Homélie du pape François pour la messe de minuit 2023

La crèche traditionnelle de la place Saint-Pierre. © Sel + Lumière Média, 2023.

Le dimanche 24 décembre, le pape François a prononcé l’homélie de la messe de minuit. Il a déclaré que dans le Christ enfant, « nous voyons, non pas un dieu de colère et de châtiment, mais le Dieu de la miséricorde, qui prend chair et entre dans le monde dans la faiblesse, annoncé par l’annonce : « sur la terre, paix entre ceux qu’il favorise » (Luc 2:14). »

Voici le texte intégral:

SOLENNITÉ DE LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique vaticane
Dimanche 24 décembre 2023

Le recensement sur toute la terre (cf. Lc 2, 1). Tel est le contexte dans lequel Jésus est né et sur lequel l’Évangile s’attarde. Il aurait pu l’évoquer rapidement, mais il en parle avec précision. Ce faisant, il met en évidence un fort contraste : tandis que l’empereur compte les habitants du monde, Dieu y entre presque en secret ; tandis que ceux qui commandent cherchent à s’élever parmi les grands de l’histoire, le Roi de l’histoire choisit la voie de la petitesse. Aucun des puissants ne le remarque, seuls quelques bergers, relégués aux marges de la vie sociale.

Mais le recensement en dit plus. Dans la Bible, il n’a pas laissé un bon souvenir. Le roi David, succombant à la tentation des grands nombres et à une prétention malsaine à l’autosuffisance, avait commis un grave péché précisément en recensant le peuple. Il voulait en connaître la force et, en neuf mois environ, il obtint le nombre de ceux qui savaient manier l’épée (cf. 2 S 24, 1-9). Le Seigneur s’indigna et un malheur s’abattit sur le peuple. En cette nuit, cependant, Jésus le “Fils de David”, après neuf mois dans le sein de Marie, naît à Bethléem, la ville de David. Il ne sanctionne pas le recensement et se laisse humblement dénombrer.Un parmi tant d’autres. Nous ne voyons pas un dieu en colère qui châtie, mais le Dieu miséricordieux qui s’incarne, qui entre faible dans le monde, avec la proclamation : « Paix sur la terre aux hommes » (Lc 2, 14) qui le précède. Et notre cœur, ce soir, est à Bethléem, où le Prince de la paix est encore rejeté par la logique perdante de la guerre, avec le fracas des armes qui, aujourd’hui encore, l’empêche de trouver une place dans le monde (cf. Lc 2, 7).

Le recensement de la terre entière, en somme, manifeste d’une part la trame trop humaine qui traverse l’histoire : celle d’un monde en quête de pouvoir et de puissance, de célébrité et de gloire, où tout se mesure à l’aune des réalisations et des résultats, des chiffres et des nombres. C’est l’obsession de la performance. Mais en même temps, dans le recensement, le chemin de Jésus, qui vient nous chercher par l’incarnation, se singularise. Il n’est pas le Dieu de la performance, mais le Dieu de l’incarnation. Il ne renverse pas les injustices d’en haut par la force, mais d’en bas par l’amour ; il ne se déploie pas avec un pouvoir illimité, mais s’immerge dans nos limites ; il n’évite pas nos fragilités, mais les assume.

Frères et sœurs, nous pouvons nous demander cette nuit : en quel Dieu croyons-nous ? Au Dieu de l’incarnation ou au Dieu de la performance ? Oui, parce que il y a un risque de vivre Noël avec en tête une idée païenne de Dieu. Comme s’il était un maître puissant dans le ciel, un dieu lié au pouvoir, au succès mondain et à l’idolâtrie du consumérisme. Toujours revient la fausse image d’un dieu détaché et susceptible, qui se comporte bien avec les bons et se fâche avec les mauvais ; un dieu fait à notre image, utile seulement pour résoudre nos problèmes et supprimer nos maux. Au contraire, Il n’utilise pas de baguette magique, Il n’est pas le dieu commercial du “tout et tout de suite” ; il ne nous sauve pas en appuyant sur un bouton, mais il se fait proche pour changer la réalité de l’intérieur. Et pourtant, combien est ancrée en nous l’idée mondaine d’un dieu distant et contrôleur, rigide et puissant, qui aide les siens à l’emporter sur les autres !Très souvent, cette image est enracinée en nous. Mais il n’en est pas ainsi : il est né pour tous, lors du recensement de toute la terre.

