Homélie du pape François lors de la Messe Chrismale – 6 avril 2023

Le Jeudi Saint 6 avril 2023, le pape François a prononcé l’homélie lors de la célébration de la Messe  Chrismale. Il a dit: L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1).

Vous pouvez lire le texte intégral de l’homélie ci-dessous.

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Célébration de la Messe Chrismale

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Jeudi Saint, 6 avril 2023

« L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18) : c’est à partir de ce verset qu’a commencé la prédication de Jésus, et c’est à partir de ce même verset que la Parole que nous avons entendue aujourd’hui a débuté (cf. Is 61,1). Au commencement, donc, il y a l’Esprit du Seigneur.

Et c’est sur lui que je voudrais réfléchir avec vous aujourd’hui, chers confrères, sur l’Esprit du Seigneur. En effet, sans l’Esprit du Seigneur, il n’y a pas de vie chrétienne, et sans son onction, il n’y a pas de sainteté. Il est le protagoniste et c’est beau, en ce jour de naissance du sacerdoce, de reconnaître qu’il est à l’origine de notre ministère, de la vie et de la vitalité de chaque pasteur. En effet, notre Sainte Mère l’Église nous enseigne à professer que l’Esprit Saint « donne la vie » [1] comme l’a affirmé Jésus en disant : « C’est l’Esprit qui fait vivre » ( Jn 6, 63) ; un enseignement repris par l’apôtre Paul qui écrit : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6) et parle de la « loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » ( Rm 8, 2). Sans Lui, l’Église ne serait pas l’Épouse vivante du Christ, mais tout au plus une organisation religieuse – plus ou moins bonne ; elle ne serait pas le Corps du Christ, mais un temple construit par des mains humaines. Comment l’Église peut-elle être construite, sinon à partir du fait que nous sommes les « temples de l’Esprit Saint » qui « habite en nous » (cf. 1 Co 6, 19 ; 3,16) ? Nous ne pouvons pas le laisser dehors ou le « parquer » dans une zone de dévotion, non, au centre !. Nous avons besoin de dire chaque jour : « Viens, car sans ta puissance rien n’est en l’homme ». [2]

L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1). Frères, sans mérite, par pure grâce, nous avons reçu une onction qui a fait de nous des pères et des pasteurs du Peuple saint de Dieu. Arrêtons-nous donc sur cet aspect de l’Esprit : l’onction.

Après la première « onction » dans le sein de Marie, l’Esprit est descendu sur Jésus au Jourdain. Par la suite, comme l’explique saint Basile, « chaque action [du Christ] s’est accomplie avec la co-présence de l’Esprit Saint ». [3] En effet, c’est par la puissance de cette onction qu’Il prêchait et accomplissait des signes, en vertu de laquelle « une force sortait de Lui et les guérissait tous » ( Lc 6, 19). Jésus et l’Esprit œuvrent toujours ensemble, de sorte qu’ils sont comme les deux mains du Père [4] – Irénée dit cela – qui, tendues vers nous, nous étreignent et nous relèvent. Et c’est par elles que nos mains, ointes par l’Esprit du Christ ont été marquées. Oui, frères, le Seigneur ne nous a pas seulement choisis et appelés de partout : il a répandu en nous l’onction de son Esprit, celui-là même qui est descendu sur les Apôtres. Frères nous sommes des “oints”.

Regardons donc vers eux, vers les Apôtres. Jésus les choisit et, à son appel, ils quittent leurs barques, leurs filets, leurs maisons et ainsi de suite… L’onction de la Parole change leur vie. Avec enthousiasme, ils suivent le Maître et commencent à prêcher, convaincus d’accomplir par la suite des choses encore plus grandes ; jusqu’à ce que survienne la Pâque. Là, tout semble s’arrêter : ils en viennent à renier et à abandonner le Maître. Nous ne devons pas avoir peur. Soyons courageux en lisant notre propre vie et nos chutes. Ils parviennent à renier et à abandonner le Maitre, Pierre, le premier. Ils se rendent compte de leur incapacité et réalisent qu’ils ne l’avaient pas compris : le « Je ne connais pas cet homme » (Mc 14, 71), que Pierre prononce dans la cour du grand prêtre après la dernière Cène, n’est pas seulement une défense impulsive, mais un aveu d’ignorance spirituelle : lui et les autres s’attendaient peut-être à une vie de succès derrière un Messie attirant les foules et accomplissant des prodiges. Mais ils ne reconnaissent pas le scandale de la croix qui brise leurs certitudes. Jésus savait qu’ils n’y arriveraient pas seuls, et c’est pourquoi il leur avait promis le Paraclet. Et c’est justement cette « seconde onction », à la Pentecôte, qui transforme les disciples, en les amenant à paître le troupeau de Dieu et non plus eux-mêmes.Et telle est la contradiction à résoudre : suis-je pasteur du peuple de Dieu ou de moi-même ? Et il y a l’Esprit qui m’enseigne le chemin. C’est cette onction de feu qui fait disparaître leur religiosité centrée sur eux-mêmes et sur leurs propres capacités : une fois l’Esprit reçu, les craintes et les hésitations de Pierre se dissiperont ; Jacques et Jean, brûlés par le désir de donner leur vie, cesseront de courir après les places d’honneur (cf. Mc 10, 35-45) ; notre carriérisme, frères ; les autres ne resteront plus enfermés et craintifs au Cénacle, mais ils sortiront et deviendront apôtres dans le monde.C’est l’esprit qui change notre cœur, qui le met dans ce plan différent.

