Rencontre avec les autorités, la société civile et le corps diplomatique: Discours du Saint-Père

Le pape François s’adresse aux autorités, à la société civile et au corps diplomatique lors de sa première rencontre en Hongrie. Cette visite apostolique dure trois jours du 28 au 30 avril.

Voici le texte intégral:

Madame la Présidente de la République,
Monsieur le Premier Ministre,
Membres distingués du Gouvernement et du Corps diplomatique
Autorités et Représentants illustres de la société civile,
Mesdames et Messieurs ! 

Je vous salue cordialement et je remercie Madame la Présidente pour son accueil et ses aimables paroles. La politique naît de la ville, de la polis, d’une passion concrète pour la vie en commun, dans la garantie des droits et le respect des devoirs. Peu de villes nous aident à y réfléchir comme Budapest, qui n’est pas seulement une capitale majestueuse et vitale, mais un lieu central de l’histoire : témoin de tournants importants au cours des siècles, elle est appelée à être protagoniste du présent et de l’avenir ; ici, comme l’a écrit l’un de vos grands poètes, « Du Danube qui est futur, passé, présent, les doux flots ne cessent de s’embrasser » (A. József, Au bord Danube). Je voudrais donc vous faire part de quelques réflexions, en m’inspirant de Budapest en tant que ville d’histoire, ville de ponts et ville de saints

1. Ville d’histoire. Cette capitale a des origines anciennes, comme en témoignent les vestiges celtiques et romains. Sa splendeur nous ramène cependant à la modernité, lorsqu’elle était capitale de l’Empire austro-hongrois pendant cette période de paix connue sous le nom de belle époque, qui a duré à partir des années de sa fondation jusqu’à la Première Guerre mondiale. Née en temps de paix, elle a connu de douloureux conflits: non seulement les invasions d’autrefois mais, au siècle dernier, les violences et les oppressions causées par les dictatures nazie et communiste – comment oublier 1956 ? Et, pendant la Seconde Guerre mondiale, la déportation de dizaines et de dizaines de milliers d’habitants, avec le reste de la population d’origine juive enfermée dans le ghetto et soumis à de nombreux massacres. Dans ce contexte, il y a eu beaucoup de justes valeureux – je pense au Nonce Angelo Rotta -, beaucoup de résilience et un grand engagement dans la reconstruction, de sorte que Budapest est aujourd’hui une des villes européennes ayant le plus grand pourcentage de population juive, centre d’un pays qui connaît la valeur de la liberté et qui, après avoir payé un lourd tribut aux dictatures, porte en elle la mission de garder le trésor de la démocratie et le rêve de la paix. 

À ce propos, je voudrais revenir sur la fondation de Budapest qui est célébrée cette année de manière solennelle. Elle a eu lieu, en efet, il y a 150 ans, en 1873, par l’union de trois villes : Buda et Óbuda à l’ouest du Danube avec Pest, située sur la rive opposée. La naissance de cette grande capitale au cœur du continent rappelle le chemin unitaire entrepris par l’Europe, dans laquelle la Hongrie trouve son berceau vital. Après la guerre, l’Europe a été, avec les Nations Unies, le grand espoir dans l’objectif commun que des liens plus étroits entre les nations empêcheraient de nouveaux conflits. Cependant, dans le monde où nous vivons, la passion pour la politique communautaire et le multilatéralisme semble être un beau souvenir du passé : on semble assister au triste déclin du rêve choral de paix, tandis que les solistes de la guerre prennent la place. D’une manière générale, l’enthousiasme pour la construction d’une communauté des nations pacifique et stable semble s’être désintégré dans les esprits, tandis que l’on marque les zones, que l’on marque les différences, que les nationalismes recommencent à gronder et que l’on exacerbe les jugements et les tons à l’égard des autres. Au niveau international, il semble même que la politique ait pour effet d’enflammer les esprits plutôt que de résoudre les problèmes. Elle oublie la maturité acquise des horreurs de la guerre et régresse vers une sorte d’infantilisme belliqueux. Mais la paix ne viendra jamais de la poursuite d’intérêts stratégiques particuliers, mais plutôt de politiques capables de considérer l’ensemble, le développement de tous : attentives aux personnes, aux pauvres et à l’avenir, et pas seulement au pouvoir, aux gains et aux opportunités du moment. 

Dans ce moment historique, l’Europe est fondamentale. Parce que, grâce à son histoire, elle représente la mémoire de l’humanité et elle est donc appelée à jouer le rôle qui lui correspond : celui d’unir ceux qui sont loin, d’accueillir en son sein les peuples et de ne laisser personne être un ennemi pour toujours. Il est donc essentiel de retrouver l’âme européenne : l’enthousiasme et le rêve des pères fondateurs, des hommes d’État qui ont su regarder au-delà de leur époque, au-delà des frontières nationales et des besoins immédiats, en mettant en œuvre des diplomaties capables de recoudre l’unité et non d’élargir les déchirures. Je pense au moment où De Gasperi, lors d’une table ronde à laquelle participaient également Schuman et Adenauer, a dit : « C’est pour elle-même, et non pour l’opposer aux autres, que nous envisageons une Europe unie… nous travaillons pour l’unité et non pour la division » (Allocution à la Table ronde de l’Europe, Rome, 13 octobre 1953). Et encore, à ce que Schuman a dit : « La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques », parce que – paroles mémorables ! – « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent » (Déclaration Schuman, 9 mai 1950). Dans ce moment historique, les dangers sont nombreux ; mais, je me demande, en pensant également à l’Ukraine meurtrie, où sont les efforts créatifs pour la paix ?

2. Budapest est une ville de ponts. Vue d’en haut, la “perle du Danube” montre son caractère unique grâce aux ponts qui relient ses parties, harmonisant sa configuration avec celle du grand fleuve. Cette harmonie avec l’environnement m’amène à saluer l’attention écologique que ce pays poursuit avec beaucoup d’engagement. Mais les ponts, qui relient des réalités différentes, nous suggèrent également de réfléchir à l’importance d’une unité qui n’est pas synonyme d’uniformité. À Budapest, cela se traduit par la variété remarquable de circonscriptions qui la composent, plus de vingt. L’Europe des vingt-sept elle aussi, construite pour créer des ponts entre les nations, a besoin de la contribution de tous sans diminuer la spécificité de chacun. À cet égard, un père fondateur préconisait : « L’Europe existera et rien de ce qui a fait la gloire et le bonheur de chaque nation ne sera perdu. C’est précisément dans une société plus vaste, dans une harmonie plus puissante, que l’individu peut s’affirmer » (Intervention cit.). Cette harmonie est nécessaire : un tout qui n’aplatit pas les parties et des parties qui se sentent bien intégrées dans le tout. La Constitution hongroise est significative à cet égard lorsqu’elle affirme : « La liberté individuelle ne peut se développer qu’en collaboration avec les autres » ; et encore : « Nous considérons que notre culture nationale est une riche contribution à l’unité européenne multicolore ».

Je pense donc à une Europe qui ne soit pas l’otage des partis, en proie aux populismes autoréférentiels, mais qui ne se transforme pas non plus en une réalité fluide, voire gazeuse, en une sorte de supranationalisme abstrait, oublieux de la vie des peuples. C’est la voie néfaste des “colonisations idéologiques” qui éliminent les différences, comme dans le cas de ladite culture du genre, ou qui font passer des conceptions réductrices de liberté avant la réalité de la vie, par exemple en vantant un “droit insensé à l’avortement”, qui est toujours un échec tragique. Qu’il est beau, au contraire, de construire une Europe centrée sur la personne et sur les peuples, où existent des politiques efficaces pour la natalité et la famille, soigneusement poursuivies dans ce pays, où différentes nations forment une famille dans laquelle la croissance et l’unicité de chacun sont préservées. Le plus célèbre pont de Budapest, celui des chaînes, nous aide à imaginer à une Europe semblable, composée de nombreux grands anneaux différents, qui trouvent leur solidité dans la formation de liens solides entre eux. En cela, la foi chrétienne est une aide et la Hongrie peut servir de “pont”, en tirant parti de son caractère œcuménique spécifique : ici, différentes Confessions coexistent sans antagonisme, collaborant avec respect, dans un esprit constructif. Mon esprit et mon cœur se portent sur l’Abbaye de Pannonhalma, l’un des grands monuments spirituels de ce pays, un lieu de prière et un pont de fraternité. 

3. Cela m’amène à considérer le dernier aspect : Budapest ville de saints, comme nous le suggère également le nouveau tableau placé dans cette salle. Notre pensée ne peut que se porter sur saint Étienne, premier roi de Hongrie, qui a vécu à une époque où les chrétiens d’Europe étaient en pleine communion. Sa statue, à l’intérieur du château de Buda, domine et protège la ville, tandis que la basilique qui lui est dédiée au cœur de la capitale est, avec celle de Esztergom, l’édifice religieux le plus imposant du pays. L’histoire hongroise est donc née sous le signe de la sainteté, et pas seulement celle d’un roi, mais celle de toute une famille : son épouse, la bienheureuse Giselle, et leur fils, saint Émeric. Ce dernier reçut de son père des recommandations qui constituent une sorte de testament spirituel pour le peuple magyar. Nous y lisons des paroles très actuelles : « Je te recommande d’être bon non seulement envers ta famille et ta parenté, ou envers les puissants et les personnes aisées, ou envers ton voisin et tes habitants, mais aussi envers les étrangers ». Saint Étienne justifie cela par un véritable esprit chrétien, en écrivant : « C’est la pratique de l’amour qui conduit au bonheur suprême ». Et il conclut en disant : « Sois doux pour ne jamais combattre la vérité » (Admonitions, X). Il associe ainsi de manière inséparable la vérité et la douceur. C’est un grand enseignement de la foi : les valeurs chrétiennes ne peuvent être témoignées à travers la rigidité et les fermetures, car la vérité du Christ implique douceur et amabilité, dans l’esprit des Béatitudes. C’est là que s’enracine cette bonté populaire hongroise, révélée dans certaines expressions du langage courant, telles que : “jónak lenni jó” [il est bien d’être bon] et “jobb adni mint kapni” [il est préférable de donner que de recevoir].

