglise de saint Oscar, comme une action de grâce et une reconnaissance pour tant de bien reçu, non mérité. Romero a pu rejoindre et apprendre à vivre l’Eglise parce qu’il aimait tendrement celle qui l’avait engendré dans la foi. Sans cet amour venu de ses entrailles, il serait plus difficile de comprendre son histoire et sa conversion, puisque ce fut ce même amour qui l’a conduit jusqu’au don du martyr ; cet amour qui naît de l’accueil d’un don totalement gratuit, qui ne nous appartient pas et qui nous libère de toute prétention et de toute tentation de nous en croire propriétaires et uniques interprètes. Nous n’avons pas inventé l’Église, elle n’est pas née avec nous et elle continuera sans nous. Une telle attitude, loin de nous abandonner à la paresse, éveille une insondable et inimaginable reconnaissance qui nourrit tout. Le martyre n’est pas synonyme de pusillanimité ou de l’attitude de celui qui n’aime pas la vieet qui ne sait pas reconnaître la valeur de celle-ci. Au contraire, le martyr est celui qui est capable de lui donner chair et de vivre concrètement cette action de grâce.

Romero a senti avec l’Église parce que, en premier lieu, il a aimé l’Église comme une mère qui l’a engendré dans la foi et qu’il s’est senti membre et partie d’elle.

2. Un amour au goût de peuple

Cet amour, adhésion et reconnaissance, l’a conduit à étreindre avec passion, mais égalementavec dévouement et réflexion, tout l’apport et le renouveau magistériel que le Concile Vatican II a proposé. Là, il a trouvé l’assurance de vivre la suite du Christ. Il ne fut ni idéologue ni idéologique ;son action est née d’une intégration des documents conciliaires. Illuminé par cet horizon ecclésial,sentir avec l’Église est pour Romero la contempler comme Peuple de Dieu. Parce que le Seigneur n’a pas voulu nous sauver isolément hors de tout lien mutuel, mais il a voulu former un peuple qui le confesse en vérité et le serve dans la sainteté (cf. Const. Dogm. Lumen Gentium, n.9). Un Peuple qui possède, garde et célèbre « l’onction du Saint » (ibid. n.12) et auprès duquel Romero se mettaità l’écoute pour ne pas repousser Son inspiration (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 16 juillet 1978). Ainsi il nous montre que le pasteur, pour chercher et trouver le Seigneur, doit apprendre à écouter le pouls de son peuple, sentir « l’odeur » des hommes et des femmes d’aujourd’hui jusqu’à reste imprégné de leurs joies et de leurs espérances, de leurs tristesses et de leurs angoisses (cf. Const. dogm. Gaudium et spes, n.1) et ainsi scruter la Parole de Dieu (cf. Const. dogm. Dei Verbum, n.13).Une écoute du peuple qui lui a été confié, jusqu’à respirer et découvrir à travers lui la volonté de Dieu qui nous appelle (cf. Discours durant la rencontre pour les familles, 4 octobre 2014). Sans dichotomie ou faux antagonismes, parce que seul l’amour de Dieu est capable d’intégrer tous nos amours dans un même sentir et un même regard.

Pour lui, en définitive, sentir avec l’Église, c’est participer à la gloire de l’Église qui est de porter dans ses entrailles toute la kénose du Christ. Dans l’Église, le Christ vit parmi nous et, pour cette raison, elle doit être humble et pauvre, parce qu’une Église hautaine, une Église pleine d’orgueil, une Église autosuffisante, n’est pas l’Église de la kénose (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 1er octobre 1978).