Frères, un tel chemin embrasse notre vie sacerdotale et apostolique. Pour nous aussi, il y a eu une première onction qui a commencé par un appel d’amour qui a ravi nos cœurs. Pour lui nous avons rompu nos amarres et sur cet enthousiasme authentique est descendue la force de l’Esprit, qui nous a consacrés. Ensuite, selon le temps voulu par Dieu, vient pour chacun l’étape pascale, qui marque le moment de vérité. Et c’est un moment de tension qui prend des formes diverses. Il arrive à chacun, tôt ou tard, de connaître des déceptions, des fatigues, des faiblesses, l’idéal semblant se diluer devant les exigences de la réalité, tandis qu’une certaine habitude prend le dessus et que certaines épreuves, auparavant difficilement imaginables, rendent la fidélité plus inconfortable qu’elle ne l’était auparavant. Cette étape – de cette tentation, de cette épreuve que nous avons tous eue, que nous avons et que nous aurons – cette étape représente une ligne de crête décisive pour ceux qui ont reçu l’onction. On peut s’en sortir mal, en glissant vers une certaine médiocrité, en se traînant avec lassitude dans une « normalité » où s’insinuent trois tentations dangereuses : celle du compromis, où l’on se contente de ce que l’on peut faire ; celle des compensations, où l’on cherche à se « recharger » avec autre chose que notre onction ; celle du découragement – qui est la plus commune –, où, mécontents, l’on continue par inertie. Et c’est là que réside le grand risque : alors que les apparences demeurent intactes – “Je suis prêtre” –, on se replie sur soi-même et on se traîne sans énergie ; le parfum de l’onction n’embaume plus la vie et le cœur ; et le cœur ne se dilate plus mais se rétrécit, enserré dans le désenchantement.C’est un distillat, tu sais ? Lorsque le sacerdoce glisse lentement sur le cléricalisme et que le prêtre oublie d’être pasteur du peuple, pour devenir un clerc d’État.

Mais cette crise peut aussi devenir le tournant du sacerdoce, « l’étape décisive de la vie spirituelle, où il faut faire l’ultime choix entre Jésus et le monde, entre l’héroïsme de la charité et la médiocrité, entre la croix et un certain bien-être, entre la sainteté et une honnête fidélité à l’engagement religieux ». [5] À la fin de cette célébration, on vous donnera comme cadeau un classique, un livre qui traite de ce problème : “ Le second appel”, c’est un classique du Père Voillaume qui touche ce problème, lisez-le. Ensuite, nous avons tous besoin réfléchir à ce moment de notre sacerdoce. C’est le moment béni où, comme les disciples à Pâques, nous sommes appelés à être « assez humbles pour confesser que nous avons été vaincus par le Christ humilié et crucifié, et pour accepter de commencer un nouveau chemin, celui de l’Esprit, de la foi et d’un amour fort et sans illusions ». [6] C’est le kairos où l’on découvre que « tout cela ne se réduit pas à abandonner la barque et les filets pour suivre Jésus pendant un certain temps, mais nous oblige à aller jusqu’au Calvaire, à accueillir la leçon et le fruit, et à aller avec l’aide de l’Esprit Saint jusqu’au bout d’une vie qui doit s’achever dans la perfection de la Charité divine ».  [7] Avec l’aide de l’Esprit Saint : c’est le temps, pour nous comme pour les Apôtres, d’une « seconde onction », temps d’un second appel que nous devons écouter, pour la seconde onction, celle où nous accueillons l’Esprit, non pas à partir de l’enthousiasme de nos rêves, mais à partir de la fragilité de notre réalité. C’est une onction qui fait la vérité en profondeur, qui permet à l’Esprit d’oindre nos faiblesses, nos travaux, nos pauvretés intérieures. Alors l’onction embaume à nouveau : de son parfum et non du nôtre.En ce moment, intérieurement, je fais mémoire de certains d’entre vous qui sont en crise – disons ainsi – qui sont désorientés et qui ne savent pas comment prendre le chemin, comment reprendre le chemin dans cette seconde onction de l’Esprit. À ces frères – je les ai présents – je dis simplement : courage, le Seigneur est plus grand que tes faiblesses, que tes péchés. Confie-toi au Seigneur et laisse-toi appeler une deuxième fois, cette fois avec l’onction de l’Esprit Saint. La double vie ne t’aidera pas ; jeter tout par la fenêtre, non plus. Regarde en avant, laisse-toi caresser par l’onction de l’Esprit Saint.

