Audience générale du pape François – 7 juin 2023

Statue de Sainte-Thérèse de l’Enfant Jésus par Louis Richomme, crypte Basilique de Sainte-Thérèse à Lisieux

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François poursuit l’itinéraire sur le zèle apostolique du croyant et s’adresse au public devant les reliques de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, patronne des missions.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bienvenus, bonjour !

Nous voici devant les reliques de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, patronne universelle des missions. Il est beau que cela se produise durant le moment de notre réflexion sur la passion pour l’évangélisation, sur le zèle apostolique. Aujourd’hui, donc, laissons-nous aider par le témoignage de Sainte Thérèse. Elle est née il y a 150 ans et, à l’occasion de cet anniversaire, j’ai l’intention de lui dédier une Lettre Apostolique.

Elle est la patronne des missions, bien qu’elle ne soit jamais partie en mission : comment explique-t-on cela ? Elle était carmélite et sa vie fut marquée par la petitesse et la faiblesse : elle se définissait elle-même comme « un petit grain de sable ». De santé fragile, elle mourut à l’âge de 24 ans seulement. Mais si son corps était infirme, son cœur était vibrant, était missionnaire. Dans son « diaire », elle raconte qu’être missionnaire était son désir et qu’elle voulait l’être non seulement pour quelques années, mais pour le reste de sa vie, voire jusqu’à la fin du monde. Thérèse fut la « sœur spirituelle » de plusieurs missionnaires : depuis le monastère, elle les accompagnait par ses lettres, ses prières et en offrant pour eux des sacrifices continuels. Sans en avoir l’air, elle intercédait pour les missions, cachée comme un moteur qui donne au véhicule la force pour avancer. Cependant, elle fut souvent incomprise par ses sœurs moniales : elle reçut d’elles « plus d’épines que de roses », mais elle accepta tout avec amour, avec patience, offrant, en même temps que sa maladie, les jugements et les incompréhensions. Et elle le fit avec joie, et elle le fit pour les besoins de l’Église, afin que, comme elle disait, se répandent « des roses sur tous », en particulier sur les plus éloignés.

Mais maintenant, je me demande, nous pouvons nous demander, d’où lui viennent ce zèle, cette force missionnaire et cette joie d’intercéder ? Deux épisodes survenus avant l’entrée de Thérèse au monastère nous aident à le comprendre. Le premier concerne le jour qui changea sa vie – un jour lui a changé la vie -, Noël 1886, où Dieu opère un miracle dans son cœur. Thérèse aura bientôt 14 ans. En tant que benjamine, elle est choyée par tout le monde à la maison mais non pas mal éduquée. Au retour de la messe de minuit, son père, très fatigué, n’a pas envie d’assister à l’ouverture des cadeaux de sa fille et dit : « Dieu merci, c’est la dernière année ! », parce qu’à l’âge de 15 ans, on ne le faisait déjà plus. Thérèse, de nature très sensible et prompte aux larmes, en fut blessée, monta dans sa chambre et pleura. Mais elle réprima rapidement ses larmes, redescendit et, pleine de joie, ce fut elle qui réjouit ainsi son père. Que s’est-il donc passé ? Cette nuit-là, alors que Jésus s’était fait faible par amour, elle était devenue forte dans son âme – un vrai miracle :  en quelques instants, elle était sortie de la prison de son égoïsme et de son apitoiement sur elle-même et elle commença à sentir que « la charité entrait dans son cœur- c’est ce qu’elle dit-, avec le besoin de s’oublier elle-même » (cf. Manuscrit A, 133-134). Dès lors, elle oriente son zèle vers les autres, pour qu’ils trouvent Dieu, et au lieu de chercher des consolations pour elle-même, elle se donne pour tâche de « consoler Jésus, [de] le faire aimer des âmes », car – note Thérèse – « Jésus est malade d’amour et […] la maladie de l’amour ne peut être guérie que par l’amour » (Lettre à Marie Guérin, juillet 1890). Voilà donc son objectif quotidien : « faire aimer Jésus » (Lettre à Céline, 15 octobre 1889), intercéder pour que les autres puissent l’aimer. Elle écrit : « Je voudrais sauver les âmes et m’oublier pour elles : je voudrais les sauver même après ma mort » (Lettre à l’abbé Roullan, 19 mars 1897). Plusieurs fois, elle dira : « Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre ». C’est le premier épisode qui a changé sa vie à l’âge de 14 ans.

Et son zèle était surtout dirigé vers les pécheurs, vers les « éloignés ». C’est ce que révèle le second épisode. C’est intéressant : Thérèse apprend l’existence d’un criminel condamné à mort pour des crimes horribles, il se nommait Enrico Pranzini – elle écrit le nom : reconnu coupable du meurtre brutal de trois personnes, il est destiné à la guillotine, mais ne veut pas recevoir les réconforts de la foi. Thérèse le prend à cœur et fait tout ce qu’elle peut : elle prie de toutes les manières pour sa conversion, afin que celui qu’elle appelle avec une compassion fraternelle « le pauvre Pranzini » ait un petit signe de repentir et fasse place à la miséricorde de Dieu, en qui Thérèse voue une confiance aveugle. L’exécution a lieu. Le lendemain, Teresa lit dans le journal que Pranzini, juste avant de poser sa tête sur l’échafaud, « soudain, saisi d’une inspiration subite, se retourne, saisit un Crucifix que le prêtre lui présentait et baise trois fois les plaies saintes » de Jésus. La sainte commente : « Alors son âme alla recevoir la sentence miséricordieuse de Celui qui a déclaré qu’au Ciel il y a plus de joie pour un seul pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence ! » (Manuscrit A, 135).

Frères et sœurs, voilà la force de l’intercession mue par la charité, voilà le moteur de la mission. Les missionnaires, en effet, dont Thérèse est la patronne, ne sont pas seulement ceux qui parcourent de longues distances, apprennent de nouvelles langues, font de bonnes œuvres et sont doués pour l’annonce ; non, missionnaire l’est aussi celui qui vit, là où il se trouve, comme instrument de l’amour de Dieu ; c’est celui qui fait tout pour que, par son témoignage, sa prière, son intercession, Jésus soit manifesté. Et c’est le zèle apostolique qui, rappelons-le toujours, ne procède jamais par prosélytisme – jamais ! – ou par contrainte– jamais ! -, mais par attraction : la foi nait par attraction, on ne devient pas chrétien parce qu’on y est forcé par quelqu’un, non, mais parce qu’on est touché par l’amour. Avant tant de moyens, de méthodes et de structures, qui parfois détournent de l’essentiel, l’Église a surtout besoin de cœurs comme celui de Thérèse, de cœurs qui attirent à l’amour et rapprochent de Dieu. Et demandons à la sainte – nous avons les reliques ici – demandons à la sainte la grâce de surmonter notre égoïsme et demandons la passion d’intercéder, d’intercéder pour que cet attrait soit plus grand chez les gens et pour que Jésus soit connu et aimé.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience Générale du pape François du 31 mai 2023

Matteo Ricci, portrait par Yu Wen-hui. Wikimedia Commons.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François poursuit l’itinéraire sur le zèle apostolique avec la figure de Matteo Ricci, un grand scientifique qui avait le souhait profond d’annoncer l’Évangile.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous poursuivons ce cycle de catéchèses en parlant du zèle apostolique, c’est-à-dire ce que ressent le chrétien pour bien effectuer l’annonce de Jésus-Christ. Et aujourd’hui, je voudrais vous présenter un autre grand exemple de zèle apostolique : nous avons parlé de saint François Xavier, de saint Paul, du zèle apostolique des grands zélateurs ; aujourd’hui, nous parlerons d’un Italien, mais qui est allé en Chine : Matteo Ricci.

Originaire de Macerata, dans la région des Marches en Italie, après avoir étudié dans les écoles des Jésuites et être entré lui-même dans la Compagnie de Jésus, enthousiasmé par les rapports des missionnaires qu’il écoutait et il s’est enthousiasmé comme tant d’autres jeunes qui ressentaient cela, il demanda à être envoyé dans les missions de l’Extrême-Orient. Après la tentative de François Xavier, vingt-cinq autres jésuites avaient vainement tenté d’entrer en Chine. Mais Ricci et l’un de ses confrères se préparèrent très bien, étudiant soigneusement la langue et les coutumes chinoises, et réussirent finalement à s’établir dans le sud du pays. Il leur a fallu dix-huit ans, avec quatre étapes dans quatre villes différentes, avant d’arriver à Pékin, qui était le centre. Avec persévérance et patience, animé d’une foi inébranlable, Matteo Ricci a pu surmonter les difficultés et les dangers, les méfiances et oppositions. Imaginez à l’époque, à pied ou à cheval, tant de distances… et il persistait. Mais quel a été le secret de Matteo Ricci ? Par quel chemin le zèle l’a-t-il poussé ?

Il a suivi toujours la voie du dialogue et de l’amitié avec toutes les personnes qu’il rencontrait, ce qui lui a ouvert de nombreuses portes pour annoncer la foi chrétienne. Son premier ouvrage en chinois fut d’ailleurs un traité Sur l’amitié, qui eut un impact considérable. Pour s’adapter à la culture et à la vie chinoises, il s’est d’abord habillé comme les bonzes bouddhistes, selon la coutume du pays, mais il a ensuite réalisé que le meilleur moyen était d’adopter le style de vie et la tenue des gens de lettres, comme les professeurs d’université, les gens de lettres s’habillaient : il s’est donc habillé comme eux. Il étudia en profondeur leurs textes classiques, afin de pouvoir présenter le christianisme en dialogue positif avec leur sagesse confucéenne et les coutumes de la société chinoise. C’est ce qu’on appelle une attitude d’inculturation. Ce missionnaire a su « inculturer » la foi chrétienne dans le dialogue, comme les Pères de l’Antiquité avec la culture grecque.