3. Porter dans ses entrailles la kénose du Christ

Cela n’est pas seulement la gloire de l’Église, mais aussi une vocation, une invitation à être notre gloire personnelle et notre chemin de sainteté. La kénose du Christ n’est pas de l’histoire ancienne mais une garantie actuelle pour sentir et découvrir sa présence agissante dans l’histoire. Présence que nous ne pouvons pas ni ne voulons taire, parce nous savons et nous avons faitl’expérience que Lui seul est « Chemin, Vérité et Vie ». La kénose du Christ nous rappelle que Dieu sauve dans l’histoire, dans la vie de chaque homme, que c’est également sa propre histoire et que là il vient à notre rencontre (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 7 décembre 1978). C’est important, frères, que nous n’ayons pas peur de toucher et de nous approcher des blessures de notre peuple, qui sont aussi nos blessures, et de le faire à la manière du Seigneur. Le pasteur ne peut pas rester éloigné de la souffrance de son peuple ; de plus, nous pourrions dire que le cœur du pasteur se juge à sacapacité à se laisser toucher face à tant de vies blessées et menacées. Le faire à la manière du Seigneur signifie laisser cette souffrance frapper et marquer nos priorités et nos préférences, l’emploi du temps et l’utilisation de l’argent, y compris la manière de prier, pour pouvoir oindre tout et tous avec la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, dans une communauté de foi qui contient et ouvre un horizon toujours nouveau qui donne sens et espérance à la vie (cf. Exhort. ap.Evangelii gaudium, n.49). La kénose du Christ implique d’abandonner la virtualité de l’existence et des discours pour écouter le bruit et la rengaine des personnes réelles qui nous défie de créer des liens. Et permettez-moi de vous le dire : les réseaux servent à créer des liens mais pas des racines, ils sont incapables de nous donner une appartenance, de nous faire sentir partie d’un même peuple. Sans ce sentir, toutes nos paroles, nos réunions, nos rencontres, et nos écrits seront le signe d’une foi qui n’a pas su accompagner la kénose du Seigneur, une foi qui est restée à mi-chemin.

La kénose du Christ est jeune

Ces Journées Mondiales de la Jeunesse sont une occasion unique pour sortir à la rencontre et s’approcher davantage de la réalité de nos jeunes, pleins d’espérance et de désirs, mais aussi profondément marqués par tant de blessures. Avec eux, nous pourrons déchiffrer, de manière renouvelée, notre époque et reconnaître les signes des temps parce que, comme l’ont affirmé les pères synodaux, les jeunes sont un des « lieux théologiques » dans lesquels le Seigneur nous donne à connaître certaines de ses attentes et de ses défis pour construire demain (cf. Synode sur les Jeunes,doc. fin., n.64). Avec eux, nous pouvons imaginer comment rendre plus visible et plus crédible l’Évangile dans le monde où nous devons vivre ; ils sont comme un thermomètre pour savoir où nous en sommes comme communauté et comme société.

Ils portent avec eux une inquiétude que nous devons valoriser, respecter, accompagner, et qui nous fait tant de bien à tous parce qu’elle nous bouscule et nous rappelle que le pasteur ne cesse jamais d’être disciple et qu’il est en chemin. Cette saine inquiétude nous met en mouvement et nous devance. Comme l’ont rappelé les pères synodaux en disant : « les jeunes, à certains égards, sont en avance sur leurs pasteurs » (ibid., n.66). Nous devons être comblés de joie de constater comment le semis n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Beaucoup de leurs préoccupations et deleurs intuitions ont grandi dans le cadre familial, alimentées par une grand-mère ou une catéchiste, ou dans le cadre de la paroisse, de la pastorale éducative ou des jeunes. Préoccupations qui ontgrandi dans une écoute de l’Evangile et dans des communautés à la foi vive et fervente qui trouve une terre où germer. Comment ne pas remercier les jeunes soucieux pour l’Évangile ! Cette réalité nous stimule à un plus grand engagement pour les aider à grandir, en leur offrant plus et de meilleurs espaces qui les engendrent au rêve de Dieu. L’Eglise par nature est Mère et comme telle, elle engendre et fait éclore la vie en la protégeant de tout ce qui menace son développement. Gestation de la liberté et pour la liberté. Je vous invite donc à promouvoir des programmes et des centres éducatifs qui sachent accompagner, soutenir et renforcer vos jeunes ; des jeunes « récupérés » dans la rue, avant que la culture de mort, « en leur vendant de la fumée » et des solutions magiques, ne s’empare et ne profite de leur esprit. Et faites-le non pas avec paternalisme, du haut vers le bas,parce que ce n’est pas ce que le Seigneur nous demande, mais comme des pères, comme de frères à frères. Ils sont le visage du Christ pour nous, et nous ne pouvons pas aller au Christ du haut vers le bas, mais du bas vers le haut (cf. S. Oscar Romero, Homélie, 2 septembre 1979).

