Homélie du pape François lors de la Messe de canonisation de Saint Stanislas de Jésus Marie Papczyński & Sainte Marie Élisabeth Hesselblad

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La Parole de Dieu que nous avons écoutée nous reconduit à l’événement central de la foi : la victoire de Dieu sur la souffrance et sur la mort. C’est l’Évangile de l’espérance jaillissant du Mystère pascal du Christ ; il irradie à partir de son visage qui révèle Dieu le Père, consolateur des affligés. C’est une Parole qui nous appelle à demeurer intimement unis à la passion de notre Seigneur Jésus, afin que se manifeste en nous la puissance de sa résurrection.

En effet, dans la Passion du Christ, il y a la réponse de Dieu au cri angoissé, et parfois indigné, que l’expérience de la souffrance et de la mort suscite en nous. Il s’agit de ne pas échapper de la Croix, mais de rester là, comme l’a fait la Vierge Mère, qui en souffrant avec Jésus a reçu la grâce d’espérer contre toute espérance (cf. Rm 4, 18).

Cela a aussi été l’expérience de Stanislas de Jésus Marie et de Marie Élisabeth Hesselblad, qui sont aujourd’hui proclamés saints : ils sont restés intimement unis à la passion de Jésus et la puissance de sa résurrection s’est manifestée en eux.

La première lecture et l’évangile de ce dimanche nous présentent justement deux signes prodigieux de résurrection : le premier opéré par le prophète Elie, le Capture d’écran 2016-06-05 à 09.30.17second par Jésus. Dans les deux cas, les morts sont de très jeunes fils de femmes veuves qui sont rendus vivants à leurs mères.

La veuve de Sarepta – une femme non juive, qui cependant avait accueilli dans sa maison le prophète Elie – s’est indignée contre le prophète et contre Dieu parce que, justement pendant qu’Elie était son hôte, son enfant était tombé malade et avait à présent expiré dans ses bras. Alors Elie dit à cette femme : « Donne-moi ton fils ! » (1 R17, 19). Voilà un mot-clé : il exprime l’attitude de Dieu devant notre mort (sous toutes ses formes) ; il ne dit pas : « Garde-le, arrange-toi ! », mais il dit : « Donne-le moi ». Et en effet, le prophète prend l’enfant et le porte dans la chambre à l’étage supérieur, et là, seul, dans la prière, « il lutte avec Dieu », le mettant devant l’absurdité de cette mort. Et le Seigneur écoute la voix d’Elie, parce qu’en réalité c’était Lui, Dieu, qui parlait et agissait à travers le prophète. C’était lui qui, par la bouche d’Elie, avait dit à la femme : « Donne- moi ton fils ». Et maintenant c’était Lui qui le rendait vivant à sa mère.

La tendresse de Dieu se révèle pleinement en Jésus. Nous avons entendu dans l’Évangile (Lc 7, 11-17) comme il a été saisi de compassion (cf. v. 13) pour cette veuve de Naïm, en Galilée, qui accompagnait son fils unique, encore adolescent, pour l’enterrer. Mais Jésus s’approche, touche le cercueil, arrête le cortège funèbre, et il aura certainement caressé le visage baigné de larmes de cette pauvre maman. « Ne pleure pas ! », lui dit-il (Lc 7, 13). Comme s’il lui demandait : « Donne-moi ton fils ». Jésus demande pour lui notre mort, afin de nous en libérer et de nous redonner la vie. En effet ce jeune s’est réveillé comme d’un sommeil profond et il a recommencé à parler. Et Jésus « le rendit à sa mère » (v. 15). Il n’est pas un magicien ! Il est la tendresse de Dieu incarnée ; en lui opère l’immense compassion du Père.

Que l’apôtre Paul d’ennemi et persécuteur féroce des chrétiens devienne témoin et héraut de l’Évangile (cf. Ga 1, 13-17) est aussi une espèce de résurrection. Ce Capture d’écran 2016-06-05 à 09.38.25changement radical n’a pas été son œuvre personnelle mais un don de la miséricorde de Dieu, qui l’« a mis à part » et l’« a appelé dans sa grâce » et a voulu révéler « en lui » son Fils pour qu’il annonce ce Fils parmi les nations (vv. 15-16). Paul dit qu’il a plu à Dieu le Père de révéler le Fils non seulement à lui mais aussi en lui, c’est-à-dire en imprimant dans sa personne, chair et esprit, la mort et la résurrection du Christ. Ainsi l’apôtre sera non seulement un messager, mais avant tout un témoin.

Et de même, avec les pécheurs, pris un à un, Jésus ne se lasse pas de faire resplendir la victoire de la grâce qui donne vie. Il dit à la Mère Église : « Donne-moi tes enfants », que nous sommes tous. Il prend sur lui nos péchés, les enlève et il nous redonne vivants à l’Église même. Et cela advient d’une manière spéciale durant cette Année Sainte de la Miséricorde.

Aujourd’hui, l’Église nous montre deux de ses enfants qui sont des témoins exemplaires de ce mystère de résurrection. Les deux peuvent chanter dans l’éternité avec les paroles du Psalmiste : « Tu as changé mon deuil en une danse, / sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rendrai grâce » (Ps 30, 12). Et tous ensemble nous nous unissons en disant : « Je t’exalte, Seigneur : tu m’as relevé » (Refrain du Psaume responsorial).

[00937-FR.01] [Texte original: Italien]

Homélie du Pape François à la Messe du Jubilé des Prêtres

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Homélie du Pape François lors de la Sainte Messe pour le Jubilé des Prêtres
Solennité du Sacré Coeur de Jésus
3 juin 2016 (Place Saint-Pierre)

Célébrant le Jubilé des Prêtres en la Solennité du Sacré Cœur de Jésus, nous sommes appelés à viser au cœur, c’est-à-dire à l’intériorité, aux racines les plus fortes de la vie, au noyau des affections, en un mot, au centre de la personne. Et aujourd’hui, nous tournons le regard vers deux cœurs : le Cœur du Bon Pasteur et notre cœur de pasteurs.

Le Cœur du Bon Pasteur n’est pas seulement le Cœur qui a de la miséricorde pour nous, mais la miséricorde elle-même. Là resplendit l’amour du Père ; là je me sens sûr d’être accueilli et compris comme je suis ; là, avec toutes mes limites et mes péchés, je goûte la certitude d’être choisi et aimé. En regardant ce Cœur, je renouvelle le premier amour : la mémoire du moment où le Seigneur m’a touché dans l’âme et m’a appelé à le suivre, la joie d’avoir jeté les filets de la vie sur sa Parole (cf. Lc 5, 5).

Le Cœur du Bon Pasteur nous dit que son amour n’a pas de frontières, il ne se fatigue jamais et ne se rend jamais. Là nous voyons sa manière continuelle de se donner, sans limites ; là nous trouvons la source de l’amour fidèle et doux, qui laisse libres et rend libres ; là nous redécouvrons chaque fois que Jésus nous aime « jusqu’au bout » (Jn 13, 1), sans jamais s’imposer.

Le Cœur du Bon Pasteur est penché vers nous, « polarisé » spécialement envers celui qui est plus distant ; là pointe obstinément l’aiguille de sa boussole, là se révèle une faiblesse d’amour particulier, parce qu’il désire rejoindre chacun et n’en perdre aucun.

Devant le Cœur de Jésus naît l’interrogation fondamentale de notre vie sacerdotale : où est orienté mon cœur ? Le ministère et souvent rempli de multiples initiatives, qui l’exposent sur de nombreux fronts : de la catéchèse à la liturgie, à la charité, aux engagements pastoraux et aussi administratifs. Parmi tant d’activités demeure la question : où est fixé mon cœur, où pointe-t-il, quel trésor cherche-t-il ? Parce que dit Jésus – « là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » (Mt 6, 21).

Les trésors irremplaçables du Cœur de Jésus sont deux : le Père et nous. Ses journées se passaient entre la prière au Père et la rencontre avec les gens. Le cœur du pasteur du Christ lui aussi connaît seulement deux directions : le Seigneur et les gens. Le cœur du prêtre est un cœur transpercé par l’amour du Seigneur ; pour cela il ne se regarde plus lui-même mais il est tourné vers Dieu et vers les frères. Ce n’est plus « un cœur instable », qui se laisse attirer par la suggestion du moment ou qui va çà et là en cherchant des consensus et de petites satisfactions ; c’est au contraire un cœur établi dans le Seigneur, captivé par l’Esprit Saint, ouvert et disponible aux frères.

Pour aider notre cœur à brûler de la charité de Jésus Bon Pasteur, nous pouvons nous entraîner à faire nôtre trois actions, que les Lectures d’aujourd’hui nous suggèrent : chercher, inclure et se réjouir.

Chercher. Le prophète Ézéchiel nous a rappelé que Dieu lui-même cherche ses brebis (34, 11.16). L’Évangile dit, « il va chercher celle qui est perdue » (Lc 15, 4), sans se laisser effrayer par les risques ; sans délai il s’aventure hors des endroits du pâturage et hors des horaires de travail. Il ne renvoie pas la recherche, il ne pense pas « aujourd’hui j’ai déjà fait mon devoir, je m’en occuperai demain », mais il se met tout de suite à l’œuvre ; son cœur est inquiet tant qu’il n’a pas retrouvé cette unique brebis perdue. L’a-t-il trouvée, il oublie la fatigue et il la charge sur ses épaules tout content.

Voilà le cœur qui cherche : c’est un cœur qui ne privatise pas les temps et les espaces, il n’est pas jaloux de sa légitime tranquillité, et il n’exige jamais de ne pas être dérangé. Le pasteur selon le cœur de Dieu ne défend pas ses propres aises, il n’est pas préoccupé de conserver sa bonne réputation, au contraire, sans craindre les critiques, il est disposé à risquer même d’imiter son Seigneur.