Tournons-nous donc vers le « Dieu vivant et vrai » (1 Th 1, 9) : vers Lui qui est au-delà de tout calcul humain et qui pourtant se laisse recenser par nos comptages ; vers Lui qui révolutionne l’histoire en l’habitant ; vers Lui qui nous respecte jusqu’à nous permettre de le rejeter ; vers Lui qui annule le péché en le prenant sur Lui, qui n’enlève pas la souffrance mais la transforme, qui n’enlève pas les problèmes de nos vies mais qui donne à nos vies une espérance plus grande que les problèmes. Il désire tellement embrasser nos existences que, infini, il devient pour nous fini ; grand, il devient petit ; juste, il habite nos injustices. Frères et sœurs, telle est la merveille de Noël : non pas un mélange d’affections sentimentales et de conforts mondains, mais la tendresse sans précédent de Dieu qui sauve le monde en s’incarnant. Regardons l’Enfant, regardons sa mangeoire, regardons la crèche, que les anges appellent « le signe » (Lc 2, 12) : elle est en effet le signe révélateur du visage de Dieu, qui est compassion et miséricorde, tout-puissant toujours et seulement dans l’amour.Il se fait proche, il se fait proche, tendre et compatissant, c’est la manière d’être de Dieu : proximité, compassion, tendresse.

Sœurs et frères, émerveillons-nous car “il s’est fait chair” (cf. Jn 1, 14). Chair : un mot qui rappelle notre fragilité et que l’Évangile utilise pour nous dire que Dieu est entré au plus profond de notre condition humaine. Pourquoi est-Il allé si loin ? – nous nous demandons –. Parce qu’en nous tout est important pour Lui, parce qu’Il nous aime au point de nous considérer comme plus précieux que tout le reste. Frères et sœurs, pour Dieu qui a changé l’histoire lors du recensement, tu n’es pas un numéro, mais tu es un visage ; ton nom est inscrit dans son cœur. Mais toi, en regardant ton cœur, les performances qui ne sont pas à la hauteur, le monde qui juge et ne pardonne pas, peut-être vis-tu mal ce Noël, en pensant que tu ne fais pas bien, en nourrissant un sentiment d’inadéquation et d’insatisfaction à cause de tes fragilités, de tes chutes, de tes problèmes et de tes péchés. Mais aujourd’hui, s’il te plait, laisse l’initiative à Jésus qui te dit : “C’est pour toi que je me suis fait chair, c’est pour toi que je me suis fait semblable à toi”. Pourquoi restes-tu dans la prison de tes tristesses ? Comme les bergers qui ont laissé leurs troupeaux, laisse l’enclos de tes mélancolies et embrasse la tendresse de l’enfant Dieu. Et fais-le sans masque ni armure, jette en lui tes angoisses et il prendra soin de toi (cf. Ps 55, 23). Lui, qui s’est fait chair, n’attend pas tes performances mais ton cœur ouvert et confiant. Et en Lui tu redécouvriras qui tu es : un fils bien-aimé de Dieu, une fille bien-aimée de Dieu. Maintenant tu peux y croire, car, ce soir, le Seigneur est venu dans la lumière pour illuminer ta vie et ses yeux brillent d’amour pour toi.Nous avons du mal à croire en cela, que les yeux de Dieu brillent d’amour pour nous.

Oui, le Christ ne regarde pas les numéros, mais les visages. Mais qui Le regarde, au milieu des innombrables choses et de la course folle d’un monde toujours affairé et indifférent ? Qui le regarde ? À Bethléem, alors que beaucoup de gens, pris dans l’ivresse du recensement, allaient et venaient, remplissaient les gîtes et les auberges en parlant de choses et d’autres, certains étaient proches de Jésus : Marie et Joseph, les bergers, puis les mages. Apprenons d’eux. Ils ont les yeux fixés sur Jésus, le cœur tourné vers Lui. Ils ne parlent pas, mais ils adorent.Cette nuit, frères et sœurs, est le temps de l’adoration : adorer.

L’adoration est le moyen d’accueillir l’incarnation. Car c’est dans le silence que Jésus, le Verbe du Père, se fait chair dans nos vies. Faisons, nous aussi, comme à Bethléem qui signifie “maison du pain” : tenons-nous devant Lui, Pain de Vie. Redécouvrons l’adoration, car adorer ce n’est pas perdre son temps, mais permettre à Dieu d’habiter notre temps. C’est faire fleurir en nous la semence de l’incarnation, c’est collaborer à l’œuvre du Seigneur qui change le monde comme un levain. Adorer c’est intercéder, réparer, permettre à Dieu de redresser l’histoire. Un grand conteur d’épopées écrivait à son fils : « Je t’offre la seule grande chose à aimer sur terre : le Saint Sacrement. Tu y trouveras le charme, la gloire, l’honneur, la fidélité et le vrai chemin de toutes tes amours sur terre » (J.R.R. Tolkien, Lettre n. 43, mars 1941).