Ils sont nombreux les jeunes qui ont été douloureusement séduits par des réponsesimmédiates qui hypothèquent la vie. Les pères synodaux nous l’ont dit : par durcissement ou parmanque d’alternatives, ils se trouvent plongés dans des situations très conflictuelles qui n’ont pas desolution à court terme : violence domestique, homicides contre les femmes – quel fléau vit notre continent à ce sujet ! –, bandes armées et criminelles, trafic de drogue, exploitation sexuelle desmineurs et de non mineurs, etc., et ça fait mal de constater qu’à la racine de beaucoup de cessituations, se trouve une expérience d’orphelin, fruit d’une culture et d’une société qui est partie « dans tous les sens ». Des foyers brisés tant de fois par un système économique qui n’a pas comme priorité les personnes et le bien commun et qui a fait de la spéculation « son paradis » d’où il continue à « s’engraisser », sans se soucier aux dépens de qui. Ainsi nos jeunes sans domicile, sans famille,sans communauté, sans appartenance, sont à découvert pour le premier escroc.

N’oublions pas que « la véritable souffrance qui sort de l’homme appartient en premier lieuà Dieu » (Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne ). Ne séparons pas ce que Lui a voulu unir en son Fils.

Demain exige de respecter le présent, en rendant dignes et en s’obstinant à valoriser les cultures de vos peuples. Là aussi se joue la dignité : dans la fierté culturelle. Vos peuples ne sont pas « l’arrière-cour » de la société, ni de personne. Ils ont une histoire riche qui doit être assumée, valorisée et confortée. Les semences du Royaume ont été plantées dans cette terre. Nous avons le devoir de les reconnaître, de veiller sur elles, de les protéger, pour que rien de ce que Dieu a plantéde bon ne se dessèche à cause d’intérêts illégitimes qui, en tous lieux, sèment la corruption et sedéveloppent avec l’exploitation des plus pauvres. Prendre soin des racines, c’est prendre soin duriche patrimoine historique, culturel et spirituel que cette terre durant des siècles a su « métisser ». Obstinez-vous et élevez la voix contre la désertification culturelle et spirituelle de vos peuples, qui provoque une indigence radicale puisqu’elle les laisse sans cette indispensable immunité vitale qui soutient la dignité dans les moments de plus grande difficulté.

Dans votre dernière lettre pastorale, vous avez affirmé : « Dernièrement, notre région a été impactée par la migration vécue d’une manière nouvelle, parce qu’elle est massive et organisée, et qu’elle a mis en évidence les raisons qui en font une migration forcée avec les risques qu’elle implique pour la dignité de la personne humaine » (SEDAC, Message au Peuple de Dieu et à toutes les personnes de bonne volonté, 30 novembre 2018).

Beaucoup de migrants ont un visage jeune, ils recherchent un bien plus grand pour leurs familles, ils n’ont pas peur de risquer et de tout laisser, afin de leur offrir le minimum de conditions qui leur garantissent un avenir meilleur. A ce sujet, il ne suffit pas seulement de dénoncer, mais nous devons annoncer concrètement une « bonne nouvelle ». L’Église, grâce à son universalité, peut offrir cette hospitalité fraternelle et accueillante, pour que les communautés d’origine et celles d’accueil dialoguent et contribuent à dépasser les peurs et les méfiances, et consolident les liens queles migrations, dans l’imaginaire collectif, menacent de rompre. « Accueillir, protéger, promouvoir et intégrer » peuvent être les quatre verbes avec lesquels l’Église, dans cette situation migratoire, conjugue sa maternité dans l’aujourd’hui de l’histoire (cf. Synode sur les jeunes, Doc. fin., n.147).

