Discours du pape François lors de la rencontre avec les autorités civiles du Myanmar

CNS photo/Paul Haring

Vous trouverez ci-dessous le discours du pape François avec les autorités civiles tel que prononcé le mardi 28 novembre 2017:

Monsieur le Président,
Honorables Autorités de l’État et Autorités Civiles, Éminence, chers frères dans l’Épiscopat, Distingués Membres du Corps Diplomatique, Mesdames et Messieurs,

Au début de ma présence au Bangladesh, je voudrais vous remercier, Monsieur le Président, de votre aimable invitation à visiter cette Nation et de vos courtoises paroles de bienvenue. Je me trouve ici sur les pas de deux de mes Prédécesseurs, le Pape Paul VI et le Pape Jean-Paul II, à prier avec mes frères et sœurs catholiques et à leur offrir un message d’affection et d’encouragement. Le Bangladesh est un jeune État, pourtant il a toujours eu une place spéciale dans le cœur des Papes, qui dès le début ont exprimé leur solidarité avec son peuple, afin de l’aider à dépasser les difficultés initiales, et qui l’ont soutenu dans la tâche exigeante de construction de la Nation et de son développement. Je suis reconnaissant de l’opportunité de m’adresser à cette assemblée qui réunit des hommes et des femmes avec des responsabilités particulières dans l’élaboration de l’avenir de la société du Bangladesh.

Durant mon vol pour arriver ici, je me suis rappelé que le Bangladesh – “Golden Bengal”- est une nation unie par un vaste réseau fluvial et par des voies d’eau, grandes et petites. Cette beauté naturelle est, je crois, emblématique de votre identité particulière comme peuple. Le Bangladesh est une nation qui s’efforce d’atteindre une unité de langage et de culture avec le respect des différentes traditions et communautés, qui coulent comme tant de ruisseaux et viennent enrichir le grand cours de la vie politique et sociale du pays.

Dans le monde d’aujourd’hui, aucune communauté particulière, nation ou État, ne peut survivre et progresser dans l’isolement. En tant que membres de l’unique famille humaine, nous avons besoin les uns des autres et nous sommes dépendants les uns des autres. Le Président, Sheikh Mujibur Rahman, a compris et cherché à incorporer ce principe dans la Constitution nationale. Il a imaginé une société moderne, pluraliste et inclusive, dans laquelle chaque personne et chaque communauté pourrait vivre dans la liberté, la paix et la sécurité, avec le respect de la dignité innée et de l’égalité des droits de tous. L’avenir de cette jeune démocratie et la santé de sa vie politique sont essentiellement liés à la fidélité à cette vision fondatrice. En effet, c’est seulement à travers un dialogue sincère et le respect de la légitime diversité, qu’un peuple peut réconcilier les divisions, dépasser les perspectives unilatérales et reconnaître la valeur des points de vue divergents. Parce que le vrai dialogue est tourné vers l’avenir, celui-ci construit l’unité dans le service du bien commun et il est attentif aux besoins de tous les citoyens, en particulier des pauvres, des défavorisés et de ceux qui n’ont pas de voix.

Au cours des derniers mois, l’esprit de générosité et de solidarité, signes caractéristiques de la société du Bangladesh, a été observé de manière très vive dans son élan humanitaire en faveur des réfugiés arrivés en masse de l’État de Rakhine, leur procurant un abri temporaire et les premières nécessités pour vivre. Ce résultat a été obtenu avec beaucoup de sacrifices. Cela a aussi été fait sous les yeux du monde entier. Aucun d’entre nous ne peut manquer d’être conscient de la gravité de la situation, de l’immense coût imposé par les souffrances humaines et les conditions de vie précaires de si nombreux de nos frères et sœurs, dont la majorité sont des femmes et des enfants, rassemblés dans des camps de réfugiés. Il est nécessaire que la communauté internationale mette en œuvre des mesures décisives face à cette grave crise, non seulement en travaillant pour résoudre les questions politiques qui ont conduit à ce déplacement massif de personnes, mais aussi en offrant une assistance matérielle immédiate au Bangladesh dans son effort pour répondre efficacement aux besoins humains urgents.

Bien que ma visite soit principalement destinée à la Communauté catholique du Bangladesh, ma rencontre, demain, à Ramma avec les Responsables œcuméniques et interreligieux sera un moment privilégié. Ensemble nous prierons pour la paix et nous réaffirmerons notre engagement à travailler pour la paix. Le Bangladesh est connu pour l’harmonie qui a traditionnellement existé entre les adeptes de diverses religions. Cette atmosphère de respect mutuel et un climat grandissant de dialogue interreligieux permettent aux croyants d’exprimer librement leurs plus profondes convictions sur la signification et sur le but de la vie. Ainsi ils peuvent contribuer à promouvoir les valeurs spirituelles qui sont la base solide pour une société juste et pacifique. Dans un monde où la religion est souvent –scandaleusement – mal utilisée pour fomenter des divisions, ce genre de témoignage, de son pouvoir de réconciliation et d’union est plus que jamais nécessaire. Celui-ci s’est manifesté d’une manière particulièrement éloquente dans la réaction commune d’indignation qui a suivi la violente attaque terroriste de l’année dernière ici à Dhaka, et dans le message clair envoyé par les autorités religieuses de la nation pour qui le saint nom de Dieu ne peut jamais être invoqué pour justifier la haine et la violence contre les autres êtres humains, nos semblables.

Les catholiques du Bangladesh, bien que relativement peu nombreux, cherchent néanmoins à exercer un rôle constructif dans le développement de la nation, spécialement à travers leurs écoles, leurs cliniques et leurs dispensaires. L’Église apprécie la liberté, dont bénéficie toute la nation, de pratiquer sa propre foi et d’accomplir ses propres œuvres caritatives, dont celle d’offrir aux jeunes, qui représentent l’avenir de la société, une éducation de qualité et un exercice de saines valeurs éthiques et humaines. Dans ses écoles, l’Église cherche à promouvoir une culture de la rencontre qui rendra les élèves capables d’assumer leurs propres responsabilités dans la vie de la société. En effet, la grande majorité des étudiants et bon nombre des enseignants dans ces écoles ne sont pas chrétiens, mais proviennent d’autres traditions religieuses. Je suis sûr que, conformément à la lettre et à l’esprit de la Constitution nationale, la Communauté catholique continuera à jouir de la liberté de poursuivre ces bonnes œuvres comme l’expression de son engagement pour le bien commun.

Monsieur le Président, chers amis,
Je vous remercie de votre attention et je vous assure de ma prière, afin que dans vos nobles

responsabilités vous soyez toujours inspirés par les grands idéaux de justice et de service envers vos concitoyens. J’invoque volontiers sur vous et sur tout le peuple du Bangladesh les bénédictions divines d’harmonie et de paix.

[01796-FR.01] [Texte original: Italien]

Discours du pape François lors de la rencontre avec les évêques du Myanmar

Vous trouverez ci-dessous le texte du discours du pape François lors de la rencontre avec les évêques du Myanmar:

Eminence,
chers frères Evêques,

Cette journée a été, pour nous tous, bien remplie, mais de grande joie! Ce matin nous avons célébré l’Eucharistie avec les fidèles venant de toutes les parties du pays, et dans l’après-midi nous avons rencontré les leaders de la communauté bouddhiste majoritaire. J’aimerais que notre rencontre ce soir soit un moment de sereine gratitude pour ces bénédictions, et de tranquille réflexion sur les joies et sur les défis de votre ministère de Pasteurs du troupeau du Christ dans ce pays. Je remercie Monseigneur Felix [Lian Khen Thang] pour les paroles de salutation qu’il m’a adressées en votre nom; je vous embrasse tous dans le Seigneur avec grande affection.

Je voudrais rassembler mes pensées autour de trois paroles: guérison, accompagnement et prophétie.

La première, guérison. L’Évangile que nous prêchons est surtout un message de guérison, de réconciliation et de paix. Par le sang du Christ sur la croix, Dieu a réconcilié le monde avec lui et il nous a envoyés pour être des messagers de cette grâce qui guérit. Ici, au Myanmar, ce message a une résonnance particulière, étant donné que le pays travaille à vaincre des divisions profondément enracinées et à construire l’unité nationale. Vos troupeaux portent les traces de ce conflit, et ils ont produit de valeureux témoins de la foi et des antiques traditions. Pour vous, la prédication de l’Évangile ne doit donc pas être seulement une source de consolation et de force, mais aussi un appel à favoriser l’unité, la charité et la guérison dans la vie du peuple. L’unité que nous partageons et célébrons naît de la diversité. Elle valorise les différences entre les personnes en tant que source d’enrichissement mutuel et de croissance: elle les invite à se retrouver ensemble, dans une culture de la rencontre et de la solidarité.