Frères et sœurs, ce soir, l’amour change l’histoire. Fais-nous croire, Seigneur, au pouvoir de ton amour, si différent du pouvoir du monde. Seigneur, fais que comme Marie, Joseph, les bergers et les mages, nous nous rassemblons autour de Toi pour T’adorer. Rendus par Toi plus semblables à Toi, nous pourrons témoigner au monde de la beauté de Ton visage.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

 

Audience générale du pape François – mercredi 20 décembre 2023

Photo par Omar Trejo sur Cathopic.

Au cours de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a réfléchi à l’intention de la Nativité vivante de Saint François à Greccio. Il a déclaré que « la crèche est comme un petit puits où l’on peut puiser la proximité de Dieu, source d’espérance et de joie ».

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs,

Il y a 800 ans, à Noël 1223, saint François a réalisé la crèche vivante à Greccio. A l’heure où la crèche se prépare, ou s’achève, dans les maisons et dans de nombreux autres lieux, il est bon que nous redécouvrions ses origines.

Comment est née la crèche? Quelle était l’intention de saint François? Il disait: «Je voudrais représenter l’Enfant né à Bethléem, et voir en quelque sorte avec les yeux du corps les difficultés dans lesquelles il s’est trouvé par manque du nécessaire pour un nouveau-né, comment il a été couché dans une mangeoire et comment il était sur le foin entre le bœuf et l’âne» (Tommaso da Celano, Vita prima, XXX, 84: FF 468). François ne veut pas réaliser une belle œuvre d’art, mais susciter, à travers la crèche, l’émerveillement devant l’extrême humilité du Seigneur, devant les épreuves qu’il a subies, par amour pour nous, dans la pauvre grotte de Bethléem. En effet, le biographe du saint d’Assise note que: «Dans cette scène émouvante, la simplicité évangélique resplendit, la pauvreté est -louée, l’humilité est recommandée. Greccio est devenu comme une nouvelle Bethléem» (ibid., 85). J’ai souligné un terme: l’émerveillement. Et cela est important. Si nous, chrétiens, regardons la crèche comme une belle chose, comme une chose historique, et aussi religieuse, et que nous prions, cela n’est pas suffisant. Devant le mystère de l’incarnation du Verbe, devant la naissance de Jésus, il faut cette attitude religieuse de l’émerveillement. Si devant les mystères, je n’arrive pas à cet émerveillement, ma foi n’est que superficielle; une foi «informatique». N’oubliez pas cela.

C’est une caractéristique de la crèche, qui est comme une école de sobriété. Et cela a beaucoup à nous dire aussi. Aujourd’hui, en effet, le risque de perdre ce qui compte dans la vie est élevé et, paradoxalement, il augmente précisément à Noël — la mentalité change à Noël —: plongés dans un consumérisme qui en corrompt le sens. Le consumérisme de Noël. C’est vrai, on veut faire des cadeaux, c’est bien, c’est une façon de le célébrer, mais cette frénésie d’aller acheter des cadeaux, cela attire l’attention d’un autre côté et ce n’est plus la sobriété de Noël.  Regardons la crèche: cet émerveillement devant la crèche. Parfois, il n’y a pas l’espace intérieur pour l’émerveillement, mais uniquement pour organiser les fêtes, pour faire la fête.

Et la crèche naît pour nous ramener à ce qui compte: à Dieu qui vient habiter parmi nous. Pour cela, il est important de regarder la crèche, parce qu’elle nous aide à comprendre ce qui compte et aussi les relations sociales de Jésus à ce moment, la famille, Joseph et Marie, et les personnes chères, les pasteurs. Les personnes viennent avant les choses. Et souvent, nous plaçons les choses avant les personnes. Cela ne va pas.

