Quel est le sens du Carême ?

Photo de Cristian Gutiérrez, LC sur Cathopic.

Nous voici de nouveau dans le temps de Carême. Quel est le sens du Carême ? 

Souvent, nous considérons le Carême comme un moment dur où nous devons serrer les dents et nous efforcer de nous améliorer. Nous voulons peut-être perdre du poids, alors nous renonçons au chocolat. Nous voulons améliorer notre santé, alors nous renonçons à l’alcool. Nous nous concentrons sur nos efforts humains et sur le degré d’autodiscipline que nous pouvons rassembler pour nous améliorer. Mais est-ce vraiment là le sens du carême ? 

En réalité, le Carême ne porte pas tant sur ce que nous pouvons faire pour Dieu, ou pour nous-mêmes, mais plutôt sur ce que Jésus fait pour nous et sur la manière dont nous pouvons nous mettre sur sa longueur d’onde. Le Carême, c’est le temps privilégié pour accompagner Jésus dans sa montée vers Jérusalem, lieu de notre salut, de la mort et la résurrection du Christ. Le Carême consiste à se mettre au diapason du sacrifice que Jésus fait de lui-même, un sacrifice qu’aucune de nos actions ne pourra jamais égaler ou atteindre. Le don de Jésus est totalement unique, une fois pour toutes. 

Chaque année, nous faisons l’expérience du Carême afin de nous ouvrir davantage pour recevoir le don de son sacrifice pour nous. L’accent n’est pas tant mis sur ce que nous pouvons ou ne pouvons pas faire, mais sur ce que Jésus a fait, fait et fera pour nous. La dureté du désert de Carême est adoucie par la miséricorde, la tendresse et la compassion de Dieu qui vient nous faire avancer avec lui. Le Carême est un chemin de conversion sur lequel Dieu nous prend par la main comme un Père pour marcher avec son Fils Jésus. 

Le Carême nous prépare à ce que nous célébrerons le Jeudi Saint, le Vendredi Saint et le Dimanche de Pâques, lorsque nous verrons Jésus se livrer pour nous, donner sa vie et ressusciter le troisième jour. Il ne s’agit pas seulement d’un temps lourd à supporter, mais d’un moment propice, une saison favorable, pour grandir avec le Seigneur, pour nous laisser saisir par lui, pour trouver plus de force, de ferveur et d’enthousiasme à sa suite. Ce n’est pas seulement l’occasion de se laisser fortifier par Dieu face à nos tentations, nos mauvais penchants, mais encore plus l’opportunité de nous laisser transfigurer, façonner, modeler par le Christ, à son image. Pour devenir davantage fils et filles du Père dans l’Esprit Saint. 

En ce sens, les trois pratiques qui caractérisent le Carême – la prière, le jeûne et les actes de charité – sont des clés d’entrée dans cette dynamique de la grâce par laquelle Dieu nous transforme petit-à-petit. 

Jésus nous invite à l’accompagner dans ce pèlerinage de la mort à la vie nouvelle, et il est à l’œuvre tout au long du Carême pour nous conduire sur ce chemin qu’il a déjà emprunté avant nous. Comment Jésus t’appelle-t-il à te tourner vers lui pendant ce Carême ? Comment le Christ t’invite-t-il à être plus conscient de ce qu’il fait en toi et autour de toi ? Quels nouveaux chemins Jésus veut-il ouvrir pour toi pendant ce Carême, afin de vivre plus pleinement sa mort et sa résurrection à Pâques ? En même temps, souvenons-nous que nous ne sommes pas seuls sur ce chemin de Carême. Nous vivons ce temps ensemble, en Église, comme des compagnons de route à la suite du Christ. 

Jésus, envoie ton Esprit pour nous renouveler, nous fortifier, nous transformer pendant ces 40 jours. Marche avec nous, guide nos pas, prends-nous par la main, alors que nous marchons ensemble à ta suite.

Audience Générale du pape François – 22 mars 2023

Dans son audience générale aujourd’hui le pape François met à l’école de l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de saint Paul VI, charte fondamentale de l’évangélisation dans le monde contemporain. Si l’évangélisation suppose la foi professée, c’est-à-dire l’adhésion manifeste à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, qui par amour nous a créés et rachetés, elle est avant tout un témoignage de la rencontre personnelle avec Jésus Christ, le Verbe incarné par lequel s’accomplit le salut. Le témoignage est donc indissociable de la cohérence entre ce que l’on croit et ce que l’on proclame.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Aujourd’hui, nous nous mettons à l’écoute de la « Magna Carta » la Charte fondamentale de l’évangélisation dans le monde contemporain : l’Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi de saint Paul VI (EN, 8 décembre 1975). Ce texte est d’actualité, il a été écrit en 1975, mais c’est comme s’il avait été écrit hier. L’évangélisation est plus qu’une simple transmission doctrinale et morale. Elle est avant tout témoignage : on ne peut pas évangéliser sans témoignage ; le témoignage de la rencontre personnelle avec Jésus-Christ, Verbe Incarné en qui le salut s’est accompli. Un témoignage indispensable parce que, avant tout, le monde a besoin « d’évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et qui leur est familier » (EN, 76) Ce n’est pas transmettre une idéologie ou une « doctrine » sur Dieu, non. C’est transmettre Dieu qui se fait vie en moi : c’est cela le témoignage ; et aussi parce que « l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres, […] ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins » (ibid., 41). Le témoignage du Christ est donc en même temps le premier moyen d’évangélisation (cf. ibid.) et la condition essentielle de son efficacité (cf. ibid., 76), pour que l’annonce de l’Évangile soit féconde. Être témoins.

Il est nécessaire de rappeler que le témoignage comprend aussi la foi professée, c’est-à-dire l’adhésion convaincue et manifeste à Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, qui par amour nous a créés, nous a rachetés. Une foi qui nous transforme, qui transforme nos relations, les critères et les valeurs qui déterminent nos choix. Le témoignage est donc indissociable de la cohérence entre ce que l’on croit et ce que l’on annonce et ce que l’on vit. On n’est pas crédible seulement en énonçant une doctrine ou une idéologie, non. Une personne est crédible s’il y a harmonie entre ce qu’elle croit et ce qu’elle vit. Tant de chrétiens disent seulement qu’ils croient, mais vivent autre chose, comme s’ils ne croyaient pas. C’est de l’hypocrisie. Le contraire du témoignage, c’est l’hypocrisie. Combien de fois avons-nous entendu  » ah, celui-là qui va à la messe tous les dimanches, et ensuite il vit ainsi, ainsi, ainsi, ainsi » : c’est vrai, c’est le contre-témoignage.

Chacun de nous est appelé à répondre à trois questions fondamentales, ainsi formulées par Paul VI : « Croyez-vous vraiment à ce que vous annoncez ? Vivez-vous ce que vous croyez ? Prêchez-vous vraiment ce que vous vivez ? » (cf. ibid.). Y a-t-il une harmonie : croyez-vous ce que vous annoncez ? Vivez-vous ce que vous croyez ? Annoncez-vous ce que vous vivez ? Nous ne pouvons pas nous contenter de réponses faciles et toutes faites. Nous sommes appelés à prendre le risque, même déstabilisant, de chercher, en faisant pleinement confiance à l’action de l’Esprit Saint qui agit en chacun de nous, nous poussant toujours à aller au-delà : au-delà de nos frontières, au-delà de nos barrières, au-delà de nos limites, quelles qu’elles soient.

En ce sens, témoigner d’une vie chrétienne implique un chemin de sainteté, fondé sur le Baptême, qui nous rend « participants de la nature divine et donc vraiment saints » (Constitution dogmatique Lumen Gentium, 40). Une sainteté qui n’est pas réservée à quelques-uns, qui est un don de Dieu et qui demande à être accueillie et à porter du fruit pour nous et pour les autres. Choisis et aimés par Dieu, nous devons porter cet amour aux autres. Paul VI enseigne que le zèle pour l’évangélisation jaillit de la sainteté de vie, jaillit du cœur qui est rempli de Dieu. Alimentée par la prière et surtout par l’amour de l’Eucharistie, l’évangélisation fait à son tour grandir en sainteté les gens qui la mettent en œuvre (cf. EN, 76). En même temps, sans la sainteté, la parole de l’évangélisateur « fera difficilement son chemin dans le cœur de l’homme de notre temps. », mais « risque d’être vaine et inféconde » (ibid.).

Nous devons donc être conscients que les destinataires de l’évangélisation ne sont pas seulement les autres, ceux qui professent d’autres confessions ou qui n’en professent aucune, mais aussi nous-mêmes, croyants dans le Christ et membres actifs du Peuple de Dieu. Et nous devons nous convertir chaque jour, accepter la parole de Dieu et changer notre vie : chaque jour. C’est ainsi que se fait l’évangélisation du cœur. Pour donner ce témoignage, l’Église comme telle doit aussi commencer par s’évangéliser elle-même. Si l’Église ne s’évangélise pas elle-même, elle reste une pièce de musée. En revanche, ce qui contribue à l’actualiser en permanence, c’est l’évangélisation d’elle-même. Elle a besoin d’écouter sans cesse ce qu’elle doit croire, ses raisons d’espérer, le commandement nouveau de l’amour. L’Eglise, qui est un Peuple de Dieu immergé dans le monde, et souvent tenté par les idoles- beaucoup – elle a toujours besoin d’entendre proclamer les œuvres de Dieu. Cela signifie, en bref, qu’elle a toujours besoin d’être évangélisée, qu’elle a besoin de recevoir l’Évangile, de prier et de sentir la force de l’Esprit qui change les cœurs (EN, 15).

Une Église qui s’évangélise pour évangéliser est une Église qui, guidée par l’Esprit Saint, est appelée à parcourir un chemin exigeant, un chemin de conversion, de renouvellement. Cela implique aussi la capacité de changer les manières de comprendre et de vivre sa présence évangélisatrice dans l’histoire, en évitant de se réfugier dans les zones protégées par la logique du « on a toujours fait comme ça ». Ce sont des refuges qui rendent l’Église malade. L’Église doit aller de l’avant, elle doit grandir continuellement, alors elle restera jeune. Cette Église est entièrement tournée vers Dieu, donc elle participe à son plan de salut pour l’humanité, et, en même temps, entièrement tournée vers l’humanité. L’Église doit être une Église qui dialogue avec le monde contemporain, qui tisse des relations fraternelles, qui crée des espaces de rencontre, en mettant en œuvre de bonnes pratiques d’hospitalité, d’accueil, de reconnaissance et d’intégration de l’autre et de l’altérité, et qui prend soin de la maison commune qu’est la création. C’est-à-dire une Église qui se met en dialogue avec le monde contemporain, dialogue avec le monde contemporain, mais qui rencontre tous les jours le Seigneur et dialogue avec le Seigneur, et laisse entrer l’Esprit Saint qui est le protagoniste de l’évangélisation. Sans l’Esprit Saint, nous ne pourrions que faire de la publicité pour l’Église, pas évangéliser. C’est l’Esprit Saint en nous qui nous pousse à l’évangélisation et c’est la vraie liberté des enfants de Dieu.

Chers frères et sœurs, je vous renouvelle mon invitation à lire et à relire Evangelii Nuntiandi : je vous dis la vérité, je le lis souvent, car c’est le chef-d’œuvre de saint Paul VI, c’est l’héritage qu’il nous a laissé pour évangéliser.