Tous les efforts que vous pouvez accomplir pour jeter des ponts entre les communautés ecclésiales, paroissiales, diocésaines, ainsi que par l’intermédiaire des Conférences épiscopales, seront un geste prophétique de l’Église qui dans le Christ est « le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Cons. dogm. Lumen gentium, n.1). Ainsi latentation d’en rester à la seule dénonciation se dissipe et se fait annonce de la Vie nouvelle que le Seigneur nous offre.

Rappelons-nous l’exhortation de saint Jean : « Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui ? Petits enfants, n’aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3, 17-18).

Toutes ces situations posent des questions, elles sont des situations qui nous appellent à la conversion, à la solidarité et à une action éducative qui pénètre dans nos communautés. Nous ne pouvons pas rester indifférents (cf. Synode sur les jeunes, Doc. fin., n.41-44). Le monde exclut, nous le savons et nous en souffrons ; la kénose du Christ n’exclut pas, nous en avons fait l’expérience et nous continuons d’en faire l’expérience dans notre propre chair avec le pardon et laconversion. Cette tension nous oblige à nous interroger continuellement : où voulons-nous nous arrêter ?

La kénose du Christ est sacerdotale

L’impact qu’a eu le meurtre du P. Rutilio Grande dans la vie de Mgr Romero est connu, ainsi que l’amitié qu’il lui portait. Ce fut un évènement qui a marqué au fer son cœur d’homme, de prêtre et de pasteur. Romero n’était pas un administrateur de ressources humaines, il ne gérait pasdes personnes ni des organismes, il sentait avec l’amour d’un père, d’un ami et d’un frère. Une barre un peu haute, mais une barre dans le but d’évaluer notre cœur épiscopal, une barre face àlaquelle nous pouvons nous interroger : quand est-ce que je suis affecté par la vie de mes prêtres ? Quand suis-je capable de me laisser toucher par ce qu’ils vivent, de pleurer de leurs souffrances, ainsi que de fêter leurs joies et de m’en réjouir ? Le fonctionnalisme et le cléricalisme ecclésial – si tristement répandus et qui représentent une caricature et une perversion du ministère – commencentà être évalués par ces questions. Il n’est pas question de changement de style, de manière ou de langage – tout cela est important certainement –, mais surtout, il est question de l’impact et de la capacité de nos agendas épiscopaux à avoir de l’espace pour recevoir, accompagner et soutenir nos prêtres, un « espace réel » pour nous occuper d’eux. C’est ce qui fait de nous des pères féconds.

C’est à eux normalement qu’incombe de manière spéciale la responsabilité de faire que ce peuple soit le peuple de Dieu. Ils sont sur la ligne de tir. Ils portent sur leurs épaules le poids du jour et de la chaleur (cf. Mt 20,12), ils sont exposés à une multitude de situations quotidiennes qui peuvent les rendre plus vulnérables et, pour cette raison, ils ont besoin également de notre proximité, de notre compréhension et de notre encouragement, de notre paternité. Le résultat du travail pastoral, de l’évangélisation dans l’Église et de la mission, ne repose pas sur la richesse des ressources et des moyens matériels, ni sur le nombre d’évènements ou d’activités que nous réalisons, mais sur la centralité de la compassion : une des plus grandes marques distinctives que nous puissions offrir comme Église à nos frères. La kénose du Christ est l’expression maximale de la compassion du Père. L’Église du Christ est l’Église de la compassion, et cela commence à lamaison. Il est toujours bon de nous interroger comme pasteurs : quel impact a en moi la vie de mes prêtres ? Suis-je capable d’être un père ou bien est-ce que je me console d’être un simple exécutant ? Est-ce que je me laisse déranger ? Je me rappelle les paroles de Benoît XVI au début de son pontificat, s’adressant à ses compatriotes : « Le Christ ne nous a pas promis une vie facile. Celui qui cherche la facilité avec Lui, s’est trompé de chemin. Lui, il nous montre la voie qui nous conduit vers de grandes choses, vers le bien, vers une vie humaine authentique » (Benoît XVI,Discours aux pèlerins allemands, 25 avril 2005).