Ses remarquables connaissances scientifiques suscitèrent l’intérêt et l’admiration des hommes de culture, à commencer par sa célèbre mappemonde, la carte du monde entier connu à l’époque, avec les différents continents, qui révéla pour la première fois aux Chinois une réalité extérieure à la Chine, beaucoup plus vaste qu’ils ne l’avaient imaginée. Il leur a montré que le monde était encore plus grand que la Chine, et ceux-ci comprenaient – parce qu’ils étaient intelligents. Mais les connaissances mathématiques et astronomiques de Ricci et de ses disciples missionnaires contribuèrent également à une rencontre féconde entre la culture et la science de l’Occident et de l’Orient, qui connaîtra alors l’une de ses périodes les plus heureuses, sous le signe du dialogue et de l’amitié. En effet, l’œuvre de Matteo Ricci n’aurait jamais été possible sans la collaboration de ses grands amis chinois, tels que les célèbres « Docteur Paul » (Xu Guangqi) et « Docteur Leo » (Li Zhizao)

Toutefois, la renommée de Ricci comme homme de science ne doit pas occulter la motivation la plus profonde de tous ses efforts : c’est-à-dire, l’annonce de l’Évangile. Lui, il poursuivait le dialogue scientifique, avec les gens de science, mais il témoignait de sa propre foi, de l’Évangile. La crédibilité obtenue par le dialogue scientifique lui donnait l’autorité nécessaire pour proposer la vérité de la foi et de la morale chrétiennes, qu’il aborde en profondeur dans ses principales œuvres chinoises, comme La véritable signification du Seigneur du Ciel – c’est le titre de ce livre. Outre la doctrine, c’est son témoignage de vie religieuse, de vertu et de prière : ces missionnaires priaient. Ils allaient prêcher, étaient actifs au plan politique, tout cela : ils priaient. C’est ce qui alimente la vie missionnaire, une vie de charité, ils aidaient les autres, humblement, avec un total désintérêt pour les honneurs et les richesses, qui a poussé beaucoup de ses disciples et de ses amis à embrasser la foi catholique. Car ils voyaient un homme si intelligent, si sage, si astucieux – dans le bon sens du terme – pour faire avancer les choses, et si croyant qu’ils disaient : « Mais, ce qu’il prêche est vrai parce que c’est une personne qui rend témoignage : il témoigne par sa propre vie de ce qu’il annonce ». Telle est la cohérence des évangélisateurs. Et cela nous concerne tous, nous chrétiens qui sommes évangélisateurs. Je peux dire le Credo par cœur, je peux dire tout ce que nous croyons, mais si ta vie n’est pas cohérente avec cela, cela ne sert à rien. Ce qui attire les gens, c’est le témoignage de la cohérence : nous, chrétiens, vivons ce que nous disons, et non pas prétendre vivre en chrétiens et vivre comme des mondains. Faites attention à cela, observez ces grands missionnaires – et c’est un Italien, hein ? – en observant ces grands missionnaires, nous voyons que la plus grande force, c’est la cohérence : ils sont cohérents.

Dans les derniers jours de sa vie, à ses proches qui lui demandaient comment il se sentait, « il répondit qu’il se demandait à ce moment-là si étaient plus grande la joie et l’allégresse qu’il ressentait intérieurement à l’idée de la proximité de son voyage pour aller savourer la présence de Dieu, ou la tristesse que pouvait lui causer le fait de quitter ses compagnons de toute la mission qu’il aimait tant, et le service qu’il pouvait encore rendre à Dieu Notre Seigneur dans cette mission » (S. DE URSIS, Rapport sur M. Ricci, Archivio Storico Romano S.I.). C’est la même attitude que l’apôtre Paul (cf. Ph1, 22-24), qui voulait aller vers le Seigneur, retrouver le Seigneur, mais « je reste pour vous servir ».

Matteo Ricci meurt à Pékin en 1610, à l’âge de 57 ans, un homme qui a donné toute sa vie à la mission. L’esprit missionnaire de Matteo Ricci est un modèle à suivre aujourd’hui. Son amour pour le peuple chinois est un modèle, mais ce qui représente un itinéraire actuel, c’est sa cohérence de vie, le témoignage de sa vie de chrétien. Il a apporté le christianisme en Chine ; il est grand, oui, parce qu’il est un grand scientifique, il est grand parce qu’il est courageux, il est grand parce qu’il a écrit tant de livres, mais il est surtout grand parce qu’il a été cohérent avec sa vocation, cohérent avec son désir de suivre Jésus-Christ. Frères et sœurs, aujourd’hui, chacun de nous se demande en son for intérieur : « Suis-je cohérent, ou suis-je un peu comme ci comme ça ? »

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François lors de la célébration de la messe de la Pentecôte

Le dimanche 28 mai 2023, le pape François a présidé la messe de la solennité de la Pentecôte dans la basilique Saint-Pierre au Vatican.

Voici le texte intégral de l’homélie:

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Dimanche, 28 mai 2023

Chers frères et sœurs, bonjour !

La Parole de Dieu, aujourd’hui, nous montre l’Esprit Saint en action. Nous le voyons agir à trois moments : dans le monde qu’il a créédans l’Église et dans nos cœurs.

1. D’abord dans le monde qu’il a créé, dans la création. Dès le début, l’Esprit Saint est à l’œuvre : « Tu envoies ton souffle : ils sont créés », avons-nous prié dans le psaume (104, 30). Il est, en effet, creator Spiritus (cf. Saint Augustin, In Ps XXXII,2,2), Esprit créateur : c’est ainsi que l’Église l’invoque depuis des siècles. Mais, nous pouvons nous demander, que fait l’Esprit dans la création du monde ? Si tout vient du Père, si tout est créé par le Fils, quel est le rôle spécifique de l’Esprit ? Un Père de l’Église, saint Basile, a écrit : « Si vous essayez d’enlever l’Esprit à la création, toutes les choses se mélangent et leur vie apparaît sans loi, sans ordre » (Spir., XVI, 38). Voilà le rôle de l’Esprit : Il est celui qui, à l’origine et en tout temps, fait passer les réalités créées du désordre à l’ordre, de la dispersion à la cohésion, de la confusion à l’harmonie. Cette manière d’agir, nous la verrons toujours dans la vie de l’Église. En un mot, Il donne l’harmonie au monde. Il « conduit ainsi le cours des temps et rénove la face de la terre » (Gaudium et spes, n. 26 ; Ps 104, 30). Il renouvelle la terre, mais attention : non pas en changeant la réalité, mais plutôt en l’harmonisant ; c’est son style, parce qu’Il est en lui-même harmonie : Ipse harmonia est. (cf. S. Basile, In Ps 29, 1) ), dit un Père de l’Église.

Aujourd’hui dans le monde, il y a beaucoup de discorde, beaucoup de divisions. Nous sommes tous reliés et pourtant nous nous trouvons déconnectés les uns des autres, anesthésiés par l’indifférence et opprimés par la solitude. Tant de guerres, tant de conflits : le mal que l’homme peut accomplir semble incroyable ! Mais en réalité, ce qui alimente nos hostilités, c’est l’esprit de division, le diable, dont le nom même signifie “diviseur”. Oui, précédant et dépassant notre mal, notre désagrégation, il y a l’esprit mauvais, « le séducteur du monde entier » (Ap 12, 9). Il se plaît dans les antagonismes, les injustices, les calomnies, ils font sa joie. Et, face au mal de la discorde, nos efforts pour construire l’harmonie ne suffisent pas. C’est ainsi que le Seigneur, au point culminant de sa Pâque, au point culminant du salut, répand sur le monde créé son bon Esprit, l’Esprit Saint, qui s’oppose à l’esprit de division parce qu’il est harmonie, Esprit d’unité qui apporte la paix. Invoquons-le chaque jour sur notre monde, sur notre vie et face à toutes sortes de divisions !

2. Outre la création, nous le voyons à l’œuvre dans l’Église, à partir du jour de la Pentecôte. Remarquons cependant que l’Esprit ne marque pas le début de l’Église en donnant des instructions et des normes à la communauté, mais en descendant sur chacun des Apôtre : chacun reçoit des grâces particulières et des charismes différents. Cette pluralité de dons différents pourrait créer de la confusion, mais l’Esprit, comme dans la création, aime créer l’harmonie à partir justement de la pluralité. Son harmonie n’est pas un ordre imposé et standardisé, non. Dans l’Église, il y a un ordre « organisé selon la diversité des dons de l’Esprit » (S. Basile, Spir., XVI, 39). À la Pentecôte, en effet, l’Esprit Saint descend en plusieurs langues de feu : il donne à chacun la capacité de parler d’autres langues (cf. Ac 2, 4) et d’entendre sa propre langue parlée par les autres (cf. Ac 2, 6. 11). Il ne crée donc pas une langue égale pour tous, il n’efface pas les différences, les cultures, mais il harmonise tout sans standardiser, sans uniformiser. Et cela doit nous faire réfléchir au moment où la tentation du « retour en arrière » cherche à tout uniformiser dans des disciplines d’apparence seulement, sans substance. Restons sur cet aspect, sur l’Esprit qui ne commence pas par un projet structuré, comme nous le ferions, nous qui nous perdons souvent ensuite dans nos programmes. Non, il commence en accordant des dons gratuits et surabondants. En effet, à la Pentecôte, souligne le texte, « tous furent remplis d’Esprit Saint » (Ac 2, 4). Tous remplis, c’est ainsi que commence la vie de l’Église : non pas à partir d’un plan précis et articulé, mais de l’expérience du même amour de Dieu. L’Esprit crée ainsi l’harmonie, il nous invite à faire l’expérience de l’émerveillement devant son amour et ses dons présents chez les autres. Comme nous l’a dit saint Paul : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. […] C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous nous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 4.13). Voir chaque frère et sœur dans la foi comme faisant partie du même corps auquel j’appartiens : voilà le regard harmonieux de l’Esprit, voilà le chemin qu’il nous montre !

Et le Synode en cours est – et doit être – une marche selon l’Esprit : non pas un parlement pour revendiquer des droits et des besoins selon l’agenda du monde, non pas une occasion d’aller là où le vent nous porte, mais une occasion d’être dociles au souffle de l’Esprit. Parce que, sur la mer de l’histoire, l’Église ne navigue qu’avec Lui qui est « l’âme de l’Église » (Saint Paul VI, Discours au Sacré Collège pour les vœux de fêtes patronales, 21 juin 1976), le cœur de la synodalité, le moteur de l’évangélisation. Sans Lui, l’Église est inerte, la foi n’est qu’une doctrine, la morale qu’un devoir, la pastorale qu’un travail. Parfois, nous entendons des soi-disant penseurs, théologiens, qui nous donnent des doctrines froides, qui semblent mathématiques, parce que l’Esprit n’est pas présent en elles. Avec Lui, au contraire, la foi est vie, l’amour du Seigneur nous envahit, et l’espérance renaît. Remettons l’Esprit Saint au centre de l’Église, sinon nos cœurs ne seront pas brûlés d’amour pour Jésus, mais pour nous-mêmes. Mettons l’Esprit au début et au cœur des travaux du synode. Car c’est “de Lui, surtout, que l’Église a besoin aujourd’hui ! Disons-lui donc chaque jour : viens !” (cf. Id., Audience générale, 29 novembre 1972). Et marchons ensemble, car l’Esprit, comme à la Pentecôte, aime descendre quand “tous sont ensemble” (cf. Ac 2,1). Oui, pour se montrer au monde, il a choisi le moment et le lieu où tous se trouvent ensemble. Le Peuple de Dieu, pour être rempli de l’Esprit, doit donc marcher ensemble, faire synode. C’est ainsi que se renouvèle l’harmonie dans l’Église : en marchant ensemble avec l’Esprit au centre. Frères et sœurs, construisons l’harmonie dans l’Église !

3. Enfin, l’Esprit fait l’harmonie dans nos cœurs. Nous le voyons dans l’Évangile, où Jésus, le soir de Pâques, souffle sur les disciples et dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22). Il le donne dans un but précis : pardonner les péchés, c’est-à-dire réconcilier les âmes, harmoniser les cœurs déchirés par le mal, brisés par les blessures, désagrégés par le sentiment de culpabilité. Seul l’Esprit remet l’harmonie dans le cœur, car Il est celui qui crée « l’intimité avec Dieu » (S. Basile, Spir., XIX, 49). Si nous voulons de l’harmonie, cherchons-Le, et non pas des compensations mondaines. Invoquons l’Esprit Saint chaque jour, commençons chaque journée en Le priant, devenons-Lui dociles !

