Message du pape François pour la Journée mondiale des communications 2023

Photo par Ricky Esquivel de Pexels

Chaque année, à l’occasion de la fête de saint François de Sales, patron des journalistes, le Vatican publie un message du Saint-Père pour la Journée mondiale des communications (également appelée Journée mondiale des communications sociales).
La 57e Journée mondiale de la communication sera célébrée le dimanche 21 mai 2023. Le thème de cette année est « Parler avec le cœur ».

Lire le texte intégral du message du pape François ci-dessous:

 

MESSAGE DU PAPE FRANÇOIS
POUR LA 57ème JOURNÉE MONDIALE
DES COMMUNICATIONS SOCIALES

Parler avec le cœur.

« Selon la vérité, dans la charité » (Ep 4, 15)

 

Chers frères et sœurs !

Après avoir réfléchi, les années précédentes, sur les verbes  » aller et voir  » et  » écouter  » comme conditions d’une bonne communication, je voudrais, avec ce message pour la 57 ème Journée Mondiale des Communications, m’arrêter sur « parler avec le cœur ». C’est le cœur qui nous a poussé à aller, voir et écouter, et c’est le cœur qui nous pousse à une communication ouverte et accueillante. Après nous être formés à l’écoute, qui demande attente et patience, ainsi que le renoncement à affirmer au préalable notre point de vue, nous pouvons entrer dans la dynamique du dialogue et du partage, qui est précisément celle du fait de communiquer cordialement. Une fois que nous aurons écouté l’autre avec un cœur pur, nous réussirons également à parler selon la vérité dans l’amour (cf. Ep 4, 15). Nous devons avoir peur non pas de proclamer la vérité, même si elle est parfois inconfortable, mais de le faire sans charité, sans cœur. Parce que « le programme du chrétien – comme l’a écrit Benoît XVI – est « un cœur qui voit » » [1] . Un cœur qui, par ses pulsations, révèle la vérité de notre être et qui, pour cette raison, doit être écouté. Cela incite celui qui écoute à se mettre sur la même longueur d’onde, au point de pouvoir sentir dans son propre cœur les pulsations de l’autre. Alors le miracle de la rencontre peut se produire, qui nous amène à nous regarder les uns les autres avec compassion, accueillant avec respect les fragilités de chacun, plutôt que de juger par ouï-dire et de semer la discorde et les divisions.

Jésus nous avertit que tout arbre se reconnaît à ses fruits (cf. Lc 6, 44) : « L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur » (v. 45). Par conséquent, pour pouvoir communiquer selon la vérité dans la charité, l’on doit purifier son propre cœur. Ce n’est qu’en écoutant et en parlant avec un cœur pur que nous pouvons voir au-delà des apparences et surmonter le bruit indistinct qui, également dans le domaine de l’information, ne nous aide pas à discerner dans la complexité du monde où nous vivons. L’appel à parler avec le cœur interpelle radicalement notre temps, tellement enclin à l’indifférence et à l’indignation, parfois même sur la base de la désinformation qui falsifie et instrumentalise la vérité.

Communiquer cordialement

Communiquer cordialement signifie que celui qui nous lit ou nous écoute est amené à saisir notre participation aux joies et aux craintes, aux espoirs et aux souffrances des femmes et des hommes de notre temps. Celui qui parle ainsi aime l’autre parce qu’il se soucie de lui et veille sur sa liberté, sans la violer. Nous pouvons voir ce style dans le mystérieux Voyageur qui converse avec les disciples sur le chemin d’Emmaüs après la tragédie advenue sur le Golgotha. Jésus ressuscité leur parle avec le cœur, accompagnant respectueusement le chemin de leur douleur, se proposant plutôt que s’imposant, leur ouvrant avec amour l’esprit à la compréhension du sens plus profond de ce qui est arrivé. En effet, ils peuvent s’exclamer avec joie que leur cœur brûlait intérieurement tandis qu’Il conversait en chemin et leur expliquait les Écritures (cf. Lc 24, 32).

Dans une période de l’histoire marquée par des polarisations et contrapositions – dont, malheureusement, la communauté ecclésiale n’est pas exempte – l’engagement pour une communication « à cœur et à bras ouverts » ne concerne pas seulement les professionnels de l’information, mais est une responsabilité de tout un chacun. Nous sommes tous appelés à rechercher et à dire la vérité, et à le faire avec charité. Nous chrétiens, en particulier, sommes continuellement exhortés à garder notre langue du mal (cf. Ps 34, 14), puisque, comme l’enseigne l’Écriture, avec elle nous pouvons aussi bien bénir le Seigneur et maudire les hommes créés à l’image de Dieu (cf. Jc 3, 9). De notre bouche ne devraient pas sortir de paroles mauvaises, « mais plutôt une parole bonne et constructive, profitable à ceux qui écoutent » (Ep 4, 29).

Parfois, un discours aimable ouvre une brèche dans les cœurs les plus endurcis. Nous en trouvons également des traces dans la littérature. Je pense à cette page mémorable du chapitre 21 du roman Les Fiancés (Promessi Sposi) où Lucia parle avec son cœur à l’Inconnu jusqu’à ce que celui-ci, désarmé et tourmenté par une crise intérieure salutaire, cède à la douce force de l’amour. Nous en faisons l’expérience dans la coexistence civique, où la gentillesse n’est pas seulement une question de “bonnes manières”, mais un véritable antidote à la cruauté, qui malheureusement peut empoisonner les cœurs et envenimer les relations. Nous en avons besoin dans les médias, afin que la communication ne nourrisse pas un ressentiment qui exaspère, génère de la colère et mène à la confrontation, mais qu’elle aide les gens à réfléchir calmement, à décrypter, avec un esprit critique et toujours respectueux, la réalité dans laquelle ils vivent.

La communication de cœur à cœur : « Il suffit d’aimer bien pour bien s’exprimer ».

L’un des exemples les plus lumineux et les plus fascinants du « parler avec le cœur » est celui de saint François de Sales, Docteur de l’Église, à qui j’ai récemment dédié la lettre apostolique Totum amoris est, 400 ans après sa mort. Parallèlement à cet important anniversaire, il me plaît de rappeler en la circonstance un autre anniversaire en cette année 2023 : le centenaire de sa proclamation comme patron des journalistes catholiques par Pie XI avec l’Encyclique Rerum omnium perturbationem. Intellectuel brillant, écrivain prolifique, théologien d’une grande profondeur, François de Sales est évêque de Genève au début du XVIIe siècle, dans des années difficiles marquées par de vives disputes avec les calvinistes. Sa douceur, son humanité, sa disposition à dialoguer patiemment avec tout le monde et surtout avec ceux qui s’opposaient à lui, firent de lui un témoin extraordinaire de l’amour miséricordieux de Dieu. On pouvait dire de lui que « la parole agréable attire de nombreux amis, le langage aimable attire de nombreuses gentillesses » (Sir 6,5). D’ailleurs, l’une de ses déclarations les plus célèbres, « le cœur parle au cœur », a inspiré des générations de fidèles, dont saint John Henry Newman qui en a fait sa devise, Cor ad cor loquitur : « Il suffit de bien aimer pour bien s’exprimer », était l’une de ses convictions. Cela montre comment, pour lui, la communication ne doit jamais être réduite à un artifice, à – nous dirions aujourd’hui – une stratégie de marketing, mais doit être le reflet de l’âme, la surface visible d’un noyau d’amour invisible aux yeux. Pour saint François de Sales, c’est précisément « dans le cœur et par le cœur que s’accomplit ce processus d’unification subtil et intense en vertu duquel l’homme reconnaît Dieu ». [2] En « aimant bien », saint François est parvenu à communiquer avec le sourd-muet Martin, devenant son ami ; c’est pourquoi on se souvient aussi de lui comme protecteur des personnes souffrant de handicap de communication.

C’est à partir de ce « critère de l’amour » que, par ses écrits et son témoignage de vie, le saint évêque de Genève nous rappelle que « nous sommes ce que nous communiquons ». Une leçon qui va à contre-courant aujourd’hui, à une époque où, comme nous le vivons notamment sur les réseaux sociaux, la communication est souvent instrumentalisée pour que le monde nous voie comme nous voudrions être et non comme nous sommes. Saint François de Sales diffusa de nombreux exemplaires de ses écrits dans la communauté genevoise. Cette intuition « journalistique » lui valut une réputation qui rapidement dépassa le périmètre de son diocèse et qui perdure encore de nos jours. Ses écrits, comme l’a fait remarquer saint Paul VI, constituent « une lecture extrêmement agréable, instructive et stimulante » [3] . Si l’on observe le paysage de la communication aujourd’hui, ne s’agit-il pas précisément des caractéristiques auxquelles doit satisfaire un article, un reportage, une émission de radio ou de télévision ou un post sur les réseaux sociaux ? Puissent donc les professionnels de la communication se laisser inspirer par ce saint de la tendresse, en recherchant et en racontant la vérité avec courage et liberté, tout en rejetant la tentation d’utiliser des expressions percutantes et agressives.

Parler avec le cœur dans le processus synodal

Comme je l’ai souligné, « même dans l’Église, il y a un grand besoin d’écouter et de s’écouter. C’est le don le plus précieux et le plus généreux que nous pouvons offrir les uns les autres ». [4] D’une écoute sans préjugés, attentive et disponible, naît une « prise de parole » selon le style de Dieu, nourrie de proximité, de compassion et de tendresse. Nous avons un besoin urgent dans l’Église d’une communication qui embrase les cœurs, qui soit un baume sur les blessures et qui éclaire le chemin de nos frères et sœurs. Je rêve d’une communication ecclésiale qui sache se laisser guider par l’Esprit Saint, douce et en même temps prophétique, qui sache trouver de nouvelles formes et modalités pour la merveilleuse annonce qu’elle est appelée à porter dans le troisième millénaire. Une communication qui mette au centre la relation avec Dieu et le prochain, en particulier les plus démunis, et qui sache allumer le feu de la foi plutôt que préserver les cendres d’une identité autoréférentielle. Une communication dont les fondements sont l’humilité dans l’écoute et la parresia dans le parler, qui ne sépare jamais la vérité de la charité.

Désarmer les esprits en promouvant un langage de paix

« Une langue délicate peut broyer un os » dit le livre des Proverbes (25,15). Parler avec le cœur est plus que jamais nécessaire aujourd’hui pour promouvoir une culture de la paix là où il y a la guerre ; pour ouvrir des sentiers qui permettent le dialogue et la réconciliation là où la haine et l’inimitié font rage. Dans le contexte dramatique de conflit mondial que nous connaissons, il est urgent d’affirmer une communication qui ne soit pas hostile. Il est nécessaire de surmonter « l’habitude de disqualifier instantanément l’adversaire en lui appliquant des épithètes humiliantes, en lieu et place d’un dialogue ouvert et respectueux ». [5] Nous avons besoin de communicateurs disposés au dialogue, impliqués dans la promotion du désarmement intégral et engagés à dissiper la psychose de la guerre qui se niche dans nos cœurs, comme l’exhortait prophétiquement saint Jean XXIII dans l’encyclique Pacem in Terris : « La vraie paix ne peut s’édifier que dans la confiance mutuelle » (n. 61). Une confiance qui a besoin de communicateurs qui ne soient pas retranchés, mais audacieux et créatifs, prêts à prendre des risques pour trouver un terrain d’entente où se rencontrer. Comme il y a 60 ans, nous vivons aujourd’hui une heure sombre où l’humanité craint une escalade de la guerre, qu’il faut endiguer au plus vite, y compris au niveau de la communication. On est consterné d’entendre avec quelle facilité sont prononcés des paroles appelant à la destruction de peuples et de territoires. Des propos qui, malheureusement, se transforment souvent en actions guerrières d’une violence féroce. C’est pourquoi toute rhétorique belliqueuse doit être rejetée, de même que toute forme de propagande qui manipule la vérité, la défigurant à des fins idéologiques. Au contraire, il faut promouvoir à tous les niveaux une communication qui aide à créer les conditions pour résoudre les conflits entre les peuples.

