La prière et le dialogue contre le mystère du mal

CNS photo/Dario Ayala, Reuters

Depuis le terrible attentat de dimanche soir, de nombreuses réactions se sont fait entendre.  Les premières en étaient de consternation et de compassion envers les familles et proches des victimes lesquelles furent suivies par une déferlante d’analyses visant à identifier les causes de cet « acte ignoble » et inhumain. Un tel événement ne peut évidemment pas s’expliquer par un seul facteur. Une chose est claire, le mal « Mysterium iniquitatis » est d’abord et avant tout un mystère qui dépasse notre entendement. Il possède, en effet, une dimension spirituelle qui ne peut être pleinement comprise et vaincue que par une spiritualité authentique et féconde. N’en déplaise aux différents spécialistes, les analyses strictement humaines ne rendront donc jamais parfaitement justice à ce qui s’est vécu dans la désormais tristement célèbre mosquée du chemin Sainte-Foy à Québec. Ceci étant dit, nous pouvons, selon moi, tirer paradoxalement un enseignement de cette tragédie de deux manières : par une ouverture renouvelée à la prière, spécialement celle envers les défunts ainsi qu’en réaffirmant l’engagement au dialogue.

La nécessité de la prière

Tenir compte des facteurs humains est évidemment important pour mettre en place des mécanismes ayant pour but d’éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Cependant, nous ne devons pas prétendre pouvoir expliquer totalement le sens d’une telle manifestation de haine contre la dignité humaine du prochain. Cela exige d’avoir l’humilité de reconnaître les limites de notre intelligence et de nous mettre à l’écoute de Celui qui parle silencieusement dans l’intimité de notre intériorité. C’est ainsi que la prière nous permet de nous mettre en contact avec ce Dieu, qui Seul est en mesure de sonder « les reins et les cœurs » (Ap, 2, 23). Expression d’une ouverture et d’une confiance envers le Dieu « Juste » (Ps 10, 7) et « Miséricordieux » (Ps 77, 38) qui connaît la plénitude des évènements de l’histoire, la prière nous rend capables de ne pas céder nous-mêmes à la haine et au rejet de l’autre.

De plus, conscients que toute victime innocente se trouve auprès du Dieu de toute miséricorde, nous pouvons, d’abord, nous réconforter dans l’espérance qu’elles soient entre bonnes mains. Nous pouvons être certains que l’amour que nous leur portions émanait d’un Amour qui ne s’éteint pas et qui est toujours présent auprès d’eux et ce, peut-être plus intensément que jamais. Enfin, par la prière, nous pouvons être certains que nos relations avec les défunts ; ces petits moments passés avec l’être cher ne sont pas entièrement disparus. Au contraire, bien que l’intensité de la souffrance soit le gage de l’amour que nous leur portions, la prière nous permet de nous mettre en leur présence. Nous devons donc apprendre, bien que ce soit difficile, à entrer dans cette nouvelle forme de relation avec les défunts. Une relation spirituelle où Dieu devient l’intermédiaire par excellence. En ce sens, au lieu de s’évanouir dans le néant, tous nos rêves de bonheur pour les disparus sont plutôt métamorphosés. Ils sont orientés vers le bonheur parfait, vers le bonheur que l’on n’achète pas mais qui se trouve, au contraire, dans le don et la communion à Dieu. Ainsi, nous serons nous-mêmes transformés en de meilleures personnes c’est-à-dire en des personnes libres et capables de rendre véritablement le monde meilleur.

La prière, agent de transformation du monde

Cette nouvelle liberté que nous apporte la relation avec nos proches défunts par la prière, nous permet d’acquérir, peu à peu, cet esprit d’abnégation nécessaire à la construction d’un monde meilleur. Parce que nous sommes libérés, dans la communion des saints, du poids d’une disparition totale de nos proches, nous pouvons reconnaître en notre prochain une occasion supplémentaire d’entretenir cette même relation transfigurée. C’est ainsi que, loin de nous porter à des comportements tels que la haine et la vengeance, la prière nous portera, au contraire, vers un engagement renouvelé envers les différents besoins que nous discernons dans notre entourage et où nous pouvons faire une différence.