Mais la crèche de Greccio, outre la sobriété qu’elle fait voir, parle aussi de joie, car la joie n’est pas la même chose que le divertissement. Mais se divertir n’est pas une mauvaise chose si on le fait en suivant de bons chemins; ce n’est pas une mauvaise chose, c’est une chose humaine. Mais la joie est plus profonde encore, plus humaine. Et parfois, il y a la tentation de se divertir, sans joie; se divertir en faisant du bruit, mais la joie est absente. C’est un peu la figure du pantin qui rit, rit, fait rire, mais son cœur est triste. La joie est la racine d’un sain divertissement pour Noël. Et sur la joie, les chroniques de l’époque disent: «Le jour de l’allégresse arrive, le temps de la joie! François […] est rayonnant […]. Le peuple afflue et se réjouit d’une joie qu’il n’avait jamais goûtée auparavant […]. Tous rentrèrent chez eux emplis d’une joie ineffable» (Vita prima, XXX, 85-86: FF  469-470). La sobriété, l’émerveillement, te conduit à la joie, la vraie joie, pas celle artificielle.

Mais d’où venait cette joie extraordinaire de Noël? Certainement pas du fait d’avoir apporté des cadeaux à la maison ou d’avoir vécu des fêtes somptueuses. Non, c’était la joie qui déborde du cœur quand on touche du doigt la proximité de Jésus, la tendresse de Dieu, qui ne laisse pas seul, mais qui console. Proximité, tendresse et compassion, telles sont les trois attitudes de Dieu. Et en regardant la crèche, en priant devant la crèche, nous pourrions entendre ces choses du Seigneur qui nous aident dans la vie de chaque jour.

Chers frères et sœurs, la crèche est comme un petit puits d’où puiser la proximité de Dieu, source d’espérance et de joie. Elle est comme un Evangile vivant, un Evangile domestique. Elle est comme le puits de la Bible, elle est le lieu de la rencontre, où nous apportons à Jésus, comme l’ont fait les bergers de Bethléem et les habitants de Greccio, elle est comme les attentes et les préoccupations de la vie. Si, devant la crèche, nous confions à Jésus tout ce qui nous est cher, nous éprouverons nous aussi «une très grande joie» (Mt 2, 10), une joie qui vient précisément de la contemplation, de l’esprit d’émerveillement avec lequel je vais contempler ces mystères. Allons devant la crèche. Que chacun regarde et laisse son cœur ressentir quelque chose.


APPEL

J’adresse ma pensée aux victimes et aux blessés qu’a causés le tremblement de terre dévastateur qui, lundi dernier, a frappé les provinces chinoises du Gansu et du Qinghai. Je suis proche par l’affection et la prière des populations qui souffrent, j’encourage les services de secours et j’invoque sur tous la bénédiction du Tout-Puissant, pour qu’Il apporte réconfort et soulagement dans la douleur.

Je salue aussi le groupe de Mediterranea Saving Humans qui est présent ici et qui va en mer sauver les pauvres gens qui fuient l’esclavage de l’Afrique. Ils font un beau travail, ils sauvent beaucoup de gens.

N’oublions pas les personnes, les peuples qui souffrent du mal de la guerre. Les guerres sont toujours une défaite. N’oublions pas cela. Une défaite. Seuls  les fabricants d’armes y gagnent. S’il vous plaît, pensons à la Palestine, à Israël. Pensons à l’Ukraine —  l’ambassadeur est  ici présent — l’Ukraine martyrisée, qui souffre tant. Et pensons aux enfants en guerre, aux choses qu’ils voient. Allons devant la crèche et demandons la paix à Jésus. Il est le prince de la paix.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

 

Lettre apostolique sur la signification de la crèche de Noël

(CNS photo/Vatican Media) Voici la lettre apostolique du pape François, « Admirabile signum« , sur la signification et la valeur de la crèche de Noël. Document signé lors de sa visite au sanctuaire de la crèche, à Greccio, le dimanche 1er décembre 2019:

1. Le merveilleux signe de la crèche, si chère au peuple chrétien, suscite toujours stupeur et émerveillement. Représenter l’événement de la naissance de Jésus, équivaut à annoncer le mystère de l’Incarnation du Fils de Dieu avec simplicité et joie. La crèche, en effet, est comme un Évangile vivant, qui découle des pages de la Sainte Écriture. En contemplant la scène de Noël, nous sommes invités à nous mettre spirituellement en chemin, attirés par l’humilité de Celui qui s’est fait homme pour rencontrer chaque homme. Et, nous découvrons qu’Il nous aime jusqu’au point de s’unir à nous, pour que nous aussi nous puissions nous unir à Lui. Par cette lettre je voudrais soutenir la belle tradition de nos familles qui, dans les jours qui précèdent Noël, préparent la crèche. Tout comme la coutume de l’installer sur les lieux de travail, dans les écoles, les hôpitaux, les prisons, sur les places publiques… C’est vraiment un exercice d’imagination créative, qui utilise les matériaux les plus variés pour créer de petits chefs-d’oeuvre de beauté. On l’apprend dès notre enfance : quand papa et maman, ensemble avec les grands-parents, transmettent cette habitude joyeuse qui possède en soi une riche spiritualité populaire. Je souhaite que cette pratique ne se perde pas ; mais au contraire, j’espère que là où elle est tombée en désuétude, elle puisse être redécouverte et revitalisée.