En tant que chrétiens, nous savons que c’est vraiment grâce à la conversion du cœur que se décide le sort de la paix, puisque le virus de la guerre vient de l’intérieur du cœur humain. [6] Du cœur jaillissent les paroles justes pour dissiper les ombres d’un monde fermé et divisé et construire une civilisation meilleure que celle que nous avons reçue. Il s’agit d’un effort demandé à chacun d’entre nous, mais qui exige tout particulièrement un sens des responsabilités de la part des professionnels de la communication, pour qu’ils exercent leur profession comme une mission.

Que le Seigneur Jésus, Parole pure jaillissant du cœur du Père, nous aide à rendre notre communication libre, limpide et cordiale.

Que le Seigneur Jésus, Verbe fait chair, nous aide à nous mettre à l’écoute de la pulsation des cœurs, à nous redécouvrir frères et sœurs, et à désarmer l’hostilité qui divise.

Que le Seigneur Jésus, Parole de vérité et d’amour, nous aide à dire la vérité dans la charité, afin de nous sentir gardiens les uns des autres.

 

Rome, St Jean de Latran, 24 janvier 2023, mémoire de St François de Sales.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 17 mai 2023

Photo Crédit: Wikimedia Commons

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François poursuit l’itinéraire sur le zèle apostolique avec la figure de saint François Xavier, considéré comme le plus grand missionnaire des temps modernes. Le pape pour les jeunes: « regardez François Xavier, regardez l’horizon du monde, regardez les peuples qui ont tant besoin, regardez tant de gens qui souffrent, tant de gens qui ont besoin de Jésus. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Poursuivant notre itinéraire des catéchèses avec des modèles exemplaires de zèle apostolique… Gardons à l’esprit que nous parlons d’évangélisation, de zèle apostolique, de faire connaître le nom de Jésus, et qu’il y a beaucoup de femmes et d’hommes dans l’histoire qui l’ont fait de manière exemplaire. Aujourd’hui, par exemple nous portons le choix sur saint François Xavier : il est considéré, certains le disent, comme le plus grand missionnaire des temps modernes. Mais on ne peut pas dire qui est le plus grand, qui est le plus petit, parce qu’il y a tant de missionnaires cachés qui, encore aujourd’hui, font beaucoup plus que Saint François Xavier. Et Xavier est le saint patron des missions, comme Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Mais un missionnaire est grand quand il part. Et il y en a tant, tant de prêtres, de laïcs, de religieuses qui vont dans les missions, et aussi de l’Italie et beaucoup d’entre vous. Je vois, par exemple, quand on me montre le parcours d’un prêtre candidat à l’épiscopat : il a passé dix ans en mission à tel endroit… c’est formidable : quitter sa patrie pour prêcher l’Evangile. C’est le zèle apostolique. Et cela nous devons le cultiver beaucoup. Et en regardant la figure de ces hommes, de ces femmes, nous apprenons.

Et Saint François Xavier naît en 1506 dans une famille noble mais appauvrie de Navarre, dans le nord de l’Espagne. Il part étudier à Paris – c’est un jeune homme mondain, intelligent et brave. Là il rencontre Ignace de Loyola. Il lui fait faire les exercices spirituels et il change sa vie. Et il abandonne toute sa carrière mondaine pour devenir missionnaire. Il devient jésuite, prononce ses vœux. Puis il devient prêtre et part évangéliser, envoyé en Orient. À l’époque, les voyages des missionnaires en Orient étaient des envois vers des mondes inconnus. Et il y va, parce qu’il était rempli de zèle apostolique.

Ainsi commence la première d’une longue série de missionnaires passionnés des temps modernes, prêts à endurer d’immenses difficultés et dangers, à se rendre sur des terres et rencontrer des peuples de cultures et de langues totalement inconnues, uniquement animés par le désir très fort de faire connaître Jésus-Christ et son Évangile.

En un peu plus de onze ans, il accomplit une tâche extraordinaire. Il a été missionnaire pendant 11 ans plus ou moins. À l’époque, les voyages en bateau étaient très difficiles et étaient dangereux. Nombreux mouraient durant le voyage, victimes de naufrages ou de maladies. Aujourd’hui, ils meurent malheureusement parce que nous les laissons mourir en Méditerranée… Xavier passera plus de trois ans et demi sur les navires, soit un tiers de la durée totale de sa mission. Il passe plus de trois ans et demi sur les navires, pour se rendre en Inde, puis de l’Inde au Japon.

Arrivé à Goa, en Inde, capitale de l’Orient portugais, la capitale culturelle et aussi commerciale, Xavier y établit sa base, mais ne s’arrête pas là. Il part évangéliser les pauvres pêcheurs de la côte méridionale de l’Inde, enseigne le catéchisme et la prière aux enfants, baptise et soigne les malades. Puis, lors d’une prière nocturne sur la tombe de l’apôtre Saint-Barthélemy, il sent qu’il doit aller au-delà de l’Inde. Il laisse en de bonnes mains l’œuvre qu’il a déjà commencée et s’embarque hardiment pour les Moluques, les îles les plus éloignées de l’archipel indonésien. Pour ces gens, il n’y avait pas d’horizon, ils allaient au-delà… Un tel courage de la part de ces saints missionnaires ! Même ceux d’aujourd’hui, même s’ils ne prennent pas le bateau pendant trois mois, ils prennent l’avion pendant 24 heures, mais ensuite, c’est la même chose. Il faut se rendre sur place, parcourir de nombreux kilomètres, aller dans les forêts. Et Xavier, dans les Moluques, met en vers, le catéchisme dans la langue locale et enseigne à chanter le catéchisme, parce en chantant on l’apprend mieux. Ses lettres nous font comprendre quels furent ses sentiments. Il écrit ainsi : « Les dangers et les souffrances, acceptés volontairement et uniquement pour l’amour et le service de Dieu notre Seigneur, sont des trésors riches de grandes consolations spirituelles. Ici, en peu d’années, on pourrait perdre les yeux pour avoir versé trop de larmes de joie » (20 janvier 1548). Il pleurait de joie en voyant l’œuvre du Seigneur.

Un jour, en Inde, il rencontre un Japonais qui lui parle de son pays lointain, où aucun missionnaire européen n’est jamais allé. Et François Xavier avait l’inquiétude de l’apôtre, celle d’aller plus loin, et il décide de partir le plus tôt possible, et y arrive après un voyage audacieux sur la jonque d’un Chinois. Les trois années passées au Japon sont très dures, en raison du climat, de l’opposition et de l’ignorance de la langue, mais même là, les graines semées porteront de nombreux fruits.

Au Japon, Xavier, le grand rêveur, comprend que le pays décisif pour la mission en Asie était un autre : la Chine. Avec sa culture, son histoire, sa grandeur, elle exerçait une domination de fait sur cette partie du monde. Aujourd’hui encore, la Chine est un pôle culturel, avec une grande histoire, une très belle histoire. Il retourne donc à Goa et, peu après, s’embarque à nouveau, espérant pouvoir arriver en Chine. Mais son plan échoue : il meurt aux portes de la Chine, sur une île, sur la petite île de Sancian, au large de la Chine, attendant en vain de débarquer sur la terre ferme près de Canton. Le 3 décembre 1552, il meurt dans l’abandon le plus total, seul un Chinois est à ses côtés pour veiller sur lui. Ainsi s’achève le parcours terrestre de François Xavier. Il avait vieilli, quel âge avait-il ? Quatre-vingts ans déjà ? Non… Il n’avait que quarante-six ans, il avait passé sa vie dans la mission, avec zèle. Il quitte l’Espagne cultivée et arrive dans le pays le plus cultivé du monde à l’époque, la Chine, et meurt devant la grande Chine, accompagné par un Chinois. Tout un symbole !

Son activité intense a toujours été associée à la prière, à l’union avec Dieu, mystique et contemplative. Il ne délaissait jamais la prière, car il savait que c’était là que résidait sa force. Partout où il se trouvait, il avait une grande attention pour les malades, les pauvres et les enfants. Il n’était pas un missionnaire « aristocratique » : il allait toujours avec les plus nécessiteux, les enfants qui avaient le plus besoin d’éducation, de catéchèse, les pauvres, les malades : il allait jusqu’aux frontières de la compassion où s’est accrue sa grandeur. L’amour du Christ a été la force qui l’a poussée jusqu’aux frontières les plus éloignées, au prix de fatigues et de dangers constants, surmontant les échecs, les déceptions et le découragement, et lui offrant même la consolation et la joie de le suivre et de le servir jusqu’au bout.

Que Saint François Xavier, qui a accompli cette tâche si grande, dans une telle pauvreté et avec un tel courage, nous donne un peu de ce zèle, de ce zèle pour vivre l’Évangile et pour annoncer l’Évangile. Aux nombreux jeunes d’aujourd’hui qui sont inquiets et ne savent pas quoi faire de cette inquiétude, je dis : regardez François Xavier, regardez l’horizon du monde, regardez les peuples qui ont tant besoin, regardez tant de gens qui souffrent, tant de gens qui ont besoin de Jésus. Et allez-y, ayez du courage. Aujourd’hui encore, il y a des jeunes courageux. Je pense à tant de missionnaires, par exemple en Papouasie-Nouvelle-Guinée, je pense à mes amis, les jeunes du diocèse de Vanimo, et à tous ceux qui sont partis évangéliser dans le sillage de François Xavier. Que le Seigneur nous donne à tous la joie d’évangéliser, la joie de porter ce beau message qui fait notre bonheur et celui de tous.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 10 mai 2023

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François accueille Sa Sainteté Tawadros II, Pape d’Alexandrie et Patriarche du Siège de Saint-Marc et propose la journée de 10 mai « Journée de l’amitié copte-catholique » pour célébrer le 50e anniversaire de la rencontre historique entre le pape saint Paul VI et le pape Chenouda III en 1973

Voici le texte intégral:

Frères et sœurs !

C’est avec une grande joie que je salue aujourd’hui Sa Sainteté Tawadros II, Pape d’Alexandrie et Patriarche du Siège de Saint-Marc, ainsi que l’éminente délégation qui l’accompagne.

Sa Sainteté Tawadros a accepté mon invitation à venir à Rome pour célébrer avec moi le 50e anniversaire de la rencontre historique entre le pape saint Paul VI et le pape Chenouda III en 1973. Il s’agissait de la première rencontre entre un évêque de Rome et un patriarche de l’Église copte orthodoxe, qui a abouti à la signature d’une mémorable déclaration christologique commune le 10 mai. En souvenir de cet événement, Sa Sainteté Tawadros est venu me voir pour la première fois le 10 mai il y a dix ans, quelques mois après son élection et la mienne, et a proposé de célébrer chaque 10 mai la « Journée de l’amitié copte-catholique » que nous célébrons chaque année depuis lors.

Nous nous appelons au téléphone, nous nous envoyons des salutations et nous restons de bons frères, nous ne nous sommes pas disputés !

Cher ami et frère Tawadros, je vous remercie d’avoir accepté mon invitation à l’occasion de ce double anniversaire, et je prie pour que la lumière de l’Esprit Saint illumine votre visite à Rome, les réunions importantes que vous aurez ici, et surtout nos conversations personnelles. Je vous remercie sincèrement pour votre engagement en faveur de l’amitié croissante entre l’Église copte orthodoxe et l’Église catholique.

Votre Sainteté, chers évêques et amis, j’implore avec vous le Dieu tout-puissant, par l’intercession des saints et des martyrs de l’Église copte, afin que nous puissions grandir dans la communion, dans un unique et saint lien de foi, d’espérance et d’amour chrétien. En parlant des martyrs de l’Église copte qui sont les nôtres, je veux me souvenir des martyrs de la plage libyenne, qui ont été faits martyrs il y a quelques années.