Dans votre ministère épiscopal, puissiez-vous faire constamment l’expérience de la conduite et de l’aide du Seigneur dans l’engagement à favoriser la guérison et la communion à tout niveau de la vie de l’Église, de sorte que le saint Peuple de Dieu, par son exemple de pardon et d’amour qui réconcilie, puisse être sel et lumière pour les cœurs qui aspirent à cette paix que le monde ne peut donner. La communauté catholique au Myanmar peut être fière de son témoignage prophétique d’amour pour Dieu et le prochain qui s’exprime dans l’engagement pour les pauvres, pour ceux qui sont privés de droits et surtout, ces temps-ci, pour tant de déplacés qui, pour ainsi dire, gisent blessés au bord de la route. Je vous demande de transmettre mes remerciements à tous ceux qui, comme le bon Samaritain, se dévouent avec générosité pour leur porter, ainsi qu’au prochain dans le besoin, le baume de la guérison, sans tenir compte de la religion ou de l’ethnie.

Votre ministère de guérison trouve une expression particulière dans l’engagement pour le dialogue œcuménique et pour la collaboration interreligieuse. Je prie afin que vos continuels efforts pour construire des ponts de dialogue et pour vous unir aux adeptes d’autres religions en tissant des relations de paix produisent des fruits abondants pour la réconciliation dans la vie du pays. La conférence de paix interreligieuse qui s’est tenue à Yangon le printemps dernier a été un témoignage important, devant le monde, de la détermination des religions à vivre en paix et à rejeter tout acte de violence et de haine perpétré au nom de la religion.

Ma deuxième parole pour vous ce soir est accompagnement. Un bon pasteur est constamment présent à son troupeau, il marche à ses côtés en le conduisant. Comme j’aime le dire, le Pasteur devrait porter l’odeur des brebis. De nos jours, nous sommes appelés à être une “Eglise en sortie” pour porter la lumière du Christ à toute périphérie (cf. Evangelii gaudium, n. 20). En tant qu’Évêques, vos vies et votre ministère sont appelés à se configurer à cet esprit d’engagement missionnaire, surtout par des visites pastorales régulières aux paroisses et aux communautés qui forment vos Églises locales. Ceci est un moyen privilégié pour accompagner, comme des pères aimants, vos prêtres dans leur engagement quotidien à faire grandir le troupeau en sainteté, fidélité et esprit de service.

Par la grâce de Dieu, l’Église au Myanmar a hérité d’une foi solide et d’un fervent souffle missionnaire, grâce à l’œuvre de ceux qui ont porté l’Évangile en cette terre. Sur ces fondements stables, et en communion avec les prêtres et les religieux, continuez à imprégner les laïcs d’un authentique esprit de disciple missionnaire, et à rechercher une sage inculturation du message évangélique dans la vie quotidienne et dans les traditions de vos communautés locales. La contribution des catéchistes est, à cet égard, essentielle. Leur enrichissement par la formation doit rester pour vous une priorité.

Par-dessus tout, je voudrais vous demander un engagement spécial dans l’accompagnement des jeunes. Occupez-vous de leur formation aux sains principes moraux qui les guideront pour affronter les défis d’un monde en changement rapide. Le prochain Synode des Évêques regardera non seulement ces aspects, mais il interpellera directement les jeunes, en écoutant leurs histoires et en les impliquant dans le discernement commun pour une meilleure proclamation de l’Évangile dans les années à venir. Une des grandes bénédictions de l’Église au Myanmar est sa jeunesse et, en particulier, le nombre de séminaristes et de jeunes religieux. Dans l’esprit du Synode, s’il vous plaît, impliquez-les et soutenez-les dans leur parcours de foi, parce qu’ils sont appelés, à travers leur idéalisme et leur enthousiasme, à être des évangélisateurs joyeux et convaincants des jeunes de leur âge.

Ma troisième parole pour vous est prophétie. L’Église au Myanmar témoigne tous les jours de l’Évangile par ses œuvres éducatives et caritatives, sa défense des droits humains, son soutien aux principes démocratiques. Puissiez-vous mettre la communauté catholique dans les conditions de continuer à avoir un rôle constructif dans la vie de la société, en faisant entendre votre voix sur les questions d’intérêt national, particulièrement en insistant sur le respect de la dignité et des droits de tous, et de manière spéciale des plus pauvres et des plus vulnérables. J’ai confiance que la stratégie pastorale quinquennale, que l’Église a mise en œuvre, dans le contexte plus vaste de la construction de l’État, portera des fruits abondants, non seulement pour l’avenir des communautés locales, mais aussi du pays tout entier. Je fais référence spécialement à la nécessité de protéger l’environnement et d’assurer une correcte utilisation des riches ressources naturelles du pays au bénéfice des générations à venir. La garde du don divin de la création ne peut pas être séparée d’une saine écologie humaine et sociale. En effet «La protection authentique de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres» (Laudato si’, n.70).

Chers frères Évêques, je remercie Dieu pour ce moment de communion et je prie pour que le fait d’être ensemble nous renforce dans notre engagement à être des pasteurs fidèles et des serviteurs du troupeau que le Christ nous a confié. Je sais que votre ministère est prenant et que, avec vos prêtres, vous peinez souvent sous «le poids du jour et de la chaleur» (Mt 20, 12). Je vous exhorte à maintenir un équilibre pour votre santé, tant physique que spirituelle, et à penser, paternellement, à la santé de vos prêtres. Surtout, je vous encourage à grandir chaque jour dans la prière et dans l’expérience de l’amour réconciliant de Dieu, car c’est la base de votre identité sacerdotale, la garantie de la solidité de votre prédication et la source de la charité pastorale avec laquelle vous conduisez le Peuple de Dieu sur les sentiers de la sainteté et de la vérité. Avec grande affection j’invoque la grâce du Seigneur sur vous, sur les prêtres, les religieux et sur tous les laïcs de vos Églises locales. Je vous demande, s’il vous plaît, de ne pas oublier de prier pour moi.

[01794-FR.01] [Texte original: Italien]

Allocution du pape François lors de la rencontre avec le Conseil des moines bouddhistes de Sangha

Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’allocution du pape François lors de la rencontre avec le Conseil des moines bouddhistes de Sangha:

C’est une grande joie pour moi d’être avec vous. Je remercie le Vénérable Bhaddanta Kumarabivamsa, Président du Comité d’État Sangha Maha Nayaka, pour ses paroles de bienvenue et pour ses efforts dans l’organisation de ma visite ici aujourd’hui. En vous saluant tous, j’exprime mon appréciation particulière pour la présence de Son Excellence Thura Aung Ko, Ministre pour les Affaires Religieuses et la Culture.

Notre rencontre est une occasion importante pour renouveler et renforcer les liens d’amitié et de respect entre bouddhistes et catholiques. C’est aussi une opportunité pour affirmer notre engagement pour la paix, le respect de la dignité humaine et la justice pour chaque homme et chaque femme. Non seulement au Myanmar, mais aussi dans le monde entier, les personnes ont besoin de ce témoignage commun de la part des leaders religieux. Car, quand nous parlons d’une seule voix en affirmant la valeur pérenne de la justice, de la paix et de la dignité fondamentale de chaque être humain, nous offrons une parole d’espérance. Nous aidons les bouddhistes, les catholiques et toutes les personnes à lutter pour une plus grande harmonie dans leurs communautés.

À toute époque, l’humanité fait l’expérience d’injustices, de moments de conflits et d’inégalité entre les personnes. En notre temps-même, ces difficultés semblent être particulièrement graves. Même si la société a accompli un grand progrès technologique et si les personnes dans le monde sont toujours plus conscientes de leur commune humanité et de leur destin commun, les blessures des conflits, de la pauvreté et de l’oppression subsistent, et créent de nouvelles divisions. Face à ces défis, nous ne devons jamais nous résigner. Sur les bases de nos traditions spirituelles respectives, nous savons en effet qu’il existe une voie pour aller de l’avant, qu’il existe un chemin qui conduit à la guérison, à la compréhension mutuelle et au respect. Une voie fondée sur la compassion et sur l’amour.

Je désire exprimer mon estime à tous ceux qui au Myanmar vivent selon les traditions religieuses du Bouddhisme. À travers les enseignements du Bouddha, et le témoignage zélé de si nombreux moines et moniales, les gens de cette terre ont été formés aux valeurs de la patience, de la tolérance et du respect de la vie, ainsi qu’à une spiritualité attentive à notre environnement naturel et profondément respectueuse de celui-ci. Comme nous le savons, ces valeurs sont essentielles pour un développement intégral de la société, à partir de la plus petite mais de la plus fondamentale unité, la famille, pour s’étendre ensuite aux réseaux de relations qui nous mettent en étroite connexion – relations enracinées dans la culture, dans l’appartenance ethnique et nationale, mais en dernière analyse enracinées dans l’appartenance à une commune humanité. Dans une véritable culture de la rencontre, ces valeurs peuvent renforcer nos communautés et aider à répandre la lumière si nécessaire à l’ensemble de la société.

