Homélie du pape François lors de la Messe au « Parque de Los Samanes » de Guayaquil, Équateur

Homélie prononcée le lundi 6 juillet 2015

Le passage de l’Evangile que nous venons d’entendre est le premier signe prodigieux qui se réalise dans le récit de l’Evangile de Jean. La préoccupation de Marie, devenue requête à Jésus : “Ils n’ont pas de vin” et la référence à “l’heure”, cette préoccupation se comprendra grâce aux récits de la Passion.

C’est bien qu’il en soit ainsi, parce que cela nous permet de voir la détermination de Jésus à enseigner, à accompagner, à guérir et à donner la joie à partir de cet appel au secours de la part de sa mère : “Ils n’ont pas de vin’’.

Les noces de Cana se répètent avec chaque génération, avec chaque famille, avec chacun de nous et nos tentatives pour faire en sorte que notre cœur arrive à se fixer sur des amours durables, fécondes et joyeuses. Donnons à Marie une place ; ‘‘la mère’’ comme le dit l’évangéliste. Faisons avec elle l’itinéraire de Cana.

Marie est attentive à ces noces déjà commencées, elle est sensible aux besoins des fiancés. Elle ne se replie pas sur elle-même, elle ne s’enferme pas, son amour fait d’elle un ‘‘être vers’’ les autres. Et pour cela, elle se rend compte du manque de vin. Le vin est signe de joie, d’amour, d’abondance. Combien de nos adolescents et jeunes perçoivent que dans leurs maisons depuis un moment il n’y en a plus ! Combien de femmes seules et attristées se demandent quand l’amour s’en est allé, quand la vie s’est obscurcie ! Combien de personnes âgées se sentent exclues de la fête de leurs familles, marginalisées et ne s’abreuvant pas de l’amour quotidien ! Le manque de vin peut aussi être l’effet du manque de travail, l’effet de maladies, de situations problématiques que nos familles traversent. Marie n’est pas une mère ‘‘qui réclame’’, elle n’est pas une belle-mère qui surveille pour s’amuser de nos incapacités, de nos erreurs ou manques d’attention. Marie est mère ! Elle est là, pleine d’attention et de sollicitude.

Mais Marie recourt à Jésus avec confiance, Marie prie. Elle ne s’adresse pas au majordome ; directement, elle présente la difficulté des mariés à son Fils. La réponse qu’elle reçoit semble décourageante : « Que me veux-tu ? Mon heure n’est pas encore venue » (v. 4). Cependant, entre temps, elle a déjà remis le problème entre les mains de Dieu. Son empressement pour les besoins des autres accélère l’‘‘heure’’ de Jésus. Marie fait partie de cette heure, depuis la crèche jusqu’à la croix. Elle qui a su « transformer une grotte pour des animaux en maison de Jésus, avec de pauvres langes et une montagne de tendresse » (Evangelii Gaudium, n. 286) et qui nous a reçus comme fils quand une épée lui a traversé le cœur, nous enseigne à remettre nos familles entre les mains de Dieu ; à prier, en allumant l’espérance qui nous indique que nos préoccupations sont aussi celles de Dieu.

Prier nous fait toujours sortir du périmètre de nos soucis, nous fait transcender ce qui nous fait mal, ce qui nous secoue ou nous manque à nous-mêmes et nous conduit à nous mettre dans la peau des autres, dans leurs souliers. La famille est une école où la prière nous rappelle aussi qu’il y a un nous, qu’il y a un prochain proche, sous les yeux : il vit sous le même toit, partage la vie et se trouve dans le besoin.

