Clôture des Rencontres méditerranéennes : Discours du Saint-Père

La pièce maîtresse de la visite apostolique du pape François à Marseille a été son discours de clôture des Rencontres méditerranéennes, un rassemblement semi-régulier d’évêques, de jeunes, d’artistes et d’activistes d’Europe du Sud, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Il a déclaré : « Dans la mer de conflits d’aujourd’hui, nous sommes ici pour renforcer la contribution de la Méditerranée, afin qu’elle redevienne un laboratoire de paix. Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes peuvent se rencontrer sur la base de l’humanité que nous partageons tous, et non sur la base d’idéologies opposées. »

Clôture des Rencontres méditerranéennes
Discours de Sa Sainteté
Palais du Pharo, Marseille
Samedi 23 septembre 2023

Voici le texte intégral de son discours:

Monsieur le Président de la République,
chers frères Évêques,
Mesdames et Messieurs les Maires et Autorités représentant les villes et territoires bordés par la Méditerranée,
Vous tous chers amis !

Je vous salue cordialement et vous suis, à chacun, reconnaissant d’avoir accepté l’invitation du cardinal Aveline à participer à ces rencontres. Je vous remercie pour votre travail et pour les réflexions précieuses que vous avez partagées. Après Bari et Florence, le chemin au service des peuples méditerranéens se poursuit : les responsables ecclésiastiques et civils sont encore ici réunis, non pas pour traiter d’intérêts mutuels, mais animés par le désir de s’occuper de l’homme ; merci de le faire avec les jeunes qui sont le présent et l’avenir de l’Église comme de la société.

La ville de Marseille est très ancienne. Fondée par des navigateurs grecs venus d’Asie Mineure, le mythe la fait remonter à une histoire d’amour entre un marin émigré et une princesse locale. Elle présente dès ses origines un caractère composite et cosmopolite : elle accueille les richesses de la mer et donne une patrie à ceux qui n’en ont plus. Marseille nous dit que, malgré les difficultés, la convivialité est possible et qu’elle est source de joie. Sur la carte, entre Nice et Montpellier, elle semble presque dessiner un sourire ; et j’aime à la considérer ainsi : Marseille est « le sourire de la Méditerranée ». Je voudrais donc vous proposer quelques réflexions autour de trois réalités qui caractérisent Marseille : la mer, le port et le phare. Ce sont trois symboles.

1. La mer. Une marée de peuples a fait de cette ville une mosaïque d’espérance, avec sa grande tradition multiethnique et multiculturelle, représentée par plus de 60 consulats présents sur son territoire. Marseille est une ville à la fois plurielle et singulière, car c’est sa pluralité, fruit de sa rencontre avec le monde, qui rend son histoire singulière. On entend souvent dire aujourd’hui que l’histoire de la Méditerranée est un entrelacement de conflits entre différentes civilisations, religions et visions. Nous n’ignorons pas les problèmes – il y en a – mais ne nous y trompons pas : les échanges entre peuples ont fait de la Méditerranée un berceau de civilisations, une mer qui regorge de trésors, au point que, comme l’écrivait un grand historien français, elle n’est pas « un paysage, mais d’innombrables paysages. Ce n’est pas une mer, mais une succession de mers » ; « depuis des millénaires, tout s’y est engouffré, compliquant et enrichissant son histoire » (F. Braudel, La Méditerranée, Paris 1985, p. 16). La mare nostrum est un espace de rencontres : entre les religions abrahamiques, entre les pensées grecque, latine et arabe, entre la science, la philosophie et le droit, et entre bien d’autres réalités. Elle a diffusé dans le monde la haute valeur de l’être humain, doté de liberté, ouvert à la vérité et en mal de salut, qui voit le monde comme une merveille à découvrir et un jardin à habiter, sous le signe d’un Dieu qui fait alliance avec les hommes.

Un grand Maire voyait dans la Méditerranée non pas une question conflictuelle, mais une réponse de paix, mieux encore, « le commencement et le fondement de la paix entre toutes les nations du monde » (G. La Pira, Paroles en conclusion du premier Colloque Méditerranéen, 6 octobre 1958). Il disait en effet : « La réponse […] est possible si l’on considère la vocation historique commune et pour ainsi dire permanente que la Providence a assignée dans le passé, assigne dans le présent et, en un certain sens, assignera dans l’avenir aux peuples et aux nations qui vivent sur les rives de ce mystérieux lac de Tibériade élargi qu’est la Méditerranée » (Discours d’ouverture du 1er Colloque méditerranéen, 3 octobre 1958). Lac de Tibériade, ou Mer de Galilée : un lieu, c’est-à-dire, où se concentrait à l’époque du Christ une grande variété de peuples, de cultes et de traditions. C’est là, dans la « Galilée des nations » (cf. Mt 4, 15), traversée par la Route de la Mer, que se déroula la plus grande partie de la vie publique de Jésus. Un contexte multiforme et, à bien des égards, instable, fut le lieu de la proclamation universelle des Béatitudes, au nom d’un Dieu Père de tous, qui « fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5, 45). C’était aussi une invitation à élargir les frontières du cœur, en dépassant les barrières ethniques et culturelles. Voici donc la réponse qui vient de la Méditerranée : cette mer pérenne de Galilée invite à opposer la « convivialité des différences » à la division des conflits (T. Bello, Benedette inquietudini, Milano 2001, p. 73). La mare nostrum, au carrefour du Nord et du Sud, de l’Est et de l’Ouest, concentre les défis du monde entier comme en témoignent ses « cinq rives » sur lesquelles vous avez réfléchi : l’Afrique du Nord, le Proche-Orient, la mer Noire-Égée, les Balkans et l’Europe latine. Elle est à l’avant-poste de défis qui concernent tout le monde : nous pensons au défi climatique, la Méditerranée représentant un hotspot où les changements se font sentir plus rapidement. Comme il est important de sauvegarder le maquis méditerranéen, écrin unique de biodiversité ! Bref, cette mer, environnement qui offre une approche unique de la complexité, est un « miroir du monde », et elle porte en elle une vocation mondiale à la fraternité, vocation unique et unique voie pour prévenir et surmonter les conflits.

Frères et sœurs, sur la mer actuelle des conflits, nous sommes ici pour valoriser la contribution de la Méditerranée, afin qu’elle redevienne un laboratoire de paix. Car telle est sa vocation : être un lieu où des pays et des réalités différentes se rencontrent sur la base de l’humanité que nous partageons tous, et non d’idéologies qui opposent. Oui, la Méditerranée exprime une pensée qui n’est pas uniforme ni idéologique, mais polyédrique et adhérente à la réalité ; une pensée vitale, ouverte et conciliante : une pensée communautaire, c’est le mot. Comme nous avons besoin de cela dans les circonstances actuelles où des nationalismes archaïques et belliqueux veulent faire disparaître le rêve de la communauté des nations ! Mais – rappelons-le – avec les armes on fait la guerre, pas la paix, et avec l’avidité du pouvoir on retourne toujours au passé, on ne construit pas l’avenir.

Par où commencer alors pour enraciner la paix ? Sur les rives de la Mer de Galilée, Jésus commença par donner de l’espérance aux pauvres, en les proclamant bienheureux : il écouta leurs besoins, il soigna leurs blessures, il leur annonça avant tout la bonne nouvelle du Royaume. C’est de là qu’il faut repartir, du cri souvent silencieux des derniers, et non des premiers de la classe qui élèvent la voix même s’ils sont bien lotis. Repartons, Église et communauté civile, de l’écoute des pauvres qui sont à « s’embrasser, et non pas à compter » (P. Mazzolari, La parola ai poveri, Bologne 2016, p. 39), car ils sont des visages et non des numéros. Le changement de rythme de nos communautés consiste à les traiter comme des frères dont nous devons connaître l’histoire, et non comme des problèmes gênants, en les expulsant, en les renvoyant chez eux ; il consiste à les accueillir, et non les cacher ; à les intégrer, et non s’en débarrasser ; à leur donner de la dignité. Et Marseille, je veux le répéter, est la capitale de l’intégration des peuples. C’est votre fierté ! Aujourd’hui, la mer de la coexistence humaine est polluée par la précarité qui blesse même la splendide Marseille. Et là où il y a précarité il y a criminalité : là où il y a pauvreté matérielle, éducative, professionnelle, culturelle, religieuse, le terrain des mafias et des trafics illicites est déblayé. L’engagement des seules institutions ne suffit pas, il faut un sursaut de conscience pour dire « non » à l’illégalité et « oui » à la solidarité, ce qui n’est pas une goutte d’eau dans la mer, mais l’élément indispensable pour en purifier les eaux.

En effet, le véritable mal social n’est pas tant l’augmentation des problèmes que le déclin de la prise en charge. Qui aujourd’hui est proche des jeunes livrés à eux-mêmes, proies faciles de la délinquance et de la prostitution ? Qui les prend en charge ? Qui est proche des personnes asservies par un travail qui devrait les rendre plus libres ? Qui s’occupe des familles effrayées, qui ont peur de l’avenir et de mettre au monde de nouvelles créatures ? Qui écoute les gémissements des personnes âgées isolées qui, au lieu d’être valorisées, sont parquées dans la perspective faussement digne d’une mort douce, en réalité plus salée que les eaux de la mer ? Qui pense aux enfants à naître, rejetés au nom d’un faux droit au progrès, qui est au contraire une régression de l’individu ? Aujourd’hui, nous avons le drame de confondre les enfants avec les petits chiens. Mon secrétaire me disait qu’en passant par la place Saint-Pierre, il avait vu des femmes qui portaient des enfants dans des poussettes… mais ce n’étaient pas des enfants, c’étaient des petits chiens ! Cette confusion nous dit quelque chose de mauvais. Qui regarde avec compassion au-delà de ses frontières pour entendre les cris de douleur qui montent d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ? Combien de personnes vivent plongées dans les violences et souffrent de situations d’injustice et de persécution ! Et je pense à tant de chrétiens, souvent contraints de quitter leur terre ou d’y vivre sans que leurs droits soient reconnus, sans qu’ils jouissent d’une citoyenneté à part entière. S’il vous plaît, engageons-nous pour que ceux qui font partie de la société puissent en devenir les citoyens de plein droit. Et puis il y a un cri de douleur qui résonne plus que tout autre, et qui transforme la mare nostrum en mare mortuum, la Méditerranée, berceau de la civilisation en tombeau de la dignité. C’est le cri étouffé des frères et sœurs migrants, auxquels je voudrais consacrer mon attention en réfléchissant sur la deuxième image que nous offre Marseille, celle de son port.

2. Le port de Marseille est depuis des siècles une porte grand-ouverte sur la mer, sur la France et sur l’Europe. C’est d’ici que beaucoup sont partis chercher du travail et un avenir à l’étranger, c’est d’ici que beaucoup ont franchi la porte du continent avec des bagages chargés d’espérance. Marseille a un grand port et elle est une grande porte qui ne peut être fermée. Plusieurs ports méditerranéens, en revanche, se sont fermés. Et deux mots ont résonné, alimentant la peur des gens : « invasion » et « urgence ». Et on ferme les ports. Mais ceux qui risquent leur vie en mer n’envahissent pas, ils cherchent hospitalité, ils cherchent la vie. Quant à l’urgence, le phénomène migratoire n’est pas tant une urgence momentanée, toujours bonne à susciter une propagande alarmiste, mais un fait de notre temps, un processus qui concerne trois continents autour de la Méditerranée et qui doit être géré avec une sage prévoyance, avec une responsabilité européenne capable de faire face aux difficultés objectives. Je regarde, ici, sur cette carte, les ports privilégiés pour les migrants : Chypre, la Grèce, Malte, l’Italie et l’Espagne… Ils font face à la Méditerranée et accueillent les migrants. La mare nostrum crie justice, avec ses rivages où, d’un côté, règnent l’opulence, le consumérisme et le gaspillage et, de l’autre, la pauvreté et la précarité. Là encore, la Méditerranée est un reflet du monde : le Sud qui se tourne vers le Nord, avec beaucoup de pays en développement, en proie à l’instabilité, aux régimes, aux guerres et à la désertification, qui regardent les plus aisés, dans un monde globalisé où nous sommes tous connectés mais où les fossés n’ont jamais été aussi profonds. Pourtant, cette situation n’est pas nouvelle de ces dernières années, et ce n’est pas ce Pape venu de l’autre bout du monde à avoir le premier à l’alerté, avec urgence et préoccupation. Cela fait plus de cinquante ans que l’Église en parle de manière pressante.