2. L’origine de la crèche se trouve surtout dans certains détails évangéliques de la naissance de Jésus à Bethléem. L’évangéliste Luc dit simplement que Marie « mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (2, 7). Jésus est couché dans une mangeoire, appelée en latin praesepium, d’où la crèche. En entrant dans ce monde, le Fils de Dieu est déposé à l’endroit où les animaux vont manger. La paille devient le premier berceau pour Celui qui se révèle comme « le pain descendu du ciel » (Jn 6, 41). C’est une symbolique, que déjà saint Augustin, avec d’autres Pères, avait saisie lorsqu’il écrivait : « Allongé dans une mangeoire, il est devenu notre nourriture » (Serm. 189, 4). En réalité, la crèche contient plusieurs mystères de la vie de Jésus de telle sorte qu’elle nous les rend plus proches de notre vie quotidienne.

Mais venons-en à l’origine de la crèche telle que nous la comprenons. Retrouvons-nous en pensée à Greccio, dans la vallée de Rieti, où saint François s’arrêta, revenant probablement de Rome, le 29 novembre 1223, lorsqu’il avait reçu du Pape Honorius III la confirmation de sa Règle. Après son voyage en Terre Sainte, ces grottes lui rappelaient d’une manière particulière le paysage de Bethléem. Et il est possible que le Poverello ait été influencé à Rome, par les mosaïques de la Basilique de Sainte Marie Majeure, représentant la naissance de Jésus, juste à côté de l’endroit où étaient conservés, selon une tradition ancienne, les fragments de la mangeoire. Les Sources franciscaines racontent en détail ce qui s’est passé à Greccio. Quinze jours avant Noël, François appela un homme du lieu, nommé Jean, et le supplia de l’aider à réaliser un voeu : « Je voudrais représenter l’Enfant né à Bethléem, et voir avec les yeux du corps, les souffrances dans lesquelles il s’est trouvé par manque du nécessaire pour un nouveau-né, lorsqu’il était couché dans un berceau sur la paille entre le boeuf et l’âne »[1]. Dès qu’il l’eut écouté, l’ami fidèle alla immédiatement préparer, à l’endroit indiqué, tout le nécessaire selon la volonté du Saint. Le 25 décembre, de nombreux frères de divers endroits vinrent à Greccio accompagnés d’hommes et de femmes provenant des fermes de la région, apportant fleurs et torches pour illuminer cette sainte nuit. Quand François arriva, il trouva la mangeoire avec la paille, le boeuf et l’âne. Les gens qui étaient accourus manifestèrent une joie indicible jamais éprouvée auparavant devant la scène de Noël. Puis le prêtre, sur la mangeoire, célébra solennellement l’Eucharistie, montrant le lien entre l’Incarnation du Fils de Dieu et l’Eucharistie. À cette occasion, à Greccio, il n’y a pas eu de santons : la crèche a été réalisée et vécue par les personnes présentes.

C’est ainsi qu’est née notre tradition : tous autour de la grotte et pleins de joie, sans aucune distance entre l’événement qui se déroule et ceux qui participent au mystère. Le premier biographe de saint François, Thomas de Celano, rappelle que s’ajouta, cette nuit-là, le don d’une vision merveilleuse à la scène touchante et simple : une des personnes présentes vit, couché dans la mangeoire, l’Enfant Jésus lui-même. De cette crèche de Noël 1223, « chacun s’en retourna chez lui plein d’une joie ineffable ».

3. Saint François, par la simplicité de ce signe, a réalisé une grande oeuvre d’évangélisation. Son enseignement a pénétré le coeur des chrétiens et reste jusqu’à nos jours une manière authentique de proposer de nouveau la beauté de notre foi avec simplicité. Par ailleurs, l’endroit même où la première crèche a été réalisée exprime et suscite ces sentiments. Greccio est donc devenu un refuge pour l’âme qui se cache sur le rocher pour se laisser envelopper dans le silence.
Pourquoi la crèche suscite-t-elle tant d’émerveillement et nous émeut-elle ? Tout d’abord parce qu’elle manifeste la tendresse de Dieu. Lui, le Créateur de l’univers, s’abaisse à notre petitesse. Le don de la vie, déjà mystérieux à chaque fois pour nous, fascine encore plus quand nous voyons que Celui qui est né de Marie est la source et le soutien de toute vie. En Jésus, le Père nous a donné un frère qui vient nous chercher quand nous sommes désorientés et que nous perdons notre direction ; un ami fidèle qui est toujours près de nous. Il nous a donné son Fils qui nous pardonne et nous relève du péché.