Marie, enfin, agit. Les paroles « Tout ce qu’il vous dira, faites-le » (v. 5), adressées à ceux qui servaient, sont une invitation à nous aussi, invitation à nous mettre à la disposition de Jésus, qui est venu servir et non pour être servi. Le service est le critère du vrai amour. Et cela s’apprend spécialement en famille, où nous nous faisons serviteurs les uns des autres par amour. Au sein de la famille, personne n’est marginalisé ; là « on apprend à demander une permission avec respect, à dire ‘‘merci’’ comme expression d’une juste évaluation des choses qu’on reçoit, à dominer l’agressivité ou la voracité, et à demander pardon quand on cause un dommage. Ces petits gestes de sincère courtoisie aident à construire une culture de la vie partagée et du respect pour ce qui nous entoure » (Laudato si’, n. 213). La famille est l’hôpital le plus proche, la première école des enfants, le groupe de référence indispensable des jeunes, la meilleure maison de retraite pour les personnes âgées. La famille constitue la grande ‘‘richesse sociale’’ que d’autres institutions ne peuvent pas remplacer, qui doit être aidée et renforcée, pour ne jamais perdre le sens juste des services que la société prête aux citoyens. En effet, ces services ne sont pas une aumône, mais une vraie “dette sociale” à l’endroit de l’institution familiale, qui apporte tant au bien commun de tous.

La famille forme aussi une petite Eglise, une “Eglise domestique” qui, avec la vie, achemine la tendresse et la miséricorde divine. Dans la famille, la foi se mélange au lait maternel : en expérimentant l’amour des parents, on sent proche l’amour de Dieu.

Et dans la famille, les miracles se réalisent avec ce qu’il y a, avec ce que nous sommes, avec ce que l’on a à portée de main… bien souvent ce n’est pas l’idéal, ce n’est pas ce dont nous rêvons, ni ce qui “devrait être”. Le vin nouveau des noces de Cana provient des jarres de purification , c’est- à-dire de l’endroit où tous avaient laissé leurs péchés… “là où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé” (Rm 5, 20). Dans la famille de chacun d’entre nous et dans la famille commune que nous formons tous, rien n’est écarté, rien n’est inutile. Peu avant le début de l’Année Jubilaire de la Miséricorde, l’Eglise célèbrera le Synode Ordinaire consacré aux familles, pour faire mûrir un vrai discernement spirituel et trouver des solutions concrètes aux nombreuses difficultés et aux importants défis que la famille doit affronter de nos jours. Je vous invite à intensifier votre prière à cette intention, pour que même ce qui nous semble encore impur, nous scandalise ou nous effraie, Dieu – en le faisant passer par son “heure” – puisse le transformer en miracle.

Tout a commencé parce qu’“ils n’avaient pas de vin”, et tout a pu se réaliser parce qu’une femme – la Vierge – était attentive, a su remettre dans les mains de Dieu ses préoccupations, et a agi avec bon sens et courage. Mais le résultat final n’est pas moindre : ils ont goûté le meilleur des vins. Et voici la bonne nouvelle : le meilleur des vins est sur le point d’être savouré, le plus admirable, le plus profond et le plus beau pour la famille reste à venir. Le temps reste à venir, où nous savourerons l’amour quotidien, où nos enfants redécouvriront l’espace que nous partageons, et les personnes âgées seront présentes dans la joie de chaque jour. Le meilleur des vins reste à venir. Le meilleur des vins reste à venir pour chaque personne qui se risque à l’amour. Et il reste à venir même si tous les paramètres et les statistiques disent le contraire ; le meilleur vin reste à venir en ceux qui aujourd’hui voient tout s’effondrer. Murmurez-le jusqu’à le croire: le meilleur vin reste à venir et susurrez-le aux désespérés ou aux mal-aimés. Dieu s’approche toujours des périphéries de ceux qui sont restés sans vin, de ceux à qui il ne reste à boire que le découragement ; Jésus a un faible pour offrir en abondance le meilleur des vins à ceux qui pour une raison ou une autre, sentent déjà que toutes leurs jarres se sont cassées.

Comme Marie nous y invite, faisons “tout ce qu’il dira” et soyons reconnaissants que, à notre temps et à notre heure, le vin nouveau, le meilleur, nous fasse récupérer la joie d’être une famille.