Audience générale du Pape François – 15 mars 2023

Photo de gilcastro sur Cathopic.

Lors de l’Audience générale d’aujourd’hui, le pape François a souligné le rôle des laïcs dans la mission apostolique de l’Église. Il a cité le décret Apostolicam Actuositatem de Vatican II, qui affirme qu’ « il y a diversité de ministères, mais unité de mission….Les laïcs rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ assument leur part dans ce qui est la mission du Peuple de Dieu tout entier, dans l’Église et dans le monde »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous poursuivons les catéchèses sur la passion d’évangéliser : non seulement sur « évangéliser », mais la passion d’évangéliser et, à l’école du Concile Vatican II, essayons de mieux comprendre que signifie être « apôtres » aujourd’hui. Le mot « apôtre » évoque le groupe des douze disciples choisis par Jésus. On appelle parfois « apôtres » certains saints, ou plus généralement les évêques : ils sont apôtres, parce qu’ils vont au nom de Jésus. Mais sommes-nous conscients que la fonction d’apôtre concerne chaque chrétien ? Sommes-nous conscients que cela concerne chacun d’entre nous ? En effet, nous sommes appelés à être apôtres – c’est-à-dire envoyés – au sein d’une Église que nous professons apostolique dans le Credo.

Que signifie donc être apôtres ? C’est être envoyé pour une mission. L’événement exemplaire et fondateur est celui où le Christ ressuscité envoie ses apôtres dans le monde, leur transmettant le pouvoir qu’il a lui-même reçu du Père et leur donnant son Esprit. Nous lisons dans l’Évangile de Jean : « Jésus leur dit de nouveau : « La paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et il leur dit : « Recevez l’Esprit Saint » » (20,21-22).

Un autre aspect fondamental de l’identité de l’apôtre est la vocation, c’est-à-dire l’appel. Il en a été ainsi dès le début, lorsque le Seigneur Jésus « appela ceux qu’il voulait. Ils vinrent auprès de lui » (Mc 3,13). Il les constitua comme groupe, en leur donnant le titre d' »apôtres », pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer en mission (cf. Mc 3,14 ; Mt 10,1-42). Saint Paul se présente ainsi dans ses lettres : « Paul, appelé pour être apôtre », c’est-à-dire envoyé, (1 Co 1,1) et encore : « Paul, serviteur du Christ Jésus, Apôtre envoyé par l’appel, mis à part pour l’Évangile de Dieu » (Rm 1,1). Et il insiste sur le fait d’être « Apôtre non par des hommes, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus Christ et par Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts » (Ga 1,1) ; Dieu l’a appelé dès le sein de sa mère pour annoncer l’Évangile parmi les nations (cf. Ga 1,15-16).

L’expérience des Douze apôtres et le témoignage de Paul nous interpellent également aujourd’hui. Ils nous invitent à vérifier nos attitudes, à vérifier nos choix, nos décisions, à partir de ces repères : tout dépend d’un appel gratuit de Dieu ; Dieu nous choisit également pour des services qui parfois semblent dépasser nos capacités ou ne pas correspondre à nos attentes ; à l’appel reçu comme don gratuit, il faut répondre gratuitement.

Le Concile dit : « La vocation chrétienne […] est aussi par nature vocation à l’apostolat » (Decr. Apostolicam actuositatem [AA], 2). C’est un appel qui est commun, « comme est commune la dignité des membres du fait de leur régénération dans le Christ ; commune la grâce d’adoption filiale ; commune la vocation à la perfection ; il n’y a qu’un salut, une espérance, une charité indivisible » (LG, 32).

C’est un appel qui concerne aussi bien ceux qui ont reçu le sacrement de l’Ordre, les personnes consacrées, que chaque fidèle laïc, homme ou femme, c’est un appel à tous. Toi, le trésor que tu as reçu avec ta vocation chrétienne, tu dois le donner : c’est la dynamique de la vocation, c’est la dynamique de la vie. C’est un appel qui permet d’accomplir sa propre tâche apostolique de manière active et créative, au sein d’une Église où « il y a diversité de ministères, mais unité de mission. Le Christ a confié aux apôtres et à leurs successeurs la charge d’enseigner, de sanctifier et de gouverner en son nom et par son autorité. Mais aussi les laïcs : vous tous ; la majorité d’entre vous, vous êtes laïcs. Également les laïcs rendus participants de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ assument leur part dans ce qui est la mission du Peuple de Dieu tout entier, dans l’Église et dans le monde » (AA, 2).

Dans ce cadre, comment le Concile comprend-il la collaboration des laïcs avec la hiérarchie ? Comment l’envisage-t-il ? S’agit-il d’une simple adaptation stratégique à de nouvelles situations qui surviennent ? Pas du tout, rien de cela : c’est bien plus quelque chose qui dépasse les contingences du moment et conserve sa propre valeur même pour nous. L’Église est ainsi, elle est apostolique.

Dans le cadre de l’unité de la mission, la diversité des charismes et des ministères ne doit pas donner lieu, au sein du corps ecclésial, à des catégories privilégiées : Il ne s’agit pas d’une promotion, et lorsque tu conçois la vie chrétienne comme une promotion, que celui qui est au sommet commande les autres parce qu’il a réussi à se hisser plus haut, ce n’est pas le christianisme. C’est du paganisme pur. La vocation chrétienne n’est pas une promotion pour se hisser plus haut, non ! C’est autre chose. Et c’est une chose importante car, même si « certains, par la volonté du Christ, sont établis dans une position peut-être plus importante, docteurs, dispensateurs des mystères et pasteurs pour le bien des autres, cependant, quant à la dignité et à l’activité commune à tous les fidèles dans l’édification du Corps du Christ, il règne entre tous une véritable égalité » (LG, 32). Qui a le plus de dignité dans l’Église : l’évêque, le prêtre ? Non … nous sommes tous des chrétiens au service des autres. Qui est le plus important dans l’Église : la religieuse ou le simple baptisé, l’enfant, l’évêque ? Tous sont égaux, nous sommes égaux, et quand l’une des parties se croit plus importante que les autres et se met un peu le nez en l’air, elle se trompe. Ce n’est pas la vocation de Jésus. La vocation que Jésus donne à tous – mais surtout à ceux qui semblent occuper des positions plus élevées – est le service, le service des autres, dans l’humilité. Si tu vois une personne qui dans l’Église a une vocation plus haute et que tu la vois être vaniteuse, tu diras : “le pauvre” ; prie pour elle parce qu’’elle n’a pas compris ce qu’est la vocation de Dieu. La vocation de Dieu est l’adoration du Père, l’amour pour la communauté et le service. C’est cela être apôtre, c’est cela le témoignage des apôtres.

La question de l’égalité en dignité nous invite à repenser de nombreux aspects de nos relations, qui sont décisifs pour l’évangélisation. Par exemple, sommes-nous conscients que par nos paroles nous pouvons porter atteinte à la dignité des personnes, détruisant ainsi les relations au sein de l’Église ? Alors que nous essayons de dialoguer avec le monde, savons-nous aussi dialoguer entre nous croyants ? Ou bien est-ce que dans la paroisse, l’un va contre l’autre, l’un fait des commérages sur l’autre pour se hisser plus haut ? Savons-nous écouter pour comprendre les raisons de l’autre, ou nous imposons-nous, peut-être même avec des paroles doucereuses ? Écouter, s’humilier, être au service des autres : c’est cela servir, c’est cela être chrétien, c’est cela être apôtre.

Chers frères et sœurs, n’ayons pas peur de nous poser ces questions. Fuyons la vanité, la vanité des postes. Ces paroles peuvent nous aider à examiner comment nous vivons notre vocation baptismale, comment nous vivons notre manière d’être apôtres dans une Église apostolique, qui est au service des autres.


Audience générale du Pape François – 22 février 2023

Dans la catéchèse aujourd’hui le pape François appui sur la passion d’évangéliser, et nous invite à repartir des paroles de Jésus qui demande aux siens d’aller faire des disciples et d’aller baptiser, en portant la joie de la présence de Dieu qui est proche de nous et qui agit en nous.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenus !

Dans notre itinéraire de catéchèse sur la passion d’évangéliser, aujourd’hui repartons des paroles de Jésus que nous avons entendues : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19). Allez, – dit le Ressuscité -, non pas pour endoctriner, non pas pour faire des prosélytes, mais pour faire des disciples, c’est-à-dire pour donner à chacun la possibilité d’entrer en contact avec Jésus, de le connaître et de l’aimer en toute liberté. Allez et baptisez : baptiser signifie immerger et donc, avant d’indiquer une action liturgique, il exprime une action vitale : immerger sa vie dans le Père, dans le Fils, dans l’Esprit Saint ; expérimenter chaque jour la joie de la présence de Dieu qui nous est proche comme Père, comme Frère, comme Esprit qui agit en nous, dans notre propre esprit. Baptiser c’est s’immerger dans la Trinité.

Lorsque Jésus dit à ses disciples – et aussi à nous – « Allez ! », il ne communique pas seulement une parole. Non. Il communique ensemble l’Esprit Saint, car c’est seulement par Lui, l’Esprit Saint, que l’on peut recevoir la mission du Christ et la réaliser (cf. Jn 20, 21-22). Les Apôtres, en effet, restent enfermés dans le Cénacle, par peur, et jusqu’au jour de la Pentecôte où l’Esprit Saint descend sur eux (cf. Ac 2, 1-13). Et à ce moment-là, la peur se dissipe et avec sa force, ces pêcheurs, pour la plupart sans instruction, vont changer le monde. « Mais s’ils ne savent pas parler… ». Mais c’est la parole de l’Esprit, la force de l’Esprit qui les entraîne pour changer le monde. L’annonce de l’Évangile ne se réalise donc que dans la force de l’Esprit, qui précède les missionnaires et prépare les cœurs : c’est Lui le “moteur de l’évangélisation”.

Nous le découvrons dans les Actes des Apôtres, où, à chaque page, nous constatons que le protagoniste de l’annonce n’est ni Pierre, ni Paul, ni Etienne, ni Philippe, mais c’est l’Esprit Saint. Toujours dans les Actes, on raconte un moment décisif des débuts de l’Église, qui peut aussi nous en dire long. À l’époque, comme aujourd’hui, ensemble avec les consolations les tribulations ne manquaient pas, – des moments heureux et des moments moins heureux – les joies s’accompagnaient de soucis, les deux choses ensemble. Une d’elles en particulier était par exemple comment se comporter avec les païens qui venaient à la foi, avec ceux qui n’appartenaient pas au peuple juif. Etaient-ils, oui ou non, tenus d’observer les prescriptions de la loi de Moïse ? Ce n’était pas une mince affaire pour ces gens. Deux groupes se forment ainsi, entre ceux qui considéraient l’observance de la Loi comme indispensable et les autres non. Pour discerner, les Apôtres se réunissent, dans ce qu’on appellera le « Concile de Jérusalem », le premier de l’histoire. Comment résoudre le dilemme ? On aurait pu chercher un bon compromis entre tradition et innovation : certaines règles doivent être respectées, et d’autres laissées de côté. Pourtant, les Apôtres ne suivent pas cette sagesse humaine à la recherche d’un équilibre diplomatique entre l’un et l’autre, ils ne le font pas, mais s’adaptent à l’œuvre de l’Esprit, qui les avait devancés, en descendant sur les païens comme sur eux.