Nous savons que notre travail, dans les visites et les rencontres que nous accomplissons –surtout dans les paroisses – ont une dimension et une composante administrative qu’il est nécessaire de réaliser. S’assurer que cela se fait, oui, mais cela ne veut pas et ne voudra pas dire que nous devions utiliser le temps limité en tâches administratives. Dans les visites, l’essentiel et ce que nous ne pouvons pas déléguer, c’est « l’oreille ». Il y a beaucoup de choses que nous faisons tous les jours et que nous devrions confier à d’autres. Ce que nous ne pouvons pas confier, en revanche, c’est la capacité d’écouter, la capacité de suivre l’état de santé et la vie de nos prêtres. Nous ne pouvons pas déléguer à d’autres la porte ouverte à leur intention. Porte ouverte qui crée les conditions permettant la confiance plus que la peur, la sincérité plus que l’hypocrisie, l’échange franc et respectueux plus que le monologue disciplinaire.

Je me rappelle ces paroles de Rosmini : « Il ne fait aucun doute que seuls les grands hommes peuvent former d’autres grands hommes […] Dans les premiers siècles, la maison de l’évêque c’était le séminaire des prêtres et des diacres. La présence et la vie sainte de leur prélat s’avérait êtreune leçon brûlante, continue, sublime, dans laquelle on apprenait conjointement la théorie dans ses doctes paroles et la pratique dans ses occupations pastorales assidues. Et ainsi on voyait grandir le jeune Athanase auprès d’Alexandre » (Antonio Rosmini, Les cinq plaies de la sainte Eglise, p.63).

Il est important que le prêtre trouve le père, le pasteur dans lequel « se regarder », et non pas l’administrateur qui veut « passer les troupes en revue « . Il est fondamental, avec toutes les choses sur lesquelles nous sommes en désaccord, y compris les différends et les débats qui peuvent exister (et il est normal et attendu qu’ils existent), que les prêtres perçoivent dans l’évêque un homme capable de se risquer et de s’engager pour eux, de les faire avancer et d’être une main tendue quand ils sont enlisés. Un homme de discernement qui sache orienter et trouver des chemins concrets et praticables aux différents carrefours de chaque histoire personnelle.

Le mot autorité étymologiquement vient de la racine latine « augere » qui signifie augmenter, promouvoir, faire progresser. L’autorité du pasteur consiste en particulier à aider à grandir, à promouvoir ses prêtres, plus qu’à se promouvoir lui-même – cela un célibataire le fait –. La joie dupère/pasteur est de voir que ses fils ont grandi et qu’ils ont été féconds. Frères, que cela soit notre autorité et le signe de notre fécondité.

La kénose du Christ est pauvre

Frères, sentir avec l’Église, c’est sentir avec le peuple fidèle, le peuple souffrant et espérant en Dieu. C’est savoir que notre identité ministérielle nait et se comprend à la lumière de cette appartenance unique et constitutive de notre être. Dans ce sens, j’aimerais vous rappeler ce que saint Ignace nous écrivait aux jésuites : « la pauvreté est une mère et un mur », elle engendre et elle contient. Mère parce qu’elle nous invite à la fécondité, à engendrer, à être capables de donner, chose impossible d’un cœur avare et qui cherche à accumuler. Et un mur parce qu’elle nous protège de l’une des tentations les plus subtiles à laquelle nous sommes confrontés, nous les consacrés, à savoir la mondanité spirituelle : c’est-à-dire, revêtir de valeurs religieuses et « pieuses » l’appât du pouvoir et le fait de vouloir se mettre en avant, la vanité, y compris l’orgueil et l’arrogance.