Et le chemin pour ce pas de maturité est d’admettre la vérité de sa propre faiblesse. « L’Esprit de vérité » (Jn 16, 13) nous y exhorte, il nous pousse à regarder en nous-mêmes jusqu’au fond et à nous demander : mon épanouissement dépend-il de mes capacités, du rôle que j’obtiens, des compliments que je reçois, de la carrière que je poursuis, des supérieurs ou des collaborateurs, ou du confort que je peux me garantir, ou de l’onction qui parfume ma vie ? Frères, la maturité sacerdotale passe par l’Esprit Saint, elle se réalise quand Il devient le protagoniste de notre vie. Alors tout change de perspective, même les déceptions et les amertumes – même les péchés – parce qu’il ne s’agit plus d’essayer de nous améliorer en corrigeant quelque chose, mais de nous en remettre, sans rien retenir, à Celui qui nous a gratifiés de son onction et veut descendre en nous au plus profond. Frères, nous redécouvrons alors que la vie spirituelle devient libre et joyeuse non pas quand on sauve les formes et que l’on rapièce, mais quand on laisse l’initiative à l’Esprit et que, abandonnés à ses desseins, on se dispose à servir là et comme on nous le demande : notre sacerdoce ne grandit pas en rapiéçant, mais en débordant !

Si nous laissons l’Esprit de vérité agir en nous, nous conserverons l’onction – conserver l’onction –, car les faussetés – les hypocrisies cléricales – les faussetés avec lesquelles nous sommes tentés de vivre viendront à la lumière immédiatement. Et l’Esprit, qui « lave ce qui est sale », nous suggérera, sans se lasser, de « ne pas souiller l’onction », ne serait-ce qu’un peu. Il me vient à l’esprit cette phrase du Qohèleth qui dit : « Une seule mouche morte infeste et gâte l’huile du parfumeur » (10, 1). C’est vrai, toute duplicité – la duplicité cléricale, s’il vous plaît – toute duplicité qui s’insinue est dangereuse : elle ne doit pas être tolérée mais mise à la lumière de l’Esprit. Parce que, si « rien n’est plus faux que le cœur de l’homme, il est incurable » ( Jr 17, 9), l’Esprit Saint, Lui seul, nous guérit de l’infidélité (cf. Os 14, 5). C’est pour nous un combat essentiel : il est en effet indispensable, comme l’écrivait saint Grégoire le Grand que « celui qui annonce la parole de Dieu se consacre d’abord à son propre mode de vie, pour apprendre ensuite, à partir de sa propre vie, ce qu’il doit dire et comment il doit le dire. […] Que nul ne prétende dire à l’extérieur ce qu’il n’a pas d’abord entendu à l’intérieur ». [8] Et c’est l’Esprit, le maître intérieur, qu’il faut écouter, sachant qu’il n’y a rien en nous qu’Il ne veuille oindre. Frères, préservons l’onction : que l’invocation de l’Esprit ne soit pas une pratique sporadique, mais le souffle de chaque jour. Viens, viens, conserve-nous l’onction. Moi, consacré par Lui, je suis appelé à m’immerger en Lui, à laisser sa lumière pénétrer mes obscurités – nous en avons beaucoup – pour retrouver la vérité de ce que je suis. Laissons-nous entraîner par Lui pour combattre les contradictions qui s’agitent en nous ; et laissons-nous régénérer par Lui dans l’adoration, car lorsque nous adorons le Seigneur, Il déverse son Esprit dans nos cœurs.