Le concile Vatican II venait de se conclure lorsque saint Paul VI, dans l’encyclique Populorum progressio, écrivait : « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence. L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère » (n. 3). Le Pape Montini énuméra « trois devoirs » des nations les plus développées, « enracinés dans la fraternité humaine et surnaturelle » : « devoir de solidarité, c’est à dire l’aide que les nations riches doivent apporter aux pays en voie de développement ; devoir de justice sociale, c’est-à-dire le redressement des relations commerciales défectueuses entre peuples forts et peuples faibles ; devoir de charité universelle, c’est-à-dire la promotion d’un monde plus humain pour tous, où tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres » (n. 44). À la lumière de l’Évangile et de ces considérations, Paul VI, en 1967, soulignait le « devoir de l’accueil », sur lequel il écrivait : « nous ne saurions trop insister » (n. 67). Pie XII avait encouragé à cela quinze années auparavant en écrivant que : « La famille de Nazareth en exile, Jésus, Marie et Joseph émigrés en Egypte […] sont le modèle, l’exemple et le soutien de tous les émigrés et pèlerins de tous les temps et de tous les pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, poussés par la persécution ou par le besoin, se voient contraints d’abandonner leur patrie, les personnes qui leurs sont chères, […] et se rendre en terre étrangère » (Const. ap. Exsul Familia de spirituali emigrantium cura, 1er août 1952).

Certes, les difficultés d’accueil sont sous les yeux de tous. Les migrants doivent être accueillis, protégés ou accompagnés, promus et intégrés. Dans le cas contraire, le migrant se retrouve dans l’orbite de la société. Accueillis, accompagnés, promus et intégrés : tel est le style. Il est vrai qu’il n’est pas facile d’avoir ce style ou d’intégrer des personnes non attendues. Cependant le critère principal ne peut être le maintien de leur bien-être, mais la sauvegarde de la dignité humaine. Ceux qui se réfugient chez nous ne doivent pas être considérés comme un fardeau à porter : si nous les considérons comme des frères, ils nous apparaîtront surtout comme des dons. La Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié sera célébrée demain. Laissons-nous toucher par l’histoire de tant de nos frères et sœurs en difficulté qui ont le droit tant d’émigrer que de ne pas émigrer, et ne nous enfermons pas dans l’indifférence. L’histoire nous interpelle à un sursaut de conscience pour prévenir le naufrage de civilisation. L’avenir, en effet, ne sera pas dans la fermeture qui est un retour au passé, une inversion de marche sur le chemin de l’histoire. Contre le terrible fléau de l’exploitation des êtres humains, la solution n’est pas de rejeter, mais d’assurer, selon les possibilités de chacun, un grand nombre d’entrées légales et régulières, durables grâce à un accueil équitable de la part du continent européen, dans le cadre d’une collaboration avec les pays d’origine. Dire « assez » c’est au contraire fermer les yeux ; tenter maintenant de « se sauver » se transformera demain en tragédie. Alors que les générations futures nous remercieront pour avoir su créer les conditions d’une intégration indispensable, elles nous accuseront pour n’avoir favorisé que des assimilations stériles. L’intégration, même des migrants, est difficile, mais clairvoyante : elle prépare l’avenir qui, qu’on le veuille ou non, se fera ensemble ou ne sera pas ; l’assimilation, qui ne tient pas compte des différences et reste rigide dans ses paradigmes, fait prévaloir l’idée sur la réalité et compromet l’avenir en augmentant les distances et en provoquant la ghettoïsation, provoquant hostilité et intolérance. Nous avons besoin de fraternité comme de pain. Le mot même « frère », dans sa dérivation indo-européenne, révèle une racine liée à la nutrition et à la subsistance. Nous ne nous soutiendrons qu’en nourrissant d’espérance les plus faibles, en les accueillant comme des frères. « N’oubliez pas l’hospitalité » (He 13, 2), nous dit l’Écriture. Et dans l’Ancien Testament, il est répété : la veuve, l’orphelin et l’étranger. Les trois devoirs de charité : assister la veuve, assister l’orphelin et assister l’étranger, le migrant.

À cet égard, le port de Marseille est aussi une « porte de la foi ». Selon la tradition, les saints Marthe, Marie et Lazare ont débarqué ici, et ont semé l’Évangile sur ces terres. La foi vient de la mer, comme l’évoque la suggestive tradition marseillaise de la chandeleur avec la procession maritime. Lazare, dans l’Évangile, est l’ami de Jésus, mais c’est aussi le nom du protagoniste d’une parabole très actuelle qui ouvre les yeux sur l’inégalité qui ronge la fraternité et nous parle de la prédilection du Seigneur pour les pauvres. Eh bien, nous chrétiens qui croyons au Dieu fait homme, à l’homme unique et inimitable qui, sur les rives de la Méditerranée, s’est dit chemin, vérité et vie (cf. Jn 14, 6), nous ne pouvons pas accepter que les voies de la rencontre soient fermées. Ne fermons pas les voies de la rencontre, s’il vous plaît ! Nous ne pouvons accepter que la vérité du dieu argent l’emporte sur la dignité de l’homme, que la vie se transforme en mort ! L’Église, en confessant que Dieu, en Jésus Christ, « s’est en quelque sorte uni à tout homme » (Gaudium et spes, n. 22), croit, avec saint Jean-Paul II, que son chemin est l’homme (cf. Lett. enc. Redemptor hominis, n. 14). Elle adore Dieu et sert les plus fragiles qui sont ses trésors. Adorer Dieu et servir le prochain, voilà ce qui compte : non pas la pertinence sociale ou l’importance numérique, mais la fidélité au Seigneur et à l’homme !

Voilà le témoignage chrétien et, bien souvent, il est héroïque. Je pense par exemple à saint Charles de Foucauld, le « frère universel », aux martyrs de l’Algérie, mais aussi à tant d’artisans de la charité d’aujourd’hui. Dans ce style de vie scandaleusement évangélique, l’Église retrouve le port sûr auquel accoster et d’où repartir pour tisser des liens avec les personnes de tous les peuples, en recherchant partout les traces de l’Esprit et en offrant ce qu’elle a reçu par grâce. Voilà la réalité la plus pure de l’Église, voilà – écrivait Bernanos – « l’Église des saints », ajoutant que « tout ce grand appareil de sagesse, de force, de souple discipline, de magnificence et de majesté n’est rien de lui-même, si la charité ne l’anime » (Jeanne d’Arc relapse et sainte, Paris 1994, p. 74). J’aime exalter cette perspicacité française, génie croyant et créatif qui a affirmé ces vérités à travers une multitude de gestes et d’écrits. Saint Césaire d’Arles disait : « Si tu as la charité, tu as Dieu ; et si tu as Dieu, que ne possèdes-tu pas ? » (Sermo 22, 2). Pascal reconnaissait que « l’unique objet de l’Écriture est la charité » (Pensées, n. 301) et que « la vérité hors de la charitén’est pas Dieu ; elle est son image, et une idole qu’il ne faut point aimerni adorer » (Pensées, n. 767). Et saint Jean Cassien, qui est mort ici, écrivait que « tout, même ce qu’on estime utile et nécessaire, vaut moins que ce bien qu’est la paix et la charité » (Conférences spirituelles XVI, 6).

Il est bon, par conséquent, que les chrétiens ne viennent pas en deuxième position en matière de charité ; et que l’Évangile de la charité soit la magna charta de la pastorale. Nous ne sommes pas appelés à regretter les temps passés ou à redéfinir une importance ecclésiale, nous sommes appelés au témoignage : non pas broder l’Évangile de paroles, mais lui donner de la chair ; non pas mesurer la visibilité, mais nous dépenser dans la gratuité, croyant que « la mesure de Jésus est l’amour sans mesure » (Homélie, 23 février 2020). Saint Paul, l’Apôtre des nations qui passa une bonne partie de sa vie à traverser la Méditerranée d’un port à l’autre, enseignait que pour accomplir la loi du Christ, il faut porter mutuellement le poids des uns des autres (cf. Ga 6, 2). Chers frères évêques, ne chargeons pas les personnes de fardeaux, mais soulageons leurs efforts au nom de l’Évangile de la miséricorde, pour distribuer avec joie le soulagement de Jésus à une humanité fatiguée et blessée. Que l’Église ne soit pas un ensemble de prescriptions, que l’Église soit un port d’espérance pour les personnes découragées. Élargissez vos cœurs, s’il vous plaît ! Que l’Église soit un port de ravitaillement, où les personnes se sentent encouragées à prendre le large dans la vie avec la force incomparable de la joie du Christ. Que l’Église ne soit pas une douane. Souvenons-nous du Seigneur : tous, tous, tous sont invités.

3. Et j’en viens brièvement ainsi à la dernière image, celle du phare. Il illumine la mer et fait voir le port. Quelles traces lumineuses peuvent orienter le cap des Églises dans la Méditerranée ? En pensant à la mer qui unit tant de communautés croyantes différentes, je pense que l’on peut réfléchir sur des parcours plus synergiques, en évaluant peut-être aussi l’opportunité d’une Conférence ecclésiale de la Méditerranée, comme l’a dit le Cardinal [Aveline], qui permettrait de nouvelles possibilités d’échanges et qui donnerait une plus grande représentativité ecclésiale à la région. En pensant au port et au thème migratoire, il pourrait être profitable de travailler à une pastorale spécifique encore plus reliée, afin que les diocèses les plus exposés puissent assurer une meilleure assistance spirituelle et humaine aux sœurs et aux frères qui arrivent dans le besoin.

Le phare, dans ce prestigieux palais qui porte son nom, me fait enfin penser surtout aux jeunes : ce sont eux la lumière qui indique la route de l’avenir. Marseille est une grande ville universitaire qui abrite quatre campus : sur les quelque 35000 étudiants qui les fréquentent, 5000 sont étrangers. Par où commencer à tisser des liens entre les cultures, sinon par l’université ? Là, les jeunes ne sont pas fascinés par les séductions du pouvoir, mais par le rêve de construire l’avenir. Que les universités méditerranéennes soient des laboratoires de rêves et des chantiers d’avenir, où les jeunes grandissent en se rencontrant, en se connaissant et en découvrant des cultures et des contextes à la fois proches et différents. On abat ainsi les préjugés, on guérit les blessures et on conjure des rhétoriques fondamentalistes. Faites attention à la prédication de tant de fondamentalismes qui sont à la mode aujourd’hui ! Des jeunes bien formés et orientés à fraterniser pourront ouvrir des portes inespérées de dialogue. Si nous voulons qu’ils se consacrent à l’Évangile et au haut service de la politique, il faut avant tout que nous soyons crédibles : oublieux de nous-mêmes, libérés de l’autoréférentialité, prêts à nous dépenser sans cesse pour les autres. Mais le défi prioritaire de l’éducation concerne tous les âges de la formation : dès l’enfance, « en se mélangeant » avec les autres, on peut surmonter beaucoup de barrières et de préjugés en développant sa propre identité dans le contexte d’un enrichissement mutuel. L’Église peut bien y contribuer en mettant au service ses réseaux de formation et en animant une « créativité de la fraternité ».

Frères et sœurs, le défi est aussi celui d’une théologie méditerranéenne – la théologie doit être enracinée dans la vie ; une théologie de laboratoire ne fonctionne pas – qui développe une pensée qui adhère au réel, « maison » de l’humain et pas seulement des données techniques, en mesure d’unir les générations en reliant mémoire et avenir, et de promouvoir avec originalité le chemin œcuménique entre chrétiens et le dialogue entre croyants de religions différentes. Il est beau de s’aventurer dans une recherche philosophique et théologique qui, en puisant aux sources culturelles méditerranéennes, redonne espérance à l’homme, mystère de liberté en mal de Dieu et de l’autre, pour donner un sens à son existence. Et il est également nécessaire de réfléchir sur le mystère de Dieu, que personne ne peut prétendre posséder ou maîtriser, et qui doit même être soustrait à tout usage violent et instrumental, conscients que la confession de sa grandeur présuppose en nous l’humilité des chercheurs.