Et aujourd’hui, en sa fête, demandons-nous : suis-je docile à l’harmonie de l’Esprit ? Ou bien est-ce que je poursuis mes projets, mes idées sans me laisser façonner, sans me laisser changer par Lui ? Ma façon de vivre la foi est-elle docile à l’Esprit ou est-elle têtue ? Entêtée, attachée à des lettres, à de soi-disant doctrines qui ne sont que des expressions froides de la vie ? Suis-je prompt à juger, à pointer du doigt et à claquer la porte au nez des autres, en me considérant comme la victime de tout et de tous ? Ou bien est-ce que j’accueille sa puissance créatrice harmonieuse, est-ce j’accueille la “grâce de l’ensemble” qu’Il inspire, son pardon qui donne la paix ? Et à mon tour, est ce que je pardonne ? Pardonner, c’est faire place pour que vienne l’Esprit. Est-ce que je favorise la réconciliation et crée la communion, ou est-ce que je cherche toujours, en mettant mon nez là où il y a des difficultés, à contrarier, à diviser, à détruire ? Est-ce que je pardonne, est-ce que je favorise la réconciliation, est-ce que je crée la communion ? Si le monde est divisé, si l’Église est polarisée, si le cœur est fragmenté, ne perdons pas de temps à critiquer les autres et à nous mettre en colère contre nous-mêmes, mais invoquons l’Esprit : il est capable de résoudre ces choses.

Esprit Saint, Esprit de Jésus et du Père, source inépuisable d’harmonie, nous te confions le monde, nous te consacrons l’Église et nos cœurs. Viens Esprit créateur, harmonie de l’humanité, renouvelle la face de la terre. Viens Don des dons, harmonie de l’Église, rends-nous unis en Toi. Viens Esprit de pardon, harmonie du cœur, transforme-nous comme tu sais le faire, par Marie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Message du pape François pour la Journée mondiale des communications 2023

Photo par Ricky Esquivel de Pexels

Chaque année, à l’occasion de la fête de saint François de Sales, patron des journalistes, le Vatican publie un message du Saint-Père pour la Journée mondiale des communications (également appelée Journée mondiale des communications sociales).
La 57e Journée mondiale de la communication sera célébrée le dimanche 21 mai 2023. Le thème de cette année est « Parler avec le cœur ».

Lire le texte intégral du message du pape François ci-dessous:

 

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA 57ème JOURNÉE MONDIALE
DES COMMUNICATIONS SOCIALES

Parler avec le cœur.

« Selon la vérité, dans la charité » (Ep 4, 15)

 

Chers frères et sœurs !

Après avoir réfléchi, les années précédentes, sur les verbes  » aller et voir  » et  » écouter  » comme conditions d’une bonne communication, je voudrais, avec ce message pour la 57 ème Journée Mondiale des Communications, m’arrêter sur « parler avec le cœur ». C’est le cœur qui nous a poussé à aller, voir et écouter, et c’est le cœur qui nous pousse à une communication ouverte et accueillante. Après nous être formés à l’écoute, qui demande attente et patience, ainsi que le renoncement à affirmer au préalable notre point de vue, nous pouvons entrer dans la dynamique du dialogue et du partage, qui est précisément celle du fait de communiquer cordialement. Une fois que nous aurons écouté l’autre avec un cœur pur, nous réussirons également à parler selon la vérité dans l’amour (cf. Ep 4, 15). Nous devons avoir peur non pas de proclamer la vérité, même si elle est parfois inconfortable, mais de le faire sans charité, sans cœur. Parce que « le programme du chrétien – comme l’a écrit Benoît XVI – est « un cœur qui voit » » [1] . Un cœur qui, par ses pulsations, révèle la vérité de notre être et qui, pour cette raison, doit être écouté. Cela incite celui qui écoute à se mettre sur la même longueur d’onde, au point de pouvoir sentir dans son propre cœur les pulsations de l’autre. Alors le miracle de la rencontre peut se produire, qui nous amène à nous regarder les uns les autres avec compassion, accueillant avec respect les fragilités de chacun, plutôt que de juger par ouï-dire et de semer la discorde et les divisions.

Jésus nous avertit que tout arbre se reconnaît à ses fruits (cf. Lc 6, 44) : « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » (v. 45). Par conséquent, pour pouvoir communiquer selon la vérité dans la charité, l’on doit purifier son propre cœur. Ce n’est qu’en écoutant et en parlant avec un cœur pur que nous pouvons voir au-delà des apparences et surmonter le bruit indistinct qui, également dans le domaine de l’information, ne nous aide pas à discerner dans la complexité du monde où nous vivons. L’appel à parler avec le cœur interpelle radicalement notre temps, tellement enclin à l’indifférence et à l’indignation, parfois même sur la base de la désinformation qui falsifie et instrumentalise la vérité.

Communiquer cordialement

Communiquer cordialement signifie que celui qui nous lit ou nous écoute est amené à saisir notre participation aux joies et aux craintes, aux espoirs et aux souffrances des femmes et des hommes de notre temps. Celui qui parle ainsi aime l’autre parce qu’il se soucie de lui et veille sur sa liberté, sans la violer. Nous pouvons voir ce style dans le mystérieux Voyageur qui converse avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs après la tragédie advenue sur le Golgotha. Jésus ressuscité leur parle avec le cœur, accompagnant respectueusement le chemin de leur douleur, se proposant plutôt que s’imposant, leur ouvrant avec amour l’esprit à la compréhension du sens plus profond de ce qui est arrivé. En effet, ils peuvent s’exclamer avec joie que leur cœur brûlait intérieurement tandis qu’Il conversait en chemin et leur expliquait les Écritures (cf. Lc 24, 32).

Dans une période de l’histoire marquée par des polarisations et contrapositions – dont, malheureusement, la communauté ecclésiale n’est pas exempte – l’engagement pour une communication « à cœur et à bras ouverts » ne concerne pas seulement les professionnels de l’information, mais est une responsabilité de tout un chacun. Nous sommes tous appelés à rechercher et à dire la vérité, et à le faire avec charité. Nous chrétiens, en particulier, sommes continuellement exhortés à garder notre langue du mal (cf. Ps 34, 14), puisque, comme l’enseigne l’Écriture, avec elle nous pouvons aussi bien bénir le Seigneur et maudire les hommes créés à l’image de Dieu (cf. Jc 3, 9). De notre bouche ne devraient pas sortir de paroles mauvaises, « mais plutôt une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui écoutent » (Ep 4, 29).

Parfois, un discours aimable ouvre une brèche dans les cœurs les plus endurcis. Nous en trouvons également des traces dans la littérature. Je pense à cette page mémorable du chapitre 21 du roman Les Fiancés (Promessi Sposi) où Lucia parle avec son cœur à l’Inconnu jusqu’à ce que celui-ci, désarmé et tourmenté par une crise intérieure salutaire, cède à la douce force de l’amour. Nous en faisons l’expérience dans la coexistence civique, où la gentillesse n’est pas seulement une question de “bonnes manières”, mais un véritable antidote à la cruauté, qui malheureusement peut empoisonner les cœurs et envenimer les relations. Nous en avons besoin dans les médias, afin que la communication ne nourrisse pas un ressentiment qui exaspère, génère de la colère et mène à la confrontation, mais qu’elle aide les gens à réfléchir calmement, à décrypter, avec un esprit critique et toujours respectueux, la réalité dans laquelle ils vivent.

La communication de cœur à cœur : « Il suffit d’aimer bien pour bien s’exprimer ».

L’un des exemples les plus lumineux et les plus fascinants du « parler avec le cœur » est celui de saint François de Sales, Docteur de l’Église, à qui j’ai récemment dédié la lettre apostolique Totum amoris est, 400 ans après sa mort. Parallèlement à cet important anniversaire, il me plaît de rappeler en la circonstance un autre anniversaire en cette année 2023 : le centenaire de sa proclamation comme patron des journalistes catholiques par Pie XI avec l’Encyclique Rerum omnium perturbationem. Intellectuel brillant, écrivain prolifique, théologien d’une grande profondeur, François de Sales est évêque de Genève au début du XVIIe siècle, dans des années difficiles marquées par de vives disputes avec les calvinistes. Sa douceur, son humanité, sa disposition à dialoguer patiemment avec tout le monde et surtout avec ceux qui s’opposaient à lui, firent de lui un témoin extraordinaire de l’amour miséricordieux de Dieu. On pouvait dire de lui que « la parole agréable attire de nombreux amis, le langage aimable attire de nombreuses gentillesses » (Sir 6,5). D’ailleurs, l’une de ses déclarations les plus célèbres, « le cœur parle au cœur », a inspiré des générations de fidèles, dont saint John Henry Newman qui en a fait sa devise, Cor ad cor loquitur : « Il suffit de bien aimer pour bien s’exprimer », était l’une de ses convictions. Cela montre comment, pour lui, la communication ne doit jamais être réduite à un artifice, à – nous dirions aujourd’hui – une stratégie de marketing, mais doit être le reflet de l’âme, la surface visible d’un noyau d’amour invisible aux yeux. Pour saint François de Sales, c’est précisément « dans le cœur et par le cœur que s’accomplit ce processus d’unification subtil et intense en vertu duquel l’homme reconnaît Dieu ». [2] En « aimant bien », saint François est parvenu à communiquer avec le sourd-muet Martin, devenant son ami ; c’est pourquoi on se souvient aussi de lui comme protecteur des personnes souffrant de handicap de communication.

C’est à partir de ce « critère de l’amour » que, par ses écrits et son témoignage de vie, le saint évêque de Genève nous rappelle que « nous sommes ce que nous communiquons ». Une leçon qui va à contre-courant aujourd’hui, à une époque où, comme nous le vivons notamment sur les réseaux sociaux, la communication est souvent instrumentalisée pour que le monde nous voie comme nous voudrions être et non comme nous sommes. Saint François de Sales diffusa de nombreux exemplaires de ses écrits dans la communauté genevoise. Cette intuition « journalistique » lui valut une réputation qui rapidement dépassa le périmètre de son diocèse et qui perdure encore de nos jours. Ses écrits, comme l’a fait remarquer saint Paul VI, constituent « une lecture extrêmement agréable, instructive et stimulante » [3] . Si l’on observe le paysage de la communication aujourd’hui, ne s’agit-il pas précisément des caractéristiques auxquelles doit satisfaire un article, un reportage, une émission de radio ou de télévision ou un post sur les réseaux sociaux ? Puissent donc les professionnels de la communication se laisser inspirer par ce saint de la tendresse, en recherchant et en racontant la vérité avec courage et liberté, tout en rejetant la tentation d’utiliser des expressions percutantes et agressives.