Cérémonie d’accueil du Pape François à l’aéroport “Mariscal Sucre” de Quito, Équateur

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Notez que le pape François a adressé plusieurs remarques personnelles au Président de l’Équateur. Le texte qui suit ci-dessous n’est pas un text définitif. Une version finale sera publiée par la suite.

Monsieur le Président,
Distinguées Autorités du Gouvernement,
Frères dans l’Episcopat,
Mesdames et Messieurs, vous tous chers amis,

Je rends grâce à Dieu de m’avoir permis de retourner en Amérique Latine et d’être aujourd’hui ici avec vous, dans cette belle terre de l’Équateur. Je ressens joie et gratitude en voyant la chaleureuse bienvenue que vous me réservez : c’est un signe de plus du caractère accueillant qui définit si bien les habitants de cette noble Nation.

Je vous remercie, Monsieur le Président, pour les paroles aimables que vous m’avez adressées, auxquelles je réponds par mes vœux les meilleurs pour l’exercice de votre mission. Je salue cordialement les distinguées Autorités du Gouvernement, mes frères Evêques, les fidèles de l’Église dans ce pays et tous ceux qui m’ouvrent aujourd’hui les portes de leur cœur, de leur foyer et de leur Patrie. À vous tous mon affection et ma sincère reconnaissance.

J’ai visité l’Équateur à diverses occasions pour des raisons pastorales ; de même aujourd’hui, je viens comme témoin de la miséricorde de Dieu et de la foi en Jésus-Christ. La même foi qui durant des siècles a modelé l’identité de ce peuple et donné tant de bons fruits, parmi lesquels se démarquent des figures illustres comme Sainte Marie-Anne de Jésus, le frère saint Miguel Febres, sainte Narcisse de Jésus ou la bienheureuse Mercedes de Jésus Molina, béatifiée à Guayaquil, il y a trente ans durant la visite du Pape saint Jean-Paul II. Ils ont vécu la foi avec intensité et enthousiasme, et en pratiquant la miséricorde, ils ont contribué, dans divers domaines, à améliorer la société équatorienne de leur temps.

Aujourd’hui, nous aussi nous pouvons trouver dans l’Évangile les clés qui nous permettent d’affronter les défis actuels, en mettant en valeur les différences, en promouvant le dialogue et la participation sans exclusions, pour que les réussites dans le progrès et dans le développement qu’on est en train d’obtenir garantissent un meilleur avenir pour tous, en accordant une attention spéciale à nos frères les plus fragiles et aux minorités les plus vulnérables. Pour cela, Monsieur le Président, vous pourrez toujours compter sur l’engagement et la collaboration de l’Église.

Vous tous, chers amis, je commence avec émotion et espérance les jours que nous avons devant nous. En Équateur se trouve le point le plus proche de l’espace extérieur : c’est le Chimborazo, appelé pour cela l’endroit ‘‘le plus proche du Soleil’’, de la lune et des étoiles. Nous, les chrétiens, nous identifions Jésus-Christ au soleil, et la lune à l’Eglise, la communauté ; personne, sauf Jésus, n’a sa propre lumière. Que tous les jours nous devienne plus évidente à tous la proximité “du soleil qui vient d’en haut”, et que nous soyons le reflet de sa lumière, de son amour.

D’ici je veux embrasser l’Équateur tout entier. Que depuis le sommet du Chimborazo, jusqu’aux côtes du Pacifique ; que depuis la forêt amazonienne, jusqu’aux Îles Galápagos, vous ne perdiez jamais la capacité de rendre grâce à Dieu pour ce qu’il a fait et fait pour vous, la capacité de protéger ce qui est petit et ce qui est simple, de prendre soin de vos enfants et des personnes âgées, de vous émerveiller de la noblesse de votre peuple et de la beauté singulière de votre pays.

Que le Cœur Sacré de Jésus et le Cœur Immaculé de Marie, à qui l’Equateur a été consacré, répandent sur vous leur grâce et bénédiction. Merci beaucoup.