De cela transparaît non seulement la richesse d’une solide identité, mais la nécessité d’ouverture aux autres, comme le reconnaît la Constitution lorsqu’elle déclare : « Nous respectons la liberté et la culture des autres peuples, nous nous engageons à coopérer avec toutes les nations du monde ». Elle affirme encore : « Les minorités nationales qui vivent avec nous font partie de la communauté politique hongroise et font partie intégrante de l’État », et propose l’engagement « pour le soin et la protection […] des langues et des cultures des minorités nationales en Hongrie ». Cette perspective est véritablement évangélique, contrecarrant une certaine tendance, parfois justifiée au nom des traditions et même de la foi, à se replier sur soi-même. 

Le texte constitutif, en quelques paroles décisives empreintes d’esprit chrétien, affirme également : « Nous déclarons que l’assistance aux nécessiteux et aux pauvres est une obligation ». Cela rappelle le déroulement de l’histoire de la sainteté hongroise, racontée par les nombreux lieux de culte de la capitale : du premier roi qui a jeté les bases de la vie communautaire, l’on passe à une princesse qui élève l’édifice à une plus grande pureté. Il s’agit de sainte Élisabeth, dont le témoignage est parvenu à toutes les latitudes. Cette fille de votre terre mourut à vingt-quatre ans après avoir renoncé à toute richesse, tout donné aux pauvres. Elle se consacra jusqu’au bout, dans l’hôpital qu’elle avait fait construire, au soin des malades, est un joyau de l’Évangile. 

Distinguées Autorités, je voudrais vous remercier pour la promotion des œuvres caritatives et éducatives inspirées par ces valeurs et dans lesquelles la communauté catholique locale est engagée, ainsi que pour le soutien concret apporté à tant de chrétiens éprouvés dans le monde, en particulier en Syrie et au Liban. Une collaboration fructueuse entre l’État et l’Église est féconde, mais pour l’être, elle doit sauvegarder les distinctions appropriées. Il est important que chaque chrétien s’en souvienne, en gardant l’Évangile comme point de référence, pour adhérer aux choix libres et libérateurs de Jésus et ne pas se prêter à une sorte de connivence avec les logiques du pouvoir. De ce point de vue, une saine laïcité, qui ne tombe pas dans le laïcisme généralisé se montrant allergique à tout ce qui est sacré pour s’immoler ensuite sur les autels du profit, est une bonne chose. Ceux qui se professent chrétiens, accompagnés par les témoins de la foi, sont avant tout appelés à témoigner et à marcher avec tous, en cultivant un humanisme inspiré de l’Évangile et cheminant sur deux voies fondamentales : se reconnaître fils bien-aimés du Père et aimer chacun comme un frère. 

En ce sens, saint Étienne laissait à son fils d’extraordinaires paroles de fraternité, en disant que ceux qui viennent avec des langues et des coutumes différentes « ornent le pays ». Car, écrivait il, « un pays qui n’a qu’une seule langue et une seule coutume est faible et décadent. C’est pourquoi je te recommande d’accueillir bien volontiers les étrangers et de les considérer avec honneur, afin qu’ils préfèrent rester chez toi plutôt qu’ailleurs » (Admonitions, VI). C’est un sujet, celui de l’accueil, qui suscite beaucoup de débats à notre époque et qui est certainement complexe. Cependant, pour ceux qui sont chrétiens, l’attitude de base ne peut pas être différente de celle que saint Étienne a transmise, après l’avoir apprise de Jésus qui s’est identifié à l’étranger à accueillir (cf. Mt 25, 35). C’est en pensant au Christ présent en tant de frères et sœurs désespérés qui fuient les conflits, la pauvreté et le changement climatique, qu’il faut aborder le problème sans excuses ni retards. C’est un thème qui doit être abordé ensemble, communautairement, aussi parce que, dans le contexte où nous vivons, les conséquences affecteront tôt ou tard tout le monde. C’est pourquoi il est urgent, en tant qu’Europe, de travailler à des voies sûres et légales, à des mécanismes partagés face à un défi historique qui ne pourra être maîtrisé par le rejet, mais qui doit être accueilli pour préparer un avenir qui, s’il n’est pas ensemble, ne sera pas. Cela appelle en première ligne ceux qui suivent Jésus et veulent suivre l’exemple des témoins de l’Évangile. 

Il n’est pas possible de citer tous les grands confesseurs de la foi de la Pannonie sacrée, mais je voudrais au moins mentionner saint Ladislas et sainte Marguerite, et faire référence à certaines figures majestueuses du siècle dernier, telles que le cardinal József Mindszenty, les bienheureux évêques martyrs Vilmos Apor et Zoltán Meszlényi, le bienheureux László Batthyány-Strattmann. Ils sont, avec beaucoup de justes de diverses confessions, les pères et les mères de votre patrie. C’est à eux que je voudrais confier l’avenir de ce pays qui m’est si cher. Et tout en vous remerciant d’avoir écouté ce que j’avais à partager, je vous assure de ma proximité et de ma prière pour tous les Hongrois, avec une pensée particulière pour ceux qui vivent hors de la patrie et pour ceux que j’ai rencontrés dans la vie et qui m’ont fait tant de bien. Isten, áldd meg a magyart ! (Que Dieu bénisse les Hongrois !)

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège

Audience générale du pape François – 26 avril 2023

Grégoire de Narek (Grigor Narekatsi), Hovhannavank. Wikimedia Commons.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur le « zèle évangélique » en réfléchissant à la prière des frères et sœurs de la vie consacrée. Il a déclaré qu’ils « sont le cœur battant de l’annonce. Leur prière est l’oxygène de tous les membres du Corps du Christ, leur prière est la force invisible qui soutient la mission ».

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous poursuivons les catéchèses sur les témoins du zèle apostolique. Nous avons commencé avec saint Paul et la dernière fois nous avons considéré les martyrs, qui proclament Jésus par leur vie, jusqu’à donner leur vie pour Lui et pour l’Évangile. Mais il y a un autre grand témoignage qui traverse l’histoire de la foi : celui des moniales et des moines, des sœurs et des frères qui renoncent à eux-mêmes, ils renoncent au monde pour imiter Jésus sur le chemin de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance et pour intercéder en faveur de tous. Leurs vies parlent d’elles-mêmes, mais nous pouvons nous demander comment les personnes vivant dans des monastères peuvent-elles contribuer à l’annonce de l’Évangile ? Ne feraient-ils pas mieux de mettre leur énergie au service de la mission ? En sortant du monastère et en prêchant l’Évangile en dehors du monastère ? En réalité, les moines sont le cœur battant de l’annonce : leur prière est l’oxygène de tous les membres du Corps du Christ, leur prière est la force invisible qui soutient la mission. Ce n’est pas un hasard si la patronne des missions est une moniale, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Écoutons comment elle a découvert sa vocation, elle écrivait ainsi : « J’ai compris que l’Église a un cœur, un cœur brûlant d’amour. J’ai compris que seul l’amour pousse les membres de l’Église à l’action et que, si cet amour s’éteignait, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs ne verseraient plus leur sang. J’ai compris et su que l’amour embrasse en lui toutes les vocations […]. Alors, avec une joie immense et extase de l’âme, je me suis écriée : O Jésus, mon amour, j’ai enfin trouvé ma vocation. Ma vocation est l’amour. […] Dans le cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour » (Manuscrit autobiographique « B », 8 septembre 1896). Les contemplatifs, les moines, les moniales : des personnes qui prient, travaillent, prient en silence, pour toute l’Église. Et c’est l’amour : c’est l’amour qui s’exprime en priant pour l’Église, en travaillant pour l’Église, dans les monastères.

Cet amour pour tous anime la vie des moines et se traduit dans leur prière d’intercession. À cet égard, je voudrais vous citer en exemple saint Grégoire de Narek, Docteur de l’Église. C’est un moine arménien, qui a vécu vers l’an mille, et qui nous a laissé un livre de prières dans lequel s’exprime la foi du peuple arménien, le premier à avoir embrassé le christianisme, un peuple qui, en restant fidèle à la croix du Christ, a tant souffert tout au long de l’histoire. Et Saint Grégoire passa presque toute sa vie au monastère de Narek. C’est là qu’il apprit à scruter les profondeurs de l’âme humaine et, en fusionnant ensemble la poésie et la prière, il marqua l’apogée de la littérature et de la spiritualité arméniennes. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est la solidarité universelle dont il est l’interprète. Et parmi les moines et les moniales, il existe une solidarité universelle : tout ce qui se passe dans le monde trouve une place dans leur cœur et ils prient. Le cœur des moines et des moniales est un cœur qui capte, comme une antenne, ce qui se passe dans le monde et qui prie et intercède pour cela. Ils vivent ainsi en union avec le Seigneur et avec tout le monde. Et saint Grégoire de Narek écrit : « J’ai pris volontairement sur moi toutes les fautes, depuis celles du premier père jusqu’à celles du dernier de ses descendants ». (Livre des Lamentations, 72). Et comme Jésus l’a fait, les moines prennent sur eux les problèmes du monde, les difficultés, les maladies, tant de choses, et prient pour les autres. Et ce sont eux les grands évangélisateurs. Comment se fait-il que les monastères vivent fermés et évangélisent ? Parce que par la parole, l’exemple, l’intercession et le travail quotidien, les moines sont un pont d’intercession pour tous les hommes et pour les péchés.  Ils pleurent aussi avec des larmes, ils pleurent pour leurs propres péchés – nous sommes tous pécheurs – et ils pleurent aussi pour les péchés du monde, et ils prient et intercèdent avec leurs mains et leurs cœurs vers le ciel. Pensons un peu à cette « réserve » – si je puis dire – que nous avons dans l’Église : ils sont la vraie force, la vraie force qui fait avancer le peuple de Dieu, et c’est de là que vient l’habitude qu’ont les gens – le peuple de Dieu – quand ils rencontrent une personne consacrée, une personne consacrée, de dire : « Priez pour moi, priez pour moi », parce que vous savez qu’il y a une prière d’intercession. Cela nous fera du bien – dans la mesure du possible – de visiter un monastère, parce qu’on y prie et qu’on y travaille. Chacun a sa propre règle, mais les mains y sont toujours occupées : occupées par le travail, occupées par la prière. Que le Seigneur nous donne de nouveaux monastères, qu’il nous donne des moines et des moniales qui fassent avancer l’Église par leur intercession. Je vous remercie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 19 avril 2023