Parler avec le cœur dans le processus synodal

Comme je l’ai souligné, « même dans l’Église, il y a un grand besoin d’écouter et de s’écouter. C’est le don le plus précieux et le plus généreux que nous pouvons offrir les uns les autres ». [4] D’une écoute sans préjugés, attentive et disponible, naît une « prise de parole » selon le style de Dieu, nourrie de proximité, de compassion et de tendresse. Nous avons un besoin urgent dans l’Église d’une communication qui embrase les cœurs, qui soit un baume sur les blessures et qui éclaire le chemin de nos frères et sœurs. Je rêve d’une communication ecclésiale qui sache se laisser guider par l’Esprit Saint, douce et en même temps prophétique, qui sache trouver de nouvelles formes et modalités pour la merveilleuse annonce qu’elle est appelée à porter dans le troisième millénaire. Une communication qui mette au centre la relation avec Dieu et le prochain, en particulier les plus démunis, et qui sache allumer le feu de la foi plutôt que préserver les cendres d’une identité autoréférentielle. Une communication dont les fondements sont l’humilité dans l’écoute et la parresia dans le parler, qui ne sépare jamais la vérité de la charité.

Désarmer les esprits en promouvant un langage de paix

« Une langue délicate peut broyer un os » dit le livre des Proverbes (25,15). Parler avec le cœur est plus que jamais nécessaire aujourd’hui pour promouvoir une culture de la paix là où il y a la guerre ; pour ouvrir des sentiers qui permettent le dialogue et la réconciliation là où la haine et l’inimitié font rage. Dans le contexte dramatique de conflit mondial que nous connaissons, il est urgent d’affirmer une communication qui ne soit pas hostile. Il est nécessaire de surmonter « l’habitude de disqualifier instantanément l’adversaire en lui appliquant des épithètes humiliantes, en lieu et place d’un dialogue ouvert et respectueux ». [5] Nous avons besoin de communicateurs disposés au dialogue, impliqués dans la promotion du désarmement intégral et engagés à dissiper la psychose de la guerre qui se niche dans nos cœurs, comme l’exhortait prophétiquement saint Jean XXIII dans l’encyclique Pacem in Terris : « La vraie paix ne peut s’édifier que dans la confiance mutuelle » (n. 61). Une confiance qui a besoin de communicateurs qui ne soient pas retranchés, mais audacieux et créatifs, prêts à prendre des risques pour trouver un terrain d’entente où se rencontrer. Comme il y a 60 ans, nous vivons aujourd’hui une heure sombre où l’humanité craint une escalade de la guerre, qu’il faut endiguer au plus vite, y compris au niveau de la communication. On est consterné d’entendre avec quelle facilité sont prononcés des paroles appelant à la destruction de peuples et de territoires. Des propos qui, malheureusement, se transforment souvent en actions guerrières d’une violence féroce. C’est pourquoi toute rhétorique belliqueuse doit être rejetée, de même que toute forme de propagande qui manipule la vérité, la défigurant à des fins idéologiques. Au contraire, il faut promouvoir à tous les niveaux une communication qui aide à créer les conditions pour résoudre les conflits entre les peuples.

En tant que chrétiens, nous savons que c’est vraiment grâce à la conversion du cœur que se décide le sort de la paix, puisque le virus de la guerre vient de l’intérieur du cœur humain. [6] Du cœur jaillissent les paroles justes pour dissiper les ombres d’un monde fermé et divisé et construire une civilisation meilleure que celle que nous avons reçue. Il s’agit d’un effort demandé à chacun d’entre nous, mais qui exige tout particulièrement un sens des responsabilités de la part des professionnels de la communication, pour qu’ils exercent leur profession comme une mission.

Que le Seigneur Jésus, Parole pure jaillissant du cœur du Père, nous aide à rendre notre communication libre, limpide et cordiale.

Que le Seigneur Jésus, Verbe fait chair, nous aide à nous mettre à l’écoute de la pulsation des cœurs, à nous redécouvrir frères et sœurs, et à désarmer l’hostilité qui divise.

Que le Seigneur Jésus, Parole de vérité et d’amour, nous aide à dire la vérité dans la charité, afin de nous sentir gardiens les uns des autres.

 

Rome, St Jean de Latran, 24 janvier 2023, mémoire de St François de Sales.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 17 mai 2023

Photo Crédit: Wikimedia Commons

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François poursuit l’itinéraire sur le zèle apostolique avec la figure de saint François Xavier, considéré comme le plus grand missionnaire des temps modernes. Le pape pour les jeunes: « regardez François Xavier, regardez l’horizon du monde, regardez les peuples qui ont tant besoin, regardez tant de gens qui souffrent, tant de gens qui ont besoin de Jésus. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Poursuivant notre itinéraire des catéchèses avec des modèles exemplaires de zèle apostolique… Gardons à l’esprit que nous parlons d’évangélisation, de zèle apostolique, de faire connaître le nom de Jésus, et qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes dans l’histoire qui l’ont fait de manière exemplaire. Aujourd’hui, par exemple nous portons le choix sur saint François Xavier : il est considéré, certains le disent, comme le plus grand missionnaire des temps modernes. Mais on ne peut pas dire qui est le plus grand, qui est le plus petit, parce qu’il y a tant de missionnaires cachés qui, encore aujourd’hui, font beaucoup plus que Saint François Xavier. Et Xavier est le saint patron des missions, comme Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Mais un missionnaire est grand quand il part. Et il y en a tant, tant de prêtres, de laïcs, de religieuses qui vont dans les missions, et aussi de l’Italie et beaucoup d’entre vous. Je vois, par exemple, quand on me montre le parcours d’un prêtre candidat à l’épiscopat : il a passé dix ans en mission à tel endroit… c’est formidable : quitter sa patrie pour prêcher l’Evangile. C’est le zèle apostolique. Et cela nous devons le cultiver beaucoup. Et en regardant la figure de ces hommes, de ces femmes, nous apprenons.

Et Saint François Xavier naît en 1506 dans une famille noble mais appauvrie de Navarre, dans le nord de l’Espagne. Il part étudier à Paris – c’est un jeune homme mondain, intelligent et brave. Là il rencontre Ignace de Loyola. Il lui fait faire les exercices spirituels et il change sa vie. Et il abandonne toute sa carrière mondaine pour devenir missionnaire. Il devient jésuite, prononce ses vœux. Puis il devient prêtre et part évangéliser, envoyé en Orient. À l’époque, les voyages des missionnaires en Orient étaient des envois vers des mondes inconnus. Et il y va, parce qu’il était rempli de zèle apostolique.

Ainsi commence la première d’une longue série de missionnaires passionnés des temps modernes, prêts à endurer d’immenses difficultés et dangers, à se rendre sur des terres et rencontrer des peuples de cultures et de langues totalement inconnues, uniquement animés par le désir très fort de faire connaître Jésus-Christ et son Évangile.

En un peu plus de onze ans, il accomplit une tâche extraordinaire. Il a été missionnaire pendant 11 ans plus ou moins. À l’époque, les voyages en bateau étaient très difficiles et étaient dangereux. Nombreux mouraient durant le voyage, victimes de naufrages ou de maladies. Aujourd’hui, ils meurent malheureusement parce que nous les laissons mourir en Méditerranée… Xavier passera plus de trois ans et demi sur les navires, soit un tiers de la durée totale de sa mission. Il passe plus de trois ans et demi sur les navires, pour se rendre en Inde, puis de l’Inde au Japon.

Arrivé à Goa, en Inde, capitale de l’Orient portugais, la capitale culturelle et aussi commerciale, Xavier y établit sa base, mais ne s’arrête pas là. Il part évangéliser les pauvres pêcheurs de la côte méridionale de l’Inde, enseigne le catéchisme et la prière aux enfants, baptise et soigne les malades. Puis, lors d’une prière nocturne sur la tombe de l’apôtre Saint-Barthélemy, il sent qu’il doit aller au-delà de l’Inde. Il laisse en de bonnes mains l’œuvre qu’il a déjà commencée et s’embarque hardiment pour les Moluques, les îles les plus éloignées de l’archipel indonésien. Pour ces gens, il n’y avait pas d’horizon, ils allaient au-delà… Un tel courage de la part de ces saints missionnaires ! Même ceux d’aujourd’hui, même s’ils ne prennent pas le bateau pendant trois mois, ils prennent l’avion pendant 24 heures, mais ensuite, c’est la même chose. Il faut se rendre sur place, parcourir de nombreux kilomètres, aller dans les forêts. Et Xavier, dans les Moluques, met en vers, le catéchisme dans la langue locale et enseigne à chanter le catéchisme, parce en chantant on l’apprend mieux. Ses lettres nous font comprendre quels furent ses sentiments. Il écrit ainsi : « Les dangers et les souffrances, acceptés volontairement et uniquement pour l’amour et le service de Dieu notre Seigneur, sont des trésors riches de grandes consolations spirituelles. Ici, en peu d’années, on pourrait perdre les yeux pour avoir versé trop de larmes de joie » (20 janvier 1548). Il pleurait de joie en voyant l’œuvre du Seigneur.

Un jour, en Inde, il rencontre un Japonais qui lui parle de son pays lointain, où aucun missionnaire européen n’est jamais allé. Et François Xavier avait l’inquiétude de l’apôtre, celle d’aller plus loin, et il décide de partir le plus tôt possible, et y arrive après un voyage audacieux sur la jonque d’un Chinois. Les trois années passées au Japon sont très dures, en raison du climat, de l’opposition et de l’ignorance de la langue, mais même là, les graines semées porteront de nombreux fruits.

Au Japon, Xavier, le grand rêveur, comprend que le pays décisif pour la mission en Asie était un autre : la Chine. Avec sa culture, son histoire, sa grandeur, elle exerçait une domination de fait sur cette partie du monde. Aujourd’hui encore, la Chine est un pôle culturel, avec une grande histoire, une très belle histoire. Il retourne donc à Goa et, peu après, s’embarque à nouveau, espérant pouvoir arriver en Chine. Mais son plan échoue : il meurt aux portes de la Chine, sur une île, sur la petite île de Sancian, au large de la Chine, attendant en vain de débarquer sur la terre ferme près de Canton. Le 3 décembre 1552, il meurt dans l’abandon le plus total, seul un Chinois est à ses côtés pour veiller sur lui. Ainsi s’achève le parcours terrestre de François Xavier. Il avait vieilli, quel âge avait-il ? Quatre-vingts ans déjà ? Non… Il n’avait que quarante-six ans, il avait passé sa vie dans la mission, avec zèle. Il quitte l’Espagne cultivée et arrive dans le pays le plus cultivé du monde à l’époque, la Chine, et meurt devant la grande Chine, accompagné par un Chinois. Tout un symbole !

Son activité intense a toujours été associée à la prière, à l’union avec Dieu, mystique et contemplative. Il ne délaissait jamais la prière, car il savait que c’était là que résidait sa force. Partout où il se trouvait, il avait une grande attention pour les malades, les pauvres et les enfants. Il n’était pas un missionnaire « aristocratique » : il allait toujours avec les plus nécessiteux, les enfants qui avaient le plus besoin d’éducation, de catéchèse, les pauvres, les malades : il allait jusqu’aux frontières de la compassion où s’est accrue sa grandeur. L’amour du Christ a été la force qui l’a poussée jusqu’aux frontières les plus éloignées, au prix de fatigues et de dangers constants, surmontant les échecs, les déceptions et le découragement, et lui offrant même la consolation et la joie de le suivre et de le servir jusqu’au bout.