Chers frères et sœurs, je suis heureux d’être ici à Marseille ! Un jour, Monsieur le Président m’a invité à visiter la France et m’a dit : « Mais il est important que vous veniez à Marseille ! ». Et je l’ai fait. Je vous remercie de votre écoute patiente et de votre engagement. Allez de l’avant, courageux ! Soyez une mer de bien, pour faire face aux pauvretés d’aujourd’hui avec une synergie solidaire ; soyez un port accueillant, pour embrasser ceux qui cherchent un avenir meilleur ; soyez un phare de paix, pour anéantir, à travers la culture de la rencontre, les abîmes ténébreux de la violence et de la guerre. Merci beaucoup !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Moment de réflexion avec les chefs religieux : Discours du Saint-Père

Croix Camargue, Marseille. iStock Photo.

Le Pape François a poursuivi sa visite apostolique à Marseille par un moment de réflexion interreligieuse au Mémorial dédié aux marins et migrants perdus en mer. Il a rappelé qu’ « aux racines des trois religions monothéistes méditerranéennes se trouve l’hospitalité, l’amour pour l’étranger au nom de Dieu. C’est essentiel si, comme notre père Abraham, nous rêvons d’un avenir prospère. N’oublions pas le refrain biblique : « l’orphelin, la veuve, le migrant, l’étranger ». Les orphelins, les veuves et les étrangers sont ceux que Dieu nous ordonne de chéri. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs,

Je vous remercie d’être présents ici. La mer se trouve devant nous ; elle est source de vie, mais aussi un lieu qui évoque la tragédie des naufrages causant la mort. Nous sommes réunis en mémoire de ceux qui n’ont pas survécu, qui n’ont pas été sauvés. Ne nous habituons pas à considérer les naufrages comme des faits divers et les morts en mer comme des numéros : non, ce sont des noms et des prénoms, ce sont des visages et des histoires, ce sont des vies brisées et des rêves anéantis. Je pense à tant de frères et sœurs noyés dans la peur, avec les espérances qu’ils portaient dans leur cœur. Devant un tel drame, les mots ne servent à rien, mais des actes. Mais avant cela, il faut de l’humanité, il faut du silence, des larmes, de la compassion et de la prière. Je vous invite maintenant à un moment de silence à la mémoire de nos frères et sœurs : laissons-nous toucher par leurs tragédies. [Moment de silence].

Trop de personnes, fuyant les conflits, la pauvreté et les catastrophes environnementales, trouvent dans les flots de la Méditerranée le rejet définitif de leur quête d’un avenir meilleur. C’est ainsi que cette mer magnifique est devenue un immense cimetière où de nombreux frères et sœurs se trouvent même privés du droit à une tombe, et où seule est ensevelie la dignité humaine. Dans le livre-témoignage Fratellino, le protagoniste, à la fin du voyage mouvementé qui le mène de la République de Guinée à l’Europe, écrit : « Quand tu es assis sur la mer, tu es à un carrefour. D’un côté, il y a la vie, de l’autre, la mort. Il n’y a pas d’autre issue » (A. Arzallus Antia – I. Balde, Fratellino, Milan 2021, 107). Chers amis, nous sommes également à un carrefour : d’un côté la fraternité, qui féconde de bonté la communauté humaine; de l’autre l’indifférence, qui ensanglante la Méditerranée. Nous sommes à un carrefour de civilisations. Ou bien la culture de l’humanité et de la fraternité, ou la culture de l’indifférence : que chacun s’arrange comme il le peut.

Nous ne pouvons pas nous résigner à voir des êtres humains traités comme des monnaies d’échange, emprisonnés et torturés de manière atroce – nous savons que, bien souvent, lorsque nous les renvoyons, ils sont destinés à être torturés et emprisonnés – nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par des trafics odieux et le fanatisme de l’indifférence. L’indifférence devient fanatique. Les personnes qui risquent de se noyer, lorsqu’elles sont abandonnées sur les flots, doivent être secourues. C’est un devoir d’humanité, c’est un devoir de civilisation !

Le Ciel nous bénira si, sur terre comme sur mer, nous savons prendre soin des plus faibles, si nous savons surmonter la paralysie de la peur et le désintérêt qui condamne à mort, avec des gants de velours. Et en cela, en tant que représentants des diverses religions, nous devons être exemplaires. Dieu, en effet, a béni Abraham qui a été appelé à quitter sa terre d’origine et « il partit sans savoir où il allait » (He 11, 8). Hôte et pèlerin en terre étrangère, il accueillait les voyageurs qui passaient devant sa tente (cf. Gn 18) : « Exilé de sa patrie, sans abri, il était lui-même la maison et la patrie de tous » (St Pierre Chrysologue, Discours, 121). Et « pour prix de son hospitalité, il reçut la récompense d’une postérité » (S. Ambroise de Milan, Des Devoirs, II, 21). Aux racines des trois monothéismes méditerranéens se trouve donc l’hospitalité, l’amour de l’étranger au nom de Dieu. Et cela est vital si, comme notre père Abraham, nous rêvons d’un avenir prospère. N’oublions pas le refrain de la Bible : « l’orphelin, la veuve et le migrant, l’étranger ». L’orphelin, la veuve et l’étranger : ce sont ceux que Dieu nous ordonne de protéger.

Croyants, nous devons donc être exemplaires dans l’accueil mutuel et fraternel. Souvent les relations entre les groupes religieux ne sont pas faciles, à cause du virus de l’extrémisme et du fléau idéologique du fondamentalisme qui rongent la vie réelle des communautés. Mais je voudrais, à cet égard, faire écho à ce qu’écrivait un homme de Dieu qui vivait non loin d’ici : « Que personne ne garde dans son cœur des sentiments de haine pour son prochain, mais d’amour, car celui qui hait ne serait-ce qu’un seul homme ne pourra pas se tenir tranquille devant Dieu. Dieu n’entend pas sa prière tant qu’il garde de la colère dans son cœur » (S. Césaire d’Arles, Discours, XIV, 2).

Aujourd’hui, Marseille, caractérisée par un riche pluralisme religieux diversifié, se trouve elle aussi à un carrefour : rencontre ou confrontation. Et je vous remercie tous, vous qui êtes sur le chemin de la rencontre : merci pour votre engagement solidaire et concret en faveur de la promotion humaine et de l’intégration. Marseille est un modèle d’intégration. Il est beau qu’ici, avec diverses réalités qui travaillent avec les migrants, il existe Marseille-Espérance, une instance de dialogue interreligieux qui promeut la fraternité et la coexistence pacifique. Nous nous tournons vers les pionniers et les témoins du dialogue, comme Jules Isaac qui a vécu à proximité et dont on a récemment commémoré le 60èmeanniversaire de la mort. Vous êtes le Marseille de l’avenir. Avancez sans vous décourager, afin que cette ville soit pour la France, pour l’Europe et pour le monde une mosaïque d’espérance.

En guise de vœu, je voudrais enfin citer quelques mots que David Sassoli a prononcés à Bari, à l’occasion d’une précédente rencontre sur la Méditerranée : « À Bagdad, dans la Maison de la Sagesse du Calife Al Ma’mun, juifs, chrétiens et musulmans se retrouvaient pour lire les livres sacrés et les philosophes grecs. Aujourd’hui, nous ressentons tous, croyants et laïcs, le besoin de reconstruire cette maison pour continuer ensemble à combattre les idoles, à abattre les murs, à construire des ponts et à donner corps à un nouvel humanisme. Regarder notre époque en profondeur et l’aimer plus encore quand elle est difficile à aimer, je crois que c’est la graine semée en ces journées si soucieuses de notre destin. Il faut cesser d’avoir peur des problèmes que la Méditerranée nous pose ! […] Pour l’Union européenne et pour nous tous, notre survie en dépend » (Discours à l’occasion de la Rencontre de réflexion et de spiritualité « Méditerranée frontière de paix », 22 février 2020).

Frères, sœurs, affrontons ensemble les problèmes, ne laissons pas sombrer l’espérance, composons ensemble une mosaïque de paix !

Je suis heureux de voir que vous êtes si nombreux ici à prendre la mer pour sauver, pour secourir les migrants. Et tant de fois on vous empêche d’y aller, parce que – dit-on – il manque quelque chose au bateau, il manque ceci, il manque cela… Ce sont des gestes de haine contre le frère, déguisés en « équilibre ». Merci pour tout ce que vous faites.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Prière mariale avec le clergé diocésain : Paroles du Saint-Père

Basilique Notre-Dame de la Garde, Marseille. Wikimedia Commons.

Le Pape François a débuté sa visite apostolique à Marseille par un service de prière mariale avec le clergé de l’archidiocèse de Marseille et d’autres personnes. Il leur a rappelé que « comme Marie qui, à Cana, a d’abord assumé puis porté devant le Seigneur les préoccupations de deux jeunes mariés (cf. Jean 2, 3), vous êtes vous aussi appelés à être une voix d’intercession pour les autres – des hommes et des femmes pour les autres (cf. Romains 8, 34). »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bon après-midi !

Je suis heureux de commencer ma visite en partageant avec vous ce moment de prière. Je remercie le Cardinal Jean-Marc Aveline pour son mot de bienvenue et je salue S.E. Mgr Éric de Moulins-Beaufort, les frères évêques, les Pères Recteurs et vous tous, prêtres, diacres et séminaristes, personnes consacrées, qui œuvrez dans cet archidiocèse avec générosité et dévouement pour construire une civilisation de la rencontre avec Dieu et avec le prochain. Merci pour votre présence, pour votre service, et merci pour vos prières !

Arrivant à Marseille, je me rallie aux plus grands : sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Charles de Foucauld, Jean-Paul II, et tant d’autres qui sont venus ici en pèlerinage pour se confier à Notre Dame de la Garde. Nous déposons sous son manteau les fruits des Rencontres Méditerranéennes, avec les attentes et les espérances de vos cœurs.

Dans la lecture biblique, le prophète Sophonie nous a exhorté à la joie et à la confiance en nous rappelant que le Seigneur notre Dieu n’est pas loin, il est là, près de nous, pour nous sauver (cf. 3, 17). C’est un message qui nous renvoie, d’une certaine manière, à l’histoire de cette Basilique et à ce qu’elle représente. En effet, elle n’a pas été fondée en souvenir d’un miracle ou d’une apparition particulière, mais simplement parce que, depuis le XIIIe siècle, le saint peuple de Dieu cherche et trouve ici, sur la colline de La Garde, la présence du Seigneur dans le regard de sa Sainte Mère. C’est pourquoi, depuis des siècles, les Marseillais – spécialement ceux qui naviguent sur les flots de la Méditerranée – y montent pour prier. C’est le saint peuple fidèle de Dieu qui – j’utilise le mot – a “oint” ce sanctuaire, ce lieu de prière. Le saint peuple de Dieu qui, comme le dit le Concile, est infaillible in credendo.

Aujourd’hui encore, la Bonne Mère est pour chacun la protagoniste d’un tendre “croisement de regards” : d’une part celui de Jésus qu’elle nous indique toujours, et dont l’amour se reflète dans ses yeux – le geste le plus authentique de la Vierge est : “Faites ce qu’il vous dira”, en désignant Jésus – d’autre part celui de nombre d’hommes et de femmes de tous âges et de toutes conditions, qu’elle rassemble et conduit à Dieu, comme nous l’avons rappelé au début de cette prière en déposant à ses pieds un cierge allumé. En ce carrefour des peuples qu’est Marseille, je voudrais réfléchir avec vous sur ce croisement de regards, car il me semble que s’y exprime parfaitement la dimension mariale de notre ministère. Nous aussi, prêtres, personnes consacrées, diacres, nous sommes appelés à faire sentir aux gens le regard de Jésus et, en même temps, porter à Jésus le regard de nos frères. Un échange de regards. Dans le premier cas, nous sommes des instruments de miséricorde, dans le second, des instruments d’intercession.

Premier regard : celui de Jésus qui caresse l’homme. C’est un regard qui va de haut en bas, non pas pour juger mais pour relever celui qui est à terre. C’est un regard plein de tendresse qui transparaît dans les yeux de Marie. Et nous, appelés à transmettre ce regard, nous sommes tenus de nous abaisser, d’éprouver de la compassion – j’insiste sur ce mot : compassion. N’oublions pas que le style de Dieu est celui de la proximité, de la compassion et de la tendresse – de faire nôtre « la bienveillance, patiente et encourageante, du Bon Pasteur qui ne fait pas de remontrances à la brebis perdue, mais la charge sur ses épaules et fête son retour à la bergerie (cf. Lc 15, 4-7) » (Congrégation pour le Clergé, Directoire pour le ministère et la vie des prêtres, n. 41). J’aime à penser que le Seigneur ne sait pas faire le geste de pointer le doigt pour juger, mais qu’il sait faire le geste de tendre la main pour relever.