Faire une crèche dans nos maisons nous aide à revivre l’histoire vécue à Bethléem. Bien sûr, les Évangiles restent toujours la source qui nous permet de connaître et de méditer sur cet Événement, cependant la représentation de ce dernier par la crèche nous aide à imaginer les scènes, stimule notre affection et nous invite à nous sentir impliqués dans l’histoire du salut, contemporains de l’événement qui est vivant et actuel dans les contextes historiques et culturels les plus variés.

D’une manière particulière, depuis ses origines franciscaines, la crèche est une invitation à « sentir » et à « toucher » la pauvreté que le Fils de Dieu a choisie pour lui-même dans son incarnation. Elle est donc, implicitement, un appel à le suivre sur le chemin de l’humilité, de la pauvreté, du dépouillement, qui, de la mangeoire de Bethléem conduit à la croix. C’est un appel à le rencontrer et à le servir avec miséricorde dans les frères et soeurs les plus nécessiteux (cf. Mt 25, 31-46).

4. J’aimerais maintenant passer en revue les différents signes de la crèche pour en saisir le sens qu’ils portent en eux. En premier lieu, représentons-nous le contexte du ciel étoilé dans l’obscurité et dans le silence de la nuit. Ce n’est pas seulement par fidélité au récit évangélique que nous faisons ainsi, mais aussi pour la signification qu’il possède. Pensons seulement aux nombreuses fois où la nuit obscurcit notre vie. Eh bien, même dans ces moments-là, Dieu ne nous laisse pas seuls, mais il se rend présent pour répondre aux questions décisives concernant le sens de notre existence : Qui suis-je ? D’où est-ce que je viens ? Pourquoi suis-je né à cette époque ? Pourquoi est-ce que j’aime ? Pourquoi est-ce que je souffre ? Pourquoi vais-je mourir ? Pour répondre à ces questions, Dieu s’est fait homme. Sa proximité apporte la lumière là où il y a les ténèbres et illumine ceux qui traversent l’obscurité profonde de la souffrance (cf. Lc 1, 79).

Les paysages qui font partie de la crèche méritent, eux aussi, quelques mots, car ils représentent souvent les ruines d’anciennes maisons et de palais qui, dans certains cas, remplacent la grotte de Bethléem et deviennent la demeure de la Sainte Famille. Ces ruines semblent s’inspirer de la Légende dorée du dominicain Jacopo da Varazze (XIIIème siècle), où nous pouvons lire une croyance païenne selon laquelle le temple de la Paix à Rome se serait effondré quand une Vierge aurait donné naissance. Ces ruines sont avant tout le signe visible de l’humanité déchue, de tout ce qui va en ruine, de ce qui est corrompu et triste. Ce scénario montre que Jésus est la nouveauté au milieu de ce vieux monde, et qu’il est venu guérir et reconstruire pour ramener nos vies et le monde à leur splendeur originelle.

5. Quelle émotion devrions-nous ressentir lorsque nous ajoutons dans la crèche des montagnes, des ruisseaux, des moutons et des bergers ! Nous nous souvenons ainsi, comme les prophètes l’avaient annoncé, que toute la création participe à la fête de la venue du Messie. Les anges et l’étoile de Bethléem sont le signe que nous sommes, nous aussi, appelés à nous mettre en route pour atteindre la grotte et adorer le Seigneur.

« Allons jusqu’à Bethléem pour voir ce qui est arrivé, l’événement que le Seigneur nous a fait connaître » (Lc 2, 15) : voilà ce que disent les bergers après l’annonce faite par les anges. C’est un très bel enseignement qui nous est donné dans la simplicité de sa description. Contrairement à tant de personnes occupées à faire mille choses, les bergers deviennent les premiers témoins de l’essentiel, c’est-à-dire du salut qui est donné. Ce sont les plus humbles et les plus pauvres qui savent accueillir l’événement de l’Incarnation. À Dieu qui vient à notre rencontre dans l’Enfant Jésus, les bergers répondent en se mettant en route vers Lui, pour une rencontre d’amour et d’étonnement reconnaissant. C’est précisément cette rencontre entre Dieu et ses enfants, grâce à Jésus, qui donne vie à notre religion, qui constitue sa beauté unique et qui transparaît de manière particulière à la crèche.