Et donc, en supprimant presque toutes les obligations liées à la Loi, ils communiquent les décisions finales, prises – et ils écrivent ainsi : – « par l’Esprit Saint et nous-mêmes » (cf. Ac 15,28) voilà ce qui est décidé, le Saint-Esprit avec nous, c’est ainsi qu’agissent toujours les Apôtres. Ensemble, sans se diviser, même s’ils avaient des sensibilités et des opinions différentes, ils se mettent à l’écoute de l’Esprit. Et Il enseigne une chose, valable aussi aujourd’hui : toute tradition religieuse est utile si elle favorise la rencontre avec Jésus, toute tradition religieuse est utile si elle favorise la rencontre avec Jésus. Nous pourrions dire que la décision historique du premier Concile, dont nous bénéficions également, fut motivée par un principe, le principe de l’annonce : dans l’Église, tout doit être conforme aux exigences de l’annonce de l’Évangile ; non pas aux opinions des conservateurs ou des progressistes, mais au fait que Jésus puisse entrer dans la vie des gens. Par conséquent, tout choix, tout usage, toute structure et toute tradition doivent être évalués selon le critère où ils favorisent l’annonce du Christ. Quand on trouve des décisions dans l’Église, par exemple des divisions idéologiques :  » Je suis conservateur parce que… je suis progressiste parce que… « . Mais où est l’Esprit Saint ? Faites attention l’Évangile n’est pas une idée, l’Évangile n’est pas une idéologie : l’Évangile est une annonce qui touche le cœur et qui te fait changer de cœur, mais si tu te réfugies dans une idée, dans une idéologie qu’elle soit de droite ou de gauche ou du centre, tu es en train de faire de l’Évangile un parti politique, une idéologie, un club de personnes. L’Évangile te donne toujours cette liberté de l’Esprit qui agit en toi et te fait avancer. Et combien est-il nécessaire aujourd’hui de retrouver la liberté de l’Évangile et de nous laisser conduire par l’Esprit.

Ainsi l’Esprit éclaire le chemin de l’Église, toujours. En effet, Il n’est pas seulement la lumière des cœurs, Il est la lumière qui oriente l’Église : Il fait la clarté, aide à distinguer, aide à discerner. C’est pourquoi il est nécessaire de L’invoquer souvent ; faisons-le plus encore aujourd’hui, au début du Carême. Car comme Église, nous pouvons avoir des temps et des espaces bien définis, des communautés, des instituts et des mouvements bien organisés, mais sans l’Esprit, tout reste sans âme. L’organisation ne suffit pas : c’est l’Esprit qui donne vie à l’Église. L’Église, si elle ne Le prie pas et ne l’invoque pas, se replie sur elle-même, dans des débats stériles et épuisants, dans des polarisations lassantes, tandis que la flamme de la mission s’éteint. C’est bien triste de voir l’Église comme si elle était un parlement ; non, l’Église est autre chose. L’Eglise est la communauté d’hommes et de femmes qui croient et annoncent Jésus-Christ, mais mus par l’Esprit Saint, et non par leurs propres raisons. Oui, on utilise sa raison mais l’Esprit vient l’éclairer et la mouvoir. L’Esprit, nous fait sortir, nous pousse à proclamer la foi pour nous confirmer dans la foi, nous pousse à partir en mission pour retrouver qui nous sommes. C’est pourquoi l’apôtre Paul recommande ceci : « N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5,19). N’éteignez pas l’Esprit. Prions souvent l’Esprit, invoquons-le, demandons-lui chaque jour d’allumer en nous sa lumière. Faisons-le avant chaque rencontre, pour devenir des apôtres de Jésus auprès des personnes que nous rencontrons. Ne pas éteindre l’Esprit dans les communautés chrétiennes et aussi en chacun de nous.

Chers frères et sœurs, comme Église, partons et repartons de l’Esprit Saint. « Il est sans doute important que, dans notre planification pastorale, nous partions des enquêtes sociologiques, des analyses, de la liste des difficultés, de la liste des attentes et des réclamations. Cependant, il est bien plus important de partir des expériences de l’Esprit : c’est là le vrai point de départ. Et il faut donc les rechercher, les répertorier, les étudier, les interpréter. C’est un principe fondamental qui, dans la vie spirituelle, s’appelle la primauté de la consolation sur la désolation. D’abord il y a l’Esprit qui console, ranime, éclaire, meut ; ensuite il y aura aussi la désolation, la souffrance, les ténèbres, mais le principe pour s’ajuster dans les ténèbres est la lumière de l’Esprit » (C.M. MARTINI, Evangéliser dans la consolation de l’Esprit, 25 septembre 1997). C’est le principe pour nous réguler dans les choses que nous ne comprenons pas, dans les confusions, même dans les plus sombres, c’est important. Demandons-nous si nous nous ouvrons à cette lumière, si nous lui donnons de l’espace : est-ce que j’invoque l’Esprit ? Que chacun réponde en son for intérieur. Combien d’entre nous prient l’Esprit ? « Non, Père, je prie la Vierge, je prie les Saints, je prie Jésus, mais parfois, je prie le Notre Père, je prie le Père » – « Et l’Esprit ? Tu ne pries pas l’Esprit, qui est celui qui fait mouvoir ton cœur, qui t’apporte la consolation, qui t’apporte le désir d’évangéliser et de faire la mission ? ». Je vous laisse avec cette question : est-ce que je prie l’Esprit Saint ? Est-ce que je me laisse guider par Lui, qui m’invite à ne pas me replier sur moi-même mais à porter Jésus, à témoigner de la primauté de la consolation de Dieu sur la désolation du monde ? Que la Vierge, qui a bien compris cela, nous le fasse comprendre.


Message du pape François pour le Carême 2023

Église de la Transfiguration, Mont Thabor. Wikimedia Commons.

Dans son message pour le Carême 2023, le Pape François a évoqué la Transfiguration de Notre Seigneur et la  » ‘retraite’ sur le Mont Thabor  » comme une image du chemin de l’Église vers Pâques ainsi que du chemin synodal. Le Saint-Père a déclaré que « le Carême conduit à Pâques : la « retraite » n’est pas une fin en soi, mais un moyen de nous préparer à vivre la passion et la croix du Seigneur avec foi, espérance et amour, et à arriver ainsi à la résurrection. »

Voici le texte intégral:

Message du pape François pour le Carême 2023

Ascèse de Carême, itinéraire synodal

Chers frères et sœurs !

Les Évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc concordent pour raconter l’épisode de la Transfiguration de Jésus. Dans cet événement, nous voyons la réponse du Seigneur à l’incompréhension manifestée par les disciples à son égard. Peu avant, en effet, un accrochage sérieux s’était produit entre le Maître et Simon-Pierre qui, après avoir professé sa foi dans le fait que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, avait repoussé son annonce de la passion et de la croix. Jésus l’avait repris avec force : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16, 23). Et voici que « six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne » (Mt 17, 1).

L’Évangile de la Transfiguration est proclamé chaque année, le deuxième dimanche du Carême. Durant ce temps liturgique, en effet, le Seigneur nous prend avec lui et nous emmène à l’écart. Même si nos activités ordinaires requièrent que nous restions aux lieux habituels, en vivant un quotidien souvent répétitif et parfois ennuyant, pendant le Carême nous sommes invités à monter “sur une haute montagne” avec Jésus, pour vivre avec le Peuple saint de Dieu une expérience d’ascèse particulière.

L’ascèse de Carême est un effort, toujours animé par la Grâce, pour surmonter nos manques de foi et nos résistances à suivre Jésus sur le chemin de la croix. Précisément ce dont avaient besoin Pierre et les autres disciples. Pour approfondir notre connaissance du Maître, pour comprendre et accueillir à fond le mystère du salut divin, réalisé dans le don total de soi par amour, il faut se laisser conduire par lui à l’écart et en hauteur, en se détachant des médiocrités et des vanités. Il faut se mettre en chemin, un chemin qui monte, qui exige effort, sacrifice, concentration, comme une excursion en montagne. Ces conditions sont également importantes pour le chemin synodal dans lequel nous nous sommes engagés, en tant qu’Église. Il nous sera bon de réfléchir sur cette relation qui existe entre l’ascèse de Carême et l’expérience synodale.

Pour cette “retraite” sur le mont Thabor, Jésus emmène avec lui trois disciples, choisis pour être témoins d’un événement unique. Il veut que cette expérience de grâce ne soit pas solitaire, mais partagée, comme l’est, du reste, toute notre vie de foi. Jésus, on doit le suivre ensemble. Et c’est ensemble, comme Église pérégrinant dans le temps, que l’on vit l’année liturgique et, à l’intérieur de celle-ci, le Carême, en marchant avec ceux que le Seigneur a placés à nos côtés comme compagnons de voyage. Par analogie avec la montée de Jésus et des disciples au Thabor, nous pouvons dire que notre chemin de Carême est “synodal”, car nous l’accomplissons ensemble sur le même chemin, disciples de l’unique Maître. Bien plus, nous savons qu’il est lui-même la Voie, et donc, que ce soit dans l’itinéraire liturgique ou dans celui du Synode, l’Église ne fait rien d’autre que d’entrer toujours plus profondément et pleinement dans le mystère du Christ Sauveur.

Et nous arrivons au moment culminant. L’Évangile raconte que Jésus « fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière » (Mt 17, 2). Voilà le “sommet”, le but du chemin. Au terme de la montée, lorsqu’ils sont sur la montagne avec Jésus, la grâce est donnée aux trois disciples de le voir dans sa gloire, resplendissant de lumière surnaturelle, qui ne venait pas du dehors, mais qui irradiait de Lui-même. La divine beauté de cette vision fut incomparablement supérieure à toute la fatigue que les disciples avaient pu accumuler pour monter au Thabor. Comme pour toute excursion exigeante en montagne, il faut en montant tenir le regard bien fixé sur le sentier ; mais le panorama qui se déploie à la fin surprend et récompense par son émerveillement. Le processus synodal apparaît lui aussi souvent ardu et nous pourrions parfois nous décourager. Mais ce qui nous attend à la fin est sans aucun doute quelque chose de merveilleux et de surprenant, qui nous aidera à mieux comprendre la volonté de Dieu et notre mission au service de son Royaume.

L’expérience des disciples sur le Thabor s’enrichit encore quand, lorsqu’à côté de Jésus transfiguré apparaissent Moïse et Élie qui personnifient la Loi et les Prophètes (cf. Mt 17, 3). La nouveauté du Christ est l’accomplissement de l’Ancienne Alliance et des promesses ; elle est inséparable de l’histoire de Dieu avec son peuple et en révèle le sens profond. De même, le parcours synodal est enraciné dans la tradition de l’Église et, en même temps, ouvert à la nouveauté. La tradition est source d’inspiration pour chercher des voies nouvelles, en évitant les tentations opposées de l’immobilisme et de l’expérimentation improvisée.

Le chemin ascétique du Carême, ainsi que le chemin synodal ont tous deux comme objectif une transfiguration, personnelle et ecclésiale. Une transformation qui, dans les deux cas, trouve son modèle dans celle de Jésus et se réalise par la grâce de son mystère pascal. Pour que cette transfiguration puisse s’accomplir en nous cette année, je voudrais proposer deux “sentiers” à suivre pour monter avec Jésus et parvenir avec Lui à destination.