Frères, sœurs, apprenons de ce regard, ne laissons pas un jour passer sans nous rappeler le moment où nous-mêmes l’avons reçu, et faisons-le nôtre, pour être des hommes et des femmes de compassion. Proximité, compassion, tendresse. Ne l’oublions pas. Avoir de la compassion veut dire être proche et tendre. Ouvrons les portes des églises et des presbytères, mais surtout celles du cœur, pour montrer par notre douceur, notre gentillesse et notre accueil le visage de notre Seigneur. Que celui qui vous approche ne trouve ni distance ni jugement ; qu’il trouve le témoignage d’une humble joie, plus fructueuse que toute capacité affichée. Que les blessés de la vie trouvent un port sûr, un accueil dans votre regard, un encouragement dans votre étreinte, une caresse dans vos mains capables d’essuyer des larmes. Même dans les nombreuses occupations de chaque jour, s’il vous plaît, ne laissez pas faiblir la chaleur du regard paternel et maternel de Dieu. Et aux prêtres, s’il vous plaît : dans le sacrement de pénitence, pardonnez toujours ! Soyez généreux comme Dieu est généreux avec nous. Pardonnez ! Et avec le pardon de Dieu, de nombreux chemins s’ouvrent dans la vie. Il est bon de le faire en dispensant généreusement son pardon, toujours, toujours, afin de délivrer, par la grâce, les personnes des chaînes du péché et les libérer des blocages, des remords, des rancunes et des peurs dont elles ne peuvent triompher toutes seules. Il est beau de redécouvrir avec émerveillement, à tout âge, la joie d’éclairer les vies avec les sacrements dans les moments heureux et tristes, et de transmettre, au nom de Dieu, des espérances inattendues : sa proximité qui console, sa compassion qui guérit, sa tendresse qui émeut. Proximité, compassion, tendresse. Soyez proches de chacun, surtout des plus fragiles et des moins chanceux, et ne laissez jamais ceux qui souffrent manquer de votre proximité attentive et discrète. C’est ainsi que grandiront en eux – mais aussi en vous – la foi qui anime le présent, l’espérance qui ouvre sur l’avenir, et la charité qui dure pour toujours. Voilà le premier mouvement : porter à vos frères le regard de Jésus. Il n’y a qu’une seule situation dans la vie où il est permis de regarder une personne de haut en bas : c’est lorsque nous essayons de la prendre par la main et de la soulever. Dans les autres situations, c’est un péché d’orgueil. Regardez les personnes qui sont en bas et qui vous demandent – consciemment ou inconsciemment – de les soulever avec votre main. Prenez-les par la main et soulevez-les : c’est un très beau geste, un geste qui ne peut se faire sans tendresse.

Et puis il y a le second regard : celui des hommes et des femmes qui se tournent vers Jésus. De même que Marie à Cana recueillit et porta au Seigneur les inquiétudes de deux jeunes mariés (cf. Jn 2, 3), vous êtes, vous aussi, appelés à être pour les autres – des hommes et des femmes pour les autres -, la voix qui intercède (cf. Rm 8, 34). Alors, la récitation du Bréviaire, la méditation quotidienne de la Parole, le Rosaire et toute autre prière, je vous recommande surtout l’adoration. Nous avons perdu un peu le sens de l’adoration, nous devons le reprendre, je vous recommande cela. Toutes ces prières seront pleines des visages de ceux que la Providence met sur votre chemin. Vous porterez avec vous leurs regards, leurs voix, leurs questions, à la table eucharistique, devant le tabernacle ou dans le silence de votre chambre, là où le Père voit (cf. Mt 6, 6). Vous leur ferez écho fidèlement, en tant qu’intercesseurs, comme des “anges sur la terre”, des messagers qui portent tout « devant la gloire de Dieu » (Tb 12, 12).

Et je voudrais résumer cette brève méditation en attirant votre attention sur trois images de Marie qui sont vénérées dans cette Basilique. La première est la grande image qui la surplombe et qui la représente lorsqu’elle tient l’Enfant Jésus bénissant. Voilà : comme Marie, nous portons partout la bénédiction et la paix de Jésus, dans toutes les familles et dans tous les cœurs. Semez la paix ! C’est le regard de la miséricorde. La deuxième image se trouve en dessous de nous, dans la crypte : c’est la Vierge au bouquet, le don d’un laïc généreux. Elle aussi porte l’Enfant Jésus sur un bras et nous le montre, mais elle tient dans l’autre main, au lieu d’un sceptre, un bouquet de fleurs. Cela nous fait penser à la façon dont Marie, modèle de l’Église, en nous présentant son Fils, nous présente également à Lui, comme un bouquet de fleurs dans lequel chaque personne est unique, est belle et précieuse aux yeux du Père. C’est le regard de l’intercession. C’est très important : l’intercession. Le premier était le regard de miséricorde de la Vierge, celui-ci est le regard d’intercession. Enfin, la troisième image est celle que nous voyons ici au centre, sur l’autel, qui frappe par la splendeur dont elle rayonne. Nous aussi, chers frères et sœurs, nous devenons un Évangile vivant dans la mesure où nous le donnons, en sortant de nous-mêmes, en reflétant sa lumière et sa beauté par une vie humble, joyeuse et riche de zèle apostolique. Que nous y aident les si nombreux missionnaires qui sont partis de ce haut lieu pour annoncer la bonne nouvelle de Jésus-Christ au monde entier.

Bien-aimés, portons à nos frères le regard de Dieu, portons à Dieu la soif de nos frères, répandons la joie de l’Évangile. C’est notre vie, et elle est incroyablement belle malgré les difficultés et les chutes, et même nos péchés. Prions ensemble la Sainte Vierge, qu’elle nous accompagne, qu’elle nous garde. Et vous, s’il vous plaît, priez pour moi.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Visite apostolique du pape François durant les Rencontres méditerranéennes à Marseille

Vue sur le vieux port de Marseille et la basilique Notre Dame de la Garde. Photo Istock.com

Le pape François sera à Marseille du 22 au 23 septembre pour conclure les Rencontres Méditerranéennes 2023 où il célèbrera la messe au stade Vélodrome. Le Saint-Père soulignera le sujet des migrants et des réfugiés au cœur de son discours.

 

La mer Méditerranée, souvent décrite comme « un joyau azur » niché entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, incarne une beauté et une diversité incomparables. Ses eaux d’un bleu profond, caressées par un soleil éclatant, sont le berceau de cultures millénaires et le théâtre d’une riche histoire.

Bordée de plages de sable doré, de falaises spectaculaires et de villages pittoresques, la Méditerranée offre une mosaïque de paysages à couper le souffle. Ses eaux cristallines abritent une biodiversité exceptionnelle, avec des poissons colorés, des coraux fascinants et une vie marine extraordinaire. 

Mais la Méditerranée est bien plus qu’un simple beau paradis. Elle est le carrefour de rencontres culturelles et religieuses, de saveurs méditerranéennes et de traditions ancestrales. Elle invite les voyageurs à explorer ses trésors cachés, à déguster une cuisine délicieuse et à s’imprégner de l’atmosphère enchanteresse de ses rivages. En somme, la mer Méditerranée est un trésor naturel et culturel, un lieu où la nature et l’histoire se marient harmonieusement pour offrir une expérience inoubliable à tous ceux qui la découvrent.

Quant à Marseille, c’est l’une des plus grandes villes de France, qui s’étend majestueusement le long des rives de la mer Méditerranée, et qui accueille un événement d’envergure cette année. Du 17 au 23 septembre, les Rencontres méditerranéennes 2023 rassembleront les populations des régions riveraines de cette mer emblématique. Cet événement promet d’être un rassemblement unique de la diversité culturelle, historique, religieuse et géographique qui caractérise les pays environnants. Au cœur de cette rencontre, des échanges culturels, des discussions sur les différents enjeux et bien d’autres activités visant à renforcer les liens entre les communautés méditerranéennes pour une mosaïque d’espérance. Marseille, avec son patrimoine riche et son ambiance cosmopolite, offre le cadre idéal pour ces rencontres, symbolisant ainsi l’unité et la coopération dans cette région où la mer Méditerranée a joué un rôle central dans la vie de ses habitants depuis des siècles. 

Il est poignant de noter que la mer Méditerranée, tout en étant un joyau naturel et culturel, est également le témoin de tragédies humaines lors des migrations des populations de la Côte-Sud vers la Côte-Nord. Ces voyages périlleux à travers la mer Méditerranée, souvent entrepris par des migrants et des réfugiés fuyant la violence, la pauvreté et l’instabilité, sont marqués par des défis considérables et des risques mortels.

Dans le cadre des Rencontres méditerranéennes et lors de sa visite à Marseille du 22 au 23 septembre, le pape François place le sujet des migrants et des réfugiés au cœur de son discours. Son message « Libre de choisir d’émigrer ou de rester », à l’occasion de la 109e Journée mondiale pour les Migrants et les Réfugiés, souligne l’importance de la solidarité, de l’accueil et de la protection des migrants et des réfugiés, qui sont confrontés à des situations désespérées. Ainsi il va soutenir leurs droits à choisir leurs destinées.

Le pape François rappelle au monde l’urgence d’agir pour atténuer la souffrance de ces personnes vulnérables, et de travailler ensemble pour des solutions durables. Il célébrera la messe le 23 septembre au stade Vélodrome pour conclure sa visite apostolique à Marseille.

Catéchèse sur la passion de l’évangélisation : Saint Daniel Comboni

Monument de Saint Daniel Comboni (Source : Wikimedia Commons)

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a présenté un apôtre plein de zèle pour l’Afrique : saint Daniel Comboni qui fut passionné de Dieu et des frères qu’il servait en mission. Il  nous invite à penser aux crucifiés de l’histoire d’aujourd’hui : hommes, femmes, enfants, vieillards qui sont crucifiés par des histoires d’injustice et de domination : « N’oubliez pas les pauvres, aimez-les, parce qu’en eux se trouve la présence de Jésus crucifié qui attend de ressusciter ».

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans notre parcours de la catéchèse sur la passion évangélisatrice, c’est-à-dire le zèle apostolique, aujourd’hui nous nous arrêtons sur le témoignage de Saint Daniel Comboni. Il fut un apôtre plein de zèle pour l’Afrique. De ces peuples, il écrivait : « ils ont pris possession de mon cœur qui ne vit que pour eux » C’est beau ! (Ecrits, 941), « je mourrai avec l’Afrique sur les lèvres » (Ecrits, 1441). Et c’est à eux qu’il s’adresse en ces termes : « le plus heureux de mes jours sera celui où je pourrai donner ma vie pour vous » (Ecrits, 3159). Ceci est l’expression pour une personne amoureuse de Dieu et de ses frères et sœurs qu’il servait en mission et au sujet desquels il ne se lassait pas de rappeler que « Jésus-Christ a souffert et est mort pour eux aussi » (Ecrits, 2499 ; 4801).

Il le disait dans un contexte marqué par l’horreur de l’esclavage dont il était témoin. L’esclavage « chosifie » l’être humain, dont la valeur se réduit à être utile à quelqu’un ou à quelque chose. Mais Jésus, Dieu fait homme, a élevé la dignité de tout être humain et a mis en évidence la fausseté de tout esclavage. Comboni, à la lumière du Christ, a pris conscience du mal de l’esclavage ; il a aussi compris que l’esclavage social s’enracine dans un esclavage plus profond, celui du cœur, celui du péché, dont le Seigneur nous libère. En tant que chrétiens, nous sommes donc appelés à lutter contre toutes les formes d’esclavage. Malheureusement, l’esclavage, comme le colonialisme, n’appartient pas au passé, malheureusement. Dans l’Afrique tant aimée par Comboni, aujourd’hui déchirée par de nombreux conflits, « après le colonialisme politique, un “colonialisme économique” tout aussi asservissant s’est déchainé. (…). C’est un drame devant lequel le monde économiquement plus avancé ferme souvent les yeux, les oreilles et la bouche. » Je renouvelle donc mon appel : « Cessez d’étouffer l’Afrique : elle n’est pas une mine à exploiter ni une terre à dévaliser. » (Rencontre avec les Autorités, Kinshasa, 31 janvier 2023).