Vitrail du Saint-Laurent en la chapelle de Saint Stéphane, martyr, à Omaha. Wikimédia Commons.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur le « zèle évangélique » en se penchant sur les martyrs.es, depuis le fondement de l’Église jusqu’à nos jours.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Au sujet de l’évangélisation et parlant du zèle apostolique, après avoir considéré le témoignage de Saint Paul, véritable “champion” du zèle apostolique, aujourd’hui nous jetons notre regard non pas sur une figure singulière, mais vers la colonne des martyrs, hommes et femmes de tous âges, de toutes langues et de toutes nations, qui ont donné leur vie pour le Christ, qui ont versé leur sang pour confesser le Christ. Après la génération des Apôtres, qui ont été par excellence les « témoins » de l’Évangile. Les martyrs : le premier fut le diacre Saint Étienne, lapidé à mort hors des murs de Jérusalem. Le mot « martyre » vient du grec martyria, qui signifie précisément témoignage. C’est-à-dire qu’un martyr est un témoin, quelqu’un qui témoigne jusqu’à verser son sang. Cependant, le mot martyr a rapidement été utilisé dans l’Église pour désigner celui qui témoignait jusqu’à l’effusion de sang [1]. C’est-à-dire que le témoignage peut être celui de tous les jours, c’est un martyr. Mais il est utilisé par la suite pour qui donne le sang, qui donne la vie.

Les martyrs, cependant, ne doivent pas être considérés comme des « héros » qui ont agi individuellement, comme des fleurs qui poussent dans un désert, mais comme des fruits mûrs et excellents de la vigne du Seigneur, qui est l’Église. En particulier, les chrétiens, en participant assidûment à la célébration de l’Eucharistie, étaient conduits par l’Esprit à conformer leur vie sur ce mystère d’amour : c’est-à-dire sur le fait que le Seigneur Jésus avait donné sa vie pour eux et que, par conséquent, ils pouvaient et devaient eux aussi donner leur vie pour Lui et pour leurs frères et sœurs. Une grande générosité, le chemin du témoignage chrétien. Saint Augustin souligne souvent cette dynamique de gratitude et de réciprocité gratuite du don. Voici, par exemple, ce qu’il prêchait lors de la fête de Saint Laurent : « Saint Laurent était un diacre de l’Église de Rome », disait Saint Augustin. « C’est là qu’il était ministre du sang du Christ et c’est là qu’il a versé son sang pour le nom du Christ. Le bienheureux apôtre Jean a clairement exposé le mystère de la Cène, en disant : « Jésus, a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. » (1 Jn 3, 16). Laurent, mes frères, a compris tout cela. Il l’a compris et l’a mis en pratique. Et il a vraiment rendu ce qu’il avait reçu à cette table. Il a aimé le Christ dans sa vie, il l’a imité dans sa mort » (Disc. 304, 14 ; PL 38, 1395-1397). C’est ainsi que saint Augustin explique le dynamisme spirituel qui animait les martyrs. En ces termes : les martyrs aiment le Christ dans sa vie et l’imitent dans sa mort.

Aujourd’hui, chers frères et sœurs, souvenons-nous de tous les martyrs qui ont accompagné la vie de l’Église. Comme je l’ai dit à maintes reprises, ils sont plus nombreux à notre époque qu’aux premiers siècles. Aujourd’hui, il y a tant de martyrs dans l’Église, tant de martyrs car, pour avoir confessé la foi chrétienne, ils sont chassés de la société ou vont en prison… Ils sont très nombreux. Le Concile Vatican II nous rappelle que « le martyre dans lequel le disciple est assimilé à son maître, acceptant librement la mort pour le salut du monde, et rendu semblable à lui dans l’effusion de son sang, ce disciple est considéré par l’Église comme une grâce éminente et la preuve suprême de la charité. » (Const. Lumen Gentium, 42). Les martyrs, à l’imitation de Jésus et avec sa grâce, transforment la violence de ceux qui refusent l’annonce en une grande opportunité d’amour, suprême, qui va jusqu’au pardon de leurs bourreaux. Ce détail est intéressant : les martyrs pardonnent toujours à leurs bourreaux. Étienne, le premier martyr, mourut en priant : « Seigneur, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Les martyrs prient pour leurs bourreaux.

Si le martyre n’est demandé qu’à quelques-uns, « tous cependant doivent être prêts à confesser le Christ devant les hommes et à le suivre sur le chemin de la croix, à travers les persécutions qui ne manquent jamais à l’Église. » (ibid., 42). Mais ces persécutions sont-elles du passé ? Non, non : aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a des persécutions contre les chrétiens dans le monde, beaucoup, beaucoup. Il y a plus de martyrs aujourd’hui que dans les premiers temps. Il y en a tellement. Les martyrs nous montrent que tout chrétien est appelé au témoignage de la vie, même s’il ne va pas jusqu’à l’effusion du sang, en faisant de lui-même un don à Dieu et à ses frères, à l’imitation de Jésus.

Et je voudrais conclure en rappelant le témoignage chrétien actuel dans tous les coins du monde. Je pense, par exemple, au Yémen, une terre blessée depuis de nombreuses années par une guerre terrible et oubliée, qui a causé tant de morts et qui fait encore souffrir tant de personnes, en particulier des enfants. Précisément dans ce pays, il y a eu des témoignages de foi éclatants, comme celui des Sœurs Missionnaires de la Charité, qui ont donné leur vie là. Aujourd’hui encore, elles sont présentes au Yémen, où elles offrent une assistance aux personnes âgées malades et aux personnes handicapées. Certaines d’entre elles ont souffert le martyre, mais les autres continuent, risquent leur vie mais vont de l’avant. Elles accueillent tout le monde, ces sœurs, quelle que soit la religion, car la charité et la fraternité n’ont pas de frontières. En juillet 1998, Sœur Aletta, Sœur Zelia et Sœur Michael, qui rentraient chez elles après la messe, ont été tuées par un fanatique, parce qu’elles étaient chrétiennes. Plus récemment, peu après le début du conflit toujours en cours, en mars 2016, Sœur Anselme, Sœur Marguerite, Sœur Reginette et Sœur Judith ont été tuées avec quelques laïcs qui les aidaient dans leur travail de charité auprès des plus petits. Ce sont les martyrs de notre temps. Parmi ces laïcs assassinés, en plus des chrétiens, il y avait des musulmans qui travaillaient avec les sœurs. C’est émouvant de voir comment le témoignage du sang peut unir des personnes de religions différentes. On ne doit jamais tuer au nom de Dieu, car pour Lui nous sommes tous frères et sœurs. Mais ensemble, nous pouvons donner notre vie pour les autres.

Prions donc pour que nous ne nous lassions pas de témoigner de l’Évangile, même en temps de tribulation. Que tous les saints et les saints martyrs soient des semences de paix et de réconciliation entre les peuples pour un monde plus humain et plus fraternel, en attendant que le Royaume des cieux se manifeste pleinement, quand Dieu sera tout en tous (cf. 1 Co 15, 28). Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 12 avril 2023

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Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur le « zèle évangélique ». Il a réfléchi sur la référence à Éphésiens 6:15 « aux pieds du héraut de la bonne nouvelle », en disant que « celui qui va proclamer doit se déplacer, doit marcher ! »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Après avoir vu, il y a quinze jours, le zèle personnel de saint Paul pour l’Évangile, nous pouvons aujourd’hui réfléchir plus profondément sur le zèle évangélique tel qu’il en parle lui-même et qu’il le décrit dans quelques-unes de ses lettres.

En vertu de sa propre expérience, Paul n’ignore pas le danger d’un zèle déformé, orienté dans la mauvaise direction ; il était lui-même tombé dans ce danger avant la chute providentielle sur le chemin de Damas. Nous avons parfois affaire à un zèle mal orienté, obstiné dans l’observation de normes purement humaines et obsolètes pour la communauté chrétienne. « Certains, écrit l’apôtre, ont pour vous un attachement qui n’est pas bon ». (Gal 4, 17).

Nous ne pouvons pas ignorer la sollicitude avec laquelle certains se consacrent à de mauvaises occupations, même au sein de la communauté chrétienne ; on peut se vanter d’un faux zèle évangélique tout en poursuivant en réalité la vanité ou ses propres convictions.

Quelles sont les caractéristiques du véritable zèle évangélique selon Paul ? Le texte que nous avons entendu au début me semble utile à cet égard, une liste d’« armes » que l’apôtre indique pour le combat spirituel. Parmi ces armes, il y a la volonté de propager l’Évangile, que certains traduisent par « zèle » et qu’ils qualifient de « chaussure ». Pourquoi ? En quoi le zèle pour l’Évangile est-il lié à ce que l’on met à ses pieds ? Cette métaphore reprend un texte du prophète Isaïe : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : ‹ Il règne, ton Dieu ! › » (52,7).