Dans le cas de cette tragédie immonde, nous pouvons déjà percevoir des signes encourageants qui manifestent cette foi profonde en ce que je viens d’énoncer de la part des deux communautés musulmane et chrétienne. En effet, un temps de prière communautaire fut l’occasion de s’unir aux victimes dans l’espérance d’une nouvelle présence mystérieuse mais néanmoins réelle.

Que ce contact douloureux avec la mort porte des fruits de rapprochement et non de haine et de violence est en soit un miracle rendu possible par la seule Grâce de Dieu. Défiant la logique humaine qui demanderait vengeance, tous, chrétiens et musulmans, se sont laissé toucher par ce qui peut être considéré comme le testament des victimes du 29 janvier 2017. Un héritage qui demande que nous soyons à la hauteur par un engagement à la prière et au dialogue tel que décliné par le très beau document de la CECC :

1.Un dialogue du vécu : les chrétiens témoignent de leur foi et de leur mode de vie quand ils dialoguent avec les autres ;

2.Un dialogue par l’action : l’appel à préserver et promouvoir la paix, la liberté, la justice sociale et les valeurs morales par le dialogue ;

3.Des échanges théologiques ou le dialogue entre experts : ce qui permet aux spécialistes d’approfondir leur propre tradition et d’apprécier la valeur des autres religions ;

4.Un dialogue de l’expérience religieuse qui approfondit l’expérience religieuse personnelle, favorise la solidarité dans la prière et les échanges sur le plan de l’expérience religieuse.

En ces temps de tension mondiale exacerbée par le déploiement d’une interconnexion de l’indifférence, chrétiens, musulmans et fidèles de toutes les religions doivent redoubler d’efforts dans leur engagement à la prière et au dialogue. Pour nous catholiques, que les victimes innocentes de l’attentat de Québec nous pressent à nous mettre à l’écoute de l’Esprit Saint qui nous exhorte à nous unir au Christ dans la Charité. Ainsi, nous pourrons rendre grâce à Dieu des fruits de paix et de joie qui se manifesteront de plus en plus autour de nous. Vous trouverez ci-dessous le Vidéo des intentions du pape pour le dialogue inter religieux:

Les attentats de Paris selon Rémi Brague

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Cette semaine j’ai eu la chance de rencontrer monsieur Rémi Brague, de passage à Montréal où il donnait une conférence sur les fondements de la loi à la Faculté de Science religieuse de l’Université McGill. Professeur, historien de la philosophie, spécialiste de la philosophie médiévale arabe, juive et grecque, il est aujourd’hui professeur émérite de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ainsi qu’à la Ludwig-Maximilian Universität de Munich. Il est également membre de l’Institut. En 2012, il recevait le prestigieux prix Ratzinger pour sa contribution à la théologie qu’il reçut des mains de Benoît XVI lui-même. Je vous présente ici l’intégrale de l’entrevue que j’ai réalisée avec lui sur les attentats de Paris et que vous pouvez visionner en partie ici. Vous reconnaîtrez sans doute le ton ironique de plusieurs des expressions utilisées.

Pouvez-vous nous donner vos réactions face aux attentats de Paris?

En gros je suis contre! Je trouve que c’est franchement mal élevé d’avoir fait cela. J’espère que ça ne se reproduira pas mais d’un autre côté, j’ai bien peur de ne pas avoir été surpris. Ça devait arriver et je suppose que ça va continuer! Les causes étant profondes et lointaines, il faudrait les traiter de manière moins anecdotique disons que simplement par des frappes aériennes ou par des opérations de police. Même si les deux sont sans doute utiles à court terme.

Vous venez d’affirmer que ces attentats étaient prévisibles… Qu’est-ce qui a pu mener à cela?