Le premier fait référence à l’impératif que Dieu le Père adresse aux disciples sur le Thabor, alors qu’ils contemplent Jésus transfiguré. La voix venant de la nuée dit : « Écoutez-le » (Mt 17, 5). La première indication est donc très claire : écouter Jésus. Le Carême est un temps de grâce dans la mesure où nous nous mettons à l’écoute de Celui qui parle. Et comment nous parle-t-il ? Avant tout dans la Parole de Dieu que l’Église nous offre dans la Liturgie : ne la laissons pas tomber dans le vide. Si nous ne pouvons pas toujours participer à la messe, lisons les Lectures bibliques jour après jour, y compris avec l’aide d’internet. En plus des Écritures, le Seigneur nous parle à travers les frères, surtout par les visages et par les histoires de ceux qui ont besoin d’aide. Mais je voudrais ajouter aussi un autre aspect, très important dans le processus synodal : l’écoute du Christ passe aussi à travers l’écoute des frères et des sœurs dans l’Église, cette écoute réciproque qui est l’objectif principal durant certaines phases, mais qui, de toute façon, demeure toujours indispensable dans la méthode et dans le style d’une Église synodale.

En entendant la voix du Père, « les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : “Relevez-vous et soyez sans crainte”. Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul » (Mt 17, 6-8). Voilà la seconde indication pour ce Carême : ne pas se réfugier dans une religiosité faite d’événements extraordinaires, d’expériences suggestives, par peur d’affronter la réalité avec ses efforts quotidiens, ses duretés et ses contradictions. La lumière que Jésus montre aux disciples est une anticipation de la gloire pascale, vers laquelle il faut aller, en le suivant “Lui seul”. Le Carême est orienté vers Pâques : la “retraite” n’est pas une fin en soi, mais elle nous prépare à vivre avec foi, espérance et amour, la passion et la croix, pour parvenir à la résurrection. De même, le parcours synodal ne doit pas non plus nous faire croire que nous sommes arrivés quand Dieu nous donne la grâce de certaines expériences fortes de communion. Là encore, le Seigneur nous répète : « Relevez-vous et soyez sans crainte ». Redescendons dans la plaine et que la grâce dont nous saurons fait l’expérience nous soutienne pour être des artisans de synodalité dans la vie ordinaire de nos communautés.

Chers frères et sœurs, Que l’Esprit Saint nous fasse vivre ce Carême dans l’ascèse avec Jésus, pour faire l’expérience de sa splendeur divine et, ainsi fortifiés dans la foi, poursuivre ensemble le chemin avec Lui, gloire de son peuple et lumière des nations.


Merci Cardinal Thomas Collins

Image est reproduite avec l’aimable autorisation de l’archidiocèse de Toronto et utilisée avec permission.

Sel + Lumière Média remercie de tout cœur le cardinal Collins pour ses 26 années comme leader épiscopal dans l’Église. Son ministère en tant qu’évêque de Saint-Paul, archevêque d’Edmonton et de Toronto, a été marqué par un engagement constant en faveur de l’intégrité, de la vérité et d’une proclamation passionnée de l’Évangile.

Nous sommes particulièrement reconnaissants pour le soutien durable, la gentillesse et l’amitié que le cardinal Collins a témoigné à Sel + Lumière Média au fil des ans, et surtout pendant son mandat d’archevêque de Toronto, où se trouve notre bureau principal.

Nous continuons à prier pour Son Éminence, afin qu’il jouisse d’une période heureuse et paisible de service à l’Église en tant qu’archevêque émérite de Toronto. Puissions-nous, avec lui, continuer à grandir dans notre adoration, notre amour et notre service à notre Père céleste.

Audience Générale du Pape François – 8 février 2023

Lors de l’Audience générale d’aujourd’hui, le pape François a réfléchi à sa récente visite apostolique en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenu à tous !

La semaine dernière, j’ai visité deux pays africains : la République Démocratique du Congo et le Sud-Soudan. Je remercie Dieu qui m’a permis de faire ce voyage tant désiré. Deux « rêves » : rendre visite aux Congolais, gardiens d’un pays immense, poumon vert de l’Afrique : avec l’Amazonie ce sont les deux du monde. Une terre riche en ressources et ensanglantée par une guerre qui ne se termine jamais car il y a toujours ceux qui alimentent le feu. Et pour rendre visite au peuple sud-soudanais, dans un pèlerinage de paix ensemble avec l’archevêque de Canterbury Justin Welby et le modérateur général de l’Église d’Écosse, Iain Greenshields : nous sommes allés ensemble pour témoigner qu’il est possible et impératif de collaborer dans la diversité, surtout si l’on partage la foi en Jésus Christ.

Les trois premiers jours, j’étais à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo. Je renouvelle ma gratitude au Président et aux autres Autorités du pays pour l’accueil qu’ils m’ont réservé. Immédiatement après mon arrivée, au Palais présidentiel, j’ai pu adresser un message à la Nation : le Congo est comme un diamant, de par sa nature, ses ressources, et surtout son peuple ; mais ce diamant est devenu une source de discorde, de violence, et paradoxalement d’appauvrissement du peuple. C’est une dynamique que l’on retrouve également dans d’autres régions d’Afrique, et qui s’applique à ce continent en général : un continent colonisé, exploité, pillé. Face à tout cela, j’ai dit deux paroles : la première est négative :  » ça suffit ! « , arrêtez d’exploiter l’Afrique ! J’ai déjà dit d’autres fois que dans l’inconscient collectif, c’est comme inscrit « l’Afrique doit être exploitée » : ça suffit ! Je l’ai dit. La seconde est positive : ensemble, ensemble avec dignité, tous ensemble avec respect mutuel, ensemble au nom du Christ, notre espérance, aller de l’avant. Ne pas exploiter et aller de l’avant ensemble.

Et au nom du Christ, nous nous sommes réunis dans la grande Célébration eucharistique.

Toujours à Kinshasa se sont déroulées différentes rencontres : celle avec les victimes de la violence de l’est du pays, la région qui depuis des années est déchirée par la guerre entre groupes armés manœuvrés par des intérêts économiques et politiques. Je n’ai pas pu me rendre à Goma. Les gens vivent dans la peur et l’insécurité, sacrifiés sur l’autel des affaires illicites. J’ai écouté les témoignages bouleversants de certaines victimes, notamment des femmes, qui ont déposé au pied de la Croix des armes et autres instruments de mort. Avec eux, j’ai dit « non » à la violence, « non” à la résignation, « oui » à la réconciliation et à l’espérance. Ils ont déjà tellement souffert et continuent de souffrir.

J’ai rencontré ensuite les représentants de diverses œuvres caritatives du pays, pour les remercier et les encourager. Leur travail avec les pauvres et pour les pauvres ne fait pas de bruit, mais jour après jour, il fait croître le bien commun. Et surtout avec la promotion : les initiatives caritatives doivent toujours être avant tout destinées à la promotion, pas seulement pour l’assistance mais pour la promotion. Assistance oui, mais promotion.

Un moment enthousiasmant a été celui avec les jeunes et les catéchistes congolais au stade. C’était comme une immersion dans le présent projeté vers le futur. Pensons à la puissance de renouveau que peut apporter cette nouvelle génération de chrétiens, formée et animée par la joie de l’Évangile ! A eux, aux jeunes, j’ai indiqué cinq voies : la prière, la communauté, l’honnêteté, le pardon et le service. Aux jeunes du Congo, j’ai dit : voici votre chemin : prière, vie communautaire, honnêteté, pardon et service. Que le Seigneur entende leur cri en faveur de la paix et de la justice.

Ensuite, dans la cathédrale de Kinshasa j’ai rencontré les prêtres, les diacres, les hommes et femmes consacrés et les séminaristes. Ils sont nombreux et ils sont jeunes, car les vocations sont nombreuses : c’est une grâce de Dieu. Je les ai exhortés à être des serviteurs du peuple comme témoins de l’amour du Christ, en surmontant trois tentations : la médiocrité spirituelle, le confort mondain et la superficialité. Qui sont des tentations – je dirais – universelles, pour les séminaristes et pour les prêtres. Bien sûr, la médiocrité spirituelle, quand un prêtre tombe dans la médiocrité, cela est triste ; le confort mondain, c’est-à-dire la mondanité, qui est l’un des pires maux qui puissent arriver à l’Église ; et la superficialité. Enfin, avec les évêques congolais, j’ai partagé la joie et la fatigue du service pastoral. Je les ai invités à se laisser consoler par la proximité de Dieu et à être des prophètes pour le peuple, avec la force de la Parole de Dieu, être des signes de comment est le Seigneur, de l’attitude du Seigneur envers nous : la compassion, la proximité, la tendresse. Ce sont là trois manières dont le Seigneur agit avec nous : il s’approche – la proximité – avec compassion et avec tendresse. J’ai demandé cela aux prêtres et aux évêques.

Ensuite, la deuxième partie du voyage s’est déroulée à Juba, capitale du Soudan du Sud, un État né en 2011. Cette visite a revêtu un caractère très particulier, exprimé à travers la devise qui reprenait les paroles de Jésus :  » Je prie pour que tous soient un  » (cf. Jn 17, 21). Il s’agissait en effet d’un pèlerinage œcuménique de paix, effectué avec les chefs de deux Églises historiquement présentes dans ce pays : la Communion anglicane et l’Église d’Écosse. C’était l’aboutissement d’un parcours initié il y a quelques années, qui nous avait vu nous réunir à Rome en 2019, avec les autorités sud-soudanaises, pour nous engager à surmonter le conflit et construire la paix. En 2019, une retraite spirituelle de deux jours a été organisée ici, à la Curie, avec tous ces politiciens, avec toutes ces personnes aspirant à des postes, certains ennemis entre eux, mais ils étaient tous réunis dans cette retraite. Et cela a donné la force d’aller de l’avant. Malheureusement, le processus de réconciliation n’a pas beaucoup progressé et le Sud-Soudan à peine né est victime de la vieille logique de pouvoir, de rivalité, qui engendre guerre, violence, réfugiés et personnes déplacées internes. Je suis très reconnaissant à M. le Président pour l’accueil qu’il nous a réservé et pour la manière dont il essaie de gérer cette route pas facile, de dire « non » à la corruption et au trafic d’armes et « oui » à la rencontre et au dialogue. Et cela est honteux : tant de pays soi-disant civilisés offrent une aide au Sud-Soudan, et cette aide consiste en des armes, des armes, des armes pour fomenter la guerre. C’est une honte. Et oui, continuez à dire « non » à la corruption et au trafic d’armes et « oui » à la rencontre et au dialogue. Alors seulement, il peut y avoir du développement, les populations pourront travailler en paix, les malades se faire soigner, les enfants aller à l’école.

Le caractère œcuménique de la visite au Sud-Soudan était particulièrement évident lors du moment de prière célébré ensemble avec les frères et sœurs anglicans et ceux de l’Église d’Écosse. Ensemble, nous avons écouté la Parole de Dieu, ensemble nous avons adressé des prières de louange, de supplication et d’intercession. Dans une réalité hautement conflictuelle comme celle du Sud-Soudan, ce signe est fondamental, et il ne va pas de soi, car malheureusement, certains abusent du nom de Dieu pour justifier violence et abus.