Et revenons à l’histoire de Saint Daniel. Après un premier séjour en Afrique, il dut quitter la mission pour des raisons de santé. Trop de missionnaires étaient morts après avoir contracté des maladies, par manque de connaissance de la réalité locale. Cependant, si d’autres abandonnaient l’Afrique, ce n’était pas le cas de Comboni. Après un temps de discernement, il sentit que le Seigneur lui inspirait une nouvelle manière d’évangéliser, qu’il résuma en ces mots : « Sauver l’Afrique avec l’Afrique » (Ecrits, 2741s). C’est une intuition puissante, rien du colonialisme là-dedans, il s’agit d’une intuition puissante qui contribua à renouveler l’engagement missionnaire qui a contribué à renouveler l’engagement missionnaire : les personnes évangélisées n’étaient pas seulement des « objets », mais des « sujets » de la mission. Et Saint Daniel Comboni désirait faire de tous les chrétiens les protagonistes de l’action évangélisatrice. Et dans cet esprit, il pensa et agit de manière intégrale, en impliquant le clergé local et en promouvant le service laïc des catéchistes. Les catéchistes sont un trésor de l’Église : les catéchistes sont ceux qui sont en avant dans l’évangélisation. C’est ainsi qu’il conçut également le développement humain, en s’occupant des arts et des professions, et en encourageant le rôle de la famille et de la femme dans la transformation de la culture et de la société. Et combien est-il important, encore aujourd’hui, de faire progresser la foi et le développement humain de l’intérieur des contextes de mission, au lieu de transplanter des modèles externes ou de se limiter à un stérile assistancialisme ! Ni modèle extérieur, ni assistancialisme. Prendre dans la culture des peuples le chemin de l’évangélisation. Evangéliser la culture et inculturer l’Evangile : cela va de pair.

La grande passion missionnaire de Comboni, cependant, n’était pas d’abord le résultat d’un effort humain : il n’était pas poussé par son courage ou motivé seulement par des valeurs importantes, comme la liberté, la justice et la paix ; son zèle naissait de la joie de l’Evangile, il puisait dans l’amour du Christ et conduisait à l’amour pour le Christ ! Saint Daniel écrivait : « Une mission aussi ardue et laborieuse que la nôtre ne peut vivre d’apparences ni avec des bigots remplis d’égoïsme et d’égocentrisme, qui ne se soucient pas comme ils le devraient du salut et de la conversion des âmes ». C’est le drame du cléricalisme, qui conduit les chrétiens, même les laïcs, à se cléricaliser et à se transformer – comme il est dit ici – en des bigots remplis d’égoïsme. C’est la peste du cléricalisme. Et il ajoutait : « Il faut les enflammer de charité, qui a sa source en Dieu et dans l’amour du Christ ; et quand on aime vraiment le Christ, alors les privations, les souffrances et le martyre sont des douceurs » (Ecrits, 6656). Son désir était de voir des missionnaires ardents, joyeux, engagés : des missionnaires – écrivait-il – « saints et capables ». […] D’abord saints, c’est-à-dire exempts de péchés et humbles. Mais cela ne suffit pas : il faut la charité qui rend les sujets capables » (Ecrits, 6655). La source de la capacité missionnaire, pour Comboni, est donc la charité, en particulier le zèle pour faire siennes les souffrances des autres.

Sa passion évangélisatrice ne l’a d’ailleurs jamais conduit à agir en soliste, mais toujours en communion, dans l’Église. « Je n’ai qu’une vie à consacrer au salut de ces âmes », écrit-il, « je voudrais en avoir mille à consumer pour cela » (Ecrits, 2271).

Frères et sœurs, saint Daniel témoigne de l’amour du Bon Pasteur, qui va à la recherche de ce qui est perdu et qui donne sa vie pour son troupeau. Son zèle a été énergique et prophétique en s’opposant à l’indifférence et à l’exclusion. Dans ses lettres, il se souvenait avec émotion de son Eglise bien-aimée, qui avait oublié l’Afrique pendant trop longtemps. Le rêve de Comboni est une Eglise qui fait cause commune avec les crucifiés de l’histoire, pour vivre avec eux l’expérience de la résurrection. En ce moment, je vous fais une suggestion. Pensez aux crucifiés de l’histoire d’aujourd’hui : hommes, femmes, enfants, vieillards qui sont crucifiés par des histoires d’injustice et de domination. Pensons à eux et prions. Son témoignage semble se répéter à nous tous, hommes et femmes d’Eglise : « N’oubliez pas les pauvres, aimez-les, parce qu’en eux se trouve la présence de Jésus crucifié qui attend de ressusciter ». N’oubliez pas les pauvres : avant de venir ici, j’ai eu une réunion avec des législateurs brésiliens qui travaillent pour les pauvres, qui essaient de promouvoir les pauvres avec l’aide et la justice sociale. Et eux ils n’oublient pas les pauvres : ils travaillent pour les pauvres. À vous, je dis : n’oubliez pas les pauvres, parce que ce sont eux qui ouvriront la porte du Ciel.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Message du pape françois pour la 109ème journée mondiale du migrant et du réfugié 2023

« Libre de choisir d’émigrer ou de rester » est le thème choisi par le Saint-Père pour la 109ème Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié (JMMR). Le pape François souhaite promouvoir une nouvelle réflexion sur un droit qui n’a pas encore été codifié au niveau international : le droit de n’avoir pas à émigrer, ou en d’autres termes, le droit de pouvoir rester sur sa terre. 

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA 109ème JOURNÉE MONDIALE DU MIGRANT ET DU RÉFUGIÉ 2023

24 septembre 2023

Libre de choisir d’émigrer ou de rester

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs !

Les flux migratoires actuels sont l’expression d’un phénomène complexe et articulé, dont la compréhension requiert une analyse attentive de tous les aspects qui caractérisent les différentes étapes de l’expérience migratoire, du départ à l’arrivée, en passant par un éventuel retour. Dans l’intention de contribuer à cet effort de lecture de la réalité, j’ai décidé de consacrer le message de la 109e Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié à la liberté qui devrait toujours caractériser le choix de quitter sa propre terre.

« Libre de partir, libre de rester » était le titre d’une initiative de solidarité promue il y a quelques années par la Conférence épiscopale italienne comme une réponse concrète aux défis des migrations contemporaines. À l’écoute constante des Églises particulières, j’ai pu constater que la garantie de cette liberté est une préoccupation pastorale largement répandue et partagée.

« Après leur départ, voici que l’Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: « Lève-toi, prends avec toi l’enfant et sa mère, et fuis en Egypte; et restes-y jusqu’à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »)» (Mt 2, 13). La fuite de la Sainte Famille en Égypte n’a pas été le résultat d’un choix libre, tout comme de nombreuses migrations qui ont marqué l’histoire du peuple d’Israël. Migrer devrait toujours être un choix libre, mais en fait, dans de nombreux cas, même aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Des conflits, des catastrophes naturelles ou, plus simplement, l’impossibilité de mener une vie digne et prospère dans leur pays d’origine contraignent des millions de personnes à partir. En 2003 déjà, saint Jean-Paul II déclarait que « construire les conditions concrètes de la paix, en ce qui concerne les migrants et les réfugiés, signifie s’engager sérieusement à sauvegarder avant tout le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire de vivre en paix et dans la dignité dans sa propre patrie » (Message pour la 90e Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié, n. 3).

« Ils emmenèrent leurs troupeaux et tout ce qu’ils avaient acquis au pays de Canaan et ils vinrent en Egypte, Jacob et tous ses descendants avec lui » (Gn 46, 6). C’est à cause d’une grave famine que Jacob et toute sa famille ont été contraints de fuir en Égypte, où son fils Joseph a assuré leur survie. Les persécutions, les guerres, les phénomènes climatiques et la misère sont parmi les causes les plus visibles des migrations forcées contemporaines. Les migrants fuient la pauvreté, la peur, le désespoir. Pour éliminer ces causes et mettre fin aux migrations forcées, nous avons besoin de l’engagement commun de tous, chacun selon ses responsabilités. Un engagement qui commence par le fait de se demander ce que nous pouvons faire, mais aussi ce que nous devons cesser de faire. Nous devons nous efforcer de mettre fin à la course aux armements, au colonialisme économique, au pillage des ressources des autres, à la dévastation de notre maison commune.

« Tous les croyants étaient réunis et avaient tout en commun ; ils vendaient leurs biens et leurs possessions et les partageaient avec tous, selon les besoins de chacun » (Ac 2, 44-45). L’idéal de la première communauté chrétienne semble si éloigné de la réalité d’aujourd’hui ! Pour faire de la migration un choix réellement libre, nous devons nous efforcer d’assurer à chacun une part équitable du bien commun, le respect des droits fondamentaux et l’accès à un développement humain intégral. C’est le seul moyen d’offrir à chacun la possibilité de vivre dignement et de se réaliser personnellement et en tant que famille. Il est clair que la tâche principale incombe aux pays d’origine et à leurs dirigeants, qui sont appelés à exercer une bonne politique, transparente, honnête, prévoyante et au service de tous, en particulier des plus vulnérables. Mais ils doivent être mis en mesure de le faire, sans être privés de leurs ressources naturelles et humaines et sans ingérence extérieure visant à favoriser les intérêts de quelques-uns. Et quand les circonstances permettent de choisir d’émigrer ou de rester, il faut encore veiller à ce que ce choix soit éclairé et réfléchi, pour éviter que tant d’hommes, de femmes et d’enfants ne soient victimes d’illusions hasardeuses ou de trafiquants sans scrupules.

« En cette année jubilaire vous rentrerez chacun dans votre patrimoine. » (Lv 25, 13). La célébration du jubilé pour le peuple d’Israël représentait un acte de justice collective : chacun pouvait  » retourner à sa situation initiale, avec l’annulation de toutes les dettes, la restitution des terres et la possibilité de jouir à nouveau de la liberté propre aux membres du peuple de Dieu  » (Catéchèse, 10 février 2016). À l’approche du Jubilé de 2025, il est bon de se rappeler cet aspect des célébrations jubilaires. Un effort conjoint de chaque pays et de la communauté internationale est nécessaire pour garantir à chacun le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire la possibilité de vivre en paix et dans la dignité sur sa propre terre. Il s’agit d’un droit qui n’a pas encore été codifié, mais qui revêt une importance fondamentale, dont la garantie doit être comprise comme une coresponsabilité de tous les États à l’égard d’un bien commun qui dépasse les frontières nationales. En effet, les ressources mondiales n’étant pas illimitées, le développement des pays économiquement les plus pauvres dépend de la capacité de partage qui peut être suscitée entre tous les pays. Tant que ce droit ne sera pas garanti – et le chemin est encore long – beaucoup devront encore partir à la recherche d’une vie meilleure.

« Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, 36 nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir » (Mt 25, 35-36). Ces paroles nous exhortent à reconnaître dans le migrant non seulement un frère ou une sœur dans le besoin, mais aussi le Christ lui-même qui frappe à notre porte. C’est pourquoi, en œuvrant pour que toute migration soit le fruit d’un choix libre, nous sommes appelés à avoir le plus grand respect pour la dignité de chaque migrant. Cela implique d’accompagner et de gérer les flux de la meilleure façon possible, en construisant des ponts et non des murs, en élargissant les canaux pour une migration sûre et régulière. Où que nous décidions de construire notre avenir, dans le pays où nous sommes nés ou ailleurs, l’important est qu’il y ait toujours une communauté prête à accueillir, à protéger, à promouvoir et à intégrer chacun, sans distinction et sans laisser personne de côté.