C’est vraiment une question qu’il faudrait traiter à différentes échelles. Il y a des causes assez proches qui sont, par exemple, le désarroi des jeunes de banlieue (comme on dit). Il y a les causes les plus lointaines qui remontent à 622 très exactement, c’est-à-dire aux origines de l’Islam et à la manière dont Mahomet n’a pas hésité à se débarrasser de ses adversaires par des procédés qui ressemblent étrangement à ceux qui sont mis en œuvre maintenant même si les moyens techniques ont, bien entendu, changé. En effet, il n’a pas hésité à envoyer des assassins le débarrasser de ses adversaires. Des gens qui s’étaient moqués de lui en particulier et qui avaient mis en doute sa mission prophétique. Le gros problème que je vois avec l’Islam en tant que tel c’est qu’il permet de légitimer ce qui de notre point de vue sont des crimes à savoir voler, violer et tuer. Il réussit à justifier ça par le « bel exemple ». C’est une expression qui est dans le Coran, c’est-à-dire « le bel exemple du prophète ». Je crois que c’est la seule religion qui fasse cela soit arriver à relier directement le crime à la « sainteté » puisque ces crimes sont supposés avoir été commandités en dernière analyse par ce qu’il y a de plus saint dans le monde à savoir Dieu Lui-même.

Pour les autres religions (qui ne sont pas non plus innocentes dont le christianisme), c’est plus difficile. On est obligé de se livrer à de multiples contorsions. Par exemple, on ne peut pas déduire les croisades ou l’Inquisition à partir du Sermon sur la montagne ou alors il faut vraiment faire preuve d’une perversité intellectuelle assez exceptionnelle. Alors entre les deux, l’Islam dont se réclament ces « charmants espiègles » qui le connaissent aussi bien que leurs adversaires et en particulier aussi bien que les musulmans que nous appelons « modérés » et la situation de délaissement, d’abandon, d’oubli presque de la situation dans laquelle se trouve nos banlieues, il y a toute une série de causes intermédiaires. La situation au Moyen-Orient étant l’une de celles-ci mais n’étant certainement pas la seule. Donc, il faudrait une médication à court, moyen et long terme, ce dernier étant la réflexion des musulmans eux-mêmes sur ce qu’implique leur Islam.

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Considérez-vous qu’en général l’Occident répond bien à la situation?

Négativement déjà, je dois quand même constater que la manière dont les autorités politiques, intellectuelles et même parfois, hélas, spirituelles de l’Occident répondent est, pour dire les choses gentiment « inadéquate » et pour le dire méchamment « ridicule ». Évoquer la « laïcité » comme un mantras, évoquer les « valeurs de la République » (dont personne ne sait exactement ce qu’elles sont !), sont des choses qui ne peuvent que susciter, chez un musulman un peu conscient de sa religion, que le mépris… un mépris de fer. En effet, que sont les lois de la République quand on les compare à ce que Dieu a dicté, à ce que Dieu a littéralement dicté à son prophète. Aucune décision émanant d’une instance humaine ne fait le poids contre la parole de Dieu. Donc parler de « laïcité », ce dont d’ailleurs personne ne sait très bien ce que ça veut dire… Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de traduire le mot « laïcité » dans une autre langue que le français (pas le français de ce côté de l’Atlantique mais le français hexagonale si je puis dire) ? Ça ne veut rien dire!

Le problème que nous pose notre ennemi si je puis dire, puisque nous sommes en guerre nous a-t-on expliqué, c’est le problème qui est posé par la célèbre épigraphe que Carl Schmitt avait choisie pour définir l’essence du politique en citant un vers du poète Theodor Däubler: « L’ennemi c’est notre propre question mais qui a pris une figure concrète » (« unsere eigene Frage als Gestalt » dit-il en allemand). Le problème qui est posé est que nous sommes d’une certaine manière notre propre ennemi par la façon dont notre culture (depuis déjà quelque temps, peut-être même quelques siècles en tout cas depuis quelques dizaines d’années puisqu’il semble que cela s’est accéléré depuis disons 30-40ans) scie, avec beaucoup de talent, la branche sur laquelle elle est assise. Je renvoie, si vous voulez, l’Occident à ses propres problèmes. J’ai eu d’ailleurs l’occasion de poser la question à la fin d’un entretien qui vient d’être publié dans Le Point de lundi dernier avec le romancier marocain et très talentueux Tahar Ben Jelloun dans lequel je dis à l’Occident :

« Vous avez peur d’être submergés par des vagues d’immigrés mais vous ne faites pas d’enfants donc de quoi vous plaignez-vous ? ». « Vous regardez avec un regard mélangé de haine et d’envie ces gens qui n’hésitent pas à se faire sauter pour leur religion et vous passez votre temps à cracher sur vos propres traditions religieuses alors de quoi vous plaignez-vous ? Balayez un petit peu devant votre porte au lieu de démoniser votre ennemi. Essayez de voir s’il n’y aurait peut-être pas des raisons de vous mépriser ? ».