Frères et sœurs, le Sud-Soudan est un pays d’environ 11 millions d’habitants – tout petit ! – dont, en raison des conflits armés, deux millions sont des déplacés internes et autant ont fui vers les pays voisins. C’est pourquoi j’ai voulu rencontrer un grand groupe de personnes déplacées internes, les écouter et leur faire sentir la proximité de l’Église. En effet, les Eglises et les organisations d’inspiration chrétienne sont en première ligne aux côtés de ces pauvres gens, qui vivent dans des camps de déplacés depuis des années. En particulier, je me suis tourné vers les femmes – il y a là des femmes de qualité – qui incarnent la force qui peut transformer le pays ; et j’ai encouragé tout le monde à être les semences d’un nouveau Sud-Soudan, sans violence, réconcilié et pacifié.

Puis, lors de la rencontre avec les Pasteurs et les personnes consacrées de cette Église locale, nous avons regardé Moïse comme un modèle de docilité à Dieu et de persévérance dans l’intercession.

Et au cours de la célébration eucharistique, ultime acte de la visite au Sud-Soudan et de tout le voyage, j’ai fait écho de l’Évangile en encourageant les chrétiens à être « sel et lumière » dans ce pays en proie à tant de tribulations. Dieu place son espérance non pas dans les grands et les puissants, mais dans les petits et les humbles. Et c’est la façon de faire de Dieu.

Je remercie les autorités du Sud-Soudan, M. le Président, les organisateurs du voyage et tous ceux qui ont fourni des efforts, du travail pour que la visite se déroule bien. Je remercie mes frères, Justin Welby et Iain Greenshields, de m’avoir accompagné dans ce voyage œcuménique.

Prions pour que, en République démocratique du Congo et au Sud-Soudan, et dans toute l’Afrique, germent les semences de son Royaume d’amour, de justice et de paix.


APPEL

En ce moment, je tourne mes pensées vers les peuples de Turquie et de Syrie durement touchés par le tremblement de terre, qui a fait des milliers de morts et de blessés. Avec émotion, je prie pour eux et exprime ma proximité avec ces peuples, avec les familles des victimes et avec tous ceux qui souffrent de cette calamité dévastatrice. Je remercie ceux qui s’efforcent de porter secours et j’encourage tous à la solidarité avec ces territoires, dont certains ont déjà été meurtris par une longue guerre. Prions ensemble pour que nos frères et sœurs puissent aller de l’avant, en surmontant cette tragédie, et demandons à la Vierge de les protége.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Discours du Saint-Père aux autorités et le corps diplomatique du Soudan de Sud

Le pape François a entamé sa visite apostolique au Soudan du Sud le 3 février, accompagné de l’archevêque de Canterbury et du modérateur de l’Église d’Écosse, par une rencontre avec le président, les vice-présidents, les autorités, la société civile et le corps diplomatique du jeune pays. Il a déclaré que ce « pèlerinage œcuménique de paix représente un changement de direction, une opportunité pour le Soudan du Sud de recommencer à naviguer en eaux calmes » un «  temps pour construire », pour « laisser derrière soi le temps de la guerre et laisser poindre un temps de paix. »

 

RENCONTRE AVEC LES AUTORITÉS ET LE CORPS DIPLOMATIQUE
DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Palais Présidentiel (Djouba)
Vendredi 3 février 2023

 

Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Vice-Présidents,
Membres illustres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
Autorités religieuses distinguées,
Représentants insignes de la société civile et du monde de la culture,
Mesdames et Messieurs !

Je suis heureux d’être sur cette terre que je porte dans mon cœur. Je vous remercie, Monsieur le Président, pour les mots d’accueil que vous m’avez adressés. Je salue cordialement chacun de vous et, à travers vous, toutes les femmes et les hommes qui peuplent ce jeune et cher pays. Je viens comme pèlerin de réconciliation, avec le rêve de vous accompagner sur votre chemin de paix, un chemin tortueux mais qui ne peut plus être reporté. Je ne suis pas venu seul, parce que dans la paix, comme dans la vie, on marche ensemble. Je suis donc chez vous avec deux frères, l’Archevêque de Canterbury et le Modérateur de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, que je remercie pour ce qu’ils viennent de nous dire. Ensemble, nous nous présentons à vous et à ce peuple au nom de Jésus-Christ, Prince de la paix.

Nous avons en effet entrepris ce pèlerinage œcuménique de paix après avoir écouté le cri de tout un peuple qui, avec grande dignité, pleure à cause de la violence qu’il subit, du perpétuel manque de sécurité, de la pauvreté qui le frappe et des catastrophes naturelles qui sévissent. Les années de guerres et de conflits ne semblent pas connaître de fin et même, récemment, de durs affrontements ont eu lieu alors que les processus de réconciliation semblent paralysés et que les promesses de paix restent inaccomplies. Que cette souffrance épuisante ne soit pas vaine. Que la patience et les sacrifices du peuple sud-soudanais, de cette population jeune, humble et courageuse, nous interpellent tous. Qu’ils voient éclore des germes de paix qui portent du fruit, tels des semences qui en terre donnent vie à la plante.

Les fruits et la végétation abondent ici, grâce au grand fleuve qui traverse le pays. Ce que l’historien de l’antiquité Hérodote disait de l’Égypte, qu’elle un “don du Nil”, vaut aussi pour le Soudan du Sud., Comme on le dit ici, cette terre est vraiment une “terre de grande abondance”. Je voudrais donc me laisser porter par l’image du grand fleuve qui traverse ce pays récent mais à l’histoire ancienne. Au cours des siècles, les explorateurs se sont introduits sur le territoire où nous sommes pour remonter le Nil Blanc à la recherche des sources du fleuve le plus long du monde. C’est par la recherche des sources du vivre ensemble que je voudrais commencer mon parcours avec vous. Parce que cette terre, qui regorge de tant de biens dans le sous-sol, mais surtout dans les cœurs et les esprits de ses habitants, a besoin d’être à nouveau désaltérée par des sources fraîches et vitales.

Autorités distinguées, c’est vous qui êtes ces sources, les sources qui irriguent la cohabitation, les pères et les mères de ce jeune pays. Vous êtes appelées à régénérer la vie sociale, comme des sources limpides de prospérité et de paix, car c’est de cela dont ont besoin les enfants du Soudan du Sud : de pères, non de maîtres ; d’étapes stables de développement, non de chutes continuelles. Les années qui ont suivi la naissance du pays, marquées par une enfance blessée, doivent laisser place à une croissance pacifique. Illustres Autorités, vos “enfants” et l’histoire elle-même se rappelleront de vous dans la mesure où vous aurez fait du bien à cette population qui vous a été confiée pour la servir. Les générations futures honoreront ou effaceront la mémoire de vos noms en fonction de ce que vous faites maintenant parce que, comme le fleuve quitte ses sources pour commencer son cours, le cours de l’histoire laissera derrière les ennemis de la paix et donnera de l’éclat à ceux qui œuvrent pour la paix. En effet, comme l’enseigne l’Écriture, « un avenir est promis aux pacifiques » (cf. Ps 37, 37).

La violence, au contraire, fait reculer le cours de l’histoire. Le même Hérodote en relevait les bouleversements générationnels, notant qu’en guerre ce ne sont plus les enfants qui enterrent les pères, mais les pères qui enterrent les enfants (cf. Histoires, I, 87). Je vous prie, de tout cœur d’accueillir une parole simple pour que cette terre ne se réduise pas à un cimetière, mais redevienne un jardin florissant. Non pas la mienne, mais celle du Christ. Il l’a prononcé dans un jardin, à Gethsémani, lorsque, voyant l’un de ses disciples qui avait dégainé l’épée, il dit : « Assez ! » (Lc 22, 51). Monsieur le Président, Messieurs les Vice-Présidents, au nom de Dieu, du Dieu qu’ensemble nous avons prié à Rome, du Dieu doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29) en qui tant de personnes de ce cher pays croient, il est temps de dire assez, sans “si” et sans “mais” : assez de sang versé, assez de conflits, assez de violences et d’accusations réciproques sur ceux qui les commettent, assez d’abandonner le peuple assoiffé de paix. Assez de destructions, c’est l’heure de la construction ! Que le temps de la guerre soit rejeté et que se lève un temps de paix!

Revenons aux sources du fleuve, à l’eau qui symbolise la vie. Aux sources de ce pays il y a un autre mot qui désigne le parcours entrepris par le peuple sud-soudanais le 9 juillet 2011 : République. Mais que signifie être une res publica ? Cela signifie se reconnaître comme une réalité publique, affirmer que l’État est pour tous ; et donc que ceux qui, en son sein, assument des responsabilités majeures, le présidant et le gouvernant, ne peuvent que se mettre au service du bien commun. Voilà le but du pouvoir : servir la communauté. La tentation qui guette toujours est de s’en servir pour ses propres intérêts. Il ne suffit donc pas de s’appeler République, il faut l’être, à partir des biens primaires : que les ressources abondantes avec lesquelles Dieu a béni cette terre ne soient pas réservées à quelques-uns, mais l’apanage de tous, et que des projets de répartition équitable des richesses correspondent aux plans de relance économique.

Le développement démocratique est fondamental pour la vie d’une République. Il protège la distinction bénéfique des pouvoirs, de sorte que, par exemple, celui qui administre la justice puisse l’exercer sans conditionnement de la part de celui qui légifère ou gouverne. La démocratie suppose également le respect des droits humains, protégés par la loi et son application, et en particulier la liberté d’exprimer ses idées. Il faut en effet rappeler que sans justice il n’y a pas de paix (cf. saint Jean-Paul II, Message pour la célébration de la 35ème Journée Mondiale de la Paix, 1er janvier 2002), mais aussi que sans liberté il n’y a pas de justice. Il faut donc donner à toute citoyenne et tout citoyen la possibilité de disposer du don unique et irremplaçable de l’existence avec les moyens appropriés pour le réaliser : comme l’écrivait le Pape Jean, « tout être humain a droit à la vie, à l’intégrité physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente » (saint Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris, n. 11).

Le Nil, après avoir quitté ses sources, traversé des zones accidentées créant des cascades et des rapides, et une fois entré dans la plaine sud-soudanaise, à proximité de Djouba, il devient navigable, pour ensuite pénétrer dans des zones plus marécageuses. Par analogie, j’espère que le chemin de paix de la République ne progressera pas avec des hauts et des bas, mais, qu’à partir de cette capitale, il deviendra praticable, sans rester enlisé dans l’inertie. Chers amis, il est temps de passer des paroles aux faits. Il est temps de tourner la page, le temps est venu de l’engagement pour une transformation urgente et nécessaire. Le processus de paix et de réconciliation demande un nouveau sursaut. Que l’on s’entende et que l’on face avancer l’Accord de paix, ainsi que la Feuille de route ! Dans un monde marqué par les divisions et les conflits, ce pays accueille un pèlerinage œcuménique de paix, qui constitue une rareté ; que celui-ci pose un changement de rythme, qu’il soit l’occasion, pour le Soudan du Sud, de recommencer à naviguer sur des eaux tranquilles, en reprenant le dialogue, sans duplicités ni opportunismes. Qu’il soit pour tous une occasion de relancer l’espérance : que chaque citoyen comprenne que ce n’est plus le moment de se laisser emporter par les eaux insalubres de la haine, du tribalisme, du régionalisme et des différences ethniques ; le temps est venu de naviguer ensemble vers l’avenir !