Je demande à toutes les personnes présentes de prier Dieu de bénir la visite du pape Tawadros à Rome et de protéger l’ensemble de l’Église copte orthodoxe. Puisse cette visite nous rapprocher du jour béni où nous serons un dans le Christ ! Je vous remercie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience Générale du pape François – 3 mai 2023

Le pape François s’adressant à la présidente Katalin Novák, aux Autorités et au corps diplomatique hongrois le 28 avril lors de sa visite apostolique dans le pays.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François résume sa visite apostolique en Hongrie, et remercie les Autorités,  l’Église locale et le peuple hongrois pour leur accueil et prières. Il décrit Budapest, la ville des ponts, comme une ville de pont pour la paix et pont pour demain.

Le Saint-Père finit son audience en priant « À la Reine de Hongrie confions ce cher pays, à la Reine de la Paix confions la construction de ponts dans le monde, à la Reine du Ciel, que nous célébrons en ce temps pascal, confions-lui nos cœurs pour qu’ils soient enracinés dans l’amour de Dieu. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Il y a trois jours, je suis rentré du voyage en Hongrie. Je tiens à remercier tous ceux qui ont préparé et accompagné cette visite par la prière, et à renouveler ma gratitude aux Autorités, à l’Église locale et au peuple hongrois, un peuple courageux et riche de mémoire. Pendant mon séjour à Budapest, j’ai pu ressentir l’affection de tous les Hongrois. Aujourd’hui, je voudrais vous raconter cette visite à travers deux images : les racines et les ponts.

Les racines. Je me suis rendu en pèlerin chez un peuple dont l’histoire – comme l’a dit saint Jean-Paul II – a été marquée par « de nombreux saints et héros, entourés d’une foule de gens humbles et travailleurs » (Discours lors de la cérémonie d’accueil, Budapest, 6 septembre 1996). C’est vrai : j’ai vu tant de gens humbles et travailleurs soigner avec fierté le lien avec leurs racines. Et parmi ces racines, comme l’ont montré les témoignages recueillis lors des rencontres avec l’Église locale et avec les jeunes, il y a avant tout les saints : les saints qui ont donné leur vie pour le peuple, les saints qui ont témoigné de l’Évangile de l’amour et qui ont été des lumières dans les temps de ténèbres ; tant de saints du passé qui aujourd’hui nous exhortent à surmonter le risque du défaitisme et la peur du lendemain, en nous rappelant que le Christ est notre avenir. Les saints nous rappellent ceci : Christ est notre avenir.

Cependant, les solides racines chrétiennes du peuple hongrois ont été mises à l’épreuve. Leur foi a été éprouvée par le feu. En effet, au cours de la persécution athéiste du XXe siècle, les chrétiens ont été violemment frappés, des évêques, des prêtres, des religieux et des laïcs ont été tués ou privés de leur liberté. Et alors que l’on tentait d’abattre l’arbre de la foi, les racines restaient intactes : une Église cachée a résisté, mais vive, forte avec la force de l’Evangile. Et en Hongrie, cette extrême persécution, l’oppression communiste avait été précédée par l’oppression nazie, avec la tragique déportation de tant de juifs. Mais dans cet atroce génocide, beaucoup se sont distingués par leur résistance et leur capacité à protéger les victimes, et cela a été possible parce que les racines du vivre ensemble étaient solides. Nous à Rome, nous avons une brave poétesse hongroise qui a traversé toutes ces épreuves et qui transmet aux jeunes la nécessité de se battre pour un idéal, de ne pas se laisser vaincre par la persécution, par le découragement. Cette poétesse a 92 ans aujourd’hui : Joyeux anniversaire, Edith Bruck !

Mais aujourd’hui encore, comme cela ressort des rencontres avec les jeunes et le monde de la culture, la liberté est menacée. Comment ? Surtout avec des gants blancs, par un consumérisme anesthésiant, où l’on se contente d’un peu de bien-être matériel et où, oubliant le passé, on « flotte » dans un présent fait à la mesure de l’individu. C’est la persécution dangereuse de la mondanité, induite par le consumérisme. Mais quand la seule chose qui compte est de penser à soi et de faire ce qui nous plaît, les racines s’étouffent. C’est un problème qui se pose dans toute l’Europe, où le dévouement aux autres, le sentiment de communauté, l’émotion de la beauté de rêver ensemble et de créer des familles nombreuses sont en crise. L’Europe entière est en crise. Réfléchissons donc à l’importance de préserver les racines, car ce n’est qu’en allant en profondeur que les branches pousseront vers le haut et porteront des fruits. Chacun de nous peut se demander, également comme peuple, chacun de nous : quelles sont les racines les plus importantes de ma vie ? Où suis-je enraciné ? Est-ce que je m’en souviens, est-ce que j’en prends soin ?

Après les racines, voici la seconde image : les ponts. Budapest, née il y a 150 ans de l’union de trois villes, est célèbre pour les ponts qui la traversent et unissent ses parties. Cela a mis en évidence, notamment lors des rencontres avec les autorités, l’importance de construire des ponts de paix entre les différents peuples. Telle est, en particulier, la vocation de l’Europe, qui est appelée, en tant que « pont de paix », à intégrer les différences et à accueillir ceux qui frappent à ses portes. En ce sens, c’est beau, le pont humanitaire créé pour tant de réfugiés de l’Ukraine voisine, que j’ai pu rencontrer, en admirant le grand réseau de charité de l’Église hongroise.

Le pays est également très engagé dans la construction de « ponts pour demain » : il se préoccupe beaucoup du soin de l’environnement- et c’est un aspect très, très beau de la Hongrie – l’attention portée au soin de l’environnement et d’un avenir « soutenable », et l’on s’y emploie à construire des ponts entre les générations, entre les personnes âgées et les jeunes, un défi auquel aujourd’hui personne ne peut renoncer. Il y a aussi des ponts que l’Église, comme il ressort de la rencontre spécifique, est appelée à jeter vers les gens d’aujourd’hui, parce que l’annonce du Christ ne peut pas consister uniquement à répéter le passé, mais doit toujours être adaptée, afin d’aider les femmes et les hommes de notre temps à redécouvrir Jésus. Enfin, en rappelant avec gratitude les beaux moments liturgiques, la prière avec la communauté gréco-catholique et la solennelle célébration eucharistique avec tant de participation, je pense à la beauté de construire des ponts entre les croyants : dimanche, à la messe, il y avait des chrétiens de différents rites et pays, et de différentes confessions, qui en Hongrie travaillent bien ensemble. Construire des ponts, des ponts d’harmonie et des ponts d’unité.

J’ai été frappé, lors de cette visite, par l’importance de la musique, qui est un trait caractéristique de la culture hongroise.

Il me plait enfin de rappeler, en ce début de mois de mai, que les Hongrois sont très dévots à la Sainte Mère de Dieu. Consacrés à elle par le premier roi, saint Étienne, par respect, ils s’adressaient habituellement à elle sans prononcer son nom, l’appelant seulement par les titres de Reine. À la Reine de Hongrie confions ce cher pays, à la Reine de la Paix confions la construction de ponts dans le monde, à la Reine du Ciel, que nous célébrons en ce temps pascal, confions-lui nos cœurs pour qu’ils soient enracinés dans l’amour de Dieu.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Rencontre avec les évêques, les prêtres et les diacres: Discours du Saint-Père

Le pape François s’adresse aux évêques, prêtres et les diacres lors de sa voyage apostolique en Hongrie qui a commencé aujourd’hui et dure trois jours.

Voici le texte intégral:

Chers frères Évêques,
chers prêtres et diacres, consacrés et séminaristes,
chers agents pastoraux, frères et sœurs,
dicsértessék a Jézus Krisztus! [Laudetur Jesus Christus !] 

Je suis heureux d’être de nouveau ici après avoir partagé avec vous le 52ème Congrès Eucharistique International. Ce fut un moment de grande grâce et je suis sûr que ses fruits spirituels vous accompagnent. Je remercie Mgr Veres pour la salutation qu’il m’a adressée et pour avoir recueilli le désir des catholiques de Hongrie avec les mots suivants : « Dans ce monde qui change nous voulons témoigner que le Christ est notre avenir ». C’est l’une des exigences les plus importantes pour nous : interpréter les changements et les transformations de notre époque, en cherchant à affronter au mieux les défis pastoraux. 

Mais cela n’est possible qu’en regardant le Christ comme notre avenir : Il est « l’Alpha et l’Oméga, Celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain de l’Univers » (Ap 1, 8), le principe et la fin, le fondement et le but ultime de l’histoire de l’humanité. En contemplant, en ce temps pascal, la gloire de Celui qui est « le Premier et le Dernier » (Ap 1, 17), nous pouvons considérer les tempêtes qui parfois s’abattent sur notre monde, les changements rapides et continus de la société et même la crise de foi de l’Occident, d’un regard qui ne cède pas à la résignation et qui ne perd pas de vue la centralité de Pâques : le Christ ressuscité, centre de l’histoire, est l’avenir. Notre vie, bien que marquée par la fragilité, est fermement placée entre ses mains. Si nous oublions cela, nous aussi, pasteurs et laïcs, nous chercherons des moyens et des instruments humains pour nous défendre du monde, en nous enfermant dans nos oasis religieuses, confortables et tranquilles ; ou bien au contraire, nous nous conformerons aux vents changeants de la mondanité et, alors, notre christianisme perdra sa vigueur et nous cesserons d’être le sel de la terre. 

Ce sont là les deux interprétations – je voudrais dire les deux tentations – dont nous devons toujours nous garder comme Église : une lecture catastrophiste de l’histoire présente qui se nourrit du défaitisme de ceux qui répètent que tout est perdu, que les valeurs d’autrefois ne sont plus, que nous ne savons pas où nous allons finir. Il est bien que le Père Sándor ait manifesté sa gratitude à Dieu qui l’a « libéré du défaitisme » ! Et ensuite l’autre risque, celui d’une lecture naïve de son temps, qui se fonde au contraire sur la facilité du conformisme et qui nous fait croire qu’au fond tout va bien, que le monde a changé et qu’il faut s’adapter. Voilà, contre le défaitisme catastrophiste et le conformisme mondain, l’Évangile nous donne un regard nouveau, la grâce du discernement pour entrer dans notre époque avec une attitude accueillante, mais aussi avec un esprit prophétique. Donc, avec un accueil prophétique

À ce propos, je voudrais m’arrêter brièvement sur une belle image utilisée par Jésus : celle du figuier (cf. Mc 13, 28-29). Il nous l’offre dans le contexte du Temple de Jérusalem. À ceux qui admiraient ses belles pierres et vivaient ainsi dans une sorte de conformisme mondain, mettant leur sécurité dans l’espace sacré et sa majesté solennelle, Jésus dit qu’il ne faut rien absolutiser sur cette terre, car tout est précaire et il ne restera pas pierre sur pierre ; mais, en même temps, le Seigneur ne veut pas induire au découragement ou à la peur. Et c’est pourquoi il ajoute : quand tout passera, quand les temples humains s’effondreront, quand des choses terribles se produiront et quand il y aura de violentes persécutions, alors « on verra le Fils de l’homme venir dans les nuées avec grande puissance et avec gloire » (v. 26). Et c’est là qu’il invite à regarder le figuier : « Laissez-vous instruire par la comparaison du figuier : dès que ses branches deviennent tendres et que sortent les feuilles, vous savez que l’été est proche. De même, vous aussi, lorsque vous verrez arriver cela, sachez que le Fils de l’homme est proche, à votre porte » (vv. 28-29). Nous sommes donc appelés à accueillir comme une plante féconde le temps que nous vivons, avec ses changements et ses défis, car c’est précisément à travers tout cela – dit l’Évangile – que le Seigneur s’approche. Et en attendant, nous sommes appelés à cultiver notre saison, à la lire, à y semer l’Évangile, à élaguer les branches sèches du mal, à porter du fruit. Nous sommes appelés à un accueil prophétique

Accueil prophétique : il s’agit d’apprendre à reconnaître les signes de la présence de Dieu dans la réalité, même là où elle n’apparaît pas explicitement marquée par l’esprit chrétien et vient à notre rencontre avec son caractère de défi ou d’interrogation. Et, en même temps, il s’agit de tout interpréter à la lumière de l’Évangile sans se faire mondaniser, mais comme annonceurs et témoins de la prophétie chrétienne. Nous voyons que même dans ce pays, où la tradition de foi reste bien enracinée, on assiste à la diffusion du sécularisme et à ce qui l’accompagne, qui risque souvent de menacer l’intégrité et la beauté de la famille, d’exposer les jeunes à des modèles de vie marqués par le matérialisme et l’hédonisme, de polariser le débat sur des thèmes et des défis nouveaux. Et alors, la tentation peut être celle de se raidir, de se fermer et d’adopter une attitude de ”combattants”. Mais ces réalités peuvent représenter des opportunités pour nous chrétiens, parce qu’elles stimulent la foi et l’approfondissement de certains thèmes, elles nous invitent à nous demander de quelle manière ces défis peuvent entrer en dialogue avec l’Évangile, à chercher des voies, des instruments et des langages nouveaux. En ce sens, Benoît XVI a affirmé que les différentes périodes de sécularisation sont venues en aide à l’Église car « elles ont contribué de façon essentielle à sa purification et à sa réforme intérieure. En effet, les sécularisations […] ont conduit chaque fois à une profonde libération de l’Église de formes de mondanité » (Rencontre avec les catholiques engagés dans l’Église et la société, Freiburg im Breisgau, 25 septembre 2011). 