Le Pasteur selon Jésus a le cœur libre pour laisser ses affaires, il ne vit pas en tenant les comptes de ce qu’il a et des heures de service : il n’est pas un comptable de l’esprit, mais un bon samaritain à la recherche de celui qui a besoin. C’est un pasteur, non un inspecteur du troupeau, et il se dévoue à la mission non à cinquante ou soixante pour cent, mais avec tout lui-même. Allant à la recherche, il trouve, et il trouve parce qu’il risque, il ne s’arrête pas après les déceptions et il ne se rend pas dans les fatigues ; il est en effet, obstiné dans le bien, oint de la divine obstination que personne ne se perde. Pour cela, non seulement il tient les portes ouvertes, mais il sort à la recherche de celui qui ne veut plus entrer par la porte. Comme tout bon chrétien et comme exemple pour tout chrétien, il est toujours en sortie de soi. L’épicentre de son cœur se trouve hors de lui : il n’est pas attiré par son moi, mais par le Tu de Dieu et par le nous des hommes.

Inclure. Le Christ aime et connaît se brebis, il donne sa vie pour elles et aucune ne lui est étrangère (cf. Jn 10, 11-14). Son troupeau est sa famille et sa vie. Il n’est pas un chef craint par les brebis, mais il est le Pasteur qui marche avec elles et les appelle par leur nom (cf. Jn 10, 3-4). Et il désire rassembler les brebis qui ne demeurent pas encore avec Lui (cf. Jn 10, 16).

Ainsi également le prêtre du Christ : il est oint pour le peuple, pas pour choisir ses propres projets, mais pour être proche des gens concrets que Dieu, par l’Église, lui a confiés. Personne n’est exclu de son cœur, de sa prière et de son sourire. Avec un regard aimable et un cœur de père, il accueille, il inclut et, quand il doit corriger, c’est toujours pour approcher ; il ne méprise personne, mais il est prêt à se salir les mains pour tous. Ministre de la communion qu’il célèbre et qu’il vit, il n’attend pas les salutations et les compliments des autres, mais il tend la main en premier, rejetant les bavardages, les jugements et les venins. Il écoute les problèmes avec patience et il accompagne les pas des personnes, accordant le pardon divin avec une généreuse compassion. Il ne gronde pas celui qui laisse ou qui perd la route, mais il est toujours prêt à réinsérer et à calmer les querelles.

Se réjouir. Dieu est « tout joyeux » (Lc 5, 5) : sa joie naît du pardon, de la vie qui renaît, du fils qui respire à nouveau l’air de la maison. La joie de Jésus Bon Pasteur n’est pas une joie pour soi, mais c’est une joie pour les autres et avec les autres, la vraie joie de l’amour. C’est aussi la joie du prêtre. Il est transformé par la miséricorde qui donne gratuitement. Dans la prière il découvre la consolation de Dieu et il expérimente que rien n’est plus fort que son amour. Pour cela, il est serein intérieurement, et il est heureux d’être un canal de miséricorde, d’approcher l’homme au Cœur de Dieu. La tristesse pour lui n’est pas normale, mais seulement passagère : la dureté lui est étrangère, parce qu’il est pasteur selon le Cœur doux de Dieu.

Chers prêtres, dans la célébration eucharistique nous retrouvons chaque jour notre identité de pasteurs. Chaque fois nous pouvons faire véritablement nôtre ses paroles « ceci est mon corps offert en sacrifice pour vous ». C’est le sens de notre vie, ce sont les paroles avec lesquelles, dans un certain sens, nous pouvons renouveler quotidiennement les promesses de notre Ordination. Je vous remercie pour votre « oui » à donner la vie unis à Jésus : là se tient la source pure de notre joie.

(Image: CNS Photo/Paul Haring)

Troisième méditation du Pape François lors du Jubilé des prêtres

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Troisième méditation du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde
Retraite spirituelle présidée par le pape François
Lors du Jubilé des prêtres, 2 juin 2016
(Basilique Saint-Paul-hors-des-murs) 

Troisième méditation : La bonne odeur du Christ et la lumière de sa Miséricorde

Dans notre troisième rencontre, je vous propose de méditer sur les œuvres de miséricorde, soit en prenant l’une d’entre elles, celle que nous pensons être la plus liée à notre charisme, soit en les contemplant toutes ensemble, les regardant avec les yeux miséricordieux de Notre Dame qui nous fait découvrir le vin qui manque et qui nous encourage à faire tout ce que Jésus nous dit (cf. Jn 2, 1-12) pour que sa miséricorde opère les miracles dont notre peuple a besoin.

Les œuvres de miséricorde sont très liées aux ‘‘sens spirituels’’. En priant nous demandons la grâce de ‘‘sentir et de goûter’’ l’Évangile, de telle sorte qu’il nous rende sensible à la vie. Mus par l’Esprit, guidés par Jésus, nous pouvons voir déjà de loin, avec un regard de miséricorde, celui qui est tombé au bord du chemin, nous pouvons entendre les cris de Bartimée, nous pouvons sentir comme le Seigneur sent, sur le bord de son manteau, le contact timide mais décidé de l’hémorroïsse, nous pouvons demander la grâce de goûter avec lui sur la croix la saveur amère du fiel de tous les crucifiés, pour sentir ainsi la forte odeur de la misère – dans les hôpitaux de campagne, dans les trains et les barques remplies de gens – ; cette odeur que l’huile de la miséricorde ne couvre pas, mais qui, en étant ointe, fait que s’éveille une espérance. Le Catéchisme de l’Église catholique, en parlant des œuvres de miséricorde, nous raconte que Sainte Rose de Lima, le jour où sa mère l’a réprimandée d’accueillir à la maison pauvres et infirmes, lui dit : « Quand nous servons les pauvres et les malades, nous servons Jésus » (n. 2449). Cette bonne odeur du Christ – le soin des pauvres – est distinctive de l’Église, il en a toujours été ainsi. Paul y a centré sa rencontre avec les ‘‘colonnes’’, comme il les qualifie, avec Pierre, Jacques, et Jean. Ils [nous] ont demandé « seulement de nous souvenir des pauvres » (Ga 2, 10). Le Catéchisme dit aussi, de manière suggestive, que « ceux que [la misère] accable sont l’objet d’un amour de préférence de la part de l’Église qui, depuis les origines, en dépit des défaillances de beaucoup de ses membres, n’a cessé de travailler à les soulager, les défendre et les libérer » (n. 2448).

Dans l’Église nous avons eu et nous avons beaucoup de choses pas très bonnes, et beaucoup de péchés, mais quant au service des pauvres à travers les œuvres de miséricorde, en tant qu’Église nous avons toujours suivi l’Esprit, et nos saints l’ont fait de manière très créative et efficace. L’amour des pauvres a été le signe, la lumière qui fait que les personnes glorifient le Père. Nos gens apprécient ceci : le prêtre qui prend soin des plus pauvres, des malades, qui pardonne aux pécheurs, qui enseigne et corrige avec patience… Nos gens pardonnent beaucoup de défauts aux prêtres, sauf celui de l’attachement à l’argent. Et ce n’est pas tant à cause de la richesse en soi, mais parce que l’argent nous fait perdre la richesse de la miséricorde. Notre peuple sent par intuition quels péchés sont graves pour le pasteur, ceux qui tuent son ministère parce qu’ils le transforment en fonctionnaire, ou pire, en mercenaire, et en revanche les péchés qui sont, je ne dirais pas secondaires, mais oui, des péchés que l’on peut supporter, charger comme une croix, jusqu’à ce que le Seigneur les purifie à la fin, comme il le fera de la zizanie. En revanche, ce qui porte atteinte à la miséricorde est une contradiction principale. Cela porte atteinte au dynamisme du salut, au Christ qui « s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté » (2Co 8, 9). Et il en est ainsi parce que la miséricorde prend soin « en perdant quelque chose d’elle-même » : une partie du cœur reste avec la personne blessée, un temps de notre vie est perdu pour ce que nous avions envie de faire, quand nous l’offrons aux autres.

C’est pourquoi il ne s’agit pas que Dieu me fasse miséricorde pour certaines fautes, comme si pour le reste j’étais autosuffisant ; ou bien que, de temps en temps, j’accomplisse une œuvre particulière de miséricorde envers une personne dans le besoin. La grâce que nous demandons dans cette prière est celle de laisser Dieu nous faire miséricorde dans tous les domaines de notre vie, et d’être miséricordieux envers les autres dans tout notre agir. Pour nous, prêtres et évêques, qui administrons les sacrements, baptisant, confessant, célébrant l’Eucharistie… la miséricorde est la manière de changer toute la vie du peuple de Dieu en sacrement. Etre miséricordieux ce n’est pas seulement une manière d’être mais la manière d’être. Il n’y a pas une autre manière possible d’être prêtre. Le Père Brochero, qui, si Dieu le veut, sera canonisé cette année, disait : « Le prêtre qui n’a pas beaucoup de pitié envers les pécheurs est un demi prêtre. Ce ne sont pas ces haillons bénis que je porte qui font de moi un prêtre ; si je n’ai pas dans mon cœur la charité, je ne suis même pas chrétien ».

Le propre du regard d’un père est de voir ce qui manque pour y porter remède immédiatement, et mieux encore, de le prévoir. Ce regard sacerdotal – de celui qui joue le rôle de père au sein de l’Eglise Mère – qui nous fait voir les personnes du point de vue de la miséricorde, on doit enseigner à le cultiver dès le séminaire et il doit alimenter tous les plans pastoraux. Nous voulons et nous demandons au Seigneur un regard qui sache discerner les signes des temps en termes d’« œuvres de miséricorde dont notre peuple a aujourd’hui besoin », pour pouvoir sentir et faire l’expérience du Dieu de l’histoire qui marche avec lui. En effet, comme le dit le document d’Aparecida, en citant saint Alberto Hurtado : « Par nos œuvres, notre peuple sait que nous comprenons sa souffrance » (n. 386). Par nos œuvres.

