Compte-rendu de lecture : Le Maître de la terre

(Image : courtoisie de Wikimedia Commons)

Le binôme utopie-dystopie constitue un thème central de la littérature du vingtième siècle. Certains des romans les plus lus de notre époque sont directement issus de cette tradition. On peut notamment penser à 1984 de George Orwell, une dystopie au caractère profondément politique qui illustre brillamment les pires excès du totalitarisme. 

On pense également au célèbre Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, qui parodie le caractère utopique du roman d’anticipation futuriste caractéristique de l’œuvre de H.G. Wells et met en scène les vicissitudes d’un monde où règnent le confort matériel, le plaisir et l’avachissement de l’âme humaine dans un océan de banalité narcotique. 

Il semble que ces œuvres soient devenues si connues, si profondément ancrées dans la culture populaire qu’elles ont perdu de leur vivacité, ou plutôt de leur capacité à surprendre. Si cela n’enlève rien à leur mérite, et qu’une discussion passionnante sur ce qui nous fait craindre l’avenir mérite d’avoir lieu, d’autres œuvres moins connues mais tout aussi fascinantes abordent la question sous des angles parfois très surprenants. 

C’est le cas du Maître de la terre, un roman dystopique écrit par le prêtre catholique anglais Robert Hugh Benson, dont l’histoire personnelle rime avec celle du Mouvement d’Oxford et de son plus illustre représentant, saint John Henry Newman. 

Benson est issu d’un milieu très sophistiqué, héritier d’une importante famille du clergé anglican. Son père était archevêque de Cantorbéry, la plus haute fonction ecclésiastique de l’Église anglicane, et c’est par lui qu’il fut ordonné prêtre de l’Église anglicane à la fin du XIXe siècle. 

C’est au terme d’un vif parcours intellectuel qu’il se convertit et devient prêtre dans l’Église catholique au début du siècle suivant. Le Maître de la terre, de loin son œuvre la plus connue et la plus lue, a été louée et qualifiée de prophétique par un certain nombre de penseurs ces dernières années, dont le Pape émérite Benoît XVI et le Pape François, qui en ont chacun souligné les mérites. 

Mais de quoi parle cette œuvre mystérieuse? Publié en 1908, le livre projette son contemporain cent ans dans le futur, au début du XXIe siècle. Le père Percy Franklin vit à Londres, dans une Europe transformée, essentiellement acquise à une forme d’humanisme séculier, libéré de toute considération métaphysique et semblable, par bien des aspects, au positivisme caractéristique de la pensée du philosophe français Auguste Comte, où l’homme s’est, pour ainsi dire, érigé en son propre dieu. On y reconnaîtra aussi certainement l’univers dans lequel nous évoluons actuellement. 

Le monde, divisé politiquement en une Confédération européenne, une République américaine et un Empire d’Orient, est divisé spirituellement entre l’humanisme séculier dont nous avons parlé, les religions orientales et un catholicisme vacillant, la seule forme de christianisme qui ait survécu jusqu’à présent. Nous vivons sous la menace d’une confrontation entre la Confédération européenne et l’Empire d’Orient, qui fait des progrès notables. 

On suit d’une part l’histoire du père Percy Franklin, de plus en plus vulnérable à mesure que la position du catholicisme s’affaiblit, et d’autre part un ensemble de personnages impliqués dans l’administration du régime socialiste en place en Angleterre, alors qu’un mystérieux sénateur Felsenburgh, doté de dons particuliers, émerge de cette situation humaine et géopolitique tendue, prétendant apporter la paix et se voyant attribuer des pouvoirs extraordinaires sur une Europe troublée.

L’histoire du Maître de la terre – qui aborde sous le couvert du roman d’anticipation et de la science-fiction les questions profondes de l’eschatologie chrétienne – met en avant des principes contradictoires. L’humanisme séculier, centré sur les préoccupations humaines et s’écartant des pratiques rituelles chrétiennes à la manière des pires excès de la Révolution française, est l’adversaire d’un catholicisme qui, isolé et affaibli à la fin de l’histoire, est appelé à lui résister avec des moyens limités. 

La perspective dystopique de Benson s’articule ici – loin des angoisses technologiques ou écologiques – essentiellement autour de considérations spirituelles. Il surprendra certains de nos contemporains par sa description lucide mais piquante d’un certain humanisme lorsqu’il est détaché des principes qui le justifient, en l’occurrence les principes de l’anthropologie chrétienne. 

À l’heure des grandes crises écologiques, sanitaires et économiques, la perspective dystopique est dans l’air du temps, un temps très éloigné des décennies – certes contrastées mais marquées en Occident par un état d’esprit optimiste, voire à certains moments futuristes – de la seconde moitié du XXe siècle. Aussi, la littérature dystopique et ses expressions dans la culture populaire ont le mérite de mettre en lumière ce qui inquiète les uns et ce qui réjouit les autres. 

Pour Benson, un penseur défini par une compréhension chrétienne de la cosmologie et de l’avenir du Monde – notre maison éphémère – le péril spirituel de l’homme semble résider dans la forme particulière du culte de l’homme par l’homme, une humanité s’idôlatrant elle-même. Dans un monde largement sécularisé, il y a là matière à réflexion.

Qu’est-ce que le synode sur la synodalité ?

(Image : courtoisie de Unsplash)

En octobre, l’Église tout entière entre en synode.

Le pape François l’ouvrira à Rome durant la fin de semaine du 9 au 10 octobre, et chaque diocèse du monde entier est appelé à célébrer l’ouverture du synode au niveau local le dimanche suivant, le 17 octobre. Le thème en est « Pour une Église synodale : communion, participation et mission ».

Il y a un synode qui commence en octobre ?

Oui ! Et ce synode sera différent de tous les autres ! De 2021 à 2023, ce sera un chemin de partage, de réflexion et d’écoute à tous les niveaux et dans toute l’Église !

Qu’est-ce qu’un synode exactement ?

Un synode est un rassemblement – traditionnellement d’évêques – qui aide l’Église à avancer dans une même direction. Le mot « synode » vient du grec syn-hodos, qui signifie « le même chemin » ou « la même voie ». Les synodes étaient courants dans les premiers siècles du christianisme, donnant aux évêques l’occasion de se rencontrer et de discuter de questions importantes pour la vie de l’Église. En 1965, le pape Paul VI a institué le Synode des évêques au niveau universel de l’Église. Il voulait un moyen de poursuivre l’échange fraternel et collégial qui avait été expérimenté lors du Concile Vatican II, où les évêques du monde entier s’étaient réunis entre 1962 et 1965. Depuis lors, des synodes sont organisés tous les deux ou trois ans, réunissant des évêques, des experts et divers délégués pour discuter de sujets tels que l’Eucharistie, la parole de Dieu, le Moyen-Orient, la nouvelle évangélisation, la famille, les jeunes et l’Amazonie. Dans chaque cas, les évêques votent sur un document final, puis le pape rédige son propre texte – appelé « exhortation apostolique » – afin d’ouvrir de nouvelles voies et d’éclairer d’un jour nouveau ce dont il a été question, pour que cela puisse rayonner dans toute l’Église.