Le parcours du grand fleuve nous aide encore, en nous suggérant la manière. Dans son cours, près du lac No il rejoint un autre fleuve, donnant vie à ce qu’on appelle le Nil Blanc. La clarté limpide des eaux jaillit donc de la rencontre. Telle est la voie : se respecter, se connaître, dialoguer. Car, si derrière toute violence il y a de la colère et de la rancœur – et derrière toute colère et rancœur il y a le souvenir non guérie de blessures, d’humiliations et d’offenses – la seule direction pour en sortir est celle de la rencontre : accueillir les autres comme des frères et leur donner de l’espace, y compris en sachant faire des concessions. Cette attitude, essentielle pour les processus de paix, est également indispensable pour le développement homogène de la société. Et pour passer de l’incivilité de l’affrontement à la civilité de la rencontre, le rôle que les jeunes peuvent et veulent jouer est décisif. Que des espaces libres de rencontre pour se retrouver et débattre leurs soient donc assurés ; et qu’ils puissent prendre en main, sans crainte, l’avenir qui leur appartient ! Que les femmes, les mères qui savent comment l’on donne et conserve la vie, soient également davantage impliquées dans les processus politiques et décisionnels. Qu’il y ait du respect à leur égard, car celui qui commet une violence contre une femme la commet contre Dieu, qui d’une femme a pris chair.

Le Christ, le Verbe incarné, nous a enseigné que plus on se fait petit, en donnant de l’espace aux autres et en accueillant le prochain comme un frère, plus on devient grand aux yeux du Seigneur. La jeune histoire de ce pays déchiré par des affrontements ethniques, a besoin de retrouver la mystique de la rencontre, la grâce du fait d’être ensemble. Il faut regarder au-delà des groupes et des différences pour marcher comme un seul peuple, dans lequel, comme pour le Nil, les différents affluents apportent des richesses. Ce fut précisément à par le fleuve que les premiers missionnaires, il y a plus d’un siècle, arrivèrent sur ces rivages ; à leur présence s’est ajouta au fil du temps celle de nombre de travailleurs humanitaires. Je voudrais tous les remercier pour le travail précieux qu’ils font. Mais je pense aussi aux missionnaires qui, malheureusement, trouvent la mort en semant la vie. Ne les oublions pas et n’oublions pas de leur garantir, ainsi qu’aux travailleurs humanitaires, la sécurité, ainsi que les soutiens nécessaires à leurs œuvres pour que le fleuve du bien continue à couler.

Un grand fleuve, cependant, peut parfois déborder et provoquer des catastrophes. Sur cette terre, les nombreuses victimes d’inondations l’ont malheureusement expérimenté, auxquelles j’exprime ma proximité, en demandant qu’elles ne soient pas privées d’aides appropriées. Les catastrophes naturelles révèlent une création blessée et chamboulée, qui, source de vie peut se transformer en menace de mort. Il faut en prendre soin avec un regard clairvoyant, tourné vers les générations futures. Je pense en particulier à la nécessité de lutter contre la déforestation causée par l’avidité du gain.

Pour éviter les inondations d’un fleuve, il est nécessaire de garder son lit propre. Par métaphore, le nettoyage dont le cours de la vie sociale a besoin est la lutte contre la corruption. Circuits financiers injustes, intrigues cachées pour s’enrichir, affaires clientélistes, manque de transparence : voilà le fond pollué de la société humaine, qui fait manquer les ressources nécessaires à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut d’abord combattre la pauvreté, qui constitue le terrain fertile dans lequel s’enracinent les haines, les divisions et la violence. L’urgence d’un pays civilisé est de prendre soin de ses citoyens, en particulier des plus fragiles et des plus défavorisés. Je pense surtout aux millions de personnes déplacées qui habitent ici : combien ont dû quitter leur maison et se trouvent reléguées en marge de la vie à la suite d’affrontements et de déplacements forcés !

Pour que les eaux de vie ne se transforment pas en dangers de mort, il est essentiel de doter un fleuve de digues adéquates. Il en va de même pour la coexistence humaine. Il faut en premier lieu endiguer l’arrivée d’armes qui, malgré les interdictions, continuent d’arriver dans de nombreux pays de la zone, y compris au Soudan du Sud. Beaucoup de choses sont nécessaires ici, mais certainement pas d’instruments de mort supplémentaires. D’autres digues sont indispensables pour garantir le cours de la vie sociale : je fais référence au développement de politiques de santé adéquates, au besoin d’infrastructures vitales et, en particulier, au rôle primordial de l’alphabétisation et de l’éducation, seule voie pour que les enfants de cette terre prennent leur avenir en main. Comme tous les enfants de ce continent et du monde, ils ont le droit de grandir avec en main des cahiers et des jouets, pas des instruments de travail ni des armes.

Le Nil Blanc, enfin, quitte le Soudan du Sud, traverse d’autres États, il rencontre le Nil Bleu et arrive à la mer : le fleuve ne connaît pas de frontières, mais il relie des territoires. De même, pour atteindre un développement convenable, il est essentiel, aujourd’hui plus que jamais, de cultiver des relations positives avec d’autres pays, à commencer par ceux qui sont autour. Je pense également à la précieuse contribution de la Communauté internationale à l’égard de ce pays : j’exprime ma reconnaissance pour l’engagement visant à en favoriser la réconciliation et le développement. Je suis convaincu que, pour apporter des contributions fructueuses, la compréhension réelle des dynamiques et des problèmes sociaux est indispensable. Il ne suffit pas de les observer et de les dénoncer de l’extérieur. Il faut s’impliquer, avec patience et détermination et, plus généralement, résister à la tentation d’imposer des modèles préétablis et étrangers à la réalité locale. Comme le disait saint Jean-Paul II, il y a trente ans, au Soudan : « des solutions africaines doivent être trouvées aux problèmes africains » (Appel à la Cérémonie de bienvenue, 10 février 1993).

Monsieur le Président, distinguées Autorités, en suivant le cours du Nil, j’ai voulu m’introduire dans le cheminement de ce pays qui m’est cher autant qu’il est jeune. Je sais que certaines de mes expressions peuvent avoir été franches et directes, mais je vous prie de croire que cela naît seulement de l’affection et de la préoccupation avec lesquelles je suis vos vicissitudes, avec les frères avec lesquels je suis venu ici, pèlerin de paix. Nous désirons offrir de tout cœur notre prière et notre soutien afin que le Soudan du Sud se réconcilie et change de cap, pour que son cours vital ne soit plus empêché par l’inondation de la violence, entravé par les marais de la corruption et anéanti par le débordement de la pauvreté. Que le Seigneur du ciel, qui aime cette terre, lui donne un temps nouveau de paix et de prospérité : que Dieu bénisse la République du Soudan du Sud !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

Discours du Saint-Père aux représentants de certaines œuvres caritatives

Le pape François s’adressant aujourd’hui de la nonciature apostolique aux représentants de certaines œuvres caritatives.

Le Saint-Père effectue son 40e voyage apostolique en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud (Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud) du 31 janvier au 5 février.

 

RENCONTRE AVEC LES REPRÉSENTANTS DE CERTAINES ŒUVRES CARITATIVES

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Nonciature apostolique (Kinshasa)
Mercredi 1er février 2023

 

Chers frères et sœurs,

je vous salue affectueusement et vous remercie pour les chants, pour les témoignages et pour ce que vous m’avez raconté, mais surtout pour tout ce que vous faites ! Dans ce pays où il y a beaucoup de violences qui résonnent comme le bruit sourd d’un arbre abattu, vous êtes la forêt qui pousse chaque jour en silence et qui rend l’air meilleur, respirable. Bien sûr, l’arbre qui tombe fait davantage de bruit, mais Dieu aime et cultive la générosité qui germe silencieusement et porte du fruit. Il pose son regard avec joie sur ceux qui servent les nécessiteux. C’est ainsi que le bien grandit, dans la simplicité des mains et des cœurs tendus vers les autres, dans le courage des petits pas pour s’approcher des plus faibles au nom de Jésus. Le proverbe cité par Cecilia est vrai : « Mille pas commencent toujours par un premier » !

Une chose m’a frappé : vous ne vous êtes pas contentés de me lister les problèmes sociaux, et vous n’avez pas énuméré beaucoup de données sur la pauvreté. Mais vous avez surtout parlé avec affection des pauvres. Vous avez parlé de vous-mêmes et de personnes que vous ne connaissiez pas auparavant et qui vous sont maintenant devenues familières : des noms et des visages. Merci pour ce regard qui sait reconnaître Jésus dans les plus petits de ses frères. Le Seigneur doit être cherché et aimé dans les pauvres et, en tant que chrétiens, nous devons faire attention lorsque nous nous détournons d’eux : car quelque chose ne va pas quand un croyant tient à distance les bien-aimés du Christ.

Alors que beaucoup de gens aujourd’hui les rejettent, vous, vous les embrassez ; alors que le monde les exploite, vous, vous les promouvez. La promotion contre l’exploitation : voilà la forêt qui pousse, alors que la déforestation du rejet fait rage ! Je voudrais donner de la voix à ce que vous faites, favoriser la croissance et l’espérance en République Démocratique du Congo, et sur ce continent. Je suis venu ici animé par le désir de donner de la voix à ceux qui n’en ont pas. Comme j’aimerais que les médias accordent davantage de place à ce pays et à l’Afrique dans son ensemble ! Que les peuples, les cultures, les souffrances et les espérances de ce jeune continent d’avenir soient connus ! On découvrira d’immenses talents, des histoires de véritable grandeur humaine et chrétienne, des histoires nées dans un climat authentique qui sait respecter les plus petits, les personnes âgées et la création.

Il est beau de vous donner la parole ici, à la Nonciature, parce que les Représentations Pontificales, les « maisons du Pape » disséminées dans le monde, sont et doivent être des amplificateurs de la promotion humaine, des pôles de charité à l’avant-garde de la diplomatie de la miséricorde, pour favoriser les aides concrètes et promouvoir les réseaux de coopération. Cela se fait déjà, sans bruit, dans de nombreuses parties du monde et ici depuis longtemps : cette maison est une présence proche depuis des décennies. Inaugurée il y a quatre-vingt-dix ans comme Délégation Apostolique, elle fêtera dans quelques jours le soixantième anniversaire de son élévation au rang de Nonciature.