Ici aussi, il est question des pieds d’un héraut de la bonne nouvelle. Pourquoi ? Parce que celui qui va proclamer doit se déplacer, il doit marcher ! Mais nous remarquons aussi que Paul, dans ce texte, parle des chaussures comme d’une partie de l’armure, selon l’analogie de l’équipement du soldat qui va au combat : dans le combat, il est essentiel d’avoir une bonne stabilité, d’éviter les pièges du terrain, car l’adversaire a souvent truffé le champ de bataille de pièges, et d’avoir la force de courir et de se déplacer dans la bonne direction.

Le zèle évangélique est le support sur lequel repose l’annonce, et les annonciateurs sont un peu comme les pieds du corps du Christ qui est l’Église. Il n’y a pas de proclamation sans mouvement, sans « sortie”, sans initiative. On n’annonce pas l’Évangile en restant immobile, enfermé dans un bureau, devant son pupitre ou son ordinateur, à discuter comme des « lions du clavier “et à remplacer la créativité de l’annonce par des copier-coller d’idées prises ici et là. L’Évangile s’annonce en se déplaçant, en marchant, en allant.

Le terme utilisé par Paul pour désigner la chaussure de ceux qui portent l’Évangile est un mot grec qui signifie empressement, préparation, alacrité. C’est le contraire du laisser-aller, qui est incompatible avec l’amour. En effet, Paul dit ailleurs : « Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit, servez le Seigneur » (Rm 12,11). Cette attitude était celle requise dans le livre de l’Exode pour célébrer le sacrifice de la Pâque de délivrance : « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là » (12,11-12a).

Le héraut est prêt à partir et il sait que le Seigneur passe de manière surprenante ; il doit donc être libre de tout projet et prêt pour une action inattendue et nouvelle. Celui qui annonce l’Évangile ne peut pas être fossilisé dans des cages de plausibilité ou dans le « on a toujours fait comme ça », mais il est prêt à suivre une sagesse qui n’est pas de ce monde, comme le dit Paul en parlant de lui-même : « Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu »  (1 Co 2,4-5).

Ici, il est important d’avoir cette disponibilité à la nouveauté de l’Évangile, cette attitude qui est un élan, une prise d’initiative, un « primerear ». Il s’agit de ne pas laisser passer les occasions de promulguer l’annonce de l’Évangile de la paix, cette paix que le Christ sait donner plus et mieux que le monde ne le fait.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

E6 | Béatitude

Homélie du pape François lors de la Messe Chrismale – 6 avril 2023

Le Jeudi Saint 6 avril 2023, le pape François a prononcé l’homélie lors de la célébration de la Messe  Chrismale. Il a dit: L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1).

Vous pouvez lire le texte intégral de l’homélie ci-dessous.

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Célébration de la Messe Chrismale

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Jeudi Saint, 6 avril 2023

« L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18) : c’est à partir de ce verset qu’a commencé la prédication de Jésus, et c’est à partir de ce même verset que la Parole que nous avons entendue aujourd’hui a débuté (cf. Is 61,1). Au commencement, donc, il y a l’Esprit du Seigneur.

Et c’est sur lui que je voudrais réfléchir avec vous aujourd’hui, chers confrères, sur l’Esprit du Seigneur. En effet, sans l’Esprit du Seigneur, il n’y a pas de vie chrétienne, et sans son onction, il n’y a pas de sainteté. Il est le protagoniste et c’est beau, en ce jour de naissance du sacerdoce, de reconnaître qu’il est à l’origine de notre ministère, de la vie et de la vitalité de chaque pasteur. En effet, notre Sainte Mère l’Église nous enseigne à professer que l’Esprit Saint « donne la vie » [1] comme l’a affirmé Jésus en disant : « C’est l’Esprit qui fait vivre » ( Jn 6, 63) ; un enseignement repris par l’apôtre Paul qui écrit : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6) et parle de la « loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » ( Rm 8, 2). Sans Lui, l’Église ne serait pas l’Épouse vivante du Christ, mais tout au plus une organisation religieuse – plus ou moins bonne ; elle ne serait pas le Corps du Christ, mais un temple construit par des mains humaines. Comment l’Église peut-elle être construite, sinon à partir du fait que nous sommes les « temples de l’Esprit Saint » qui « habite en nous » (cf. 1 Co 6, 19 ; 3,16) ? Nous ne pouvons pas le laisser dehors ou le « parquer » dans une zone de dévotion, non, au centre !. Nous avons besoin de dire chaque jour : « Viens, car sans ta puissance rien n’est en l’homme ». [2]

L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1). Frères, sans mérite, par pure grâce, nous avons reçu une onction qui a fait de nous des pères et des pasteurs du Peuple saint de Dieu. Arrêtons-nous donc sur cet aspect de l’Esprit : l’onction.

Après la première « onction » dans le sein de Marie, l’Esprit est descendu sur Jésus au Jourdain. Par la suite, comme l’explique saint Basile, « chaque action [du Christ] s’est accomplie avec la co-présence de l’Esprit Saint ». [3] En effet, c’est par la puissance de cette onction qu’Il prêchait et accomplissait des signes, en vertu de laquelle « une force sortait de Lui et les guérissait tous » ( Lc 6, 19). Jésus et l’Esprit œuvrent toujours ensemble, de sorte qu’ils sont comme les deux mains du Père [4] – Irénée dit cela – qui, tendues vers nous, nous étreignent et nous relèvent. Et c’est par elles que nos mains, ointes par l’Esprit du Christ ont été marquées. Oui, frères, le Seigneur ne nous a pas seulement choisis et appelés de partout : il a répandu en nous l’onction de son Esprit, celui-là même qui est descendu sur les Apôtres. Frères nous sommes des “oints”.

Regardons donc vers eux, vers les Apôtres. Jésus les choisit et, à son appel, ils quittent leurs barques, leurs filets, leurs maisons et ainsi de suite… L’onction de la Parole change leur vie. Avec enthousiasme, ils suivent le Maître et commencent à prêcher, convaincus d’accomplir par la suite des choses encore plus grandes ; jusqu’à ce que survienne la Pâque. Là, tout semble s’arrêter : ils en viennent à renier et à abandonner le Maître. Nous ne devons pas avoir peur. Soyons courageux en lisant notre propre vie et nos chutes. Ils parviennent à renier et à abandonner le Maitre, Pierre, le premier. Ils se rendent compte de leur incapacité et réalisent qu’ils ne l’avaient pas compris : le « Je ne connais pas cet homme » (Mc 14, 71), que Pierre prononce dans la cour du grand prêtre après la dernière Cène, n’est pas seulement une défense impulsive, mais un aveu d’ignorance spirituelle : lui et les autres s’attendaient peut-être à une vie de succès derrière un Messie attirant les foules et accomplissant des prodiges. Mais ils ne reconnaissent pas le scandale de la croix qui brise leurs certitudes. Jésus savait qu’ils n’y arriveraient pas seuls, et c’est pourquoi il leur avait promis le Paraclet. Et c’est justement cette « seconde onction », à la Pentecôte, qui transforme les disciples, en les amenant à paître le troupeau de Dieu et non plus eux-mêmes.Et telle est la contradiction à résoudre : suis-je pasteur du peuple de Dieu ou de moi-même ? Et il y a l’Esprit qui m’enseigne le chemin. C’est cette onction de feu qui fait disparaître leur religiosité centrée sur eux-mêmes et sur leurs propres capacités : une fois l’Esprit reçu, les craintes et les hésitations de Pierre se dissiperont ; Jacques et Jean, brûlés par le désir de donner leur vie, cesseront de courir après les places d’honneur (cf. Mc 10, 35-45) ; notre carriérisme, frères ; les autres ne resteront plus enfermés et craintifs au Cénacle, mais ils sortiront et deviendront apôtres dans le monde.C’est l’esprit qui change notre cœur, qui le met dans ce plan différent.

Frères, un tel chemin embrasse notre vie sacerdotale et apostolique. Pour nous aussi, il y a eu une première onction qui a commencé par un appel d’amour qui a ravi nos cœurs. Pour lui nous avons rompu nos amarres et sur cet enthousiasme authentique est descendue la force de l’Esprit, qui nous a consacrés. Ensuite, selon le temps voulu par Dieu, vient pour chacun l’étape pascale, qui marque le moment de vérité. Et c’est un moment de tension qui prend des formes diverses. Il arrive à chacun, tôt ou tard, de connaître des déceptions, des fatigues, des faiblesses, l’idéal semblant se diluer devant les exigences de la réalité, tandis qu’une certaine habitude prend le dessus et que certaines épreuves, auparavant difficilement imaginables, rendent la fidélité plus inconfortable qu’elle ne l’était auparavant. Cette étape – de cette tentation, de cette épreuve que nous avons tous eue, que nous avons et que nous aurons – cette étape représente une ligne de crête décisive pour ceux qui ont reçu l’onction. On peut s’en sortir mal, en glissant vers une certaine médiocrité, en se traînant avec lassitude dans une « normalité » où s’insinuent trois tentations dangereuses : celle du compromis, où l’on se contente de ce que l’on peut faire ; celle des compensations, où l’on cherche à se « recharger » avec autre chose que notre onction ; celle du découragement – qui est la plus commune –, où, mécontents, l’on continue par inertie. Et c’est là que réside le grand risque : alors que les apparences demeurent intactes – “Je suis prêtre” –, on se replie sur soi-même et on se traîne sans énergie ; le parfum de l’onction n’embaume plus la vie et le cœur ; et le cœur ne se dilate plus mais se rétrécit, enserré dans le désenchantement.C’est un distillat, tu sais ? Lorsque le sacerdoce glisse lentement sur le cléricalisme et que le prêtre oublie d’être pasteur du peuple, pour devenir un clerc d’État.