Le chemin synodal que nous avons entrepris en tant qu’Église nous conduit à voir dans les personnes les plus vulnérables – et parmi elles de nombreux migrants et réfugiés – des compagnons de voyage particuliers, à aimer et à soigner comme des frères et des sœurs. Ce n’est qu’en marchant ensemble que nous pourrons aller loin et atteindre le but commun de notre voyage.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience Générale du pape François – Mercredi 13 septembre 2023

Le bienheureux José Gregorio Hernández Cisneros, Wikimedia Commons.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François s’est penché sur la vie du médecin laïc vénézuélien, le bienheureux José Gregorio Hernández Cisneros. Il a soulligné que José Gregorio est toujours connu comme « le médecin des pauvres » :  « Aux richesses de l’argent, il a préféré les richesses de l’Évangile, consacrant son existence à aider les nécessiteux. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dans nos catéchèses, nous continuons à rencontrer des témoins passionnés de l’annonce de l’Évangile. Rappelons qu’il s’agit d’une série de catéchèses sur le zèle apostolique, la volonté et aussi l’ardeur intérieure pour réaliser l’Évangile. Aujourd’hui, rendons-nous en Amérique Latine, plus précisément au Venezuela, pour connaître la figure d’un laïc, le Bienheureux José Gregorio Hernández Cisneros. Né en 1864, il a appris la foi surtout auprès de sa mère, comme il l’a raconté : « Ma mère m’a enseigné la vertu dès le berceau, elle m’a fait grandir dans la connaissance de Dieu et m’a donné la charité comme guide. » Soyons attentifs : ce sont les mamans qui transmettent la foi. La foi se transmet en dialecte, c’est-à-dire dans le langage des mères, ce dialecte que les mères savent parler à leurs enfants. Et vous, les mères, soyez attentives à transmettre la foi dans ce dialecte maternel.

La charité fut en effet l’étoile polaire qui orienta l’existence du Bienheureux José Gregorio : bon et solaire, d’humeur joyeuse, il était doué d’une grande intelligence et devint médecin, professeur d’université et scientifique. Mais il fut surtout un médecin proche des plus faibles, au point d’être connu dans sa patrie comme « le médecin des pauvres ». Il s’occupait des pauvres, toujours. À la richesse de l’argent, il préféra celle de l’Évangile, dépensant sa vie pour aider les nécessiteux. Dans les pauvres, les malades, les migrants, les souffrants, José Gregorio voyait Jésus. Et le succès qu’il ne chercha jamais dans le monde, il le reçut, et continue de le recevoir, des gens qui l’appellent « saint du peuple », « apôtre de la charité », « missionnaire de l’espérance ». De beaux noms :  » Saint du peuple « ,  » apôtre de la charité « ,  » missionnaire de l’espérance « .

José Gregorio était un homme humble, un homme aimable et serviable. En même temps, il était animé d’un feu intérieur, d’un désir de vivre au service de Dieu et du prochain. Poussé par cette ardeur, il essaya à plusieurs reprises de devenir religieux et prêtre, mais divers problèmes de santé l’en empêchèrent. Sa fragilité physique ne l’a cependant pas conduit à se renfermer sur lui-même, mais à devenir un médecin encore plus sensible aux besoins des autres ; il s’attacha à la Providence et, forgé dans son âme, alla davantage à l’essentiel. Voici le véritable zèle apostolique : il ne suit pas ses propres aspirations, mais la disponibilité aux desseins de Dieu. C’est ainsi que le Bienheureux comprit qu’en soignant les malades, il mettait en pratique la volonté de Dieu, en aidant les souffrants, en donnant de l`espérance aux pauvres, en témoignant de la foi non pas avec des paroles mais par l’exemple. C’est ainsi que – à travers ce chemin intérieur- il a accueilli la médecine comme un sacerdoce : « le sacerdoce de la douleur humaine » (M. YABER, José Gregorio Hernández : Médico de los Pobres, Apóstol de la Justicia Social, Misionero de las Esperanzas, 2004, 107). Combien est-il important de ne pas subir passivement les choses, mais, comme le dit l’Écriture, de tout faire dans un bon esprit, pour servir le Seigneur (cf. Col 3, 23).

Mais interrogeons-nous : d’où José Gregorio tenait-il tout cet enthousiasme, tout ce zèle ? Cela venait d’une certitude et d’une force. La certitude était la grâce de Dieu. Il écrivait que « s’il y a des bons et des mauvais dans le monde, les mauvais y sont parce qu’ils sont devenus mauvais eux-mêmes, mais les bons ne le sont qu’avec l’aide de Dieu » (27 mai 1914). Et lui en premier se sentait dans le besoin de la grâce qu’il mendiait dans les rues et avait grand besoin de l’amour. Et voici la force dont il s’inspirait : l’intimité avec Dieu. C’était un homme de prière – il y a la grâce de Dieu et l’intimité avec le Seigneur – c’était un homme de prière qui participait à la Messe.

Et au contact de Jésus, qui s’offre sur l’autel pour tous, José Gregorio s’est senti appelé à offrir sa vie pour la paix. Le premier conflit mondial était en cours. Nous arrivons ainsi au 29 juin 1919 : un ami lui rend visite et le trouve très heureux. José Gregorio a en effet appris que le traité mettant fin à la guerre avait été signé. Son offrande a été accueillie, et c’est comme s’il pressentait que sa tâche sur terre est terminée. Ce matin-là, comme d’habitude, il était allé à la messe et il descend maintenant dans la rue pour apporter des médicaments à un malade. Mais en traversant la route, il est percuté par un véhicule ; transporté à l’hôpital, il meurt en prononçant le nom de la Vierge. Son voyage terrestre se termine ainsi, sur une route en accomplissant une œuvre de miséricorde, et dans un hôpital, où il avait fait de son travail un chef-d’œuvre comme médecin.

Frères, sœurs, devant ce témoignage, demandons-nous : moi, devant Dieu présent dans les pauvres près de moi, devant ceux qui, dans le monde, souffrent le plus, comment est-ce que je réagis ? Et comment l’exemple de José Gregorio me touche-t-il ? Lui nous stimule à nous engager face aux grandes questions sociales, économiques et politiques d’aujourd’hui. Beaucoup en parlent, beaucoup critiquent et disent que tout va mal. Mais le chrétien n’est pas appelé à cela, mais à s’en occuper, à se salir les mains : tout d’abord, comme nous l’a dit saint Paul, à prier (cf. 1 Tm 2, 1-4), et ensuite à s’engager non pas dans le bavardage – le bavardage est une peste -, mais à promouvoir le bien, à construire la paix et la justice dans la vérité. Cela aussi est le zèle apostolique, c’est l’annonce de l’Évangile, et ceci est la béatitude chrétienne : « Heureux les artisans de paix » (Mt 5,9). Suivons le chemin du bienheureux Grégoire : un laïc, un médecin, un homme du quotidien, poussé par le zèle apostolique à vivre en faisant la charité durant toute sa vie.


Mes pensées vont aux populations de la Libye, durement touchées par de violentes pluies qui ont provoqué des crues et des inondations, faisant de nombreux morts et blessés, ainsi que des dégâts considérables. Je vous invite à vous associer à ma prière pour ceux qui ont perdu la vie, pour leurs familles et pour les personnes déplacées. Que notre solidarité avec ces frères et sœurs, éprouvés par une calamité aussi dévastatrice, ne fasse pas défaut. Et mes pensées vont encore vers le noble peuple marocain qui a subi ces séismes, ces tremblements de terre. Prions pour le Maroc, prions pour les habitants. Que le Seigneur leur donne la force de se relever après cette terrible « agression » qui est advenue sur leur terre.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – Mercredi le 6 septembre 2023

Le pape François s’adressant aux travailleurs humanitaires lors de l’inauguration de la nouvelle Maison de la Miséricorde le 4 septembre à Oulan-Bator, en Mongolie. Cette visite apostolique a eu lieu du 31 août au 4 septembre.

Dans son audience aujourd’hui le pape François a souligné que l’Église en Mongolie illustre le sens du mot « catholique : une universalité incarnée, ‘inculturée’, qui embrasse le bien là où il se trouve et sert les personnes avec lesquelles elle vit. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Lundi, je suis rentré de Mongolie. Je voudrais exprimer ma gratitude à tous ceux qui ont accompagné ma visite par leurs prières, et renouveler ma reconnaissance aux Autorités qui m’ont solennellement accueilli : en particulier au Président Khürelsükh, ainsi qu’à l’ancien Président Enkhbayar, qui m’avait adressé une invitation officielle à visiter le pays. Je repense avec joie à l’Église locale et au peuple mongol : un peuple noble et sage, qui m’a manifesté tant de cordialité et d’affection. Aujourd’hui, je souhaiterais vous plonger au cœur de ce voyage.

On pourrait se demander pourquoi le pape se rend si loin pour visiter un petit troupeau de fidèles. Parce que c’est précisément là, loin des projecteurs, que l’on trouve souvent les signes de la présence de Dieu, qui ne regarde pas les apparences, mais le cœur comme nous l’avons entendu dans le passage du prophète Samuel (cf. 1 Sam 16, 7). Le Seigneur ne cherche pas le centre de la scène, mais le cœur simple de ceux qui le désirent et l’aiment sans apparences, sans vouloir dominer sur les autres. Et j’ai eu la grâce de rencontrer en Mongolie une Église humble et une Église joyeuse, qui est dans le cœur de Dieu, et je peux vous témoigner sa joie de s’être trouvée pour quelques jours aussi au centre de l’Église.

Cette communauté a une histoire touchante. Elle est née, par la grâce de Dieu, du zèle apostolique – sur lequel nous réfléchissons en ce moment – de quelques missionnaires qui, passionnés par l’Évangile, se sont rendus, il y a environ trente ans, dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Ils en ont appris la langue – qui n’est pas facile- et, bien qu’issus de nations différentes, ils ont créé une communauté unie et véritablement catholique. C’est d’ailleurs le sens du mot « catholique », qui signifie « universel ». Mais il ne s’agit pas d’une universalité qui homologue, mais d’une universalité qui inculture, c’est une universalité qui s’inculture. C’est cela la catholicité : une universalité incarnée, « inculturée » qui saisit le bien là où elle vit et qui sert les personnes avec lesquelles elle vit. C’est ainsi que vit l’Église : en témoignant de l’amour de Jésus avec douceur, avec la vie plus que les paroles, heureuse de sa vraie richesse : le service du Seigneur et des frères et sœurs.

C’est ainsi qu’est née cette jeune Église : dans le sillon de la charité, qui est le meilleur témoignage de la foi. À la fin de ma visite, j’ai eu la joie de bénir et d’inaugurer la « Maison de la miséricorde », la première œuvre caritative créée en Mongolie, expression de toutes les composantes de l’Église locale. Une maison qui est la carte de visite de ces chrétiens, mais qui rappelle aussi à chacune de nos communautés d’être une maison de la miséricorde : c’est-à-dire un lieu ouvert et, lieu accueillant, où les misères de chacun peuvent entrer sans vergogne en contact avec la miséricorde de Dieu qui relève et guérit. C’est le témoignage de l’Église mongole, avec des missionnaires de différents pays qui se sentent en harmonie avec le peuple, heureux de le servir et de découvrir la beauté qui s’y trouve déjà. Parce que ces missionnaires ne sont pas allés là-bas pour faire du prosélytisme, ce qui n’est pas évangélique, ils sont allés là-bas pour vivre comme le peuple mongol, pour parler leur langue, la langue de ce peuple, pour prendre les valeurs de ce peuple et prêcher l’Évangile dans le style mongol, avec des paroles mongoles. Ils sont allés et se sont « inculturés » : ils ont pris la culture mongole pour proclamer l’Évangile dans cette culture.

J’ai pu découvrir une partie de cette beauté, notamment en faisant la connaissance de certaines personnes, en écoutant leurs histoires, en appréciant leur quête religieuse. En ce sens, je suis reconnaissant pour la rencontre interreligieuse et œcuménique de dimanche passé. La Mongolie a une grande tradition bouddhiste, avec de nombreuses personnes qui, en silence, vivent leur religiosité de manière sincère et radicale, à travers l’altruisme et la lutte contre leurs passions. Pensons à tant de graines de bien qui, de manière cachée, font germer le jardin du monde, alors qu’habituellement nous n’entendons que le bruit des arbres qui tombent ! Le scandale plaît aux gens, même à nous : « Mais regardez cette barbarie, un arbre qui tombe, le bruit qu’il a fait ! ». – « Mais tu ne vois donc pas la forêt grandir tous les jours ? » parce que la croissance se fait dans le silence. Il est décisif d’être capable de discerner et de reconnaître le bien. Au lieu de cela, bien souvent nous n’apprécions les autres que dans la mesure où ils correspondent à nos idées, nous devons plutôt voir ce bien. C’est pour cela qu’il est important, comme le fait le peuple mongol, de regarder vers le haut, vers la lumière du bien. Seulement ainsi, en partant de la reconnaissance du bien, on construit l’avenir commun ; ce n’est qu’en valorisant l’autre qu’on l’aide à s’améliorer.