Un mur et une mère qui nous aident à être une Église qui soit toujours plus libre parce qu’elle est centrée sur la kénose de son Seigneur. Une Eglise qui ne veut pas que sa force soit – comme l’a dit Mgr Romero –dans le soutien des puissants ou de la politique, mais résulte de la noblesse à cheminer uniquement dans les bras du crucifié, qui est sa véritable force. Et cela se traduit en signes concrets et visibles, cela nous remet en question et nous pousse à un examen de conscience sur nos options et nos priorités dans l’utilisation des ressources, des influences et des positionnements. La pauvreté est une mère et une barrière parce qu’elle garde notre cœur pour qu’il ne glisse pas vers des concessions et des engagements qui affaiblissent la liberté et la « parresia” de ce à quoi le Seigneur nous appelle.

Frères, avant de terminer, mettons-nous sous le manteau de la Vierge, prions ensemble pour qu’elle garde notre cœur de pasteurs et nous aide à mieux servir le Corps de son Fils, le saint Peuple fidèle de Dieu qui chemine, vit et prie ici en Amérique Centrale.

Que Jésus vous bénisse et que la Vierge vous garde. Et, s’il vous plait, n’oubliez pas de prier pour moi.

Merci beaucoup. _____________________

[1] Je veux rendre présente la mémoire de pasteurs qui, mus par leur zèle pastoral et leur amour de l’Église, ont donnévie à cet organisme ecclésial, comme Mgr Luis Chavez y Gonzalez, archevêque de San Salvador, et Mgr VictorSanabria, archevêque de San José de Costa Rica, parmi d’autres.

[00112-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Message du pape François pour la Journée mondiale des Communications sociales 2019

Vous trouverez ci-dessous le Message du Pape François pour la 53e Journée Mondiale des Communications sociale et qui sera célébré cette année lors de la Solennité de l’Ascension de notre Seigneur le 2 juin 2019. Chaque année, le Vatican publie son message en la mémoire de saint François de Sales, patron des journalistes, le 24 janvier.

«Nous sommes membres les uns des autres» (Ép. 4,25).
Des communautés de réseaux sociaux à la communauté humaine

Chers frères et sœurs,
depuis l’avènement de l’Internet, l’Église a toujours cherché à en promouvoir l’utilisation au service de la rencontre entre les personnes et de la solidarité entre tous. Avec ce Message, je voudrais vous inviter une fois de plus à réfléchir sur le fondement et l’importance de notre être-en- relation et à redécouvrir, dans l’immensité des défis du contexte actuel de la communication, le désir de l’homme qui ne veut pas rester dans sa solitude.

Les métaphores du “réseau” et de la “communauté”

L’environnement des médias est aujourd’hui tellement envahissant qu’on ne peut le distinguer de la sphère de la vie quotidienne. Le réseau est un atout de notre temps. C’est une source de connaissances et de relations naguère impensables. De nombreux experts, cependant, à propos des transformations profondes imprimées par la technologie aux logiques de production, de circulation et d’utilisation des contenus, soulignent également les risques qui menacent la recherche et le partage d’une information authentique à l’échelle globale. Si l’Internet représente une possibilité extraordinaire d’accès au savoir, il est également vrai qu’il s’est avéré l’un des lieux les plus exposés à la désinformation et à la distorsion consciente et ciblée des faits et des relations interpersonnelles, qui souvent prennent la forme de discrédit.

Il faut reconnaître que les réseaux sociaux, s’ils servent d’une part à nous relier davantage, à nous permettre de nous retrouver et de nous entraider, de l’autre ils se prêtent aussi à une manipulation de données personnelles, visant à obtenir des avantages politiques ou économiques, sans le respect dû à la personne et à ses droits. Parmi les plus jeunes, les statistiques révèlent qu’un sur quatre est mêlé à des épisodes de cyber-harcèlement. [1]

Dans la complexité de ce contexte, il peut être utile de réfléchir à nouveau sur la métaphore du réseau mis initialement à la base de l’Internet, pour en redécouvrir le potentiel positif. L’image du réseau nous invite à réfléchir sur la multiplicité des parcours et des nœuds qui en assurent la solidité, en l’absence d’un centre, d’une structure hiérarchique, d’une organisation de type vertical. Le réseau fonctionne grâce à la coparticipation de tous les éléments.