L’esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ; il m’a envoyé – poursuit la prophétie – et m’a envoyé pour apporter la bonne nouvelle, la délivrance, la guérison et la grâce (cf. Is 61, 1-2 ; Lc 4, 18-19) : en un mot, pour apporter l’harmonie là où il n’y en a pas. Car comme le dit saint Basile : “L’Esprit est l’harmonie” c’est Lui qui fait l’harmonie. Après vous avoir parlé de l’onction, je voudrais vous dire quelque chose de cette harmonie qui en est la conséquence. L’Esprit Saint, en effet, est harmonie. D’abord au ciel : saint Basile explique que « cette supra-céleste et indicible harmonie dans service de Dieu et dans la symphonie réciproque des puissances supra-cosmiques, il est impossible qu’elle soit conservée sinon par l’autorité de l’Esprit » [9]. Et aussi sur la terre : dans l’Église, c’est bien Lui cette « Harmonie divine et musicale » [10] qui relie tout.Mais pensez à un presbyterium sans harmonie, sans l’Esprit : cela ne fonctionne pas. Il suscite la diversité des charismes et la refonde en unité, il crée une concorde qui n’est pas fondée sur l’homologation, mais sur la créativité de la charité. Il en va de même pour l’harmonie entre les uns et les autres. Il en va de même pour l’harmonie dans un presbytère. Pendant les années du Concile Vatican II, qui a été un don de l’Esprit, un théologien a publié une étude dans laquelle il parlait de l’Esprit non pas dans son individualité, mais dans son pluralisme. Il nous invitait à le considérer comme une Personne divine non pas tant singulière que « plurielle », comme le « nous de Dieu », le « nous » du Père et du Fils, parce qu’il est leur lien, il est en lui-même concorde, communion, harmonie. [11] Je me souviens que quand j’ai lu ce traité théologique – c’était en théologie, en étudiant – je me suis scandalisé : il semblait une hérésie, parce que dans notre formation on ne comprenait pas bien comment était l’Esprit Saint.

Créer l’harmonie, c’est ce qu’Il désire, surtout parmi ceux sur qui Il a répandu son onction. Frères, construire l’harmonie entre nous n’est donc pas une bonne méthode pour que la structure ecclésiale puisse mieux fonctionner, ce n’est pas danser le Minuet, ce n’est pas une question de stratégie ou de courtoisie, mais une exigence interne de la vie de l’Esprit. On pèche contre l’Esprit, qui est communion, quand on devient, même par légèreté, un instrument de division, par exemple – et revenons sur le même thème – avec le bavardage. Quand nous devenons des instruments de division, nous péchons contre l’Esprit. Et on fait le jeu de l’ennemi qui ne se montre pas au grand jour et qui aime les rumeurs et les insinuations, qui fomente des partis et des groupes de pressions, nourrit la nostalgie du passé, la méfiance, le pessimisme, la peur. Veillons, s’il vous plaît, à ne pas souiller l’onction de l’Esprit et la tunique de la Sainte Mère l’Église par la désunion, les polarisations, par tout manque de charité et de communion. Rappelons-nous que l’Esprit, « le nous de Dieu », préfère la forme communautaire : c’est-à-dire la disponibilité par rapport à ses propres exigences, l’obéissance par rapport à ses propres goûts, l’humilité par rapport à ses propres attentes.

L’harmonie n’est pas une vertu parmi d’autres, elle est davantage. Saint Grégoire le Grand écrit : « La valeur de la vertu d’harmonie est démontrée par le fait que, sans elle, toutes les autres vertus ne valent absolument rien ». [12] Aidons-nous les uns les autres, mes frères, à préserver l’harmonie, – préserver l’harmonie – ce serait le devoir – en commençant non pas par les autres, mais chacun par soi-même ; en nous demandant : dans mes paroles, dans mes commentaires, dans ce que je dis et écris, y a-t-il l’empreinte de l’Esprit ou celle du monde ? Je pense aussi à la gentillesse du prêtre – mais si souvent les prêtres, nous… sommes impolis – : pensons à la gentillesse du prêtre, si les gens trouvent, même chez nous, des personnes insatisfaites, vieux garçons, des personnes mécontentes qui critiquent et pointent du doigt, où verront-ils l’harmonie ? Combien ne s’approchent pas, ou bien s’éloignent, parce qu’ils ne se sentent ni accueillis ni aimés dans l’Église, mais regardés avec suspicion et jugés ! Au nom de Dieu, accueillons et pardonnons, toujours ! Et rappelons-nous que le fait d’être crispés et de se plaindre, outre que cela ne produit rien de bon, compromet l’annonce, parce que cela est un contre-témoignage de Dieu qui est communion et harmonie. Et cela déplaît beaucoup et surtout à l’Esprit Saint que l’apôtre Paul nous exhorte à ne pas contrister (cf. Ep 4, 30).