Quelle est la particularité de ce synode sur la synodalité ?

Contrairement aux synodes précédents, celui-ci n’a pas pour but d’aborder une question particulière, mais de nous permettre de devenir ce que Dieu nous appelle à être en tant qu’Église, tous ensemble, dans la réalité du monde d’aujourd’hui ! Le Synode qui débutera en octobre 2021 est totalement inédit, pour au moins trois raisons.

  1. Il ne s’agit plus seulement d’un Synode des évêques d’un mois, mais d’un processus synodal de deux ans pour tout le peuple de Dieu, tous les baptisés ! Tous sont invités et personne ne doit être laissé de côté, ou exclu !
  2. C’est un synode qui vise à donner à toute l’Église une expérience vécue de la synodalité. Il ne s’agit pas seulement de remplir un questionnaire, mais de recueillir les fruits de ce que l’Esprit Saint nous dit ici et maintenant.
  3. Le but du synode n’est pas seulement de parler de la synodalité, mais de la mettre en pratique dès maintenant, dans chaque diocèse, paroisse et pays du monde entier. Cela nous appelle tous, à tous les niveaux de l’Église, à renouveler notre façon d’être et de travailler ensemble pour aller de l’avant.

Mais qu’est-ce que la synodalité ?

Fondamentalement, la synodalité consiste en un cheminement commun. Cela se fait par l’écoute mutuelle qui permet d’entendre ce que Dieu nous dit. C’est réaliser que le Saint-Esprit peut s’exprimer à travers n’importe qui pour nous aider à avancer ensemble sur notre chemin comme peuple de Dieu.

Il ne s’agit pas de prendre deux ans pour comprendre un nouveau mot à la mode qui va bientôt disparaître. La synodalité n’est pas une phase passagère ! Au contraire, « marcher ensemble » est au cœur de ce qu’est l’Église, comme peuple de Dieu en pèlerinage au milieu du monde. À l’époque de l’Église primitive, saint Jean Chrysostome disait que pour lui, « Église » et « synode » étaient synonymes, puisque l’Église consiste en ce cheminement commun. En ce sens, la synodalité est une manière de renouveler l’Église à partir de ses racines les plus profondes, afin d’être plus unis les uns aux autres et de mieux accomplir notre mission dans le monde. Concrètement, la synodalité est une façon d’être et de travailler selon une approche plus proche de la base et plus collaborative, en prenant le temps de discerner le chemin à suivre ensemble. Elle met en évidence le fait que nous avons tous quelque chose de précieux à apporter au Corps du Christ. De cette manière, une « Église synodale »  est une Église qui écoute : « C’est une écoute réciproque dans laquelle chacun a quelque chose à apprendre. Le peuple fidèle, le Collège épiscopal, l’Évêque de Rome, chacun à l’écoute des autres ; et tous à l’écoute de l’Esprit Saint, l’« Esprit de Vérité » (Jn 14, 17), pour savoir ce qu’il dit aux Églises (Ap 2, 7). » (Pape François, Commémoration du 50e anniversaire de l’institution du Synode des évêques, 17 octobre 2015).

Cela nous appellera naturellement à changer nos façons de faire, afin que nous devenions de plus en plus ce que nous sommes véritablement en tant qu’Église, et que nous cheminions ensemble au milieu de toute la famille humaine, guidés par l’Esprit Saint.

Alors pourquoi un synode sur la synodalité ?

L’idée d’un « synode sur la synodalité » peut ressembler à celle d’un film sur le cinéma ou un livre sur la littérature (ou encore un rêve dans un rêve pour ceux qui ont vu le film Origine). Mais ne vous inquiétez pas, il ne s’agit pas d’un tour de passe-passe compliqué. Il s’agit plutôt d’une invitation pour que l’ensemble de l’Église fasse entendre sa voix.

Nous ne pouvons avancer que si nous travaillons et marchons ensemble. Aucun chrétien ne doit être seul ! Chaque membre est nécessaire au Corps du Christ !

À travers ce synode, l’Église dit : la voix de TOUS compte parce que Dieu peut parler à travers N’IMPORTE QUI – pas seulement les évêques, les prêtres, les diacres, les frères ou les sœurs, mais NOUS TOUS ! Le pape François a déclaré que cette approche collaborative et inclusive de la synodalité est précisément « le chemin que Dieu attend de l’Église au troisième millénaire ». Il s’agit véritablement d’une révolution de l’Esprit-Saint vers l’Église que Dieu nous appelle à être pour demain, dès aujourd’hui !

Découvrez ce qui se passe dans votre diocèse et votre paroisse pour vivre le Synode au niveau local. Chaque diocèse est appelé à animer des rencontres synodales locales pour impliquer tous les fidèles dans ce cheminement entrepris par toute l’Église.

Bien sûr, « synodalité » peut avoir l’air d’un mot compliqué, mais il est encore plus difficile de la mettre en pratique. C’est tout l’enjeu du synode de deux ans que l’Église entame maintenant : permettre à l’Église d’avancer unie dans la mission que tous partagent. Cela commence par l’attention portée à ceux qui sont souvent oubliés, exclus ou pas écoutés – nous devons entendre ce que Dieu a à nous dire à travers ceux que nous tendons à ignorer. Le chemin vers une Église qui écoute commence avec vous et moi. Allons de l’avant ensemble !

Esprit Saint de Dieu, conduis l’Église sur son chemin de pèlerinage alors que nous T’écoutons parler à travers chacun. Fais brûler le feu de Ton amour dans nos cœurs pour que nous avancions ensemble comme Église, accompagnant toute l’humanité sur un chemin commun vers Toi.

Vérité et réconciliation : le chemin devant nous

(Crédit photo : Cathopic)

Est-ce que je suis le gardien de mon frère, est-ce que je suis le gardien de ma sœur?

Cette question éclaire le sens profond de la première journée nationale de la vérité et de la réconciliation. 

Elle est la réponse de Caïn lorsque Dieu lui demande : « Où est ton frère Abel ? »

Nous pourrions être tentés de considérer cette journée comme un simple congé férié ou une occasion de se tenir occupés à la maison. Nous pourrions ne pas voir le lien qui nous unit avec les innombrables élèves et survivants du système des pensionnats, leurs familles et leurs communautés. Nous pourrions nous demander : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère, est-ce que je suis le gardien de ma sœur ? »

À travers le Canada aujourd’hui, nous avons l’occasion de comprendre la question de Dieu sous un jour nouveau : « Où est ton frère autochtone, où est ta sœur autochtone ? » Quelle est notre réponse ? 

