L’importance des quarante jours du Carême dans notre vie de chrétiens !

10eme anniversaire du ponctificat du pape François

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Le mot « Carême » vient du latin « quadragesima » qui signifie les quarante jours qui précèdent la fête de « Pâques » : la plus grande et la plus belle des fêtes chrétiennes qui nous aident à nous préparer à la résurrection du Christ ! Nous serons des témoins de la vie qui est plus forte que la mort. De l’amour et de la miséricorde qui sont plus forts que la haine. Du pardon qui est plus fort que la violence.

Nous sommes donc invités à changer nos cœurs. Car ce temps béni, est un temps de renouvellement nécessaire pour accomplir des choses importantes dans nos vies. Nous adoptons la prière, le jeûne et le partage, « les trois piliers de ce temps », dans le but d’aller à la rencontre du Christ et de s’ajuster à la volonté de Dieu.

Pourquoi allons-nous vivre ce cheminement spirituel de quarante jours avant d’aboutir à Pâques ? C’est tout simplement, parce que ce passage nous identifie comme humains, et nous devons réfléchir à la qualité de notre relation avec Dieu et les autres pour renouveler nos cœurs et ainsi plaire à Dieu. Nous devons chercher à la renforcer par le moyen de ces piliers de vie, qui sont par exemple : la prière, la méditation, le jeûne et la pratique de la charité.

Ce passage est pratiquement une traversée des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie éternelle avec Jésus-Christ plein de miséricorde et de tendresse. C’est pourquoi nous nous préparons pendant quarante jours à nous détourner de nous-mêmes, de nos propres désirs, de nos tentations voire nos faiblesses, et de renoncer à ce qui nous éloigne de Dieu. Nous détourner de notre égoïsme et de notre liberté qu’on veut pour nous-mêmes, pour pouvoir aller vers les autres, les rencontrer et les aider afin de voir en eux le visage de Dieu.

L’église à son tour, nous propose ces quarante jours pour nous connecter à Lui, à nous-mêmes et aux autres.  Le Carême ne peut être qu’un temps très privilégié pour nous rapprocher de notre Seigneur crucifié et ressuscité pour nous sauver. Rappelons ici que de nombreux cœurs se détournent de leur foi en Dieu et en Son Fils, Jésus-Christ. Notre actualité est remplie de violence et de multiples conflits. Même un grand nombre de personnes ont été laissées seules et isolées après une pandémie qui a bouleversé nos vies. Portons avec joie, dans nos prières, toutes les personnes qui souffrent à cause d’une guerre, d’un tremblement de terre ou d’un conflit économique très critique. Nous savons bien que la prière a un impact inestimable. Redoublons notre confiance en Dieu, Il ne nous laissera pas tomber. « Veillez donc et priez en tout temps, afin que vous ayez la force d’échapper à toutes ces choses qui arriveront, et de paraître debout devant le Fils de l’Homme. » Luc, 21 : 36

Le Carême ne peut pas être un moment triste, un temps où on doit faire des sacrifices ponctuels et continuer de vivre un bonheur éphémère, etc. Nous devons veiller à ne pas nous écarter de l’essentiel. Accordons plus d’attention aux autres, remercions-les pour un service offert ou demandons pardon entourant un malentendu, etc. Adoptons de nombreuses réflexions constructives, cherchons le sacrement de pénitence, et contemplons les méditations sur le Chemin de croix et tant d’autres.  

 

Soulignons le 10ème anniversaire du pontificat du pape François, ce 13 mars. Cette décennie nous a révélé un Pape simple, humble et fidèle à Dieu. Il vit l’Évangile et y demeure très prêt. Le Saint-Père ne rate pas une occasion sans nous ouvrir le cœur et l’esprit à ce qui doit compter le plus pour nous. Ce qui va nous assurer une bonne relation avec Dieu, notre Créateur, et les autres personnes qui nous entourent. Son message pour mieux vivre ce « temps de grâce », se résume en dix conseils

  1. Se laisser toucher le cœur,
  2. Arrêter de s’agiter,
  3. Rechercher le silence,
  4. Se détacher du smartphone,
  5. Arrêter de regarder les autres de haut,
  6. En finir avec l’hypocrisie,
  7. Ne pas s’habituer au Mal,
  8. Demander le don des larmes,
  9. Contempler les visages qui nous entourent,

Chaque année, nous nous trouvons face à notre réalité humaine fondamentale d’être « de la poussière », d’être de passage sur terre, et que nous avons absolument besoin de Dieu pour renaître de notre condition mortelle. L’imposition des cendres, n’est qu’un rappel de notre nature humaine fragile, voire légère. En ce temps de Carême, nous sommes tous invités à prendre conscience de cette vérité qui nous définit et que nous avons tendance à l’oublier. Travaillons plutôt à tourner notre cœur de tout ce qui est éphémère, passager et qui nous éloigne de Dieu ; qui est amour et pardon, pour gagner Son cœur et le Ciel. Sortons de notre routine, de notre confort et habillons notre cœur de miséricorde et de compassion envers nos frères et sœurs dans le besoin. Écoutons leur souffrance et agissons en leur faveur : l’aumône nous rapproche d’eux. 

Quant au jeûne, il nous aidera à renoncer à nous-mêmes, pour que l’espace libéré en nous, nous mène à voir Dieu dans le visage des pauvres. Conjuguons la prière sincère à l’action pour faire changer les choses dans notre vie et dans celle d’autrui. Sans oublier que le pouvoir de la prière est si grand et que nous Lui en sommes très reconnaissants.

En plus d’ouvrir notre cœur à Dieu et aux autres, faisons l’effort volontaire de nous calmer, de rechercher le silence dans un monde bruyant, plein d’exigences, d’obligations et de distractions de toutes sortes ; afin d’être capable d’écouter le Seigneur, de saisir ce qu’Il a à nous dire et de nous inspirer de Ses paroles. N’est-ce pas là, une caractéristique de la vie bénédictine qui nous parle encore aujourd’hui ?

L’effort vital et la discipline de vie que nous adoptons dans notre cheminement spirituel, sont de grands défis de notre parcours vers Pâques. Ils sont plus qu’essentiels pour notre résurrection avec le Christ !

Bon Carême à toutes et à tous.

François : L’Évangile de la proximité, de la tendresse et de la compassion

10eme anniversaire du ponctificat du pape François

Photo de Dhcatólico sur Cathopic

Si une image vaut mille mots, combien de mots valent dix ans de pontificat ! De fait, pour décrire le ministère du pape François, les images sont encore plus éloquentes que les paroles. C’est un pontificat incarné, dont l’enseignement passe surtout par des gestes et par des actes. Quelle est l’image qui vous vient à l’esprit quand vous pensez au pape François ?

Pour beaucoup d’entre nous, la première image que nous avons eue était le soir du 13 mars 2013, lorsque le premier pape du nouveau monde – « venant presque du bout du monde », est apparu pour la première fois sur le balcon de la Basilique Saint-Pierre au Vatican. Il était vêtu d’une simple soutane blanche et il nous a salué avec simplicité : « Chers frères et sœurs, bonsoir ! » Avant de nous donner sa première bénédiction en tant que pape, il nous a demandé de prier pour lui, de le bénir afin qu’il puisse nous bénir. 

Il se dit que les foules sont venues pour voir Jean-Paul II, qu’elles sont venues pour écouter Benoît XVI, et enfin qu’elles viennent pour toucher le pape François. C’est un pape accessible, qui se met à notre portée. Alors, comment nos cœurs ont-ils été touchés par le pape François ? Comment a-t-il touché votre vie, notre monde ?

La singularité du pape François passe par l’originalité, parfois surprenante, de son style. C’est un pape qui tend la main pour embrasser et qui se laisse embrasser. C’est un pape qui vit dans la résidence hôtelière du Vatican, et non dans le palais apostolique. C’est un pape qui lave les pieds des prisonniers et des personnes âgées le Jeudi Saint, plutôt que ceux des éminents cardinaux. Il est le premier pape à choisir le nom de Saint François d’Assise, un homme de paix, de simplicité évangélique, des pauvres. C’est un pape qui a « l’odeur de ses brebis », et qui encourage les autres à faire de même. 

À maintes reprises, le pape François a parlé du style de Dieu, qu’il résume en trois mots clés : proximité, tendresse et compassion.

Le style de Dieu est la proximité, une proximité spéciale, compatissante et tendre. Les trois mots qui définissent la vie d’un prêtre, et d’un chrétien aussi, car ils sont tirés précisément du style de Dieu : proximité, compassion et tendresse.  (Discours au Symposium “Pour une théologie fondamentale du sacerdoce”)

Le pape François nous montre par ses paroles et son exemple que le style de Dieu n’est pas la distance, l’indifférence ou la condamnation. Au contraire, notre Dieu est proche, tendre et compatissant. Ayant moi-même eu l’occasion de voir le pape François de près et de le rencontrer à plusieurs reprises, j’ai été touché par le fait que le pape François témoigne de ce style de Dieu non seulement par ses paroles et son enseignement, mais surtout par sa vie et sa façon d’être avec les gens.  

La proximité

Pour nous, en tant que Canadiens, le plus grand signe de la proximité du pape François demeure sa visite au Canada en juillet 2022. Même en fauteuil roulant, il est venu faire un pèlerinage de réconciliation et de guérison avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Le pape est venu soigner des blessures qui malheureusement sont si souvent ignorées et négligées. Il est venu rencontrer les survivants des pensionnats chez eux. Il nous a donné l’exemple en vivant la parabole du bon Samaritain : être proche les uns des autres, guérir les blessures et avancer tous ensemble sans laisser  personne de côté. Le pape François nous appelle à être proches des personnes qui se trouvent à la périphérie, non seulement en allant vers elles, mais aussi en les amenant au centre – de nos cœurs, de nos foyers, de notre société et de notre Église. (cf. Un temps pour changer : Viens, parlons, osons rêver) Souvenons-nous des trois défis qu’il nous a lancé à ce moment-là, comme une boussole pour la mission de l’Église au Canada dans notre temps : faire connaître Jésus, témoigner et cultiver la fraternité. (Homélie aux Vêpres à la Cathédrale Notre-Dame de Québec) À nous de relever ces défis au service du tournant missionnaire de l’Église chez nous ! 

La tendresse

Quelle force ont les nombreuses images du pape François embrassant les personnes handicapées, les pauvres, les malades, les personnes âgées et ceux qui sont si souvent rejetés ou oubliés. Nous pourrions nous rappeler comment le pape a été ému par des enfants aux Philippines, qui lui ont demandé pourquoi Dieu permet à tant de garçons et de filles de vivre dans la rue. Ou comment il s’est agenouillé pour embrasser les pieds des dirigeants politiques en guerre du Sud-Soudan dans un plaidoyer pour la paix. Et qui pourrait oublier sa caresse du bébé autochtone au moment de la conclusion de la messe au Sanctuaire national de Sainte-Anne-de-Beaupré ? Le pape François nous appelle à transformer le monde par la puissance de la tendresse :

La foi authentique dans le Fils de Dieu fait chair est inséparable du don de soi, de l’appartenance à la communauté, du service, de la réconciliation avec la chair des autres. Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. (Evangelii Gaudium, no. 88)

La compassion

Cependant, le trait divin que le pape François a le plus souligné est celui de la miséricorde, son amour compatissant qui nous sauve. Au milieu de son pontificat, il a déclaré un Jubilé de la miséricorde, appelant toute l’Église « à fixer notre regard sur la miséricorde, afin de devenir nous aussi signe efficace de l’agir du Père ». (Misericordiae Vultus, no. 3)  Se faisant proche des gens, François se laisse toucher par la compassion, qui est la source de la tendresse. Le pape lui-même a reçu sa vocation à l’âge de dix-sept ans, lors d’une rencontre personnelle avec la miséricorde de Dieu dans le sacrement de la confession, le jour de la fête de Saint Matthieu. Comme l’apôtre Matthieu, le jeune Bergoglio a fait l’expérience de la miséricorde de Dieu, qui l’avait choisi en le pardonnant, ce qui est le sens de sa devise : Miserando atque eligendo. Dans son livre intitulé Le Nom de Dieu est Miséricorde, le pape François témoigne de tout ce que Dieu fait pour entrer dans le cœur de l’homme, se servant même de la plus petite ouverture – cette fente dans la porte de notre cœur – que Dieu utilise pour nous pardonner et prendre pitié de nous. 

Dieu ne se fatigue jamais de nous pardonner, jamais ! […] Lui ne se fatigue pas de pardonner, mais nous, parfois, nous nous fatiguons de demander pardon. Ne nous fatiguons jamais, ne nous fatiguons jamais ! Lui est le Père plein d’amour qui pardonne toujours, qui a ce cœur de miséricorde pour nous tous. Et nous aussi apprenons à être miséricordieux avec tous. Invoquons l’intercession de la Vierge qui a eu entre ses bras la Miséricorde de Dieu fait homme. (Angélus, 17 mars 2013)

La joie

On peut ajouter un quatrième trait qui décrit non seulement le style de Dieu mais aussi celui de François : il s’agit de la joie ! Le magistère de François est plein de joie. 