Pour finir sur une note plus positive, à travers tout cela qu’elle est votre espérance ?

Je crois que vous avez tout à fait raison de parler d’espérance puisque c’est une vertu théologale qu’il ne faut pas confondre avec l’espoir et encore moins avec, comme le disait Bernanos, ce que « les imbéciles heureux appellent l’optimisme » (Les grands cimetières sous la lune, 1938). Ce que l’on peut peut-être attendre serait une prise de conscience de l’Occident, une manière de se «dessaouler» si je puis dire face, d’une part, aux problèmes internes qu’il connaît (je viens d’en nommer au moins deux) et puis, d’autre part, face à ce qu’est l’Islam, ce qu’est sa prétention, son message, son appel. C’est d’ailleurs un des sens de la lettre « D » qui commence le mot « DAECH ». Ce n’est pas simplement « Daoula » qui signifie « État » mais c’est aussi « Dawa » qui signifie « mission ».

Qu’est-ce que l’Islam propose vraiment ? Comment il se comprend vraiment lui-même ? Là où il est bien conscient de lui-même, là où il n’est pas simplement comme une vague culture ou de vagues mœurs ou de vagues habitudes d’une part. D’autre part, qu’est-ce que c’est vraiment que l’Occident ? Est-ce que c’est seulement le « fastfood » ? Est-ce que c’est seulement la musique rock ? Est-ce que c’est seulement la libéralisation des mœurs et tout ce que cela entraîne ? Est-ce que ce n’est que cela ? Ou est-ce que l’Occident n’aurait pas des sources plus profondes auxquelles il ne serait peut-être pas impossible de retourner et d’y puiser.

Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la Messe à l’intention des victimes des attentats de Paris

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Vous trouverez ci-dessous l’homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la Messe à l’intention des victimes, de leurs proches et pour la France suite aux des attentats de Paris.

Les événements tragiques qui ont frappé notre pays ces jours-ci, -et particulièrement Paris et Saint-Denis-, plongent nos concitoyens dans l’effroi et la stupeur. Ils nous posent deux redoutables questions : en quoi notre mode de vie peut-il provoquer une agression aussi barbare ? A cette première question, nous répondons volontiers par l’affirmation de notre attachement aux valeurs de la République, mais l’événement nous oblige à nous interroger sur le prix à payer pour cet attachement et à un examen de ces valeurs. La deuxième question est encore plus redoutable car elle instille un soupçon dans beaucoup de familles : comment des jeunes formés dans nos écoles et nos cités peuvent-ils connaître une détresse telle que le fantasme du califat et de sa violence morale et sociale puissent représenter un idéal mobilisateur ? Nous savons que la réponse évidente des difficultés de l’intégration sociale ne suffit pas à expliquer l’adhésion d’un certain nombre au djihadisme bien qu’ils échappent apparemment à l’exclusion sociale. Comment ce chemin de la barbarie peut-il devenir un idéal ? Que dit ce basculement sur les valeurs que nous défendons ?

La foi chrétienne peut-elle nous être de quelque secours dans le désarroi qui s’est abattu sur nous ? A la lumière des lectures bibliques que nous venons d’entendre, je voudrais vous proposer trois éléments de réflexion.