Le grand défi de nos jours est d’aider les personnes à s’ouvrir au transcendant. Être capables de regarder profondément à l’intérieur de soi et de se connaître soi-même de manière à reconnaître l’interconnexion réciproque entre toutes les personnes. Se rendre compte que nous ne pouvons pas rester isolés les uns des autres. Si nous devons être unis, et c’est là notre propos, il est nécessaire de dépasser toutes les formes d’incompréhension, d’intolérance, de préjugé et de haine. Comment pouvons-nous le faire? Les paroles du Bouddha offrent à chacun de nous un guide: «Élimine la colère avec l’absence de colère, vaincs le méchant avec la bonté, défais l’avare avec la générosité, vaincs le menteur avec la vérité» (Dhammapada, XVII, 223). La prière attribuée à Saint François d’Assise exprime des sentiments semblables: «Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine que je porte l’amour, là où est l’offense que je porte le pardon… Là où sont les ténèbres que je porte la lumière, et là où est la tristesse que je porte la joie ».

Puisse cette Sagesse continuer à inspirer tout effort pour promouvoir la patience et la compréhension, et pour guérir les blessures des conflits qui au fil des années ont divisé les personnes de diverses cultures, ethnies et convictions religieuses. Ces efforts ne sont jamais seulement les prérogatives des leaders religieux, et ne sont pas de la compétence exclusive de l’État. Bien plutôt, c’est toute la société, tous ceux qui sont présents au sein de la communauté qui doivent participer au travail de dépassement du conflit et de l’injustice. Cependant, c’est la responsabilité particulière des leaders civils et religieux d’assurer que chaque voix soit entendue, afin que les défis et les besoins du moment puissent être clairement compris et confrontés dans un esprit d’impartialité et de solidarité réciproque. J’adresse mes compliments pour le travail que la Panglong Peace Conference réalise à ce propos, et je prie afin que ceux qui guident cet effort puissent continuer à promouvoir une plus grande participation de la part de tous ceux qui vivent au Myanmar. Cela contribuera assurément à l’engagement pour faire avancer la paix, la sécurité et une prospérité qui soit inclusive à tous.

Pour que ces efforts produisent des fruits durables, une plus grande coopération entre les leaders religieux sera certainement, nécessaire. À ce sujet, je désire que vous sachiez que l’Église Catholique est un partenaire disponible. Les opportunités de rencontre et de dialogue entre les leaders religieux représentent un élément important dans la promotion de la justice et de paix au Myanmar. Je suis bien conscient qu’au mois d’avril dernier, la Conférence des Évêques Catholiques a accueilli une rencontre de deux jours sur la paix, à laquelle ont participé les chefs des différentes communautés religieuses, ainsi que des ambassadeurs et des représentants d’agences non gouvernementales. Si nous devons approfondir notre connaissance réciproque et affirmer notre interconnexion et notre destin commun, ces rencontres sont essentielles. La justice authentique et la paix durable peuvent être atteintes seulement quand elles sont garanties à tous.

Chers amis, puissent les Bouddhistes et les Catholiques cheminer ensemble sur ce chemin de guérison, et travailler côte à côte pour le bien de chaque habitant de cette terre. Dans les Écritures chrétiennes, l’Apôtre Paul exhorte ses auditeurs à se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, à pleurer avec ceux qui pleurent (Cf. Rm. 12,15), portant humblement les fardeaux les uns des autres (Cf. Gal. 6,2). Au nom de mes frères et sœurs Catholiques, j’exprime notre disponibilité pour continuer à cheminer avec vous et à semer des graines de paix et de guérison, de compassion et d’espérance sur cette terre.

Je vous remercie à nouveau de m’avoir invité à être ici aujourd’hui avec vous. Sur vous tous, j’appelle la bénédiction divine de la joie et de la paix.

[01793-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du pape François lors de la Messe à Yangon, Myanmar

Vous trouverez ci-dessous l’homélie du pape François telle que prononcée lors de la Messe à Yangon au Myanmar et célébrée en compagnie du CardinalCharles Maung Bo s.d.b.:

Chers frères et sœurs,
avant de venir dans ce pays, j’ai longtemps attendu ce moment. Beaucoup parmi vous sont venus de loin et de régions montagneuses éloignées, quelques-uns aussi à pied. Je suis venu comme un pèlerin pour vous écouter et apprendre de vous, et pour vous offrir quelques paroles d’espérance et de consolation.

La première lecture d’aujourd’hui, du livre de Daniel, nous aide à voir combien la sagesse du roi Balthazar et de ses voyants est limitée. Ils savaient comment louer «leurs dieux d’or et d’argent, de bronze et de fer, de bois et de pierre» (Dn 5, 4), mais ils ne possédaient pas la sagesse pour louer Dieu dans les mains duquel est notre vie et notre souffle. Daniel au contraire, avait la sagesse du Seigneur et il était capable d’interpréter ses grands mystères.

L’interprète définitif des mystères de Dieu est Jésus. Il est la sagesse de Dieu en personne (cf. 1 Co 1, 24). Jésus ne nous a pas enseigné sa sagesse avec de longs discours ou par de grandes démonstrations de pouvoir politique ou terrestre, mais en donnant sa vie sur la croix. Nous pouvons tomber quelquefois dans le piège de faire confiance à notre sagesse elle-même, mais la vérité est que nous pouvons facilement perdre le sens de la direction. À ce moment, il est nécessaire de nous rappeler que nous disposons devant nous d’une boussole sûre, le Seigneur crucifié. Dans la croix, nous trouvons la sagesse, qui peut guider notre vie avec la lumière qui provient de Dieu.

De la croix, vient aussi la guérison. Là, Jésus a offert ses blessures au Père pour nous, les blessures par lesquelles nous sommes guéris (cf. 1 P 2, 24). Que ne nous manque jamais la sagesse de trouver dans les blessures du Christ la source de tout soin ! Je sais qu’au Myanmar beaucoup portent les blessures de la violence, qu’elles soient visibles ou invisibles. La tentation est de répondre à ces blessures avec une sagesse mondaine qui, comme celle du roi dans la première lecture, est profondément faussée. Nous pensons que le soin peut venir de la colère et de la vengeance. La voie de la vengeance n’est cependant pas la voie de Jésus.

La voie de Jésus est radicalement différente. Quand la haine et le refus l’ont conduit à la passion et à la mort, il a répondu par le pardon et la compassion. Dans l’Evangile d’aujourd’hui, le Seigneur nous dit que, comme lui, nous aussi nous pouvons rencontrer le refus et des obstacles, mais que toutefois, il nous donnera une sagesse à laquelle personne ne peut résister (cf. Lc 21, 15). Il parle ici de l’Esprit Saint, par lequel l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs (cf. Rm 5, 5). Avec le don de l’Esprit, Jésus rend capable chacun de nous d’être signes de sa sagesse, qui triomphe sur la sagesse de ce monde, et signes de sa miséricorde, qui apporte aussi soulagement aux blessures les plus douloureuses.

À la veille de sa passion, Jésus s’est donné à ses Apôtres sous les espèces du pain et du vin. Dans le don de l’Eucharistie, nous ne reconnaissons pas seulement avec les yeux de la foi, le don de son corps et de son sang ; nous apprenons aussi comment trouver le repos dans ses blessures, et là être purifiés de tous nos péchés et de nos routes déformées. En prenant refuge dans les blessures du Christ, chers frères et sœurs, vous pouvez goûter le baume apaisant de la miséricorde du Père et trouver la force de le porter aux autres, pour oindre chaque blessure et chaque mémoire douloureuse. De cette manière, vous serez des fidèles témoins de la réconciliation et de la paix, que Dieu désire voir régner dans chaque cœur humain et dans chaque communauté.

Je sais que l’Église au Myanmar fait déjà beaucoup pour porter le baume de guérison de la miséricorde de Dieu aux autres, spécialement à ceux qui en ont le plus besoin. Il y a des signes clairs que, même avec des moyens très limités, de nombreuses communautés proclament l’Évangile à d’autres minorités tribales, sans jamais forcer ou contraindre, mais toujours en invitant et en accueillant. Au milieu d’une grande pauvreté et de difficultés, beaucoup parmi vous offrent concrètement assistance et solidarité aux pauvres et à ceux qui souffrent. À travers l’attention quotidienne de ses évêques, prêtres, religieux et catéchistes, et particulièrement à travers le louable travail de Catholic Karuna Myanmar et de la généreuse assistance fournie par les Œuvres Pontificales missionnaires, l’Église dans ce pays aide un grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants, sans distinction de religion ou de provenance ethnique. Je peux témoigner que l’Église ici est vivante, que le Christ est vivant et qu’il est là, avec vous et avec vos frères et sœurs des autres communautés chrétiennes. Je vous encourage à continuer de partager avec les autres la sagesse sans prix que vous avez reçue, l’amour de Dieu qui jaillit du cœur de Jésus.