Frères, je vous laisse avec ces pensées qui sont sorties du cœur et je termine en vous adressant une parole simple et importante : merci. Merci pour votre témoignage, merci pour votre service ; merci pour tout le bien caché que vous faites, merci pour le pardon et la consolation que vous offrez au nom de Dieu : toujours pardonner, s’il vous plaît, ne jamais refuser le pardon ; merci pour votre ministère qui s’exerce souvent au prix de beaucoup de fatigues, d’incompréhensions et de peu de reconnaissance. Frères, que l’Esprit de Dieu, qui ne déçoit pas ceux qui se confient en Lui, vous comble de paix et achève en vous ce qu’il a commencé, afin que vous soyez prophètes de son onction et apôtres d’harmonie.

 

[1] Symbole de Nicée-Constantinople.

[2] Cf. Séquence de la Pentecôte.

[3] Spir. XVI, 39.

[4] Cf. Irené de Lyon, Adv. haer. IV, 20,1.

[5] R. Voillaume, «La seconda chiamata», in S. Stevan ed.,  La Seconda chiamata. Il coraggio della fragilità, Bologna 2018, 15. (« Le second appel », Lettres aux fraternités, t. 1, Paris, Cerf, 1960, pp. 11-35).

[6] Ibid., 24.

[7] Ibid., 16.

[8] Homélies sur Ezéchiel, I, X ,13-14.

[9] Spir. XVI, 38. Basile de Césarée, De Spiritu sancto, Sources Chrétiennes 17, [SPIR.S] 16, 38 (p.382).

[10] In Ps. 29,1.

[11] Cf. H. Mühlen, Der Heilige Geist als Person. Ich – Du – Wir, Münster in W., 1963.

[12] Homélies sur Ezéchiel, I, VIII, 8.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Le Jeudi saint et l’institution de l’Eucharistie

(Image: courtoisie de Wikimedia)

 

Nous entrons cette semaine dans la plus haute, la plus digne période de l’année, celle où nous célébrons le mystère de la mort et de la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ, par qui nous est donné l’espérance du Salut et de la victoire finale. Cette période, qui pour plusieurs d’entre nous, notamment les étudiants, coïncide souvent avec de multiples occupations, est pourtant infiniment riche; toute notre vie s’y rapporte en un sens. 

Les grands moments de la Semaine sainte

Très souvent, nous associons la semaine sainte au Vendredi saint, jour de jeûne et de pénitence, jour des mystères douloureux. Il convient hautement de méditer sur les souffrances endurées par le Christ pour notre salut, et de le faire dans un esprit de dénuement, ce à quoi concourt l’Église par une liturgie particulière, qui mobilise nos sens pour nous faire participer au mystère. 

Évidemment, nous ne manquons pas aussi d’observer le dimanche de Pâques et la veillée pascale qui le précède; c’est après tout le point culminant de l’année liturgique, le moment central durant lequel nous commémorons l’évènement le plus important de toute l’histoire cosmique, c’est-à-dire la résurrection du fils unique de Dieu, par laquelle  »toutes choses sont devenues nouvelles » (II Co 5 : 17). Le dimanche, jour des mystères glorieux, est ainsi le point focal de la semaine de tout chrétien. 

La profondeur du Jeudi saint

Or, il peut nous arriver de négliger les autres sommets de la Semaine sainte. C’est aujourd’hui le Jeudi saint, jour de l’année où nous commémorons l’institution par Jésus de l’Eucharistie, sacrement qui unit la Terre et le Ciel dans une communion d’amour sans égale. Lorsque nous participons à la célébration eucharistique, nous sommes engagés dans un acte sacrificiel qui réconcilie Dieu avec sa création. Les fidèles  »offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle » (LG, 11). 

On dit parfois que le sacrement de mariage est celui qui, sous le rapport du signe, est le plus semblable à l’Eucharistie en cela qu’il unit de manière définitive les époux, spirituellement et charnellement. L’union entre le Christ, Époux, et sa créature, épouse, par le sacrement de l’Eucharistie est incommensurablement plus grande et plus profonde. Jésus, qui par son Incarnation  »s’est dépouillé » (Ph 2 : 6), est fait nourriture pour l’homme; il nous est ainsi donné de s’alimenter, à la source, du pain céleste. 