Mais cette crise peut aussi devenir le tournant du sacerdoce, « l’étape décisive de la vie spirituelle, où il faut faire l’ultime choix entre Jésus et le monde, entre l’héroïsme de la charité et la médiocrité, entre la croix et un certain bien-être, entre la sainteté et une honnête fidélité à l’engagement religieux ». [5] À la fin de cette célébration, on vous donnera comme cadeau un classique, un livre qui traite de ce problème : “ Le second appel”, c’est un classique du Père Voillaume qui touche ce problème, lisez-le. Ensuite, nous avons tous besoin réfléchir à ce moment de notre sacerdoce. C’est le moment béni où, comme les disciples à Pâques, nous sommes appelés à être « assez humbles pour confesser que nous avons été vaincus par le Christ humilié et crucifié, et pour accepter de commencer un nouveau chemin, celui de l’Esprit, de la foi et d’un amour fort et sans illusions ». [6] C’est le kairos où l’on découvre que « tout cela ne se réduit pas à abandonner la barque et les filets pour suivre Jésus pendant un certain temps, mais nous oblige à aller jusqu’au Calvaire, à accueillir la leçon et le fruit, et à aller avec l’aide de l’Esprit Saint jusqu’au bout d’une vie qui doit s’achever dans la perfection de la Charité divine ».  [7] Avec l’aide de l’Esprit Saint : c’est le temps, pour nous comme pour les Apôtres, d’une « seconde onction », temps d’un second appel que nous devons écouter, pour la seconde onction, celle où nous accueillons l’Esprit, non pas à partir de l’enthousiasme de nos rêves, mais à partir de la fragilité de notre réalité. C’est une onction qui fait la vérité en profondeur, qui permet à l’Esprit d’oindre nos faiblesses, nos travaux, nos pauvretés intérieures. Alors l’onction embaume à nouveau : de son parfum et non du nôtre.En ce moment, intérieurement, je fais mémoire de certains d’entre vous qui sont en crise – disons ainsi – qui sont désorientés et qui ne savent pas comment prendre le chemin, comment reprendre le chemin dans cette seconde onction de l’Esprit. À ces frères – je les ai présents – je dis simplement : courage, le Seigneur est plus grand que tes faiblesses, que tes péchés. Confie-toi au Seigneur et laisse-toi appeler une deuxième fois, cette fois avec l’onction de l’Esprit Saint. La double vie ne t’aidera pas ; jeter tout par la fenêtre, non plus. Regarde en avant, laisse-toi caresser par l’onction de l’Esprit Saint.

Et le chemin pour ce pas de maturité est d’admettre la vérité de sa propre faiblesse. « L’Esprit de vérité » (Jn 16, 13) nous y exhorte, il nous pousse à regarder en nous-mêmes jusqu’au fond et à nous demander : mon épanouissement dépend-il de mes capacités, du rôle que j’obtiens, des compliments que je reçois, de la carrière que je poursuis, des supérieurs ou des collaborateurs, ou du confort que je peux me garantir, ou de l’onction qui parfume ma vie ? Frères, la maturité sacerdotale passe par l’Esprit Saint, elle se réalise quand Il devient le protagoniste de notre vie. Alors tout change de perspective, même les déceptions et les amertumes – même les péchés – parce qu’il ne s’agit plus d’essayer de nous améliorer en corrigeant quelque chose, mais de nous en remettre, sans rien retenir, à Celui qui nous a gratifiés de son onction et veut descendre en nous au plus profond. Frères, nous redécouvrons alors que la vie spirituelle devient libre et joyeuse non pas quand on sauve les formes et que l’on rapièce, mais quand on laisse l’initiative à l’Esprit et que, abandonnés à ses desseins, on se dispose à servir là et comme on nous le demande : notre sacerdoce ne grandit pas en rapiéçant, mais en débordant !

Si nous laissons l’Esprit de vérité agir en nous, nous conserverons l’onction – conserver l’onction –, car les faussetés – les hypocrisies cléricales – les faussetés avec lesquelles nous sommes tentés de vivre viendront à la lumière immédiatement. Et l’Esprit, qui « lave ce qui est sale », nous suggérera, sans se lasser, de « ne pas souiller l’onction », ne serait-ce qu’un peu. Il me vient à l’esprit cette phrase du Qohèleth qui dit : « Une seule mouche morte infeste et gâte l’huile du parfumeur » (10, 1). C’est vrai, toute duplicité – la duplicité cléricale, s’il vous plaît – toute duplicité qui s’insinue est dangereuse : elle ne doit pas être tolérée mais mise à la lumière de l’Esprit. Parce que, si « rien n’est plus faux que le cœur de l’homme, il est incurable » ( Jr 17, 9), l’Esprit Saint, Lui seul, nous guérit de l’infidélité (cf. Os 14, 5). C’est pour nous un combat essentiel : il est en effet indispensable, comme l’écrivait saint Grégoire le Grand que « celui qui annonce la parole de Dieu se consacre d’abord à son propre mode de vie, pour apprendre ensuite, à partir de sa propre vie, ce qu’il doit dire et comment il doit le dire. […] Que nul ne prétende dire à l’extérieur ce qu’il n’a pas d’abord entendu à l’intérieur ». [8] Et c’est l’Esprit, le maître intérieur, qu’il faut écouter, sachant qu’il n’y a rien en nous qu’Il ne veuille oindre. Frères, préservons l’onction : que l’invocation de l’Esprit ne soit pas une pratique sporadique, mais le souffle de chaque jour. Viens, viens, conserve-nous l’onction. Moi, consacré par Lui, je suis appelé à m’immerger en Lui, à laisser sa lumière pénétrer mes obscurités – nous en avons beaucoup – pour retrouver la vérité de ce que je suis. Laissons-nous entraîner par Lui pour combattre les contradictions qui s’agitent en nous ; et laissons-nous régénérer par Lui dans l’adoration, car lorsque nous adorons le Seigneur, Il déverse son Esprit dans nos cœurs.

L’esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ; il m’a envoyé – poursuit la prophétie – et m’a envoyé pour apporter la bonne nouvelle, la délivrance, la guérison et la grâce (cf. Is 61, 1-2 ; Lc 4, 18-19) : en un mot, pour apporter l’harmonie là où il n’y en a pas. Car comme le dit saint Basile : “L’Esprit est l’harmonie” c’est Lui qui fait l’harmonie. Après vous avoir parlé de l’onction, je voudrais vous dire quelque chose de cette harmonie qui en est la conséquence. L’Esprit Saint, en effet, est harmonie. D’abord au ciel : saint Basile explique que « cette supra-céleste et indicible harmonie dans service de Dieu et dans la symphonie réciproque des puissances supra-cosmiques, il est impossible qu’elle soit conservée sinon par l’autorité de l’Esprit » [9]. Et aussi sur la terre : dans l’Église, c’est bien Lui cette « Harmonie divine et musicale » [10] qui relie tout.Mais pensez à un presbyterium sans harmonie, sans l’Esprit : cela ne fonctionne pas. Il suscite la diversité des charismes et la refonde en unité, il crée une concorde qui n’est pas fondée sur l’homologation, mais sur la créativité de la charité. Il en va de même pour l’harmonie entre les uns et les autres. Il en va de même pour l’harmonie dans un presbytère. Pendant les années du Concile Vatican II, qui a été un don de l’Esprit, un théologien a publié une étude dans laquelle il parlait de l’Esprit non pas dans son individualité, mais dans son pluralisme. Il nous invitait à le considérer comme une Personne divine non pas tant singulière que « plurielle », comme le « nous de Dieu », le « nous » du Père et du Fils, parce qu’il est leur lien, il est en lui-même concorde, communion, harmonie. [11] Je me souviens que quand j’ai lu ce traité théologique – c’était en théologie, en étudiant – je me suis scandalisé : il semblait une hérésie, parce que dans notre formation on ne comprenait pas bien comment était l’Esprit Saint.

Créer l’harmonie, c’est ce qu’Il désire, surtout parmi ceux sur qui Il a répandu son onction. Frères, construire l’harmonie entre nous n’est donc pas une bonne méthode pour que la structure ecclésiale puisse mieux fonctionner, ce n’est pas danser le Minuet, ce n’est pas une question de stratégie ou de courtoisie, mais une exigence interne de la vie de l’Esprit. On pèche contre l’Esprit, qui est communion, quand on devient, même par légèreté, un instrument de division, par exemple – et revenons sur le même thème – avec le bavardage. Quand nous devenons des instruments de division, nous péchons contre l’Esprit. Et on fait le jeu de l’ennemi qui ne se montre pas au grand jour et qui aime les rumeurs et les insinuations, qui fomente des partis et des groupes de pressions, nourrit la nostalgie du passé, la méfiance, le pessimisme, la peur. Veillons, s’il vous plaît, à ne pas souiller l’onction de l’Esprit et la tunique de la Sainte Mère l’Église par la désunion, les polarisations, par tout manque de charité et de communion. Rappelons-nous que l’Esprit, « le nous de Dieu », préfère la forme communautaire : c’est-à-dire la disponibilité par rapport à ses propres exigences, l’obéissance par rapport à ses propres goûts, l’humilité par rapport à ses propres attentes.