Jésus veut donner cette sagesse en abondance. Certainement, il récompensera vos efforts de semer des graines de guérison et de réconciliation dans vos familles, vos communautés et dans la société plus vaste de cette nation. Ne nous a-t-il pas dit que sa sagesse est irrésistible (cf. Lc 21, 15) ? Son message de pardon et de miséricorde utilise une logique que tous ne voudront pas comprendre, et qui rencontrera des obstacles. Cependant son amour, révélé sur la croix est, en dernière analyse, inéluctable. Il est comme un “GPS spirituel”; qui nous guide infailliblement vers la vie intime de Dieu et le cœur de notre prochain.

La Bienheureuse Vierge Marie a suivi aussi son Fils sur la montagne obscure du Calvaire et elle nous accompagne à chaque pas de notre voyage terrestre. Qu’elle puisse, Elle, nous obtenir toujours la grâce d’être des messagers de la véritable sagesse, profondément miséricordieux envers ceux qui sont dans le besoin, avec la joie qui vient du repos dans les blessures de Jésus, qui nous a aimés jusqu’au bout.

Que Dieu vous bénisse tous! Que Dieu bénisse l’Église au Myanmar ! Qu’il bénisse cette terre par sa paix! Que Dieu bénisse le Myanmar!

[01792-FR.01] [Texte original: Italien]

Vidéo des intentions du pape: Témoigner de l’Évangile en Asie

Ce qui m’impressionne le plus au sujet de l’Asie, c’est la diversité de ses populations héritières d’anciennes cultures, religions et traditions . Sur ce continent où l’Eglise est une minorité , le défi à relever est passionnant. Nous devons promouvoir le dialogue entre les religions et les cultures . Le dialogue joue un rôle essentiel dans la mission de l’Eglise en Asie . Prions pour que les chrétiens d’Asie favorisent le dialogue, la paix et la compréhension réciproque, particulièrement avec ceux qui appartiennent à d’autres religions .

Pape François en Colombie: Allocution lors de la Grande rencontre pour la réconciliation nationale

Vous trouverez ci-dessous le texte de l’allocution du pape François lors de la Grande rencontre pour la réconciliation nationale à Villavicencio:

Chers frères et sœurs,
Depuis le premier jour j’ai désiré qu’arrive ce moment de notre rencontre. Vous portez dans vos cœurs et dans votre chair les empreintes de l’histoire vivante et récente de votre peuple, histoire marquée par des événements tragiques mais aussi pleine de gestes héroïques de grande humanité et de haute valeur spirituelle, de foi et d’espérance. Je viens ici avec respect et avec la claire conscience, comme Moïse, de fouler une terre sacrée (cf. Ex 3, 5). Une terre arrosée par le sang de milliers de victimes innocentes et par la douleur déchirante de leurs familles et de leurs proches. Des blessures qu’il coûte de faire cicatriser et qui nous font mal à tous, parce que chaque violence commise contre un être humain est une blessure dans la chair de l’humanité ; chaque mort violente nous diminue en tant que personnes.

Je suis ici non pas tant pour parler moi, mais pour être près de vous et vous regarder dans les yeux, pour vous écouter et ouvrir mon cœur à votre témoignage de vie et de foi. Et, si vous me le permettez, je désirerais aussi vous embrasser et pleurer avec vous, je voudrais que nous prions ensemble et que nous nous pardonnions – moi aussi je dois demander pardon – et qu’ainsi, tous ensemble, nous puissions regarder et aller de l’avant avec foi et espérance.

Nous sommes rassemblés aux pieds du Crucifié de Bojaya, qui, le 2 mai 2002, vit et souffrit le massacre de dizaines de personnes réfugiées dans son église. Cette statue a une forte valeur symbolique et spirituelle. En la regardant nous contemplons non seulement ce qui s’est passé ce jour-là, mais aussi tant de souffrance, tant de mort, tant de vies brisées et tant de sang versé en Colombie ces dernières décennies. Voir le Christ ainsi, mutilé et blessé, nous interpelle. Il n’a plus de bras et il n’a plus de corps, mais il a encore son visage qui nous regarde et qui nous aime. Le Christ brisé et amputé est pour nous encore « davantage le Christ », parce qu’il nous montre, une fois de plus, qu’il est venu pour souffrir pour son peuple et avec son peuple ; et pour nous apprendre aussi que la haine n’a pas le dernier mot, que l’amour est plus fort que la mort et la violence. Il nous apprend à transformer la souffrance en source de vie et de résurrection, pour que, unis à lui et avec lui, nous apprenions la force du pardon, la grandeur de l’amour.

Je remercie nos frères qui ont voulu partager leurs témoignages, au nom de beaucoup d’autres. Combien cela nous fait du bien d’écouter vos histoires ! Je suis bouleversé. Ce sont des histoires de souffrances et d’amertume, mais aussi et surtout, ce sont des histoires d’amour et de pardon qui nous parlent de vie et d’espérance ; de ne pas laisser la haine, la vengeance et la souffrance s’emparer de notre cœur.

L’oracle final du Psaume 85: «Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (v. 11) est postérieur à l’action de grâce et à la supplication où l’on demande à Dieu : Fais-nous revenir ! Merci Seigneur pour le témoignage de ceux qui ont infligé de la souffrance et qui demandent pardon ; de ceux qui ont injustement souffert et qui pardonnent. Cela est possible seulement avec ton aide et ta présence… cela est déjà un très grand signe que tu veux restaurer la paix et la concorde sur cette terre colombienne.

Pastora Mira, tu l’as très bien dit : tu veux déposer toute ta souffrance, et celle de milliers de victimes, aux pieds de Jésus crucifié pour qu’elle soit associée à la sienne et soit ainsi transformée en bénédiction et en capacité de pardon pour briser le cycle de violence qui a prévalu en Colombie. Tu as raison : la violence engendre plus de violence, la haine plus de haine et la mort plus de mort. Nous devons briser cette chaîne qui parait inéluctable, et cela est possible seulement par le pardon et la réconciliation. Et toi, chère Pastora, et beaucoup d’autres comme toi, vous nous avez montré que c’est possible. Oui, avec l’aide du Christ vivant au milieu de la communauté, il est possible de vaincre la haine, il est possible de vaincre la mort, il est possible de recommencer et d’apporter la lumière à une Colombie nouvelle. Merci Pastora ; quel grand bien tu nous fais à tous, aujourd’hui, par le témoignage de ta vie. C’est le crucifié de Bajaya qui t’a donné cette force de pardonner et d’aimer, et pour t’aider à voir, en la chemise que ta fille Sandra Paola avait offerte à ton fils Jorge Anibal, non seulement le souvenir de leur mort, mais aussi l’espérance que la paix triomphe définitivement en Colombie.

Ce qu’a dit Luz Dary dans son témoignage nous bouleverse aussi : les blessures du cœur sont plus profondes et difficiles à guérir que celles du corps. C’est ainsi. Et, ce qui est le plus important, tu t’es rendu compte qu’on ne peut pas vivre de rancœur, que seul l’amour libère et construit. Et de cette manière tu as commencé à guérir aussi les blessures d’autres victimes, à reconstruire leur dignité. Cette sortie de toi-même t’a enrichie, t’a aidé à regarder devant, à trouver la paix et la sérénité, et une raison pour aller de l’avant. Je te remercie pour la béquille que tu m’offres. Bien que tu gardes encore des séquelles physiques de tes blessures, ta marche spirituelle est rapide et sûre parce que tu penses aux autres et tu veux les aider. Cette béquille est un symbole de cette autre béquille plus importante, dont nous avons tous besoin, celle de l’amour et du pardon. Par ton amour et ton pardon tu aides beaucoup de personnes à marcher dans la vie. Merci.

Je veux remercier aussi pour le témoignage éloquent de Deisy et de Juan Carlos. Ils nous ont fait comprendre que tous, en fin de compte, d’une manière ou d’une autre, nous sommes aussi des victimes, innocentes ou coupables, mais tous victimes. Tous unis dans cette perte d’humanité que provoquent la violence et la mort. Deisy l’a dit clairement : tu as compris que toi-même avais été une victime et que tu avais besoin qu’on te donne une chance. Et tu as commencé à réfléchir, et maintenant tu travailles pour aider les victimes et pour que les jeunes ne tombent pas dans les réseaux de la violence et de la drogue. Il y a aussi une espérance pour celui qui a fait le mal ; tout n’est pas perdu. Il est certain que dans cette régénération morale et spirituelle de l’agresseur, la justice doit s’accomplir. Comme l’a dit Deisy, il faut contribuer positivement à guérir cette société qui a été déchirée par la violence.