Ramenée à la dimension anthropologique, la métaphore du réseau rappelle une autre figure riche de significations: celle de la communauté. Une communauté est d’autant plus forte qu’elle est cohésive et solidaire, animée par des sentiments de confiance et poursuivant des objectifs partagés. La communauté comme réseau solidaire requiert l’écoute mutuelle et le dialogue, basé sur l’utilisation responsable du langage.

Il est évident pour tous que, dans le contexte actuel, la communauté des réseaux sociauxn’est pas automatiquement synonyme de communauté. Dans le meilleur des cas, les communautésréussissent à montrer cohésion et solidarité, mais elles ne restent souvent que des agrégats d’individus qui se reconnaissent autour d’intérêts ou d’arguments caractérisés par des liens faibles. En outre, dans le Web social trop souvent l’identité est basée sur l’opposition à l’autre, à l’étranger au groupe: on se définit à partir de ce qui divise plutôt que de ce qui unit, laissant cours à la suspicion et à l’explosion de toute sorte de préjugés (ethniques, sexuels, religieux et autres). Cette tendance alimente des groupes qui excluent l’hétérogénéité, qui nourrissent, également dans l’environnement numérique, un individualisme effréné qui finit parfois par fomenter des spirales de haine. Ce qui devrait être une fenêtre sur le monde devient ainsi une vitrine dans laquelle exhiber le propre narcissisme.

Le réseau est une occasion pour promouvoir la rencontre avec les autres, mais il peut également renforcer notre auto-isolement, telle une toile d’araignée susceptible de piéger. Les enfants se trouvent les plus exposés à l’illusion que le Web social puisse pleinement les satisfaire au plan relationnel, jusqu’au phénomène dangereux des jeunes « ermites sociaux » qui courent le risque de se rendre complètement étranger à la société. Cette dynamique dramatique révèle une faille sérieuse dans le tissu relationnel de la société, une lacération que nous ne pouvons ignorer.

Cette réalité multidimensionnelle et insidieuse pose diverses questions de caractère éthique, sociale, juridique, politique, économique, et interpelle aussi l’Église. Tandis que les gouvernements cherchent des voies de réglementation légale pour sauver la vision originelle d’un réseau libre, ouvert et sécurisé, nous avons tous la possibilité et la responsabilité d’en favoriser une utilisation positive.

Il est clair qu’il ne suffit pas de multiplier les connexions pour faire augmenter également la compréhension mutuelle. Comment retrouver, par conséquent, la vraie identité communautaire en ayant conscience de la responsabilité que nous avons les uns envers les autres aussi sur le réseau en ligne ?

“Nous sommes membres les uns des autres”

Une réponse possible peut être esquissée à partir d’une troisième métaphore, celle du corps et des membres, que Saint Paul utilise pour parler de la relation de réciprocité entre les personnes, fondée dans un organisme qui les unit. « Débarrassez-vous donc du mensonge, et dites la vérité, chacun à son prochain, parce que nous sommes membres les uns des autres. » (Ep 4,25). Être membres les uns des autres est la motivation profonde avec laquelle l’Apôtre exhorte à se débarrasser du mensonge et à dire la vérité: l’obligation de garder la vérité découle de la nécessité de ne pas nier la relation réciproque de la communion. La vérité, en fait, se révèle dans la communion. Le mensonge au contraire est un refus égoïste de reconnaître la propre appartenance au corps; c’est le refus de se donner aux autres, perdant ainsi la seule voie de se retrouver soi-même.

La métaphore du corps et des membres nous amène à réfléchir sur notre identité, qui est basée sur la communion et sur l’altérité. Comme chrétiens, nous nous reconnaissons tous membres de l’unique corps dont le Christ est la tête. Cela nous aide à ne pas voir les personnes comme des concurrents potentiels, mais à considérer même les ennemis comme des personnes. Il n’y a plus besoin de l’adversaire pour se définir soi-même, parce que le regard d’inclusion que nous apprenons du Christ nous fait découvrir l’altérité d’une nouvelle manière, comme partie intégrante et condition de la relation et de la proximité.