L’harmonie n’est pas une vertu parmi d’autres, elle est davantage. Saint Grégoire le Grand écrit : « La valeur de la vertu d’harmonie est démontrée par le fait que, sans elle, toutes les autres vertus ne valent absolument rien ». [12] Aidons-nous les uns les autres, mes frères, à préserver l’harmonie, – préserver l’harmonie – ce serait le devoir – en commençant non pas par les autres, mais chacun par soi-même ; en nous demandant : dans mes paroles, dans mes commentaires, dans ce que je dis et écris, y a-t-il l’empreinte de l’Esprit ou celle du monde ? Je pense aussi à la gentillesse du prêtre – mais si souvent les prêtres, nous… sommes impolis – : pensons à la gentillesse du prêtre, si les gens trouvent, même chez nous, des personnes insatisfaites, vieux garçons, des personnes mécontentes qui critiquent et pointent du doigt, où verront-ils l’harmonie ? Combien ne s’approchent pas, ou bien s’éloignent, parce qu’ils ne se sentent ni accueillis ni aimés dans l’Église, mais regardés avec suspicion et jugés ! Au nom de Dieu, accueillons et pardonnons, toujours ! Et rappelons-nous que le fait d’être crispés et de se plaindre, outre que cela ne produit rien de bon, compromet l’annonce, parce que cela est un contre-témoignage de Dieu qui est communion et harmonie. Et cela déplaît beaucoup et surtout à l’Esprit Saint que l’apôtre Paul nous exhorte à ne pas contrister (cf. Ep 4, 30).

Frères, je vous laisse avec ces pensées qui sont sorties du cœur et je termine en vous adressant une parole simple et importante : merci. Merci pour votre témoignage, merci pour votre service ; merci pour tout le bien caché que vous faites, merci pour le pardon et la consolation que vous offrez au nom de Dieu : toujours pardonner, s’il vous plaît, ne jamais refuser le pardon ; merci pour votre ministère qui s’exerce souvent au prix de beaucoup de fatigues, d’incompréhensions et de peu de reconnaissance. Frères, que l’Esprit de Dieu, qui ne déçoit pas ceux qui se confient en Lui, vous comble de paix et achève en vous ce qu’il a commencé, afin que vous soyez prophètes de son onction et apôtres d’harmonie.

 

[1] Symbole de Nicée-Constantinople.

[2] Cf. Séquence de la Pentecôte.

[3] Spir. XVI, 39.

[4] Cf. Irené de Lyon, Adv. haer. IV, 20,1.

[5] R. Voillaume, «La seconda chiamata», in S. Stevan ed.,  La Seconda chiamata. Il coraggio della fragilità, Bologna 2018, 15. (« Le second appel », Lettres aux fraternités, t. 1, Paris, Cerf, 1960, pp. 11-35).

[6] Ibid., 24.

[7] Ibid., 16.

[8] Homélies sur Ezéchiel, I, X ,13-14.

[9] Spir. XVI, 38. Basile de Césarée, De Spiritu sancto, Sources Chrétiennes 17, [SPIR.S] 16, 38 (p.382).

[10] In Ps. 29,1.

[11] Cf. H. Mühlen, Der Heilige Geist als Person. Ich – Du – Wir, Münster in W., 1963.

[12] Homélies sur Ezéchiel, I, VIII, 8.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 5 avril 2023

« Le roi qui mérite tous les éloges ». Crédit photo: Mirna Encinas on Cathopic.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a réfléchi sur « Le crucifix, source d’espérance ». Il a déclaré que sur la croix, « nous voyons Jésus nu, Jésus dépouillé, Jésus blessé, Jésus tourmenté. Est-ce la fin de tout ? C’est là que se trouve notre espérance. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dimanche dernier, la Liturgie nous a fait écouter la Passion du Seigneur. Elle se termine par ces mots : « Ils mirent les scellés sur la pierre » (Mt 27, 66). Ils mirent les scellés sur la pierre : tout semble fini. Pour les disciples de Jésus, ce bloc de pierre marque la fin de l’espérance. Le Maître a été crucifié, tué de la manière la plus cruelle et la plus humiliante qui soit, pendu à un infâme gibet hors de la ville : un échec public, la pire fin possible – à cette époque c’était la pire. Le découragement qui oppressait les disciples ne nous est pas totalement étranger aujourd’hui. En nous aussi, fusent des idées noires et des sentiments de frustration : pourquoi tant d’indifférence à l’égard de Dieu ? C’est curieux : pourquoi tant d’indifférence à l’égard de Dieu ? Pourquoi tant de mal dans le monde ? Mais regardez, il y a du mal dans le monde ! Pourquoi les inégalités continuent-elles à se creuser et la paix tant désirée ne se réalise pas ? Pourquoi sommes-nous si attachés à la guerre, à nous faire du mal l’un à l’autre ? Et dans le cœur de chacun, que d’attentes envolées, que de déceptions ! Et toujours ce sentiment que les temps passés étaient meilleurs et que dans le monde, peut-être même dans l’Église, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient… Bref, aujourd’hui encore, l’espérance semble parfois scellée sous la pierre de la méfiance. Et j’invite chacun d’entre vous à réfléchir à ceci : où est ton espérance ? Toi, as-tu une espérance vive ou l’as-tu scellée là, ou l’as-tu dans le tiroir comme un souvenir ? Est-ce que ton espérance te fait avancer, ou est-ce un souvenir romantique comme quelque chose qui n’existerait pas ? Où est ton espérance aujourd’hui ?

Une image est restée gravée dans l’esprit des disciples : la croix. Et c’est là que tout est fini. C’est là que se concentrait la fin de tout. Mais peu de temps après, ils découvriront dans la croix elle-même un nouveau commencement. Chers frères et sœurs, c’est ainsi que germe l’espérance de Dieu, elle naît et renaît dans les trous noirs de nos attentes déçues, et l’espérance véritable, au contraire, ne déçoit jamais. Pensons à la croix : du plus terrible instrument de torture, Dieu a tiré le plus grand signe d’amour. Ce bois de la mort, transformé en arbre de vie, nous rappelle que les débuts de Dieu commencent souvent à partir de nos limites : c’est ainsi qu’il aime opérer des merveilles. Aujourd’hui, regardons donc l’arbre de la croix pour que germe en nous l’espérance : cette vertu de tous les jours, cette vertu silencieuse, humble, mais cette vertu qui nous maintient debout, qui nous aide à aller de l’avant. Sans espérance, on ne peut pas vivre. Demandons-nous : où est mon espérance ? Aujourd’hui, regardons l’arbre de la croix pour que germe en nous l’espérance : pour être guéris de la tristesse – mais, que de gens tristes… Moi, quand je pouvais aller dans les rues, maintenant je ne peux plus parce qu’on ne me laisse pas faire, mais quand je pouvais aller dans les rues dans l’autre diocèse, j’aimais bien regarder le regard des gens. Tant de regards tristes ! Des gens tristes, des gens qui parlent tout seuls, des gens qui marchent avec leur téléphone portable, mais sans paix, sans espérance. Et où est ton espérance aujourd’hui ? Nous avons besoin d’un peu d’espérance pour guérir de la tristesse dont nous sommes malades, pour guérir de l’amertume avec laquelle nous polluons l’Église et le monde. Frères et sœurs, regardons le Crucifix. Et que voyons-nous ? Nous voyons Jésus nu, Jésus dépouillé, Jésus blessé, Jésus tourmenté. Est-ce la fin de tout ? C’est là que réside notre espérance.

Observons donc comment, sous ces deux aspects, l’espérance, qui semblait mourir, renaît. Tout d’abord, nous voyons Jésus dépouillé : car « après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort » (v. 35). Dieu dépouillé : Celui qui a tout se laisse dépouiller de tout. Mais cette humiliation est le chemin de la rédemption. Dieu triomphe ainsi de nos apparences. En effet, nous avons du mal à nous mettre à nu, à faire la vérité : nous essayons toujours de dissimuler les vérités parce qu’elles ne nous plaisent pas ; nous nous revêtons d’apparences extérieures que nous recherchons et soignons, des masques pour nous déguiser et nous montrer meilleurs que nous ne sommes. Un peu comme l’habitude du maquillage : maquillage intérieur, paraître meilleur que les autres …Nous pensons que l’important est l’ostentation, le paraitre, pour que les autres disent du bien de nous. Et nous nous parons d’apparences, nous nous parons d’apparences, de choses superflues, mais de cette manière nous ne trouvons pas la paix. Puis le maquillage disparaît et tu te regardes dans le miroir avec le visage laid que tu as, mais le vrai, celui que Dieu aime, pas celui qui est « maquillé ». Et Jésus dépouillé de tout nous rappelle que l’espérance renaît en faisant la vérité sur nous-mêmes – se dire la vérité à soi-même -, en abandonnant la duplicité, en nous libérant de la coexistence pacifique avec nos mensonges. Parfois, nous sommes tellement habitués à nous dire des mensonges que nous vivons avec ces mensonges comme s’il s’agissait de vérités et nous finissons par être empoisonnés par nos mensonges. Voilà ce qui est nécessaire : revenir au cœur, à l’essentiel, à une vie simple, dépouillée de tant de choses inutiles, qui sont des substituts de l’espérance. Aujourd’hui, alors que tout est complexe et que nous risquons de perdre le fil, nous avons besoin de simplicité, nous avons besoin de redécouvrir la valeur de la sobriété, la valeur du renoncement, de faire le ménage dans ce qui pollue le cœur et nous rend tristes. Chacun de nous peut penser à une chose inutile dont il peut se débarrasser pour se retrouver. Pensez-y, que de choses inutiles ! Ici, il y a quinze jours, à Santa Marta, où je vis – c’est un hôtel pour tant de gens – on a dit que pour cette Semaine Sainte, il serait bon de regarder l’armoire et de se dépouiller, de nous débarrasser des choses que nous avons, que nous n’utilisons pas… vous ne pouvez pas imaginer la quantité de choses ! Il est bon de se débarrasser des choses inutiles. Et cela a été donné aux pauvres, aux personnes dans le besoin. Nous aussi, nous avons tant de choses inutiles à l’intérieur de notre cœur – et à l’extérieur aussi. Regardez votre garde-robe : regardez-la. Ce qui est utile, ce qui est inutile… et faire le ménage. Regardez l’armoire de l’âme : combien de choses inutiles vous avez, combien d’illusions stupides. Revenons à la simplicité, aux choses essentielles, qui n’ont pas besoin de maquillage. Voilà un bel exercice !