1. « Dieu, mon seul espoir. » (Psaume15)

Le psaume 15, comme beaucoup d’autres psaumes, est un cri de foi et d’espérance. Pour le croyant dans la détresse, Dieu est le seul recours fiable : « Il est à ma droite, je suis inébranlable. »

C’est peu dire que les tueries sauvages de ce vendredi noir ont plongé dans la détresse des familles entières. Et cette détresse est d’autant plus profonde qu’il ne peut pas y avoir d’explications rationnelles qui justifieraient l’exécution aveugle de dizaines de personnes anonymes. Mais si la haine et la mort ont une logique, elles n’ont pas de rationalité. Bien sûr, nous avons besoin de dire des mots, nous avons besoin que des mots soient dits et que nous les entendions, mais nous sentons tous que ces paroles ne vont pas au-delà d’un réconfort immédiat. Avec l’irruption aveugle de la mort, c’est la situation de chacun d’entre nous qui devient incontournable.
Le croyant, comme tout un chacun, est confronté à cette réalité inéluctable, proche ou lointaine, mais certaine : notre existence est marquée par la mort. On peut essayer de l’oublier, de la contourner, de la vouloir douce et légère, mais elle est là. La foi, aucune foi, ne permet d’y échapper. Et nous sommes intimement acculés à répondre de nous-mêmes : vers qui nous tourner dans cette épreuve ? Faire confiance aux palliatifs, plus ou moins efficaces ou durables ou bien faire confiance à notre Dieu, qui est le Dieu de la vie. Le psalmiste nous soutient pour mettre sur nos lèvres la prière de la foi et de l’espérance : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption. »

En ces jours d’épreuve, chacun de ceux qui croient au Christ est appelé au témoignage de l’espérance pour lui-même et tous ceux qu’il essaie d’accompagner et de soulager. Au moment où va s’ouvrir, dans quelques semaines, l’année de la miséricorde, nous voudrions, par nos paroles et nos actions, être des messagers de l’espérance au cœur de la souffrance humaine.

2. « Tu m’apprends le chemin de la vie. » (Psaume 15)

Cette espérance définit une manière de vivre pour ceux qui la reçoivent. Elle nous apprend le chemin de la vie. Heureusement tous ne sont pas confrontés aux horreurs subies par les victimes du fanatisme comme celles de vendredi dernier. Mais tous, sans exception, chacun et chacune d’entre nous, nous devons affronter des événements et des périodes difficiles dans notre existence. À quoi reconnaît-on un homme ou une femme d’espérance ? À sa capacité à assumer des épreuves et à combattre contre les forces destructrices dans la confiance et la sérénité. Cette force intérieure permet à des hommes et à des femmes ordinaires, comme vous et moi, de refuser de plier, de faire des choix difficiles, parfois héroïques, bien au-delà de ses propres forces.

Après les périodes de dures épreuves, nous pouvons reconnaître que certaines et certains ont tenu sans faiblir parce que leur conviction intérieure était assez forte pour braver des dangers possibles ou réels. Pour nous, chrétiens, cette force vient de notre confiance en Dieu et de notre capacité à nous appuyer sur Lui. Mais nous pouvons aller plus loin dans notre interprétation : pour un certain nombre d’hommes et de femmes, leur foi en une réelle transcendance de l’être humain les motive. Même s’ils ne partagent pas notre foi en Dieu, ils partagent un de ses fruits qui est la reconnaissance de la valeur unique de chaque existence humaine et de sa liberté. Pouvons-nous voir dans le calme et le sang-froid dont nos compatriotes ont fait preuve un signe de cette conviction que notre société ne peut se justifier que par son respect indéfectible de la dignité de la personne humaine ?

Face à la barbarie aveugle, toute fissure dans ce socle de nos convictions serait une victoire de nos agresseurs. Nous ne pouvons répondre à la sauvagerie barbare que par un surcroît de confiance en nos semblables et en leur dignité. Ce n’est pas en décapitant que l’on montre la grandeur de Dieu, c’est en travaillant au respect de l’être humain jusque dans ses extrêmes faiblesses.