Il semble difficile d’accepter le changement de ceux qui ont fait appel à la violence cruelle pour promouvoir leurs intérêts, pour protéger leurs commerces illicites et s’enrichir, ou pour, hypocritement, prétendre défendre la vie de leurs frères. C’est certainement un défi pour chacun de nous de croire qu’il puisse y avoir un pas en avant de la part de ceux qui ont infligé des souffrances à des communautés et à un pays tout entier. Il est certain qu’en cet immense champ qu’est la Colombie, il y a de la place encore pour l’ivraie… Soyez attentifs aux fruits… prenez soin du blé, et ne perdez pas la paix à cause de l’ivraie. Le semeur, quand il voit poindre l’ivraie au milieu du blé n’a pas de réactions alarmistes. Il trouve la manière dont la Parabole s’incarnera dans une situation concrète et donnera des fruits de vie nouvelle, bien qu’ils soient en apparence imparfaits ou inachevés (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 24). Même quand perdurent les conflits, la violence ou les sentiments de vengeance, n’empêchons pas la justice et la miséricorde de se rencontrer dans une étreinte que l’histoire de souffrance de la Colombie assumera. Guérissons cette souffrance et accueillons tout être humain qui a commis des délits, les reconnaît, se repent et s’engage à réparer en contribuant à la construction de l’ordre nouveau où brillent la justice et la paix.

Comme l’a laissé entrevoir dans son témoignage Juan Carlos, dans tout ce processus, long, difficile, mais qui donne l’espérance de la réconciliation, il est indispensable aussi d’assumer la vérité. C’est un défi grand mais nécessaire. La vérité est une compagne indissociable de la justice et de la miséricorde. Ensemble, elles sont essentielles pour construire la paix et, d’autre part, chacune d’elle empêche que les autres soient altérées et se transforment en instruments de vengeance sur celui qui est le plus faible. La vérité ne doit pas, de fait, conduire à la vengeance, mais, bien plutôt, à la réconciliation et au pardon. La vérité, c’est de dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité, c’est d’avouer ce qui s’est passé avec les plus jeunes enrôlés par les acteurs violents. La vérité, c’est de reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus.

Je voudrais, enfin, comme frère et comme père, dire : Colombie, ouvre ton cœur de peuple de Dieu et laisse-toi réconcilier. Ne crains pas la vérité ni la justice. Chers Colombiens : n’ayez pas peur de demander ni d’offrir le pardon. Ne résistez pas à la réconciliation pour vous rapprocher, vous rencontrer comme des frères et dépasser les inimitiés. C’est le moment de guérir les blessures, de construire des ponts, d’aplanir les différences. C’est le moment de désactiver les haines, de renoncer aux vengeances, et de s’ouvrir à la cohabitation fondée sur la justice, sur la vérité et sur la création d’une véritable culture de la rencontre fraternelle. Puissions-nous vivre en harmonie et dans la fraternité, comme désire le Seigneur. Demandons à être constructeurs de paix, que là où il y a la haine et le ressentiment, nous mettions l’amour et la miséricorde (cf. Prière attribuée à saint François d’Assise).

Je souhaite déposer toutes ces intentions devant la statue du crucifié, le Christ noir de Bojaya:

Oh, Christ noir de Bojaya,
qui nous rappelles ta passion et ta mort ; avec tes bras et tes pieds
ils t’ont arraché à tes enfants
qui cherchaient refuge en toi.

Oh, Christ noir de Bojaya,
qui nous regardes avec tendresse,
la sérénité règne sur ton visage ;
ton cœur bat aussi
pour nous accueillir dans ton amour.

Oh, Christ noir de Bojaya,
fais que nous nous engagions
à restaurer ton corps. Que nous soyons tes pieds pour sortir à la rencontre
du frère dans le besoin ;
tes bras pour étreindre
celui qui a perdu sa dignité ;
tes mains pour bénir et consoler
celui qui pleure dans la solitude.

Fais que nous soyons témoins
de ton amour et de ton infinie miséricorde.

[01232-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Pape en Colombie: Discours lors de la rencontre avec les évêques

CTV


Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’allocution du pape François aux évêques de Colombie:

La paix soit avec vous !

C’est ainsi que le Ressuscité a salué son petit troupeau après avoir vaincu la mort ; permettez-moi de vous saluer de la même manière au début de mon voyage.

Je remercie pour vos paroles de bienvenue. Je suis heureux parce que mes premiers pas en ce pays me conduisent à vous rencontrer vous, les évêques de la Colombie, pour embrasser en vous toute l’Église colombienne et pour serrer votre peuple contre mon cœur de Successeur de Pierre. Je vous suis très reconnaissant pour votre ministère épiscopal, que je vous prie de continuer à exercer avec une générosité renouvelée. J’adresse une salutation spéciale aux évêques émérites, en les encourageant à continuer de soutenir, par la prière et par la présence discrète, l’Épouse du Christ pour laquelle il se sont généreusement donnés.

Je viens annoncer le Christ et parcourir en son nom un itinéraire de paix et de réconciliation. Le Christ est notre paix ! Il nous a réconciliés avec Dieu et entre nous !

Je suis convaincu que la Colombie a quelque chose d’original qui attire fortement l’attention : elle n’a jamais été un objectif complètement réalisé, ni une destination totalement atteinte, ni un trésor totalement possédé. Sa richesse humaine, ses ressources naturelles luxuriantes, sa culture, sa synthèse chrétienne lumineuse, le patrimoine de sa foi et la mémoire de ses évangélisateurs, la joie gratuite et inconditionnelle de son peuple, le sourire sans prix de sa jeunesse, sa fidélité originale à l’Évangile du Christ et à son Église et, surtout, son courage indomptable à résister à la mort, non seulement annoncée mais bien des fois semée, tout cela se dérobe, disons se cache, à ceux qui se présentent comme des étrangers avides de s’en accaparer, et en revanche, s’offre généreusement à celui qui touche son cœur par la douceur du pèlerin. C’est ainsi qu’est la Colombie !

C’est pourquoi, comme pèlerin, je m’adresse à son Église. Je suis votre frère, désireux de partager le Christ ressuscité pour qui aucun mur n’est éternel, aucune peur n’est indestructible, aucune blessure n’est incurable.

Je ne suis pas le premier Pape à vous parler chez vous. Deux de mes plus grands prédécesseurs ont été des hôtes ici : le bienheureux Paul VI, qui est venu juste après avoir conclu le Concile Vatican II, pour encourager la réalisation collégiale du mystère de l’Église en Amérique Latine ; et saint Jean-Paul II lors de sa mémorable visite apostolique de 1986. Les paroles de ces deux Papes sont une ressource permanente ; les indications qu’ils ont esquissées et la merveilleuse synthèse qu’ils ont offerte sur notre ministère épiscopal constituent un patrimoine à sauvegarder. Je voudrais que ce que je vais vous dire soit reçu dans la continuité de ce qu’ils ont enseigné.

Gardiens et sacrement du premier pas

«Faire le premier pas» est le thème de ma visite et pour vous aussi, c’est mon premier message. Vous savez bien que Dieu est le Seigneur du premier pas. Il nous devance toujours. Toute l’Écriture Sainte parle de Dieu comme exilé hors de soi par amour. Il en a été ainsi lorsqu’il n’y avait que ténèbres, chaos et, en sortant de lui-même, il a fait en sorte que tout vienne à l’être (cf. Gn 1.2, 4) ; il en a été ainsi lorsqu’il se promenait dans le jardin des origines, se rendant compte de la nudité de sa créature (cf. Gn 3, 8-9) ; il en a été ainsi lorsque, pèlerin, il a logé sous la tente d’Abraham, en lui faisant la promesse d’une fécondité inespérée (cf. Gn 18, 1-10) ; il a en été ainsi lorsqu’il s’est présenté à Moïse en le séduisant, alors qu’il n’avait plus d’autre horizon que de paître les brebis de son beau-père (cf. Ex 3, 1-2) ; il en a été ainsi lorsqu’il n’a pas détourné le regard de sa Jérusalem bien-aimée, même quand elle se prostituait sur le trottoir de l’infidélité (cf. Ez 16, 15) ; il en a été ainsi lorsqu’il a émigré avec sa gloire vers son peuple exilé, en esclavage (cf. Ez 10, 18-19).

Et, à la plénitude des temps, il a voulu révéler le vrai nom du premier pas, de son premier pas. Il s’appelle Jésus et il est un pas irréversible. Il provient de la liberté d’un amour qui précède tout. Car le Fils, lui-même, est l’expression vivante de cet amour. Ceux qui le reconnaissent et l’accueillent reçoivent en héritage le don d’être introduits dans la liberté de pouvoir toujours accomplir en lui le premier pas ; ils n’ont pas peur de se perdre s’ils sortent d’eux-mêmes, car ils ont la garantie de son amour provenant du premier pas de Dieu, une boussole qui leur évite de se perdre.