Un centre éducatif au coeur du quartier pauvre

L’engagement de Misericordia auprès des enfants pauvres du quartier de La Pincoya se concrétise notamment par l’ouverture d’un centre éducatif. Trois après-midi par semaine l’oeuvre catholique accueille une vingtaine de jeunes à qui elle offre un soutien scolaire, une formation spirituelle, et des ateliers pédagogiques (cuisine, danse, jardinage), afin de lutter contre l’échec scolaire et le désoeuvrement. Ces actions sont aussi une manière, pour les missionnaires, d’éduquer ces jeunes à la vie en société, et de leur faire prendre conscience de leurs talents. Car lorsqu’ils arrivent au centre, ces enfants sont souvent blessés par la violence, et issus de familles touchées par la drogue. C’est ce que nous explique Étienne Baroux, volontaire à Misericordia.

Aux côtés des plus fragiles

Misericordia

À travers les rayons de la Compassion et de l’Évangélisation l’oeuvre Misericordia occupe un terrain à la fois humain et spirituel. Par la compassion, les missionnaires veulent servir les plus pauvres. Ils visitent les personnes malades pour tenter de soulager leurs souffrances, ils rencontrent dans les rues les exclus pour partager leurs peines, ils prennent soin des enfants délaissés en ouvrant pour eux un centre éducatif, et en proposant aux enfants des rues des activités pédagogiques. Par l’Évangélisation, les missionnaires veulent porter la Bonne Nouvelle de l’Évangile aux petits et aux humbles « à ceux qui peinent et qui sont fatigués », pour que ceux qui souffrent trouvent en la personne du Christ un sens nouveau à leurs souffrances, et une espérance nouvelle pour vivre leur quotidien. Par ces actions concrètes de charité et d’apostolat dans les lieux de souffrance, Misericordia veut être comme le « coeur du Christ » qui accueille tous les hommes avec amour.

 

À la rencontre de Misericordia

Misericordia est une oeuvre catholique fondée en Amérique Latine en 2013, près de Santiago du Chili, par Romain et Rena de Chateauvieux. Cette oeuvre veut être une « présence aimante et active » dans les lieux de souffrances, au coeur des quartiers pauvres et auprès des populations les plus démunies. Elle est une réponse concrète à l’appel du pape François qui nous invite à pratiquer la Charité, ainsi que la Miséricorde qui « change le monde, et qui le rend moins froid et plus juste ». Misericordia repose sur deux volets, comme nous l’explique Romain de Chateauvieux.

Au revoir Brésil

Notre séjour au Brésil se termine, et nous quittons le pays plein de reconnaissance et d’admiration. À l’égard d’abord de l’évêque de Conceiçao, Dom Dominique You, un homme d’une grande simplicité et un pasteur attentif aux préoccupations de ses fidèles. Les projets « Bernadette » et « Sonho de Mâe » en sont d’ailleurs de bons exemples. Nous le remercions de nous avoir accueillis comme des amis, et de nous avoir consacré du temps. Nous avons aussi été touchés par le témoignage des volontaires dont le service auprès des plus pauvres est une belle réponse au message de l’Évangile. Enfin nos remerciements vont vers deux bénévoles Fidesco, Émilie et Émilienne, nos guides et interprètes, sans qui notre tournage aurait été bien difficile. Ce dernier nous permettra de partager le témoignage des jeunes femmes en situation difficile, et de montrer comment le diocèse répond à leurs besoins.

« Rêve de Maman », pour les jeunes mères en difficulté

Après avoir été initié à Salvador de Bahia, le projet « Sonho de Mâe » (Rêve de maman) existe depuis 2008 au diocèse de Conceiçao do Araguaia, grâce à son évêque  Dom Dominique You. Son objectif principal est d’accompagner les jeunes mères en situation de précarité, durant leur grossesse pas toujours désirée. Le projet garantit ainsi à ces femmes angoissées et rejetées un soutien psychologique et spirituel, il les prépare à accueillir la vie et à aimer leur enfant avant sa naissance. Pour en parler, nous rencontrons Émilie Peigné, volontaire Fidesco, coordinatrice du projet Sonho de Mâe.