Frères et sœurs qui aimez ce pays et vous consacrez à son peuple, ce que vous faites est merveilleux mais n’est en rien facile. On pleure lorsque l’on entend des histoires, comme celles que vous m’avez racontées, de personnes souffrantes condamnées par l’indifférence générale à une vie errante, qui les conduit à vivre dans la rue, les exposant aux risques de violences physiques et d’abus sexuels, et même à l’accusation de sorcellerie, alors qu’elles n’ont besoin que d’amour et de soins. Tekadio, j’ai été touché par ce que tu nous as dit : à cause de la lèpre, tu te sens, encore aujourd’hui en 2023, « discriminé, regardé avec mépris et humilié », lorsque les gens, avec un mélange de honte, d’incompréhension et de peur, se dépêchent de nettoyer là même où ta seule ombre est passée. La pauvreté et le rejet offensent l’homme, ils en défigurent la dignité : ce sont comme des cendres qui éteignent le feu qu’il porte en lui. Oui, toute personne, dans la mesure où elle est créée à l’image de Dieu, resplendit d’un feu lumineux, mais seul l’amour retire la cendre qui la recouvre. Ce n’est qu’en rendant la dignité que l’on restaure l’humanité ! J’ai été attristé d’entendre qu’ici aussi, comme dans de nombreuses régions du monde, les enfants et les personnes âgées sont mis au rebut. Plus que scandaleux cela porte préjudice à toute la société qui se construit, précisément, à partir de l’attention portée aux personnes âgées et aux enfants, aux racines et à l’avenir. Rappelons-nous : un développement véritablement humain ne peut se faire sans mémoire et sans avenir. Mémoire, apportée par les personnes âgées, avenir, apporté par les jeunes.

Frères et sœurs, aujourd’hui, avec vous et à travers vous, je voudrais partager avec les nombreux bienfaiteurs de ce grand pays deux interrogations. Tout d’abord, cela en vaut-il la peine ? Vaut-il la peine de s’engager face à un océan de besoins qui ne cesse d’augmenter de façon dramatique ? N’est-ce pas un effort vain, en plus d’être souvent décourageant ? Ce qu’a dit Sœur Maria Celeste nous aide : « Malgré notre petitesse, le Seigneur crucifié désire nous avoir à ses côtés pour soutenir le drame du monde ». C’est vrai, la charité nous met en harmonie avec Dieu, et Il nous surprend avec des prodiges inespérés qui se produisent à travers ceux qui aiment. Vos histoires sont riches d’événements merveilleux, connus du cœur de Dieu et impossibles aux seules forces humaines. Je pense à ce que tu nous as raconté, Pierre, quand tu as dit que dans le désert de l’impuissance et de l’indifférence, dans la mer de la souffrance, avec tes amis, tu as découvert que Dieu ne vous avait pas oublié, parce qu’il vous a envoyé des personnes qui ne se sont pas détournées en traversant la rue où vous étiez. Ainsi, sur leur visage, vous avez redécouvert celui de Jésus et vous voulez maintenant faire de même pour les autres. Le bien est ainsi, il se diffuse, il ne se laisse pas paralyser par la résignation et les statistiques, mais invite à donner aux autres ce que l’on a reçu gratuitement. Je reçois et je donne. Il faut que les jeunes en particulier voient cela : des visages qui surmontent l’indifférence en regardant les personnes dans les yeux ; des mains qui ne prennent pas les armes et ne manipulent pas d’argent, mais qui se tendent vers ceux qui sont à terre et les relèvent dans leur dignité, leur dignité de fille et de fils de Dieu. Il n’est permis de regarder une personne de haut que dans un seul cas : pour l’aider à se relever. Sinon, on ne peut jamais regarder une personne de haut.

Cela en vaut donc la peine, et c’est un beau signe que les Autorités, par le biais des récents accords avec la Conférence Épiscopale, aient reconnu et valorisé le travail de tous ceux qui s’engagent dans le domaine social et caritatif. Cela ne signifie sûrement pas que l’on puisse systématiquement déléguer à des volontaires le soin des plus fragiles, ou encore l’engagement pour la santé et pour l’instruction. Ce sont les tâches prioritaires de ceux qui gouvernent, avec l’attention d’assurer les services de base, y compris à la population qui vit loin des grands centres urbains. En même temps, ceux qui croient au Christ ne doivent jamais ternir le témoignage de la charité, qui est un témoignage de Dieu, par la poursuite de privilèges, de prestige, de visibilité et de pouvoir. C’est une mauvaise chose, à ne jamais faire ! Non, les moyens, les ressources et les bons résultats sont pour les pauvres, et ceux qui s’en occupent doivent toujours se rappeler que le pouvoir est un service, que la charité ne conduit pas à se reposer sur ses lauriers mais exige de la diligence et du concret. Dans cette perspective, parmi les nombreuses choses à faire, je voudrais souligner un défi qui concerne tout le monde et pas seulement ce pays. La cause la pauvreté n’est pas tant l’absence de biens et d’opportunités, mais leur inéquitable répartition. Les personnes aisées, surtout si elles sont chrétiennes, sont appelées à partager ce qu’elles possèdent avec ceux qui manquent du nécessaire, d’autant plus s’ils appartiennent au même peuple. Ce n’est pas une question de bonté, mais de justice. Ce n’est pas de la philanthropie, c’est de la foi ; car, comme le dit l’Écriture, « la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2, 26).

Voilà donc une deuxième question portant précisément sur le devoir et sur l’urgence du bien : comment le faire ? Comment faire de la charité, quels critères suivre ? Je voudrais vous proposer à ce sujet trois points simples. Ce sont des choses que les institutions caritatives opérant ici connaissent déjà, mais il est bon de les rappeler afin que le fait de servir Jésus dans les pauvres devienne un témoignage toujours plus fécond.

Tout d’abord, la charité appelle l’exemplarité. La charité n’est pas en effet seulement une chose que l’on fait, mais une expression de ce que l’on est. Elle est un mode de vie, elle consiste à vivre l’Évangile. Crédibilité et transparence sont donc nécessaires. Je pense à la gestion financière et administrative des projets, mais aussi à l’engagement à offrir des services appropriés et qualifiés. C’est précisément l’esprit qui caractérise tant d’œuvres ecclésiales dont ce pays bénéficie et qui ont marqué son histoire. Qu’il y ait toujours de l’exemplarité !

Deuxième point : la prévoyance, c’est-à-dire le fait de savoir regarder en avant. Il est essentiel que les initiatives et les bonnes œuvres, en plus de répondre aux besoins immédiats, soient viables et durables ; pas simplement faites pour assister, mais mises en œuvre sur la base de ce qui peut réellement être fait et dans une perspective à long terme, afin qu’elles durent dans le temps et ne se terminent pas avec ceux qui les ont lancées. Dans ce pays, par exemple, le sol est incroyablement fécond, la terre extrêmement fertile. La générosité de ceux qui aident ne peut manquer d’épouser cette caractéristique en favorisant le développement de ceux qui peuplent cette terre, en leur apprenant à la cultiver, en donnant vie à des projets de développement qui mettent l’avenir entre leurs mains. Plutôt que de distribuer des biens dont il y aura toujours besoin, il est préférable de transmettre des connaissances et des outils qui rendent le développement autonome et durable. À ce sujet, je pense aussi à la grande contribution offerte par l’assistance sanitaire catholique qui, dans ce pays comme en de nombreux pays du monde, soulage et donne espérance à la population en allant à la rencontre de ceux qui souffrent, avec gratuité et sérieux, cherchant toujours, comme il se doit, à secourir avec des instruments modernes et appropriés.

Exemplarité, prévoyance et enfin – troisième élément – la connexion. Frères et sœurs, il est nécessaire de se mettre en réseau, non seulement virtuellement mais aussi concrètement, comme cela se passe dans ce pays avec la symphonie de la vie de la grande forêt et de sa végétation variée. Se mettre en réseau: travailler de plus en plus ensemble, être en synergie constante entre vous, en communion avec les Églises locales et avec le territoire. Travailler en réseau : chacun avec son propre charisme mais ensemble, reliés, en partageant les urgences, les priorités, les besoins, sans fermetures ni auto-référentialité, prêts à travailler avec d’autres communautés chrétiennes et d’autres religions, et avec les nombreuses organisations humanitaires présentes. Tout cela pour le bien des pauvres. Se mettre en réseau avec tous.

Chers frères et sœurs, je vous laisse sur ces points et je vous remercie pour ce que vous avez laissé dans mon cœur aujourd’hui. Oui, merci beaucoup parce que vous avez touché mon cœur. Vous êtes précieux. Je vous bénis et vous demande, s’il vous plaît, de continuer à prier pour moi qui en ai besoin. Merci !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Discours du Saint-Père aux victimes de la violence dans l’est de la République démocratique du Congo

 

Le pape François s’adressant aujourd’hui de la nonciature apostolique, aux victimes de la violence dans l’est de la République démocratique du Congo.

Le Saint-Père effectue son 40e voyage apostolique en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud (Pèlerinage Œcuménique de Paix au Soudan du Sud) du 31 janvier au 5 février.

 

RENCONTRE AVEC LES VICTIMES DE LA VIOLENCE
DANS L’EST DU PAYS

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Nonciature apostolique (Kinshasa)
Mercredi 1er février 2023

 

Chers frères et sœurs !

Merci pour le courage de ces témoignages. Face à la violence inhumaine que vous avez vue de vos yeux et éprouvée dans votre chair, on reste sous le choc. Il n’y a qu’à pleurer, sans paroles, en restant en silence. Bunia, Beni-Butembo, Goma, Masisi, Rutshuru, Bukavu, Uvira, des lieux que les médias internationaux ne mentionnent presque jamais : ici et ailleurs, beaucoup de nos frères et sœurs, enfants de la même humanité, sont pris en otage par l’arbitraire du plus fort, par celui qui tient en main les armes les plus puissantes, des armes qui continuent à circuler. Mon cœur se rend aujourd’hui dans l’Est de cet immense pays, qui n’aura pas de paix tant qu’elle ne sera pas obtenue là, dans sa partie orientale.

À vous, chers habitants de l’Est, je veux vous dire : je suis proche de vous. Vos larmes sont mes larmes, votre souffrance est ma souffrance. À chaque famille en deuil ou déplacée en raison des villages brûlés et d’autres crimes de guerre, aux survivants des violences sexuelles, à chaque enfant et adulte blessé, je dis : je suis avec vous, je veux vous apporter la caresse de Dieu. Son regard tendre et compatissant se pose sur vous. Alors que les violents vous traitent comme des objets, le Père qui est aux cieux voit votre dignité et il dit à chacun de vous : « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime » (Is 43, 4). Frères et sœurs, l’Église est et sera toujours de votre côté. Dieu vous aime, il ne vous a pas oubliés. Puissent les hommes aussi se souvenir de vous !

C’est en son nom, avec les victimes et ceux qui s’engagent pour la paix, la justice et la fraternité, que je condamne les violences armées, les massacres, les viols, la destruction et l’occupation des villages, le pillage des champs et du bétail qui continuent d’être perpétrés en République Démocratique du Congo. Et aussi l’exploitation, sanglante et illégale, de la richesse de ce pays, ainsi que les tentatives de partition dans le but de pouvoir le gérer. Cela remplit d’indignation le fait que l’insécurité, la violence et la guerre qui frappent tragiquement tant de personnes sont honteusement alimentées, non seulement par des forces extérieures, mais aussi de l’intérieur, pour en tirer des intérêts et des avantages. Je m’adresse au Père qui est aux cieux, qui nous veut tous frères et sœurs sur la terre. J’incline humblement la tête et, la douleur dans le cœur, je lui demande pardon pour la violence de l’homme sur l’homme. Père, aie pitié de nous. Console les victimes et ceux qui souffrent. Convertis les cœurs de ceux qui commettent de cruelles atrocités qui jettent la honte sur l’humanité tout entière ! Et ouvre les yeux de ceux qui les ferment ou qui se détournent devant ces abominations.