La preuve de cette compréhension de notre peuple est que nous sommes toujours bénis par Dieu dans nos œuvres de miséricorde, et que nous obtenons l’aide et la collaboration de nos gens. Il n’en est pas ainsi pour d’autres types de projets, qui parfois marchent bien, d’autres fois non, sans que certains ne comprennent pourquoi ça ne marche pas et se cassent la tête à chercher un nouvel énième plan pastoral, alors qu’on pourrait dire simplement : ça ne marche pas parce qu’il y manque la miséricorde, sans devoir entrer dans les détails. Si ce n’est pas béni, c’est parce qu’il y manque la miséricorde. Il manque cette miséricorde qui a plus de lien avec un hôpital de campagne qu’avec une clinique de luxe, cette miséricorde qui, valorisant ce qui est bon, prépare le terrain à une rencontre de la personne avec Dieu dans l’avenir, au lieu de l’éloigner par une critique sur un point particulier.

Je vous propose une prière avec la pécheresse pardonnée (Jn 8, 3-11), pour demander la grâce d’être miséricordieux dans la confession, et une autre sur la dimension sociale des œuvres de miséricorde.

Le passage concernant le Seigneur avec la femme adultère m’émeut toujours, lorsque, ne la condamnant pas, il ‘‘enfreint’’ la loi ; sur ce cas précis sur lequel on lui demandait de se prononcer – ‘‘faut-il la lapider ou non’’ –, il ne s’est pas exprimé, il n’a pas appliqué la loi. Il a feint de ne pas comprendre et, à ce moment-là, il leur a sorti quelque chose d’autre. Il a ainsi initié un processus dans le cœur de la femme qui avait besoin de ces paroles : ‘‘Moi non plus, je ne te condamne pas’’. En la prenant par la main, il l’a relevée et cela lui a permis de croiser un regard plein de douceur qui a changé son cœur. Parfois j’éprouve un mélange de peine et d’indignation quand on s’empresse de mettre en lumière la dernière recommandation, le ‘‘ne pèche plus’’. Et on utilise cette phrase pour ‘‘défendre’’ Jésus, afin que ce ne soit pas comme s’il avait violé la loi. Je pense que les paroles que le Seigneur utilise forment un tout avec ses actes. Le fait de se pencher pour écrire par deux fois sur le sol, marquant une pause avant de parler à ceux qui veulent lapider la femme, et ensuite une autre avant ce qu’il lui dit, nous parle du temps que le Seigneur prend pour juger et pardonner. Un temps qui renvoie chacun à sa propre intériorité et fait que ceux qui jugent se retirent.

Dans son dialogue avec la femme, le Seigneur ouvre d’autres espaces : le premier est l’espace de la non condamnation. L’Evangile insiste sur cet espace resté libre. Il nous place sous le regard de Jésus et nous dit qu’ ‘‘il ne voit personne autour, sinon la femme’’. Et ensuite Jésus luimême amène la femme à regarder autour d’elle par cette question : ‘‘Où sont-ils, ceux qui te cataloguaient ?’’ (le mot est important, puisqu’il exprime ce que nous condamnons tant comme le fait qu’on nous catalogue ou qu’on nous caricature…). Une fois qu’il lui a fait voir cet espace libre du jugement d’autrui, il lui dit que lui non plus ne l’agresse pas avec ses pierres : ‘‘Moi non plus je ne te condamne pas’’. Et, sur le champ, il lui ouvre un autre espace libre : ‘‘Désormais, ne pèche plus’’. Le commandement est donné pour l’avenir, pour aider à avancer, pour « marcher dans l’amour ». Voilà la délicatesse de la miséricorde qui regarde avec pitié le passé et encourage pour l’avenir. Ce ‘‘ne pèche plus’’, n’est pas une chose évidente. Le Seigneur le dit ‘‘avec elle’’, il l’aide à exprimer par des paroles ce qu’elle-même ressent, ce ‘‘non’’ libre au péché qui est comme le ‘‘oui’’ de Marie à la grâce. Le ‘‘non’’ est dit en relation avec la racine du péché de chacun. Chez la femme, il s’agissait d’un péché social, d’une personne dont les gens s’approchaient, ou pour coucher avec elle, ou pour la lapider. C’est pourquoi le Seigneur, non seulement lui dégage la voie, mais aussi la met en mouvement, pour qu’elle cesse d’être ‘‘objet’’ du regard d’autrui, pour qu’elle soit protagoniste. Le fait de ne pas pécher ne se réfère pas seulement à l’aspect moral, je crois, mais à un type de péché qui ne la laisse pas faire sa vie. Au paralytique à la piscine de Bethesda il dit également « ne pèche plus » (Jn 5, 14). Mais à celui-ci – qui se justifiait avec les choses tristes qui ‘‘lui arrivaient’’, qui avait une psychologie de victime – il lui lance une pique en ces termes : ‘‘Qu’il ne t’arrive pas quelque chose de pire’’. Le Seigneur profite de sa manière de penser, de ce qu’il craint, pour le sortir de sa paralysie. Disons qu’il se sert de la peur pour le faire bouger. Ainsi, nous devons chacun entendre ce ‘‘ne pèche plus’’ de manière profonde, personnelle.

Cette image du Seigneur qui met les gens en mouvement lui est vraiment propre : il est le Dieu qui se met en route avec son peuple, qui fait aller de l’avant et accompagne notre histoire. C’est pourquoi l’objet vers lequel se dirige la miséricorde est très précis : c’est vers ce qui fait qu’un homme ou une femme ne marche pas à sa place, avec les siens, à son rythme, vers là où Dieu l’invite à aller. La peine, ce qui bouleverse, c’est que l’un ou l’autre se perde, ou reste derrière, ou s’égare par présomption. Disons, qu’il soit désorienté. Qu’il ne soit pas à la disposition du Seigneur, disponible pour la tâche qu’il veut lui confier. Qu’on ne marche pas humblement en présence du Seigneur (cf. Mi 6, 8), qu’on ne marche pas dans la charité (cf. Ep 5, 2).

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Deuxième méditation du Pape François lors du Jubilé des prêtres

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Deuxième méditation du Jubilé extraordinaire de la Miséricorde
Retraite spirituelle présidée par le pape François
Lors du Jubilé des prêtres, 2 juin 2016
(Basilique Sainte-Marie-Majeure)

Deuxième méditation : le réceptacle de la Miséricorde

Le réceptacle de la Miséricorde est notre péché. Mais il arrive souvent que notre péché soit comme une passoire, comme une cruche percée, ce qui fait que la grâce s’en échappe en peu de temps : « Oui, mon peuple a commis deux méfaits : ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes, des citernes fissurées qui ne retiennent pas l’eau » (Jr 2, 13). D’où la nécessité que le Seigneur explique à Pierre de ‘‘pardonner soixante-dix- fois sept fois’’. Dieu ne se lasse pas de pardonner, même s’il voit que sa grâce semble ne pas parvenir à s’enraciner fortement dans la terre de notre cœur, qui est un chemin dur, encombré de mauvaises herbes et pierreux. Il revient semer sa miséricorde et son pardon.

Des cœurs re-créés

Cependant, nous pouvons faire un pas de plus dans cette miséricorde de Dieu qui es toujours ‘‘plus grande que notre conscience’’ du péché. Non seulement le Seigneur ne se lasse pas de nous pardonner mais aussi il renouvelle l’outre dans laquelle nous recevons le pardon. Il utilise une outre neuve pour le vin nouveau de sa miséricorde pour que ce ne soit pas un vêtement rapiécé ou une vieille outre. Et cette outre, c’est sa miséricorde même : sa miséricorde telle qu’elle est expérimentée en nous-mêmes et telle que nous la mettons en pratique en aidant les autres. Le cœur qui a bénéficié de miséricorde n’est pas un cœur rapiécé mais un cœur nouveau, re-créé. Celui dont David dit : « Crée en moi un cœur pur, renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit » (Ps 50, 12). Ce cœur nouveau, re-créé, est un bon récipient. La liturgie exprime l’âme de l’Eglise lorsqu’elle nous fait dire cette merveilleuse prière : « Seigneur notre Dieu, toi qui as fait merveille en créant l’homme et plus grande merveille encore en le sauvant » (Prière de la veillée pascale, après la Première Lecture). Par conséquent, cette seconde création est plus merveilleuse que la première. C’est un cœur qui se sait recréé grâce à la fusion de sa misère avec le pardon de Dieu et donc c’‘‘est un cœur qui a reçu la miséricorde et fait miséricorde’’. C’est ainsi : il expérimente les bénéfices de la grâce sur sa blessure et sur son péché, il sent comment la miséricorde pacifie sa faute, inonde avec amour sa sécheresse, rallume son espérance. Voilà pourquoi, lorsqu’en même temps et avec la même grâce, celui-là pardonne à qui a une dette envers lui et a compassion de ceux qui sont également pécheurs, cette miséricorde s’enracine dans une bonne terre, d’où l’eau ne s’échappe pas mais donne vie. Dans l’exercice de cette miséricorde qui répare le mal d’autrui, personne n’est mieux placé pour aider à le soigner que celui qui maintient vive l’expérience d’avoir été objet miséricorde pour ce même mal. Nous voyons que, parmi ceux qui travaillent à combattre la toxicodépendance, ceux qui se sont libérés sont généralement ceux qui comprennent mieux, qui aident et savent exiger des autres. Et le meilleur confesseur est d’ordinaire celui qui se confesse le mieux. Presque tous les grands saints ont été de grands pécheurs ou, comme la petite sainte Thérèse, ils étaient conscients que ne pas l’avoir été était une pure grâce prévenante.

Ainsi, le vrai récipient de la miséricorde est la miséricorde même que chacun a reçue et qui lui a recréé le cœur, voilà l’‘‘outre neuve’’ dont parle Jésus (cf. Lc 5, 37), la ‘‘source régénérée’’.