Nous pourrions rester détachés, en nous disant que c’est la responsabilité d’un autre. Or, nous pouvons aussi nous laisser toucher et nous sentir personnellement concernés. Il est particulièrement crucial pour nous, catholiques et chrétiens, de le faire, puisque des figures d’autorités dans notre Église sont parmi les responsables de ces tragédies odieuses. Quelle est notre réponse personnelle face à ces réalités troublantes ? De quelle manière notre foi peut-elle contribuer à éclairer le chemin à parcourir ?

La chemin de l’indifférence, qu’il peut être tentant d’emprunter, ne fait que nous aveugler et refroidir nos cœurs. Devant cette crise nationale, Dieu nous invite à marcher dans une autre voie, en ouvrant nos yeux sur la souffrance des autres, et en nous faisant sortir de nous-mêmes vers la solidarité, la guérison et la réconciliation. Quelle route choisirons-nous d’emprunter ?

Le contraste entre ces deux voies est saisi de manière poignante dans la parabole du bon Samaritain (Luc 10:25-37). On demande à Jésus : « Qui est mon prochain ? ». Par sa réponse, Jésus nous présente la figure d’un homme battu et ensanglanté, souffrant à cause des blessures qu’il a subies. Beaucoup passent à côté, détournent et font semblant de ne pas voir. Puis, quelqu’un ose s’arrêter, mettre l’indifférence de côté et se laisser toucher personnellement. Avec son cœur et ses mains, il entre dans une relation. Jésus nous dit : « Va, et toi aussi, fais de même. »

Nous pouvons entendre ces paroles de Jésus et y voir une référence à tous ceux qui souffrent. Pour l’instant, aujourd’hui, à ce moment de l’histoire de notre pays, nous devons entendre le cri de nos frères et sœurs autochtones. Nous devons ouvrir nos oreilles pour entendre la vérité, et nous devons travailler à la réconciliation avec nos cœurs et avec nos mains.

Le chemin de la vérité et de la réconciliation est long et ardu. Il n’y a pas de solution miracle, et nous ne verrons peut-être pas l’impact de nos efforts. L’argent et les ressources ne sont qu’une partie de l’équation. La véritable guérison exige bien plus. Chaque personne guérit à son propre rythme, et il n’existe pas de solution unique. À mesure que la vérité fait surface, nous devons faire notre part pour rencontrer les survivants, leurs familles et leurs communautés là où ils se trouvent afin d’avancer ensemble sur un chemin graduel de réconciliation. C’est ainsi que Jésus se comportait avec les personnes qu’il rencontrait, en particulier celles qui souffraient. Il leur a tendu la main, les a écoutés et a marché avec eux sur un chemin de guérison.

Pour faire notre part, nous devons choisir entre deux voies très différentes. Allons-nous détourner le regard, préférant ne pas voir ? Ou laisserons-nous nos cœurs et nos mains s’ouvrir pour entrer en relation avec nos frères et nos sœurs ? 

Que l’Esprit de notre Père et Créateur nous conduise vers la guérison des blessures et la réconciliation de Ses enfants. Nous sommes gardiens de nos frères, nous sommes gardiens de nos sœurs.

Les évêques du Canada annoncent un engagement financier national de 30 millions de dollars pour soutenir les initiatives de guérison et de réconciliation

Voici une déclaration de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) qui donne plus de détails sur la promesse de s’«engager à recueillir des fonds dans chaque région du pays pour soutenir les initiatives discernées localement avec les partenaires autochtones», faite dans les excuses présentées par les évêques canadiens le 24 septembre dernier.

Les évêques du Canada, avec espérance, comme un témoignage sensible de leur engagement avec les Peuples autochtones, prennent collectivement un engagement financier à l’échelle nationale pour soutenir les initiatives de guérison et de réconciliation pour les survivants et survivantes des pensionnats indiens, leurs familles et leurs communautés.

Il s’agit d’initiatives dans toutes les régions du pays, avec un objectif de 30 millions de dollars sur une période pouvant aller jusqu’à cinq ans. L’effort fourni sera encore plus grand grâce à un encouragement soutenu au niveau local en vue de la participation des paroisses partout au Canada.

Mgr Raymond Poisson, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), est confiant que ces efforts soutiendront des projets significatifs à travers le Canada et feront une différence significative pour un apaisement du traumatisme historique et toujours présent, causé par le système des pensionnats.

« Lorsque les évêques du Canada se sont réunis en Assemblée plénière la semaine dernière, il y avait un consensus unanime sur le fait que les institutions catholiques devaient faire plus et de manière encore plus concrète pour remédier à la souffrance causée par les pensionnats au Canada. Grâce à des initiatives diocésaines locales, cet effort financier aidera à soutenir des programmes et des projets dédiés à l’amélioration de la vie des survivants et survivantes des pensionnats indiens ainsi que de leurs communautés, en garantissant les ressources nécessaires pour entreprendre le chemin de la guérison. »

Le financement des projets seront déterminés localement, en consultation avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits de chaque région. Pour ce faire, les évêques du Canada se sont engagés à élaborer une stratégie nationale, à établir des échéanciers et à fournir une communication publique de ces initiatives collectives en novembre.

Mgr William McGrattan, vice-président de la CECC, a souligné l’importance de travailler avec les peuples autochtones sur les objectifs locaux, ainsi que le calendrier et la distribution des fonds. « Les évêques du Canada ont été guidés par le principe selon lequel nous ne devrions pas parler des peuples autochtones sans prendre le soin de parler avec eux. À cette fin, les discussions présentes avec les dirigeants locaux seront utiles pour discerner les programmes qui apporteront le soutien le plus efficace. Il n’y a aucune démarche qui puisse éliminer la douleur ressentie par les survivants et survivantes des pensionnats. Mais en s’écoutant, en cultivant des relations de confiance et en travaillant en collaboration là où nous le pouvons, nous espérons apprendre à marcher ensemble pour une espérance renouvelée.»

La nouvelle d’aujourd’hui fait suite aux excuses officielles présentées par les évêques du Canada le vendredi 24 septembre. Au cours des semaines et des mois à venir, la CECC continuera de fournir des mises à jour sur ce programme qui, avec patience, ouvre un chemin pour la guérison et la réconciliation.

 

Renseignements:
Lisa Gall, Chef, Service des communications
Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC)
Courriel : communications@cecc.ca
Téléphone : 613-241-9461, poste 225

Excuses officielles par les évêques catholiques du Canada aux peuples autochtones de ce pays

La déclaration suivante des évêques catholiques du Canada a été rendue publique le vendredi 24 septembre 2021, lors de l’Assemblée plénière annuelle de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC). Le texte est également disponible sur le site Internet de la CECC.