Que Saint François Xavier, qui a accompli cette tâche si grande, dans une telle pauvreté et avec un tel courage, nous donne un peu de ce zèle, de ce zèle pour vivre l’Évangile et pour annoncer l’Évangile. Aux nombreux jeunes d’aujourd’hui qui sont inquiets et ne savent pas quoi faire de cette inquiétude, je dis : regardez François Xavier, regardez l’horizon du monde, regardez les peuples qui ont tant besoin, regardez tant de gens qui souffrent, tant de gens qui ont besoin de Jésus. Et allez-y, ayez du courage. Aujourd’hui encore, il y a des jeunes courageux. Je pense à tant de missionnaires, par exemple en Papouasie-Nouvelle-Guinée, je pense à mes amis, les jeunes du diocèse de Vanimo, et à tous ceux qui sont partis évangéliser dans le sillage de François Xavier. Que le Seigneur nous donne à tous la joie d’évangéliser, la joie de porter ce beau message qui fait notre bonheur et celui de tous.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 10 mai 2023

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François accueille Sa Sainteté Tawadros II, Pape d’Alexandrie et Patriarche du Siège de Saint-Marc et propose la journée de 10 mai « Journée de l’amitié copte-catholique » pour célébrer le 50e anniversaire de la rencontre historique entre le pape saint Paul VI et le pape Chenouda III en 1973

Voici le texte intégral:

Frères et sœurs !

C’est avec une grande joie que je salue aujourd’hui Sa Sainteté Tawadros II, Pape d’Alexandrie et Patriarche du Siège de Saint-Marc, ainsi que l’éminente délégation qui l’accompagne.

Sa Sainteté Tawadros a accepté mon invitation à venir à Rome pour célébrer avec moi le 50e anniversaire de la rencontre historique entre le pape saint Paul VI et le pape Chenouda III en 1973. Il s’agissait de la première rencontre entre un évêque de Rome et un patriarche de l’Église copte orthodoxe, qui a abouti à la signature d’une mémorable déclaration christologique commune le 10 mai. En souvenir de cet événement, Sa Sainteté Tawadros est venu me voir pour la première fois le 10 mai il y a dix ans, quelques mois après son élection et la mienne, et a proposé de célébrer chaque 10 mai la « Journée de l’amitié copte-catholique » que nous célébrons chaque année depuis lors.

Nous nous appelons au téléphone, nous nous envoyons des salutations et nous restons de bons frères, nous ne nous sommes pas disputés !

Cher ami et frère Tawadros, je vous remercie d’avoir accepté mon invitation à l’occasion de ce double anniversaire, et je prie pour que la lumière de l’Esprit Saint illumine votre visite à Rome, les réunions importantes que vous aurez ici, et surtout nos conversations personnelles. Je vous remercie sincèrement pour votre engagement en faveur de l’amitié croissante entre l’Église copte orthodoxe et l’Église catholique.

Votre Sainteté, chers évêques et amis, j’implore avec vous le Dieu tout-puissant, par l’intercession des saints et des martyrs de l’Église copte, afin que nous puissions grandir dans la communion, dans un unique et saint lien de foi, d’espérance et d’amour chrétien. En parlant des martyrs de l’Église copte qui sont les nôtres, je veux me souvenir des martyrs de la plage libyenne, qui ont été faits martyrs il y a quelques années.

Je demande à toutes les personnes présentes de prier Dieu de bénir la visite du pape Tawadros à Rome et de protéger l’ensemble de l’Église copte orthodoxe. Puisse cette visite nous rapprocher du jour béni où nous serons un dans le Christ ! Je vous remercie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience Générale du pape François – 3 mai 2023

Le pape François s’adressant à la présidente Katalin Novák, aux Autorités et au corps diplomatique hongrois le 28 avril lors de sa visite apostolique dans le pays.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François résume sa visite apostolique en Hongrie, et remercie les Autorités,  l’Église locale et le peuple hongrois pour leur accueil et prières. Il décrit Budapest, la ville des ponts, comme une ville de pont pour la paix et pont pour demain.

Le Saint-Père finit son audience en priant « À la Reine de Hongrie confions ce cher pays, à la Reine de la Paix confions la construction de ponts dans le monde, à la Reine du Ciel, que nous célébrons en ce temps pascal, confions-lui nos cœurs pour qu’ils soient enracinés dans l’amour de Dieu. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Il y a trois jours, je suis rentré du voyage en Hongrie. Je tiens à remercier tous ceux qui ont préparé et accompagné cette visite par la prière, et à renouveler ma gratitude aux Autorités, à l’Église locale et au peuple hongrois, un peuple courageux et riche de mémoire. Pendant mon séjour à Budapest, j’ai pu ressentir l’affection de tous les Hongrois. Aujourd’hui, je voudrais vous raconter cette visite à travers deux images : les racines et les ponts.

Les racines. Je me suis rendu en pèlerin chez un peuple dont l’histoire – comme l’a dit saint Jean-Paul II – a été marquée par « de nombreux saints et héros, entourés d’une foule de gens humbles et travailleurs » (Discours lors de la cérémonie d’accueil, Budapest, 6 septembre 1996). C’est vrai : j’ai vu tant de gens humbles et travailleurs soigner avec fierté le lien avec leurs racines. Et parmi ces racines, comme l’ont montré les témoignages recueillis lors des rencontres avec l’Église locale et avec les jeunes, il y a avant tout les saints : les saints qui ont donné leur vie pour le peuple, les saints qui ont témoigné de l’Évangile de l’amour et qui ont été des lumières dans les temps de ténèbres ; tant de saints du passé qui aujourd’hui nous exhortent à surmonter le risque du défaitisme et la peur du lendemain, en nous rappelant que le Christ est notre avenir. Les saints nous rappellent ceci : Christ est notre avenir.

Cependant, les solides racines chrétiennes du peuple hongrois ont été mises à l’épreuve. Leur foi a été éprouvée par le feu. En effet, au cours de la persécution athéiste du XXe siècle, les chrétiens ont été violemment frappés, des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs ont été tués ou privés de leur liberté. Et alors que l’on tentait d’abattre l’arbre de la foi, les racines restaient intactes : une Église cachée a résisté, mais vive, forte avec la force de l’Evangile. Et en Hongrie, cette extrême persécution, l’oppression communiste avait été précédée par l’oppression nazie, avec la tragique déportation de tant de juifs. Mais dans cet atroce génocide, beaucoup se sont distingués par leur résistance et leur capacité à protéger les victimes, et cela a été possible parce que les racines du vivre ensemble étaient solides. Nous à Rome, nous avons une brave poétesse hongroise qui a traversé toutes ces épreuves et qui transmet aux jeunes la nécessité de se battre pour un idéal, de ne pas se laisser vaincre par la persécution, par le découragement. Cette poétesse a 92 ans aujourd’hui : Joyeux anniversaire, Edith Bruck !

Mais aujourd’hui encore, comme cela ressort des rencontres avec les jeunes et le monde de la culture, la liberté est menacée. Comment ? Surtout avec des gants blancs, par un consumérisme anesthésiant, où l’on se contente d’un peu de bien-être matériel et où, oubliant le passé, on « flotte » dans un présent fait à la mesure de l’individu. C’est la persécution dangereuse de la mondanité, induite par le consumérisme. Mais quand la seule chose qui compte est de penser à soi et de faire ce qui nous plaît, les racines s’étouffent. C’est un problème qui se pose dans toute l’Europe, où le dévouement aux autres, le sentiment de communauté, l’émotion de la beauté de rêver ensemble et de créer des familles nombreuses sont en crise. L’Europe entière est en crise. Réfléchissons donc à l’importance de préserver les racines, car ce n’est qu’en allant en profondeur que les branches pousseront vers le haut et porteront des fruits. Chacun de nous peut se demander, également comme peuple, chacun de nous : quelles sont les racines les plus importantes de ma vie ? Où suis-je enraciné ? Est-ce que je m’en souviens, est-ce que j’en prends soin ?

Après les racines, voici la seconde image : les ponts. Budapest, née il y a 150 ans de l’union de trois villes, est célèbre pour les ponts qui la traversent et unissent ses parties. Cela a mis en évidence, notamment lors des rencontres avec les autorités, l’importance de construire des ponts de paix entre les différents peuples. Telle est, en particulier, la vocation de l’Europe, qui est appelée, en tant que « pont de paix », à intégrer les différences et à accueillir ceux qui frappent à ses portes. En ce sens, c’est beau, le pont humanitaire créé pour tant de réfugiés de l’Ukraine voisine, que j’ai pu rencontrer, en admirant le grand réseau de charité de l’Église hongroise.

Le pays est également très engagé dans la construction de « ponts pour demain » : il se préoccupe beaucoup du soin de l’environnement- et c’est un aspect très, très beau de la Hongrie – l’attention portée au soin de l’environnement et d’un avenir « soutenable », et l’on s’y emploie à construire des ponts entre les générations, entre les personnes âgées et les jeunes, un défi auquel aujourd’hui personne ne peut renoncer. Il y a aussi des ponts que l’Église, comme il ressort de la rencontre spécifique, est appelée à jeter vers les gens d’aujourd’hui, parce que l’annonce du Christ ne peut pas consister uniquement à répéter le passé, mais doit toujours être adaptée, afin d’aider les femmes et les hommes de notre temps à redécouvrir Jésus. Enfin, en rappelant avec gratitude les beaux moments liturgiques, la prière avec la communauté gréco-catholique et la solennelle célébration eucharistique avec tant de participation, je pense à la beauté de construire des ponts entre les croyants : dimanche, à la messe, il y avait des chrétiens de différents rites et pays, et de différentes confessions, qui en Hongrie travaillent bien ensemble. Construire des ponts, des ponts d’harmonie et des ponts d’unité.

J’ai été frappé, lors de cette visite, par l’importance de la musique, qui est un trait caractéristique de la culture hongroise.

Il me plait enfin de rappeler, en ce début de mois de mai, que les Hongrois sont très dévots à la Sainte Mère de Dieu. Consacrés à elle par le premier roi, saint Étienne, par respect, ils s’adressaient habituellement à elle sans prononcer son nom, l’appelant seulement par les titres de Reine. À la Reine de Hongrie confions ce cher pays, à la Reine de la Paix confions la construction de ponts dans le monde, à la Reine du Ciel, que nous célébrons en ce temps pascal, confions-lui nos cœurs pour qu’ils soient enracinés dans l’amour de Dieu.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Rencontre avec les évêques, les prêtres et les diacres: Discours du Saint-Père

Le pape François s’adresse aux évêques, prêtres et les diacres lors de sa voyage apostolique en Hongrie qui a commencé aujourd’hui et dure trois jours.

Voici le texte intégral:

Chers frères Évêques,
chers prêtres et diacres, consacrés et séminaristes,
chers agents pastoraux, frères et sœurs,
dicsértessék a Jézus Krisztus! [Laudetur Jesus Christus !] 