Une telle capacité de compréhension et de communication entre les personnes humaines a son fondement dans la communion de l’amour entre les Personnes divines. Dieu n’est pas Solitude, mais Communion; Dieu est Amour, et donc communication, parce que l’amour communique toujours, et bien plus se communique soi-même pour rencontrer l’autre. Pour communiquer avec nous et pour se communiquer à nous Dieu s’adapte à notre langage, établissant dans l’histoire un véritable dialogue avec l’humanité (cf. Conc. Vat. II, Const. dogm. Dei Verbum, 2).

En vertu de notre être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu qui est communion et communication-de-soi, nous portons toujours dans le cœur la nostalgie de vivre en communion, d’appartenir à une communauté. « Rien, en fait – affirme Saint Basile –, n’est plus conforme à notre nature que de nous fréquenter mutuellement, d’avoir besoin les uns des autres ».[2]

Le contexte actuel nous appelle tous à investir dans les relations, à affirmer aussi sur le réseau et à travers le réseau le caractère interpersonnel de notre humanité. À plus forte raison nous, chrétiens, sommes appelés à manifester cette communion qui est la marque de notre identité de croyants. La foi elle-même, en fait, est une relation, une rencontre; et sous la poussée de l’amour de Dieu, nous pouvons communiquer, accueillir et comprendre le don de l’autre et y correspondre.

C’est la communion à l’image de la Trinité qui distingue la personne de l’individu. De la foi en un Dieu qui est Trinité, il découle que, pour être moi-même, j’ai besoin de l’autre. Je suis vraiment humain, vraiment personnel, seulement si je me mets en relation avec les autres. Le terme de personne désigne en fait l’être humain comme « visage », face à l’autre, engagé avec les autres. Notre vie grandit en humanité avec le passage du caractère individuel à celui personnel; l’authentique chemin d’humanisation va de l’individu qui perçoit l’autre comme un rival, à la personne qui le reconnaît comme un compagnon de voyage.

Du “j’aime” à l’“Amen”

L’image du corps et des membres nous rappelle que l’utilisation du Web social est complémentaire de la rencontre en chair et en os, qui vit à travers le corps, le cœur, les yeux, le regard, le souffle de l’autre. Si le réseau est utilisé comme une extension ou comme une attente d’une telle rencontre, alors il ne se trahit pas et demeure une ressource pour la communion. Si une famille utilise le réseau pour être plus connectée, pour ensuite se réunir à table et se regarder dans les yeux, alors c’est une ressource. Si une communauté ecclésiale coordonne sa propre activité à travers le réseau, pour ensuite célébrer l’Eucharistie ensemble, alors c’est une ressource. Si le réseau est une occasion pour se rapprocher des histoires et des expériences de beauté ou de souffrance physiquement loin de moi, pour prier ensemble et ensemble chercher le bien dans la redécouverte de ce qui nous unit, alors c’est une ressource.

Ainsi, nous pouvons passer du diagnostic à la thérapie: en ouvrant le chemin au dialogue, à la rencontre, au sourire, à la caresse… Ceci est le réseau que nous voulons. Un réseau qui n’est pas fait pour piéger, mais pour libérer, pour prendre soin de la communion entre des personnes libres. L’Église elle-même est un réseau tissé par la communion eucharistique, où l’union n’est pas fondée sur « j’aime », mais sur la vérité, sur l’“Amen”, avec lequel chacun adhère au Corps du Christ en accueillant les autres.

Du Vatican, le 24 janvier 2019 Mémoire de Saint François de Sales

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FRANCISCUS

[1] Pour endiguer ce phénomène un Observatoire international sur le cyber-harcèlement sera créé, avec son siège au V atican.
[2] Les Grandes Règles, III, 1: PG 31, 917; cf. Benoit XVI, Message pour la 43ème Journée mondiale des Communications Sociales (2009).

[00134-FR.01] [Texte original: Italien]

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