Il s’agit de conflits qui forcent des millions de personnes à quitter leurs maisons, qui provoquent de très graves violations des droits de l’homme, qui désintègrent le tissu socio-économique, qui causent des blessures difficiles à guérir. Ce sont des luttes partisanes où s’entremêlent des dynamiques ethniques, territoriales et de groupe ; des conflits qui ont affaire avec la propriété foncière, l’absence ou la faiblesse des institutions, les haines où le blasphème de la violence au nom d’un faux dieu s’infiltre. Mais c’est surtout une guerre déchainée par une insatiable avidité de matières premières et d’argent, qui alimente une économie armée laquelle exige instabilité et corruption. Quel scandale et quelle hypocrisie : les personnes sont violées et tuées alors que les affaires qui provoquent violences et morts continuent à prospérer !

J’adresse un vibrant appel à toutes les personnes, à toutes les entités internes et externes qui tirent les ficelles de la guerre en République Démocratique du Congo, en la pillant, en la flagellant et en la déstabilisant. Vous vous enrichissez par l’exploitation illégale des biens de ce pays et le sacrifice cruel de victimes innocentes. Entendez le cri de leur sang (cf. Gn 4, 10), prêtez l’oreille à la voix de Dieu qui vous appelle à la conversion, et à celle de votre conscience : faites taire les armes, mettez fin à la guerre. Cela suffit ! Cela suffit de s’enrichir sur le dos des plus faibles, cela suffit de s’enrichir avec des ressources et de l’argent entachés de sang !

Chers frères et sœurs, et nous, que pouvons-nous faire ? Par où commencer ? Comment agir pour promouvoir la paix ? Je voudrais humblement vous proposer de repartir de deux “non” et de deux “oui”.

Tout d’abord, non à la violence, toujours et, en tout cas, sans “si” et sans “mais”. Non à la violence ! Aimer son peuple c’est ne pas nourrir de haine envers les autres. Au contraire, aimer son pays c’est refuser de se laisser entraîner par ceux qui incitent à recourir à la force. C’est un tragique mensonge : la haine et la violence, à plus forte raison pour ceux qui sont chrétiens, ne sont jamais acceptables, jamais justifiables, jamais tolérables. La haine engendre seulement davantage de haine et la violence davantage de violence. Un “non” clair et fort doit ensuite être dit à ceux qui propagent au nom de Dieu cette violence, cette haine. Chers Congolais, ne vous laissez pas séduire par les personnes ou les groupes qui incitent à la violence en son nom. Dieu est le Dieu de la paix et non de la guerre. Prêcher la haine est un blasphème. Et la haine ronge toujours le cœur de l’homme. Celui qui vit de violence, en effet, ne vit jamais bien : il pense sauver sa vie mais il est emporté dans un tourbillon de mal qui, en l’amenant à combattre les frères et sœurs avec lesquels il a grandi et vécu pendant des années, le tue à l’intérieur.

Mais pour dire vraiment “non” à la violence, il ne suffit pas d’éviter les actes violents. Il faut extirper les racines de la violence : je pense à l’avidité, à l’envie, et surtout à la rancœur. Alors que je m’incline avec respect devant la souffrance endurée par beaucoup, je voudrais demander à chacun de se comporter de la manière que vous nous avez suggérée, vous, témoins courageux qui avez le courage de désarmer votre cœur. Je le demande à tous, au nom de Jésus qui a pardonné à ceux qui lui ont transpercé les poignets et les pieds avec les clous pour le fixer à une croix : je vous prie de désarmer votre cœur. Cela ne veut pas dire cesser de s’indigner devant le mal et ne pas le dénoncer ; ceci est un devoir ! Cela ne signifie pas non plus l’impunité et l’annulation des atrocités, en allant comme si de rien n’était. Ce qui nous est demandé, au nom de la paix, au nom du Dieu de la paix, c’est de démilitariser le cœur : ôter le poison, rejeter la haine, désamorcer l’avidité, effacer le ressentiment. Dire “non” à tout cela semblerait être de la faiblesse ; mais en réalité cela rend libre, parce que cela donne la paix. Oui, la paix naît des cœurs, des cœurs libérés de la rancœur.

Il y a ensuite un deuxième “non” à dire : non à la résignation. La paix demande de combattre le découragement, la morosité et la méfiance qui conduisent à croire qu’il vaut mieux se méfier de tout le monde, vivre séparés et éloignés plutôt que de se tendre la main et marcher ensemble. Encore une fois, au nom de Dieu, je renouvelle l’invitation pour que ceux qui vivent en République Démocratique du Congo ne baissent pas les bras, mais s’engagent pour construire un avenir meilleur. Un avenir de paix ne tombera pas du ciel ; il pourra advenir si les cœurs sont débarrassés du fatalisme résigné et de la peur de s’impliquer avec les autres. Un avenir différent adviendra s’il vient de tous et non de quelques-uns, s’il est pour tous et non contre qui que ce soit. Un avenir nouveau adviendra si l’autre, qu’il soit tutsi ou hutu, n’est plus un adversaire ou un ennemi, mais un frère et une sœur dans les cœurs duquel il faut croire que se trouve, caché, le même désir de paix. Dans l’Est aussi, la paix est possible ! Croyons-y ! Travaillons-y sans renvoyer le changement !

On ne peut pas construire l’avenir en restant enfermé dans ses intérêts particuliers, replié dans ses groupes, dans ses ethnies et dans ses clans. Un adage swahili enseigne : « jirani ni ndugu » [le voisin est un frère]. Frère, sœur, tous tes voisins sont tes frères, qu’ils soient Burundais, Ougandais ou Rwandais. Nous sommes tous frères, parce que fils du même Père. Ainsi nous l’enseigne la foi chrétienne, professée par une grande partie de la population. Alors, levons le regard vers le Ciel et ne restons pas prisonniers de la crainte : le mal que chacun a souffert doit être converti en bien pour tous. Que le découragement qui paralyse cède la place à une ardeur renouvelée, à une lutte intrépide pour la paix, à des intentions courageuses de fraternité, à la beauté de crier ensemble plus jamais : plus jamais de violence, plus jamais de rancœur, plus jamais de résignation !

Et nous voici enfin aux deux “oui” pour la paix. Avant tout, oui à la réconciliation. Chers amis, ce que vous allez faire est merveilleux. Vous voulez vous engager à vous pardonner mutuellement et à répudier les guerres et les conflits pour résoudre les distances et les différences. Et vous voulez le faire en priant ensemble, dans un instant, serrés autour de l’arbre de la Croix sous lequel, avec grand courage, vous voulez déposer les signes des violences que vous avez vues et subies : uniformes, machettes, marteaux, haches, couteaux… La croix aussi était un instrument de souffrance et de mort, le plus terrible au temps de Jésus, mais, traversé par son amour, il est devenu un instrument universel de réconciliation, un arbre de vie.

Je voudrais vous dire : soyez, vous aussi, des arbres de vie. Faites comme les arbres qui absorbent la pollution et qui restituent l’oxygène. Ou bien, comme le dit un proverbe : “Dans la vie, fais comme le palmier : il reçoit des pierres, il rend des dattes”. Telle est la prophétie chrétienne : répondre au mal par le bien, à la haine par l’amour, à la division par la réconciliation. La foi porte en elle une idée nouvelle de justice qui ne se contente pas de punir et renonce à venger, mais qui veut réconcilier, désamorcer de nouveaux conflits, éteindre la haine, pardonner. Et tout cela est plus fort que le mal. Savez-vous pourquoi ? Parce qu’elle transforme la réalité de l’intérieur plutôt qu’elle ne la détruit de l’extérieur. C’est ainsi seulement que l’on vainc le mal, tout comme Jésus l’a fait sur l’arbre de la croix, s’en chargeant et le transformant par son amour. La souffrance s’est ainsi transformée en espérance. Chers amis, seul le pardon ouvre les portes à demain, car il ouvre les portes à une justice nouvelle, sans oublier, défait le cercle vicieux de la vengeance. Se réconcilier, c’est engendrer demain : c’est croire en l’avenir plutôt que rester ancré dans le passé ; c’est miser sur la paix plutôt que se résigner à la guerre ; c’est s’évader de la prison de ses bonnes raisons pour s’ouvrir aux autres et goûter ensemble la liberté.

Ensuite le dernier “oui”, décisif : oui à l’espérance. Si la réconciliation peut être représentée comme un arbre, comme un palmier qui donne du fruit, l’espérance est l’eau qui le rend florissant. Cette espérance a une source et cette source a un nom, que je veux proclamer ici avec vous : Jésus ! Jésus ! Avec Lui, le mal n’a plus le dernier mot sur la vie ; avec Lui, qui a fait d’un sépulcre – terminus de l’itinéraire humain – le début d’une histoire nouvelle, de nouvelles possibilités s’ouvrent toujours. Avec Lui, chaque tombe peut se transformer en un berceau, chaque calvaire en un jardin pascal. Avec Jésus l’espérance naît et renaît : pour celui qui a subi le mal et aussi pour celui qui l’a commis. Frères et sœurs de l’Est du pays, cette espérance est pour vous, vous y avez droit. Mais c’est aussi un droit à conquérir. Comment ?  En la semant chaque jour, avec patience. Je reviens à l’image du palmier. Un proverbe dit : « Quand tu manges la noix, tu vois le palmier, mais celui qui l’a planté est retourné à la terre depuis longtemps ». En d’autres termes, pour conquérir les fruits espérés, il faut travailler dans le même esprit que les planteurs de palmiers, en pensant aux générations futures et non aux résultats immédiats. Semer le bien fait du bien : cela libère de la logique étroite du gain personnel et offre à chaque journée son pourquoi. Cela met dans la vie le souffle de la gratuité et nous rend davantage semblables à Dieu, semeur patient qui répand l’espérance sans jamais se lasser.

Aujourd’hui, je remercie et je bénis tous les semeurs de paix qui œuvrent dans le pays : les personnes et les institutions qui se dépensent dans l’aide et dans la lutte en faveur des victimes de la violence, de l’exploitation et des catastrophes naturelles ; les femmes et les hommes qui sont ici animés par le désir de promouvoir la dignité des personnes. Certains ont perdu la vie alors qu’ils servaient la paix, comme l’Ambassadeur Luca Attanasio, le Gendarme Vittorio Iacovacci et le chauffeur Mustapha Milambo, assassinés il y a deux ans dans l’Est du pays. Ils étaient des semeurs d’espérance et leur sacrifice ne sera pas perdu.

Frères et sœurs, fils et filles de l’Ituri, du Nord et du Sud Kivu, je suis proche de vous, je vous étreins et je vous bénis tous. Je bénis chaque enfant, adulte, personne âgée, chaque personne blessée par la violence en République Démocratique du Congo, en particulier chaque femme et chaque mère. Et je prie pour que la femme, toute femme, soit respectée, protégée et valorisée : commettre une violence sur une femme et sur une mère, c’est la faire à Dieu lui-même, qui, d’une femme, d’une mère, a pris la condition humaine. Que Jésus, notre frère, Dieu de la réconciliation qui a planté l’arbre de vie de la croix au cœur des ténèbres du péché et de la souffrance, Jésus, Dieu de l’espérance qui croit en vous, en votre pays et en votre avenir, qu’il bénisse vous tous et vous console. Qu’il répande sa paix dans vos cœurs, dans vos familles et dans toute la République Démocratique du Congo. Merci !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

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