Je suis heureux d’être de nouveau ici après avoir partagé avec vous le 52ème Congrès Eucharistique International. Ce fut un moment de grande grâce et je suis sûr que ses fruits spirituels vous accompagnent. Je remercie Mgr Veres pour la salutation qu’il m’a adressée et pour avoir recueilli le désir des catholiques de Hongrie avec les mots suivants : « Dans ce monde qui change nous voulons témoigner que le Christ est notre avenir ». C’est l’une des exigences les plus importantes pour nous : interpréter les changements et les transformations de notre époque, en cherchant à affronter au mieux les défis pastoraux. 

Mais cela n’est possible qu’en regardant le Christ comme notre avenir : Il est « l’Alpha et l’Oméga, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’Univers » (Ap 1, 8), le principe et la fin, le fondement et le but ultime de l’histoire de l’humanité. En contemplant, en ce temps pascal, la gloire de Celui qui est « le Premier et le Dernier » (Ap 1, 17), nous pouvons considérer les tempêtes qui parfois s’abattent sur notre monde, les changements rapides et continus de la société et même la crise de foi de l’Occident, d’un regard qui ne cède pas à la résignation et qui ne perd pas de vue la centralité de Pâques : le Christ ressuscité, centre de l’histoire, est l’avenir. Notre vie, bien que marquée par la fragilité, est fermement placée entre ses mains. Si nous oublions cela, nous aussi, pasteurs et laïcs, nous chercherons des moyens et des instruments humains pour nous défendre du monde, en nous enfermant dans nos oasis religieuses, confortables et tranquilles ; ou bien au contraire, nous nous conformerons aux vents changeants de la mondanité et, alors, notre christianisme perdra sa vigueur et nous cesserons d’être le sel de la terre. 

Ce sont là les deux interprétations – je voudrais dire les deux tentations – dont nous devons toujours nous garder comme Église : une lecture catastrophiste de l’histoire présente qui se nourrit du défaitisme de ceux qui répètent que tout est perdu, que les valeurs d’autrefois ne sont plus, que nous ne savons pas où nous allons finir. Il est bien que le Père Sándor ait manifesté sa gratitude à Dieu qui l’a « libéré du défaitisme » ! Et ensuite l’autre risque, celui d’une lecture naïve de son temps, qui se fonde au contraire sur la facilité du conformisme et qui nous fait croire qu’au fond tout va bien, que le monde a changé et qu’il faut s’adapter. Voilà, contre le défaitisme catastrophiste et le conformisme mondain, l’Évangile nous donne un regard nouveau, la grâce du discernement pour entrer dans notre époque avec une attitude accueillante, mais aussi avec un esprit prophétique. Donc, avec un accueil prophétique

À ce propos, je voudrais m’arrêter brièvement sur une belle image utilisée par Jésus : celle du figuier (cf. Mc 13, 28-29). Il nous l’offre dans le contexte du Temple de Jérusalem. À ceux qui admiraient ses belles pierres et vivaient ainsi dans une sorte de conformisme mondain, mettant leur sécurité dans l’espace sacré et sa majesté solennelle, Jésus dit qu’il ne faut rien absolutiser sur cette terre, car tout est précaire et il ne restera pas pierre sur pierre ; mais, en même temps, le Seigneur ne veut pas induire au découragement ou à la peur. Et c’est pourquoi il ajoute : quand tout passera, quand les temples humains s’effondreront, quand des choses terribles se produiront et quand il y aura de violentes persécutions, alors « on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire » (v. 26). Et c’est là qu’il invite à regarder le figuier : « Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte » (vv. 28-29). Nous sommes donc appelés à accueillir comme une plante féconde le temps que nous vivons, avec ses changements et ses défis, car c’est précisément à travers tout cela – dit l’Évangile – que le Seigneur s’approche. Et en attendant, nous sommes appelés à cultiver notre saison, à la lire, à y semer l’Évangile, à élaguer les branches sèches du mal, à porter du fruit. Nous sommes appelés à un accueil prophétique

Accueil prophétique : il s’agit d’apprendre à reconnaître les signes de la présence de Dieu dans la réalité, même là où elle n’apparaît pas explicitement marquée par l’esprit chrétien et vient à notre rencontre avec son caractère de défi ou d’interrogation. Et, en même temps, il s’agit de tout interpréter à la lumière de l’Évangile sans se faire mondaniser, mais comme annonceurs et témoins de la prophétie chrétienne. Nous voyons que même dans ce pays, où la tradition de foi reste bien enracinée, on assiste à la diffusion du sécularisme et à ce qui l’accompagne, qui risque souvent de menacer l’intégrité et la beauté de la famille, d’exposer les jeunes à des modèles de vie marqués par le matérialisme et l’hédonisme, de polariser le débat sur des thèmes et des défis nouveaux. Et alors, la tentation peut être celle de se raidir, de se fermer et d’adopter une attitude de ”combattants”. Mais ces réalités peuvent représenter des opportunités pour nous chrétiens, parce qu’elles stimulent la foi et l’approfondissement de certains thèmes, elles nous invitent à nous demander de quelle manière ces défis peuvent entrer en dialogue avec l’Évangile, à chercher des voies, des instruments et des langages nouveaux. En ce sens, Benoît XVI a affirmé que les différentes périodes de sécularisation sont venues en aide à l’Église car « elles ont contribué de façon essentielle à sa purification et à sa réforme intérieure. En effet, les sécularisations […] ont conduit chaque fois à une profonde libération de l’Église de formes de mondanité » (Rencontre avec les catholiques engagés dans l’Église et la société, Freiburg im Breisgau, 25 septembre 2011). 

L’engagement à entrer en dialogue avec les situations d’aujourd’hui demande à la Communauté chrétienne d’être présente et de témoigner, de savoir écouter les questions et les défis sans peur ni rigidité. Ce n’est pas facile dans la situation actuelle, car même à l’intérieur, des difficultés ne manquent pas. Je voudrais souligner en particulier la surcharge de travail pour les prêtres. D’une part, en effet, les exigences de la vie paroissiale et pastorale sont nombreuses, et d’autre part les vocations diminuent et les prêtres sont peu nombreux, souvent âgés et donnant des signes de fatigue. C’est une condition commune à de nombreuses réalités européennes, où il est important que tous – pasteurs et laïcs – se sentent coresponsables : avant tout dans la prière, parce que les réponses viennent du Seigneur et non du monde, du tabernacle et non de l’ordinateur. Et ensuite, dans la passion pour la pastorale des vocations, en cherchant les moyens d’offrir aux jeunes, avec enthousiasme, le charme de suivre Jésus également dans une consécration spéciale. 

Ce que nous a dit Sœur Kristztina est beau, à propos du “dialogue avec Jésus” sur la raison pour laquelle il l’a appelée, elle en particulier. Il y a besoin de personnes qui écoutent et qui aident à bien discuter avec le Seigneur ! Et, plus généralement, il est nécessaire d’engager une réflexion ecclésiale – synodale, à faire tous ensemble – pour mettre à jour la vie pastorale, sans se contenter de répéter le passé et sans peur de reconfigurer la paroisse sur le territoire, mais en donnant la priorité à l’évangélisation et en instaurant une collaboration active entre prêtres, catéchistes, agents pastoraux, enseignants. Vous êtes déjà en chemin sur cette route : ne vous arrêtez pas. Cherchez les voies possibles pour collaborer avec joie à la cause de l’Évangile et pour faire avancer, ensemble chacun selon son charisme, la pastorale comme annonce kérygmatique. En ce sens, ce qu’a dit Dorina est beau, sur le besoin d’atteindre le prochain à travers la narration, la communication, en touchant la vie quotidienne. Et je remercie les diacres et les catéchistes qui ont ici un rôle décisif dans la transmission de la foi aux jeunes générations, et tous ceux qui, enseignants et formateurs, sont engagés avec générosité dans le domaine éducatif : merci ! 

Permettez-moi ensuite de vous dire qu’une bonne pastorale est possible si nous sommes capables de vivre cet amour que le Seigneur nous a commandé et qui est un don de son Esprit. Si nous sommes distants ou divisés, si nous nous raidissons dans nos positions et dans nos groupes, nous ne portons pas de fruits. Il est triste de se diviser parce que, au lieu de jouer en équipe, on fait le jeu de l’ennemi : les évêques déconnectés entre eux, les prêtres en tension avec l’évêque, les personnes âgées en conflit avec les plus jeunes, les diocésains contre les religieux, les prêtres contre les laïcs, les latins contre les grecs. On se polarise sur des questions qui concernent la vie de l’Église, mais aussi sur des aspects politiques et sociaux, en s’accrochant à des positions idéologiques. Non, s’il vous plaît : le premier travail pastoral est le témoignage de la communion, parce que Dieu est communion et est présent là où il y a la charité fraternelle. Surmontons les divisions humaines pour travailler ensemble dans la vigne du Seigneur ! Immergeons-nous dans l’esprit de l’Évangile, enracinons-nous dans la prière, en particulier dans l’adoration et dans l’écoute de la Parole de Dieu, cultivons la formation permanente, la fraternité, la proximité et l’attention aux autres. Un grand trésor nous a été mis entre les mains, ne le gaspillons pas en suivant des réalités secondaires par rapport à l’Évangile ! 

Et je voudrais dire une autre chose aux prêtres, pour offrir au Peuple saint de Dieu le visage du Père et créer un esprit de famille : essayons de ne pas être rigides, mais d’avoir des regards et des approches miséricordieux et compatissants. À cet égard, j’ai été impressionné par les mots de l’abbé József qui a rappelé le dévouement et le ministère de son frère, le Bienheureux János Brenner, tué de façon barbare à seulement 26 ans. Combien de témoins et de confesseurs de la foi ce peuple n’a-t-il pas eu lors des totalitarismes du siècle dernier ! Le Bienheureux János a vécu dans sa chair beaucoup de souffrances et il aurait été facile pour lui de garder rancune, de se refermer, de se raidir. Mais il a été un bon pasteur. Cela nous est demandé à tous, en particulier aux prêtres : un regard miséricordieux, un cœur compatissant, qui pardonne toujours, toujours, qui aide à recommencer, qui accueille et ne juge pas, qui encourage et ne critique pas, qui sert et ne bavarde pas. 

Cela nous exerce à l’accueil prophétique : transmettre la consolation du Seigneur dans les situations de souffrance et de pauvreté du monde, en étant proches des chrétiens persécutés, des migrants qui cherchent l’hospitalité, des personnes d’autres ethnies, de tous ceux qui sont dans le besoin. Vous avez en ce sens de grands exemples de sainteté, comme saint Martin. Son geste de partager son manteau avec un pauvre est beaucoup plus qu’une œuvre de charité : c’est l’image de l’Église vers laquelle il faut tendre, c’est ce que l’Église de Hongrie peut porter comme prophétie au cœur de l’Europe : la miséricorde et la proximité. Mais je voudrais rappeler encore saint Étienne, dont la relique est ici à côté de moi : lui qui, le premier, a confié la nation à la Mère de Dieu, qui a été un évangélisateur intrépide et fondateur de monastères et d’abbayes, savait aussi écouter et dialoguer avec tous et s’occuper des pauvres. Il baissa les impôts pour eux et allait faire l’aumône déguisé pour ne pas être reconnu. Cela c’est l’Église dont nous devons rêver : capable d’écoute réciproque, de dialogue, d’attention aux plus faibles ; accueillante envers tous et courageuse pour porter à chacun la prophétie de l’Évangile. 