Le programme de son pontificat a été exprimé dans « La joie de l’Évangile » – Evangelii Gaudium, dans lequel il nous appelle à être constamment renouvelés et transformés par la joie de la rencontre avec le Christ. Son document phare sur la famille s’intitule « La joie de l’amour » – Amoris Laetitia, dans lequel il appelle les familles à vivre la Bonne Nouvelle de l’amour de Dieu pour l’humanité. L’exhortation de François sur l’appel à la sainteté, « Soyez dans la joie et l’allégresse » – Gaudete et Exsultate – nous rappelle que la sainteté n’est pas réservée aux prêtres et aux religieuses, mais aussi à nos voisins d’à côté, et que vivre les Béatitudes nous rend plus vivants et plus humains. Même ses orientations pour les universités catholiques et les facultés de théologie s’intitule « La joie de la vérité » – Veritatis Gaudium, un véritable changement de paradigme dans notre façon de dialoguer avec la culture plutôt que de présumer que nous détenons la vérité, que nous la possédons pour l’imposer aux autres. Ici et maintenant, le pape François nous amène à découvrir la joie de marcher ensemble, en tant qu’Église et en tant que famille humaine, sur le chemin ardu mais prometteur de la synodalité :

Chers frères et sœurs, que ce Synode soit habité par l’Esprit ! Car nous avons besoin de l’Esprit, le souffle toujours nouveau de Dieu qui nous libère de toute fermeture, qui fait revivre ce qui est mort, qui brise les chaînes et répand la joie. (Discours pour le début du processus synodal)

Le pape François n’est certainement pas un super-héros de la proximité, de la tendresse, de la compassion et de la joie. Au contraire, en célébrant les dix ans de son pontificat, remercions Dieu pour son témoignage de pasteur qui vit le style de l’Évangile. Soyons touchés par les façons dont nous avons été témoins du style de Dieu incarné par notre pape François. Mais ne nous arrêtons pas là ! Recevons humblement la proximité, la tendresse, la compassion et la joie de Dieu dans nos propres vies, et soyons encouragés et poussés à vivre le style de Dieu dans nos relations quotidiennes avec les personnes qui nous entourent, en commençant par celles qui sont le plus dans le besoin. Que l’exemple du pape François nous inspire à nous laisser toucher par la miséricorde de Jésus, afin d’aller toucher la chair du Christ dans tous nos frères et sœurs.

Père de tendre miséricorde, répands dans nos cœurs l’Esprit de Ton amour, afin que nous puissions suivre Jésus en marchant avec nos frères et sœurs. Bénis notre pape François, et fais que son ministère porte une abondance de fruits dans la mission de Ton Église, pour la vie du monde que Tu aimes tant. Amen.

Homélie du saint Père lors de la messe du Mercredi des Cendres

L’homélie du pape François lors de la messe du Mercredi des Cendres à la Basilique Sainte-Sabine.

Lisez le texte intégral ci-dessous

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS 

Basilique Sainte-Sabine
Mercredi 22 février 2023

« Voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ! » (2 Co 6, 2). Cette phrase, de l’Apôtre Paul nous aide à entrer dans l’esprit du temps du Carême. Le Carême est, en effet, le temps favorable pour revenir à l’essentiel, pour nous dépouiller de ce qui nous encombre, pour nous réconcilier avec Dieu, pour rallumer le feu de l’Esprit Saint qui demeure caché dans les cendres de notre fragile humanité. Revenir à l’essentiel. C’est le temps de grâce pour mettre en pratique ce que le Seigneur nous a demandé dans le premier verset de la Parole que nous venons d’écouter : « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2, 12). Revenir à l’essentiel qui est le Seigneur

Le rite des cendres nous introduit sur ce chemin de retour et nous adresse deux invitations : revenir à la vérité sur nous-mêmes et revenir à Dieu et à nos frères.

Tout d’abord, revenir à la vérité sur nous-mêmes. Les cendres nous rappellent qui sommes-nous et d’où venons-nous, elles nous ramènent à la vérité fondamentale de la vie : seul le Seigneur est Dieu et nous sommes l’œuvre de ses mains. C’est notre vérité. Nous avons la vie alors que Lui, il est la vie. C’est Lui le Créateur, tandis que nous sommes de l’argile fragile qui est modelée par ses mains. Nous venons de la terre et avons besoin du Ciel, de Lui ; avec Dieu nous renaîtrons de nos cendres, mais sans Lui nous sommes poussière. ET alors que nous inclinons humblement la tête pour recevoir les cendres, ayons donc à cœur cette vérité : nous sommes du Seigneur, nous Lui appartenons. En effet, Il « modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie » (Gn 2, 7) : nous existons, parce qu’Il a insufflé en nous le souffle de vie. Et, en tant que Père tendre et miséricordieux, Il vit aussi le Carême, parce qu’Il nous désire, nous attend, attend notre retour. Et Il nous encourage toujours à ne pas désespérer, même lorsque nous tombons dans la poussière de notre fragilité et de notre péché, car « Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière » (Ps 103, 14). Réécoutons ceci : Il se souvient que nous sommes poussière. Dieu le sait ; nous par contre, nous l’oublions souvent, pensant que nous sommes autosuffisants, forts, invincibles sans Lui ; nous utilisons des maquillages pour nous croire meilleurs de ce que nous sommes : nous sommes poussière.

Le Carême est donc le temps de nous rappeler qui est le Créateur et qui est la créature, de proclamer que Dieu seul est Seigneur, de nous dépouiller de la prétention de nous suffire à nous-mêmes et de la soif de nous mettre au centre, à être les premiers de la classe, à penser qu’avec nos seules capacités nous pouvons être les protagonistes de la vie et transformer le monde qui nous entoure. C’est le temps favorable pour nous convertir, pour changer de regard avant tout sur nous-mêmes, pour regarder à l’intérieur de nous-mêmes : combien de distractions et de superficialités nous détournent de ce qui compte, combien de fois nous nous concentrons sur nos envies ou sur ce qui nous manque, nous éloignant du centre de notre cœur, oubliant d’embrasser le sens de notre être dans le monde. Le Carême est un temps de vérité pour faire tomber les masques que nous portons chaque jour pour paraître parfaits aux yeux du monde ; pour lutter, comme Jésus nous l’a dit dans l’Évangile, contre le mensonge et l’hypocrisie : pas ceux des autres, les nôtres : les regarder en face et lutter.

Il y a cependant une deuxième étape : les cendres nous invitent également à revenir à Dieu et à nos frères. En effet, si nous revenons à la vérité de ce que nous sommes et que nous nous rendons compte que notre moi ne se suffit pas à lui-même, nous découvrons alors que nous n’existons qu’à travers les relations : la relation originelle avec le Seigneur et les relations vitales avec les autres. Ainsi, les cendres que nous recevons aujourd’hui sur nos têtes nous disent que toute présomption d’autosuffisance est fausse et que l’idolâtrie du moi est destructrice et nous enferme dans la prison de la solitude : se regarder dans le miroir en imaginant être parfait, en imaginant être au centre du monde. Notre vie, par contre, est avant tout une relation : nous l’avons reçue de Dieu et de nos parents, et nous pouvons toujours la renouveler et la régénérer grâce au Seigneur et à ceux qu’il place à nos côtés. Le Carême est le temps favorable pour revitaliser nos relations avec Dieu et avec les autres : pour nous ouvrir dans le silence à la prière et sortir de la forteresse de notre ego fermé, pour briser les chaînes de l’individualisme et de l’isolement et redécouvrir, à travers la rencontre et l’écoute, ceux qui marchent chaque jour à nos côtés, et réapprendre à les aimer comme des frères ou sœurs.

Frères et sœurs, comment réaliser tout cela ? Pour accomplir ce parcours – pour revenir à la vérité sur nous-mêmes, pour revenir à Dieu et aux autres – nous sommes invités à parcourir trois grandes voies : l’aumône, la prière et le jeûne. Ce sont les voies classiques : il ne faut pas de nouveautés sur cette route. Jésus l’a dit, c’est clair : l’aumône, la prière et le jeûne. Et il ne s’agit pas de rites extérieurs, mais de gestes qui doivent exprimer un renouvellement du cœur. L’aumône n’est pas un geste rapide pour se donner bonne conscience, pour équilibrer un peu le déséquilibre intérieur, mais c’est le fait de toucher de ses mains et de ses larmes la souffrance des pauvres ; la prière n’est pas un rituel, mais un dialogue de vérité et d’amour avec le Père ; et le jeûne n’est pas un simple renoncement, mais un geste fort pour rappeler à notre cœur ce qui compte et ce qui passe. La mise en garde de Jésus est un « avertissement qui conserve sa valeur salutaire également pour nous: aux gestes extérieurs doit toujours correspondre la sincérité de l’âme et la cohérence des œuvres. À quoi sert en effet – se demande l’auteur inspiré – de déchirer ses vêtements, si le cœur demeure éloigné du Seigneur, c’est-à-dire du bien et de la justice? » (Benoît XVI, Homélie Mercredi des Cendres, 1er mars 2006). Cependant, trop souvent nos gestes et nos rituels ne touchent pas la vie, ils ne sont pas vrais ; peut-être les accomplissons-nous uniquement pour être admirés des autres, pour recevoir des applaudissements, pour nous attribuer des mérites. Rappelons-nous ceci : dans la vie personnelle, comme dans la vie de l’Église, les apparences extérieures, les jugements humains et le goût du monde ne comptent pas ; seul compte le regard de Dieu qui y lit l’amour et la vérité.

Si nous nous mettons humblement sous son regard, alors l’aumône, la prière et le jeûne ne restent pas des gestes extérieurs, mais expriment ce que nous sommes vraiment : des enfants de Dieu et des frères entre nous. L’aumône, c’est-à-dire la charité, manifestera notre compassion envers ceux qui sont dans le besoin, nous aidera à revenir vers les autres ; la prière donnera voix à notre désir intime de rencontrer le Père, en nous faisant revenir vers Lui ; le jeûne sera le gymnase spirituel pour renoncer joyeusement à ce qui est superflu et qui nous encombre, pour devenir intérieurement plus libres et revenir à la vérité sur nous-mêmes. Rencontre avec le Père, liberté intérieure, compassion.

Chers frères et sœurs, inclinons la tête, recevons les cendres, rendons notre cœur léger. Mettons-nous en route dans la charité : quarante jours favorables nous sont donnés pour nous rappeler que le monde ne doit pas être enfermé dans les limites étroites de nos besoins personnels, et pour redécouvrir la joie non pas dans les choses à accumuler, mais dans l’attention aux personnes dans le besoin et dans l’affliction. Mettons-nous en route dans la prière : quarante jours favorables nous sont donnés pour redonner à Dieu la primauté dans nos vies, pour nous remettre à dialoguer avec lui de tout cœur, et non occasionnellement. Mettons-nous en route dans le jeûne : quarante jours favorables nous sont donnés pour nous retrouver, pour limiter la dictature des agendas toujours pleins de choses à faire, des prétentions d’un ego toujours plus superficiel et encombrant, et choisir ce qui compte.

Frères et sœurs, ne perdons pas la grâce de ce temps saint : fixons le Crucifix et marchons, répondons avec générosité aux appels forts du Carême. Et au bout du chemin, nous rencontrerons avec une plus grande joie le Seigneur de la vie, nous le rencontrerons, le seul qui nous fera renaître de nos cendres.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Audience générale du Pape François – 22 février 2023

Dans la catéchèse aujourd’hui le pape François appui sur la passion d’évangéliser, et nous invite à repartir des paroles de Jésus qui demande aux siens d’aller faire des disciples et d’aller baptiser, en portant la joie de la présence de Dieu qui est proche de nous et qui agit en nous.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenus !

Dans notre itinéraire de catéchèse sur la passion d’évangéliser, aujourd’hui repartons des paroles de Jésus que nous avons entendues : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28,19). Allez, – dit le Ressuscité -, non pas pour endoctriner, non pas pour faire des prosélytes, mais pour faire des disciples, c’est-à-dire pour donner à chacun la possibilité d’entrer en contact avec Jésus, de le connaître et de l’aimer en toute liberté. Allez et baptisez : baptiser signifie immerger et donc, avant d’indiquer une action liturgique, il exprime une action vitale : immerger sa vie dans le Père, dans le Fils, dans l’Esprit Saint ; expérimenter chaque jour la joie de la présence de Dieu qui nous est proche comme Père, comme Frère, comme Esprit qui agit en nous, dans notre propre esprit. Baptiser c’est s’immerger dans la Trinité.

Lorsque Jésus dit à ses disciples – et aussi à nous – « Allez ! », il ne communique pas seulement une parole. Non. Il communique ensemble l’Esprit Saint, car c’est seulement par Lui, l’Esprit Saint, que l’on peut recevoir la mission du Christ et la réaliser (cf. Jn 20, 21-22). Les Apôtres, en effet, restent enfermés dans le Cénacle, par peur, et jusqu’au jour de la Pentecôte où l’Esprit Saint descend sur eux (cf. Ac 2, 1-13). Et à ce moment-là, la peur se dissipe et avec sa force, ces pêcheurs, pour la plupart sans instruction, vont changer le monde. « Mais s’ils ne savent pas parler… ». Mais c’est la parole de l’Esprit, la force de l’Esprit qui les entraîne pour changer le monde. L’annonce de l’Évangile ne se réalise donc que dans la force de l’Esprit, qui précède les missionnaires et prépare les cœurs : c’est Lui le “moteur de l’évangélisation”.

Nous le découvrons dans les Actes des Apôtres, où, à chaque page, nous constatons que le protagoniste de l’annonce n’est ni Pierre, ni Paul, ni Etienne, ni Philippe, mais c’est l’Esprit Saint. Toujours dans les Actes, on raconte un moment décisif des débuts de l’Église, qui peut aussi nous en dire long. À l’époque, comme aujourd’hui, ensemble avec les consolations les tribulations ne manquaient pas, – des moments heureux et des moments moins heureux – les joies s’accompagnaient de soucis, les deux choses ensemble. Une d’elles en particulier était par exemple comment se comporter avec les païens qui venaient à la foi, avec ceux qui n’appartenaient pas au peuple juif. Etaient-ils, oui ou non, tenus d’observer les prescriptions de la loi de Moïse ? Ce n’était pas une mince affaire pour ces gens. Deux groupes se forment ainsi, entre ceux qui considéraient l’observance de la Loi comme indispensable et les autres non. Pour discerner, les Apôtres se réunissent, dans ce qu’on appellera le « Concile de Jérusalem », le premier de l’histoire. Comment résoudre le dilemme ? On aurait pu chercher un bon compromis entre tradition et innovation : certaines règles doivent être respectées, et d’autres laissées de côté. Pourtant, les Apôtres ne suivent pas cette sagesse humaine à la recherche d’un équilibre diplomatique entre l’un et l’autre, ils ne le font pas, mais s’adaptent à l’œuvre de l’Esprit, qui les avait devancés, en descendant sur les païens comme sur eux.