Projet Bernadette, au service des prostituées

 

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Au diocèse de Conceiçao do Araguaia, le projet Bernadette accueille les jeunes filles prostituées des quartiers pauvres de la ville. Elles ont entre 12 et 17 ans et sont également victimes, la plupart du temps, de l’alcool et de la drogue. Nous les rencontrons dans le cadre de notre reportage, et de prime abord notre caméra ne les impressionne pas. Elles sont plutôt souriantes, pas vraiment timides, et parfois ont une gueule d’ange, si bien qu’on a du mal à imaginer qu’elles s’adonnent à la prostitution pour gagner un téléphone, ou un peu d’argent. Certaines fillettes acceptent de donner une interview. L’exercice pour elles n’est pas facile. Assises, face à la caméra, elles se livrent, en égrenant les épreuves qui ont émaillées leur vie, douloureuse et pourtant si jeune. Mais c’est toujours le même constat : elles parlent très difficilement de cette activité sexuelle dont elles ont honte. L’une d’elles, rejetée par ses parents, se prostitue pour ne pas dormir dans la rue avec les chiens errants. Une autre, se prostitute aujourd’hui après avoir été violée par son beau-père alors qu’elle n’avait pas dix ans. D’autres encore sont envoyées par leurs propres parents pour rapporter l’argent à la maison…C’est donc pour tenter de les sortir de cette misère que le projet Bernadette, encadré par des volontaires, propose à ces adolescentes des activités artistiques et professionnalisantes qui leur permettent de s’épanouir et de trouver du travail.

« Changer de cap ! » – Cardinal André VINGT-TROIS

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Cardinal André VINGT-TROIS

Archevêque de Paris

Rarement une encyclique aura été aussi attendue. À six mois du grand rendez-vous de la COP 21 à Paris, le pape François adresse un appel solennel à toute l’humanité au sujet d’un immense défi : la dégradation globale de l’environnement naturel. Successeur de l’apôtre Pierre, et à ce titre, témoin du Christ ressuscité, François invite tous les hommes de bonne volonté à un changement de cap en resituant chacun devant sa responsabilité de prendre soin de la « maison commune » où Dieu a donné à tout être une place. Mais il se fait aussi le porte-parole de ceux qui, ensemble, gémissent sous le poids de la souffrance : les pauvres et la nature. Car, aux yeux du Pape, il n’existe pas deux crises séparées, l’une environnementale et l’autre sociale. Environnement naturel et environnement humain se dégradent ensemble. Sauvegarde de la terre comme « maison commune » et amour des pauvres vont de pair. Si François relaie ainsi le cri des plus fragiles, c’est que le défi environnemental ainsi que ses racines concernent la totalité des hommes et touchent chacun au plus profond de son humanité. Pour surmonter ensemble, par un dialogue multiforme, ce redoutable défi, nous avons d’abord à changer de regard, ce qui suppose que nous commencions par ouvrir les yeux.

Ouvrir les yeux. Le Pape n’ignore ni les débats scientifiques en cours, ni les divergences d’opinion, ni les résistances à la conversion écologique, y compris chez des catholiques convaincus. Il passe cependant en revue les symptômes majeurs qui affectent gravement notre terre. Sans entrer dans ce qui relève de l’expertise scientifique, François a voulu nommer les choses en prenant des exemples concrets, pour que nul ne puisse considérer avec mépris ou indifférence les alertes lancés par nombre d’experts. « Le rythme de consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement a dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à des catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà périodiquement dans diverses régions (n° 161). » Le pape espère, ce qui est loin d’être le cas pour tous, que chacun pourra prendre conscience de la situation et « oser transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde » (n° 19).