L’engagement à entrer en dialogue avec les situations d’aujourd’hui demande à la Communauté chrétienne d’être présente et de témoigner, de savoir écouter les questions et les défis sans peur ni rigidité. Ce n’est pas facile dans la situation actuelle, car même à l’intérieur, des difficultés ne manquent pas. Je voudrais souligner en particulier la surcharge de travail pour les prêtres. D’une part, en effet, les exigences de la vie paroissiale et pastorale sont nombreuses, et d’autre part les vocations diminuent et les prêtres sont peu nombreux, souvent âgés et donnant des signes de fatigue. C’est une condition commune à de nombreuses réalités européennes, où il est important que tous – pasteurs et laïcs – se sentent coresponsables : avant tout dans la prière, parce que les réponses viennent du Seigneur et non du monde, du tabernacle et non de l’ordinateur. Et ensuite, dans la passion pour la pastorale des vocations, en cherchant les moyens d’offrir aux jeunes, avec enthousiasme, le charme de suivre Jésus également dans une consécration spéciale. 

Ce que nous a dit Sœur Kristztina est beau, à propos du “dialogue avec Jésus” sur la raison pour laquelle il l’a appelée, elle en particulier. Il y a besoin de personnes qui écoutent et qui aident à bien discuter avec le Seigneur ! Et, plus généralement, il est nécessaire d’engager une réflexion ecclésiale – synodale, à faire tous ensemble – pour mettre à jour la vie pastorale, sans se contenter de répéter le passé et sans peur de reconfigurer la paroisse sur le territoire, mais en donnant la priorité à l’évangélisation et en instaurant une collaboration active entre prêtres, catéchistes, agents pastoraux, enseignants. Vous êtes déjà en chemin sur cette route : ne vous arrêtez pas. Cherchez les voies possibles pour collaborer avec joie à la cause de l’Évangile et pour faire avancer, ensemble chacun selon son charisme, la pastorale comme annonce kérygmatique. En ce sens, ce qu’a dit Dorina est beau, sur le besoin d’atteindre le prochain à travers la narration, la communication, en touchant la vie quotidienne. Et je remercie les diacres et les catéchistes qui ont ici un rôle décisif dans la transmission de la foi aux jeunes générations, et tous ceux qui, enseignants et formateurs, sont engagés avec générosité dans le domaine éducatif : merci ! 

Permettez-moi ensuite de vous dire qu’une bonne pastorale est possible si nous sommes capables de vivre cet amour que le Seigneur nous a commandé et qui est un don de son Esprit. Si nous sommes distants ou divisés, si nous nous raidissons dans nos positions et dans nos groupes, nous ne portons pas de fruits. Il est triste de se diviser parce que, au lieu de jouer en équipe, on fait le jeu de l’ennemi : les évêques déconnectés entre eux, les prêtres en tension avec l’évêque, les personnes âgées en conflit avec les plus jeunes, les diocésains contre les religieux, les prêtres contre les laïcs, les latins contre les grecs. On se polarise sur des questions qui concernent la vie de l’Église, mais aussi sur des aspects politiques et sociaux, en s’accrochant à des positions idéologiques. Non, s’il vous plaît : le premier travail pastoral est le témoignage de la communion, parce que Dieu est communion et est présent là où il y a la charité fraternelle. Surmontons les divisions humaines pour travailler ensemble dans la vigne du Seigneur ! Immergeons-nous dans l’esprit de l’Évangile, enracinons-nous dans la prière, en particulier dans l’adoration et dans l’écoute de la Parole de Dieu, cultivons la formation permanente, la fraternité, la proximité et l’attention aux autres. Un grand trésor nous a été mis entre les mains, ne le gaspillons pas en suivant des réalités secondaires par rapport à l’Évangile ! 

Et je voudrais dire une autre chose aux prêtres, pour offrir au Peuple saint de Dieu le visage du Père et créer un esprit de famille : essayons de ne pas être rigides, mais d’avoir des regards et des approches miséricordieux et compatissants. À cet égard, j’ai été impressionné par les mots de l’abbé József qui a rappelé le dévouement et le ministère de son frère, le Bienheureux János Brenner, tué de façon barbare à seulement 26 ans. Combien de témoins et de confesseurs de la foi ce peuple n’a-t-il pas eu lors des totalitarismes du siècle dernier ! Le Bienheureux János a vécu dans sa chair beaucoup de souffrances et il aurait été facile pour lui de garder rancune, de se refermer, de se raidir. Mais il a été un bon pasteur. Cela nous est demandé à tous, en particulier aux prêtres : un regard miséricordieux, un cœur compatissant, qui pardonne toujours, toujours, qui aide à recommencer, qui accueille et ne juge pas, qui encourage et ne critique pas, qui sert et ne bavarde pas. 

Cela nous exerce à l’accueil prophétique : transmettre la consolation du Seigneur dans les situations de souffrance et de pauvreté du monde, en étant proches des chrétiens persécutés, des migrants qui cherchent l’hospitalité, des personnes d’autres ethnies, de tous ceux qui sont dans le besoin. Vous avez en ce sens de grands exemples de sainteté, comme saint Martin. Son geste de partager son manteau avec un pauvre est beaucoup plus qu’une œuvre de charité : c’est l’image de l’Église vers laquelle il faut tendre, c’est ce que l’Église de Hongrie peut porter comme prophétie au cœur de l’Europe : la miséricorde et la proximité. Mais je voudrais rappeler encore saint Étienne, dont la relique est ici à côté de moi : lui qui, le premier, a confié la nation à la Mère de Dieu, qui a été un évangélisateur intrépide et fondateur de monastères et d’abbayes, savait aussi écouter et dialoguer avec tous et s’occuper des pauvres. Il baissa les impôts pour eux et allait faire l’aumône déguisé pour ne pas être reconnu. Cela c’est l’Église dont nous devons rêver : capable d’écoute réciproque, de dialogue, d’attention aux plus faibles ; accueillante envers tous et courageuse pour porter à chacun la prophétie de l’Évangile. 

Très chers frères et sœurs, le Christ est notre avenir, car c’est Lui qui guide l’histoire. Vos Confesseurs de la foi en étaient fermement convaincus : de nombreux évêques, prêtres, religieuses et religieux martyrisés au cours de la persécution athée ; ils témoignent de la foi granitique des Hongrois. Je voudrais faire mémoire du Cardinal Mindszenty qui croyait en la puissance de la prière, au point qu’aujourd’hui encore, presque comme un dicton populaire, on répète ici : « S’il y a un million de Hongrois en prière, je n’aurai pas peur de l’avenir ». Soyez accueillants, soyez témoins de la prophétie de l’Évangile, mais surtout soyez des femmes et des hommes de prière, car l’histoire et l’avenir en dépendent. Je vous remercie pour votre foi et pour votre fidélité, pour tout le bien que vous êtes et que vous faites. Je ne peux pas oublier le témoignage courageux et patient des Sœurs hongroises de la Société de Jésus que j’ai rencontrées en Argentine après qu’elles aient quitté la Hongrie pendant la persécution religieuse. Elles m’ont fait beaucoup de bien. Je prie pour vous, afin que, à l’exemple de vos grands témoins de foi, vous ne soyez jamais pris par la fatigue intérieure, mais que vous avanciez avec joie. Et je vous demande de continuer à prier pour moi. Köszönöm! [Merci !]

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège

Audience générale du pape François – 26 avril 2023

Grégoire de Narek (Grigor Narekatsi), Hovhannavank. Wikimedia Commons.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur le « zèle évangélique » en réfléchissant à la prière des frères et sœurs de la vie consacrée. Il a déclaré qu’ils « sont le cœur battant de l’annonce. Leur prière est l’oxygène de tous les membres du Corps du Christ, leur prière est la force invisible qui soutient la mission ».

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous poursuivons les catéchèses sur les témoins du zèle apostolique. Nous avons commencé avec saint Paul et la dernière fois nous avons considéré les martyrs, qui proclament Jésus par leur vie, jusqu’à donner leur vie pour Lui et pour l’Évangile. Mais il y a un autre grand témoignage qui traverse l’histoire de la foi : celui des moniales et des moines, des sœurs et des frères qui renoncent à eux-mêmes, ils renoncent au monde pour imiter Jésus sur le chemin de la pauvreté, de la chasteté et de l’obéissance et pour intercéder en faveur de tous. Leurs vies parlent d’elles-mêmes, mais nous pouvons nous demander comment les personnes vivant dans des monastères peuvent-elles contribuer à l’annonce de l’Évangile ? Ne feraient-ils pas mieux de mettre leur énergie au service de la mission ? En sortant du monastère et en prêchant l’Évangile en dehors du monastère ? En réalité, les moines sont le cœur battant de l’annonce : leur prière est l’oxygène de tous les membres du Corps du Christ, leur prière est la force invisible qui soutient la mission. Ce n’est pas un hasard si la patronne des missions est une moniale, Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus. Écoutons comment elle a découvert sa vocation, elle écrivait ainsi : « J’ai compris que l’Église a un cœur, un cœur brûlant d’amour. J’ai compris que seul l’amour pousse les membres de l’Église à l’action et que, si cet amour s’éteignait, les apôtres n’annonceraient plus l’Évangile, les martyrs ne verseraient plus leur sang. J’ai compris et su que l’amour embrasse en lui toutes les vocations […]. Alors, avec une joie immense et extase de l’âme, je me suis écriée : O Jésus, mon amour, j’ai enfin trouvé ma vocation. Ma vocation est l’amour. […] Dans le cœur de l’Église, ma mère, je serai l’amour » (Manuscrit autobiographique « B », 8 septembre 1896). Les contemplatifs, les moines, les moniales : des personnes qui prient, travaillent, prient en silence, pour toute l’Église. Et c’est l’amour : c’est l’amour qui s’exprime en priant pour l’Église, en travaillant pour l’Église, dans les monastères.