Nous nous situons ainsi dans le domaine du mystère du Fils, de Jésus, qui est la miséricorde du Père faite chair. L’image définitive du réceptacle de la miséricorde, nous la trouvons dans les plaies du Seigneur ressuscité, image de l’empreinte du péché restauré par Dieu, qui ne s’efface pas totalement ni ne suppure : c’est une cicatrice, non une blessure purulente. C’est dans cette ‘‘sensibilité’’ propre aux cicatrices, qui nous rappellent la blessure sans forte douleur et la guérison sans que nous n’oubliions la fragilité, que réside la miséricorde divine. Dans la sensibilité du Christ ressuscité qui conserve ses plaies, – non seulement aux pieds et aux mains, mais aussi dans son cœur qui est un cœur blessé – nous trouvons le juste sens du péché et de la grâce. En contemplant le cœur blessé du Seigneur, nous nous voyons en lui comme dans un miroir. Notre cœur et le sien se ressemblent en ceci que les deux sont blessés et ressuscités. Mais nous savons que son amour était un amour pur et qu’il a été blessé parce qu’il a accepté d’être vulnérable ; notre cœur, en revanche, était pure plaie, qui a été guérie parce qu’elle a accepté d’être aimée.

Nos saints ont reçu la miséricorde

Cela peut nous faire du bien de contempler d’autres qui se sont laissés recréer le cœur par la miséricorde et d’observer dans quel ‘‘réceptacle’’ ils l’ont reçue.

Paul la reçoit dans le réceptacle dur et inflexible de son jugement forgé par la Loi. Sa dureté de jugement le poussait à être un persécuteur. La miséricorde le transforme de telle manière que, tout en devenant quelqu’un qui cherche les plus éloignés, qui cherche les gens de mentalité païenne, en même temps il est plus compréhensif et miséricordieux envers ceux qui étaient comme lui, il avait été. Paul voulait être considéré anathème afin de sauver les siens. Son jugement se consolide ‘‘en ne se jugeant même pas lui-même’’, mais en se laissant justifier par un Dieu qui est plus grand que sa conscience, en recourant à Jésus Christ qui est un avocat fidèle de l’amour duquel rien ni personne peut le séparer. La radicalité des jugements de Paul sur la miséricorde inconditionnelle de Dieu, qui surmonte la blessure de fond, celle qui fait que nous avons deux lois (celle de la chair et celle de l’Esprit), est telle parce qu’elle est le récipient d’un esprit sensible au caractère absolu de la vérité, esprit blessé là même où la Loi et la Lumière deviennent un piège. La fameuse ‘‘épine’’ que le Seigneur ne lui enlève pas est le réceptacle dans lequel Paul reçoit la miséricorde du Seigneur (cf. 2 Co 12, 7).

Pierre reçoit la miséricorde dans sa présomption d’homme de bon sens. Il était doté du bon sens robuste et expérimenté d’un pêcheur, qui sait par expérience quand on peut pêcher ou non. C’est le bon sens de celui qui, lorsqu’il s’enthousiasme en marchant sur les eaux et en obtenant une pêche miraculeuse et qu’il commet un excès en se regardant lui-même, sait demander de l’aide au seul qui peut le sauver. Ce Pierre a été guéri de la plus profonde blessure qu’il puisse y avoir, celle de renier un ami. Peut-être le reproche de Paul, lorsqu’il lui jette à la figure sa duplicité, a-t-il un lien avec cela. Il semblerait que Paul sentait qu’il avait été lui-même le pire [des hommes] ‘‘avant’’ de connaître le Christ ; mais Pierre, après l’avoir connu, l’avait renié… Cependant, en avoir été guéri a transformé Pierre en un Pasteur miséricordieux, en une pierre solide sur laquelle on peut toujours édifier, parce qu’il s’agit d’une pierre fragile qui a été assainie, non une pierre qui dans sa robustesse conduit le plus faible à trébucher. Pierre est le disciple que le Seigneur reprend le plus dans l’Évangile. Il le corrige constamment, jusqu’au dernier moment : « Que t’importe ? Toi, suismoi » (Jn 21, 22). La tradition dit qu’il lui est apparu de nouveau lorsque Pierre fuyait de Rome. Le signe de Pierre crucifié la tête en bas est peut-être le plus éloquent de ce réceptacle à la tête dure qui, pour être miséricordieuse, se met vers le bas y compris en rendant le témoignage suprême d’amour à son Seigneur. Pierre ne veut pas finir sa vie en disant ‘‘Moi, j’ai déjà appris la leçon’’, mais en disant : ‘‘Comme ma tête n’apprendra jamais, je la mets vers le bas’’. Au-dessus de tout, les pieds que le Seigneur a lavés. Ces pieds sont pour Pierre le réceptacle grâce auquel il reçoit la miséricorde de son Ami et Seigneur.

Jean sera guéri dans sa prétention de vouloir réparer le mal par le feu et finira par être celui qui écrit ‘‘mes petits enfants’’, et il semblerait qu’il soit l’un de ces grands-parents pleins de bonté qui ne parlent que d’amour, lui, qui était « le fils du tonnerre » (Mc 3, 17).

Augustin a été guéri de sa nostalgie d’être arrivé tard au rendez-vous : « Je t’ai aimé tard », et il trouvera sa manière créative de remplir d’amour le temps perdu en écrivant ses Confessions.

François est de plus en plus miséricordieux, à bien des moments de sa vie. Peut-être le réceptacle définitif, qui s’est transformé en plaies réelles, plus que de donner un baiser au lépreux, de se dépouiller grâce à dame pauvreté et de sentir toute créature comme sœur, aura-t-il été de devoir protéger dans un silence miséricordieux l’Ordre qui avait été fondé. François voit comment ses frères se divisent en prenant comme bannière la même pauvreté. Le démon nous amène à nous quereller entre nous en défendant les plus saintes choses, mais ‘‘avec un mauvais esprit’’.

Ignace a été guéri de sa vanité, et si ceci avait été le réceptacle, nous pouvons entrevoir combien était grand ce désir de gloriole, qui a été recréé dans une telle recherche de la plus grande gloire de Dieu.

Dans le Journal d’un curé de campagne, Bernanos nous relate la vie du curé d’un village, en s’inspirant de la vie du Saint Curé d’Ars. Il y a deux paragraphes très beaux qui racontent les pensées intérieures du curé aux derniers moments de sa soudaine maladie : « Au cours des dernières semaines….que Dieu me laissera, aussi longtemps que je pourrai garder la charge d’une paroisse, j’essaierai, comme jadis, d’agir avec prudence. Mais enfin j’aurai moins souci de l’avenir, je travaillerai pour le présent. Cette sorte de travail me semble à ma mesure… Car je n’ai de réussite qu’aux petites choses, et si souvent éprouvé par l’inquiétude, je dois reconnaître que je triomphe dans les petites joies ». Un récipient de la miséricorde, tout petit, a un lien avec les petites joies de notre vie pastorale, là où nous pouvons recevoir et exercer la miséricorde infinie du Père dans de petits gestes.

L’autre paragraphe dit : « C’est fini. L’espèce de méfiance que j’avais de moi, de ma personne, vient de se dissiper, je crois, pour toujours. Cette lutte a pris fin. Je ne la comprends plus. Je suis réconcilié avec moi-même, avec cette pauvre dépouille. Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. Mais si tout orgueil était mort en nous, la grâce des grâces serait de s’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ ». Voilà le récipient : « S’aimer humblement soi-même, comme n’importe lequel des membres souffrants de Jésus-Christ ». C’est un récipient commun, comme une vieille jarre que nous pouvons emprunter auprès des plus pauvres.

Le Père Brochero, le bienheureux argentin, qui sera bientôt canonisé, « a laissé la miséricorde de Dieu travailler son cœur ». Son réceptacle a fini par être son propre corps de lépreux. Lui, qui rêvait de mourir en galopant, en passant à gué quelque fleuve de montagne pour aller donner l’onction à un malade. L’une de ses dernières paroles a été : « Il n’y a pas de gloire définitive dans cette vie » ; « je suis très satisfait de ce qu’il m’a fait concernant la vue, et je le remercie beaucoup de cela. Quand je pouvais servir l’humanité, il a conservé sains et robustes mes sens. Aujourd’hui, où je ne le peux plus, il a rendu inutilisable l’un des sens de mon corps. Dans ce monde, il n’y a pas de gloire définitive, et nous sommes pleins de misères ». Nos affaires demeurent souvent à mi-chemin et, pour cela, sortir de soi est toujours une grâce. On nous concède d’‘‘abandonner les choses’’ pour que le Seigneur les bénisse et les perfectionne. Nous ne devons pas trop nous préoccuper. Cela nous permet de nous ouvrir aux peines et aux joies de nos frères. C’était le Cardinal Van Thuam qui disait qu’en prison le Seigneur lui avait enseigné à distinguer entre ‘‘choses de Dieu’’, auxquelles il avait consacré sa vie en liberté en tant que prêtre et évêque, et Dieu lui-même, auquel il se consacrait en étant en prison’’ (cf. Van Thuam, Cinque pani e due pesci, San Paolo 1997).

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Homélie du Pape François lors du Jubilé des diacres

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Homélie du Pape François lors du Jubilé des diacres
Dimanche 29 mai 2016
Place Saint-Pierre

« Serviteur du Christ » (Gal 1, 10). Nous avons entendu cette expression, par laquelle l’apôtre Paul se définit, en écrivant aux Galates. Au début de la lettre il s’était présenté comme « apôtre », par volonté du Seigneur Jésus (cf. Gal 1, 1). Les deux termes, apôtre et serviteur, vont ensemble, ils ne peuvent jamais être séparés ; ce sont comme deux faces d’une même médaille : celui qui annonce Jésus est appelé à servir et celui qui sert annonce Jésus.