Jetons un second regard sur le crucifix et voyons Jésus blessé. La croix montre les clous qui transpercent ses mains et ses pieds, son côté ouvert. Mais aux blessures du corps s’ajoutent celles de l’âme : mais quelle angoisse ! Jésus est seul : trahi, livré et renié par les siens, de ses amis et également de ses disciples, condamné par le pouvoir religieux et civil, excommunié, Jésus fait même l’expérience de l’abandon de Dieu (cf. v. 46). Sur la croix, apparaît également le motif de la condamnation : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (v. 37). C’est une moquerie : lui qui s’était enfui quand on avait voulu le faire roi (cf. Jn 6,15), est condamné pour s’être fait roi ; alors qu’il n’a commis aucun crime, il est mis entre deux malfaiteurs et on lui préfère le violent Barabbas (cf. Mt 27,15-21). Jésus, en somme, est blessé dans son corps et dans son âme. Je me demande : en quoi cela aide-t-il notre espérance ? Ainsi, Jésus nu, dépouillé de tout, de tout : qu’est-ce que cela dit de mon espérance, en quoi cela m’aide-t-il ?

Nous aussi nous sommes blessés : qui n’est pas blessé dans la vie ? Et tant de fois avec des blessures cachées, que nous cachons à cause de la honte. Qui ne porte pas les cicatrices de choix passés, d’incompréhensions, de douleurs qui restent à l’intérieur et qui sont difficiles à surmonter ? Mais aussi des torts subis, des paroles acerbes, des jugements sans clémence ? Dieu ne cache pas à nos yeux les blessures qui ont transpercé son corps et son âme. Il les montre pour nous dévoiler qu’un nouveau passage peut s’ouvrir à Pâques : faire de ses blessures des trous de lumière. « Mais, Sainteté, n’exagérez pas », pourrait-on me dire. Non, c’est vrai : essaie. Essaie. Pense à tes blessures, celles que tu es le seul à connaître, celles que chacun a cachées dans le cœur. Et regarde le Seigneur. Et tu verras, tu verras comment de ces blessures jaillissent des trous de lumière. Jésus en croix, ne récrimine pas, il aime. Il aime et pardonne à ceux qui le blessent (cf. Lc 23, 34). Il transforme ainsi le mal en bien, ainsi convertit-il et transforme-t-il la douleur en amour.

Frères et sœurs, la question n’est pas d’être blessé un peu ou beaucoup par la vie, la question est ce que je fais de mes blessures. Les petites, les grandes, celles qui laisseront toujours une trace dans mon corps, dans mon âme. Qu’est-ce que je fais avec mes blessures ? Que fais-tu, toi avec tes blessures ? « Non, mon Père, je n’ai pas de blessures » – « Attention, réfléchis-y par deux fois avant de dire cela ». Et moi je te demande : que fais-tu de tes blessures, celles que toi seul connais ? Tu peux les laisser s’infecter dans le ressentiment, la tristesse, ou je peux les unir à celles de Jésus, pour que mes blessures aussi deviennent lumineuses. Pensez au nombre de jeunes qui ne supportent pas leurs blessures et qui considèrent le suicide comme une voie de salut : aujourd’hui, dans nos villes, il y a beaucoup, beaucoup de jeunes qui ne voient pas d’issue, qui n’ont pas d’espérance et qui préfèrent aller plus loin avec la drogue, avec l’oubli… pauvres choses. Pensez à eux. Et toi, quelle est ta drogue, pour couvrir tes blessures ? Nos blessures peuvent devenir sources d’espérance quand, au lieu de pleurer sur nous-mêmes ou de les cacher, nous essuyons les larmes des autres ; quand, au lieu de nourrir du ressentiment pour ce qui nous est enlevé, nous nous occupons de ce qui manque aux autres ; quand, au lieu de ruminer en nous-mêmes, nous nous penchons sur ceux qui souffrent ; quand, au lieu d’être assoiffés d’amour pour nous-mêmes, nous étanchons la soif de ceux qui ont besoin de nous. Car seulement si nous cessons de penser à nous-mêmes, nous nous trouvons nous-mêmes. Mais si nous continuons à penser à nous-mêmes, nous ne nous retrouverons plus jamais. Et c’est ainsi que – comme le dit l’Écriture – notre blessure se cicatrise rapidement (cf. Is 58, 8) et que l’espérance refleurit. Réfléchissez : que puis-je faire pour les autres ? Je suis blessé, je suis blessé par le péché, je suis blessé par l’histoire, chacun a sa propre blessure. Que dois-je faire : est-ce que je lèche mes propres blessures comme ça, toute la vie ? Ou est-ce que je regarde les blessures des autres et je pars avec l’expérience blessée de ma propre vie, pour guérir, pour aider les autres ? C’est le défi d’aujourd’hui, pour vous tous, pour chacun d’entre nous. Que le Seigneur nous aide à aller de l’avant.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

L’Église aux peuples Autochtones: la « doctrine de la découverte » n’a jamais été catholique

Une « note » conjointe des Dicastères de la Culture et du Développement Humain Intégral reconnait  que «de nombreux chrétiens ont commis des actes malveillants à l’encontre des peuples indigènes».  Mais les bulles papales du XVe siècle qui ont cédaient aux souverains colonisateurs les biens des  peuples originaires sont des documents politiques, instrumentalisés pour des actes immoraux. Dès  1537, Paul III déclarait solennellement que les Autochtones ne devaient pas être réduits en esclavage  ni dépouillés de leurs biens. 

Vatican News- Grâce à l’aide des peuples Autochtones, « l’Église a acquis une plus grande conscience de leurs  souffrances, passées et présentes, dues à l’expropriation de leurs terres… ainsi qu’aux politiques  d’assimilation forcée, promues par les autorités gouvernementales de l’époque, destinées à éliminer leurs cultures Autochtones ». C’est ce qu’affirme la « Note commune sur la doctrine de la découverte »  des Dicastères de la culture et de l’éducation et du service du développement humain intégral, publiée  le jeudi 30 mars. Le document affirme que la « doctrine de la découverte », théorie utilisée pour justifier  l’expropriation des peuples indigènes par les souverains colonisateurs, «ne fait pas partie de  l’enseignement de l’Église catholique» et que les bulles papales par lesquelles des concessions ont été  faites aux souverains colonisateurs n’ont jamais fait partie du magistère. 

Il s’agit d’un texte important qui, huit mois après le voyage du pape François au Canada, réaffirme  clairement le rejet par l’Église catholique de la mentalité colonisatrice. « Au cours de l’histoire, rappelle le texte, les papes ont condamné les actes de violence, d’oppression, d’injustice sociale et  d’esclavage, y compris ceux commis contre les peuples indigènes ». Et il y a « de nombreux exemples» d’évêques, de prêtres, de religieux et de laïcs qui «ont donné leur vie pour défendre la dignité de ces  peuples ». La note ne manque pas non plus de mentionner que « de nombreux chrétiens ont commis  des actes malveillants à l’encontre des peuples indigènes, pour lesquels les papes récents ont  demandé pardon à de nombreuses reprises »

En ce qui concerne la « doctrine de la découverte », le texte indique que « Le concept juridique de  “découverte” a été débattu par les puissances coloniales à partir du XVIe siècle et a trouvé une  expression particulière dans la jurisprudence du XIXe siècle des tribunaux de plusieurs pays, selon  laquelle la découverte de terres par des colons conférait un droit exclusif d’éteindre, par achat ou  conquête, le titre ou la possession de ces terres par les peuples Autochtones ». Selon certains  chercheurs, cette « doctrine » s’appuie sur plusieurs documents pontificaux, notamment les bulles de  Nicolas V Dum Diversas (1452) et Romanus Pontifex (1455), et celle d’Alexandre VI Inter Caetera (1493). Il s’agit d’actes par lesquels ces deux Papes ont autorisé les souverains portugais et espagnols  à s’approprier les terres colonisées en soumettant les populations d’origine. 

« La recherche historique démontre clairement que les documents pontificaux en question, rédigés à  une période historique spécifique et liés à des questions politiques, n’ont jamais été considérés comme des expressions de la foi catholique », indique la note. En même temps, l’Église « reconnaît que ces  bulles pontificales n’ont pas reflété de manière adéquate l’égale dignité et les droits des peuples  Autochtones ». Elle ajoute que «le contenu de ces documents a été manipulé à des fins politiques par  des puissances coloniales concurrentes afin de justifier des actes immoraux à l’encontre des peuples  indigènes qui ont été réalisés parfois sans que les autorités ecclésiastiques ne s’y opposent». Il est  donc juste, affirment les deux dicastères du Saint-Siège, « de reconnaître ces erreurs, de reconnaître  les terribles effets des politiques d’assimilation et la douleur éprouvée par les peuples indigènes, et  de demander pardon ».  

Le Pape François est ensuite cité: «que la communauté chrétienne ne se laisse plus jamais contaminer  par l’idée qu’il existe une supériorité d’une culture par rapport à une autre et qu’il est légitime  d’utiliser des moyens de coercition sur les autres». Il est également rappelé que le magistère de  l’Église défend le respect dû à tout être humain et que l’Église « rejette donc les concepts qui ne  reconnaissent pas les droits humains inhérents aux peuples Autochtones », y compris la soi-disant « doctrine de la découverte ». 