Je suis allé au cœur de l’Asie et cela m’a fait du bien. Cela fait du bien d’entrer en dialogue avec ce grand continent, d’en saisir les messages, d’en connaître la sagesse, la façon de regarder les choses, d’étreindre le temps et l’espace. Cela m’a fait du bien de rencontrer le peuple mongol, qui conserve ses racines et ses traditions, respecte les personnes âgées et vit en harmonie avec l’environnement : c’est un peuple qui scrute le ciel et sent la respiration de la création. En pensant aux étendues illimitées et silencieuses de la Mongolie, laissons-nous stimuler par le besoin d’élargir les frontières de notre regard, s’il vous plait : élargir les frontières, regarder loin et haut, regarder et ne pas tomber prisonniers de la petitesse, élargir les frontières de notre regard, afin qu’il voit le bien qu’il y a chez les autres et soit capable de dilater les propres horizons et également dilater son propre cœur pour comprendre, pour être proche de chaque personne et de chaque civilisation.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Rencontre avec les travailleurs de la charité et inauguration de la Maison de la Miséricorde : Discours du Saint-Père

Le pape François a conclu sa visite apostolique en Mongolie en rencontrant des travailleurs caritatifs et en bénissant la nouvelle Maison de la Miséricorde à Oulan-Bator. Il a déclaré que « pour faire vraiment le bien, la bonté du cœur est essentielle : un engagement à rechercher ce qui est le mieux pour les autres. »

Voici le texte intégral:

RENCONTRE AVEC LES TRAVAILLEURS DE LA CHARITÉ
ET INAUGURATION DE LA MAISON DE LA MISÉRICORDE

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Oulan-Bator
Lundi 4 septembre 2023

Chers frères et sœurs, bonjour !

Je vous remercie de tout cœur pour l’accueil, le chant et la danse, pour vos mots de bienvenue et pour vos témoignages ! Je crois qu’ils peuvent être bien résumés par certaines paroles de Jésus : « J’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire » (Mt 25, 35). Le Seigneur nous offre ainsi le critère pour le reconnaître, pour le reconnaître présent dans le monde et la condition pour entrer dans la joie ultime de son Royaume au moment du jugement dernier.

Depuis ses débuts l’Église a pris au sérieux cette vérité, démontrant en actes que la dimension caritative fonde son identité. La dimension caritative fonde l’identité de l’Église. Je pense aux récits des Actes des Apôtres, aux nombreuses initiatives prises par la communauté chrétienne primitive pour réaliser les paroles de Jésus, donnant vie à une Église construite sur quatre piliers : la communion, la liturgie, le service et le témoignage. Il est merveilleux de constater qu’après tant de siècles, le même esprit imprègne l’Église en Mongolie : dans sa petitesse, elle vit de communion fraternelle, de prière, du service désintéressé à l’humanité souffrante et du témoignage de sa foi. Tout comme les quatre colonnes des grandes ger, qui soutiennent l’ouverture centrale supérieure, permettant à la structure de tenir debout et d’offrir un espace accueillant à l’intérieur.

Nous voici donc à l’intérieur de cette maison que vous avez construite et que j’ai aujourd’hui la joie de bénir et d’inaugurer. C’est une expression concrète de l’attention aux autres dans laquelle les chrétiens se reconnaissent, car là où il y a l’accueil, l’hospitalité et l’ouverture aux autres, on respire la bonne odeur du Christ (cf. 2 Co 2, 15). Se dépenser pour son prochain, pour sa santé, ses besoins fondamentaux, sa formation et sa culture, fait partie depuis ses débuts de cette portion vivante du Peuple de Dieu. Dès leur arrivée à Oulan-Bator dans les années 1990, les premiers missionnaires ont immédiatement ressenti l’appel à la charité, qui les a amenés à s’occuper des enfants abandonnés, des frères et sœurs sans abri, des malades, des personnes vivant avec un handicap, des prisonniers et de tous ceux qui, dans leur état de souffrance, demandaient à être accueillis.

Aujourd’hui, nous voyons comment un tronc a poussé de ces racines, des branches ont poussé et de nombreux fruits ont éclos : de nombreuses et louables initiatives caritatives, développées en projets à long terme, réalisées principalement par les différents Instituts missionnaires présents ici et appréciés par la population et les autorités civiles. D’autre part, c’est le gouvernement mongol lui-même qui avait demandé l’aide des missionnaires catholiques pour faire face aux nombreuses urgences sociales d’un pays qui, à l’époque, se trouvait dans une phase délicate de transition politique marquée par une pauvreté généralisée. Aujourd’hui encore, ces projets impliquent des missionnaires de nombreux pays, qui mettent leurs connaissances, leur expérience, leurs ressources et surtout leur amour au service de la société mongole. À eux, et à ceux qui soutiennent ces nombreuses bonnes œuvres, vont mon admiration et mes « remerciements » les plus sincères.

La Maison de la Miséricorde se veut un point de référence pour une multiplicité d’interventions caritatives, de mains tendues vers les frères et sœurs qui peinent à naviguer au milieu des problèmes de la vie. C’est une sorte de port où accoster, où pouvoir trouver écoute et compréhension. Mais cette nouvelle initiative, alors qu’elle s’ajoute aux nombreuses autres initiatives soutenues par les différentes institutions catholiques, en représente une version inédite : ici, en effet, c’est l’Église particulière qui porte le projet, dans la synergie de toutes les composantes missionnaires, mais avec une identité locale claire, comme une véritable expression de la Préfecture Apostolique dans son ensemble. Et j’aime beaucoup le nom que vous avez voulu lui donner : Maison de la Miséricorde. Dans ces deux mots se trouve la définition de l’Église, appelée à être une demeure accueillante où tous peuvent faire l’expérience d’un amour supérieur, qui remue et touche le cœur : l’amour tendre et providentiel du Père, qui veut que nous soyons frères, que nous soyons sœurs dans sa maison. Je souhaite donc que vous puissiez tous vous mobiliser autour de cette œuvre et que les différentes communautés missionnaires y participent activement, en y engageant des personnes et ressources.

Pour que cela se réalise, le volontariat est indispensable, c’est-à-dire le service purement gratuit et désintéressé, que les personnes décident librement d’offrir à ceux qui sont dans le besoin : non pas sur la base d’une compensation financière ou d’une quelconque forme de retour individuel, mais par pur amour pour le prochain. C’est le style de service que Jésus nous a enseigné en disant : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement » (Mt 10, 8). Servir ainsi semble un pari perdant, mais lorsqu’on risque, on découvre que ce qu’on donne sans attendre en retour n’est pas perdu ; au contraire, cela devient une grande richesse pour ceux qui offrent leur temps et leur énergie. En effet, la gratuité allège l’âme, guérit les blessures du cœur, rapproche de Dieu, ouvre la source de la joie et maintient la jeunesse intérieure. Dans ce pays plein de jeunes, se consacrer au volontariat peut être un chemin décisif pour la croissance personnelle et sociale.

C’est aussi un fait que, même dans les sociétés hautement technologiques et à haut niveau de vie, le système de protection sociale ne suffit pas à lui seul à fournir tous les services aux citoyens, s’il n’y a pas en plus des légions de bénévoles qui consacrent leur temps, leurs compétences et leurs ressources à l’amour du prochain. En effet, le véritable progrès des nations ne se mesure pas à la richesse économique, et encore moins à celle des investissements dans le pouvoir illusoire des armements, mais à leur capacité à assurer la santé, l’éducation et la croissance intégrale de leur peuple. Je voudrais donc encourager tous les citoyens mongols, connus pour leur magnanimité et leur capacité d’abnégation, à s’engager dans le bénévolat, en se mettant à la disposition des autres. Ici, à la Maison de la Miséricorde, vous disposez d’un « gymnase » toujours ouvert où vous pouvez exercer vos désirs de bien et entraîner votre cœur.

Enfin, je voudrais démentir certains « mythes ». Tout d’abord, celui selon lequel seules les personnes aisées peuvent s’engager dans le volontariat. C’est une « fantaisie ». La réalité dit le contraire : il n’est pas nécessaire d’être riche pour faire le bien, au contraire, ce sont presque toujours les personnes ordinaires qui consacrent leur temps, leurs connaissances et leur cœur à s’occuper des autres. Deuxième mythe à briser : celui selon lequel l’Église catholique, qui se distingue dans le monde entier par son grand engagement dans les œuvres de promotion sociale, fait tout cela par prosélytisme, comme si le fait de s’occuper des autres était une forme de conviction pour attirer « de son côté ». Non, l’Église ne va pas de l’avant par prosélytisme, elle va de l’avant par attraction. Les chrétiens reconnaissent ceux qui sont dans le besoin et font tout leur possible pour soulager leurs souffrances parce qu’ils y voient Jésus, le Fils de Dieu, et en lui la dignité de chaque personne, appelée à être un fils ou une fille de Dieu. J’aime imaginer cette Maison de la Miséricorde comme le lieu où des personnes de différentes « croyances », et même des non-croyants, unissent leurs efforts à ceux des catholiques locaux pour secourir avec compassion de nombreux frères et sœurs en humanité. C’est le mot, compassion : la capacité de souffrir avec l’autre. Et l’État saura protéger et promouvoir cela de manière adéquate. Pour que ce rêve devienne réalité, il est en effet indispensable, ici et ailleurs, que les responsables publics soutiennent ces initiatives humanitaires, faisant preuve d’une synergie vertueuse pour le bien commun. Enfin, un troisième mythe à casser : celui selon lequel seuls les moyens économiques comptent, comme si la seule façon de s’occuper des autres était d’employer des salariés et d’investir dans de grandes infrastructures. Certes, la charité exige du professionnalisme, mais les initiatives caritatives ne doivent pas devenir des entreprises, mais conserver la fraîcheur des œuvres de charité, où ceux qui sont dans le besoin trouvent des personnes capables d’écoute, capables de compassion, au-delà de toute rémunération.

En d’autres termes, pour faire vraiment le bien, ce qui est indispensable, c’est un cœur bon, un cœur déterminé à chercher le meilleur pour l’autre. S’engager uniquement en vue d’une rémunération n’est pas un véritable amour ; seul l’amour permet de surmonter l’égoïsme et fait avancer le monde. À cet égard, j’aimerais conclure en rappelant un épisode lié à sainte Teresa de Calcutta. Il semble qu’un journaliste, la regardant courbée sur la plaie malodorante d’un malade, lui ait dit un jour : « Ce que vous faites est beau, mais personnellement je ne le ferais pas même pour un million de dollars ». Mère Teresa répondit : « Pour un million de dollars, je ne le ferais pas non plus. Je le fais pour l’amour de Dieu ! » Je prie pour que ce style de gratuité soit la valeur ajoutée de la Maison de la Miséricorde. Pour tout le bien que vous avez fait et que vous ferez, je vous remercie de tout cœur – Merci, merci beaucoup ! – et je vous bénis. Et s’il vous plaît, ayez aussi la charité de prier pour moi. Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François lors de la messe à la Steppe Arena

Le dimanche 3 septembre, lors de sa visite apostolique en Mongolie, le pape François a prononcé l’homélie de la messe à la Steppe Arena. Il a dit : « Seul l’amour satisfait la soif de nos cœurs, seul l’amour guérit nos blessures, seul l’amour nous apporte la vraie joie. C’est la voie que Jésus nous a enseignée, c’est le chemin qu’il a ouvert devant nous. »

Voici le texte intégral:

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Steppe Arena (Oulan-Batar)
Dimanche 3 septembre 2023

Avec les paroles du psaume, nous avons prié : « Ô Dieu, […] mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau » (Ps 63, 2). Cette merveilleuse invocation accompagne le voyage de notre vie, au milieu des déserts que nous sommes appelés à traverser. Et c’est précisément dans cette terre aride que nous parvient une bonne nouvelle : nous ne sommes pas seuls sur notre chemin ; nos aridités n’ont pas le pouvoir de rendre notre vie stérile à jamais ; le cri de notre soif n’est pas ignoré. Dieu le Père a envoyé son Fils pour nous donner de l’eau vive de l’Esprit Saint afin de désaltérer notre âme (cf. Jn 4, 10). Et Jésus – nous venons de l’entendre dans l’Évangile – nous montre le chemin pour être désaltérés : c’est le chemin de l’amour, qu’il a parcouru jusqu’au bout, jusqu’à la croix, et sur lequel il nous appelle à le suivre « en perdant la vie pour la retrouver » à nouveau (cf. Mt 16, 24-25).