Cet amour pour tous anime la vie des moines et se traduit dans leur prière d’intercession. À cet égard, je voudrais vous citer en exemple saint Grégoire de Narek, Docteur de l’Église. C’est un moine arménien, qui a vécu vers l’an mille, et qui nous a laissé un livre de prières dans lequel s’exprime la foi du peuple arménien, le premier à avoir embrassé le christianisme, un peuple qui, en restant fidèle à la croix du Christ, a tant souffert tout au long de l’histoire. Et Saint Grégoire passa presque toute sa vie au monastère de Narek. C’est là qu’il apprit à scruter les profondeurs de l’âme humaine et, en fusionnant ensemble la poésie et la prière, il marqua l’apogée de la littérature et de la spiritualité arméniennes. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est la solidarité universelle dont il est l’interprète. Et parmi les moines et les moniales, il existe une solidarité universelle : tout ce qui se passe dans le monde trouve une place dans leur cœur et ils prient. Le cœur des moines et des moniales est un cœur qui capte, comme une antenne, ce qui se passe dans le monde et qui prie et intercède pour cela. Ils vivent ainsi en union avec le Seigneur et avec tout le monde. Et saint Grégoire de Narek écrit : « J’ai pris volontairement sur moi toutes les fautes, depuis celles du premier père jusqu’à celles du dernier de ses descendants ». (Livre des Lamentations, 72). Et comme Jésus l’a fait, les moines prennent sur eux les problèmes du monde, les difficultés, les maladies, tant de choses, et prient pour les autres. Et ce sont eux les grands évangélisateurs. Comment se fait-il que les monastères vivent fermés et évangélisent ? Parce que par la parole, l’exemple, l’intercession et le travail quotidien, les moines sont un pont d’intercession pour tous les hommes et pour les péchés.  Ils pleurent aussi avec des larmes, ils pleurent pour leurs propres péchés – nous sommes tous pécheurs – et ils pleurent aussi pour les péchés du monde, et ils prient et intercèdent avec leurs mains et leurs cœurs vers le ciel. Pensons un peu à cette « réserve » – si je puis dire – que nous avons dans l’Église : ils sont la vraie force, la vraie force qui fait avancer le peuple de Dieu, et c’est de là que vient l’habitude qu’ont les gens – le peuple de Dieu – quand ils rencontrent une personne consacrée, une personne consacrée, de dire : « Priez pour moi, priez pour moi », parce que vous savez qu’il y a une prière d’intercession. Cela nous fera du bien – dans la mesure du possible – de visiter un monastère, parce qu’on y prie et qu’on y travaille. Chacun a sa propre règle, mais les mains y sont toujours occupées : occupées par le travail, occupées par la prière. Que le Seigneur nous donne de nouveaux monastères, qu’il nous donne des moines et des moniales qui fassent avancer l’Église par leur intercession. Je vous remercie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 12 avril 2023

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Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a poursuivi sa catéchèse sur le « zèle évangélique ». Il a réfléchi sur la référence à Éphésiens 6:15 « aux pieds du héraut de la bonne nouvelle », en disant que « celui qui va proclamer doit se déplacer, doit marcher ! »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Après avoir vu, il y a quinze jours, le zèle personnel de saint Paul pour l’Évangile, nous pouvons aujourd’hui réfléchir plus profondément sur le zèle évangélique tel qu’il en parle lui-même et qu’il le décrit dans quelques-unes de ses lettres.

En vertu de sa propre expérience, Paul n’ignore pas le danger d’un zèle déformé, orienté dans la mauvaise direction ; il était lui-même tombé dans ce danger avant la chute providentielle sur le chemin de Damas. Nous avons parfois affaire à un zèle mal orienté, obstiné dans l’observation de normes purement humaines et obsolètes pour la communauté chrétienne. « Certains, écrit l’apôtre, ont pour vous un attachement qui n’est pas bon ». (Gal 4, 17).

Nous ne pouvons pas ignorer la sollicitude avec laquelle certains se consacrent à de mauvaises occupations, même au sein de la communauté chrétienne ; on peut se vanter d’un faux zèle évangélique tout en poursuivant en réalité la vanité ou ses propres convictions.

Quelles sont les caractéristiques du véritable zèle évangélique selon Paul ? Le texte que nous avons entendu au début me semble utile à cet égard, une liste d’« armes » que l’apôtre indique pour le combat spirituel. Parmi ces armes, il y a la volonté de propager l’Évangile, que certains traduisent par « zèle » et qu’ils qualifient de « chaussure ». Pourquoi ? En quoi le zèle pour l’Évangile est-il lié à ce que l’on met à ses pieds ? Cette métaphore reprend un texte du prophète Isaïe : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut, et vient dire à Sion : ‹ Il règne, ton Dieu ! › » (52,7).

Ici aussi, il est question des pieds d’un héraut de la bonne nouvelle. Pourquoi ? Parce que celui qui va proclamer doit se déplacer, il doit marcher ! Mais nous remarquons aussi que Paul, dans ce texte, parle des chaussures comme d’une partie de l’armure, selon l’analogie de l’équipement du soldat qui va au combat : dans le combat, il est essentiel d’avoir une bonne stabilité, d’éviter les pièges du terrain, car l’adversaire a souvent truffé le champ de bataille de pièges, et d’avoir la force de courir et de se déplacer dans la bonne direction.

Le zèle évangélique est le support sur lequel repose l’annonce, et les annonciateurs sont un peu comme les pieds du corps du Christ qui est l’Église. Il n’y a pas de proclamation sans mouvement, sans « sortie”, sans initiative. On n’annonce pas l’Évangile en restant immobile, enfermé dans un bureau, devant son pupitre ou son ordinateur, à discuter comme des « lions du clavier “et à remplacer la créativité de l’annonce par des copier-coller d’idées prises ici et là. L’Évangile s’annonce en se déplaçant, en marchant, en allant.

Le terme utilisé par Paul pour désigner la chaussure de ceux qui portent l’Évangile est un mot grec qui signifie empressement, préparation, alacrité. C’est le contraire du laisser-aller, qui est incompatible avec l’amour. En effet, Paul dit ailleurs : « Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit, servez le Seigneur » (Rm 12,11). Cette attitude était celle requise dans le livre de l’Exode pour célébrer le sacrifice de la Pâque de délivrance : « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. Je traverserai le pays d’Égypte, cette nuit-là » (12,11-12a).

Le héraut est prêt à partir et il sait que le Seigneur passe de manière surprenante ; il doit donc être libre de tout projet et prêt pour une action inattendue et nouvelle. Celui qui annonce l’Évangile ne peut pas être fossilisé dans des cages de plausibilité ou dans le « on a toujours fait comme ça », mais il est prêt à suivre une sagesse qui n’est pas de ce monde, comme le dit Paul en parlant de lui-même : « Mon langage, ma proclamation de l’Évangile, n’avaient rien d’un langage de sagesse qui veut convaincre ; mais c’est l’Esprit et sa puissance qui se manifestaient, pour que votre foi repose, non pas sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu »  (1 Co 2,4-5).

Ici, il est important d’avoir cette disponibilité à la nouveauté de l’Évangile, cette attitude qui est un élan, une prise d’initiative, un « primerear ». Il s’agit de ne pas laisser passer les occasions de promulguer l’annonce de l’Évangile de la paix, cette paix que le Christ sait donner plus et mieux que le monde ne le fait.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

Homélie du pape François lors de la Messe Chrismale – 6 avril 2023

Le Jeudi Saint 6 avril 2023, le pape François a prononcé l’homélie lors de la célébration de la Messe  Chrismale. Il a dit: L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1).

Vous pouvez lire le texte intégral de l’homélie ci-dessous.

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Célébration de la Messe Chrismale

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Jeudi Saint, 6 avril 2023

« L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18) : c’est à partir de ce verset qu’a commencé la prédication de Jésus, et c’est à partir de ce même verset que la Parole que nous avons entendue aujourd’hui a débuté (cf. Is 61,1). Au commencement, donc, il y a l’Esprit du Seigneur.

Et c’est sur lui que je voudrais réfléchir avec vous aujourd’hui, chers confrères, sur l’Esprit du Seigneur. En effet, sans l’Esprit du Seigneur, il n’y a pas de vie chrétienne, et sans son onction, il n’y a pas de sainteté. Il est le protagoniste et c’est beau, en ce jour de naissance du sacerdoce, de reconnaître qu’il est à l’origine de notre ministère, de la vie et de la vitalité de chaque pasteur. En effet, notre Sainte Mère l’Église nous enseigne à professer que l’Esprit Saint « donne la vie » [1] comme l’a affirmé Jésus en disant : « C’est l’Esprit qui fait vivre » ( Jn 6, 63) ; un enseignement repris par l’apôtre Paul qui écrit : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6) et parle de la « loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » ( Rm 8, 2). Sans Lui, l’Église ne serait pas l’Épouse vivante du Christ, mais tout au plus une organisation religieuse – plus ou moins bonne ; elle ne serait pas le Corps du Christ, mais un temple construit par des mains humaines. Comment l’Église peut-elle être construite, sinon à partir du fait que nous sommes les « temples de l’Esprit Saint » qui « habite en nous » (cf. 1 Co 6, 19 ; 3,16) ? Nous ne pouvons pas le laisser dehors ou le « parquer » dans une zone de dévotion, non, au centre !. Nous avons besoin de dire chaque jour : « Viens, car sans ta puissance rien n’est en l’homme ». [2]

L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1). Frères, sans mérite, par pure grâce, nous avons reçu une onction qui a fait de nous des pères et des pasteurs du Peuple saint de Dieu. Arrêtons-nous donc sur cet aspect de l’Esprit : l’onction.

Après la première « onction » dans le sein de Marie, l’Esprit est descendu sur Jésus au Jourdain. Par la suite, comme l’explique saint Basile, « chaque action [du Christ] s’est accomplie avec la co-présence de l’Esprit Saint ». [3] En effet, c’est par la puissance de cette onction qu’Il prêchait et accomplissait des signes, en vertu de laquelle « une force sortait de Lui et les guérissait tous » ( Lc 6, 19). Jésus et l’Esprit œuvrent toujours ensemble, de sorte qu’ils sont comme les deux mains du Père [4] – Irénée dit cela – qui, tendues vers nous, nous étreignent et nous relèvent. Et c’est par elles que nos mains, ointes par l’Esprit du Christ ont été marquées. Oui, frères, le Seigneur ne nous a pas seulement choisis et appelés de partout : il a répandu en nous l’onction de son Esprit, celui-là même qui est descendu sur les Apôtres. Frères nous sommes des “oints”.

Regardons donc vers eux, vers les Apôtres. Jésus les choisit et, à son appel, ils quittent leurs barques, leurs filets, leurs maisons et ainsi de suite… L’onction de la Parole change leur vie. Avec enthousiasme, ils suivent le Maître et commencent à prêcher, convaincus d’accomplir par la suite des choses encore plus grandes ; jusqu’à ce que survienne la Pâque. Là, tout semble s’arrêter : ils en viennent à renier et à abandonner le Maître. Nous ne devons pas avoir peur. Soyons courageux en lisant notre propre vie et nos chutes. Ils parviennent à renier et à abandonner le Maitre, Pierre, le premier. Ils se rendent compte de leur incapacité et réalisent qu’ils ne l’avaient pas compris : le « Je ne connais pas cet homme » (Mc 14, 71), que Pierre prononce dans la cour du grand prêtre après la dernière Cène, n’est pas seulement une défense impulsive, mais un aveu d’ignorance spirituelle : lui et les autres s’attendaient peut-être à une vie de succès derrière un Messie attirant les foules et accomplissant des prodiges. Mais ils ne reconnaissent pas le scandale de la croix qui brise leurs certitudes. Jésus savait qu’ils n’y arriveraient pas seuls, et c’est pourquoi il leur avait promis le Paraclet. Et c’est justement cette « seconde onction », à la Pentecôte, qui transforme les disciples, en les amenant à paître le troupeau de Dieu et non plus eux-mêmes.Et telle est la contradiction à résoudre : suis-je pasteur du peuple de Dieu ou de moi-même ? Et il y a l’Esprit qui m’enseigne le chemin. C’est cette onction de feu qui fait disparaître leur religiosité centrée sur eux-mêmes et sur leurs propres capacités : une fois l’Esprit reçu, les craintes et les hésitations de Pierre se dissiperont ; Jacques et Jean, brûlés par le désir de donner leur vie, cesseront de courir après les places d’honneur (cf. Mc 10, 35-45) ; notre carriérisme, frères ; les autres ne resteront plus enfermés et craintifs au Cénacle, mais ils sortiront et deviendront apôtres dans le monde.C’est l’esprit qui change notre cœur, qui le met dans ce plan différent.