Nous, les évêques catholiques du Canada, réunis en Assemblée plénière cette semaine, nous profitons de l’occasion pour affirmer aux peuples autochtones de ce pays que nous reconnaissons la souffrance vécue dans les pensionnats indiens du Canada. De nombreuses communautés religieuses et des diocèses catholiques ont servi dans ce système qui a conduit à la suppression des langues, de la culture et de la spiritualité autochtones, sans respecter la richesse de l’histoire, des traditions et de la sagesse des peuples autochtones. Nous reconnaissons les graves abus qui ont été commis par certains membres de notre communauté catholique : physiques, psychologiques, émotionnels, spirituels, culturels et sexuels. Nous reconnaissons également avec tristesse le traumatisme historique et continu, de même que l’héritage de souffrances et de défis qui perdure encore aujourd’hui pour les peuples autochtones. Avec les entités catholiques qui étaient directement impliquées dans le fonctionnement des pensionnats et qui ont déjà présenté leurs propres excuses avec sincérité[1], nous[2], les évêques catholiques du Canada, nous exprimons notre profond remords et nous présentons des excuses sans équivoque.

Nous sommes pleinement engagés dans le processus de guérison et de réconciliation. En plus des nombreuses initiatives pastorales déjà en cours dans les diocèses à travers le pays, et comme une autre expression tangible de cet engagement continu, nous promettons de nous engager à recueillir des fonds dans chaque région du pays pour soutenir les initiatives discernées localement avec les partenaires autochtones. De plus, nous invitons les peuples autochtones à cheminer avec nous dans une nouvelle ère de réconciliation, en nous aidant pour chacun des diocèses de notre pays, à prioriser les initiatives de guérison, écouter l’expérience des peuples autochtones, spécialement les survivants et survivantes des pensionnats indiens, et éduquer les membres de notre clergé, les hommes et femmes consacrés, de même que les fidèles laïcs, sur les cultures et la spiritualité autochtones. Nous nous engageons à poursuivre le travail visant à fournir les documents ou les archives qui aideront à commémorer les personnes qui sont enterrées dans des sépultures anonymes.

Ayant entendu les demandes d’inviter le pape François à s’impliquer dans ce processus de réconciliation, une délégation autochtone, composée de survivants et survivantes, d’aînés/de gardiens et gardiennes du savoir, et de jeunes rencontrera le Saint-Père à Rome en décembre 2021. Le pape François recevra et écoutera les participants et participantes autochtones, afin de discerner comment il peut appuyer notre désir commun de renouveler les relations et de marcher ensemble sur le chemin de l’espérance dans les années à venir. Nous nous engageons à travailler avec le Saint-Siège et nos partenaires autochtones sur la possibilité d’une visite pastorale du Pape au Canada dans le cadre de ce cheminement de guérison.

Nous nous engageons pour continuer de vous accompagner, les Premières Nations, les Métis et les Inuits de ce pays. Respectant votre résilience, votre force et votre sagesse, nous sommes impatients de vous écouter et d’apprendre de vous alors que nous marcherons en solidarité.

Le 24 septembre 2021

[1] Pensionnats indiens et CVR – Conférence des évêques catholiques du Canada (cecc.ca)

[2] Le site Web de la CECC contient un lien vers plusieurs excuses présentées dane le passé par des évêques catholiques, y compris celles présentées par des évêques lors d’événements nationaux de la CVR.

Une perspective catholique sur l’élection

(Image : courtoisie d’Élections Canada)

Tout récemment, la démocratie canadienne a vécu un de ces moments forts qui déterminent les possibles de la vie politique et donnent le ton de l’action collective. Si l’élection fédérale canadienne de 2021 n’était clairement pas souhaitée par une grande partie de la population, elle s’est déroulée dans un contexte qui est en quelque sorte une croisée des chemins.

Des rumeurs d’élections circulaient depuis un certain temps au Canada. L’élection d’un gouvernement minoritaire en 2019 signifiait presque inévitablement une élection anticipée dans un avenir proche, étant donné que les gouvernements minoritaires au Canada ont une durée de vie moyenne de 18 à 24 mois. 

Les catholiques, et les Canadiens en général, auraient pu espérer que cette élection mette de l’avant des perspectives contradictoires sur les questions de l’heure et des discussions de fond sur la reconstruction de la société canadienne après 18 mois d’une pandémie dévastatrice à tous les niveaux. Une conversation approfondie sur les droits et les devoirs mutuels des citoyens, sur l’investissement de ressources conformément au principe de subsidiarité, ou sur les questions urgentes de la bioéthique s’imposait. Mais malheureusement, les débats significatifs sur ces sujets, et bien d’autres, ont été notoirement absents.

Renouveler le devoir civique ?

Il est intéressant de noter que l’expérience traumatisante de la pandémie de COVID-19 a ouvert la discussion sur des questions socio-économiques auxquelles le consensus pré-pandémique était fermé. En particulier, on a beaucoup insisté sur le devoir des citoyens de participer à toute une série d’actions, petites et grandes, pour arrêter la propagation du virus. 

Cette réapparition du langage du devoir civique fait appel à une compréhension plus active de la liberté politique, qui se concentre davantage sur la capacité du citoyen à participer à la poursuite du bien commun que sur la protection des libertés individuelles. 

Défendre la subsidiarité

La pandémie, comme d’autres grandes crises nationales avant elle, a également mis à l’épreuve un principe cardinal de la doctrine sociale de l’Église, à savoir la subsidiarité. Selon ce principe, la charge d’une situation donnée, et de l’action qui y est liée, incombe à l’entité la plus proche des personnes concernées, à la plus petite entité capable de répondre. 

Dans des situations exceptionnelles, il est tentant pour l’État central d’assumer des responsabilités excessives, d’isoler les individus, qui deviennent dépendants de lui, et de supprimer les corps intermédiaires qui constituent habituellement l’environnement le plus favorable à la socialisation. Cette tentation et ses effets négatifs sont encore plus marqués dans le contexte d’un grand ensemble fédéral comme le Canada, où la gestion de l’essentiel des affaires sociales relève de la responsabilité constitutionnelle des provinces. 

Ouvrir la conversation sur la bioéthique

L’absence de conversation sur les questions de la bioéthique est également très préoccupante. Nous vivons dans une société où les débats sur les questions où convergent les problèmes liés à la vie, le système de santé et les préoccupations éthiques sont généralement mis de côté et fermés à la conversation. On peut penser à des questions telles que l’avortement et l’euthanasie. 

Et même s’il est indiscutable que les vaccins développés contre la COVID-19 sont moralement licites – le message de Rome à ce sujet est très clair – nous ne devons pas permettre que toute forme de questionnement sur ce type de sujet soit banalisée ou ridiculisée. 

Si ceux qui prédisent un avenir où les pandémies de cette nature seront plus fréquentes ont effectivement raison, il est absolument essentiel que des conversations bioéthiques ouvertes aient lieu, non seulement pour éviter une forme de scientisme obscurantiste, mais aussi pour que chacun, se sentant inclus et respecté dans l’espace public, soit moins tenté de se laisser aller à des interprétations farfelues de notre réalité commune. 