Arrêtons-nous ensemble sur ces deux aspects : la soif qui nous habite et l’amour qui nous désaltère.

Avant tout, nous sommes appelés à reconnaître la soif qui nous habite. Le psalmiste crie à Dieu sa soif ardente parce que sa vie ressemble à un désert. Ses mots ont une résonance particulière dans une terre comme la Mongolie : un territoire immense, riche d’histoire, une terre pleine de culture, mais aussi marqué par l’aridité de la steppe et du désert. Beaucoup d’entre vous sont habitués à la beauté et à la difficulté de marcher, une action qui rappelle un aspect essentiel de la spiritualité biblique, représentée par la figure d’Abraham et, plus généralement, précisément du peuple d’Israël et de tout disciple du Seigneur : en effet, tous, nous sommes tous des « nomades de Dieu », des pèlerins en quête du bonheur, des voyageurs assoiffés d’amour. Le désert évoqué par le psalmiste se réfère donc à notre vie : nous sommes cette terre aride qui a soif d’une eau limpide, d’une eau qui désaltère en profondeur ; c’est notre cœur qui aspire à découvrir le secret de la vraie joie, celle qui, même au milieu des aridités existentielles, peut nous accompagner et nous soutenir. Oui, nous portons en nous une soif inextinguible de bonheur ; nous sommes à la recherche d’un sens et d’une orientation pour notre vie, d’une motivation pour les activités que nous menons chaque jour ; et surtout nous sommes assoiffés d’amour, car c’est seulement l’amour qui nous satisfait vraiment, qui nous fait sentir bien – l’amour nous fait nous sentir bien -, qui nous ouvre à la confiance, en nous faisant goûter la beauté de la vie. Chers frères et sœurs, la foi chrétienne répond à cette soif ; elle la prend au sérieux ; elle ne la supprime pas, elle ne cherche pas à l’étancher avec des palliatifs ou des substituts : non ! Car notre grand mystère se trouve dans cette soif : elle nous ouvre au Dieu vivant, au Dieu Amour qui vient à notre rencontre pour faire de nous ses enfants et des frères et sœurs entre nous.

Nous en arrivons ainsi au deuxième aspect : l’amour qui nous désaltère. Il y a d’abord eu notre soif, existentielle, profonde, et pensons maintenant à l’amour qui nous désaltère. C’est le contenu de la foi chrétienne : Dieu, qui est amour, dans son Fils Jésus, s’est fait proche de toi, de moi, de nous tous, il veut partager ta vie, tes peines, tes rêves, ta soif de bonheur. Certes, nous nous sentons parfois comme une terre déserte, aride et sans eau, mais il est tout aussi vrai que Dieu prend soin de nous et nous offre l’eau limpide et rafraîchissante, l’eau vive de l’Esprit qui, jaillissant en nous, nous renouvelle, en nous libérant du danger de la sécheresse. Cette eau nous est donnée par Jésus. Comme l’affirme saint Augustin, « si nous nous reconnaissons dans l’assoiffé, nous nous reconnaîtrons aussi dans le désaltéré » (Sur le Psaume 62, 3). En effet, si tant de fois dans notre vie nous faisons l’expérience du désert, de la solitude, de la fatigue, de la stérilité, nous ne devons cependant pas oublier ceci : « Pour que nous ne tombions pas en défaillance dans ce désert – ajoute Augustin – le Seigneur répand en nos cœurs la divine rosée de sa parole […]. Nous sommes altérés et nous pouvons nous rafraîchir au moyen de la grâce que Dieu nous accorde. […] Le Seigneur a pris pitié de notre infortune ; il a tracé pour nous une voie dans le désert de notre vie, il nous a donné Notre-Seigneur Jésus-Christ », qui est la voie dans le désert de la vie. « Pour nous consoler dans ce désolant pèlerinage, des prédicateurs de sa parole ont été envoyés par lui vers nous ; il nous a donné de l’eau pour nous désaltérer dans cette aride solitude, car il a rempli ses Apôtres de l’Esprit-Saint qui est devenu en eux une source d’eau vive, jaillissant jusqu’à la vie éternelle » (ibid. 3.8). Ces paroles, chers frères et sœurs, rappellent votre histoire : dans les déserts de la vie et dans la difficulté d’être une petite communauté, le Seigneur ne vous laisse pas manquer de l’eau de sa Parole, surtout à travers les prédicateurs et les missionnaires qui, oints par l’Esprit Saint, en sèment la beauté. Et la Parole toujours, toujours nous ramène à l’essentiel, à l’essentiel de la foi : se laisser aimer par Dieu pour faire de notre vie une offrande d’amour. Car seul l’amour nous désaltère vraiment. N’oublions pas que seul l’amour désaltère vraiment.

C’est ce que Jésus dit d’un ton fort à l’apôtre Pierre dans l’Évangile d’aujourd’hui. Celui-ci n’accepte pas que Jésus doive souffrir, être accusé par les chefs du peuple, passer par la passion et mourir sur la croix. Pierre réagit, Pierre proteste, il voudrait convaincre Jésus qu’il a tort, car selon lui – et c’est ce que nous pensons si souvent nous aussi – le Messie ne peut pas finir vaincu, et ne peut absolument pas mourir crucifié, comme un malfaiteur abandonné par Dieu. Mais le Seigneur réprimande Pierre, parce que sa façon de penser est « selon le monde », dit le Seigneur, et non selon Dieu (cf. Mt 16, 21-23). Si nous pensons que le succès, le pouvoir, les choses matérielles, suffisent à étancher la soif ardente de notre vie, c’est une mentalité mondaine qui ne conduit à rien de bon et, bien plus, nous laisse plus arides qu’auparavant. Jésus, au contraire, nous montre le chemin : « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 16, 24-25).

Frères et sœurs, le meilleur chemin est celui-ci : embrasser la croix du Christ. Au cœur du christianisme, se trouve cette nouvelle bouleversante, cette nouvelle extraordinaire : lorsque tu perds ta vie, lorsque tu l’offres généreusement dans le service, lorsque tu la risques en l’engageant dans l’amour, lorsque tu en fais un don gratuit pour les autres, alors elle te revient en abondance, elle répand en toi une joie qui ne passe pas, une paix du cœur, une force intérieure qui te soutient. Et nous avons besoin de paix intérieure.

C’est la vérité que Jésus nous invite à découvrir, que Jésus veut vous révéler à tous, à cette terre de Mongolie : il n’est pas nécessaire d’être grand, riche ou puissant pour être heureux : non ! Seul l’amour désaltère notre cœur, seul l’amour guérit nos blessures, seul l’amour nous donne la vraie joie. Et c’est la voie que Jésus a enseignée et ouverte pour nous.

Écoutons donc frères et sœurs, nous aussi, la parole que le Seigneur dit à Pierre : « Passe derrière moi » (Mt 16, 23), c’est-à-dire : deviens mon disciple, fais le même chemin que moi et ne pense plus selon le monde. Alors, avec la grâce du Christ et de l’Esprit Saint, nous pourrons marcher sur le chemin de l’amour. Même quand aimer signifie se renier soi-même, lutter contre les égoïsmes personnels et mondains, prendre le risque de vivre la fraternité. Car s’il est vrai que tout cela exige des efforts et des sacrifices et signifie parfois devoir monter sur la croix, il est encore plus vrai que lorsque nous perdons notre vie pour l’Évangile, le Seigneur nous la donne en abondance, pleine d’amour et de joie, pour l’éternité.

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Remerciement à la fin de la messe

 

Je voudrais profiter de la présence de ces deux frères évêques, l’évêque émérite de Hong Kong et l’évêque actuel de Hong Kong, pour saluer chaleureusement le noble peuple chinois. À tout le peuple, je souhaite le meilleur, et d’aller toujours de l’avant, de toujours progresser ! Et aux catholiques chinois, je demande d’être de bons chrétiens et de bons citoyens. À tous. Merci.

Merci, Éminence, pour vos paroles, et merci pour votre don ! Vous avez dit qu’en ces jours vous avez touché du doigt combien m’est cher le Peuple de Dieu qui est en Mongolie. Certes, je suis parti pour ce pèlerinage avec beaucoup d’attente, avec le désir de vous rencontrer et de vous connaître, et maintenant je remercie Dieu pour vous parce que, à travers vous, Il aime accomplir de grandes choses dans la petitesse. Merci, parce que vous êtes de bons chrétiens et d’honnêtes citoyens. Allez de l’avant, avec douceur et sans peur, en ressentant la proximité et l’encouragement de toute l’Église, et surtout le regard tendre du Seigneur qui n’oublie personne et qui regarde avec amour chacun de ses enfants.

Je salue les frères évêques, les prêtres, les personnes consacrées et tous les amis venus ici de différents pays, en particulier de diverses régions de l’immense continent asiatique, où je suis honoré de me trouver et que j’étreins avec une grande affection. J’exprime ma gratitude particulière à ceux qui aident l’Église locale, en la soutenant spirituellement et matériellement.

Ces jours-ci, d’importantes délégations du gouvernement ont participé à chaque événement : je remercie Monsieur le Président et les Autorités pour l’accueil et leur cordialité, ainsi que pour tous les préparatifs effectués. J’ai touché du doigt la traditionnelle cordialité : merci !

Je salue également de tout cœur les frères et sœurs d’autres Confessions chrétiennes et religions : continuons à grandir ensemble dans la fraternité, comme des semences de paix dans un monde tristement endeuillé par trop de guerres et de conflits.

Et je voudrais adresser une pensée reconnaissante à tous ceux qui ont travaillé ici, beaucoup et depuis si longtemps, pour rendre ce voyage beau, pour rendre ce voyage possible, et à tous ceux qui l’ont préparé par la prière.

Éminence, vous nous avez rappelé que le mot “merci” en langue mongole vient du verbe “se réjouir”. Mes remerciements s’accordent avec cette merveilleuse intuition de la langue locale, parce qu’ils sont pleins de joie. C’est un grand merci à toi, peuple mongol, pour le don de l’amitié que j’ai reçu ces jours-ci, pour ta capacité authentique d’apprécier même les aspects les plus simples de la vie, de garder avec sagesse les relations et les traditions, de cultiver le quotidien avec soin et attention.

La Messe est action de grâce, “Eucharistie”. La célébrer sur cette terre m’a rappelé la prière du père jésuite Pierre Teilhard de Chardin, adressée à Dieu il y a exactement 100 ans, dans le désert d’Ordos, non loin d’ici. Il dit ainsi : « Je me prosterne, ô Seigneur, devant votre Présence dans l’Univers devenu ardent et, sous les traits de tout ce que je rencontrerai, et de tout ce qui m’arrivera, et de tout ce que je réaliserai en ce jour, je vous désire, je vous attends ». Le Père Teilhard était engagé dans des recherches géologiques. Il désirait ardemment célébrer la Messe, mais il n’avait ni pain ni vin avec lui. C’est alors qu’il composa sa “Messe sur le monde”, exprimant ainsi son offrande : « Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la Création, mue par votre attrait, vous présente à l’aube nouvelle ». Et une prière similaire était déjà née en lui alors qu’il se trouvait au front pendant la Première Guerre mondiale, où il travaillait comme brancardier. Ce prêtre, souvent incompris, avait l’intuition que « l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens – dans un certain sens –, sur l’autel du monde » et qu’elle est « le centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie inépuisables » (Enc. Laudato si’, n. 236), même à notre époque de tensions et de guerres. Prions donc aujourd’hui avec les paroles du père Teilhard : « Verbe étincelant, Puissance ardente, Vous qui pétrissez le Multiple pour lui insuffler votre vie, abaissez, je vous prie, sur nous, vos mains puissantes, vos mains prévenantes, vos mains omniprésentes».

Frères et sœurs de la Mongolie, merci pour votre témoignage, bayarlalaa ! [merci !]. Que Dieu vous bénisse. Vous êtes dans mon cœur et vous y resterez. Souvenez-vous de moi, s’il vous plaît, dans vos prières et dans vos pensées. Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

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