Frères, un tel chemin embrasse notre vie sacerdotale et apostolique. Pour nous aussi, il y a eu une première onction qui a commencé par un appel d’amour qui a ravi nos cœurs. Pour lui nous avons rompu nos amarres et sur cet enthousiasme authentique est descendue la force de l’Esprit, qui nous a consacrés. Ensuite, selon le temps voulu par Dieu, vient pour chacun l’étape pascale, qui marque le moment de vérité. Et c’est un moment de tension qui prend des formes diverses. Il arrive à chacun, tôt ou tard, de connaître des déceptions, des fatigues, des faiblesses, l’idéal semblant se diluer devant les exigences de la réalité, tandis qu’une certaine habitude prend le dessus et que certaines épreuves, auparavant difficilement imaginables, rendent la fidélité plus inconfortable qu’elle ne l’était auparavant. Cette étape – de cette tentation, de cette épreuve que nous avons tous eue, que nous avons et que nous aurons – cette étape représente une ligne de crête décisive pour ceux qui ont reçu l’onction. On peut s’en sortir mal, en glissant vers une certaine médiocrité, en se traînant avec lassitude dans une « normalité » où s’insinuent trois tentations dangereuses : celle du compromis, où l’on se contente de ce que l’on peut faire ; celle des compensations, où l’on cherche à se « recharger » avec autre chose que notre onction ; celle du découragement – qui est la plus commune –, où, mécontents, l’on continue par inertie. Et c’est là que réside le grand risque : alors que les apparences demeurent intactes – “Je suis prêtre” –, on se replie sur soi-même et on se traîne sans énergie ; le parfum de l’onction n’embaume plus la vie et le cœur ; et le cœur ne se dilate plus mais se rétrécit, enserré dans le désenchantement.C’est un distillat, tu sais ? Lorsque le sacerdoce glisse lentement sur le cléricalisme et que le prêtre oublie d’être pasteur du peuple, pour devenir un clerc d’État.

Mais cette crise peut aussi devenir le tournant du sacerdoce, « l’étape décisive de la vie spirituelle, où il faut faire l’ultime choix entre Jésus et le monde, entre l’héroïsme de la charité et la médiocrité, entre la croix et un certain bien-être, entre la sainteté et une honnête fidélité à l’engagement religieux ». [5] À la fin de cette célébration, on vous donnera comme cadeau un classique, un livre qui traite de ce problème : “ Le second appel”, c’est un classique du Père Voillaume qui touche ce problème, lisez-le. Ensuite, nous avons tous besoin réfléchir à ce moment de notre sacerdoce. C’est le moment béni où, comme les disciples à Pâques, nous sommes appelés à être « assez humbles pour confesser que nous avons été vaincus par le Christ humilié et crucifié, et pour accepter de commencer un nouveau chemin, celui de l’Esprit, de la foi et d’un amour fort et sans illusions ». [6] C’est le kairos où l’on découvre que « tout cela ne se réduit pas à abandonner la barque et les filets pour suivre Jésus pendant un certain temps, mais nous oblige à aller jusqu’au Calvaire, à accueillir la leçon et le fruit, et à aller avec l’aide de l’Esprit Saint jusqu’au bout d’une vie qui doit s’achever dans la perfection de la Charité divine ».  [7] Avec l’aide de l’Esprit Saint : c’est le temps, pour nous comme pour les Apôtres, d’une « seconde onction », temps d’un second appel que nous devons écouter, pour la seconde onction, celle où nous accueillons l’Esprit, non pas à partir de l’enthousiasme de nos rêves, mais à partir de la fragilité de notre réalité. C’est une onction qui fait la vérité en profondeur, qui permet à l’Esprit d’oindre nos faiblesses, nos travaux, nos pauvretés intérieures. Alors l’onction embaume à nouveau : de son parfum et non du nôtre.En ce moment, intérieurement, je fais mémoire de certains d’entre vous qui sont en crise – disons ainsi – qui sont désorientés et qui ne savent pas comment prendre le chemin, comment reprendre le chemin dans cette seconde onction de l’Esprit. À ces frères – je les ai présents – je dis simplement : courage, le Seigneur est plus grand que tes faiblesses, que tes péchés. Confie-toi au Seigneur et laisse-toi appeler une deuxième fois, cette fois avec l’onction de l’Esprit Saint. La double vie ne t’aidera pas ; jeter tout par la fenêtre, non plus. Regarde en avant, laisse-toi caresser par l’onction de l’Esprit Saint.

Et le chemin pour ce pas de maturité est d’admettre la vérité de sa propre faiblesse. « L’Esprit de vérité » (Jn 16, 13) nous y exhorte, il nous pousse à regarder en nous-mêmes jusqu’au fond et à nous demander : mon épanouissement dépend-il de mes capacités, du rôle que j’obtiens, des compliments que je reçois, de la carrière que je poursuis, des supérieurs ou des collaborateurs, ou du confort que je peux me garantir, ou de l’onction qui parfume ma vie ? Frères, la maturité sacerdotale passe par l’Esprit Saint, elle se réalise quand Il devient le protagoniste de notre vie. Alors tout change de perspective, même les déceptions et les amertumes – même les péchés – parce qu’il ne s’agit plus d’essayer de nous améliorer en corrigeant quelque chose, mais de nous en remettre, sans rien retenir, à Celui qui nous a gratifiés de son onction et veut descendre en nous au plus profond. Frères, nous redécouvrons alors que la vie spirituelle devient libre et joyeuse non pas quand on sauve les formes et que l’on rapièce, mais quand on laisse l’initiative à l’Esprit et que, abandonnés à ses desseins, on se dispose à servir là et comme on nous le demande : notre sacerdoce ne grandit pas en rapiéçant, mais en débordant !

Si nous laissons l’Esprit de vérité agir en nous, nous conserverons l’onction – conserver l’onction –, car les faussetés – les hypocrisies cléricales – les faussetés avec lesquelles nous sommes tentés de vivre viendront à la lumière immédiatement. Et l’Esprit, qui « lave ce qui est sale », nous suggérera, sans se lasser, de « ne pas souiller l’onction », ne serait-ce qu’un peu. Il me vient à l’esprit cette phrase du Qohèleth qui dit : « Une seule mouche morte infeste et gâte l’huile du parfumeur » (10, 1). C’est vrai, toute duplicité – la duplicité cléricale, s’il vous plaît – toute duplicité qui s’insinue est dangereuse : elle ne doit pas être tolérée mais mise à la lumière de l’Esprit. Parce que, si « rien n’est plus faux que le cœur de l’homme, il est incurable » ( Jr 17, 9), l’Esprit Saint, Lui seul, nous guérit de l’infidélité (cf. Os 14, 5). C’est pour nous un combat essentiel : il est en effet indispensable, comme l’écrivait saint Grégoire le Grand que « celui qui annonce la parole de Dieu se consacre d’abord à son propre mode de vie, pour apprendre ensuite, à partir de sa propre vie, ce qu’il doit dire et comment il doit le dire. […] Que nul ne prétende dire à l’extérieur ce qu’il n’a pas d’abord entendu à l’intérieur ». [8] Et c’est l’Esprit, le maître intérieur, qu’il faut écouter, sachant qu’il n’y a rien en nous qu’Il ne veuille oindre. Frères, préservons l’onction : que l’invocation de l’Esprit ne soit pas une pratique sporadique, mais le souffle de chaque jour. Viens, viens, conserve-nous l’onction. Moi, consacré par Lui, je suis appelé à m’immerger en Lui, à laisser sa lumière pénétrer mes obscurités – nous en avons beaucoup – pour retrouver la vérité de ce que je suis. Laissons-nous entraîner par Lui pour combattre les contradictions qui s’agitent en nous ; et laissons-nous régénérer par Lui dans l’adoration, car lorsque nous adorons le Seigneur, Il déverse son Esprit dans nos cœurs.

L’esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ; il m’a envoyé – poursuit la prophétie – et m’a envoyé pour apporter la bonne nouvelle, la délivrance, la guérison et la grâce (cf. Is 61, 1-2 ; Lc 4, 18-19) : en un mot, pour apporter l’harmonie là où il n’y en a pas. Car comme le dit saint Basile : “L’Esprit est l’harmonie” c’est Lui qui fait l’harmonie. Après vous avoir parlé de l’onction, je voudrais vous dire quelque chose de cette harmonie qui en est la conséquence. L’Esprit Saint, en effet, est harmonie. D’abord au ciel : saint Basile explique que « cette supra-céleste et indicible harmonie dans service de Dieu et dans la symphonie réciproque des puissances supra-cosmiques, il est impossible qu’elle soit conservée sinon par l’autorité de l’Esprit » [9]. Et aussi sur la terre : dans l’Église, c’est bien Lui cette « Harmonie divine et musicale » [10] qui relie tout.Mais pensez à un presbyterium sans harmonie, sans l’Esprit : cela ne fonctionne pas. Il suscite la diversité des charismes et la refonde en unité, il crée une concorde qui n’est pas fondée sur l’homologation, mais sur la créativité de la charité. Il en va de même pour l’harmonie entre les uns et les autres. Il en va de même pour l’harmonie dans un presbytère. Pendant les années du Concile Vatican II, qui a été un don de l’Esprit, un théologien a publié une étude dans laquelle il parlait de l’Esprit non pas dans son individualité, mais dans son pluralisme. Il nous invitait à le considérer comme une Personne divine non pas tant singulière que « plurielle », comme le « nous de Dieu », le « nous » du Père et du Fils, parce qu’il est leur lien, il est en lui-même concorde, communion, harmonie. [11] Je me souviens que quand j’ai lu ce traité théologique – c’était en théologie, en étudiant – je me suis scandalisé : il semblait une hérésie, parce que dans notre formation on ne comprenait pas bien comment était l’Esprit Saint.

Créer l’harmonie, c’est ce qu’Il désire, surtout parmi ceux sur qui Il a répandu son onction. Frères, construire l’harmonie entre nous n’est donc pas une bonne méthode pour que la structure ecclésiale puisse mieux fonctionner, ce n’est pas danser le Minuet, ce n’est pas une question de stratégie ou de courtoisie, mais une exigence interne de la vie de l’Esprit. On pèche contre l’Esprit, qui est communion, quand on devient, même par légèreté, un instrument de division, par exemple – et revenons sur le même thème – avec le bavardage. Quand nous devenons des instruments de division, nous péchons contre l’Esprit. Et on fait le jeu de l’ennemi qui ne se montre pas au grand jour et qui aime les rumeurs et les insinuations, qui fomente des partis et des groupes de pressions, nourrit la nostalgie du passé, la méfiance, le pessimisme, la peur. Veillons, s’il vous plaît, à ne pas souiller l’onction de l’Esprit et la tunique de la Sainte Mère l’Église par la désunion, les polarisations, par tout manque de charité et de communion. Rappelons-nous que l’Esprit, « le nous de Dieu », préfère la forme communautaire : c’est-à-dire la disponibilité par rapport à ses propres exigences, l’obéissance par rapport à ses propres goûts, l’humilité par rapport à ses propres attentes.