Enfin, la note cite les déclarations «nombreuses et répétées» de l’Église et des Papes en faveur des  droits des peuples Autochtones, à commencer par celle contenue dans la bulle Sublimis Deus de Paul  III (1537), qui a déclaré solennellement que les peuples Autochtones ne devaient «en aucun cas être  privés de leur liberté ou de la possession de leurs biens, même s’ils ne sont pas de foi chrétienne ; et  qu’ils peuvent et doivent, librement et légitimement, jouir de leur liberté et de la possession de leurs  biens ; ils ne doivent en aucun cas être réduits en esclavage; si le contraire se produit, cela sera nul  et sans effet». Plus récemment, la solidarité de l’Église avec les peuples Autochtones s’est traduite par  «un fort soutien du Saint-Siège aux principes contenus dans la Déclaration des Nations Unies sur les  Droits des Peuples Indigènes». Leur mise en œuvre «améliorerait les conditions de vie et  contribuerait à protéger» les droits de ces peuples.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Dicastère pour la communication

Déclaration du CECC sur la « Doctrine de la découverte »

 

La Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) est reconnaissante au Dicastère pour la culture et l’éducation et au Dicastère pour le service du développement humain intégral d’avoir publié une Note commune sur le concept de la « Doctrine de la découverte », y compris sur la question de certaines bulles papales du XVe siècle qui, selon certains chercheurs, auraient servi de base à cette « doctrine ».

Contrairement à cette affirmation, de nombreuses déclarations publiées par l’Église et des papes au cours des siècles ont défendu les droits et les libertés des peuples Autochtones, par exemple la Bulle Sublimis Deus de 1537. En effet, plus récemment, les papes ont demandé pardon à de nombreuses reprises pour des actes malveillants commis contre les peuples Autochtones par des chrétiens et chrétiennes. Ayant entendu le désir exprimé par les peuples Autochtones pour que l’Église se penche sur la « doctrine de la découverte », la présente Note commune des deux Dicastères rejette en outre tout concept qui ne reconnaît pas les droits fondamentaux des peuples Autochtones.

Plus précisément, la Note commune affirme en termes clairs que :
« le magistère de l’Église défend le respect dû à tout être humain. L’Église catholique rejette donc les concepts qui ne reconnaissent pas les droits humains inhérents aux peuples Autochtones, y compris ce qui est connu sous le nom juridique et politique de ‘doctrine de la découverte’. »

La Note commune souligne que la « doctrine de la découverte » ne fait pas partie de l’enseignement de l’Église catholique et que les documents pontificaux examinés par certains chercheurs – en particulier les Bulles Dum Diversas (1452), Romanus Pontifex (1455) et Inter Caetera (1493) – n’ont jamais été considérés comme des expressions de la foi catholique. En même temps, elle reconnaît que ces bulles pontificales ne reflétaient pas correctement l’égalité de dignité et de droits des peuples Autochtones, qu’elles ont été manipulées à des fins politiques par des puissances coloniales concurrentes et que les peuples Autochtones ont subi les terribles effets des politiques d’assimilation des nations colonisatrices.

De plus, la Note commune soutient les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples Autochtones, dont la mise en œuvre contribuerait à améliorer les conditions de vie de ces derniers, à protéger leurs droits, et à soutenir leur auto-développement dans le respect de leur identité, de leur langue, de leur histoire et de leur culture.

La CECC, la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (USCCB) et le Comité pontifical des sciences historiques examinent ensemble la possibilité d’organiser un symposium universitaire réunissant des étudiants, Autochtones et non Autochtones, afin d’approfondir la compréhension historique de la « doctrine de la découverte ». Cette idée de symposium a également été encouragée par les deux Dicastères qui ont émis la présente Note commune.

Enfin, la CECC fait écho à la déclaration du pape François à Québec en juillet 2022, citée dans la Note d’aujourd’hui : « Que la communauté chrétienne ne se laisse plus jamais contaminer par l’idée qu’il existe une supériorité d’une culture par rapport à une autre et qu’il est légitime d’utiliser des moyens de coercition contre les autres. »

Le 30 mars 2023

La Conférence des évêques catholiques du Canada est l’assemblée nationale des évêques catholiques au Canada, qui sont actuellement en fonction. Le Conseil permanent est la plus haute instance décisionnelle de la Conférence lorsque l’Assemblée plénière n’est pas en session.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Conférence des évêques catholiques du Canada.

Note commune sur la « Doctrine de la découverte »

Le pape François s’adresse à une réunion des peuples Autochtones–Premières Nations, Métis et Inuit à l’ancien pensionnat Ermineskin à Maskwacis, Alberta, le 25 juillet 2022.

Note commune sur la « Doctrine de la découverte » du Dicastère pour la Culture et l’Éducation et du Dicastère pour le Service du Développement Humain Intégral

 

1. Fidèle au mandat reçu du Christ, l’Église catholique s’efforce de promouvoir la fraternité universelle et le respect de la dignité de tout être humain.

2. C’est pourquoi, au cours de l’histoire, les papes ont condamné les actes de violence, d’oppression, d’injustice sociale et d’esclavage, y compris ceux commis contre les peuples Autochtones. Il y a également eu de nombreux exemples d’évêques, de prêtres, de religieux, de religieuses et de fidèles laïcs qui ont donné leur vie pour défendre la dignité de ces peuples.

3. En même temps, le respect des faits de l’histoire exige la reconnaissance de la faiblesse humaine et des échecs des disciples du Christ dans chaque génération. De nombreux chrétiens ont commis des actes malveillants à l’encontre des peuples Autochtones, pour lesquels les papes récents ont demandé pardon à de nombreuses reprises.

4. De nos jours, un dialogue renouvelé avec les peuples Autochtones, en particulier avec ceux qui professent la foi catholique, a aidé l’Église à mieux comprendre leurs valeurs et leurs cultures. Avec leur aide, l’Église a acquis une plus grande conscience de leurs souffrances, passées et présentes, dues à l’expropriation de leurs terres, qu’ils considèrent comme un don sacré de Dieu et de leurs ancêtres, ainsi qu’aux politiques d’assimilation forcée, promues par les autorités gouvernementales de l’époque, destinées à éliminer leurs cultures Autochtones. Comme l’a souligné le Pape François, leurs souffrances constituent un puissant appel à abandonner la mentalité colonisatrice et à marcher avec eux côte à côte, dans le respect mutuel et le dialogue, en reconnaissant les droits et les valeurs culturelles de toutes les personnes et de tous les peuples. À cet égard, l’Église s’engage à accompagner les peuples Autochtones et à favoriser les efforts visant à promouvoir la réconciliation et la guérison.

5. C’est dans ce contexte d’écoute des peuples Autochtones que l’Église a compris l’importance d’aborder le concept appelé « de la découverte ». Le concept juridique de « découverte » a été débattu par les puissances coloniales à partir du XVIe siècle et a trouvé une expression particulière dans la jurisprudence du XIXe siècle des tribunaux de plusieurs pays, selon laquelle la découverte de terres par des colons conférait un droit exclusif d’éteindre, par achat ou conquête, le titre ou la possession de ces terres par les peuples Autochtones. Certains chercheurs ont affirmé que la base de la « doctrine » susmentionnée se trouve dans plusieurs documents pontificaux, tels que les Bulles Dum Diversas (1452), Romanus Pontifex (1455) et Inter Caetera (1493).

6. La « doctrine de la découverte » ne fait pas partie de l’enseignement de l’Église catholique. La recherche historique démontre clairement que les documents pontificaux en question, rédigés à une période historique spécifique et liés à des questions politiques, n’ont jamais été considérés comme des expressions de la foi catholique. En même temps, l’Église reconnaît que ces bulles pontificales n’ont pas reflété de manière adéquate l’égale dignité et les droits des peuples Autochtones. L’Église est également consciente que le contenu de ces documents a été manipulé à des fins politiques par des puissances coloniales concurrentes afin de justifier des actes immoraux à l’encontre des peuples Autochtones qui ont été réalisés parfois sans que les autorités ecclésiastiques ne s’y opposent. Il est juste de reconnaître ces erreurs, de reconnaître les terribles effets des politiques d’assimilation et la douleur éprouvée par les peuples Autochtones, et de demander pardon. En outre, le Pape François a exhorté: « Que la communauté chrétienne ne se laisse plus jamais contaminer par l’idée qu’il existe une supériorité d’une culture par rapport à une autre et qu’il est légitime d’utiliser des moyens de coercition sur les autres ».

7. En termes clairs, le magistère de l’Église défend le respect dû à tout être humain. L’Église catholique rejette donc les concepts qui ne reconnaissent pas les droits humains inhérents aux peuples Autochtones, y compris ce qui est connu sous le nom juridique et politique de « doctrine de la découverte ».

8. Des déclarations nombreuses et répétées de l’Église et des papes défendent les droits des peuples Autochtones. Par exemple, dans la Bulle Sublimis Deus de 1537, le Pape Paul III a écrit : « Nous définissons et déclarons […] que [, …] lesdits Indiens et tous les autres peuples qui seront découverts plus tard par les chrétiens, ne doivent en aucun cas être privés de leur liberté ou de la possession de leurs biens, même s’ils ne sont pas de foi chrétienne ; et qu’ils peuvent et doivent, librement et légitimement, jouir de leur liberté et de la possession de leurs biens ; ils ne doivent en aucun cas être réduits en esclavage; si le contraire se produit, cela sera nul et sans effet ».

9. Plus récemment, la solidarité de l’Église avec les peuples Autochtones a donné lieu à un fort soutien du Saint-Siège aux principes contenus dans la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. La mise en œuvre de ces principes améliorerait les conditions de vie et contribuerai.t à protéger les droits des peuples Autochtones, ainsi qu’à faciliter leur développement dans le respect de leur identité, de leur langue et de leur culture.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

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