3. « Lorsque vous verrez arriver tout cela… » (Marc 13, 29)

Cette confiance en Dieu est une lumière sur le chemin de la vie, mais pas seulement pour chacun d’entre nous dans son existence personnelle. Elle est aussi une lumière pour comprendre l’histoire humaine, y compris dans son déroulement énigmatique. L’évangile de Marc que nous avons entendu annonce le retour du Fils de l’Homme, le Sauveur, à travers des signes terrifiants dans les cieux et sur la terre. Nous ne sommes plus accoutumés à cette façon de scruter les signes, encore que beaucoup fassent commerce de cet exercice. Mais il me semble que le plus important pour nous est de puiser dans cette lecture deux enseignements.

D’abord, nul ne sait ni le jour ni l’heure de la fin des temps. Seul, le Père les connaît. Nous savons aussi que nous ne connaissons ni le jour ni l’heure de notre propre fin et que cette ignorance taraude bien des gens. Mais nous voyons tous, -et l’événement de cette semaine nous le rappelle cruellement-, que l’œuvre de mort ne cesse jamais et frappe, parfois aveuglément.

Ensuite, les événements dramatiques ou terrifiants de l’histoire humaine peuvent être interprétés et compris comme des signes adressés à tous. « Lorsque vous verrez cela, sachez que le Fils de l’Homme est proche à votre porte » nous dit l’évangile (Marc 13,29). Cette capacité d’interpréter l’histoire n’est pas une façon de nier la réalité. Elle est une façon de découvrir que l’histoire a un sens. Elle annonce quelqu’un qui frappe à notre porte, à chacune de nos portes. Ce quelqu’un, c’est le Christ.

Ainsi nous ne pouvons pas nous arrêter aux malheurs de la vie ni aux souffrances que nous endurons, comme si cela n’avait aucun sens. À travers eux, nous pouvons découvrir que Dieu frappe à notre porte et veut nous appeler encore à la vie, nous ouvrir les chemins de la vie. Cette espérance, nous devons la porter et en témoigner comme un réconfort pour ceux qui souffrent et comme un appel pour tous à vérifier les vraies valeurs de sa vie.

Je vous propose maintenant de vous unir intensément à la prière des défunts qui va être chantée.

(Lectures: Dn 12, 1-3 ; Ps 15 ; He 10, 11-14.18 ; Mc 13, 24-32)

Les chrétiens du Moyen-Orient selon Sami Aoun

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Voici l’intégrale de l’entrevue que j’ai réalisée vendredi dernier avec Sami Aoun, professeur titulaire de politique appliquée à l’Université de Sherbrooke, directeur de l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et cofondateur de l’Observatoire sur la radicalisation et la violence extrême et qui a gentiment accepté de répondre à quelques unes de mes questions lors de la conférence de presse à Montréal de Mor Ignatius Aphrem II, Patriarche orthodoxe d’Antioche en lien avec la crise syrienne. La question des chrétiens et des minorités au Moyen-Orient est au cœur de ses intérêts. Il a publié de nombreux ouvrages sur le sujet tels que : Après le choc; Moyen-Orient : incertitudes, violences et espoirs et l’Islam entre tradition et modernité.

Question 1 : Pouvez-vous nous décrire la situation actuelle des chrétiens au Moyen-Orient?

 Elle est tragique en ce sens que toutes les populations souffrent. Il y a des guerres au Proche-Orient qui font s’effondrer la mosaïque, c’est-à-dire le pluralisme interculturel et interreligieux. Par contre, c’est surtout les minorités qui payent un prix plus élevé. Plus que les majorités même s’il est vrai que c’est une grande souffrance pour tout le monde. C’est que les minorités risquent d’être éradiquées, déracinées tandis que les autres pourraient avoir les moyens de survivre après les tragédies. Les minorités, on le remarque bien, parfois elles sont harcelées provoquant leur déplacement ou leur déracinement. Ou encore elles sont exécutées. De plus, elles perdent leurs points de repère et leur mémoire collective quand on détruit leurs couvents ou leurs églises. En ce sens, c’est certainement tragique pour tout le monde mais les minorités, surtout les minorités chrétiennes en pâtissent plus.

Question 2 : Comment décririez-vous le rôle qu’un chef religieux tel que le patriarche orthodoxe peut jouer sur le terrain ?