Changer de regard. Le Pape replace le défi écologique à son niveau le plus radical, celui d’une conversion dans la manière d’appréhender la vie et l’activité humaines. Sans cette conversion, toutes les solutions, qu’elles soient techniques ou économiques ou juridico-politiques, seront insuffisantes et pourront au mieux retarder une échéance qui s’annonce catastrophique. Le changement de vision du monde concerne ici le rapport de l’homme à la technique moderne. Si celle-ci a considérablement amélioré les conditions de vie, elle place aujourd’hui les hommes devant une option abyssale en leur donnant un pouvoir sans mesure sur eux-mêmes et sur la terre tout entière.

C’est que l’immense essor des sciences et des techniques n’a pas été accompagné d’un progrès éthique et culturel équivalent. Pire encore, le modèle et les finalités des technosciences se sont étendus à la vie concrète des individus comme des sociétés. Il est devenu très difficile de s’abstraire des fabuleux moyens mis à notre disposition, ou même d’en faire usage, sans être asservi par leur logique qui exténue progressivement toute capacité de décision, de liberté et de créativité. Aussi la solution au défi environnemental ne peut-elle se réduire à des initiatives partielles et bricolées dans l’urgence. La racine du problème tient à l’emprise de la technique sur la vie, qu’elle soit humaine ou non.

Si nous arrivons à changer de regard sur la nature, si nous renonçons à considérer les autres êtres vivants comme des objets soumis arbitrairement à notre usage et notre domination, si nous allons jusqu’à ressentir combien nous sommes vitalement unis à tous les êtres de l’univers, « la sobriété et le souci de protection jailliront spontanément » (n° 11). C’est pourquoi, dans le sillage de saint François d’Assise qui appelait « frère » ou « sœur » la moindre créature, le Pape invite avec audace l’humanité à s’ouvrir au langage des relations intersubjectives, et plus précisément des relations familiales, pour nommer les choses de la nature et s’orienter ainsi vers une attitude plus humaine envers elles.

Dialoguer et s’unir pour trouver des solutions. Les problèmes environnementaux et sociaux sont enfin d’une telle complexité qu’aucune discipline scientifique ni aucune forme de sagesse, y compris religieuse, ne peuvent être négligées pour apporter des réponses durables. Le pape François propose non des solutions mais une méthode, celle d’un dialogue sérieux et sans préjugés entre toutes les parties concernées. S’il consacre un chapitre à « l’évangile de la création », c’est qu’il croit, comme le patriarche Bartholomée, à une nouvelle rencontre féconde entre science et religion, et qu’il veut également montrer combien les convictions de foi offrent aux chrétiens, comme à d’autres croyants, de puissantes motivations pour prendre soin de la terre.

Comme il le répète à plusieurs endroits, même si, selon les termes très forts de Jean-Paul II, « l’humanité a déçu l’attente divine », même si les symptômes d’un point de non-retour apparaissent, le pape François ne désespère pas de la capacité humaine à trouver une issue juste et durable. Certaines expériences en témoignent un peu partout dans le monde. Plus encore, à ses yeux, « la meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts (n° 75) ». « Nous ne sommes pas Dieu. » (n°67). Quel défi pour l’humanité d’oser imiter le pauvre d’Assise dans son chant de louange : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre… » !

Vue d’ensemble de l’encyclique « Laudato Si »

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Cité du Vatican, 17 juin (VIS).

Instrument pour une première lecture de l’encyclique, le texte qui suit aide à en comprendre la dynamique d’ensemble et à en extraire les lignes de force. Les trois premières pages présentent l’encyclique dans son ensemble, avant de décrire les chapitres en reprenant des passages-clef. Les deux dernières pages présentent le sommaire dans son intégralité.