6. Dans nos crèches, nous avons l’habitude de mettre de nombreuses santons symboliques. Tout d’abord, ceux des mendiants et des personnes qui ne connaissent pas d’autre abondance que celle du coeur. Eux aussi sont proches de l’Enfant Jésus à part entière, sans que personne ne puisse les expulser ou les éloigner du berceau improvisé, car ces pauvres qui l’entourent ne détonnent pas au décor. Les pauvres, en effet, sont les privilégiés de ce mystère et, souvent, les plus aptes à reconnaître la présence de Dieu parmi nous. Les pauvres et les simples dans la crèche rappellent que Dieu se fait homme pour ceux qui ressentent le plus le besoin de son amour et demandent sa proximité. Jésus, « doux et humble de coeur » (Mt 11, 29), est né pauvre, il a mené une vie simple pour nous apprendre à saisir l’essentiel et à en vivre. De la crèche, émerge clairement le message que nous ne pouvons pas nous laisser tromper par la richesse et par tant de propositions éphémères de bonheur. Le palais d’Hérode est en quelque sorte fermé et sourd à l’annonce de la joie. En naissant dans la crèche, Dieu lui-même commence la seule véritable révolution qui donne espoir et dignité aux non désirés, aux marginalisés : la révolution de l’amour, la révolution de la tendresse. De la crèche, Jésus a proclamé, avec une douce puissance, l’appel à partager avec les plus petits ce chemin vers un monde plus humain et plus fraternel, où personne n’est exclu ni marginalisé. Souvent les enfants – mais aussi les adultes ! – adorent ajouter à la crèche d’autres figurines qui semblent n’avoir aucun rapport avec les récits évangéliques. Cette imagination entend exprimer que, dans ce monde nouveau inauguré par Jésus, il y a de la place pour tout ce qui est humain et pour toute créature. Du berger au forgeron, du boulanger au musicien, de la femme qui porte une cruche d’eau aux enfants qui jouent… : tout cela représente la sainteté au quotidien, la joie d’accomplir les choses de la vie courante d’une manière extraordinaire, lorsque Jésus partage sa vie divine avec nous.

7. Peu à peu, la crèche nous conduit à la grotte, où nous trouvons les santons de Marie et de Joseph. Marie est une mère qui contemple son enfant et le montre à ceux qui viennent le voir. Ce santon nous fait penser au grand mystère qui a impliqué cette jeune fille quand Dieu a frappé à la porte de son coeur immaculé. À l’annonce de l’ange qui lui demandait de devenir la mère de Dieu, Marie répondit avec une obéissance pleine et entière. Ses paroles : « Voici la servante du Seigneur ; que tout m’advienne selon ta parole » (Lc 1, 38), sont pour nous tous le témoignage de la façon de s’abandonner dans la foi à la volonté de Dieu. Avec ce « oui » Marie est devenue la mère du Fils de Dieu, sans perdre mais consacrant, grâce à lui, sa virginité. Nous voyons en elle la Mère de Dieu qui ne garde pas son Fils seulement pour elle-même, mais demande à chacun d’obéir à sa parole et de la mettre en pratique (cf. Jn 2, 5).

À côté de Marie, dans une attitude de protection de l’Enfant et de sa mère, se trouve saint Joseph. Il est généralement représenté avec un bâton à la main, et parfois même tenant une lampe. Saint Joseph joue un rôle très important dans la vie de Jésus et de Marie. Il est le gardien qui ne se lasse jamais de protéger sa famille. Quand Dieu l’avertira de la menace d’Hérode, il n’hésitera pas à voyager pour émigrer en Égypte (cf. Mt 2, 13-15). Et ce n’est qu’une fois le danger passé, qu’il ramènera la famille à Nazareth, où il sera le premier éducateur de Jésus enfant et adolescent. Joseph portait dans son coeur le grand mystère qui enveloppait Jésus et Marie son épouse, et, en homme juste, il s’est toujours confié à la volonté de Dieu et l’a mise en pratique.