Des discussions manquantes 

Suivant une tendance bien établie dans la culture politique canadienne au cours des dernières décennies, cette campagne a été marquée par l’absence de telles discussions, remplacées par un piètre substitut sous forme de formules simplificatrices caractéristiques d’un marketing politique à bien des égards indigne de la noblesse de la vie politique. 

Le faible niveau de nos débats est passablement évident. Les grandes figures de notre vie politique préfèrent échanger, parfois de manière assez transparente, des répliques apprises par cœur dont le sens, souvent évanescent, se caractérise même parfois par une malheureuse duplicité. Pourtant, la vie politique est le lieu de la recherche du bien commun qui, dans une démocratie parlementaire comme la nôtre, se caractérise par une délibération qui exige du sérieux, de la profondeur et une volonté réelle de construire une société partagée. 

Une uniformité troublante

Pourtant, les principaux partis politiques représentés à la Chambre des communes ont tendance à se ressembler de plus en plus sur bon nombre des grandes questions. Le Parti conservateur, par exemple, a essentiellement mis de côté une perspective plus traditionnelle sur les questions sociales sous son leadership actuel. En outre, dans ce contexte de pandémie, il est également devenu moins intéressé par la promotion de politiques de rigueur économique. On pourrait dire que le parti se distingue principalement en modérant les positions du Parti libéral. 

Certains pourraient avancer que cette uniformisation du discours, notamment sur les questions sociales, est le reflet d’une société dans laquelle certaines questions ne sont plus abordées, tout simplement parce qu’elles n’intéressent plus le public. Cette explication a toutefois ses limites. 

Le rôle des médias 

Dans une société vaste et moderne comme le Canada, les conversations civiques se déroulent par le biais des médias de masse, un environnement social dans lequel, comme dans tout autre, certaines opinions sont plus courantes que d’autres. C’est tout à fait normal et cela ne devrait pas nous surprendre. Cependant, la prudence et l’esprit critique sont toujours de mise, car les niveaux relatifs d’exposition et de compréhension de certaines opinions ne reflètent pas toujours l’éventail des points de vue de la population générale. 

Dans son récent livre, le politicien libéral John Milloy, un catholique, a noté la façon dont les médias ont traité l’ancien chef conservateur Andrew Scheer lors des élections fédérales canadiennes de 2019, en se concentrant sur sa foi et sa position sur l’avortement. Si M. Scheer est évidemment responsable de la manière dont il a choisi d’aborder ces questions, les opinions généralement partagées sur ces sujets dans les cercles médiatiques étaient assez clairement exposées. Cette série d’événements n’est qu’une illustration récente de la mise à l’écart de certaines opinions dans l’espace public, qui ne reflète pas nécessairement le sentiment général de la société dans son ensemble.

Des risques à prendre en compte

L’expérience de ces dernières années dans les grandes démocraties occidentales montre que lorsque certains points de vue largement répandus dans la population cessent d’être représentés par les partis traditionnels de gouvernement, ils trouvent leur place dans la conversation civique par d’autres moyens, que la plupart d’entre nous trouve souvent répréhensibles. 

À l’heure actuelle, nous assistons à une montée paradoxale de la polarisation, voire de la violence politique, notamment à l’encontre du premier ministre Justin Trudeau. Cela se produit à un moment où notre société est marquée par un épuisement général à l’égard des mesures sanitaires jugées nécessaires pour contrer la pandémie de COVID-19, ce qui amène une minorité audible à s’exprimer d’une manière qui est au mieux indigne, au pire violente. 

Cette tension entre la relative uniformité du discours des partis politiques et l’émergence de tensions aux marges de la vie politique aura été en ce sens l’une des particularités de cette élection. Maintenant qu’elle s’est conclu en un statu quo ante bellum prévisible, espérons que le nouveau parlement minoritaire soit caractérisé par davantage d’ouverture et par des débats qui mettent moins l’accent sur une polarisation partisane superficielle et davantage sur l’exposition, aussi rationnelle que passionnée, des perspectives de chacun.

Laïcité : une question mal posée

(Image : courtoisie de Pixabay)

Les élections fédérales canadiennes sont, dans l’ensemble, l’exercice démocratique par excellence du pays, permettant aux citoyens de participer activement au processus politique sur certaines des questions les plus importantes auxquelles nos sociétés sont confrontées. Depuis plusieurs décennies, le débat des chefs, qui se tient en anglais et en français, est l’un des moments clés de chaque campagne électorale. 

Bien que ces débats aient rarement un impact décisif sur le sort des partis, ils permettent aux citoyens, pour le meilleur et pour le pire, d’apprendre à connaître les chefs et de les voir mettre de l’avant la perspective des partis qu’ils dirigent. Il n’est pas rare de trouver des éléments de divergence entre les débats dans chacune des deux langues officielles, éléments qui donnent parfois lieu à des discussions ultérieures sur les raisons de cette différence. 

La question de la laïcité, un éternel retour

En 2021, la question qui semble avoir attiré le plus d’attention est la réception au Canada anglais de la loi québécoise sur la laïcité de l’État, ou loi 21. Shachi Kurl, modératrice du débat anglophone et présidente de la firme Angus Reid, est devenue le centre d’attention des médias suite à une question posée au chef du Bloc Québécois Yves-François Blanchet sur le sujet, dans laquelle elle a notamment déclaré assez directement que le projet de loi 21 était de soi « discriminatoire »

La question s’est alors posée de savoir s’il était approprié de la qualifier ainsi, exposant des conceptions différentes, et parfois opposées, du vivre-ensemble dans les sociétés québécoise et canadienne-anglaise. Or, il est intéressant de noter que dans ces débats, la question plus profonde de la place de la religion dans la vie publique au Québec et au Canada – et ce que les régimes divergents de gestion de la diversité du Canada anglais et du Québec ont en commun à cet égard – n’a jamais vraiment été posée, alors qu’elle est plus directement liée à l’objet de la loi. 

La sécularisation du vivre-ensemble? 

L’un des principaux objectifs de la loi québécoise sur la laïcité de l’État est de proposer une conception du vivre ensemble dans un contexte de diversité culturelle et religieuse qui soit représentative du « génie québécois ». En ce sens, sa vision se distingue du multiculturalisme, plus généralement admis au Canada anglais, et même inscrit dans la Constitution canadienne. 

Quelle est cette conception ? On pourrait dire qu’elle découle d’une vision républicaine de la société, caractéristique de la culture française moderne, dont le Québec tire nombre de ses modes de représentation. Elle vise à construire une société qui, sans effacer les particularités individuelles et la liberté de conscience, cherche à produire un ethos commun, un socle partagé de principes d’où découle une pratique sociale caractérisée par une certaine unité. 