Très chers frères et sœurs, le Christ est notre avenir, car c’est Lui qui guide l’histoire. Vos Confesseurs de la foi en étaient fermement convaincus : de nombreux évêques, prêtres, religieuses et religieux martyrisés au cours de la persécution athée ; ils témoignent de la foi granitique des Hongrois. Je voudrais faire mémoire du Cardinal Mindszenty qui croyait en la puissance de la prière, au point qu’aujourd’hui encore, presque comme un dicton populaire, on répète ici : « S’il y a un million de Hongrois en prière, je n’aurai pas peur de l’avenir ». Soyez accueillants, soyez témoins de la prophétie de l’Évangile, mais surtout soyez des femmes et des hommes de prière, car l’histoire et l’avenir en dépendent. Je vous remercie pour votre foi et pour votre fidélité, pour tout le bien que vous êtes et que vous faites. Je ne peux pas oublier le témoignage courageux et patient des Sœurs hongroises de la Société de Jésus que j’ai rencontrées en Argentine après qu’elles aient quitté la Hongrie pendant la persécution religieuse. Elles m’ont fait beaucoup de bien. Je prie pour vous, afin que, à l’exemple de vos grands témoins de foi, vous ne soyez jamais pris par la fatigue intérieure, mais que vous avanciez avec joie. Et je vous demande de continuer à prier pour moi. Köszönöm! [Merci !]

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège

Rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique: Discours du Saint-Père

Le pape François s’adresse aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique lors de sa première rencontre en Hongrie. Cette visite apostolique dure trois jours du 28 au 30 avril.

Voici le texte intégral:

Madame la Présidente de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Membres distingués du Gouvernement et du Corps diplomatique
Autorités et Représentants illustres de la société civile,
Mesdames et Messieurs ! 

Je vous salue cordialement et je remercie Madame la Présidente pour son accueil et ses aimables paroles. La politique naît de la ville, de la polis, d’une passion concrète pour la vie en commun, dans la garantie des droits et le respect des devoirs. Peu de villes nous aident à y réfléchir comme Budapest, qui n’est pas seulement une capitale majestueuse et vitale, mais un lieu central de l’histoire : témoin de tournants importants au cours des siècles, elle est appelée à être protagoniste du présent et de l’avenir ; ici, comme l’a écrit l’un de vos grands poètes, « Du Danube qui est futur, passé, présent, les doux flots ne cessent de s’embrasser » (A. József, Au bord Danube). Je voudrais donc vous faire part de quelques réflexions, en m’inspirant de Budapest en tant que ville d’histoire, ville de ponts et ville de saints

1. Ville d’histoire. Cette capitale a des origines anciennes, comme en témoignent les vestiges celtiques et romains. Sa splendeur nous ramène cependant à la modernité, lorsqu’elle était capitale de l’Empire austro-hongrois pendant cette période de paix connue sous le nom de belle époque, qui a duré à partir des années de sa fondation jusqu’à la Première Guerre mondiale. Née en temps de paix, elle a connu de douloureux conflits: non seulement les invasions d’autrefois mais, au siècle dernier, les violences et les oppressions causées par les dictatures nazie et communiste – comment oublier 1956 ? Et, pendant la Seconde Guerre mondiale, la déportation de dizaines et de dizaines de milliers d’habitants, avec le reste de la population d’origine juive enfermée dans le ghetto et soumis à de nombreux massacres. Dans ce contexte, il y a eu beaucoup de justes valeureux – je pense au Nonce Angelo Rotta -, beaucoup de résilience et un grand engagement dans la reconstruction, de sorte que Budapest est aujourd’hui une des villes européennes ayant le plus grand pourcentage de population juive, centre d’un pays qui connaît la valeur de la liberté et qui, après avoir payé un lourd tribut aux dictatures, porte en elle la mission de garder le trésor de la démocratie et le rêve de la paix. 

À ce propos, je voudrais revenir sur la fondation de Budapest qui est célébrée cette année de manière solennelle. Elle a eu lieu, en efet, il y a 150 ans, en 1873, par l’union de trois villes : Buda et Óbuda à l’ouest du Danube avec Pest, située sur la rive opposée. La naissance de cette grande capitale au cœur du continent rappelle le chemin unitaire entrepris par l’Europe, dans laquelle la Hongrie trouve son berceau vital. Après la guerre, l’Europe a été, avec les Nations Unies, le grand espoir dans l’objectif commun que des liens plus étroits entre les nations empêcheraient de nouveaux conflits. Cependant, dans le monde où nous vivons, la passion pour la politique communautaire et le multilatéralisme semble être un beau souvenir du passé : on semble assister au triste déclin du rêve choral de paix, tandis que les solistes de la guerre prennent la place. D’une manière générale, l’enthousiasme pour la construction d’une communauté des nations pacifique et stable semble s’être désintégré dans les esprits, tandis que l’on marque les zones, que l’on marque les différences, que les nationalismes recommencent à gronder et que l’on exacerbe les jugements et les tons à l’égard des autres. Au niveau international, il semble même que la politique ait pour effet d’enflammer les esprits plutôt que de résoudre les problèmes. Elle oublie la maturité acquise des horreurs de la guerre et régresse vers une sorte d’infantilisme belliqueux. Mais la paix ne viendra jamais de la poursuite d’intérêts stratégiques particuliers, mais plutôt de politiques capables de considérer l’ensemble, le développement de tous : attentives aux personnes, aux pauvres et à l’avenir, et pas seulement au pouvoir, aux gains et aux opportunités du moment. 

Dans ce moment historique, l’Europe est fondamentale. Parce que, grâce à son histoire, elle représente la mémoire de l’humanité et elle est donc appelée à jouer le rôle qui lui correspond : celui d’unir ceux qui sont loin, d’accueillir en son sein les peuples et de ne laisser personne être un ennemi pour toujours. Il est donc essentiel de retrouver l’âme européenne : l’enthousiasme et le rêve des pères fondateurs, des hommes d’État qui ont su regarder au-delà de leur époque, au-delà des frontières nationales et des besoins immédiats, en mettant en œuvre des diplomaties capables de recoudre l’unité et non d’élargir les déchirures. Je pense au moment où De Gasperi, lors d’une table ronde à laquelle participaient également Schuman et Adenauer, a dit : « C’est pour elle-même, et non pour l’opposer aux autres, que nous envisageons une Europe unie… nous travaillons pour l’unité et non pour la division » (Allocution à la Table ronde de l’Europe, Rome, 13 octobre 1953). Et encore, à ce que Schuman a dit : « La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques », parce que – paroles mémorables ! – « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent » (Déclaration Schuman, 9 mai 1950). Dans ce moment historique, les dangers sont nombreux ; mais, je me demande, en pensant également à l’Ukraine meurtrie, où sont les efforts créatifs pour la paix ?

2. Budapest est une ville de ponts. Vue d’en haut, la “perle du Danube” montre son caractère unique grâce aux ponts qui relient ses parties, harmonisant sa configuration avec celle du grand fleuve. Cette harmonie avec l’environnement m’amène à saluer l’attention écologique que ce pays poursuit avec beaucoup d’engagement. Mais les ponts, qui relient des réalités différentes, nous suggèrent également de réfléchir à l’importance d’une unité qui n’est pas synonyme d’uniformité. À Budapest, cela se traduit par la variété remarquable de circonscriptions qui la composent, plus de vingt. L’Europe des vingt-sept elle aussi, construite pour créer des ponts entre les nations, a besoin de la contribution de tous sans diminuer la spécificité de chacun. À cet égard, un père fondateur préconisait : « L’Europe existera et rien de ce qui a fait la gloire et le bonheur de chaque nation ne sera perdu. C’est précisément dans une société plus vaste, dans une harmonie plus puissante, que l’individu peut s’affirmer » (Intervention cit.). Cette harmonie est nécessaire : un tout qui n’aplatit pas les parties et des parties qui se sentent bien intégrées dans le tout. La Constitution hongroise est significative à cet égard lorsqu’elle affirme : « La liberté individuelle ne peut se développer qu’en collaboration avec les autres » ; et encore : « Nous considérons que notre culture nationale est une riche contribution à l’unité européenne multicolore ».

Je pense donc à une Europe qui ne soit pas l’otage des partis, en proie aux populismes autoréférentiels, mais qui ne se transforme pas non plus en une réalité fluide, voire gazeuse, en une sorte de supranationalisme abstrait, oublieux de la vie des peuples. C’est la voie néfaste des “colonisations idéologiques” qui éliminent les différences, comme dans le cas de ladite culture du genre, ou qui font passer des conceptions réductrices de liberté avant la réalité de la vie, par exemple en vantant un “droit insensé à l’avortement”, qui est toujours un échec tragique. Qu’il est beau, au contraire, de construire une Europe centrée sur la personne et sur les peuples, où existent des politiques efficaces pour la natalité et la famille, soigneusement poursuivies dans ce pays, où différentes nations forment une famille dans laquelle la croissance et l’unicité de chacun sont préservées. Le plus célèbre pont de Budapest, celui des chaînes, nous aide à imaginer à une Europe semblable, composée de nombreux grands anneaux différents, qui trouvent leur solidité dans la formation de liens solides entre eux. En cela, la foi chrétienne est une aide et la Hongrie peut servir de “pont”, en tirant parti de son caractère œcuménique spécifique : ici, différentes Confessions coexistent sans antagonisme, collaborant avec respect, dans un esprit constructif. Mon esprit et mon cœur se portent sur l’Abbaye de Pannonhalma, l’un des grands monuments spirituels de ce pays, un lieu de prière et un pont de fraternité. 

3. Cela m’amène à considérer le dernier aspect : Budapest ville de saints, comme nous le suggère également le nouveau tableau placé dans cette salle. Notre pensée ne peut que se porter sur saint Étienne, premier roi de Hongrie, qui a vécu à une époque où les chrétiens d’Europe étaient en pleine communion. Sa statue, à l’intérieur du château de Buda, domine et protège la ville, tandis que la basilique qui lui est dédiée au cœur de la capitale est, avec celle de Esztergom, l’édifice religieux le plus imposant du pays. L’histoire hongroise est donc née sous le signe de la sainteté, et pas seulement celle d’un roi, mais celle de toute une famille : son épouse, la bienheureuse Giselle, et leur fils, saint Émeric. Ce dernier reçut de son père des recommandations qui constituent une sorte de testament spirituel pour le peuple magyar. Nous y lisons des paroles très actuelles : « Je te recommande d’être bon non seulement envers ta famille et ta parenté, ou envers les puissants et les personnes aisées, ou envers ton voisin et tes habitants, mais aussi envers les étrangers ». Saint Étienne justifie cela par un véritable esprit chrétien, en écrivant : « C’est la pratique de l’amour qui conduit au bonheur suprême ». Et il conclut en disant : « Sois doux pour ne jamais combattre la vérité » (Admonitions, X). Il associe ainsi de manière inséparable la vérité et la douceur. C’est un grand enseignement de la foi : les valeurs chrétiennes ne peuvent être témoignées à travers la rigidité et les fermetures, car la vérité du Christ implique douceur et amabilité, dans l’esprit des Béatitudes. C’est là que s’enracine cette bonté populaire hongroise, révélée dans certaines expressions du langage courant, telles que : “jónak lenni jó” [il est bien d’être bon] et “jobb adni mint kapni” [il est préférable de donner que de recevoir].