Préservez donc, avec une crainte et une émotion saintes, ce premier pas de Dieu vers vous et, par votre ministère, vers les personnes qui vous ont été confiées, conscients d’être sacrement vivant de cette liberté divine qui n’a pas peur de sortir d’elle-même par amour, qui n’a pas peur de s’appauvrir tandis qu’elle se donne, qui n’a besoin d’autre force que l’amour.

Dieu nous précède, nous sommes des sarments et non la vigne. Par conséquent, ne taisez pas la voix de celui qui vous a appelés et ne pensez pas que ce soit la somme de vos pauvres vertus ou les compliments des puissants du moment qui assurent le résultat de la mission que Dieu vous a confiée. Au contraire, mendiez dans la prière quand vous ne pouvez pas donner ou vous donner, pour que vous ayez quelque chose à offrir à ceux qui s’approchent constamment de vos cœurs de pasteurs. La prière dans la vie de l’évêque est la sève vitale qui coule dans la vigne, sans laquelle le sarment se flétrit en devenant stérile. Par conséquent, luttez avec Dieu, et plus encore dans la nuit de son absence, jusqu’à ce qu’il vous bénisse (cf. Gn 32, 25-27). Les blessures de cette bataille quotidienne et prioritaire dans la prière seront source de guérison pour vous ; vous serez blessés par Dieu afin d’être capables de guérir.

Rendre visible votre identité de sacrement du premier pas.

De fait, rendre tangible l’identité de sacrement du premier pas de Dieu exigera un exode intérieur continu. « Il n’y a pas de plus grande invitation à l’amour que de devancer ce même amour » (Saint Augustin, De catechizandis rudibus, liber I, 4.7, 26 : PL 40), donc, aucun domaine de la mission épiscopale ne peut faire abstraction de cette liberté de faire le premier pas. La condition pour pouvoir exercer le ministère apostolique est la disponibilité à s’approcher de Jésus en laissant derrière « ce que nous avons été pour être ce que nous n’étions pas » (Saint Augustin, in Psal., 121, 12 : PL 36).

Je vous recommande de veiller non seulement individuellement mais aussi collégialement, dociles à l’Esprit Saint, sur ce point de départ permanent. Sans ce noyau, les traits du Maître languissent sur le visage des disciples, la mission s’embourbe et la conversion pastorale diminue, qui n’est autre que de préserver cette urgence d’annoncer l’Évangile de la joie aujourd’hui, demain et après-demain (cf. Lc 13, 33), diligence qui a dévoré le cœur de Jésus en le laissant sans nid ni abri, uniquement penché sur l’accomplissement jusqu’à la fin de la volonté du Père (cf. Lc 9, 58.62). Quel autre avenir pouvons-nous poursuivre ? A quelle autre dignité pouvons-nous aspirer ?

Ne vous mesurez pas avec le mètre de ceux qui voudraient que vous ne soyez qu’une caste de fonctionnaires repliés sur la dictature du présent. Ayez, au contraire, le regard toujours fixé sur l’éternité de celui qui vous a élus, prêts à accueillir le jugement décisif de ses lèvres.

Dans la complexité du visage de cette Église colombienne, il est très important de préserver la singularité de ses forces diverses et légitimes, les sensibilités pastorales, les particularités régionales, les mémoires historiques, les richesses des expériences ecclésiales spécifiques. Pentecôte consciente que tous entendent dans leur propre langue. C’est pourquoi, recherchez avec persévérance la communion entre vous. Ne vous lassez pas de la construire à travers le dialogue franc et fraternel, en condamnant comme la peste les agendas cachés. Empressez-vous de faire le premier pas, l’un vers l’autre. Devancez-vous dans la disponibilité à comprendre les raisons de l’autre. Laissez-vous enrichir par ce que l’autre peut vous offrir et construisez une Église qui offre à ce pays un témoignage éloquent de combien on peut progresser quand on est disposé à ne pas dépendre de quelques-uns. Le rôle des Provinces ecclésiastiques par rapport au message de l’Évangile lui-même est fondamental, car diverses et harmonieuses sont les voix qui le proclament. Pour cela, ne vous contentez pas d’un médiocre engagement minimal qui laisse les résignés dans la tranquille quiétude de leur propre impuissance, en même temps qu’il dompte ces espérances qui exigeraient le courage de se concentrer davantage sur la force de Dieu que sur sa propre fragilité.

Ayez une sensibilité spéciale envers les racines afro-colombiennes de votre peuple, qui ont contribué si généreusement à modeler le visage de ce pays.

Toucher la chair du corps du Christ

Je vous invite à ne pas avoir peur de toucher la chair blessée de votre propre histoire et de l’histoire de votre peuple. Faites-le avec humilité, sans la vaine prétention de protagonisme, et d’un cœur sans partage, libre de toute compromission et de toute servilité. Seul Dieu est Seigneur et nous ne devons soumettre notre âme de pasteur à aucune autre cause.

La Colombie a besoin de votre regard, propre à des évêques, pour la soutenir dans le courage du premier pas vers la paix définitive, la réconciliation, vers le renoncement à la violence comme méthode, vers la suppression des inégalités qui sont la racine de nombreuses souffrances, la renonciation au chemin facile mais sans issue de la corruption, la patiente et persévérante consolidation de la ‘‘res publica’’ qui demande l’éradication de la misère et de l’inégalité.

Il s’agit d’une tâche ardue mais à laquelle on ne peut renoncer, les chemins sont raides et les solutions ne sont pas évidentes. De la hauteur de Dieu, qui est la croix de son fils, vous obtiendrez la force ; avec la petite lumière humble des yeux du Ressuscité, vous parcourrez le chemin ; en écoutant la voix de l’Époux qui susurre dans le cœur, vous recevrez les critères pour discerner à nouveau, dans chaque incertitude, la direction juste.

L’un de vos illustres hommes de lettre a écrit, en parlant de l’un de vos personnages mythiques : « Il n’imaginait pas qu’il était plus facile de commencer une guerre que de la terminer » (Gabriel García Márquez, Cent ans de solitude, chapitres 9). Nous savons tous que la paix exige des hommes un courage moral différent. La guerre suit ce qu’il y a de plus bas dans notre cœur, la paix nous incite à être plus grands que nous-mêmes. Poursuivant, l’écrivain ajoutait : « Il ne comprenait pas qu’il ait fallu beaucoup de mots pour expliquer ce qu’on sentait durant la guerre, si un seul suffisait : la peur » (Ibid. ch. 15). Il n’est pas nécessaire que je vous parle de cette peur, racine empoisonnée, fruit amer et héritage néfaste de chaque conflit. Je voudrais vous encourager à continuer à croire qu’on peut procéder d’une autre manière, en rappelant que vous n’avez pas reçu un esprit d’esclaves pour retomber dans la crainte ; l’Esprit lui-même témoigne que vous êtes des fils destinés à la liberté de la gloire qui vous est réservée (cf. Rm 8, 15-16).

Vous voyez de vos propres yeux et vous connaissez comme peu de personnes la déformation du visage de ce pays ; vous êtes les gardiens des pièces fondamentales qui l’unifient, malgré ses lacérations. C’est précisément pour cela que la Colombie a besoin de vous pour se reconnaître dans son vrai visage, chargé d’espérance en dépit de ses imperfections, pour se pardonner réciproquement malgré les blessures pas tout à fait cicatrisées, pour croire qu’on peut faire un autre chemin même lorsque l’inertie pousse à répéter les mêmes erreurs, pour avoir le courage de surmonter ce qui peut la rendre misérable malgré ses trésors.

Je vous encourage, en effet, à ne pas vous lasser de faire de vos Églises un ventre de lumière, capable de produire, même en souffrant de faim, les nouvelles ressources dont cette terre a besoin. Abritez-vous dans l’humilité de votre peuple pour vous rendre compte de ses ressources humaines secrètes et de sa foi ; écoutez combien son humanité dépouillée aspire à la dignité que seul le Ressuscité peut donner. N’ayez pas peur de sortir de vos certitudes apparentes à la recherche de la vraie gloire de Dieu, qu’est l’homme vivant.

La parole de réconciliation

Beaucoup peuvent contribuer au défi de cette Nation, mais votre mission est singulière. Vous n’êtes ni techniciens ni politiciens, vous êtes des pasteurs. Le Christ est la parole de réconciliation écrite dans vos cœurs et vous avez la force de pouvoir la prononcer, non seulement en chaire, à travers les documents ecclésiaux ou à travers les articles de journaux, mais bien plus dans le cœur des personnes, dans le secret sacré de leurs consciences, dans la chaleur remplie d’espérance qui les attire à l’écoute de la voix du ciel qui proclame « paix aux hommes que Dieu aime » (Lc 2, 14). Vous devez la prononcer avec la fragile, humble, mais invincible ressource de la miséricorde de Dieu, la seule capable de vaincre l’arrogance cynique des cœurs autoréférentiels.