Le Seigneur nous l’a montré le premier : Lui, la Parole du Père, Lui, qui nous a apporté la bonne nouvelle (Is 61, 1), Lui, qui est en lui-même la bonne nouvelle (cf. Lc 4, 18), il s’est fait notre serviteur (Ph 2, 7), « il n’est pas venu pour être servi mais pour servir » (Mc 10, 45). « Il s’est fait le diacre de tous », a écrit un Père de l’Église (Saint Polycarpe, Ad Phil. V, 2). Comme il a fait Lui, ainsi nous sommes appelés à être ses annonciateurs. Le disciple de Jésus ne peut aller sur un chemin différent de celui du Maître, mais s’il veut annoncer il doit l’imiter, comme a fait Paul : aspirer à devenir serviteur. En d’autres termes, si évangéliser est la mission confiée à chaque chrétien dans le baptême, servir est le style avec lequel vivre la mission, l’unique manière d’être disciple de Jésus. Est son témoin celui qui fait comme Lui : celui qui sert les frères et les sœurs, sans se lasser du Christ humble, sans se lasser de la vie chrétienne qui est vie de service.

Par où commencer pour devenir « serviteurs bons et fidèles » (cf. Mt 25, 21) ? Comme premier pas, nous sommes invités à vivre la disponibilité. Le serviteur apprend chaque jour à se détacher du fait de disposer de tout pour soi et de disposer de soi comme il veut. Il s’entraîne chaque matin à donner sa vie, à penser que chaque jour ne sera pas le sien, mais sera à vivre comme une remise de soi. Celui qui sert, en effet, n’est pas un gardien jaloux de son propre temps, au contraire il renonce à être le patron de sa propre journée. Il sait que le temps qu’il vit ne lui appartient pas, mais que c’est un don qu’il reçoit de Dieu pour l’offrir à son tour : seulement ainsi il portera vraiment du fruit. Celui qui sert n’est pas esclave de l’agenda qu’il établit, mais docile de cœur, il est disponible à ce qui est non programmé : prêt pour le frère et ouvert à l’imprévu, qui ne manque jamais et est souvent la surprise quotidienne de Dieu. Le serviteur est ouvert à la surprise, aux surprises quotidiennes de Dieu. Le serviteur sait ouvrir les portes de son temps et de ses espaces à celui qui est proche et aussi à celui qui frappe en dehors des horaires, au risque d’interrompre quelque chose qui lui plaît ou le repos qu’il mérite. Le serviteur néglige les horaires. Cela me fait mal au cœur quand je vois un horaire, dans les paroisses : « De telle heure à telle heure ». Et ensuite ? Il n’y a pas de porte ouverte, il n’y a pas de prêtre, il n’y a pas de diacre, il n’y a pas de laïc qui reçoit les gens… Cela fait mal. Négliger les horaires : avoir ce courage, de négliger les horaires. Ainsi, chers diacres, en vivant dans la disponibilité, votre service sera privé de tout profit et évangéliquement fécond.

L’Évangile d’aujourd’hui nous parle aussi de service, nous montrant deux serviteurs dont nous pouvons tirer de précieux enseignements : le serviteur du centurion, qui est guéri par Jésus, et le centurion lui-même, au service de l’empereur. Les paroles que celui-ci envoie rapporter à Jésus, afin qu’il ne vienne pas jusque chez lui sont surprenantes et sont souvent le contraire de nos prières : « Seigneur, ne prends-pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit » (Lc 7,6) ; « je ne me suis pas autorisé moi-même à venir te trouver » (v. 7) ; « moi, je suis quelqu’un de subordonné à une autorité » (v. 8). Devant ces paroles, Jésus reste admiratif. La grande humilité du centurion, sa douceur, le frappent. Et la douceur est une des vertus des diacres. Quand le diacre est doux, il est serviteur et il ne joue pas à « singer » les prêtres, non, il est doux. Devant le problème qui l’affligeait, il aurait pu s’agiter et prétendre à être exaucé, faisant valoir son autorité ; il aurait pu convaincre avec insistance, même contraindre Jésus à se rendre dans sa maison. Au contraire il se fait petit, discret, doux, il n’élève pas la voix, et ne veut pas déranger. Il se comporte, peut-être sans le savoir, selon le style de Dieu, qui est « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Dieu en effet, qui est amour, va par amour jusqu’à nous servir : avec nous il est patient, bienveillant, toujours prêt et bien disposé, il souffre pour nos erreurs et cherche le chemin pour nous aider et nous rendre meilleurs. Là sont aussi les traits doux et humbles du service chrétien, qui est d’imiter Dieu en servant les autres : les accueillant avec un amour patient, les comprenant sans nous lasser, faisant en sorte qu’ils se sentent accueillis, à la maison, dans la communauté ecclésiale, où ce n’est pas celui qui commande qui est grand mais celui qui sert (cf. Lc 22, 26). Et jamais réprimander, jamais. Ainsi, chers diacres, dans la douceur, murira votre vocation de ministres de la charité.

Après l’apôtre Paul et le centurion, dans les lectures d’aujourd’hui, il y a un troisième serviteur, celui qui est guéri par Jésus. Dans le récit on dit qu’il était très cher à son patron et qu’il était malade, mais on ne sait pas quelle était sa grave maladie (v. 2). D’une certaine façon, nous pouvons nous aussi nous reconnaître dans ce serviteur. Chacun de nous est très cher à Dieu, aimé et choisi par lui et il est appelé à servir, mais il a surtout besoin d’être guéri intérieurement. Pour être aptes au service, il nous faut la santé du cœur : un cœur guéri par Dieu, qui se sente pardonné et qui ne soit ni fermé ni dur. Cela nous fera du bien de prier avec confiance chaque jour pour cela, demander d’être guéris par Jésus, de lui ressembler lui qui « ne nous appelle plus serviteurs mais amis » (cf. Jn 15, 15). Chers diacres, vous pouvez demander chaque jour cette grâce dans la prière, dans une prière où présenter vos peines, vos imprévus, vos fatigues et vos espérances : une prière vraie, qui porte la vie au Seigneur et le Seigneur dans la vie. Et quand vous servez à la table eucharistique, vous y trouverez la présence de Jésus, qui se donne à vous afin que vous vous donniez aux autres.

Ainsi, disponibles dans la vie, doux de cœur et en dialogue constant avec Jésus, vous n’aurez pas peur d’être serviteurs du Christ, de rencontrer et de caresser la chair du Seigneur dans les pauvres d’aujourd’hui.

(Image : CNS photo/L’Osservatore Romano, handout)

Homélie du Pape François à la veillée pour “essuyer les larmes” de ceux qui souffrent

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Jeudi 5 mai 2016
Solennité de l’Ascension
Basilique Saint-Pierre au Vatican

Frères et sœurs,

Après les témoignages émouvants que nous avons entendus, et à la lumière de la Parole du Seigneur qui éclaire notre condition de souffrance, invoquons avant tout la présence de l’Esprit Saint, pour qu’il vienne au milieu de nous. Que ce soit lui qui illumine notre esprit pour trouver les mots justes et capables de réconforter ; que ce soit lui qui ouvre notre cœur pour avoir la certitude de la présence de Dieu qui ne nous abandonne pas dans l’épreuve. Le Seigneur Jésus a promis à ses disciples qu’il ne les laisserait jamais seuls, qu’il leur serait proche dans toutes les situations de la vie en envoyant l’Esprit Consolateur (cf. Gn 14, 26), qu’il les aiderait, les soutiendrait et les réconforterait.

Dans les moments de tristesse, dans la souffrance de la maladie, dans l’angoisse de la persécution et dans la douleur du deuil, chacun cherche une parole de consolation. Nous sentons fortement le besoin que quelqu’un nous soit proche et éprouve de la compassion envers nous. Nous faisons l’expérience de ce que signifie être désorientés, confus, frappés au plus profond comme jamais nous l’aurions pensé. Nous regardons tout autour, incertains, pour voir si nous trouvons quelqu’un qui puisse réellement comprendre notre douleur. L’esprit est rempli de questions, mais les réponses n’arrivent pas. La raison toute seule n’est pas capable de faire la lumière au fond de soi, de saisir la douleur que nous éprouvons et de donner la réponse que nous attendons. Dans ces moments, nous avons davantage besoin des raisons du cœur, seules capables de nous faire comprendre le mystère qui entoure notre solitude.

Que de tristesse il nous arrive de découvrir sur tant de visages que nous rencontrons. Que de larmes versées à chaque instant dans le monde ; chacune différente de l’autre, et qui forment ensemble comme un océan de désolation qui demande pitié, compassion, consolation. Les plus amères sont celles provoquées par la méchanceté humaine : les larmes de celui qui s’est vu arraché violemment une personne chère ; les larmes des grands parents, des mamans et des papas, des enfants… Il y a des regards qui restent souvent fixés sur le couchant et qui ont du mal à voir l’aube d’un jour nouveau. Nous avons besoin de miséricorde, de la consolation qui vient du Seigneur. Nous en avons tous besoin ; c’est notre pauvreté mais aussi notre grandeur : invoquer la consolation de Dieu qui, avec sa tendresse, vient essuyer les larmes sur notre visage (cf. Is 25, 8 ; Ap 7, 17 ; 21, 4).

Dans cette douleur qui est nôtre, nous ne sommes pas seuls. Jésus aussi sait ce que signifie pleurer la perte d’une personne aimée. C’est une des pages les plus émouvantes de l’Evangile : quand Jésus voit pleurer Marie en raison de la mort de son frère Lazare, il ne parvient pas non plus à retenir ses larmes. Il a été saisi d’une profonde émotion et a fondu en larmes (cf. Gn 11, 33-35). L’évangéliste Jean a voulu par ce récit montrer la participation de Jésus à la douleur de ses amis, et le partage du découragement. Les larmes de Jésus ont déconcerté beaucoup de théologiens au cours des siècles, mais elles ont surtout lavé beaucoup d’âmes, elles ont adouci beaucoup de blessures. Jésus aussi a expérimenté dans sa personne la peur de la souffrance et de la mort, la déception et le découragement pour la trahison de Judas et de Pierre, la douleur pour la mort de son ami Lazare. Jésus « n’abandonne pas ceux qu’il aime » (Augustin In Joh 49,5). Si Dieu a pleuré, je peux moi aussi pleurer, sachant que je suis compris. Les pleurs de Jésus sont l’antidote contre l’indifférence envers la souffrance de mes frères. Ces pleurs m’enseignent à faire mienne la douleur des autres, à participer au malaise et à la souffrance de ceux qui vivent dans les situations les plus douloureuses. Ils me secouent pour me faire percevoir la tristesse et le désespoir de ceux qui se sont vus même soustraire le corps de leurs êtres chers, et qui n’ont même pas un lieu où trouver consolation. Les pleurs de Jésus ne peuvent pas rester sans réponse de la part de celui qui croit en lui. De la manière dont il console, nous sommes appelés, nous aussi, à consoler.