Le mystère de l’Eucharistie

Le sacrement de l’Eucharistie, confié à l’Église et célébré par les prêtres et évêques, est la fortune suprême de l’assemblée universelle du peuple de Dieu. C’est pourquoi, dans la constitution dogmatique du Concile Vatican II sur l’Église Lumen gentium, les pères conciliaires ont parlé de l’Eucharistie comme  »source et sommet de toute la vie chrétienne » (LG, 11). À l’Eucharistie, tous les sacrements sont liés et ordonnés, elle contient, nous rappelle le catéchisme,  »tout le trésor spirituel de l’Église, c’est-à-dire le Christ lui-même, notre Pâque  » (PO, 5).

Il n’y a pas qu’au Jeudi saint que nous rappelons l’institution de l’Eucharistie. Nous y sommes exposés à l’occasion de chaque messe à laquelle il nous est donné d’assister. De même, dans sa sagesse le saint Pape Jean-Paul II l’introduisit, parmi les cinq nouveaux mystères lumineux médités le jeudi, à la prière du chapelet dans la lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae, afin d’accentuer encore davantage le caractère christocentrique du rosaire. 

Or, le Jeudi saint est un moment par excellence pour méditer sur la richesse de ce mystère dont la portée est telle que souvent, dans son histoire, l’Église a dû en défendre la vérité et la dignité. En effet, le caractère surnaturel de la transsubstantiation et de la présence réelle de notre Seigneur dans le pain consacré a été remis en cause par certains dans le passé et continue de susciter la surprise et l’incrédulité. Après tout, n’est-il pas tout à fait improbable qu’un Dieu se donne ainsi à manger à ses créatures? Or c’est bien le Dieu que nous connaissons et que nous aimons, celui qui veut se donner à voir par nous. 

Jeudi saint: service et mémoire

D’ailleurs, la célébration du Jeudi saint en Église est également l’occasion d’une cérémonie singulière, c’est-à-dire le lavement des pieds. À la suite de Jésus, le prêtre lave les pieds de fidèles, rappelant ainsi par un geste concret l’abaissement du Seigneur qui se fait alors serviteur. La vérité de Jésus est ainsi révélée dans cet acte reconduit dans l’Église jusqu’à ce jour.

Alors que commence le Triduum pascal, il est bon d’entretenir la mémoire de l’action salvatrice du Christ et de se pencher sur ses différents aspects. Parmi les grands moments de la Semaine sainte, le Jeudi saint est l’occasion toute désignée pour se pencher sur le trésor de l’Eucharistie, ce à quoi peut contribuer, par exemple, la méditation des mystères lumineux du rosaire. 

Messe chrismale au Vatican : homélie du pape François

(CNS photo/Remo Casilli, Reuters)

Le 18 avril 2019, le Pape François a présidé la Messe chrismale dans la basilique Saint-Pierre de Rome en commémoration de l’Institution de la Sainte Eucharistie et du sacerdoce de Jésus à la dernière Cène. Voici le texte complet de son homélie:

L’Évangile de Luc que nous venons d’entendre nous fait revivre l’émotion de ce moment où le Seigneur fait sienne la prophétie d’Isaïe, lorsqu’il la lit solennellement au milieu des siens. La synagogue de Nazareth était pleine de parents, de voisins, de connaissances, d’amis… et de personnes moins amies. Et tous avaient les yeux fixés sur lui. L’Église a toujours les yeux fixés sur Jésus, l’oint que l’Esprit envoie pour oindre le peuple de Dieu. 

Les Évangiles nous présentent souvent cette image du Seigneur au milieu de la foule, entouré et pressé par les gens qui lui amènent les malades, qui le prient de chasser les esprits malins, qui écoutent ses enseignements et marchent avec lui : « Mes brebis écoutent ma voix ; moi, je les connais, et elles me suivent » (Jn 10, 27). 

Le Seigneur n’a jamais perdu ce contact direct avec les gens, il a toujours maintenu la grâce de la proximité avec le peuple dans son ensemble, et avec chaque personne au milieu de ces multitudes. Nous voyons cela dans sa vie publique, et il en a été ainsi dès le début : la splendeur de l’Enfant a attiré docilement bergers, rois et vieux rêveurs comme Siméon et Anne. Il en a été ainsi également sur la croix : son cœur attire tout le monde à lui (cf. Jn 12, 32) : les Véroniques, Cyrénéens, larrons, centurions… 

La mot “foule” n’est pas péjoratif. Peut-être à l’oreille de certains, la foule peut sembler une masse anonyme, indifférenciée… Mais nous voyons dans l’Évangile que lorsqu’elles communiquent avec le Seigneur – qui se place au milieu d’elles comme un pasteur dans le troupeau – les foules se transforment. Dans l’esprit des gens, le désir de suivre Jésus se réveille, l’admiration germe, le discernement prend forme. 