Et donc, en supprimant presque toutes les obligations liées à la Loi, ils communiquent les décisions finales, prises – et ils écrivent ainsi : – « par l’Esprit Saint et nous-mêmes » (cf. Ac 15,28) voilà ce qui est décidé, le Saint-Esprit avec nous, c’est ainsi qu’agissent toujours les Apôtres. Ensemble, sans se diviser, même s’ils avaient des sensibilités et des opinions différentes, ils se mettent à l’écoute de l’Esprit. Et Il enseigne une chose, valable aussi aujourd’hui : toute tradition religieuse est utile si elle favorise la rencontre avec Jésus, toute tradition religieuse est utile si elle favorise la rencontre avec Jésus. Nous pourrions dire que la décision historique du premier Concile, dont nous bénéficions également, fut motivée par un principe, le principe de l’annonce : dans l’Église, tout doit être conforme aux exigences de l’annonce de l’Évangile ; non pas aux opinions des conservateurs ou des progressistes, mais au fait que Jésus puisse entrer dans la vie des gens. Par conséquent, tout choix, tout usage, toute structure et toute tradition doivent être évalués selon le critère où ils favorisent l’annonce du Christ. Quand on trouve des décisions dans l’Église, par exemple des divisions idéologiques :  » Je suis conservateur parce que… je suis progressiste parce que… « . Mais où est l’Esprit Saint ? Faites attention l’Évangile n’est pas une idée, l’Évangile n’est pas une idéologie : l’Évangile est une annonce qui touche le cœur et qui te fait changer de cœur, mais si tu te réfugies dans une idée, dans une idéologie qu’elle soit de droite ou de gauche ou du centre, tu es en train de faire de l’Évangile un parti politique, une idéologie, un club de personnes. L’Évangile te donne toujours cette liberté de l’Esprit qui agit en toi et te fait avancer. Et combien est-il nécessaire aujourd’hui de retrouver la liberté de l’Évangile et de nous laisser conduire par l’Esprit.

Ainsi l’Esprit éclaire le chemin de l’Église, toujours. En effet, Il n’est pas seulement la lumière des cœurs, Il est la lumière qui oriente l’Église : Il fait la clarté, aide à distinguer, aide à discerner. C’est pourquoi il est nécessaire de L’invoquer souvent ; faisons-le plus encore aujourd’hui, au début du Carême. Car comme Église, nous pouvons avoir des temps et des espaces bien définis, des communautés, des instituts et des mouvements bien organisés, mais sans l’Esprit, tout reste sans âme. L’organisation ne suffit pas : c’est l’Esprit qui donne vie à l’Église. L’Église, si elle ne Le prie pas et ne l’invoque pas, se replie sur elle-même, dans des débats stériles et épuisants, dans des polarisations lassantes, tandis que la flamme de la mission s’éteint. C’est bien triste de voir l’Église comme si elle était un parlement ; non, l’Église est autre chose. L’Eglise est la communauté d’hommes et de femmes qui croient et annoncent Jésus-Christ, mais mus par l’Esprit Saint, et non par leurs propres raisons. Oui, on utilise sa raison mais l’Esprit vient l’éclairer et la mouvoir. L’Esprit, nous fait sortir, nous pousse à proclamer la foi pour nous confirmer dans la foi, nous pousse à partir en mission pour retrouver qui nous sommes. C’est pourquoi l’apôtre Paul recommande ceci : « N’éteignez pas l’Esprit » (1 Th 5,19). N’éteignez pas l’Esprit. Prions souvent l’Esprit, invoquons-le, demandons-lui chaque jour d’allumer en nous sa lumière. Faisons-le avant chaque rencontre, pour devenir des apôtres de Jésus auprès des personnes que nous rencontrons. Ne pas éteindre l’Esprit dans les communautés chrétiennes et aussi en chacun de nous.

Chers frères et sœurs, comme Église, partons et repartons de l’Esprit Saint. « Il est sans doute important que, dans notre planification pastorale, nous partions des enquêtes sociologiques, des analyses, de la liste des difficultés, de la liste des attentes et des réclamations. Cependant, il est bien plus important de partir des expériences de l’Esprit : c’est là le vrai point de départ. Et il faut donc les rechercher, les répertorier, les étudier, les interpréter. C’est un principe fondamental qui, dans la vie spirituelle, s’appelle la primauté de la consolation sur la désolation. D’abord il y a l’Esprit qui console, ranime, éclaire, meut ; ensuite il y aura aussi la désolation, la souffrance, les ténèbres, mais le principe pour s’ajuster dans les ténèbres est la lumière de l’Esprit » (C.M. MARTINI, Evangéliser dans la consolation de l’Esprit, 25 septembre 1997). C’est le principe pour nous réguler dans les choses que nous ne comprenons pas, dans les confusions, même dans les plus sombres, c’est important. Demandons-nous si nous nous ouvrons à cette lumière, si nous lui donnons de l’espace : est-ce que j’invoque l’Esprit ? Que chacun réponde en son for intérieur. Combien d’entre nous prient l’Esprit ? « Non, Père, je prie la Vierge, je prie les Saints, je prie Jésus, mais parfois, je prie le Notre Père, je prie le Père » – « Et l’Esprit ? Tu ne pries pas l’Esprit, qui est celui qui fait mouvoir ton cœur, qui t’apporte la consolation, qui t’apporte le désir d’évangéliser et de faire la mission ? ». Je vous laisse avec cette question : est-ce que je prie l’Esprit Saint ? Est-ce que je me laisse guider par Lui, qui m’invite à ne pas me replier sur moi-même mais à porter Jésus, à témoigner de la primauté de la consolation de Dieu sur la désolation du monde ? Que la Vierge, qui a bien compris cela, nous le fasse comprendre.


Message du pape François pour le Carême 2023

Église de la Transfiguration, Mont Thabor. Wikimedia Commons.

Dans son message pour le Carême 2023, le Pape François a évoqué la Transfiguration de Notre Seigneur et la  » ‘retraite’ sur le Mont Thabor  » comme une image du chemin de l’Église vers Pâques ainsi que du chemin synodal. Le Saint-Père a déclaré que « le Carême conduit à Pâques : la « retraite » n’est pas une fin en soi, mais un moyen de nous préparer à vivre la passion et la croix du Seigneur avec foi, espérance et amour, et à arriver ainsi à la résurrection. »

Voici le texte intégral:

Message du pape François pour le Carême 2023

Ascèse de Carême, itinéraire synodal

Chers frères et sœurs !

Les Évangiles de Matthieu, de Marc et de Luc concordent pour raconter l’épisode de la Transfiguration de Jésus. Dans cet événement, nous voyons la réponse du Seigneur à l’incompréhension manifestée par les disciples à son égard. Peu avant, en effet, un accrochage sérieux s’était produit entre le Maître et Simon-Pierre qui, après avoir professé sa foi dans le fait que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, avait repoussé son annonce de la passion et de la croix. Jésus l’avait repris avec force : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute : tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16, 23). Et voici que « six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmène à l’écart, sur une haute montagne » (Mt 17, 1).

L’Évangile de la Transfiguration est proclamé chaque année, le deuxième dimanche du Carême. Durant ce temps liturgique, en effet, le Seigneur nous prend avec lui et nous emmène à l’écart. Même si nos activités ordinaires requièrent que nous restions aux lieux habituels, en vivant un quotidien souvent répétitif et parfois ennuyant, pendant le Carême nous sommes invités à monter “sur une haute montagne” avec Jésus, pour vivre avec le Peuple saint de Dieu une expérience d’ascèse particulière.

L’ascèse de Carême est un effort, toujours animé par la Grâce, pour surmonter nos manques de foi et nos résistances à suivre Jésus sur le chemin de la croix. Précisément ce dont avaient besoin Pierre et les autres disciples. Pour approfondir notre connaissance du Maître, pour comprendre et accueillir à fond le mystère du salut divin, réalisé dans le don total de soi par amour, il faut se laisser conduire par lui à l’écart et en hauteur, en se détachant des médiocrités et des vanités. Il faut se mettre en chemin, un chemin qui monte, qui exige effort, sacrifice, concentration, comme une excursion en montagne. Ces conditions sont également importantes pour le chemin synodal dans lequel nous nous sommes engagés, en tant qu’Église. Il nous sera bon de réfléchir sur cette relation qui existe entre l’ascèse de Carême et l’expérience synodale.

Pour cette “retraite” sur le mont Thabor, Jésus emmène avec lui trois disciples, choisis pour être témoins d’un événement unique. Il veut que cette expérience de grâce ne soit pas solitaire, mais partagée, comme l’est, du reste, toute notre vie de foi. Jésus, on doit le suivre ensemble. Et c’est ensemble, comme Église pérégrinant dans le temps, que l’on vit l’année liturgique et, à l’intérieur de celle-ci, le Carême, en marchant avec ceux que le Seigneur a placés à nos côtés comme compagnons de voyage. Par analogie avec la montée de Jésus et des disciples au Thabor, nous pouvons dire que notre chemin de Carême est “synodal”, car nous l’accomplissons ensemble sur le même chemin, disciples de l’unique Maître. Bien plus, nous savons qu’il est lui-même la Voie, et donc, que ce soit dans l’itinéraire liturgique ou dans celui du Synode, l’Église ne fait rien d’autre que d’entrer toujours plus profondément et pleinement dans le mystère du Christ Sauveur.

Et nous arrivons au moment culminant. L’Évangile raconte que Jésus « fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière » (Mt 17, 2). Voilà le “sommet”, le but du chemin. Au terme de la montée, lorsqu’ils sont sur la montagne avec Jésus, la grâce est donnée aux trois disciples de le voir dans sa gloire, resplendissant de lumière surnaturelle, qui ne venait pas du dehors, mais qui irradiait de Lui-même. La divine beauté de cette vision fut incomparablement supérieure à toute la fatigue que les disciples avaient pu accumuler pour monter au Thabor. Comme pour toute excursion exigeante en montagne, il faut en montant tenir le regard bien fixé sur le sentier ; mais le panorama qui se déploie à la fin surprend et récompense par son émerveillement. Le processus synodal apparaît lui aussi souvent ardu et nous pourrions parfois nous décourager. Mais ce qui nous attend à la fin est sans aucun doute quelque chose de merveilleux et de surprenant, qui nous aidera à mieux comprendre la volonté de Dieu et notre mission au service de son Royaume.

L’expérience des disciples sur le Thabor s’enrichit encore quand, lorsqu’à côté de Jésus transfiguré apparaissent Moïse et Élie qui personnifient la Loi et les Prophètes (cf. Mt 17, 3). La nouveauté du Christ est l’accomplissement de l’Ancienne Alliance et des promesses ; elle est inséparable de l’histoire de Dieu avec son peuple et en révèle le sens profond. De même, le parcours synodal est enraciné dans la tradition de l’Église et, en même temps, ouvert à la nouveauté. La tradition est source d’inspiration pour chercher des voies nouvelles, en évitant les tentations opposées de l’immobilisme et de l’expérimentation improvisée.

Le chemin ascétique du Carême, ainsi que le chemin synodal ont tous deux comme objectif une transfiguration, personnelle et ecclésiale. Une transformation qui, dans les deux cas, trouve son modèle dans celle de Jésus et se réalise par la grâce de son mystère pascal. Pour que cette transfiguration puisse s’accomplir en nous cette année, je voudrais proposer deux “sentiers” à suivre pour monter avec Jésus et parvenir avec Lui à destination.

Le premier fait référence à l’impératif que Dieu le Père adresse aux disciples sur le Thabor, alors qu’ils contemplent Jésus transfiguré. La voix venant de la nuée dit : « Écoutez-le » (Mt 17, 5). La première indication est donc très claire : écouter Jésus. Le Carême est un temps de grâce dans la mesure où nous nous mettons à l’écoute de Celui qui parle. Et comment nous parle-t-il ? Avant tout dans la Parole de Dieu que l’Église nous offre dans la Liturgie : ne la laissons pas tomber dans le vide. Si nous ne pouvons pas toujours participer à la messe, lisons les Lectures bibliques jour après jour, y compris avec l’aide d’internet. En plus des Écritures, le Seigneur nous parle à travers les frères, surtout par les visages et par les histoires de ceux qui ont besoin d’aide. Mais je voudrais ajouter aussi un autre aspect, très important dans le processus synodal : l’écoute du Christ passe aussi à travers l’écoute des frères et des sœurs dans l’Église, cette écoute réciproque qui est l’objectif principal durant certaines phases, mais qui, de toute façon, demeure toujours indispensable dans la méthode et dans le style d’une Église synodale.

En entendant la voix du Père, « les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : “Relevez-vous et soyez sans crainte”. Levant les yeux, ils ne virent plus personne, sinon lui, Jésus, seul » (Mt 17, 6-8). Voilà la seconde indication pour ce Carême : ne pas se réfugier dans une religiosité faite d’événements extraordinaires, d’expériences suggestives, par peur d’affronter la réalité avec ses efforts quotidiens, ses duretés et ses contradictions. La lumière que Jésus montre aux disciples est une anticipation de la gloire pascale, vers laquelle il faut aller, en le suivant “Lui seul”. Le Carême est orienté vers Pâques : la “retraite” n’est pas une fin en soi, mais elle nous prépare à vivre avec foi, espérance et amour, la passion et la croix, pour parvenir à la résurrection. De même, le parcours synodal ne doit pas non plus nous faire croire que nous sommes arrivés quand Dieu nous donne la grâce de certaines expériences fortes de communion. Là encore, le Seigneur nous répète : « Relevez-vous et soyez sans crainte ». Redescendons dans la plaine et que la grâce dont nous saurons fait l’expérience nous soutienne pour être des artisans de synodalité dans la vie ordinaire de nos communautés.