L’Église n’est intéressée par rien d’autre que la liberté de prononcer cette Parole. Les alliances avec une partie ou une autre ne servent pas, mais la liberté de s’adresser aux cœurs de tous. Précisément vous avez là l’autonomie pour inquiéter, vous avez là la possibilité de soutenir un changement de direction.

Le cœur humain, bien des fois dupé, conçoit le projet insensé de faire de la vie une conquête continue d’espaces pour déposer ce qu’il accumule. Précisément ici, il faut que résonne la question : à quoi sert-il de gagner le monde si un vide demeure dans l’âme ? (cf. Mt 16, 26).

À travers vos lèvres de pasteurs légitimes du Christ, tels que vous êtes, la Colombie a le droit d’être interpellée par la vérité de Dieu, qui répète sans cesse : « Où est ton frère ? » (Gn 4, 9). C’est une interrogation, qui ne peut être tue, même quand celui qui l’écoute ne peut que baisser le regard, confus, et balbutier sa propre honte de l’avoir vendu, peut-être au prix d’une dose de stupéfiant ou d’une idée équivoque de raison d’État, peut-être à cause de la fausse conscience que la fin justifie les moyens.

Je vous prie d’avoir le regard toujours fixé sur l’homme concret. Ne servez pas un concept de l’homme, mais la personne humaine aimée par Dieu, faite de chair, d’os, d’histoire, de foi, d’espérance, de sentiments, de déceptions, de frustrations, de souffrances, de blessures ; et vous verrez que ce caractère concret de l’homme démasque les statistiques froides, les calculs manipulés, les stratégies aveugles, les informations falsifiées, en vous rappelant qu’« en réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné » (Gaudium et spes, n. 22).

Une Église en mission

J’ai conscience du généreux travail pastoral que vous réalisez déjà; permettez-moi cependant de vous faire part de certaines inquiétudes que je porte dans mon cœur de pasteur, désireux de vous exhorter à être toujours davantage une Église en mission. Mes prédécesseurs ont déjà insisté sur plusieurs de ces défis : la famille et la vie, les jeunes, les prêtres, les vocations, les laïcs, la formation. Ces dernières décennies, malgré l’énorme travail, les réponses pour rendre efficace la maternité de l’Église dans l’enfantement, dans la sustentation et l’accompagnement de ses fils, sont peut-être devenues encore plus difficiles.

Je pense aux familles colombiennes, à la défense de la vie depuis le sein maternel jusqu’à sa fin naturelle, au fléau de la violence et de l’alcoolisme touchant souvent les foyers, à la fragilité du lien matrimonial et à l’absence des parents avec ses conséquences tragiques d’insécurité et qui font des orphelins. Je pense aux nombreux jeunes menacés par le vide de l’âme et entraînés dans la fuite de la drogue, dans le style d’une vie facile, dans la tentation de la subversion. Je pense aux nombreux et généreux prêtres et au défi de les soutenir dans leur option fidèle et quotidienne pour le Christ et pour l’Église, tandis que certains autres continuent de répandre la neutralité confortable de ceux qui ne choisissent rien pour rester dans la solitude avec eux-mêmes. Je pense aux fidèles laïcs répandus dans toutes les Églises particulières, résistant dans l’effort pour se laisser rassembler par Dieu qui est communion, même quand beaucoup proclament le nouveau dogme de l’égoïsme et de la mort de toute solidarité. Je pense à l’immense effort de tous afin d’approfondir la foi et d’en faire une lumière vive pour les cœurs et une lampe pour le premier pas.

Je ne vous apporte pas de recettes ni n’entends vous laisser une liste de tâches. Cependant, je voudrais vous prier de garder la sérénité en réalisant dans la communion votre lourde mission de pasteurs de la Colombie. Vous savez bien que, dans la nuit, le malin continue de semer l’ivraie, mais ayez la patience du Maître du champ, en faisant confiance à la bonne qualité de ses grains. Apprenez de sa longanimité et de sa magnanimité. Ses temps sont longs parce que son regard d’amour est incommensurable. Quand l’amour est ténu, le cœur devient impatient, troublé par l’anxiété de faire des choses, dévoré par la peur d’avoir échoué. Croyez surtout en l’humilité de la semence de Dieu. Faites confiance à la puissance cachée de son levain. Dirigez vos cœurs vers la belle fascination qui attire et fait vendre tout afin de posséder ce trésor divin.

De fait, quoi d’autre pouvez-vous offrir de plus fort à la famille colombienne que la force humble de l’Évangile de l’amour généreux qui unit l’homme et la femme, faisant d’eux une image de l’union du Christ avec son Église, des canaux et des gardiens de la vie ? Les familles ont besoin de savoir que dans le Christ elles peuvent devenir un arbre luxuriant capable d’offrir de l’ombre, de porter du fruit en toute saison de l’année, d’abriter la vie dans ses branches. Ils sont si nombreux aujourd’hui ceux qui rendent hommage aux arbres sans ombre, stériles, aux branches privées de nids. Pour vous, que le point de départ soit le témoignage joyeux que la fidélité se trouve ailleurs.

Que pouvez-vous offrir à vos jeunes ? Ils aiment se sentir aimés, ils se méfient de ceux qui les sous-estiment, ils demandent une cohérence limpide et espèrent être impliqués. Recevez-les, par conséquent, avec le cœur du Christ et ouvrez-leur des espaces dans la vie de vos Églises. Ne prenez part à aucune négociation qui brade leurs espérances. N’ayez pas peur de hausser sereinement la voix pour rappeler à tous qu’une société qui se laisse séduire par le mirage du narcotrafic s’introduit elle-même dans cette métastase morale qui mercantilise l’enfer et sème partout la corruption et, en même temps, engraisse les paradis fiscaux.

Que pouvez-vous offrir à vos prêtres ? Le premier don est celui de votre paternité qui assure que la main qui les a générés et oints ne s’est pas retirée de leurs vies. Nous vivons à l’ère de l’informatique et il ne nous est pas difficile d’atteindre nos prêtres en temps réel par quelque messagerie. Mais le cœur d’un père, d’un évêque, ne peut se contenter de la communication précaire, impersonnelle et externe avec son clergé. L’inquiétude concernant le lieu où vivent ses prêtres ne peut s’éloigner du cœur de l’évêque. Vivent-ils vraiment selon Jésus ? Ou bien se sont-ils inventé d’autres sécurités telles que la stabilité économique, l’ambiguïté morale, la double vie ou l’illusion myope de la carrière ? Les prêtres ont besoin, avec une nécessité et une urgence vitales, de la proximité physique et affective de leur évêque. Ils demandent à sentir qu’ils ont un père.

La fatigue du travail quotidien pèse fréquemment sur les épaules des prêtres. Ils sont en première ligne, continuellement encerclés par des personnes qui, abattues, cherchent en eux le visage du Pasteur. Les gens s’approchent et frappent à la porte de leurs cœurs. Ils doivent donner à manger à la multitude et la nourriture de Dieu n’est jamais une propriété dont on peut simplement disposer. Au contraire, elle ne provient que de l’indigence mise en contact avec la bonté divine.

Congédier la multitude et manger le peu que l’on peut indûment s’approprier est une tentation permanente (cf. Lc 9, 13).

Veillez par conséquent sur les racines spirituelles de vos prêtres. Conduisez-les sans cesse à cette Césarée de Philippe où, à la source du Jourdain de chacun, ils peuvent entendre de nouveau la question de Jésus : Qui suis-je pour toi ? La cause de la détérioration progressive qui, souvent, conduit à la mort du disciple se trouve toujours dans un cœur qui ne peut plus répondre : « Tu es le Christ, le Fils de Dieu » (Cf. Mt 16, 13-16). De là, s’affaiblit le courage de l’irréversibilité du don de soi, et dérive également une désorientation intérieure, la fatigue d’un cœur qui ne sait plus accompagner le Seigneur sur son chemin vers Jérusalem.

Prenez particulièrement soin de l’itinéraire de formation de vos prêtres, depuis la naissance de l’appel de Dieu dans leurs cœurs. La nouvelle Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis, récemment publiée, est une précieuse ressource, encore à mettre en pratique, pour que l’Église colombienne soit à la hauteur du don de Dieu qui n’a jamais cessé d’appeler beaucoup de ses fils au sacerdoce.

Ne négligez pas, s’il vous plaît, la vie des hommes consacrés et des femmes consacrées. Ils constituent la gifle kérygmatique à toute la mondanité et sont appelés à brûler toute vague de valeurs mondaines dans le feu des béatitudes vécues sans glose et dans l’abaissement total de soi dans le service. Ne les considérez pas comme des ‘‘ressources utiles’’ pour les œuvres apostoliques ; sachez plutôt voir en eux le cri de l’amour consacré de l’Épouse : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22, 20).