L’harmonie n’est pas une vertu parmi d’autres, elle est davantage. Saint Grégoire le Grand écrit : « La valeur de la vertu d’harmonie est démontrée par le fait que, sans elle, toutes les autres vertus ne valent absolument rien ». [12] Aidons-nous les uns les autres, mes frères, à préserver l’harmonie, – préserver l’harmonie – ce serait le devoir – en commençant non pas par les autres, mais chacun par soi-même ; en nous demandant : dans mes paroles, dans mes commentaires, dans ce que je dis et écris, y a-t-il l’empreinte de l’Esprit ou celle du monde ? Je pense aussi à la gentillesse du prêtre – mais si souvent les prêtres, nous… sommes impolis – : pensons à la gentillesse du prêtre, si les gens trouvent, même chez nous, des personnes insatisfaites, vieux garçons, des personnes mécontentes qui critiquent et pointent du doigt, où verront-ils l’harmonie ? Combien ne s’approchent pas, ou bien s’éloignent, parce qu’ils ne se sentent ni accueillis ni aimés dans l’Église, mais regardés avec suspicion et jugés ! Au nom de Dieu, accueillons et pardonnons, toujours ! Et rappelons-nous que le fait d’être crispés et de se plaindre, outre que cela ne produit rien de bon, compromet l’annonce, parce que cela est un contre-témoignage de Dieu qui est communion et harmonie. Et cela déplaît beaucoup et surtout à l’Esprit Saint que l’apôtre Paul nous exhorte à ne pas contrister (cf. Ep 4, 30).

Frères, je vous laisse avec ces pensées qui sont sorties du cœur et je termine en vous adressant une parole simple et importante : merci. Merci pour votre témoignage, merci pour votre service ; merci pour tout le bien caché que vous faites, merci pour le pardon et la consolation que vous offrez au nom de Dieu : toujours pardonner, s’il vous plaît, ne jamais refuser le pardon ; merci pour votre ministère qui s’exerce souvent au prix de beaucoup de fatigues, d’incompréhensions et de peu de reconnaissance. Frères, que l’Esprit de Dieu, qui ne déçoit pas ceux qui se confient en Lui, vous comble de paix et achève en vous ce qu’il a commencé, afin que vous soyez prophètes de son onction et apôtres d’harmonie.

 

[1] Symbole de Nicée-Constantinople.

[2] Cf. Séquence de la Pentecôte.

[3] Spir. XVI, 39.

[4] Cf. Irené de Lyon, Adv. haer. IV, 20,1.

[5] R. Voillaume, «La seconda chiamata», in S. Stevan ed.,  La Seconda chiamata. Il coraggio della fragilità, Bologna 2018, 15. (« Le second appel », Lettres aux fraternités, t. 1, Paris, Cerf, 1960, pp. 11-35).

[6] Ibid., 24.

[7] Ibid., 16.

[8] Homélies sur Ezéchiel, I, X ,13-14.

[9] Spir. XVI, 38. Basile de Césarée, De Spiritu sancto, Sources Chrétiennes 17, [SPIR.S] 16, 38 (p.382).

[10] In Ps. 29,1.

[11] Cf. H. Mühlen, Der Heilige Geist als Person. Ich – Du – Wir, Münster in W., 1963.

[12] Homélies sur Ezéchiel, I, VIII, 8.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Audience générale du pape François – 5 avril 2023

« Le roi qui mérite tous les éloges ». Crédit photo: Mirna Encinas on Cathopic.

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a réfléchi sur « Le crucifix, source d’espérance ». Il a déclaré que sur la croix, « nous voyons Jésus nu, Jésus dépouillé, Jésus blessé, Jésus tourmenté. Est-ce la fin de tout ? C’est là que se trouve notre espérance. »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Dimanche dernier, la Liturgie nous a fait écouter la Passion du Seigneur. Elle se termine par ces mots : « Ils mirent les scellés sur la pierre » (Mt 27, 66). Ils mirent les scellés sur la pierre : tout semble fini. Pour les disciples de Jésus, ce bloc de pierre marque la fin de l’espérance. Le Maître a été crucifié, tué de la manière la plus cruelle et la plus humiliante qui soit, pendu à un infâme gibet hors de la ville : un échec public, la pire fin possible – à cette époque c’était la pire. Le découragement qui oppressait les disciples ne nous est pas totalement étranger aujourd’hui. En nous aussi, fusent des idées noires et des sentiments de frustration : pourquoi tant d’indifférence à l’égard de Dieu ? C’est curieux : pourquoi tant d’indifférence à l’égard de Dieu ? Pourquoi tant de mal dans le monde ? Mais regardez, il y a du mal dans le monde ! Pourquoi les inégalités continuent-elles à se creuser et la paix tant désirée ne se réalise pas ? Pourquoi sommes-nous si attachés à la guerre, à nous faire du mal l’un à l’autre ? Et dans le cœur de chacun, que d’attentes envolées, que de déceptions ! Et toujours ce sentiment que les temps passés étaient meilleurs et que dans le monde, peut-être même dans l’Église, les choses ne sont plus ce qu’elles étaient… Bref, aujourd’hui encore, l’espérance semble parfois scellée sous la pierre de la méfiance. Et j’invite chacun d’entre vous à réfléchir à ceci : où est ton espérance ? Toi, as-tu une espérance vive ou l’as-tu scellée là, ou l’as-tu dans le tiroir comme un souvenir ? Est-ce que ton espérance te fait avancer, ou est-ce un souvenir romantique comme quelque chose qui n’existerait pas ? Où est ton espérance aujourd’hui ?

Une image est restée gravée dans l’esprit des disciples : la croix. Et c’est là que tout est fini. C’est là que se concentrait la fin de tout. Mais peu de temps après, ils découvriront dans la croix elle-même un nouveau commencement. Chers frères et sœurs, c’est ainsi que germe l’espérance de Dieu, elle naît et renaît dans les trous noirs de nos attentes déçues, et l’espérance véritable, au contraire, ne déçoit jamais. Pensons à la croix : du plus terrible instrument de torture, Dieu a tiré le plus grand signe d’amour. Ce bois de la mort, transformé en arbre de vie, nous rappelle que les débuts de Dieu commencent souvent à partir de nos limites : c’est ainsi qu’il aime opérer des merveilles. Aujourd’hui, regardons donc l’arbre de la croix pour que germe en nous l’espérance : cette vertu de tous les jours, cette vertu silencieuse, humble, mais cette vertu qui nous maintient debout, qui nous aide à aller de l’avant. Sans espérance, on ne peut pas vivre. Demandons-nous : où est mon espérance ? Aujourd’hui, regardons l’arbre de la croix pour que germe en nous l’espérance : pour être guéris de la tristesse – mais, que de gens tristes… Moi, quand je pouvais aller dans les rues, maintenant je ne peux plus parce qu’on ne me laisse pas faire, mais quand je pouvais aller dans les rues dans l’autre diocèse, j’aimais bien regarder le regard des gens. Tant de regards tristes ! Des gens tristes, des gens qui parlent tout seuls, des gens qui marchent avec leur téléphone portable, mais sans paix, sans espérance. Et où est ton espérance aujourd’hui ? Nous avons besoin d’un peu d’espérance pour guérir de la tristesse dont nous sommes malades, pour guérir de l’amertume avec laquelle nous polluons l’Église et le monde. Frères et sœurs, regardons le Crucifix. Et que voyons-nous ? Nous voyons Jésus nu, Jésus dépouillé, Jésus blessé, Jésus tourmenté. Est-ce la fin de tout ? C’est là que réside notre espérance.

Observons donc comment, sous ces deux aspects, l’espérance, qui semblait mourir, renaît. Tout d’abord, nous voyons Jésus dépouillé : car « après l’avoir crucifié, ils se partagèrent ses vêtements en tirant au sort » (v. 35). Dieu dépouillé : Celui qui a tout se laisse dépouiller de tout. Mais cette humiliation est le chemin de la rédemption. Dieu triomphe ainsi de nos apparences. En effet, nous avons du mal à nous mettre à nu, à faire la vérité : nous essayons toujours de dissimuler les vérités parce qu’elles ne nous plaisent pas ; nous nous revêtons d’apparences extérieures que nous recherchons et soignons, des masques pour nous déguiser et nous montrer meilleurs que nous ne sommes. Un peu comme l’habitude du maquillage : maquillage intérieur, paraître meilleur que les autres …Nous pensons que l’important est l’ostentation, le paraitre, pour que les autres disent du bien de nous. Et nous nous parons d’apparences, nous nous parons d’apparences, de choses superflues, mais de cette manière nous ne trouvons pas la paix. Puis le maquillage disparaît et tu te regardes dans le miroir avec le visage laid que tu as, mais le vrai, celui que Dieu aime, pas celui qui est « maquillé ». Et Jésus dépouillé de tout nous rappelle que l’espérance renaît en faisant la vérité sur nous-mêmes – se dire la vérité à soi-même -, en abandonnant la duplicité, en nous libérant de la coexistence pacifique avec nos mensonges. Parfois, nous sommes tellement habitués à nous dire des mensonges que nous vivons avec ces mensonges comme s’il s’agissait de vérités et nous finissons par être empoisonnés par nos mensonges. Voilà ce qui est nécessaire : revenir au cœur, à l’essentiel, à une vie simple, dépouillée de tant de choses inutiles, qui sont des substituts de l’espérance. Aujourd’hui, alors que tout est complexe et que nous risquons de perdre le fil, nous avons besoin de simplicité, nous avons besoin de redécouvrir la valeur de la sobriété, la valeur du renoncement, de faire le ménage dans ce qui pollue le cœur et nous rend tristes. Chacun de nous peut penser à une chose inutile dont il peut se débarrasser pour se retrouver. Pensez-y, que de choses inutiles ! Ici, il y a quinze jours, à Santa Marta, où je vis – c’est un hôtel pour tant de gens – on a dit que pour cette Semaine Sainte, il serait bon de regarder l’armoire et de se dépouiller, de nous débarrasser des choses que nous avons, que nous n’utilisons pas… vous ne pouvez pas imaginer la quantité de choses ! Il est bon de se débarrasser des choses inutiles. Et cela a été donné aux pauvres, aux personnes dans le besoin. Nous aussi, nous avons tant de choses inutiles à l’intérieur de notre cœur – et à l’extérieur aussi. Regardez votre garde-robe : regardez-la. Ce qui est utile, ce qui est inutile… et faire le ménage. Regardez l’armoire de l’âme : combien de choses inutiles vous avez, combien d’illusions stupides. Revenons à la simplicité, aux choses essentielles, qui n’ont pas besoin de maquillage. Voilà un bel exercice !

Jetons un second regard sur le crucifix et voyons Jésus blessé. La croix montre les clous qui transpercent ses mains et ses pieds, son côté ouvert. Mais aux blessures du corps s’ajoutent celles de l’âme : mais quelle angoisse ! Jésus est seul : trahi, livré et renié par les siens, de ses amis et également de ses disciples, condamné par le pouvoir religieux et civil, excommunié, Jésus fait même l’expérience de l’abandon de Dieu (cf. v. 46). Sur la croix, apparaît également le motif de la condamnation : « Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs » (v. 37). C’est une moquerie : lui qui s’était enfui quand on avait voulu le faire roi (cf. Jn 6,15), est condamné pour s’être fait roi ; alors qu’il n’a commis aucun crime, il est mis entre deux malfaiteurs et on lui préfère le violent Barabbas (cf. Mt 27,15-21). Jésus, en somme, est blessé dans son corps et dans son âme. Je me demande : en quoi cela aide-t-il notre espérance ? Ainsi, Jésus nu, dépouillé de tout, de tout : qu’est-ce que cela dit de mon espérance, en quoi cela m’aide-t-il ?

Nous aussi nous sommes blessés : qui n’est pas blessé dans la vie ? Et tant de fois avec des blessures cachées, que nous cachons à cause de la honte. Qui ne porte pas les cicatrices de choix passés, d’incompréhensions, de douleurs qui restent à l’intérieur et qui sont difficiles à surmonter ? Mais aussi des torts subis, des paroles acerbes, des jugements sans clémence ? Dieu ne cache pas à nos yeux les blessures qui ont transpercé son corps et son âme. Il les montre pour nous dévoiler qu’un nouveau passage peut s’ouvrir à Pâques : faire de ses blessures des trous de lumière. « Mais, Sainteté, n’exagérez pas », pourrait-on me dire. Non, c’est vrai : essaie. Essaie. Pense à tes blessures, celles que tu es le seul à connaître, celles que chacun a cachées dans le cœur. Et regarde le Seigneur. Et tu verras, tu verras comment de ces blessures jaillissent des trous de lumière. Jésus en croix, ne récrimine pas, il aime. Il aime et pardonne à ceux qui le blessent (cf. Lc 23, 34). Il transforme ainsi le mal en bien, ainsi convertit-il et transforme-t-il la douleur en amour.