Chers frères et sœurs, Que l’Esprit Saint nous fasse vivre ce Carême dans l’ascèse avec Jésus, pour faire l’expérience de sa splendeur divine et, ainsi fortifiés dans la foi, poursuivre ensemble le chemin avec Lui, gloire de son peuple et lumière des nations.


Audience Générale du Pape François – 15 février 2023

Lors de l’audience générale d’aujourd’hui, le pape François a abordé une partie du chapitre 10 de l’Évangile de Matthieu comme guide pour la proclamation de l’Évangile.

Il a déclaré que ce « discours missionnaire » de l’Évangile de Matthieu nous enseigne « pourquoi annoncer, que faut-il annoncer et comment annoncer »

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour !

Nous poursuivons nos catéchèses ; le thème que nous avons choisi est : “La passion d’évangéliser, le zèle apostolique”. Parce qu’évangéliser, ce n’est pas dire : « Regarde, blablabla » et rien de plus ; il y a une passion qui mobilise tout : l’esprit, le cœur, les mains, aller… tout, toute la personne est impliquée dans cette proclamation de l’Évangile, et c’est pourquoi nous parlons de passion d’évangéliser. Après avoir vu en Jésus le modèle et le maître de l’annonce, passons aujourd’hui aux premiers disciples, à ce que les disciples ont fait. L’Évangile dit que Jésus « en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle » (Mc 3, 14) deux choses : pour qu’ils restent avec Lui et les envoyer prêcher. Il y a un aspect qui semble contradictoire : Il les invite pour être avec Lui et pour qu’ils aillent prêcher. On dirait : soit l’un, soit l’autre, soit rester, soit aller. Pourtant non : pour Jésus, on ne peut aller sans rester et inversement on ne peut rester sans aller. Ce n’est pas facile à comprendre, mais c’est ainsi. Cherchons de comprendre un peu quel est le sens dans lequel Jésus exprime ces choses.

Tout d’abord, on ne peut aller sans rester : avant d’envoyer les disciples en mission, le Christ – dit l’Évangile – « les appelle à lui » (cf. Mt 10,1). L’annonce naît de la rencontre avec le Seigneur ; toute activité chrétienne, et surtout la mission, part de là. On n’apprend pas dans une académie : non ! Cela commence par la rencontre avec le Seigneur. Témoigner de Lui, en effet, signifie Le rayonner ; mais, si nous ne recevons pas Sa lumière, nous serons éteints ; si nous ne Le fréquentons pas, nous porterons nous-même au lieu de Lui – je me porte moi-même et non Lui -, et cela sera totalement vain. Donc, peut porter l’Évangile de Jésus la personne qui reste avec Lui. Celui qui ne reste pas avec Lui ne peut pas porter l’Evangile. Il apportera des idées, mais pas l’Évangile. De même, cependant, on ne peut rester sans aller. En effet, suivre le Christ n’est pas un acte intimiste : sans annonce, sans service, sans mission, la relation avec Jésus ne croît pas. Notons que dans l’Évangile, le Seigneur envoie les disciples avant d’avoir achevé leur préparation : peu après les avoir appelés, il les envoie déjà ! Cela signifie que l’expérience de la mission fait partie de la formation chrétienne. Rappelons alors ces deux moments constitutifs pour tout disciple : rester avec Jésus et aller, envoyés par Jésus.

Après avoir appelé les disciples à lui et avant de les envoyer, le Christ leur adresse un discours, connu comme le « discours missionnaire » – c’est ainsi qu’on le définit dans l’Evangile. Il se trouve au chapitre 10 de l’Évangile de Matthieu et est comme la  » constitution  » de l’annonce. De ce discours, dont je vous recommande la lecture aujourd’hui – c’est une petite page seulement de l’Evangile -, je tire trois aspects : pourquoi annoncer, quoi annoncer et comment annoncer.

Pourquoi annoncer. La motivation réside dans cinq paroles de Jésus, qu’il est bon de rappeler : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (v. 8). Cela fait cinq mots. Mais pourquoi annoncer ? Parce que j’ai reçu gratuitement et que je dois donner gratuitement. L’annonce ne part pas de nous, mais de la beauté de ce que nous avons reçu gratuitement, sans mérite : rencontrer Jésus, le connaître, découvrir que nous sommes aimés et sauvés. C’est un don si grand que nous ne pouvons le garder pour nous, nous ressentons le besoin de le répandre ; mais dans le même style, c’est-à-dire dans la gratuité. En d’autres termes : nous avons un don, nous sommes donc appelés à nous faire don ; nous avons reçu un don et notre vocation est de nous transformer en don pour les autres ; nous éprouvons la joie d’être enfants de Dieu, elle doit être partagée avec nos frères et sœurs qui ne la connaissent pas encore ! C’est cela la justification de l’annonce. Aller et porter la joie de ce que nous avons reçu.

Deuxièmement : Quoi, donc, annoncer ? Jésus dit : « proclamez que le royaume des Cieux est tout proche  » (v. 7). Voici ce qu’il faut dire, avant tout et en tout : Dieu est proche. Mais n’oubliez jamais ceci : Dieu a toujours été proche du peuple, Il le dit Lui-même au peuple. Il dit : « Regardez, quel Dieu est aussi proche des nations comme je le suis de vous ? ». La proximité est l’une des choses les plus importantes de Dieu. Il y a trois choses importantes : la proximité, la miséricorde et la tendresse. Il ne faut pas l’oublier. Qui est Dieu ? Le Proche, le Tendre, le Miséricordieux. Telle est la réalité de Dieu. Dans la prédication, nous incitons souvent les gens à faire quelque chose, et c’est bien, mais n’oublions pas que le message principal est que Lui est proche : proximité, miséricorde et tendresse. Accueillir l’amour de Dieu est plus difficile parce que nous voulons toujours être au centre, nous voulons être protagonistes, nous sommes plus enclins à faire qu’à nous laisser modeler, à parler qu’à écouter. Mais, si ce que nous faisons passe en premier, nous serons encore les protagonistes. Au contraire, l’annonce doit donner la primauté à Dieu : laisser la primauté à Dieu, Dieu au premier plan, et donner aux autres l’opportunité de l’accueillir, de se rendre compte qu’il est proche. Et moi, derrière.

Troisième point : comment annoncer. C’est l’aspect sur lequel Jésus s’attarde le plus : comment annoncer, quelle est la méthode, quelle doit être le langage pour annoncer ; c’est significatif : il nous dit que la manière, le style est essentiel dans le témoignage. Le témoignage n’implique pas seulement l’esprit et le fait de dire quelque chose, des concepts : non. Il implique tout, l’esprit, le cœur, les mains, tout, les trois langages de la personne : le langage de la pensée, le langage de l’affection et le langage de l’action. Les trois langages. On ne peut pas évangéliser seulement avec l’esprit ou seulement avec le cœur ou seulement avec les mains. Tout participe. Et, dans le style, l’important est le témoignage, comme le veut Jésus. Il dit ceci :  » Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups  » (v. 16). Il ne nous demande pas d’être capables d’affronter les loups, c’est-à-dire d’être capables d’argumenter, de contre-argumenter et de nous défendre : non. Nous penserions ainsi : devenons pertinents, nombreux, prestigieux, et le monde nous écoutera et nous respectera et nous vaincrons les loups : non, ce n’est pas ainsi. Non, je vous envoie comme des brebis, comme des agneaux – voilà ce qui est important. Si tu ne veux pas être brebis, le Seigneur ne te défendra pas contre les loups. Arrange-toi comme tu peux. Mais si tu es brebis, sois assuré que le Seigneur te défendra contre les loups. Être humbles. Il nous demande d’être ainsi, d’être doux et avec le désir d’être innocents, d’être prêts au sacrifice ; c’est ce que représente en fait l’agneau : douceur, innocence, dévouement, tendresse. Et Lui, le berger, reconnaîtra ses agneaux et les protégera des loups. Au lieu de cela, des agneaux déguisés en loups sont démasqués et malmenés. Un Père de l’Église écrivait : « Tant que nous serons des agneaux, nous vaincrons, et même si nous sommes entourés de nombreux loups, nous les vaincrons. Mais si nous devenons des loups, nous serons vaincus, car nous serons privés de l’aide du berger. Il ne fait pas paître les loups, mais les agneaux » (Saint Jean Chrysostome, Homélie 33 sur l’Évangile de Matthieu). Si je veux être au Seigneur, je dois laisser que Lui soit mon berger, et Lui n’est pas un berger de loups, Il est un berger d’agneaux, doux, humbles, agréables au Seigneur.

Toujours sur comment annoncer, il est frappant de constater que Jésus, au lieu de prescrire ce qu’il faut apporter en mission, dit ce qu’il ne faut pas apporter. Parfois, on voit quelque apôtre, une personne qui déménage, un chrétien qui dit qu’il est apôtre et qu’il a donné sa vie au Seigneur, et il emporte tant de bagages : mais ce n’est pas du Seigneur, le Seigneur te déleste de l’équipage et te dit ce qu’il ne faut pas emporter : « Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac de voyage, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton » (v. 9-10). Ne rien emporter. Il dit de ne pas s’appuyer sur les sécurités matérielles, d’aller dans le monde sans mondanité. Voilà ce qu’il faut dire : je vais dans le monde non pas avec le style du monde, non pas avec les valeurs du monde, non pas avec la mondanité – pour l’Église, tomber dans la mondanité est le pire qui puisse arriver. J’y vais avec simplicité. Voilà comment on annonce : en montrant Jésus plutôt qu’en parlant de Jésus. Et comment montrons-nous Jésus ? Par notre témoignage. Et enfin, en allant ensemble en communauté : le Seigneur envoie tous les disciples, mais personne ne va seul. L’Église apostolique est toute missionnaire et dans la mission elle retrouve son unité. Donc : aller doux et bons comme des agneaux, sans mondanité, et aller ensemble. C’est là que se trouve la clé de l’annonce, voilà la clé du succès de l’évangélisation. Accueillons ces invitations de Jésus : que ses paroles soient notre point de référence.


Audience Générale du Pape François – 8 février 2023

Lors de l’Audience générale d’aujourd’hui, le pape François a réfléchi à sa récente visite apostolique en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud.

Voici le texte intégral:

Chers frères et sœurs, bonjour et bienvenu à tous !

La semaine dernière, j’ai visité deux pays africains : la République Démocratique du Congo et le Sud-Soudan. Je remercie Dieu qui m’a permis de faire ce voyage tant désiré. Deux « rêves » : rendre visite aux Congolais, gardiens d’un pays immense, poumon vert de l’Afrique : avec l’Amazonie ce sont les deux du monde. Une terre riche en ressources et ensanglantée par une guerre qui ne se termine jamais car il y a toujours ceux qui alimentent le feu. Et pour rendre visite au peuple sud-soudanais, dans un pèlerinage de paix ensemble avec l’archevêque de Canterbury Justin Welby et le modérateur général de l’Église d’Écosse, Iain Greenshields : nous sommes allés ensemble pour témoigner qu’il est possible et impératif de collaborer dans la diversité, surtout si l’on partage la foi en Jésus Christ.

Les trois premiers jours, j’étais à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo. Je renouvelle ma gratitude au Président et aux autres Autorités du pays pour l’accueil qu’ils m’ont réservé. Immédiatement après mon arrivée, au Palais présidentiel, j’ai pu adresser un message à la Nation : le Congo est comme un diamant, de par sa nature, ses ressources, et surtout son peuple ; mais ce diamant est devenu une source de discorde, de violence, et paradoxalement d’appauvrissement du peuple. C’est une dynamique que l’on retrouve également dans d’autres régions d’Afrique, et qui s’applique à ce continent en général : un continent colonisé, exploité, pillé. Face à tout cela, j’ai dit deux paroles : la première est négative :  » ça suffit ! « , arrêtez d’exploiter l’Afrique ! J’ai déjà dit d’autres fois que dans l’inconscient collectif, c’est comme inscrit « l’Afrique doit être exploitée » : ça suffit ! Je l’ai dit. La seconde est positive : ensemble, ensemble avec dignité, tous ensemble avec respect mutuel, ensemble au nom du Christ, notre espérance, aller de l’avant. Ne pas exploiter et aller de l’avant ensemble.

Et au nom du Christ, nous nous sommes réunis dans la grande Célébration eucharistique.

Toujours à Kinshasa se sont déroulées différentes rencontres : celle avec les victimes de la violence de l’est du pays, la région qui depuis des années est déchirée par la guerre entre groupes armés manœuvrés par des intérêts économiques et politiques. Je n’ai pas pu me rendre à Goma. Les gens vivent dans la peur et l’insécurité, sacrifiés sur l’autel des affaires illicites. J’ai écouté les témoignages bouleversants de certaines victimes, notamment des femmes, qui ont déposé au pied de la Croix des armes et autres instruments de mort. Avec eux, j’ai dit « non » à la violence, « non” à la résignation, « oui » à la réconciliation et à l’espérance. Ils ont déjà tellement souffert et continuent de souffrir.

J’ai rencontré ensuite les représentants de diverses œuvres caritatives du pays, pour les remercier et les encourager. Leur travail avec les pauvres et pour les pauvres ne fait pas de bruit, mais jour après jour, il fait croître le bien commun. Et surtout avec la promotion : les initiatives caritatives doivent toujours être avant tout destinées à la promotion, pas seulement pour l’assistance mais pour la promotion. Assistance oui, mais promotion.