Réservez la même préoccupation concernant la formation de vos laïcs, dont dépend non seulement la solidité des communautés de foi, mais aussi une grande partie de la présence de l’Église dans le domaine de la culture, de la politique, de l’économie. Former dans l’Église signifie se mettre en contact avec la foi vivante de la Communauté vivante, s’insérer dans un patrimoine d’expériences et de réponses que suscite l’Esprit Saint, car c’est lui qui enseigne toutes choses (cf. Jn 14, 26).

Je voudrais exprimer une pensée sur les défis de l’Église en Amazonie, région dont, avec raison, vous êtes fiers, car elle est une partie essentielle de la merveilleuse biodiversité de ce pays. L’Amazonie est pour nous tous une preuve décisive pour vérifier si notre société, presque toujours réduite au matérialisme et au pragmatisme, est en mesure de sauvegarder ce qu’elle a reçu gratuitement, non pas pour le dévaliser, mais pour le rendre fécond. Je pense, surtout, à la sagesse cachée des peuples indigènes de l’Amazonie et je me demande si nous sommes encore capables d’apprendre d’eux la sacralité de la vie, le respect de la nature, la conscience du fait qu’à elle seule la raison instrumentale n’est pas suffisante pour combler le vide de l’homme et répondre à ses inquiétudes les plus chargées d’interrogations.

C’est pourquoi je vous invite à ne pas abandonner à elle-même l’Église en Amazonie. La consolidation d’un visage amazonien par l’Église qui pérégrine ici est pour vous tous un défi, qui dépend de l’appui missionnaire grandissant et conscient de tous les diocèses colombiens et de leur clergé tout entier. J’ai entendu que dans certaines langues locales amazoniennes, pour se référer au mot ‘‘ami’’, on utilise l’expression ‘‘mon autre bras’’. Soyez par conséquent l’autre bras de l’Amazonie. La Colombie ne peut l’amputer sans être mutilée dans son visage et dans son âme.

Chers frères,
Je vous invite à présent à vous adresser spirituellement à Notre Dame du Rosaire de

Chiquinquira, dont vous avez eu la délicatesse d’apporter l’image, depuis son Sanctuaire, dans la magnifique Cathédrale de cette ville pour que moi aussi je puisse la contempler.

Comme vous le savez bien, la Colombie ne peut se donner à elle-même le vrai Renouveau auquel elle aspire, mais il est accordé d’en haut. Supplions donc le Seigneur par la Vierge.

Tout comme à Chiquinquira Dieu a restauré la splendeur du visage de sa Mère, qu’il continue d’illuminer par sa lumière céleste le visage de tout ce pays et bénisse l’Église de la Colombie par sa compagnie bienveillante.

[01228-FR.01] [Texte original: Espagnol]

Pape en Égypte: un voyage en trois temps pour trois priorités

CNS photo/Mohamed Abd El Ghany, Reuters

Les 28 et 29 avril prochains, le pape François se rendra en Égypte pour une visite apostolique. Ce voyage en trois temps permettra au Saint-Père de renforcer les relations avec les autorités civiles et religieuses de ce pays, le plus populeux du monde arabe.

Un contexte sociopolitique particulier

Pour bien comprendre les enjeux liés à cette visite, il est important de dire quelques mots sur le contexte actuel. Ce n’est un secret pour personne, l’Égypte a connu, dans la dernière décennie, des mouvements politiques et sociaux importants qui ont grandement mis en péril sa stabilité. En effet, le pays des pharaons n’a pas été épargné par ce qu’on a appelé « le printemps arabe ». Cette période de rébellion, menée par des groupes aux intérêts divergents et, parfois même, diamétralement opposés, a mené à la destitution d’Hosni Moubarak et à la prise du pouvoir par le parti des frères musulmans. La prise de pouvoir de ce mouvement islamiste qui avait procédé, l’espace d’un moment, à l’inscription de la Sharia dans la constitution, avait fait de nombreux mécontents dont les autorités religieuses chrétiennes, musulmanes modérées, les mouvements pro-démocratie et, surtout, les hautes autorités militaires, très liées à l’ancien régime. En ce sens, on se rappellera l’augmentation importante des attentats terroristes contre les minorités religieuses lors de cette courte période. Un rapport de l’Aide à l’Église en détresse affirme en effet : « Avant et après les élections présidentielles de juin 2012, qui ont amené Morsi au pouvoir, le climat d’hostilité contre les coptes a été intense. Les violences physiques et morales ont augmenté ». Ce qui avait fait douter de la volonté de son gouvernement à protéger cette portion importante de la population (+/- 10 %). Ce qui avait de grande chance d’arriver arriva, le maréchal à la retraite Abdel Fattah Al-Sissi destitua et arrêta le président islamiste Mohamed Morsi et déclara comme « mouvement terroriste » le parti des frères musulmans.

Depuis son élection, le président Sissi a entrepris un certain nombre de réformes visant la modernisation de la société musulmane égyptienne. Dans un discours à la Grande Université Al-Alzhar le 28 décembre 2014, il avait demandé au chef religieux de la plus importante université islamique du monde sunnite de proposer un « discours religieux qui correspond à son époque ». Depuis ce discours historique, plusieurs gestes manifestent cette volonté du gouvernement égyptien de favoriser un rapprochement et la réconciliation entre chrétiens et musulmans. D’abord, les relations entre l’Université Al-Alzhar et le Vatican, rompues depuis quelques années, ont pu reprendre à la suite de la visite du cheikh Ahmed Al-Tayeb, grand imam de la mosquée Al-Azhar. Et suite au geste symbolique que constitue la présence du président égyptien lors de la Messe de Noël à la cathédrale orthodoxe Copte Saint-Marc du Caire en compagnie de Théodore II, on ne peut que se réjouir de la plus récente affirmation de la Conférence d’Al-Azhar de « l’égalité entre chrétiens et musulmans ».

On peut l’imaginer ce chemin concret de rapprochement ne fait pas beaucoup d’heureux du côté islamiste, à en juger par les plus récentes attaques terroristes qui montrent que cette égalité toujours fragile nécessite encore, pour les minorités religieuses, une protection supplémentaire de la police et de l’armée. C’est dans ce contexte politico-religieux que s’amorce la visite du pape François, la semaine prochaine.

Un voyage en trois temps pour trois priorités

Dans un premier temps, le pape François rencontrera le président al-Sissi lors d’une visite au palais présidentiel. Cette ouverture de part et d’autre manifeste une volonté réciproque de renforcement des liens et de la collaboration en faveur de la paix. Deuxième rencontre entre les deux hommes, cette discussion portera certainement sur les grands thèmes chers au pape François dont la liberté religieuse, la protection des chrétiens persécutés et des points liés au développement de l’Égypte qui accuse des retards considérables en terme d’éducation, de lutte contre la pauvreté et de protection de l’environnement.

CNS photo/L’Osservatore Romano via Reuters

Après cette réunion protocolaire, le Pape se rendra auprès du grand imam d’Al Azhar, le cheikh Ahmed Al Tayeb, afin de prononcer, chacun leur tour, un discours lors de la Conférence internationale sur la paix. Cette prise de parole commune s’inscrira dans la continuité des discussions amorcées en février dernier contre « le fanatisme, l’extrémisme et la violence au nom de la religion ». De ce rapprochement et de ce dialogue interreligieux, nous sommes en droit d’espérer des effets d’apaisement dans le climat de tension actuel ainsi que des fruits d’érudition en faveur d’une « modernisation de l’Islam ».

Dans une perspective œcuménique, le pape rencontrera le patriarche copte Tawadros II pour des discussions privées suivies de discours. Nous pouvons d’ores et déjà voir en cela un geste de soutien pour cette minorité chrétienne d’Égypte dont les racines remontent à l’évangélisation de saint Marc évangéliste et apôtre. Cette amitié renouvelée peut être perçue comme un fruit de cet « œcuménisme du sang », expression plusieurs fois employée par le Saint-Père notamment pour décrire le drame des « Égyptiens coptes égorgés par les djihadistes de l’État islamique sur les rives de la mer Méditerranée ». Il avait alors affirmé : « Tous sont nos martyrs, car ils ont donné leur sang pour le Christ ». La présence du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier peut également être interprétée en ce sens. Enfin, le pape célèbrera une Messe en compagnie de la communauté copte-catholique d’Égypte avant de retourner à Rome, samedi, en début de soirée.

Le voyage du pape François en Égypte arrive dans une période charnière de l’histoire de ce pays plus que deux fois millénaire. Considérant les nombreux risques d’attentats que cette visite comporte, on peut y voir la grande détermination du pape François à raffermir les liens d’amitié avec les autorités politiques et religieuses et à apporter son soutien et sa collaboration dans l’élaboration d’une société et d’un islam modernes. De plus, ce voyage permettra au Pape de manifester concrètement sa solidarité avec les chrétiens orthodoxes et catholiques d’Égypte dans ces moments tumultueux où plusieurs ont versé leur sang par fidélité au Christ. Ainsi, espérons que cette visite très attendue porte des fruits de paix et de réconciliation si nécessaires aujourd’hui.

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