De cela transparaît non seulement la richesse d’une solide identité, mais la nécessité d’ouverture aux autres, comme le reconnaît la Constitution lorsqu’elle déclare : « Nous respectons la liberté et la culture des autres peuples, nous nous engageons à coopérer avec toutes les nations du monde ». Elle affirme encore : « Les minorités nationales qui vivent avec nous font partie de la communauté politique hongroise et font partie intégrante de l’État », et propose l’engagement « pour le soin et la protection […] des langues et des cultures des minorités nationales en Hongrie ». Cette perspective est véritablement évangélique, contrecarrant une certaine tendance, parfois justifiée au nom des traditions et même de la foi, à se replier sur soi-même. 

Le texte constitutif, en quelques paroles décisives empreintes d’esprit chrétien, affirme également : « Nous déclarons que l’assistance aux nécessiteux et aux pauvres est une obligation ». Cela rappelle le déroulement de l’histoire de la sainteté hongroise, racontée par les nombreux lieux de culte de la capitale : du premier roi qui a jeté les bases de la vie communautaire, l’on passe à une princesse qui élève l’édifice à une plus grande pureté. Il s’agit de sainte Élisabeth, dont le témoignage est parvenu à toutes les latitudes. Cette fille de votre terre mourut à vingt-quatre ans après avoir renoncé à toute richesse, tout donné aux pauvres. Elle se consacra jusqu’au bout, dans l’hôpital qu’elle avait fait construire, au soin des malades, est un joyau de l’Évangile. 

Distinguées Autorités, je voudrais vous remercier pour la promotion des œuvres caritatives et éducatives inspirées par ces valeurs et dans lesquelles la communauté catholique locale est engagée, ainsi que pour le soutien concret apporté à tant de chrétiens éprouvés dans le monde, en particulier en Syrie et au Liban. Une collaboration fructueuse entre l’État et l’Église est féconde, mais pour l’être, elle doit sauvegarder les distinctions appropriées. Il est important que chaque chrétien s’en souvienne, en gardant l’Évangile comme point de référence, pour adhérer aux choix libres et libérateurs de Jésus et ne pas se prêter à une sorte de connivence avec les logiques du pouvoir. De ce point de vue, une saine laïcité, qui ne tombe pas dans le laïcisme généralisé se montrant allergique à tout ce qui est sacré pour s’immoler ensuite sur les autels du profit, est une bonne chose. Ceux qui se professent chrétiens, accompagnés par les témoins de la foi, sont avant tout appelés à témoigner et à marcher avec tous, en cultivant un humanisme inspiré de l’Évangile et cheminant sur deux voies fondamentales : se reconnaître fils bien-aimés du Père et aimer chacun comme un frère. 

En ce sens, saint Étienne laissait à son fils d’extraordinaires paroles de fraternité, en disant que ceux qui viennent avec des langues et des coutumes différentes « ornent le pays ». Car, écrivait il, « un pays qui n’a qu’une seule langue et une seule coutume est faible et décadent. C’est pourquoi je te recommande d’accueillir bien volontiers les étrangers et de les considérer avec honneur, afin qu’ils préfèrent rester chez toi plutôt qu’ailleurs » (Admonitions, VI). C’est un sujet, celui de l’accueil, qui suscite beaucoup de débats à notre époque et qui est certainement complexe. Cependant, pour ceux qui sont chrétiens, l’attitude de base ne peut pas être différente de celle que saint Étienne a transmise, après l’avoir apprise de Jésus qui s’est identifié à l’étranger à accueillir (cf. Mt 25, 35). C’est en pensant au Christ présent en tant de frères et sœurs désespérés qui fuient les conflits, la pauvreté et le changement climatique, qu’il faut aborder le problème sans excuses ni retards. C’est un thème qui doit être abordé ensemble, communautairement, aussi parce que, dans le contexte où nous vivons, les conséquences affecteront tôt ou tard tout le monde. C’est pourquoi il est urgent, en tant qu’Europe, de travailler à des voies sûres et légales, à des mécanismes partagés face à un défi historique qui ne pourra être maîtrisé par le rejet, mais qui doit être accueilli pour préparer un avenir qui, s’il n’est pas ensemble, ne sera pas. Cela appelle en première ligne ceux qui suivent Jésus et veulent suivre l’exemple des témoins de l’Évangile. 

Il n’est pas possible de citer tous les grands confesseurs de la foi de la Pannonie sacrée, mais je voudrais au moins mentionner saint Ladislas et sainte Marguerite, et faire référence à certaines figures majestueuses du siècle dernier, telles que le cardinal József Mindszenty, les bienheureux évêques martyrs Vilmos Apor et Zoltán Meszlényi, le bienheureux László Batthyány-Strattmann. Ils sont, avec beaucoup de justes de diverses confessions, les pères et les mères de votre patrie. C’est à eux que je voudrais confier l’avenir de ce pays qui m’est si cher. Et tout en vous remerciant d’avoir écouté ce que j’avais à partager, je vous assure de ma proximité et de ma prière pour tous les Hongrois, avec une pensée particulière pour ceux qui vivent hors de la patrie et pour ceux que j’ai rencontrés dans la vie et qui m’ont fait tant de bien. Isten, áldd meg a magyart ! (Que Dieu bénisse les Hongrois !)

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège

Audience générale du pape François – 26 avril 2023

Grégoire de Narek (Grigor Narekatsi), Hovhannavank. Wikimedia Commons.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur le « zèle évangélique » en réfléchissant à la prière des frères et sœurs de la vie consacrée. Il a déclaré qu’ils « sont le cœur battant de l’annonce. Leur prière est l’oxygène de tous les membres du Corps du Christ, leur prière est la force invisible qui soutient la mission ».

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous poursuivons les catéchèses sur les témoins du zèle apostolique. Nous avons commencé avec saint Paul et la dernière fois nous avons considéré les martyrs, qui proclament Jésus par leur vie, jusqu’à donner leur vie pour Lui et pour l’Évangile. Mais il y a un autre grand témoignage qui traverse l’histoire de la foi : celui des moniales et des moines, des sœurs et des frères qui renoncent à eux-mêmes, ils renoncent au monde pour imiter Jésus sur le chemin de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance et pour intercéder en faveur de tous. Leurs vies parlent d’elles-mêmes, mais nous pouvons nous demander comment les personnes vivant dans des monastères peuvent-elles contribuer à l’annonce de l’Évangile ? Ne feraient-ils pas mieux de mettre leur énergie au service de la mission ? En sortant du monastère et en prêchant l’Évangile en dehors du monastère ? En réalité, les moines sont le cœur battant de l’annonce : leur prière est l’oxygène de tous les membres du Corps du Christ, leur prière est la force invisible qui soutient la mission. Ce n’est pas un hasard si la patronne des missions est une moniale, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Écoutons comment elle a découvert sa vocation, elle écrivait ainsi : « J’ai compris que l’Église a un cœur, un cœur brûlant d’amour. J’ai compris que seul l’amour pousse les membres de l’Église à l’action et que, si cet amour s’éteignait, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs ne verseraient plus leur sang. J’ai compris et su que l’amour embrasse en lui toutes les vocations […]. Alors, avec une joie immense et extase de l’âme, je me suis écriée : O Jésus, mon amour, j’ai enfin trouvé ma vocation. Ma vocation est l’amour. […] Dans le cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour » (Manuscrit autobiographique « B », 8 septembre 1896). Les contemplatifs, les moines, les moniales : des personnes qui prient, travaillent, prient en silence, pour toute l’Église. Et c’est l’amour : c’est l’amour qui s’exprime en priant pour l’Église, en travaillant pour l’Église, dans les monastères.

Cet amour pour tous anime la vie des moines et se traduit dans leur prière d’intercession. À cet égard, je voudrais vous citer en exemple saint Grégoire de Narek, Docteur de l’Église. C’est un moine arménien, qui a vécu vers l’an mille, et qui nous a laissé un livre de prières dans lequel s’exprime la foi du peuple arménien, le premier à avoir embrassé le christianisme, un peuple qui, en restant fidèle à la croix du Christ, a tant souffert tout au long de l’histoire. Et Saint Grégoire passa presque toute sa vie au monastère de Narek. C’est là qu’il apprit à scruter les profondeurs de l’âme humaine et, en fusionnant ensemble la poésie et la prière, il marqua l’apogée de la littérature et de la spiritualité arméniennes. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est la solidarité universelle dont il est l’interprète. Et parmi les moines et les moniales, il existe une solidarité universelle : tout ce qui se passe dans le monde trouve une place dans leur cœur et ils prient. Le cœur des moines et des moniales est un cœur qui capte, comme une antenne, ce qui se passe dans le monde et qui prie et intercède pour cela. Ils vivent ainsi en union avec le Seigneur et avec tout le monde. Et saint Grégoire de Narek écrit : « J’ai pris volontairement sur moi toutes les fautes, depuis celles du premier père jusqu’à celles du dernier de ses descendants ». (Livre des Lamentations, 72). Et comme Jésus l’a fait, les moines prennent sur eux les problèmes du monde, les difficultés, les maladies, tant de choses, et prient pour les autres. Et ce sont eux les grands évangélisateurs. Comment se fait-il que les monastères vivent fermés et évangélisent ? Parce que par la parole, l’exemple, l’intercession et le travail quotidien, les moines sont un pont d’intercession pour tous les hommes et pour les péchés.  Ils pleurent aussi avec des larmes, ils pleurent pour leurs propres péchés – nous sommes tous pécheurs – et ils pleurent aussi pour les péchés du monde, et ils prient et intercèdent avec leurs mains et leurs cœurs vers le ciel. Pensons un peu à cette « réserve » – si je puis dire – que nous avons dans l’Église : ils sont la vraie force, la vraie force qui fait avancer le peuple de Dieu, et c’est de là que vient l’habitude qu’ont les gens – le peuple de Dieu – quand ils rencontrent une personne consacrée, une personne consacrée, de dire : « Priez pour moi, priez pour moi », parce que vous savez qu’il y a une prière d’intercession. Cela nous fera du bien – dans la mesure du possible – de visiter un monastère, parce qu’on y prie et qu’on y travaille. Chacun a sa propre règle, mais les mains y sont toujours occupées : occupées par le travail, occupées par la prière. Que le Seigneur nous donne de nouveaux monastères, qu’il nous donne des moines et des moniales qui fassent avancer l’Église par leur intercession. Je vous remercie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

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