Un moment enthousiasmant a été celui avec les jeunes et les catéchistes congolais au stade. C’était comme une immersion dans le présent projeté vers le futur. Pensons à la puissance de renouveau que peut apporter cette nouvelle génération de chrétiens, formée et animée par la joie de l’Évangile ! A eux, aux jeunes, j’ai indiqué cinq voies : la prière, la communauté, l’honnêteté, le pardon et le service. Aux jeunes du Congo, j’ai dit : voici votre chemin : prière, vie communautaire, honnêteté, pardon et service. Que le Seigneur entende leur cri en faveur de la paix et de la justice.

Ensuite, dans la cathédrale de Kinshasa j’ai rencontré les prêtres, les diacres, les hommes et femmes consacrés et les séminaristes. Ils sont nombreux et ils sont jeunes, car les vocations sont nombreuses : c’est une grâce de Dieu. Je les ai exhortés à être des serviteurs du peuple comme témoins de l’amour du Christ, en surmontant trois tentations : la médiocrité spirituelle, le confort mondain et la superficialité. Qui sont des tentations – je dirais – universelles, pour les séminaristes et pour les prêtres. Bien sûr, la médiocrité spirituelle, quand un prêtre tombe dans la médiocrité, cela est triste ; le confort mondain, c’est-à-dire la mondanité, qui est l’un des pires maux qui puissent arriver à l’Église ; et la superficialité. Enfin, avec les évêques congolais, j’ai partagé la joie et la fatigue du service pastoral. Je les ai invités à se laisser consoler par la proximité de Dieu et à être des prophètes pour le peuple, avec la force de la Parole de Dieu, être des signes de comment est le Seigneur, de l’attitude du Seigneur envers nous : la compassion, la proximité, la tendresse. Ce sont là trois manières dont le Seigneur agit avec nous : il s’approche – la proximité – avec compassion et avec tendresse. J’ai demandé cela aux prêtres et aux évêques.

Ensuite, la deuxième partie du voyage s’est déroulée à Juba, capitale du Soudan du Sud, un État né en 2011. Cette visite a revêtu un caractère très particulier, exprimé à travers la devise qui reprenait les paroles de Jésus :  » Je prie pour que tous soient un  » (cf. Jn 17, 21). Il s’agissait en effet d’un pèlerinage œcuménique de paix, effectué avec les chefs de deux Églises historiquement présentes dans ce pays : la Communion anglicane et l’Église d’Écosse. C’était l’aboutissement d’un parcours initié il y a quelques années, qui nous avait vu nous réunir à Rome en 2019, avec les autorités sud-soudanaises, pour nous engager à surmonter le conflit et construire la paix. En 2019, une retraite spirituelle de deux jours a été organisée ici, à la Curie, avec tous ces politiciens, avec toutes ces personnes aspirant à des postes, certains ennemis entre eux, mais ils étaient tous réunis dans cette retraite. Et cela a donné la force d’aller de l’avant. Malheureusement, le processus de réconciliation n’a pas beaucoup progressé et le Sud-Soudan à peine né est victime de la vieille logique de pouvoir, de rivalité, qui engendre guerre, violence, réfugiés et personnes déplacées internes. Je suis très reconnaissant à M. le Président pour l’accueil qu’il nous a réservé et pour la manière dont il essaie de gérer cette route pas facile, de dire « non » à la corruption et au trafic d’armes et « oui » à la rencontre et au dialogue. Et cela est honteux : tant de pays soi-disant civilisés offrent une aide au Sud-Soudan, et cette aide consiste en des armes, des armes, des armes pour fomenter la guerre. C’est une honte. Et oui, continuez à dire « non » à la corruption et au trafic d’armes et « oui » à la rencontre et au dialogue. Alors seulement, il peut y avoir du développement, les populations pourront travailler en paix, les malades se faire soigner, les enfants aller à l’école.

Le caractère œcuménique de la visite au Sud-Soudan était particulièrement évident lors du moment de prière célébré ensemble avec les frères et sœurs anglicans et ceux de l’Église d’Écosse. Ensemble, nous avons écouté la Parole de Dieu, ensemble nous avons adressé des prières de louange, de supplication et d’intercession. Dans une réalité hautement conflictuelle comme celle du Sud-Soudan, ce signe est fondamental, et il ne va pas de soi, car malheureusement, certains abusent du nom de Dieu pour justifier violence et abus.

Frères et sœurs, le Sud-Soudan est un pays d’environ 11 millions d’habitants – tout petit ! – dont, en raison des conflits armés, deux millions sont des déplacés internes et autant ont fui vers les pays voisins. C’est pourquoi j’ai voulu rencontrer un grand groupe de personnes déplacées internes, les écouter et leur faire sentir la proximité de l’Église. En effet, les Eglises et les organisations d’inspiration chrétienne sont en première ligne aux côtés de ces pauvres gens, qui vivent dans des camps de déplacés depuis des années. En particulier, je me suis tourné vers les femmes – il y a là des femmes de qualité – qui incarnent la force qui peut transformer le pays ; et j’ai encouragé tout le monde à être les semences d’un nouveau Sud-Soudan, sans violence, réconcilié et pacifié.

Puis, lors de la rencontre avec les Pasteurs et les personnes consacrées de cette Église locale, nous avons regardé Moïse comme un modèle de docilité à Dieu et de persévérance dans l’intercession.

Et au cours de la célébration eucharistique, ultime acte de la visite au Sud-Soudan et de tout le voyage, j’ai fait écho de l’Évangile en encourageant les chrétiens à être « sel et lumière » dans ce pays en proie à tant de tribulations. Dieu place son espérance non pas dans les grands et les puissants, mais dans les petits et les humbles. Et c’est la façon de faire de Dieu.

Je remercie les autorités du Sud-Soudan, M. le Président, les organisateurs du voyage et tous ceux qui ont fourni des efforts, du travail pour que la visite se déroule bien. Je remercie mes frères, Justin Welby et Iain Greenshields, de m’avoir accompagné dans ce voyage œcuménique.

Prions pour que, en République démocratique du Congo et au Sud-Soudan, et dans toute l’Afrique, germent les semences de son Royaume d’amour, de justice et de paix.


APPEL

En ce moment, je tourne mes pensées vers les peuples de Turquie et de Syrie durement touchés par le tremblement de terre, qui a fait des milliers de morts et de blessés. Avec émotion, je prie pour eux et exprime ma proximité avec ces peuples, avec les familles des victimes et avec tous ceux qui souffrent de cette calamité dévastatrice. Je remercie ceux qui s’efforcent de porter secours et j’encourage tous à la solidarité avec ces territoires, dont certains ont déjà été meurtris par une longue guerre. Prions ensemble pour que nos frères et sœurs puissent aller de l’avant, en surmontant cette tragédie, et demandons à la Vierge de les protége.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Discours du Saint-Père aux autorités et le corps diplomatique du Soudan de Sud

Le pape François a entamé sa visite apostolique au Soudan du Sud le 3 février, accompagné de l’archevêque de Canterbury et du modérateur de l’Église d’Écosse, par une rencontre avec le président, les vice-présidents, les autorités, la société civile et le corps diplomatique du jeune pays. Il a déclaré que ce « pèlerinage œcuménique de paix représente un changement de direction, une opportunité pour le Soudan du Sud de recommencer à naviguer en eaux calmes » un «  temps pour construire », pour « laisser derrière soi le temps de la guerre et laisser poindre un temps de paix. »

 

RENCONTRE AVEC LES AUTORITÉS ET LE CORPS DIPLOMATIQUE
DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Palais Présidentiel (Djouba)
Vendredi 3 février 2023

 

Monsieur le Président de la République,
Messieurs les Vice-Présidents,
Membres illustres du Gouvernement et du Corps diplomatique,
Autorités religieuses distinguées,
Représentants insignes de la société civile et du monde de la culture,
Mesdames et Messieurs !

Je suis heureux d’être sur cette terre que je porte dans mon cœur. Je vous remercie, Monsieur le Président, pour les mots d’accueil que vous m’avez adressés. Je salue cordialement chacun de vous et, à travers vous, toutes les femmes et les hommes qui peuplent ce jeune et cher pays. Je viens comme pèlerin de réconciliation, avec le rêve de vous accompagner sur votre chemin de paix, un chemin tortueux mais qui ne peut plus être reporté. Je ne suis pas venu seul, parce que dans la paix, comme dans la vie, on marche ensemble. Je suis donc chez vous avec deux frères, l’Archevêque de Canterbury et le Modérateur de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, que je remercie pour ce qu’ils viennent de nous dire. Ensemble, nous nous présentons à vous et à ce peuple au nom de Jésus-Christ, Prince de la paix.

Nous avons en effet entrepris ce pèlerinage œcuménique de paix après avoir écouté le cri de tout un peuple qui, avec grande dignité, pleure à cause de la violence qu’il subit, du perpétuel manque de sécurité, de la pauvreté qui le frappe et des catastrophes naturelles qui sévissent. Les années de guerres et de conflits ne semblent pas connaître de fin et même, récemment, de durs affrontements ont eu lieu alors que les processus de réconciliation semblent paralysés et que les promesses de paix restent inaccomplies. Que cette souffrance épuisante ne soit pas vaine. Que la patience et les sacrifices du peuple sud-soudanais, de cette population jeune, humble et courageuse, nous interpellent tous. Qu’ils voient éclore des germes de paix qui portent du fruit, tels des semences qui en terre donnent vie à la plante.

Les fruits et la végétation abondent ici, grâce au grand fleuve qui traverse le pays. Ce que l’historien de l’antiquité Hérodote disait de l’Égypte, qu’elle un “don du Nil”, vaut aussi pour le Soudan du Sud., Comme on le dit ici, cette terre est vraiment une “terre de grande abondance”. Je voudrais donc me laisser porter par l’image du grand fleuve qui traverse ce pays récent mais à l’histoire ancienne. Au cours des siècles, les explorateurs se sont introduits sur le territoire où nous sommes pour remonter le Nil Blanc à la recherche des sources du fleuve le plus long du monde. C’est par la recherche des sources du vivre ensemble que je voudrais commencer mon parcours avec vous. Parce que cette terre, qui regorge de tant de biens dans le sous-sol, mais surtout dans les cœurs et les esprits de ses habitants, a besoin d’être à nouveau désaltérée par des sources fraîches et vitales.

Autorités distinguées, c’est vous qui êtes ces sources, les sources qui irriguent la cohabitation, les pères et les mères de ce jeune pays. Vous êtes appelées à régénérer la vie sociale, comme des sources limpides de prospérité et de paix, car c’est de cela dont ont besoin les enfants du Soudan du Sud : de pères, non de maîtres ; d’étapes stables de développement, non de chutes continuelles. Les années qui ont suivi la naissance du pays, marquées par une enfance blessée, doivent laisser place à une croissance pacifique. Illustres Autorités, vos “enfants” et l’histoire elle-même se rappelleront de vous dans la mesure où vous aurez fait du bien à cette population qui vous a été confiée pour la servir. Les générations futures honoreront ou effaceront la mémoire de vos noms en fonction de ce que vous faites maintenant parce que, comme le fleuve quitte ses sources pour commencer son cours, le cours de l’histoire laissera derrière les ennemis de la paix et donnera de l’éclat à ceux qui œuvrent pour la paix. En effet, comme l’enseigne l’Écriture, « un avenir est promis aux pacifiques » (cf. Ps 37, 37).

La violence, au contraire, fait reculer le cours de l’histoire. Le même Hérodote en relevait les bouleversements générationnels, notant qu’en guerre ce ne sont plus les enfants qui enterrent les pères, mais les pères qui enterrent les enfants (cf. Histoires, I, 87). Je vous prie, de tout cœur d’accueillir une parole simple pour que cette terre ne se réduise pas à un cimetière, mais redevienne un jardin florissant. Non pas la mienne, mais celle du Christ. Il l’a prononcé dans un jardin, à Gethsémani, lorsque, voyant l’un de ses disciples qui avait dégainé l’épée, il dit : « Assez ! » (Lc 22, 51). Monsieur le Président, Messieurs les Vice-Présidents, au nom de Dieu, du Dieu qu’ensemble nous avons prié à Rome, du Dieu doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29) en qui tant de personnes de ce cher pays croient, il est temps de dire assez, sans “si” et sans “mais” : assez de sang versé, assez de conflits, assez de violences et d’accusations réciproques sur ceux qui les commettent, assez d’abandonner le peuple assoiffé de paix. Assez de destructions, c’est l’heure de la construction ! Que le temps de la guerre soit rejeté et que se lève un temps de paix!

Revenons aux sources du fleuve, à l’eau qui symbolise la vie. Aux sources de ce pays il y a un autre mot qui désigne le parcours entrepris par le peuple sud-soudanais le 9 juillet 2011 : République. Mais que signifie être une res publica ? Cela signifie se reconnaître comme une réalité publique, affirmer que l’État est pour tous ; et donc que ceux qui, en son sein, assument des responsabilités majeures, le présidant et le gouvernant, ne peuvent que se mettre au service du bien commun. Voilà le but du pouvoir : servir la communauté. La tentation qui guette toujours est de s’en servir pour ses propres intérêts. Il ne suffit donc pas de s’appeler République, il faut l’être, à partir des biens primaires : que les ressources abondantes avec lesquelles Dieu a béni cette terre ne soient pas réservées à quelques-uns, mais l’apanage de tous, et que des projets de répartition équitable des richesses correspondent aux plans de relance économique.