Au moment de la défaillance, de l’émotion, et des pleurs, la prière au Père jaillit dans le cœur de Jésus. La prière est le vrai remède à notre souffrance. Nous aussi, dans la prière, nous pouvons sentir la présence de Dieu près de nous. La tendresse de son regard nous console, la force de sa parole nous soutient, en nous insufflant l’espérance. Jésus a prié près de la tombe de Lazare en disant : « Père, je te rends grâce car tu m’as écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours » (Jn 11, 41-42). Nous avons besoin de cette certitude : le Père nous écoute et vient à notre secours. L’amour de Dieu répandu dans nos cœurs permet de dire que lorsqu’on aime, rien ni personne ne pourra jamais nous arracher des personnes qu’on a aimées. L’Apôtre Paul le rappelle avec des paroles très consolantes : « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse ? L’angoisse ? La persécution ? La faim ? Le dénuement ? Le danger ? Le glaive ? […] Mais, en tout cela nous somme les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur » (Rm 8, 35.37-39). La force de l’amour transforme la souffrance dans la certitude de la victoire du Christ, et la nôtre avec lui, et dans l’espérance que nous serons un jour de nouveau ensemble et nous contemplerons pour toujours le visage de la Sainte Trinité, source éternelle de la vie et de l’amour.

Près de toute croix il y a toujours la Mère de Jésus. De son manteau elle essuie nos larmes. De sa main elle nous fait relever et nous accompagne sur le chemin de l’espérance.

(CNS photo/L’Osservatore Romano via EPA)

Un mur qui fait pleurer

Vous vous êtes déjà demandé pourquoi nous lui donnons le nom du Mur des Lamentations ? La réponse est évidente dès qu’on s’en approche, dès qu’on se fait une petite place devant le mur pour appuyer sa main contre la pierre et prier. Pendant mon séjour en Israël, avec mes collègues de travail, nous avons tous eu la chance de prier devant le Mur. Lorsqu’à mon tour j’observais les femmes à ma droite et à ma gauche, j’ai remarqué leur posture : elles avaient la tête baissée, leur livre de prière en main et les récitaient en se balançant par devant et par derrière. Certaines d’entre elles… pleuraient. J’étais profondément touchée par ce que je voyais et émue de prier à côté de ces femmes d’une autre confession. Comme elles, je me suis mise à pleurer. Et je me suis dit que ce n’est pas un nom si bizarre pour un mur, après tout !

Le Mur des Lamentations porte un autre nom. Il est mieux connu comme le Mur Occidental et l’un des derniers vestiges du Temple construit par Hérode vers l’an 19 av. J.-C. Ce Temple a été détruit par les romains en 70 A.D. Depuis, les juifs s’y rendent pour prier. Le Mur Occidental est tout de même demeuré un lieu saint pour eux. C’était l’endroit le plus près du lieu où reposait Dieu à l’intérieur du Temple, ce que l’on appelle le Saint des Saints ou l’Arche de l’Alliance. De plus, dans la tradition juive, Abraham aurait offert son fils Isaac en sacrifice à Dieu sur le Mont du Temple ou le Mont Moriah, où se trouve désormais le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa.

Dans la tradition juive, on se rend au Mur pour prier, jour et nuit, pour se « lamenter » de la destruction du Temple et la ville de Jérusalem considérée sainte. C’est la raison pour laquelle nous l’appelons le Mur des Lamentations. D’innombrables plaintes sont entendues dans d’autres parties du monde : des populations entières font face à l’effondrement de leur ville, de leur maison, des lieux saints, où ils avaient l’habitude de sentir, de manière concrète, la proximité de Dieu. Alors que nous étions devant le Mur, je songeais à ceux et celles qui sont dispersés à cause de la violence et du danger de la guerre. Devant ce Mur, j’étais particulièrement consciente du fait que j’étais au Moyen Orient ! Nous étions assez loin de la violence qui menace les pays avoisinants mais assez proche pour ressentir la fragilité de l’endroit, de ses frontières, des relations entre chrétiens, juifs et musulmans, entre le gouvernement et son peuple, entre palestiniens et israéliens… Dans de telles situations, le rétablissement de la paix, et la réconciliation, nous semblent hors d’atteinte.

Dans l’ancien testament, le psalmiste cri vers Dieu :

« Des profondeurs je crie vers toi, Seigneur. Seigneur, écoute mon appel ! Que ton oreille se fasse attentive au cri de ma prière ! Si tu retiens les fautes, Seigneur, qui subsistera ? Mais près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne. J’espère le Seigneur de toute mon âme; je l’espère, et j’attends sa parole. Mon âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore. Plus qu’un veilleur ne guette l’aurore, attends le Seigneur, Israël. Oui, près du Seigneur, est l’amour; près de lui, abonde le rachat. C’est lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes ».

Ce n’est qu’un psaume parmi tant d’autres qui exprime la prière profonde de toute l’humanité vers Dieu. Même Jésus, à l’heure de sa mort, a prononcé les mots du psaume 21, que nous redisons chaque Dimanche des Rameaux, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Malgré la prière puissante du psalmiste, avons-nous raison d’espérer le rétablissement de la paix en Terre Sainte? Au Moyen Orient? En effet, Dieu se montre fidèle à son peuple. Il nous rappelle sa proximité, son amour et sa sollicitude de toute sorte de manière.

Quand le pape François a effectué un pèlerinage en Israël en 2014, il a accompli un geste fort devant le Mur Occidental.  Il était accompagné par des amis proches qu’il avait connu en Argentine, un rabbin et un professeur musulman. Il les a embrassés après avoir prié devant le Mur. Plus tard, il a affirmé plus tard le grand besoin d’amour et de respect entre les personnes de différentes confessions, de travailler ensemble pour « la paix et la justice » et voir en chaque personne un frère ou une sœur.

Il a de plus déposé une prière entre les pierres du mur – une pratique commune pour les pèlerins. La prière du Pape était celle du Notre Père : une prière quotidienne qui nous rappelle que Dieu agi dans notre vie à l’instant présent et nous donne tout ce dont nous avons besoin pour surmonter les défis qui se présentent au jour le jour. Dépasser les divisions est donc un travail qui se fait au jour le jour, qui se construit entre les personnes et dans l’humilité. « Devant le mystère de Dieu, nous sommes tous pauvres », nous dit le Pape.

Message du pape François pour le Jubilé de la Miséricorde des jeunes garçons et filles

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Vous trouvez ci-dessous le texte complet du message du pape François pour le Jubilé de la Miséricorde des jeunes garçons et filles à Rome du 23 au 25 avril 2016:

Grandir en étant miséricordieux comme le Père

Chers jeunes,

l’Église vit l’Année Sainte de la Miséricorde, un temps de grâce, de paix, de conversion et de joie qui implique tout le monde : petits et grands, proches et lointains. Il n’y a pas de frontière ou de distance qui puissent empêcher la miséricorde du Père de nous rejoindre et de se rendre présente au milieu de nous. Désormais la Porte Sainte est ouverte à Rome et dans tous les diocèses du monde.

Ce temps précieux vous concerne vous aussi, chers jeunes garçons et filles, et je m’adresse à vous pour vous inviter à y prendre part, à en devenir les acteurs, vous découvrant enfants de Dieu (cf. 1 Jn 3, 1). Je voudrais vous appeler un par un, je voudrais vous appeler par votre nom, comme fait Jésus chaque jour, parce que vous savez bien que vos noms sont inscrits dans les cieux (Lc 10, 20), sont gravés dans le cœur du Père qui est le Cœur miséricordieux d’où naît toute réconciliation et toute douceur.

Le Jubilé est une année entière où chaque moment est dit saint afin que notre existence devienne entièrement sainte. C’est une occasion où nous redécouvrons que vivre en frères est une grande fête, la plus belle que nous puissions rêver, la fête sans fin que Jésus nous a enseigné à chanter dans son Esprit. Le Jubilé est la fête à laquelle Jésus invite vraiment chacun, sans distinctions et sans exclure personne. Pour cela j’ai désiré vivre aussi avec vous des journées de prière et de fête. Je vous attends nombreux, donc, au mois d’avril prochain.

“Grandir en étant miséricordieux comme le Père” est le titre de votre Jubilé, mais c’est aussi la prière que nous faisons pour vous tous, vous accueillant au nom de Jésus. Grandir en étant miséricordieux signifie apprendre à être courageux dans l’amour concret et désintéressé, signifie devenir grands aussi bien au physique qu’à l’intérieur. Vous vous préparez à devenir des chrétiens capables de choix et de gestes courageux, en mesure de construire chaque jour, aussi dans les petites choses, un monde de paix.

Vous êtes à un âge d’incroyables changements, où tout semble possible et impossible en même temps. Je vous répète avec beaucoup de force : « Demeurez sur le chemin de la foi avec une ferme espérance dans le Seigneur. Là se trouve le secret de notre chemin ! Lui nous donne le courage d’aller à contrecourant. Croyez-moi: cela fait du bien au cœur, mais il faut du courage pour aller à contrecourant et lui nous donne ce courage ! Avec lui nous pouvons faire de grandes choses ; il nous fera sentir la joie d’être ses disciples, ses témoins. Misez sur les grands idéaux, sur les grandes choses. Nous chrétiens nous ne sommes pas choisis par le Seigneur pour de petites bricoles, allez toujours au- delà, vers les grandes choses. Jouez votre vie pour de grands idéaux ! » (Homélie pour la journée des confirmés de l’Année de la Foi, 28 avril 2013).