Un regard d’ensemble:

« Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux enfants qui grandissent? Cette interrogation est au cœur de Laudato Si’, l’encyclique attendue du Pape François sur le soin de notre maison commune. Le Pape poursuit: Cette question ne concerne pas seulement l’environnement de manière isolée, parce qu’on ne peut pas poser la question de manière fragmentaire, et ceci conduit à s’interroger sur le sens de l’existence et de ses valeurs à la base de la vie sociale: Pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous? Si cette question de fond n’est pas prise en compte, dit le Souverain Pontife, je ne crois pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets significatifs. L’encyclique prend le nom de l’invocation de saint François Loué sois-tu mon Seigneur du Cantique des Créatures, qui rappelle que la terre, notre maison commune, est « comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts. Nous-mêmes sommes terre. Notre corps est lui-même constitué des éléments de la planète, son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure. Aujourd’hui, cette terre, maltraitée et saccagée, pleure, et ses gémissements rejoignent ceux de tous les laissés-pour-compte dans le monde. Le Pape François invite à les écouter, en sollicitant chacun de nous, individus, familles, collectivités locales, nations et communauté internationale à une conversion écologique, selon l’expression de Jean-Paul II, c’est-à-dire changer de cap, en assumant la beauté et la responsabilité d’un engagement pour le soin de notre maison commune. Dans le même temps, le Pape François reconnaît une sensibilité croissante concernant aussi bien l’environnement que la protection de la nature, et une sincère et douloureuse préoccupation qui grandit pour ce qui arrive à notre planète, légitimant ainsi un regard d’espérance qui ponctue toute l’encyclique, et envoie à tous un message clair et plein d’espérance: L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune- L’être humain est encore capable d’intervenir positivement, tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer.

Le Pape François s’adresse bien sûr aux fidèles catholiques, en reprenant les paroles de Jean-Paul II: Les chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi, mais propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet notre maison commune. Le dialogue parcourt tout le texte, et dans le chapitre 5, devient un instrument pour affronter et résoudre les problèmes. Depuis toujours, le Pape François rappelle que d’autres Eglises et communautés chrétiennes, comme aussi d’autres religions, ont nourri une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur le thème de l’écologie. Il en assume même explicitement la contribution, en citant amplement le cher Patriarche oecuménique Barthélémy. A plusieurs reprises, le souverain pontife remercie les protagonistes de cet engagement que ce soient des individus, des associations ou des institutions, en reconnaissant que la réflexion d’innombrables scientifiques, philosophes, théologiens et organisations sociales qui ont enrichi la pensée de l’Eglise sur ces questions, et invite chacun à reconnaître la richesse que les religions peuvent offrir pour une écologie intégrale et pour et pour un développement plénier de l’humanité.

L’itinéraire de l’encyclique est tracé au paragraphe 15, et s’articule en six chapitres. On passe d’une écoute de la situation à partir des meilleurs données scientifiques disponibles (chapitre 1), à la confrontation avec la Bible et la tradition judéo-chrétienne (chapitre 2), en identifiant les racines des problèmes (chapitre 3) posés par la technocratie et un repli auto-référentiel excessif de l’être humain. La proposition de l’encyclique (chapitre

4) est celle d’une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales, inséparablement liée à la question environnementale. Dans cette perspective, le Pape François propose (chapitre 5) d’avoir, à chaque niveau de la vie sociale, économique et politique, un dialogue honnête qui structure des processus de décision transparents, et rappelle (chapitre 6) qu’aucun projet ne peut être efficace s’il n’est pas animé d’une conscience formée et responsable, en donnant des pistes éducatives, spirituelles, ecclésiales, politiques et théologiques pour croître dans cette direction. Le texte s’achève par deux prières, l’une s’adressant à ceux qui croient en un Dieu Créateur et Tout Puissant, et l’autre proposée à ceux qui professent la foi en Jésus-Christ, rythmée par la ritournelle du Laudato Si’ qui ouvre et ferme l’encyclique. L’encyclique est traversée par plusieurs axes thématiques, traités selon diverses perspectives, qui lui donnent une forte unité: L’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète, la conviction que tout est lié dans le monde, la critique du nouveau paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie, l’invitation à chercher d’autres façons de comprendre l’économie et le progrès, la valeur propre de chaque créature, le sens humain de l’écologie, la nécessité de débats sincères et honnêtes, la grave responsabilité de la politique internationale et locale, la culture du déchet et la proposition d’un nouveau style de vie.

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