Le développement démocratique est fondamental pour la vie d’une République. Il protège la distinction bénéfique des pouvoirs, de sorte que, par exemple, celui qui administre la justice puisse l’exercer sans conditionnement de la part de celui qui légifère ou gouverne. La démocratie suppose également le respect des droits humains, protégés par la loi et son application, et en particulier la liberté d’exprimer ses idées. Il faut en effet rappeler que sans justice il n’y a pas de paix (cf. saint Jean-Paul II, Message pour la célébration de la 35ème Journée Mondiale de la Paix, 1er janvier 2002), mais aussi que sans liberté il n’y a pas de justice. Il faut donc donner à toute citoyenne et tout citoyen la possibilité de disposer du don unique et irremplaçable de l’existence avec les moyens appropriés pour le réaliser : comme l’écrivait le Pape Jean, « tout être humain a droit à la vie, à l’intégrité physique et aux moyens nécessaires et suffisants pour une existence décente » (saint Jean XXIII, Lett. enc. Pacem in terris, n. 11).

Le Nil, après avoir quitté ses sources, traversé des zones accidentées créant des cascades et des rapides, et une fois entré dans la plaine sud-soudanaise, à proximité de Djouba, il devient navigable, pour ensuite pénétrer dans des zones plus marécageuses. Par analogie, j’espère que le chemin de paix de la République ne progressera pas avec des hauts et des bas, mais, qu’à partir de cette capitale, il deviendra praticable, sans rester enlisé dans l’inertie. Chers amis, il est temps de passer des paroles aux faits. Il est temps de tourner la page, le temps est venu de l’engagement pour une transformation urgente et nécessaire. Le processus de paix et de réconciliation demande un nouveau sursaut. Que l’on s’entende et que l’on face avancer l’Accord de paix, ainsi que la Feuille de route ! Dans un monde marqué par les divisions et les conflits, ce pays accueille un pèlerinage œcuménique de paix, qui constitue une rareté ; que celui-ci pose un changement de rythme, qu’il soit l’occasion, pour le Soudan du Sud, de recommencer à naviguer sur des eaux tranquilles, en reprenant le dialogue, sans duplicités ni opportunismes. Qu’il soit pour tous une occasion de relancer l’espérance : que chaque citoyen comprenne que ce n’est plus le moment de se laisser emporter par les eaux insalubres de la haine, du tribalisme, du régionalisme et des différences ethniques ; le temps est venu de naviguer ensemble vers l’avenir !

Le parcours du grand fleuve nous aide encore, en nous suggérant la manière. Dans son cours, près du lac No il rejoint un autre fleuve, donnant vie à ce qu’on appelle le Nil Blanc. La clarté limpide des eaux jaillit donc de la rencontre. Telle est la voie : se respecter, se connaître, dialoguer. Car, si derrière toute violence il y a de la colère et de la rancœur – et derrière toute colère et rancœur il y a le souvenir non guérie de blessures, d’humiliations et d’offenses – la seule direction pour en sortir est celle de la rencontre : accueillir les autres comme des frères et leur donner de l’espace, y compris en sachant faire des concessions. Cette attitude, essentielle pour les processus de paix, est également indispensable pour le développement homogène de la société. Et pour passer de l’incivilité de l’affrontement à la civilité de la rencontre, le rôle que les jeunes peuvent et veulent jouer est décisif. Que des espaces libres de rencontre pour se retrouver et débattre leurs soient donc assurés ; et qu’ils puissent prendre en main, sans crainte, l’avenir qui leur appartient ! Que les femmes, les mères qui savent comment l’on donne et conserve la vie, soient également davantage impliquées dans les processus politiques et décisionnels. Qu’il y ait du respect à leur égard, car celui qui commet une violence contre une femme la commet contre Dieu, qui d’une femme a pris chair.

Le Christ, le Verbe incarné, nous a enseigné que plus on se fait petit, en donnant de l’espace aux autres et en accueillant le prochain comme un frère, plus on devient grand aux yeux du Seigneur. La jeune histoire de ce pays déchiré par des affrontements ethniques, a besoin de retrouver la mystique de la rencontre, la grâce du fait d’être ensemble. Il faut regarder au-delà des groupes et des différences pour marcher comme un seul peuple, dans lequel, comme pour le Nil, les différents affluents apportent des richesses. Ce fut précisément à par le fleuve que les premiers missionnaires, il y a plus d’un siècle, arrivèrent sur ces rivages ; à leur présence s’est ajouta au fil du temps celle de nombre de travailleurs humanitaires. Je voudrais tous les remercier pour le travail précieux qu’ils font. Mais je pense aussi aux missionnaires qui, malheureusement, trouvent la mort en semant la vie. Ne les oublions pas et n’oublions pas de leur garantir, ainsi qu’aux travailleurs humanitaires, la sécurité, ainsi que les soutiens nécessaires à leurs œuvres pour que le fleuve du bien continue à couler.

Un grand fleuve, cependant, peut parfois déborder et provoquer des catastrophes. Sur cette terre, les nombreuses victimes d’inondations l’ont malheureusement expérimenté, auxquelles j’exprime ma proximité, en demandant qu’elles ne soient pas privées d’aides appropriées. Les catastrophes naturelles révèlent une création blessée et chamboulée, qui, source de vie peut se transformer en menace de mort. Il faut en prendre soin avec un regard clairvoyant, tourné vers les générations futures. Je pense en particulier à la nécessité de lutter contre la déforestation causée par l’avidité du gain.

Pour éviter les inondations d’un fleuve, il est nécessaire de garder son lit propre. Par métaphore, le nettoyage dont le cours de la vie sociale a besoin est la lutte contre la corruption. Circuits financiers injustes, intrigues cachées pour s’enrichir, affaires clientélistes, manque de transparence : voilà le fond pollué de la société humaine, qui fait manquer les ressources nécessaires à ceux qui en ont le plus besoin. Il faut d’abord combattre la pauvreté, qui constitue le terrain fertile dans lequel s’enracinent les haines, les divisions et la violence. L’urgence d’un pays civilisé est de prendre soin de ses citoyens, en particulier des plus fragiles et des plus défavorisés. Je pense surtout aux millions de personnes déplacées qui habitent ici : combien ont dû quitter leur maison et se trouvent reléguées en marge de la vie à la suite d’affrontements et de déplacements forcés !

Pour que les eaux de vie ne se transforment pas en dangers de mort, il est essentiel de doter un fleuve de digues adéquates. Il en va de même pour la coexistence humaine. Il faut en premier lieu endiguer l’arrivée d’armes qui, malgré les interdictions, continuent d’arriver dans de nombreux pays de la zone, y compris au Soudan du Sud. Beaucoup de choses sont nécessaires ici, mais certainement pas d’instruments de mort supplémentaires. D’autres digues sont indispensables pour garantir le cours de la vie sociale : je fais référence au développement de politiques de santé adéquates, au besoin d’infrastructures vitales et, en particulier, au rôle primordial de l’alphabétisation et de l’éducation, seule voie pour que les enfants de cette terre prennent leur avenir en main. Comme tous les enfants de ce continent et du monde, ils ont le droit de grandir avec en main des cahiers et des jouets, pas des instruments de travail ni des armes.

Le Nil Blanc, enfin, quitte le Soudan du Sud, traverse d’autres États, il rencontre le Nil Bleu et arrive à la mer : le fleuve ne connaît pas de frontières, mais il relie des territoires. De même, pour atteindre un développement convenable, il est essentiel, aujourd’hui plus que jamais, de cultiver des relations positives avec d’autres pays, à commencer par ceux qui sont autour. Je pense également à la précieuse contribution de la Communauté internationale à l’égard de ce pays : j’exprime ma reconnaissance pour l’engagement visant à en favoriser la réconciliation et le développement. Je suis convaincu que, pour apporter des contributions fructueuses, la compréhension réelle des dynamiques et des problèmes sociaux est indispensable. Il ne suffit pas de les observer et de les dénoncer de l’extérieur. Il faut s’impliquer, avec patience et détermination et, plus généralement, résister à la tentation d’imposer des modèles préétablis et étrangers à la réalité locale. Comme le disait saint Jean-Paul II, il y a trente ans, au Soudan : « des solutions africaines doivent être trouvées aux problèmes africains » (Appel à la Cérémonie de bienvenue, 10 février 1993).

Monsieur le Président, distinguées Autorités, en suivant le cours du Nil, j’ai voulu m’introduire dans le cheminement de ce pays qui m’est cher autant qu’il est jeune. Je sais que certaines de mes expressions peuvent avoir été franches et directes, mais je vous prie de croire que cela naît seulement de l’affection et de la préoccupation avec lesquelles je suis vos vicissitudes, avec les frères avec lesquels je suis venu ici, pèlerin de paix. Nous désirons offrir de tout cœur notre prière et notre soutien afin que le Soudan du Sud se réconcilie et change de cap, pour que son cours vital ne soit plus empêché par l’inondation de la violence, entravé par les marais de la corruption et anéanti par le débordement de la pauvreté. Que le Seigneur du ciel, qui aime cette terre, lui donne un temps nouveau de paix et de prospérité : que Dieu bénisse la République du Soudan du Sud !

Texte reproduit avec l’aimable autorisation du Bureau de presse du Saint-Siège.

Discours du Saint-Père lors de sa rencontre avec les évêques à la CENCO

Le pape François s’adresse à la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) avant de conclure sa visite apostolique en République démocratique du Congo et  se diriger vers le Soudan du Sud pour un pèlerinage œcuménique de paix.

 

RENCONTRE AVEC LES ÉVÊQUES
DISCOURS DU SAINT-PÈRE

CENCO (Kinshasa)
Vendredi 3 février 2023

Chers frères Évêques, bonjour !

Je suis heureux de vous rencontrer et je vous remercie de tout cœur pour votre accueil chaleureux. Merci à Mgr Utembi Tapa pour les salutations qu’il m’a adressées et de vous avoir donné la parole à travers les siennes. Je vous suis reconnaissant de la manière dont vous annoncez courageusement la consolation du Seigneur, en marchant au milieu du peuple, en partageant leurs peines et leurs espérances.

Il m’a été agréable de passer ces jours-ci dans votre pays, qui, avec sa grande forêt, est le « cœur vert » de l’Afrique, un poumon pour le monde entier. L’importance de ce patrimoine écologique nous rappelle que nous sommes appelés à protéger la beauté de la création et à la défendre contre les blessures causées par l’égoïsme prédateur. Mais cette immense étendue de verdure qu’est votre forêt est aussi une image qui parle à notre vie chrétienne : en tant qu’Église, nous avons besoin de respirer l’air pur de l’Évangile, chasser l’air pollué de la mondanité, garder le cœur juvénile de la foi. C’est ainsi que j’imagine l’Église africaine et c’est ainsi que je vois cette Église congolaise : une Église jeune, dynamique, joyeuse, animée par la soif missionnaire, par l’annonce que Dieu nous aime et que Jésus est le Seigneur. Votre Église est présente dans l’histoire concrète de ce peuple, enracinée en profondeur dans la réalité, actrice dans la charité ; une communauté capable d’attirer et de contaminer par son enthousiasme et, comme le font vos forêts, avec beaucoup d' »oxygène ». Merci, d’être un poumon qui donne du souffle à l’Église universelle !

C’est laid de commencer un paragraphe par le mot « malheureusement », mais je dois le faire ! Malheureusement, je suis bien conscient que la communauté chrétienne de ce pays présente également une autre physionomie. Votre visage jeune, lumineux et beau est en effet marqué par la douleur et la fatigue, parfois par la peur et le découragement. C’est le visage d’une Église qui souffre pour son peuple, c’est un cœur qui bat au rythme de la vie du peuple avec ses joies et ses tribulations. C’est une Église signe visible du Christ qui, aujourd’hui encore, est rejeté, condamné et méprisé dans les nombreux crucifiés du monde, et qui pleure nos propres larmes. C’est une Église qui, comme Jésus, veut aussi sécher les larmes du peuple, en s’évertuant à prendre sur elle les blessures matérielles et spirituelles des gens, et en faisant couler sur elles l’eau vive qui guérit du côté du Christ.

Avec vous, frères, je vois Jésus souffrant dans l’histoire de ce peuple, peuple crucifié, peuple opprimé, frappé par une violence qui n’épargne pas, marqué par la souffrance des innocents ; un peuple contraint de vivre dans les eaux troubles de la corruption et de l’injustice qui polluent la société, et qui souffre de la pauvreté en tant de ses enfants. Mais je vois en même temps un peuple qui n’a pas perdu l’espérance, qui embrasse avec enthousiasme la foi et se tourne vers ses pasteurs, qui sait revenir au Seigneur et se remettre entre ses mains afin que la paix à laquelle il aspire, étouffée par l’exploitation, l’égoïsme partisan, par les poisons des conflits et des vérités manipulées, puisse enfin advenir comme un don d’en haut.

On en vient à se demander : comment exercer le ministère dans cette situation ? En pensant à vous, pasteurs du Peuple saint de Dieu, l’histoire de Jérémie m’est venue à l’esprit, un prophète appelé à vivre sa mission à un moment dramatique de l’histoire d’Israël, au milieu des injustices, des abominations et des souffrances. Il a dépensé sa vie à proclamer que Dieu n’abandonne jamais son peuple et fait émerger des projets de paix, même dans les situations qui semblent perdues et irrécupérables. Mais cette annonce consolante de la foi, Jérémie l’a vécue d’abord dans sa personne, il a le premier fait l’expérience de la proximité de Dieu. Ce n’est que de cette manière qu’il a pu apporter aux autres une courageuse prophétie d’espérance. Votre ministère épiscopal vit aussi entre ces deux dimensions dont je voudrais vous parler : la proximité de Dieu et la prophétie pour le peuple.