Frères et sœurs, la question n’est pas d’être blessé un peu ou beaucoup par la vie, la question est ce que je fais de mes blessures. Les petites, les grandes, celles qui laisseront toujours une trace dans mon corps, dans mon âme. Qu’est-ce que je fais avec mes blessures ? Que fais-tu, toi avec tes blessures ? « Non, mon Père, je n’ai pas de blessures » – « Attention, réfléchis-y par deux fois avant de dire cela ». Et moi je te demande : que fais-tu de tes blessures, celles que toi seul connais ? Tu peux les laisser s’infecter dans le ressentiment, la tristesse, ou je peux les unir à celles de Jésus, pour que mes blessures aussi deviennent lumineuses. Pensez au nombre de jeunes qui ne supportent pas leurs blessures et qui considèrent le suicide comme une voie de salut : aujourd’hui, dans nos villes, il y a beaucoup, beaucoup de jeunes qui ne voient pas d’issue, qui n’ont pas d’espérance et qui préfèrent aller plus loin avec la drogue, avec l’oubli… pauvres choses. Pensez à eux. Et toi, quelle est ta drogue, pour couvrir tes blessures ? Nos blessures peuvent devenir sources d’espérance quand, au lieu de pleurer sur nous-mêmes ou de les cacher, nous essuyons les larmes des autres ; quand, au lieu de nourrir du ressentiment pour ce qui nous est enlevé, nous nous occupons de ce qui manque aux autres ; quand, au lieu de ruminer en nous-mêmes, nous nous penchons sur ceux qui souffrent ; quand, au lieu d’être assoiffés d’amour pour nous-mêmes, nous étanchons la soif de ceux qui ont besoin de nous. Car seulement si nous cessons de penser à nous-mêmes, nous nous trouvons nous-mêmes. Mais si nous continuons à penser à nous-mêmes, nous ne nous retrouverons plus jamais. Et c’est ainsi que – comme le dit l’Écriture – notre blessure se cicatrise rapidement (cf. Is 58, 8) et que l’espérance refleurit. Réfléchissez : que puis-je faire pour les autres ? Je suis blessé, je suis blessé par le péché, je suis blessé par l’histoire, chacun a sa propre blessure. Que dois-je faire : est-ce que je lèche mes propres blessures comme ça, toute la vie ? Ou est-ce que je regarde les blessures des autres et je pars avec l’expérience blessée de ma propre vie, pour guérir, pour aider les autres ? C’est le défi d’aujourd’hui, pour vous tous, pour chacun d’entre nous. Que le Seigneur nous aide à aller de l’avant.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François durant la célébration de la messe du dimanche des Rameaux 2023

Le dimanche 2 avril 2023, le pape François a prononcé l’homélie lors de la célébration du dimanche des Rameaux de la Passion du Seigneur. Il a souligné qu’ «à l’heure de l’abandon, Jésus a continué à faire confiance. À l’heure de l’abandon, il a continué à aimer ses disciples qui s’étaient enfuis, le laissant seul. Dans son abandon, il a pardonné à ceux qui l’avaient crucifié. (Luc 23:34) Nous voyons ici l’abîme de nos nombreux péchés immergé dans un amour plus grand, avec pour résultat que notre isolement devient communion. »

Vous pouvez lire le texte intégral de l’homélie ci-dessous.

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Célébration du dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Place Saint-Pierre
Dimanche 2 avril 2023

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 26, 46). C’est l’invocation que la liturgie d’aujourd’hui nous a fait répéter dans le Psaume responsorial (Cf. Ps 22, 2) et c’est la seule prononcée sur la croix par Jésus dans l’Évangile que nous avons entendu. Ce sont donc les paroles qui nous conduisent au cœur de la passion du Christ, au point culminant des souffrances qu’il a endurées pour nous sauver. “Pourquoi m’as-tu abandonné ?”

Les souffrances de Jésus ont été nombreuses, et chaque fois que nous écoutons le récit de la passion, elles nous pénètrent. Il y a eu les souffrances du corps : pensons aux gifles, aux coups, à la flagellation, à la couronne d’épines, jusqu’à la torture de la croix. Il y a eu les souffrances de l’âme : la trahison de Judas, les reniements de Pierre, les condamnations religieuses et civiles, les railleries des gardes, les insultes sous la croix, le rejet de beaucoup de gens, l’échec de tout, l’abandon des disciples. Pourtant, dans toute cette souffrance, il reste à Jésus une certitude : la proximité du Père. Mais voilà que l’impensable se produit : avant de mourir, il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». L’abandon de Jésus.

Voici la souffrance la plus déchirante, c’est la souffrance de l’esprit : à l’heure la plus tragique, Jésus fait l’expérience de l’abandon de Dieu. Jamais auparavant il n’avait appelé le Père par le nom générique de Dieu. Pour nous transmettre la force de cet événement, l’Évangile rapporte la phrase également en araméen : c’est la seule, parmi celles prononcées par Jésus sur la croix qui nous parvient dans la langue originale. L’événement est l’abaissement extrême, c’est-à-dire l’abandon de son Père, l’abandon de Dieu. Le Seigneur vient souffrir par amour pour nous, comme il est difficile pour nous de le comprendre. Il voit le ciel fermé, il expérimente l’amère frontière de la vie, le naufrage de l’existence, l’effondrement de toute certitude : il crie « le pourquoi des pourquoi ». “Toi, Dieu, pourquoi ?”

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Le verbe « abandonner » dans la Bible est fort ; il apparaît dans des moments de douleur extrême : dans les amours manquées, rejetées et trahies ; dans les enfants rejetés et avortés ; dans les situations de répudiation, de veuvage et d’orphelinat ; dans les mariages épuisés, dans les exclusions qui privent des liens sociaux, dans l’oppression de l’injustice et dans la solitude de la maladie : bref, dans les lacérations les plus implacables des liens. Là, on dit ce mot : “abandon”. Le Christ a porté cela sur la croix, en prenant sur lui le péché du monde. Et au point culminant, Lui, le Fils unique et bien-aimé, fait l’expérience de la situation qui Lui était la plus étrangère : l’abandon, l’éloignement de Dieu.

Et pourquoi en est-il arrivé là ? Pour nous, il n’y a pas d’autre réponse. Pour nous. Frères et sœurs, aujourd’hui ce n’est pas un spectacle. En écoutant l’abandon de Jésus, que chacun de nous se dise : pour moi. Cet abandon est le prix qu’il a payé pour moi. Il s’est fait solidaire avec chacun de nous jusqu’à l’extrême, pour être avec nous jusqu’à la fin. Il a connu l’abandon pour ne pas nous laisser otages de la désolation et pour être à nos côtés pour toujours. Il l’a fait pour moi, pour toi, pour que lorsque moi, toi ou n’importe qui d’autre se voit le dos au mur, perdu dans une impasse, plongé dans l’abîme de l’abandon, aspiré dans le tourbillon des nombreux « pourquoi » sans réponse, il y ait une espérance. Lui, pour toi, pour moi. Ce n’est pas la fin, car Jésus est passé par là et il est maintenant avec toi : Lui qui a souffert la distance de l’abandon pour accueillir dans son amour toutes nos distances. Pour que chacun de nous puisse dire : dans mes chutes – chacun de nous est tombé plusieurs fois –, dans ma désolation, quand je me sens trahi, ou quand j’ai trahi les autres, quand je me sens rejeté ou quand j’ai rejeté les autres, quand je me sens abandonné ou quand j’ai abandonné les autres, pensons qu’Il a été abandonné, trahi, rejeté. Et là nous Le trouvons. Quand je me sens mal et perdu, quand je n’y arrive plus, Il est avec moi ; dans mes nombreux pourquoi sans réponse, Il est là.

C’est ainsi que le Seigneur nous sauve, à partir de nos « pourquoi ». C’est à partir de là qu’il entrouvre l’espérance qui ne déçoit pas. En effet, sur la croix, alors qu’il ressent un extrême abandon, il ne se laisse pas aller au désespoir – c’est la limite –, mais il prie et se confie. Il crie son « pourquoi » avec les mots d’un psaume (22, 2) et s’abandonne entre les mains du Père, même s’il le sent loin (cf. Lc 23, 46) ou il ne le sent pas car il se trouve abandonné. Dans l’abandon, il se confie. Dans l’abandon, il continue à aimer les siens qui l’avaient laissé seul. Dans l’abandon, il pardonne à ceux qui l’ont crucifié (v. 34). Voilà que l’abîme de nos nombreux maux est plongé dans un amour plus grand, de sorte que toute séparation se transforme en communion.

Frères et sœurs, un tel amour total pour nous, jusqu’au bout, l’amour de Jésus est capable de transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair. C’est un amour de pitié, de tendresse, de compassion. Le style de Dieu est ceci : proximité, compassion et tendresse. Dieu est ainsi. Le Christ abandonné nous pousse à le chercher et à l’aimer dans les personnes abandonnées. Car en elles, il n’y a pas seulement des nécessiteux, mais il y a Lui, Jésus abandonné, Celui qui nous a sauvés en descendant au plus profond de notre condition humaine. Il est avec chacun d’eux, abandonnés jusqu’à la mort… Je pense à cet homme dit “de la rue”, allemand, qui mourut sous la colonnade, seul, abandonné. C’est Jésus pour chacun de nous. Beaucoup ont besoin de notre proximité, beaucoup sont abandonnés. J’ai aussi besoin que Jésus me caresse et s’approche de moi, et c’est pourquoi je vais le trouver dans les abandonnés, dans les personnes seules. Il veut que nous nous occupions des frères et des sœurs qui Lui ressemblent le plus, dans les situations extrêmes de douleur et de solitude. Aujourd’hui, chers frères et sœurs, il y a tant de « christs abandonnés ». Des peuples entiers sont exploités et abandonnés à eux-mêmes ; des pauvres dont nous n’avons pas le courage de croiser le regard vivent aux carrefours de nos rues ; il y a des migrants qui n’ont plus de visages mais qui sont des numéros ; il y a des prisonniers qui sont rejetés, des personnes qui sont cataloguées comme un problème. Mais aussi tant de christs invisibles, cachés, abandonnés, sont rejetés avec des gants blancs : des enfants à naître, des personnes âgées laissées seules – ça peut être ton père, ta mère peut-être, le grand-père, la grand-mère, abandonnés dans les instituts gériatriques –, des malades non visités, des handicapés ignorés, des jeunes qui ressentent un grand vide intérieur sans que personne n’écoute vraiment leur cri de souffrance. Et ils ne trouvent pas d’autre voie que le suicide. Les abandonnés d’aujourd’hui. Les christs d’aujourd’hui.

Jésus abandonné nous demande d’avoir des yeux et un cœur pour les personnes abandonnées. Pour nous, disciples de l’Abandonné, personne ne peut être marginalisé, personne ne peut être laissé à lui-même ; parce que, rappelons-nous, les rejetés et les exclus sont des icônes vivantes du Christ, ils nous rappellent son amour fou, son abandon qui nous sauve de toute solitude et de toute désolation. Frères et sœurs, demandons cette grâce aujourd’hui : savoir aimer Jésus abandonné et savoir aimer Jésus dans toute personne abandonnée, dans toute personne abandonnée. Demandons la grâce de savoir regarder, de savoir reconnaître le Seigneur qui crie encore en eux. Ne laissons pas sa voix se perdre dans le silence assourdissant de l’indifférence. Dieu ne nous a pas laissés seuls ; prenons soin de ceux qui sont laissés seuls. Alors, seulement, nous ferons nôtres les désirs et les sentiments de Celui qui, pour nous, « s’est dépouillé lui-même » (Ph 2, 7). Il s’est dépouillé totalement pour nous.

 

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

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