À l’influence du régime républicain à la française, qui a longtemps joui d’un certain prestige dans les milieux intellectuels d’avant-garde au Québec, s’ajoute sans doute le souvenir d’une société québécoise caractérisée par des piliers d’unité culturelle, principalement la langue française et la religion catholique. Le second terme de ce binôme s’est progressivement effacé de la vie publique depuis la modernisation active de la société québécoise dans les années 1960, jusqu’à ce que la religion devienne un repoussoir dans les représentations populaires. 

Or, la société se diversifiant sur le plan ethnique et religieux dans un contexte de mondialisation – marqué par une augmentation des flux migratoires et une diminution concomitante des naissances – cette unité de longue date, caractéristique de la société québécoise, tend à s’estomper. Si les Québécois restent préoccupés par leur être collectif, ils ont récemment appris à le voir en termes de négation de la religion dans la vie publique, faute d’un principe unificateur positif et cohérent. 

À l’évidence d’une diversité religieuse croissante s’oppose un réflexe, caractéristique d’une société qui se veut proprement moderne : celui de lutter contre le retour de la religion. Ce retour, au Québec, se manifeste notamment par la pratique de l’islam dans les communautés migrantes, notamment en provenance du Moyen-Orient. 

L’idéal multiculturel de la diversité

L’expérience du Canada anglais et son rapport à la diversification religieuse sont, à cet égard, fondamentalement différents. Historiquement articulé autour d’un noyau dur de colons anglais, acquis au protestantisme et largement constitué de loyalistes ayant quitté la République américaine naissante, le Canada anglais s’est rapidement diversifié et articulé autour d’une tout autre conception de la gestion de la diversité culturelle et religieuse, une conception que l’on pourrait dire à la fois libérale, individualiste et multiculturelle. 

Cette conception est libérale parce qu’elle valorise avant tout la liberté de choix, ou licence, notamment en ce qui concerne la question religieuse. Elle est individualiste, car elle suppose que les pratiques religieuses, et même culturelles, ne relèvent pas de l’État et, en ce sens, n’ont pas de rapport direct avec le bien commun, si tant est que la question du bien commun se pose. 

Enfin, elle est multiculturaliste parce qu’elle favorise le développement d’une forme de mosaïque culturelle, où règne la différence et où la construction active d’un monde de représentation commun et partagé se limite, pour l’essentiel, à l’adhésion à un ensemble de principes juridiques visant à protéger les libertés individuelles. 

Des idéaux en confrontation…

D’un point de vue légal, juridique et constitutionnel, le multiculturalisme, ainsi décrit, règne et constitue le principe suprême de la gestion de la diversité religieuse et culturelle au Canada. La loi québécoise sur la laïcité de l’État est, en un certain sens, un acte de contestation de ce régime multiculturel, un acte qui s’inscrit dans les débats post-référendaires sur l’avenir de la société québécoise dans l’État canadien. Soulignons cependant que pour nombre de sympathisants de la laïcité républicaine, la loi 21 dans son état actuel ne représente qu’une simple accommodation dans le cadre des dispositions constitutionnelles canadiennes, plutôt qu’un véritable acte législatif de contestation. 

De manière générale cependant, de nombreux penseurs québécois de la laïcité comprennent leur projet de cette manière et, surtout, c’est ainsi qu’il est compris par ses opposants, qui le voient, précisément et de manière caractéristique, comme un régime discriminatoire. En ce sens, on pourrait dire que ces deux régimes de gestion de la diversité culturelle sont chacun représentatifs de différences importantes qui subsistent entre la société québécoise et la société canadienne dans son ensemble et en un sens, c’est vrai. 

Qui se ressemblent plus qu’il n’y paraît

Or, ces débats cachent, à mon avis, une proximité qui se dissimule à la vue de tous. Ce dont il est réellement question, lorsqu’on parle d’une loi sur la laïcité de l’État – et à cet égard l’expérience historique de la République en France est éloquente – c’est de la place de la religion dans la société. 

Quelle que soit l’intention des promoteurs de ce régime au Québec, la laïcité à la française a fondamentalement pour objectif d’exclure la représentation religieuse de l’action collective, et même pour certains de l’espace public. On pourrait affirmer que le multiculturalisme caractéristique du régime canadien vise aussi l’effacement du religieux, mais par un effet de banalisation. 

Ce que la laïcité rejette par une action prohibitive, dont la loi québécoise est ici un exemple assez modéré, est toléré dans un régime multiculturel, mais dans un contexte de relativisation. En encourageant l’expression de la différence individuelle et collective, qu’elle soit religieuse, ethnique ou communautaire, le multiculturalisme canadien envoie un message : aucun de ces discours n’est véritablement significatif pour la communauté politique, aucun de ces discours ne concerne la collectivité. Au contraire, la société multiculturelle se fonde sur le droit à la différence et à la représentation, mais certainement pas sur l’adhésion à des principes communs substantiels – par-delà la contingence de la langue et des identités culturelles ou nationales. 

Des limites qui se répondent 

On pourrait dire qu’en termes d’effets sur la liberté de religion, de conscience et de croyance, le multiculturalisme canadien est préférable, d’un point de vue catholique, à la laïcité québécoise. Les évêques du Québec ont d’ailleurs exprimé certaines réserves à l’égard de ce projet, qui, comme c’est souvent le cas, n’ont pas été entendues. C’est qu’en filigrane de ces deux visions de la gestion de la diversité se trouve l’idée qu’en fait, les évêques n’ont rien à voir avec la poursuite d’un bien commun substantiel, s’il en est. 

Il est clair aussi, et la doctrine sociale de l’Église l’indique de façon indiscutable, qu’une conception de la vie collective fondée uniquement sur la protection des libertés individuelles de chacun en toutes circonstances n’est pas viable. Elle n’est pas viable du point de vue politique, parce que la fin de la vie commune ne peut être réduite de cette manière, au point de perdre de vue l’horizon du bien commun. 

Or, elle n’est pas plus viable d’un point de vue spirituel. En effet, le bien commun ne se réduit pas à la protection contre la violence et l’injustice, ou à l’administration des ressources et à l’allocation des moyens de subsistance. Au contraire, le bien commun est aussi spirituel, et les acteurs de la vie publique doivent être capables de poursuivre le bien commun spirituel dans les contextes donnés et les situations particulières. 

Promouvoir la doctrine sociale dans son unité 

La conception républicaine de la laïcité comprend le caractère commun du phénomène religieux, même si elle vise, d’une manière, à l’effacer. La conception multiculturelle comprend l’importance de la liberté religieuse, mais en banalise le sens par son relativisme. Toutes deux sont en contradiction avec la doctrine sociale de l’Église, sous un certain rapport. Cela ne veut pas dire, cependant, que leurs effets immédiats soient également dommageables. 