Avant tout, je voudrais vous dire : laissez-vous toucher et réconforter par la proximité de Dieu. Il est proche de nous. La première parole que le Seigneur adresse à Jérémie est celle-ci : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais » (Jr 1, 5). C’est une déclaration d’amour que Dieu grave dans le cœur de chacun d’entre nous, que personne ne peut effacer et qui, au milieu des tempêtes de la vie, devient une source de réconfort. Pour nous, qui avons reçu l’appel à être les pasteurs du Peuple de Dieu, il est important de nous appuyer sur cette proximité du Seigneur, en nous « structurant dans la prière », en nous tenant pendant des heures devant Lui. Ce n’est qu’ainsi que le peuple qui nous est confié se rapproche du Bon Pasteur, et ce n’est qu’ainsi que nous devenons vraiment des pasteurs, car sans Lui nous ne pouvons rien faire (cf. Jn 15, 5). Nous serions des entrepreneurs, des « maîtres », mais nous ne suivrions pas l’appel du Seigneur. Sans Lui, nous ne pouvons rien faire. Qu’il ne nous arrive pas de nous considérer comme autosuffisants, et encore moins de voir dans l’épiscopat la possibilité d’accéder à une position sociale et d’exercer un pouvoir. Cet horrible esprit de  » carriérisme « . Et surtout : que n’entre pas l’esprit mondain qui nous fait interpréter le ministère selon les critères de nos intérêts lucratifs personnels, qui nous rend froids et détachés dans l’administration de ce qui nous est confié, qui nous pousse à nous servir de la fonction au lieu de servir les autres, et à ne plus nous soucier de la relation indispensable, humble et quotidienne, de la prière. N’oublions pas que la mondanité est le pire qui puisse arriver à l’Église, c’est le pire. J’ai toujours été touché par la fin du livre du cardinal de Lubac sur l’Église, les trois ou quatre dernières pages, où il dit : la mondanité spirituelle est le pire qui puisse arriver, pire encore que l’époque des papes mondains et concubins. C’est pire. Et la mondanité est toujours à l’affût. Soyons attentifs !

Chers frères évêques, soignons notre proximité avec le Seigneur afin d’être ses témoins crédibles et les porte-paroles de son amour auprès du peuple. C’est à travers nous qu’il veut l’oindre de l’huile de la consolation et de l’espérance ! Vous êtes la voix avec laquelle Dieu veut dire aux Congolais : « Tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu » (Dt 7, 6). L’annonce de l’Évangile, l’animation de la vie pastorale, la conduite du peuple ne peuvent se réduire à des principes éloignés de la réalité de la vie quotidienne, mais doivent toucher les blessures et communiquer la proximité divine, afin que les personnes découvrent leur dignité de fils de Dieu et apprennent à marcher la tête haute, sans jamais s’incliner devant les humiliations et les oppressions. Par vous, ce peuple a la grâce de s’entendre dire des paroles semblables à celles que le Seigneur adressa à Jérémie : « Tu es un peuple béni, avant de te former dans le ventre de ta mère, j’ai pensé à toi, je t’ai connu, je t’ai aimé ». Si nous cultivons la proximité avec Dieu, nous serons poussés vers le peuple et nous éprouverons toujours de la compassion pour ceux qui nous sont confiés. Cette attitude de compassion, qui n’est pas un sentiment, c’est un souffrir avec. Réconfortés et fortifiés par le Seigneur, nous devenons à notre tour des instruments de consolation et de réconciliation pour les autres, pour guérir les blessures de ceux qui souffrent, apaiser la peine de ceux qui pleurent, relever les pauvres, libérer les personnes de nombreuses formes d’esclavage et d’oppression. C’est dire que la proximité de Dieu fait de nous des prophètes pour le peuple, capables de semer la Parole qui sauve dans l’histoire blessée de cette terre.

Et pour approfondir ce deuxième point, la prophétie pour le peuple, regardons à nouveau l’expérience de Jérémie. Après avoir reçu la Parole aimante et consolante de Dieu, il est appelé à être « prophète pour les nations » (Jr 1, 5), envoyé pour apporter la lumière dans les ténèbres, pour témoigner dans un contexte de violence et de corruption. Et Jérémie, qui dévore la Parole du Seigneur, car elle est pour lui joie et allégresse du cœur (cf. Jr 15, 10), confesse que cette même Parole sème en lui une inquiétude irrépressible et le pousse à aller vers les autres pour qu’ils soient touchés par la présence de Dieu. Il écrit : « Elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os. Je m’épuisais à la maîtriser, sans y réussir » (Jr 20, 9). Nous ne pouvons pas garder la Parole de Dieu pour nous seuls, nous ne pouvons pas contenir sa puissance : elle est un feu qui brûle notre apathie et allume en nous le désir d’éclairer ceux qui sont dans les ténèbres. La Parole de Dieu est un feu qui brûle à l’intérieur et qui nous pousse à sortir ! Voilà notre identité épiscopale : brûlés par la Parole de Dieu, en sortie vers le peuple de Dieu, avec zèle apostolique !

Mais – nous pouvons nous demander – en quoi consiste cette annonce prophétique de la Parole, cette ardeur? Le Seigneur dit au prophète Jérémie : « Voici, je mets dans ta bouche mes paroles ! Vois : aujourd’hui, je te donne autorité sur les nations et les royaumes, pour arracher et renverser, pour détruire et démolir, pour bâtir et planter » (Jr 1, 9-10). Ce sont des verbes forts : d’abord arracher et renverser, pour finalement bâtir et planter. Il s’agit de collaborer à une histoire nouvelle que Dieu veut construire dans un monde de perversion et d’injustice. Vous aussi, donc, vous êtes appelés à continuer à faire entendre votre voix prophétique pour que les consciences se sentent interpellées et que chacun devienne acteur et responsable d’un avenir différent. Il faut donc arracher les plantes vénéneuses de la haine et de l’égoïsme, de la rancœur et de la violence ; renverser les autels consacrés à l’argent et à la corruption ; bâtir une coexistence basée sur la justice, la vérité et la paix ; et, enfin, planter les graines de la renaissance pour que le Congo de demain soit vraiment ce dont le Seigneur rêve : une terre bénie et heureuse, plus jamais violentée, opprimée ni ensanglantée.

Mais attention, il ne s’agit pas d’une action politique. La prophétie chrétienne s’incarne dans de multiples actions politiques et sociales, mais telle n’est pas la tâche des évêques et des pasteurs en général. Elle est d’annoncer la Parole pour éveiller les consciences, pour dénoncer le mal, pour réconforter ceux qui sont affligés et sans espérance.  » Consolez, consolez mon peuple  » : cette devise qui revient, revient, est une invitation du Seigneur : consolez le peuple. « Consolez, consolez mon peuple ». Il s’agit d’une annonce faite non seulement de mots mais aussi de proximité et de témoignage : proximité, tout d’abord, avec les prêtres – les prêtres sont ceux qui sont les plus proches d’un évêque -, écoute des agents pastoraux, encouragement de l’esprit synodal pour travailler ensemble. Et le témoignage, parce que les pasteurs doivent être crédibles, avant tout, en toutes choses, et en particulier dans le fait de cultiver la communion, dans la vie morale et dans l’administration des biens. Il est essentiel, en ce sens, de savoir construire l’harmonie sans se mettre sur des piédestaux, sans rudesses, mais en donnant le bon exemple du soutien et du pardon mutuel, en travaillant ensemble comme des modèles de fraternité, de paix et de simplicité évangéliques. Qu’il n’arrive jamais, alors que le peuple souffre de la faim, que l’on puisse dire de vous : « Ils n’en tinrent aucun compte et s’en allèrent, l’un à son champ, l’autre à son commerce » (Mt 22, 5). Non, le commerce, s’il vous plaît, laissons-le en dehors de la vigne du Seigneur ! Un pasteur ne peut pas être un homme d’affaires, il ne peut pas ! Nous sommes pasteurs et serviteurs du peuple de Dieu, pas des administrateurs de biens, pas des hommes d’affaires, des pasteurs ! L’administration de l’évêque doit être celle du berger : devant le troupeau, au milieu du troupeau, derrière le troupeau. Devant le troupeau pour montrer le chemin ; au milieu du troupeau pour sentir le troupeau, pour ne pas le perdre ; derrière le troupeau pour aider ceux qui vont plus lentement, et aussi pour laisser le troupeau seul pendant un moment et voir où il trouve des pâturages. Le berger doit se déplacer dans ces trois directions.

Chers frères évêques, j’ai partagé avec vous ce que je portais dans mon cœur : cultiver la proximité avec le Seigneur afin d’être des signes prophétiques de sa compassion pour le peuple. Je vous prie de ne pas négliger le dialogue avec Dieu et de ne pas laisser le feu de la prophétie s’éteindre, à cause de calculs ou de compromis avec le pouvoir, ni à cause d’une vie tranquille et routinière. Face au peuple qui souffre et face à l’injustice, l’Évangile exige que nous élevions la voix. Quand nous élevons notre voix selon Dieu, nous risquons. C’est ce qu’a fait l’un de vos frères, le serviteur de Dieu Mgr Christophe Munzihirwa, un pasteur courageux et une voix prophétique, qui a gardé son peuple en offrant sa vie. La veille de sa mort, il avait envoyé un message à tous en disant : « En ces jours, que pouvons-nous encore faire ? Restons fermes dans la foi. Ayons confiance que Dieu ne nous abandonnera pas et que, de quelque part, une petite lueur d’espérance naîtra pour nous. Dieu ne nous abandonnera pas si nous nous engageons à respecter la vie de nos voisins, quel que soit le groupe ethnique auquel ils appartiennent ». Le lendemain, il a été tué sur la place de la ville, mais sa graine, plantée dans cette terre, avec celle de beaucoup d’autres, portera du fruit. Il est bon de se souvenir, avec gratitude, des grands pasteurs qui ont marqué l’histoire de votre pays et de votre Église, de ceux qui vous ont évangélisés et précédés dans la foi. Frères, ils sont vos racines qui vous fortifient dans l’ardeur évangélique. Je pense à tout le bien que reçu par le fait d’avoir connu le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya.

Bien-aimés, n’ayez pas peur d’être des prophètes d’espérance pour le peuple, des voix concordantes de la consolation du Seigneur, des témoins et des messagers joyeux de l’Évangile, des apôtres de la justice, des Samaritains de la solidarité, des témoins de la miséricorde et de la réconciliation au milieu des violences déclenchées, non seulement par l’exploitation des ressources et les conflits ethniques et tribaux, mais aussi et surtout par la puissance obscure du malin, l’ennemi de Dieu et de l’homme. Mais ne vous découragez jamais : le Crucifié est ressuscité, Jésus est victorieux, bien plus, il a déjà vaincu le monde (cf. Jn 16, 33) et il veut briller en vous, dans votre précieux travail, dans votre ensemencement fécond de paix ! Frères, je veux vous remercier pour votre service, pour votre zèle pastoral, pour votre témoignage.

Et, maintenant que je suis arrivé au terme de ce voyage, je tiens à vous exprimer toute ma gratitude, ainsi qu’à ceux qui l’ont préparé ici. Vous avez eu la patience d’attendre un an, vous êtes bons ! Merci pour cela ! Vous avez dû travailler deux fois, car la première fois la visite a été annulée, mais je sais que vous êtes miséricordieux envers le Pape! Merci beaucoup ! En juin prochain, vous célébrerez le Congrès eucharistique national à Lubumbashi. Jésus est vraiment présent et à l’œuvre dans l’Eucharistie ; là, il restaure et guérit, console et unit, illumine et transforme ; là, il inspire, soutient et rend votre ministère efficace. Que la présence de Jésus, le pasteur doux et humble, vainqueur du mal et de la mort, transforme ce grand pays et soit toujours votre joie et votre espérance ! Je vous bénis de tout cœur.

Je voudrais ajouter une seule chose : j’ai dit  » soyez miséricordieux « . La miséricorde. Pardonnez toujours. Quand un croyant vient se confesser, il vient demander le pardon, il vient demander la caresse du Père. Et nous, d’un doigt accusateur : « Combien de fois ? Et comment l’avez-vous fait ?… ». Non, pas ça. Pardonnez. Toujours. « Mais je ne sais pas…, parce que le code me dit… ». Le code nous devons l’observer, car il est important, mais le cœur du pasteur va au-delà ! Prenez le risque. Pour le pardon, prenez des risques. Toujours. Pardonnez toujours dans le Sacrement de la Réconciliation. Et ainsi vous sèmerez le pardon pour l’ensemble de la société.

Je vous bénis de tout mon cœur. Et s’il vous plait, continuez à prier pour moi, car cette charge est un peu difficile ! Mais je me confie à vous. Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Discours du Saint-Père lors de sa rencontre de prière avec les prêtres, les diacres, les personnes consacrées et les séminaristes dans la cathédrale Notre-Dame du Congo

Le pape François poursuit sa visite en République démocratique du Congo et s’adresse aux prêtres, les diacres, les personnes consacrées et les séminaristes dans la cathédrale Notre-Dame du Congo.

Le Saint-Père visitera le Soudan du Sud dans les prochains jours (3-5 février) en pèlerinage œcuménique de paix.

 

RENCONTRE DE PRIÈRE AVEC LES PRÊTRES, LES DIACRES, LES PERSONNES CONSACRÉES ET LES SÉMINARISTES

DISCOURS DU SAINT-PÈRE

Cathédrale Notre-Dame du Congo (Kinshasa)
Jeudi 2 février 2023

Chers frères prêtres, diacres et séminaristes,
chers consacrés, bonsoir et bonne fête !