8. Le coeur de la crèche commence à battre quand, à Noël, nous y déposons le santon de l’Enfant Jésus. Dieu se présente ainsi, dans un enfant, pour être accueilli dans nos bras. Dans la faiblesse et la fragilité, se cache son pouvoir qui crée et transforme tout. Cela semble impossible, mais c’est pourtant ainsi : en Jésus, Dieu a été un enfant et c’est dans cette condition qu’il a voulu révéler la grandeur de son amour qui se manifeste dans un sourire et dans l’extension de ses mains tendues vers tous. La naissance d’un enfant suscite joie et émerveillement, car elle nous place devant le grand mystère de la vie. En voyant briller les yeux des jeunes mariés devant leur enfant nouveau-né, nous comprenons les sentiments de Marie et de Joseph qui, regardant l’Enfant Jésus, ont perçu la présence de Dieu dans leur vie. « La vie s’est manifestée » (1Jn 1, 2) : c’est ainsi que l’Apôtre Jean résume le mystère de l’Incarnation. La crèche nous fait voir, nous fait toucher cet événement unique et extraordinaire qui a changé le cours de l’histoire et à partir duquel la numérotation des années, avant et après la naissance du Christ, en est également ordonnée. La manière d’agir de Dieu est presque une question de transmission, car il semble impossible qu’il renonce à sa gloire pour devenir un homme comme nous. Quelle surprise de voir Dieu adopter nos propres comportements : il dort, il tète le lait de sa mère, il pleure et joue comme tous les enfants! Comme toujours, Dieu déconcerte, il est imprévisible et continuellement hors de nos plans. Ainsi la crèche, tout en nous montrant comment Dieu est entré dans le monde, nous pousse à réfléchir sur notre vie insérée dans celle de Dieu ; elle nous invite à devenir ses disciples si nous voulons atteindre le sens ultime de la vie.

9. Lorsque s’approche la fête de l’Épiphanie, nous ajoutons dans la crèche les trois santons des Rois Mages. Observant l’étoile, ces sages et riches seigneurs de l’Orient, s’étaient mis en route vers Bethléem pour connaître Jésus et lui offrir comme présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Ces dons ont aussi une signification allégorique : l’or veut honorer la royauté de Jésus ; l’encens sa divinité; la myrrhe sa sainte humanité qui connaîtra la mort et la sépulture.

En regardant la scène de la crèche, nous sommes appelés à réfléchir sur la responsabilité de tout chrétien à être évangélisateur. Chacun de nous devient porteur de la Bonne Nouvelle pour ceux qu’il rencontre, témoignant, par des actions concrètes de miséricorde, de la joie d’avoir rencontré Jésus et son amour.

Les Mages nous enseignent qu’on peut partir de très loin pour rejoindre le Christ. Ce sont des hommes riches, des étrangers sages, assoiffés d’infinis, qui entreprennent un long et dangereux voyage qui les a conduits jusqu’à Bethléem (cf. Mt 2, 1-12). Une grande joie les envahit devant l’Enfant Roi. Ils ne se laissent pas scandaliser par la pauvreté de l’environnement ; ils n’hésitent pas à se mettre à genoux et à l’adorer. Devant lui, ils comprennent que, tout comme Dieu règle avec une souveraine sagesse le mouvement des astres, ainsi guide-t-il le cours de l’histoire, abaissant les puissants et élevant les humbles. Et certainement que, de retour dans leur pays, ils auront partagé cette rencontre surprenante avec le Messie, inaugurant le voyage de l’Évangile parmi les nations.

10. Devant la crèche, notre esprit se rappelle volontiers notre enfance, quand nous attendions avec impatience le moment de pouvoir commencer à la mettre en place. Ces souvenirs nous poussent à prendre de plus en plus conscience du grand don qui nous a été fait par la transmission de la foi ; et en même temps, ils nous font sentir le devoir et la joie de faire participer nos enfants et nos petits-enfants à cette même expérience. La façon d’installer la mangeoire n’est pas importante, elle peut toujours être la même ou être différente chaque année ; ce qui compte c’est que cela soit signifiant pour notre vie. Partout, et sous différentes formes, la crèche parle de l’amour de Dieu, le Dieu qui s’est fait enfant pour nous dire combien il est proche de chaque être humain, quelle que soit sa condition.

Chers frères et soeurs, la crèche fait partie du processus doux et exigeant de la transmission de la foi. Dès l’enfance et ensuite à chaque âge de la vie, elle nous apprend à contempler Jésus, à ressentir l’amour de Dieu pour nous, à vivre et à croire que Dieu est avec nous et que nous sommes avec lui, tous fils et frères grâce à cet Enfant qui est Fils de Dieu et de la Vierge Marie ; et à éprouver en cela le bonheur. À l’école de saint François, ouvrons notre coeur à cette grâce simple et laissons surgir de l’émerveillement une humble prière : notre « merci » à Dieu qui a voulu tout partager avec nous afin de ne jamais nous laisser seuls.

FRANÇOIS

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