Je voudrais réfléchir avec vous autour de ces trois grâces qui caractérisent la relation de Jésus avec les foules. 

La grâce de la sequela 

Luc dit que les foules « le cherchaient » (Lc 4, 42) et « faisaient route avec lui » (Lc 14, 25), le « pressaient » (Lc 8, 42), l’écrasaient (cf. Lc 8, 45) et « accouraient pour l’entendre » (Lc 5, 15). Cette sequela des gens va au-delà de tout calcul, elle est une sequela sans conditions, pleine d’affection. Elle tranche avec la mesquinerie des disciples dont l’attitude envers les gens frôle la cruauté lorsqu’ils suggèrent au Seigneur de les congédier pour qu’ils cherchent quelque chose à manger. Ici – je crois – commence le cléricalisme : en voulant s’assurer la nourriture et son propre confort, en se désintéressant des gens. Le Seigneur a mis fin à cette tentation. « Donnez-leur vous- mêmes à manger » (Mc 6, 37), a été la réponse de Jésus : “prenez en charge les gens !”. 

La grâce de l’admiration 

La seconde grâce que reçoit la foule lorsqu’elle suit Jésus est celle d’une admiration pleine de joie. Les gens s’étonnaient de Jésus (cf. Lc 11, 14), de ses miracles, mais surtout de sa Personne même. Les gens aimaient beaucoup le saluer sur la route, recevoir sa bénédiction et le bénir, comme cette femme qui, au milieu de la foule, a béni sa Mère. Et le Seigneur, de son côté, était admiratif de la foi des gens, il s’en réjouissait et ne perdait pas une occasion pour le faire remarquer.

 La grâce du discernement 

La troisième grâce que reçoivent les gens est celle du discernement : « Les foules s’aperçurent [où se trouvait Jésus] et le suivirent » (Lc 9, 11). « Elles étaient frappées de son enseignement, car il les enseignait en homme qui a autorité » (Mt 7, 28-29 ; cf. Lc 5, 26). Le Christ, Parole de Dieu venue dans la chair, suscite chez les gens ce charisme du discernement ; non pas sans doute un discernement de spécialiste sur des questions disputées. Quand les pharisiens et les docteurs de la Loi discutaient avec lui, ce que les gens reconnaissaient, c’était l’Autorité de Jésus : la force de sa doctrine capable d’entrer dans les cœurs, et le fait que les esprits malins lui obéissent ; et aussi que, pendant un instant, il laisse sans voix ceux qui ont des discutions insidieuses : les gens se réjouissent de cela. 

Approfondissons un peu cette vision évangélique de la foule. Luc indique quatre grands groupes qui sont destinataires privilégiés de l’onction du Seigneur : les pauvres, les prisonniers de guerre, les aveugles, les opprimés. Il les nomme de manière générale, mais nous voyons ensuite avec joie que, au cours de la vie du Seigneur, ces personnes ointes prendront un visage et des noms propres. De même que l’onction avec l’huile s’applique sur une partie et que son action bénéfique s’étend à tout le corps, de même le Seigneur, reprenant la prophétie d’Isaïe, nomme diverses “foules” auxquelles l’Esprit l’envoie, suivant la dynamique de ce que nous pouvons appeler une “préférence inclusive” : la grâce et le charisme qui sont donnés à une personne ou à un groupe en particulier, surabonde, comme toute action de l’Esprit, au bénéfice de tous. 

Les pauvres (ptochoi) sont ceux qui sont courbés, comme les mendiants qui se courbent pour demander. Mais est pauvre (ptochè) également la veuve qui oint de ses doigts les deux pièces de monnaie qui étaient tout ce qu’elle avait ce jour-là pour vivre. L’onction de cette veuve pour faire l’aumône passe inaperçue aux yeux de tous, sauf à ceux de Jésus qui regarde avec bonté sa petitesse. Avec elle, le Seigneur peut accomplir en plénitude sa mission d’annoncer l’Évangile aux pauvres. Paradoxalement, la bonne nouvelle que de telles personnes existent, les disciples l’entendent. Elle, la femme généreuse, ne se rend pas non plus compte du fait qu’elle est “apparue dans l’Évangile” (c’est-à-dire que son geste serait mentionné dans l’Évangile) : la joyeuse annonce que ses actions “ont du poids” dans le Royaume et comptent plus que toutes les richesses du monde, elle le vit en elle comme tant de saints et de saintes “de la porte d’à côté”. 