Je ne peux pas vous oublier, jeunes garçons et filles, qui vivez dans des contextes de guerre, d’extrême pauvreté, de lutte quotidienne, d’abandon. Ne perdez pas l’espérance, le Seigneur a un grand rêve à réaliser avec vous ! Vos amis de votre âge qui vivent dans des conditions moins dramatiques que la vôtre, se souviennent de vous et s’engagent pour que la paix et la justice puissent appartenir à tous. Ne croyez pas aux paroles de haine et de terreur qui sont souvent répétées ; construisez au contraire des amitiés nouvelles. Offrez votre temps, préoccupez-vous toujours de celui qui vous demande de l’aide. Soyez courageux et à contrecourant, soyez des amis de Jésus, qui est le Prince de la paix (cf. Is 9, 6), « tout en Lui parle de miséricorde. Rien en Lui ne manque de compassion » (Misericordiae vultus, n. 8).

Je sais que vous ne pourrez pas tous venir à Rome, mais le Jubilé est vraiment pour tous et sera célébré aussi dans votre Églises locales. Vous êtes tous invités à ce moment de joie ! Ne préparez pas seulement les sacs et les banderoles, préparez surtout votre cœur et votre esprit. Méditez bien les désirs que vous remettrez à Jésus dans le sacrement de la Réconciliation et dans l’Eucharistie que nous célébrerons ensemble.

Quand vous traverserez la Porte Sainte, rappelez-vous que vous vous engagez à rendre sainte votre vie, à vous nourrir de l’Évangile et de l’Eucharistie, qui sont la Parole et le Pain de la Vie, pour pouvoir construire un monde plus juste et plus fraternel.

Que le Seigneur bénisse chacun de vos pas vers la Porte Sainte. Je prie pour vous l’Esprit Saint, afin qu’il vous guide et vous éclaire. Que la Vierge Marie, qui est Mère de tous, soit pour vous, pour vos familles et pour tous ceux qui vous aident à grandir en bonté et en grâce, une vraie Porte de la Miséricorde.

Du Vatican, le 6 janvier 2016, Solennité de l’Épiphanie du Seigneur

FRANCISCUS

Les oeuvres de miséricorde

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Depuis bientôt deux semaines les différents diocèses du monde entier ont procédé à l’ouverture de leur Porte de la miséricorde soulignant ainsi officiellement au niveau des églises locales l’ouverture du Jubilé extraordinaire de la miséricorde. Parmi les chrétiens, cette initiative du pape François suscite beaucoup l’espoir de voir ressurgir dans l’Église une force missionnaire comme on n’en a pas vue depuis longtemps. En ce sens, dans la bulle d’indiction Misericordiae Vultus décrétant l’Année sainte, le pape François a mentionné qu’il désirait que « le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles » (no 15). Qu’est-ce donc que ces « œuvres de la miséricorde » ?

Les œuvres de miséricorde corporelles sont au nombre de 7 :

1.Donner à manger à ceux qui ont faim

2.Donner à boire à ceux qui ont soif

3.Vêtir ceux qui sont nus

4.Loger les pèlerins

5.Visiter les malades

6.Visiter les prisonniers

7.Ensevelir les morts

Pour le Pape, il est important d’amorcer, en cette année jubilaire, une réflexion sur la « façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine ». Pour nous qui sommes nés dans une société moderne, dans un pays qui a des institutions qui prennent en charge la majorité de ces œuvres, il est parfois tentant de nous dire que cela n’est plus de notre responsabilité. Or, après réflexion, on se rend compte que l’État suffit de moins en moins à la tâche. Il est donc impératif que tous les citoyens en fassent un peu plus pour soulager les personnes dans le besoin. Les chrétiens peuvent, à plus forte raison, faire leur part. Et cette année de la miséricorde peut être l’occasion, pour nous, de reconsidérer les implications concrètes de notre foi en nous engageant personnellement dans une œuvre caritative ou, tout simplement, en étant davantage présent auprès d’une personne de notre entourage qui est dans le besoin.

Les œuvres de miséricorde spirituelles sont un peu moins connues dans notre société et, parfois, même, chez les chrétiens eux-mêmes. Elles sont également au nombre de 7 :

1.Conseiller ceux qui doutent;

2.Enseigner ceux qui sont ignorants;

3.Réprimander les pécheurs;

4.Consoler les affligés;

5.Pardonner les offenses;

6.Supporter patiemment les personnes importunes;

7.Prier Dieu pour les vivants et
 pour les morts.

La réflexion demandée par le pape François est clairement une invitation à approfondir notre connaissance et notre mise en pratique de ces œuvres spirituelles. En effet, contrairement aux œuvres de miséricorde corporelles dont la responsabilité incombe à toute la société, la miséricorde spirituelle incombe plus particulièrement aux chrétiens puisqu’ils ont reçu la grâce de la foi. Nous devrons donc prendre plusieurs initiatives en ce sens. Une chose est certaine, nous devons de plus en plus contempler la complémentarité des œuvres de miséricorde spirituelles et corporelles et voir comment les unes perfectionnent les autres et vice-versa.

L’année de la miséricorde a débuté d’une manière forte par des gestes symboliques et des rassemblements spectaculaires. Cependant, si nous voulons que la miséricorde ait des racines profondes en nos cœurs, nous devons suivre l’invitation du pape François à redécouvrir ces deux façons complémentaires d’œuvrer à la vigne du Seigneur afin que Son Visage d’Amour infini soit reconnu par tous.

(Image: Les œuvres de miséricorde,Frans Franck (1581-1642))

Discours du pape François à l’occasion de la présentation des voeux de Noël à la Curie romaine

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Chers frères et sœurs,

Je vous demande de m’excuser de ne pas parler debout, mais depuis quelques jours je suis sous l’influence de la grippe et je ne me sens pas très fort. Avec votre permission, je vous parle assis.

Je suis heureux de vous adresser mes vœux les plus cordiaux de saint Noël et d’heureuse nouvelle année, que j’étends à tous les collaborateurs, aux Représentants pontificaux et particulièrement à ceux qui, au cours de l’année passée, ont terminé leur service pour avoir atteint la limite d’âge. Nous nous souvenons aussi des personnes qui ont été rappelées à Dieu. Ma pensée et ma gratitude vont à vous tous et à vos proches.

Dans ma première rencontre avec vous, en 2013, j’ai voulu souligner deux aspects importants et inséparables du travail curial : le professionnalisme et le service, indiquant la figure de saint Joseph comme modèle à imiter. Par contre, l’an passé, pour nous préparer au Sacrement de la Réconciliation, nous avons affronté quelques tentations et “maladies” – le “catalogue des maladies curiales” – aujourd’hui au contraire je devrais parler des “antibiotiques curiaux”–qui pourraient frapper chaque chrétien, curie, communauté, congrégation, paroisse et mouvement ecclésial. Maladies qui demandent prévention, vigilance, soin et, malheureusement dans certains cas, interventions douloureuses et prolongées.

Certaines de ces maladies se sont manifestées au cours de cette année, causant beaucoup de douleur à tout le corps et blessant beaucoup d’âmes avec aussi du scandale.

Il semble juste d’affirmer que cela a été – et le sera toujours – l’objet d’une sincère réflexion et de mesures déterminantes. La réforme ira de l’avant avec détermination, lucidité et résolution, parce que Ecclesia semper reformanda.

Toutefois, les maladies et même les scandales ne pourront pas cacher l’efficacité des services que la Curie romaine avec effort, avec responsabilité, avec engagement et dévouement, rend au Pape et à toute l’Église, et cela est une vraie consolation. Saint Ignace enseignait que « c’est le propre du mauvais esprit de tourmenter, de causer de la tristesse, d’élever des obstacles, de troubler par de fausses raisons, afin d’empêcher de progresser; au contraire, c’est le propre du bon esprit de donner courage et forces, consolations et larmes, inspirations et sérénité, diminuant et écartant toute difficulté, afin d’avancer sur le chemin du bien »1.

Ce serait une grande injustice de ne pas exprimer une vive gratitude et un juste encouragement à toutes les personnes saines et honnêtes qui travaillent avec dévouement, dévotion, fidélité et professionnalisme, offrant à l’Église et au Successeur de Pierre le réconfort de leur solidarité et de leur obéissance ainsi que de leurs prières généreuses.

De plus, les résistances, les fatigues et les chutes des personnes et des ministres sont aussi des leçons et des occasions de croissance, et jamais de découragement. Ce sont des opportunités pour revenir à l’essentiel qui consiste à faire le point avec la conscience que nous avons de nous- mêmes, de Dieu, du prochain, du sensus Ecclesiae et du sensus fidei.

De ce revenir à l’essentiel je Capture d’écran 2015-12-21 à 09.04.40voudrais vous parler aujourd’hui alors que nous sommes au début du pèlerinage de l’Année Sainte de la Miséricorde, ouverte par l’Église il y a peu de temps, et qui représente pour elle et pour nous tous un fort appel à la gratitude, à la conversion, au renouveau, à la pénitence et à la réconciliation.

En réalité, Noël est la fête de la Miséricorde infinie de Dieu. Saint Augustin d’Hippone dit : « Quelle miséricorde saurait l’emporter pour des malheureux sur celle qui a fait descendre du ciel le Créateur du ciel, qui a revêtu d’un corps de terre le Fondateur de la terre, égalé à nous dans notre nature mortelle Celui qui demeure l’égal de son Père dans son éternelle nature, donné une nature d’esclave au Maître du monde, condamné le Pain même à avoir faim, la Plénitude à avoir soif, réduit la Puissance à la faiblesse, la Santé à la souffrance, la Vie à la mort; et cela pour apaiser en nous la faim, étancher la soif, soulager nos souffrances, éteindre l’iniquité, enflammer la charité? »2.