Je suis heureux de me trouver avec vous en ce jour précis, Présentation du Seigneur, le jour où nous prions spécialement pour la vie consacrée. Tous, comme Siméon, nous attendons la lumière du Seigneur pour qu’elle éclaire les ténèbres de notre vie. Plus encore, nous désirons tous vivre la même expérience qu’il a faite dans le Temple de Jérusalem : tenir Jésus dans ses bras. Le tenir dans les bras de manière à l’avoir devant les yeux et sur le cœur. En mettant Jésus au centre, le regard sur la vie change et, malgré les souffrances et les peines intérieures, nous nous sentons enveloppés de sa lumière, consolés par son Esprit, encouragés par sa Parole, soutenus par son amour.

Je dis cela en pensant au mot de bienvenue prononcé par le Cardinal Ambongo, que je remercie. Il a parlé « d’énormes défis » à affronter pour vivre l’engagement sacerdotal et religieux en cette terre marquée par des « conditions difficiles et parfois dangereuses », terre de tant de souffrances. Pourtant, comme il le rappelait, il y a aussi beaucoup de joie dans le service de l’Évangile et les vocations au sacerdoce et à la vie consacrée sont nombreuses. C’est l’abondance de la grâce de Dieu qui agit dans la faiblesse (cf. 2 Co 12, 9) et qui vous rend capables, avec les fidèles laïcs, de générer l’espérance dans les situations souvent douloureuses de votre peuple.

La certitude qui nous accompagne aussi dans les difficultés est donnée par la fidélité de Dieu qui dit, par le prophète Isaïe : « Je ferai passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides » (43, 19). J’ai pensé vous proposer quelques réflexions à partir de ces paroles d’Isaïe : Dieu ouvre des chemins dans nos déserts et nous, ministres ordonnés et personnes consacrées, nous sommes appelés à être le signe de cette promesse et à la réaliser dans l’histoire du Peuple saint de Dieu. Mais, concrètement, à quoi sommes-nous appelés ? À servir le peuple comme témoins de l’amour de Dieu. Isaïe nous aide à comprendre comment.

Par la bouche du prophète, le Seigneur rejoint son peuple à un moment dramatique, lorsque les Israélites sont déportés à Babylone et réduits en esclavage. Poussé par la compassion, Dieu veut les consoler. Cette partie du livre d’Isaïe est connue en effet comme “Livre de la Consolation”, parce que le Seigneur adresse à son peuple des paroles d’espérance et des promesses de salut. Et tout d’abord, il rappelle le lien d’amour qui le lie à son peuple : « Ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi. Quand tu traverseras les eaux, je serai avec toi, les fleuves ne te submergeront pas. Quand tu marcheras au milieu du feu, tu ne te brûleras pas, la flamme ne te consumera pas » (43, 1-2). Le Seigneur se révèle ainsi comme Dieu de la compassion et Il assure ne jamais nous laisser seuls, être toujours à nos côtés, refuge et force dans les difficultés. Dieu est compatissant. Les trois noms de Dieu, les trois caractéristiques de Dieu sont miséricorde, compassion et tendresse. Car tous ceux-ci font la proximité de Dieu : un Dieu proche, compatissant et tendre.

Chers prêtres et diacres, consacrés, séminaristes : à travers vous, le Seigneur veut aujourd’hui encore oindre son peuple avec l’huile de la consolation et de l’espérance. Et vous êtes appelés à vous faire l’écho de cette promesse de Dieu, à rappeler qu’Il nous a façonnés et que nous Lui appartenons, à encourager le cheminement de la communauté et à l’accompagner dans la foi à la rencontre de Celui qui marche déjà à nos côtés. Dieu ne permet pas aux eaux de nous submerger, ni au feu de nous brûler. Sentons que nous sommes porteurs de cette annonce au milieu des souffrances des gens. C’est ce que signifie être serviteurs du peuple : prêtres, sœurs, missionnaires qui ont fait l’expérience de la joie de la rencontre libératrice avec Jésus et qui l’offrent aux autres. Souvenons-nous-en : le sacerdoce et la vie consacrée deviennent arides si nous les vivons pour “nous servir” du peuple au lieu de “le servir”. Il ne s’agit pas d’un métier pour gagner ou avoir une position sociale, non plus pour s’occuper de la famille d’origine ; mais ils ont pour mission d’être des signes de la présence du Christ, de son amour inconditionnel, du pardon par lequel il veut nous réconcilier, de la compassion avec laquelle il veut prendre soin des pauvres. Nous avons été appelés à offrir notre vie pour nos frères et sœurs, en leur apportant Jésus, le seul qui guérit les blessures du cœur.

Pour vivre ainsi notre vocation, nous avons toujours des défis à affronter, des tentations à vaincre. Je voudrais m’arrêter brièvement sur les trois suivantes : la médiocrité spirituelle, le confort mondain, la superficialité.

Avant tout vaincre la médiocrité spirituelle. Comment ? La Présentation du Seigneur, qui dans l’Orient chrétien est appelée “fête de la rencontre”, nous rappelle la priorité de notre vie : rencontrer le Seigneur, en particulier dans la prière personnelle, car la relation avec Lui est le fondement de notre action. N’oublions pas que le secret de tout, c’est la prière car le ministère et l’apostolat ne sont pas d’abord notre œuvre et ne dépendent pas seulement de moyens humains. Alors vous me direz : oui, c’est vrai, mais les engagements, les urgences pastorales, les efforts apostoliques, la fatigue et autres risquent de ne pas laisser suffisamment de temps et d’énergie pour la prière. C’est pourquoi je voudrais partager quelques conseils : avant tout, tenons à certains rythmes liturgiques de la prière qui cadencent la journée, de la messe au bréviaire. La célébration eucharistique quotidienne est le cœur battant de la vie sacerdotale et religieuse. La Liturgie des Heures nous permet de prier avec l’Église, et avec régularité : ne la négligeons jamais ! Et n’oublions pas non plus la confession : nous avons toujours besoin d’être pardonnés afin de pouvoir donner la miséricorde. Un autre conseil : comme nous le savons, nous ne pouvons pas nous limiter à la récitation rituelle des prières, mais il faut réserver chaque jour un temps intense de prière, pour être cœur à cœur avec le Seigneur : un moment prolongé d’adoration, de méditation de la Parole, le saint Rosaire ; une rencontre intime avec Celui que nous aimons par-dessus tout. De plus, lorsque nous sommes en pleine activité, nous pouvons également recourir à la prière du cœur, à de brèves “oraisons jaculatoires” – elles sont un trésor, les oraisons jaculatoires –, des paroles de louange, d’action de grâce et d’invocation à répéter au Seigneur partout où nous nous trouvons. La prière nous décentre, nous ouvre à Dieu, nous remet sur pied parce qu’elle nous met entre ses mains. Elle crée en nous de l’espace pour faire l’expérience de la proximité de Dieu, afin que sa Parole nous devienne familière et, à travers nous, familière à tous ceux que nous rencontrons. Sans prière, on ne va pas loin. Enfin, pour surmonter la médiocrité spirituelle, ne nous lassons jamais d’invoquer la Vierge – elle est notre Mère – et d’apprendre d’elle à contempler et à suivre Jésus.

Le deuxième défi est celui de vaincre la tentation du confort mondain, d’une vie confortable dans laquelle on règle plus ou moins toutes les choses en avançant par inertie, recherchant notre confort et en nous traînant sans enthousiasme. Mais on perd de cette façon le cœur de la mission qui est de sortir des territoires du moi pour aller vers les frères et les sœurs, en exerçant, au nom de Dieu, l’art de la proximité. Un grand risque lié à la mondanité, spécialement dans un contexte de pauvreté et de souffrances, est celui de profiter du rôle que nous avons pour satisfaire nos besoins et notre confort. Il est triste, très triste de se replier sur soi-même en devenant de froids bureaucrates de l’esprit. Alors, au lieu de servir l’Évangile, nous nous soucions de gérer les finances et de mener à bien quelque affaire avantageuse pour nous. Frères et sœurs, c’est un scandale quand cela arrive dans la vie d’un prêtre ou d’un religieux, qui devraient au contraire être des modèles de sobriété et de liberté intérieure. Qu’il est beau en revanche de rester transparent dans les intentions et libéré des compromis avec l’argent, en embrassant avec joie la pauvreté évangélique et en travaillant aux côtés des pauvres ! Et qu’il est beau de rayonner en vivant le célibat comme signe de disponibilité complète au Royaume de Dieu ! Que ces vices, que nous voudrions éradiquer chez les autres et dans la société, ne se trouvent jamais enracinés en nous. S’il vous plaît, faisons attention au confort mondain.

Enfin, le troisième défi est celui de vaincre la tentation de la superficialité. Si le Peuple de Dieu attend d’être rejoint et consolé par la Parole du Seigneur, il y a besoin de prêtres et des religieux préparés, formés, passionnés de l’Évangile. Un don a été mis entre nos mains et il serait présomptueux de notre part de penser pouvoir vivre la mission à laquelle Dieu nous a appelés sans travailler chaque jour sur nous-mêmes, et sans nous former de manière comme il convient à la vie spirituelle à la théologie. Les gens n’ont pas besoin de fonctionnaires du sacré ni de diplômés à part du peuple. Nous sommes tenus d’entrer au cœur du mystère chrétien, d’en approfondir la doctrine, d’étudier et de méditer la Parole de Dieu ; et en même temps de rester ouverts aux inquiétudes de notre temps, aux questions toujours plus complexes de notre époque, pour comprendre la vie et les besoins des personnes, pour comprendre comment les prendre par la main et les accompagner. Par conséquent, la formation du clergé n’est pas une option. Je le dis aux séminaristes, mais cela vaut pour tous : la formation est un chemin à poursuivre toujours et toute la vie. On l’appelle formation permanente : la formation tout au long de la vie.

Ces défis dont je vous ai parlé doivent être affrontés si nous voulons servir le peuple comme témoins de l’amour de Dieu, car le service n’est efficace que s’il passe par le témoignage. Ne pas oublier ce mot : le témoignage. En effet, après avoir prononcé des paroles de consolation, le Seigneur dit par l’intermédiaire d’Isaïe : « Qui, parmi eux, peut annoncer cela et nous rappeler les événements du passé ? Vous êtes mes témoins » (43, 9.10). Témoins. Pour être de bons prêtres, diacres et personnes consacrées, les paroles et les intentions ne suffisent pas : c’est avant tout la vie qui parle, la vie personnelle. Chers frères et sœurs, en vous regardant, je rends grâce à Dieu, car vous êtes des signes de la présence de Jésus qui passe le long des routes de ce pays et touche la vie des personnes, les blessures de leur chair. Mais il faut encore de jeunes qui disent “oui” au Seigneur, d’autres prêtres et religieux qui, par leur vie, laissent transparaître sa beauté.

Dans vos témoignages, vous m’avez rappelé combien il est difficile de vivre la mission sur une terre riche de tant de beautés naturelles et de ressources, mais blessée par l’exploitation, la corruption, la violence et l’injustice. Mais vous avez aussi parlé de la parabole du bon samaritain : c’est Jésus qui passe le long de nos routes et, spécialement à travers son Église, qui s’arrête et prend soin des blessures des opprimés. Très chers amis, le ministère auquel vous êtes appelés est celui-ci : offrir proximité et consolation, comme une lumière toujours allumée au milieu de tant d’obscurité. Apprenons du Seigneur qui est proche, toujours. Et pour être frères et sœurs de tous, soyez-le d’abord entre vous : témoins de fraternité, jamais en guerre ; témoins de paix, apprenant à dépasser aussi les aspects particuliers des cultures et des origines ethniques, parce que, comme l’a affirmé Benoît XVI en s’adressant aux prêtres africains, « votre témoignage de vie pacifique, par-delà les frontières tribales et raciales, peut toucher les cœurs » (Exhort. ap. Africae munus, n. 108).

Un proverbe dit : « Le vent ne brise pas ce qui sait se plier ». L’histoire de beaucoup de peuples de ce continent a été malheureusement courbée et meurtrie par des blessures et des violences. Et donc, si un désir monte du cœur, c’est bien celui de ne plus devoir le faire, ne plus devoir se soumettre à l’autorité du plus fort, ne plus avoir à baisser la tête sous le joug de l’injustice. Mais nous pouvons accueillir les paroles du proverbe surtout dans un sens positif. Se plier n’est pas toujours synonyme de faiblesse, d’être lâche, mais de force. C’est aussi être flexible en surmontant les rigidités ; c’est cultiver une humanité docile qui ne se ferme pas dans la haine et la rancœur ; c’est être disponible à se laisser changer sans s’accrocher à ses idées et positions. Si nous nous inclinons devant Dieu, avec humilité, Il nous fait devenir comme Lui, des artisans de miséricorde. Quand nous restons dociles entre les mains de Dieu, Il nous façonne et fait de nous des personnes réconciliées, qui savent s’ouvrir et dialoguer, accueillir et pardonner, faire couler des fleuves de paix dans les steppes arides de la violence. Et, ainsi, lorsque soufflent impétueusement les vents des conflits et des divisions, ces personnes ne peuvent pas être brisées, parce qu’elles sont remplies de l’amour de Dieu. Soyez ainsi, vous aussi : dociles au Dieu de la miséricorde, jamais brisés par les vents des divisions.

Sœurs et frères, je vous remercie de tout cœur pour ce que vous êtes et ce que vous faites, je vous remercie pour votre témoignage à l’Église et au monde. Ne vous découragez pas, il y a besoin de vous ! Vous êtes précieux, importants : je vous le dis au nom de l’Église tout entière. Je vous souhaite d’être toujours des canaux de la consolation du Seigneur et des témoins joyeux de l’Évangile, prophétie de paix dans les spirales de la violence, disciples de l’Amour, prêts à soigner les blessures des pauvres et de ceux qui souffrent. Merci beaucoup, sœurs et frères, merci encore pour votre service et pour votre zèle pastoral. Je vous bénis et je vous porte dans mon cœur. Et vous, s’il vous plaît, n’oubliez pas de prier pour moi ! Merci.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

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