Certes, les autorités ou instances patriarcales ou religieuses en général sont coincées entre le marteau et l’enclume. D’un côté, ils ne peuvent faire l’éloge du despotisme et fermer les yeux sur les horreurs des régimes qui ont manqué à leurs devoirs de s’engager à la démocratisation et à la libéralisation de leur pays et d’assurer un état de droit pour tout le monde, surtout le droit à la différence et à la liberté de conscience. Mais de l’autre côté, ils se trouvent devant un monstre : la barbarie du fanatisme et la barbarie des groupesblog_1441924618 radicaux. En ce sens, ils ont la grande responsabilité de dire la vérité et de témoigner pour la cause de leur peuple et pour la cause, surtout, de toute la société et pas seulement des chrétiens.

Malheureusement, quand vous vivez dans des sociétés en proie aux conflits, et qui sont à feu et à sang, ces instances religieuses perdent parfois leur autonomie et adoptent un discours teinté de tolérance et de compréhension. Et elles perdent peu à peu de l’importance ou pèsent peu dans les décisions politiques. Elles peuvent représenter une référence morale mais n’ont plus vraiment de poids dans les décisions politiques. [Read more…]

Catholiques et musulmans au Canada : croyants et citoyens dans la société

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LETTRE D’INTRODUCTION
par Mgr Paul-André Durocher
Archevêque de Gatineau et
Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada
sur la brochure Catholiques et musulmans au Canada : croyants et citoyens dans la société
publiée par la Commission épiscopale pour l’unité chrétienne,
les relations religieuses avec les juifs et le dialogue interreligieux

Chers frères et sœurs dans le Christ,

La Commission épiscopale pour l’unité chrétienne, les relations religieuses avec les juifs et le dialogue interreligieux de notre Conférence a publié une ressource intitulée Catholiques et musulmans au Canada : croyants et citoyens dans la société. La brochure vise à aider les catholiques du Canada à mieux comprendre leurs voisins musulmans. Notre pays est riche d’une magnifique mosaïque de cultures et de religions, et les évêques catholiques du Canada désirent y favoriser la compréhension et le dialogue entre les diverses populations.

Le christianisme et l’Islam sont les deux groupes religieux les plus nombreux du monde. Pour notre propre bien et pour le bien de toute l’humanité, nous devons apprendre à vivre en harmonie les uns avec les autres, et le Canada peut certainement jouer un rôle important comme modèle de cette relation harmonieuse. Dans ce but, il est essentiel de nous connaître les uns les autres. C’est dans cet espoir que la Conférence des évêques catholiques du Canada présente sa nouvelle ressource. Sa portée est limitée; elle n’approfondit pas nos différences théologiques, et elle ne commente pas non plus la situation géopolitique actuelle. Toutefois, elle constitue une étape importante que nous pouvons tous franchir pour répondre à l’invitation de saint Paul : « Recherchons donc ce qui contribue à la paix, et ce qui construit les relations mutuelles. » (Romains 14, 19)

La première partie présente les origines de l’Islam, ses principaux courants actuels ainsi que ses ressemblances et ses différences par rapport au christianisme. La deuxième partie donne un aperçu de l’historique et de l’état actuel du dialogue interreligieux entre catholiques et musulmans, au niveau international et national, et se termine par quelques suggestions sur ce que chacun peut faire pour contribuer à ce dialogue.

Comme le pape François l’a magnifiquement proclamé dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium, nous sommes appelés par notre baptême à être les bâtisseurs d’une société juste et paisible :

« En annonçant Jésus Christ, qui est la paix en personne (cf. Ep 2, 14), la nouvelle évangélisation engage tout baptisé à être instrument de pacification et témoin crédible d’une vie réconciliée. C’est le moment de savoir comment, dans une culture qui privilégie le dialogue comme forme de rencontre, projeter la recherche de consensus et d’accords, mais sans la séparer de la préoccupation d’une société juste, capable de mémoire, et sans exclusions. [no 239]

+ Paul-André Durocher
Archevêque de Gatineau et
Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada

Vous pouvez vous procurer le document sur la page web de la CECC au lien suivant: https://esubmitit.sjpg.com/cccb/index.aspx?component=ProductDetails&id=184-892

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