Les aveugles sont représentés par l’un des visages les plus sympathiques de l’Évangile : celui de Bartimée (cf. Mc 10, 46-52), le mendiant aveugle qui a retrouvé la vue et qui, à partir de ce moment, n’a eu des yeux que pour suivre Jésus sur la route. L’onction du regard ! Notre regard, auquel les yeux de Jésus peuvent restituer cet éclat que seul l’amour gratuit peut donner, cet éclat qui nous est volé tous les jours par les images intéressées ou banales dont le monde nous submerge. 

Pour nommer les opprimés (tethrausmenous), Luc utilise une expression qui contient le mot “trauma”. Celui-ci suffit pour évoquer la parabole, peut-être la préférée de Luc, celle du Bon Samaritain qui oint avec de l’huile et bande les blessures (trauma : Lc 10, 34) de l’homme qui avait été frappé à mort et qui gisait sur le bord de la route. L’onction de la chair blessée du Christ ! Dans cette onction se trouve le remède pour tous les traumatismes qui laissent personnes, familles et peuples entiers hors-jeu, comme exclus et inutiles, au bord de l’histoire. 

Les prisonniers sont les prisonniers de guerre (aichmalotos), ceux qui étaient conduits à la pointe de la lance (aichmé). Jésus utilisera l’expression en faisant référence à la prison et à la déportation de Jérusalem, sa ville bien aimée (Lc 21, 24). Aujourd’hui les villes sont emprisonnées non seulement avec des pointes de lances, mais avec les moyens plus subtils de colonisations idéologiques. Seule l’onction de notre propre culture, forgée par le travail et par l’art de nos ancêtres, peut libérer nos villes de ces nouveaux esclavages. 

Venons-en à nous, chers frères prêtres, nous ne devons pas oublier que nos modèles évangéliques sont ces “gens”, cette foule avec ces visages concrets que l’onction du Seigneur relève et vivifie. Ils sont ceux qui complètent et rendent réelle l’onction de l’Esprit en nous, qui avons été oints pour oindre. Nous avons été pris au milieu d’eux et sans crainte nous pouvons nous identifier à ces gens simples. Ils sont l’image de notre âme et l’image de l’Église. Chacun incarne le cœur unique de notre peuple. 

Nous, prêtres, nous sommes le pauvre, et nous voudrions avoir le cœur de la pauvre veuve lorsque nous faisons l’aumône et lorsque nous touchons la main du mendiant et le regardons dans les yeux. Nous, prêtres, nous sommes Bartimée, et chaque matin nous nous levons pour prier en demandant : “Seigneur, que je voie !” Nous prêtres, nous sommes, en quelque point de notre péché, nous sommes le blessé frappé à mort par les voleurs. Et nous voulons, nous d’abord, être entre les mains compatissantes du Bon Samaritain, pour pouvoir ensuite, avec nos mains, avoir compassion des autres. 

Je vous confesse que lorsque je confirme ou que j’ordonne, j’aime répandre le Chrême convenablement sur le front et sur les mains de ceux qui sont oints. En faisant convenablement l’onction, on fait l’expérience que là, sa propre onction est renouvelée. Cela veut dire : nous ne sommes pas des distributeurs d’huile en bouteille. Nous faisons l’onction en nous donnant nous- mêmes, en donnant notre vocation et notre cœur. En faisant l’onction, nous sommes de nouveau oints par la foi et par l’affection de notre peuple. Nous faisons l’onction en nous salissant les mains en touchant les blessures, les péchés, les angoisses des gens. Nous faisons l’onction en nous parfumant les mains en touchant leur foi, leurs espérances, leur fidélité et la générosité sans réserve de leur don d’eux-mêmes. 

Celui qui apprend à oindre et à bénir se guérit de la mesquinerie, de l’abus et de la cruauté. Prions pour que, nous mettant avec Jésus au milieu de nos gens, le Père renouvelle en nous l’effusion de son Esprit de sainteté et fasse en sorte que nous nous unissions pour implorer sa miséricorde pour le peuple qui nous est confié et pour le monde entier. Ainsi, les foules réunies dans le Christ pourront devenir l’unique Peuple fidèle de Dieu qui atteindra sa plénitude dans le Royaume (cf. Prière de consécration des Prêtres). 

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