Une fois de plus, les catholiques n’ont pas de choix facile. Les séparations de la politique moderne laissent les électeurs catholiques divisés intérieurement par des choix qui déchirent l’unité de la doctrine sociale de l’Église, elle qui comprend à la fois le caractère spirituel du bien commun et l’importance de la liberté de conscience pour le développement d’une foi authentique. Ces difficultés ne diminuent pas l’importance de l’exercice civique, bien au contraire. Elles illustrent l’importance du vote de chacun et la liberté politique fondamentale des catholiques.

 

Compte-rendu de lecture : The Unbroken Thread

(Image : courtoisie de Unsplash)

La critique du caractère libéral, individualiste et matérialiste des sociétés occidentales n’est pas nouvelle, mais s’inscrit plutôt dans une longue tradition qui accompagne le développement de cet état particulier de la société. Le recours aux grandes œuvres et aux formes traditionnelles ou classiques de la sagesse comme remède à ces errances n’est pas plus original; c’est plutôt le contraire. 

C’est dans cette disposition particulière que je me suis trouvé lorsque j’ai pris connaissance du dernier livre de Sohrab Ahmari – The Unbroken Thread : Discovering the Wisdom of Tradition in an Age of Chaos, une livre qui n’est malheureusement pas encore disponible en français. Si le thème peut sembler convenu, l’approche de Sohrab Ahmari a été saluée par des figures de proue des cercles intellectuels chrétiens américains, dont le cardinal Timothy Dolan. 

Journaliste américain d’origine iranienne, Ahmari a publié en 2016 le récit de sa conversion au catholicisme dans le Catholic Herald sous le titre My journey from Tehran to Rome (Mon parcours de Téhéran à Rome), soulignant que la première expression de son désir de rejoindre l’Église catholique a coïncidé dans le temps avec le martyr du père Jacques Hamel. 

De manière générale, il convient de souligner l’originalité de son parcours. Issu d’un milieu intellectuel sophistiqué, Ahmari quitte l’Iran pour les États-Unis avec sa famille en 1998, à l’âge de 13 ans. Juriste de formation, il a été politisé par le soulèvement post-électoral de 2009 en Iran, et est devenu journaliste, publiant dans de grands médias tels que le Wall Street Journal et le magazine Commentary. Il a documenté son chemin de foi dans son livre From Fire, by Water, un ouvrage publié en 2019. 

Si l’auteur a pu montrer son goût pour la polémique à certaines occasions, on découvre dans son dernier ouvrage un père préoccupé et un intellectuel capable d’un raffinement et d’une subtilité qu’on ne lui a pas toujours reconnus. 

The Unbroken Thread est donc une entreprise de revalorisation des formes traditionnelles de sagesse qui dépasse largement les frontières de l’Église catholique. Essentiellement composé de deux parties, chacune subdivisée en chapitres, le livre s’articule autour d’une série de questions spécifiques auxquelles l’auteur se propose de trouver des réponses, en faisant appel à des personnages parfois bien connus du lectorat catholique, mais aussi très souvent issus d’un tout autre monde. 

Dans la première partie du livre, Ahmari aborde des questions qu’il considère comme étant l’affaire de Dieu : des sujets tels que le sens de la vie, la rationalité de la croyance en Dieu, et les origines du repos dominical, par exemple. Il aborde également des questions telles que la nature et la nécessité de la politique ou la possibilité d’une spiritualité qui s’affranchit de la religion en tant que telle.   

La deuxième partie du livre s’articule plutôt autour des affaires humaines, comme le dit l’auteur. Il aborde notre rapport à l’autorité parentale et à l’autonomie de la pensée, mais aussi, par exemple, la place de la sexualité humaine par rapport au bien commun. Si Ahmari convoque pour étayer sa réflexion des figures marquantes de l’histoire universelle, comme par exemple Confucius, le célèbre sage chinois, il se sert également des œuvres de figures contemporaines surprenantes, comme la militante féministe radicale Andrea Dworkin, dont il évoque les écrits polémiques contre la pornographie pour ouvrir une réflexion passionnante sur la fragilité intrinsèque de la sexualité humaine.  

De manière générale, ses réflexions sur notre rapport au corps sont parmi les éléments les plus forts de l’analyse d’Ahmari, à qui l’on pourrait reprocher le manque de subtilité de la distinction faite entre les affaires divines et humaines dans son cadre d’analyse. Mais ce qui donne sa force, son originalité et son raffinement à la réflexion de Sohrab Ahmari, c’est l’enracinement de son propos dans son expérience de jeune père. Son livre se présente ainsi comme une sorte de réflexion pour son fils Maximilian, nommé en mémoire de Saint Maximilien Kolbe, auquel Ahmari voue une dévotion particulière. 

Le projet de revalorisation des grandes œuvres et de la sagesse traditionnelle est certes important, mais souvent présenté de manière froide et peu raffinée. Ahmari reprend ici cette proposition, en l’enrichissant d’une diversité d’acteurs qui font son originalité, à son meilleur lorsqu’elle aborde les questions les plus proches de la dignité du corps humain.

Compte-rendu de lecture : The Religion of the Apostles

(Image : courtoisie de Wikimedia)

Le paysage religieux de la société américaine se caractérise depuis ses origines par une grande diversité d’appartenances communautaires, une multiplication des conceptions de la foi chrétienne sous les auspices du protestantisme, généralement entendu, et une histoire ponctuée de vagues successives d’éveils spirituels.

Cependant, le protestantisme, ou le catholicisme, n’épuise pas la diversité du christianisme américain, tandis que l’Église orthodoxe est pleinement implantée sous la forme de nombreuses églises particulières généralement associées à un héritage issu des nombreuses vagues de migration qui ont fait de la société américaine contemporaine ce qu’elle est aujourd’hui.

Il serait erroné de réduire l’orthodoxie américaine à un phénomène migratoire, car elle comprend également une variété de convertis d’origine ouest-européenne. C’est à tous ces groupes et au-delà que semble s’adresser The Religion of the Apostles, du prêtre orthodoxe américain Stephen De Young, un livre malheureusement seulement disponible en Anglais à l’heure actuelle.

Titulaire d’un doctorat en études bibliques, le père De Young est le pasteur de l’Église orthodoxe antiochienne Archange Gabriel de Lafayette, en Louisiane. Il est également l’auteur du blog The Whole Counsel, dans lequel il discute des Saintes Écritures d’un point de vue chrétien orthodoxe. Il anime le balado The Whole Counsel of God, où il aborde les mêmes sujets. Avec le père Andrew Stephen Damick, il coanime The Lord of Spirits, une émission de radio où ils abordent les questions liées aux êtres spirituels d’un point de vue chrétien orthodoxe.