Donc, dans le contexte de cette Année de la Miséricorde et de la préparation à Noël, désormais à nos portes, je voudrais vous présenter une aide pratique pour pouvoir vivre fructueusement ce temps de grâce. Il s’agit d’un “catalogue des vertus nécessaires” non-exhaustif, pour qui prête service à la Curie et pour tous ceux qui veulent rendre féconde leur consécration ou leur service à l’Église.
J’invite les Chefs de Dicastères et les Supérieurs à l’approfondir, à l’enrichir et à le compléter. C’est une liste qui part d’une analyse acrostiche de la parole « Misericordia », afin qu’elle soit notre guide et notre phare :

1. Le caractère Missionnaire et pastoral. Le caractère missionnaire est ce qui rend, et montre la curie fructueuse et féconde ; elle est la preuve de la vigueur, de l’efficacité et de l’authenticité de notre action. La foi est un don, mais la mesure de notre foi se prouve aussi par la capacité que nous avons de la communiquer 3. Chaque baptisé est missionnaire de la Bonne Nouvelle avant tout par sa vie, par son travail et par son témoignage joyeux et convaincu. Le caractère pastoral sain est une vertu indispensable spécialement pour chaque prêtre. C’est l’engagement quotidien à suivre le Bon Pasteur qui prend soin de ses brebis et donne sa vie pour sauver la vie des autres. C’est la mesure de notre activité curiale et sacerdotale. Sans ces deux ailes nous ne pourrons jamais voler et ni atteindre la béatitude du serviteur fidèle (cf. Mt 25, 14-30).

2. Aptitude [Idoneità] et sagacité. L’aptitude demande l’effort personnel d’acquérir les qualités nécessaires et requises pour exercer au mieux ses propres tâches et activités, avec l’intelligence et l’intuition. Elle s’oppose aux recommandations et aux faveurs. La sagacité est la rapidité d’esprit à comprendre et à affronter les situations avec sagesse et créativité. Aptitude et sagacité représentent aussi la réponse humaine à la grâce divine, quand chacun de nous suit ce célèbre dicton : “Tout faire comme si Dieu n’existait pas et, ensuite, laisser tout à Dieu comme si je n’existais pas”. C’est le comportement du disciple qui s’adresse au Seigneur tous les jours avec ces paroles de la très belle Prière universelle attribuée au Pape Clément XI : « Guide-moi par ta sagesse, soutiens-moi par ta justice… encourage-moi par ta bonté, protège-moi par ta puissance. Je t’offre, ô Seigneur : mes pensées, pour qu’elles soient dirigées vers toi ; mes paroles, pour qu’elles soient de toi ; mes actions, pour qu’elles soient selon toi ; mes tribulations, pour qu’elles soient pour toi »4.

3. Spiritualité et humanité. La spiritualité est la colonne vertébrale de tout service dans l’Église et dans la vie chrétienne. Elle est ce qui nourrit toute notre conduite, la soutient et la protège de la fragilité humaine et des tentations quotidiennes. L’humanité est ce qui incarne la véridicité de notre foi. Celui qui renonce à son humanité renonce à tout. L’humanité est ce qui nous rend différents des machines et des robots qui n’entendent pas et ne s’émeuvent pas. Quand il nous est difficile de pleurer sincèrement ou de rire franchement – ce sont deux signes – , alors notre déclin a commencé ainsi que
notre processus de transformation d’“hommes” en autre chose. L’humanité c’est savoir montrer tendresse et familiarité, courtoisie avec tous (cf. Ph 4, 5). Capture d’écran 2015-12-21 à 09.04.15Spiritualité et humanité, tout en étant des qualités innées, sont toutefois des potentialités à réaliser entièrement, à atteindre continuellement et à manifester quotidiennement.

4. Exemplarité et fidélité. Le Bienheureux Paul VI a rappelé à la Curie – en 63 – « sa vocation à l’exemplarité »5. Exemplarité pour éviter les scandales qui blessent les âmes et menacent la crédibilité de notre témoignage. Fidélité à notre consécration, à notre vocation, rappelant toujours les paroles du Christ : « Qui est fidèle en très peu de chose est fidèle aussi en beaucoup, et qui est malhonnête en très peu est malhonnête aussi en beaucoup » (Lc 16, 10). Et « Mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer. Malheur au monde à cause des scandales ! Il est fatal, certes, qu’il arrive des scandales, mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! » (Mt 18, 6-7).

5. Rationalité et amabilité. La rationalité sert à éviter les excès émotifs et l’amabilité à éviter les excès de la bureaucratie et des programmations et planifications. Ce sont des talents nécessaires pour l’équilibre de la personnalité : « L’ennemi – et je cite saint Ignace une autre fois, excusez-moi – considère attentivement si une âme est grossière, ou si elle est délicate. Si elle est grossière, il tâche de la rendre délicate à l’extrême pour la jeter plus facilement dans le trouble et l’abattre »6. Tout excès est l’indice de quelque déséquilibre, aussi bien l’excès de rationalité que d’amabilité.

6. Innocuité et détermination. L’innocuité qui nous rend prudents dans le jugement, capables de nous abstenir d’actions impulsives et précipitées. C’est la capacité de faire émerger le meilleur de nous-mêmes, des autres et des situations en agissant avec attention et compréhension. C’est faire aux autres ce que tu voudrais qu’il te soit fait (cf. Mt 7, 12 et Lc 6, 31). La détermination c’est agir avec une volonté résolue, avec une vision claire et dans l’obéissance à Dieu, et seulement pour la loi suprême de la salus animarum (cf. CIC, can. 1725).

7.Charité et vérité. Deux vertus indissolubles de l’existence chrétienne : « Faire la vérité dans la charité et vivre la charité dans la vérité » (cf. Ep 4, 15)7 ; au point que la charité sans vérité devient idéologie d’un “bonnisme” destructeur et la vérité sans charité devient justice aveugle.

8.Honnêteté [Onestà] et maturité. L’honnêteté est la rectitude, la cohérence et le fait d’agir avec sincérité absolue avec soi-même et avec Dieu. Celui qui est honnête n’agit pas avec droiture seulement sous le regard du surveillant ou du supérieur ; celui qui est honnête ne craint pas d’être surpris, parce qu’il ne trompe jamais celui qui lui fait confiance. Celui qui est honnête ne se comporte jamais en maître sur les personnes ou sur les choses qui lui ont été confiées à administrer, comme le “mauvais serviteur” (Mt 24, 48). L’honnêteté est la base sur laquelle s’appuient toutes les autres qualités. La maturité vise à atteindre l’harmonie entre nos capacités physiques, psychiques et spirituelles. Elle est le but et l’aboutissement d’un processus de développement qui ne finit jamais et qui ne dépend pas de l’âge que nous avons.

Capture d’écran 2015-12-21 à 09.07.329.Déférence [Rispetto] et humilité. La déférence est le talent des âmes nobles et délicates ; des personnes qui cherchent toujours à montrer un respect authentique envers les autres, envers leur propre rôle, envers les supérieurs, les subordonnés, les dossiers, les papiers, le secret et la confidentialité ; les personnes qui savent écouter attentivement et parler poliment. L’humilité, de son côté, est la vertu des saints et des personnes remplies de Dieu qui, plus elles acquièrent de l’importance, plus grandit en elles la conscience de n’être rien et de ne rien pouvoir faire sans la grâce de Dieu (cf. Jn 15, 8).

10.Générosité [Doviziosità] et attention. – j’ai le vice des néologismes – et attention. Plus nous avons confiance en Dieu et dans sa providence plus nous sommes généreux d’âme et plus nous sommes ouverts à donner, sachant que plus on donne plus on reçoit. En réalité il est inutile d’ouvrir toutes les Portes Saintes de toutes les basiliques du monde si la porte de notre coeur est fermée à l’amour, si nos mains sont fermées à donner, si nos maisons sont fermées à héberger, si nos églises sont fermées à accueillir. L’attention c’est soigner les détails et offrir le meilleur de nous-mêmes, et ne jamais baisser la garde sur nos vices et nos manques. Saint Vincent de Paul priait ainsi : “Seigneur aide-moi à m’apercevoir tout de suite : de ceux qui sont à côté de moi, de ceux qui sont inquiets

11.Impavidité et promptitude. Être impavide signifie ne pas se laisser effrayer face aux difficultés comme Daniel dans la fosse aux lions, comme David face à Goliath ; cela signifie agir avec audace et détermination et sans tiédeur « comme un bon soldat » (2 Tm 2, 3-4) ; cela signifie savoir faire le premier pas sans tergiverser, comme Abraham et comme Marie. De son côté, la promptitude c’est savoir agir avec liberté et agilité sans s’attacher aux choses matérielles provisoires. Le Psaume dit : « Aux richesses quand elles s’accroissent n’attachez pas votre coeur » (61, 11). Être prompt veut dire être toujours en chemin, sans jamais s’alourdir en accumulant des choses inutiles et en se fermant sur ses propres projets et sans se laisser dominer par l’ambition.

12.Fiabilité [Affidabilità] et sobriété. Celui qui est fiable est celui qui sait maintenir ses engagements avec sérieux et crédibilité quand il est observé mais surtout quand il se trouve seul ; c’est celui qui répand autour de lui un climat de tranquillité parce qu’il ne trahit jamais la confiance qui lui a été accordée. La sobriété – dernière vertu de cette liste, mais pas en importance – est la capacité de renoncer au superflu et de résister à la logique consumériste dominante. La sobriété est prudence, simplicité, concision, équilibre et tempérance. La sobriété c’est regarder le monde avec les yeux de Dieu et avec le regard des pauvres et de la part des pauvres. La sobriété est un style de vie8, qui indique le primat de l’autre comme principe hiérarchique et exprime l’existence comme empressement et service envers les autres. Celui qui est sobre est une personne cohérente et essentielle en tout, parce qu’elle sait réduire, récupérer, recycler, réparer, et vivre avec le sens de la mesure.

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