The Religion of the Apostles se propose de démontrer que dans l’Église orthodoxe subsiste la religion pratiquée par les apôtres de Jésus-Christ, qui étaient eux-mêmes informés par le judaïsme du Second Temple. En un sens, le livre a donc un caractère apologétique, bien qu’il vise également à éduquer le public intéressé sur les fondements anciens de la religion chrétienne, dans son expression orthodoxe, fondements qui, pour l’auteur, ont tendance à être écartés ou discrédités dans une société américaine contemporaine matérialiste.

Parlant ici d’un point de vue catholique, mon objectif n’est pas de contester la thèse de l’auteur, mais de mettre en évidence la structure du livre et les bénéfices éventuels que le lecteur peut en tirer, parmi lesquels le développement d’une vision réenchantée du monde, cohérente avec la foi chrétienne et une meilleure compréhension de son enracinement dans la tradition judaïque.

The Religion of the Apostles est essentiellement divisé en quatre sections, chacune subdivisée en chapitres. Tout d’abord, l’auteur traite directement de la figure de la divinité en relation avec l’idée de la Sainte Trinité. L’auteur déploie une argumentation approfondie visant à démontrer la continuité entre le judaïsme du Second Temple et le christianisme orthodoxe sur cette question.

La deuxième partie du livre de De Young est à mon avis la plus intéressante et la plus significative. L’auteur y expose sa conception du Conseil divin, mettant en relation les différents êtres et réalités spirituels officiant sous l’autorité du seul vrai Dieu. Avec sa compréhension sophistiquée et son savoir encyclopédique, De Young traite des créatures spirituelles – anges, démons, saints, géants, dieux, etc. – illustrant la profondeur et l’ampleur de leur importance dans la conception chrétienne de l’ordre créé en les mettant en relation avec la cosmologie antique. De Young s’attache ensuite à donner un sens à son entreprise en expliquant les implications de ses affirmations pour notre compréhension des faiblesses et des espoirs humains.

La troisième partie du livre se concentre sur les notions de création et de salut, en expliquant le sens de l’idée d’expiation dans sa conception chrétienne. Enfin, l’auteur aborde dans la quatrième et dernière partie la notion de peuple de Dieu et son évolution aux temps bibliques.

S’il met évidemment en valeur certaines particularités de la théologie orthodoxe qui ne sont pas toujours partagées par la Tradition catholique, et s’il est construit autour d’une argumentation que l’on serait tenté de remettre en question, le livre de De Young est aussi une occasion privilégiée de rencontrer une conception holistique de la Création – matérielle et immatérielle – qui, si elle trouve sa place dans les enseignements de l’Église catholique, n’est plus nommée ni prise au sérieux dans certains de nos milieux.

En un sens, la difficulté qui a motivé De Young à écrire ce livre, à savoir l’appauvrissement de la tradition spirituelle au contact de la modernité occidentale, est une difficulté partagée. Ainsi, le livre dont il est question ici est certainement une pierre de touche digne de considération.

Chaque enfant compte

Choc. Indignation. Tristesse. Souffrance.  Ce ne sont là que quelques-unes des émotions qui ont secoué notre pays et en particulier les communautés autochtones depuis la découverte de 215 enfants enterrés près de l’ancien pensionnat de Kamloops.

Aucune parole ne suffit pour rendre justice devant de telles horreurs. Aucun geste ne pourra compenser pour les violences commises à travers le Canada au cours des décennies et des siècles de notre histoire. Pourtant, nous devons faire briller la lumière de la transparence sur tout ce qui s’est passé.

Nous savons que de nombreux dirigeants ont une responsabilité réelle et urgente à cet égard. Il en va de même pour nous.

Nos cœurs, nos prières et notre solidarité se tournent vers les victimes et les survivants de tous les pensionnats, ainsi qu’à tous nos frères et sœurs autochtones partout au Canada. En même temps, nous devons écouter et avancer ensemble, main dans la main, vers la guérison, la justice, la réconciliation, la dignité et l’espérance d’un meilleur avenir.

Par où pouvons-nous commencer ?

Écouter. Les histoires des anciens élèves des pensionnats autochtones ont souvent rencontré l’indifférence plutôt que l’attention et le profond respect qu’elles méritent. Pour aller de l’avant, il faut comprendre les besoins et les témoignages réels de ceux qui ont souffert. Que peuvent faire chacun et chacune d’entre nous, pour se sensibiliser à la souffrance passée et présente des peuples autochtones ? 

Soutenir. De nombreuses façons, la détresse des peuples autochtones est la blessure la plus profonde de l’histoire canadienne. Il est de plus en plus évident que notre solidarité doit se traduire par des actes concrets de soutien qui promeuvent la dignité et les conditions de vie des personnes autochtones à travers le Canada. Quelles actions pouvez-vous poser dès maintenant ?

Être solidaire. Derrière les tragédies qui défilent dans les émissions d’actualité, il y a des visages, des histoires personnelles, des noms et des prénoms. Que pouvons-nous faire afin de développer des relations personnelles et des amitiés avec nos compatriotes autochtones ? Comment pouvons-nous nous engager personnellement ?

Sel + Lumière Média rend hommage au caractère sacré des vies qui ont été perdues. Chaque enfant compte.

Notre foi nous indique que la vie de chaque être humain est égale aux yeux de Dieu. Les paroles du pape François nous inspirent à reconnaître la dignité de tous les enfants de Dieu : 

« Il est quelque chose de fondamental et d’essentiel à reconnaître pour progresser vers l’amitié sociale et la fraternité universelle : réaliser combien vaut un être humain, combien vaut une personne, toujours et en toute circonstance. Si tous les hommes et femmes ont la même valeur, il faut dire clairement et fermement que  »le seul fait d’être né en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des personnes vivent dans une moindre dignité » (Evangelii Gaudium, no. 190) Il s’agit d’un principe élémentaire de la vie sociale qui est souvent ignoré de différentes manières par ceux qui estiment qu’il n’apporte rien à leur vision du monde ni ne sert à leurs fins. » (Fratelli Tutti, no. 106).

On a déjà beaucoup discuté de la nécessité d’une action de la part de l’Église face à ces révélations tragiques. Nous avons confiance que les responsables ecclésiastiques vont travailler avec assiduité pour aborder ce problème d’une manière qui corresponde à la gravité de cette tragédie.

En même temps, nous sommes l’Église. Le chemin de conversion de l’Église passe par chacune de nos vies.

Nous avons, toutes et tous, un rôle à jouer. Nous devons faire notre part pour honorer dignement la mémoire des 215 enfants décédés et rendre hommage à tous ceux qui ont souffert pendant tant d’années.

Que l’Esprit de notre Créateur nous guide sur ce chemin, des profondeurs de la nuit à la clarté d’une aube nouvelle.

 

Père Alan Fogarty, S.J.

Président-Directeur général

Fondation catholique Sel et Lumière média

 

Traduit de l’original anglais

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