Cette semaine à Église en Sortie, Francis Denis reçoit Roberto Ciurleo, producteur de la comédie musicale Bernadette de Lourdes pour parler de la conception, de la réalisation et du rayonnement de ce spectacle qui sera bientôt produit au Québec. Et on vous présente un reportage sur la rencontre de la Commission épiscopale francophone pour les traductions liturgiques (CEFTL) à l’Abbaye trappiste de Val-Notre-Dame qui portait sur l’imminente publication de la nouvelle traduction française du Missel romain.
Moines de Tibhirine : une première reconnaissance pour le martyre de « l’offrande de la vie » ?
Depuis la sortie du film « Des hommes et des dieux », le monde entier connaît l’histoire des sept moines trappistes assassinés en Algérie le 21 mai 1996. Dès le départ, le sensus fidei du Peuple de Dieu avait discerné la sainteté de vie nécessaire à un tel don de soi. Toutefois l’Église, dans sa grande sagesse, opte pour une procédure plus stricte soit celle d’un procès en bon et due forme qui peut prendre de nombreuses années. L’année dernière, alors qu’on fêtait le 20e anniversaire de cet événement tragique, plusieurs se sont posés la question de l’éventuelle béatification/canonisation des moines. Ce n’est que la semaine dernière que les rumeurs se sont accentuées après que le postulateur de la cause, le frère Thomas Georgeon, ait confié à « Mondo e missione » que le décret de béatification pourrait être signé au mois de janvier. Connaissant l’obéissance des moines, on peut être certain qu’une telle information n’aurait pu être transmise sans l’autorisation préalable de la Congrégation pour la cause des saints.
Pour en savoir davantage, j’ai rencontré Dom André Barbeau. Actuellement père Abbé du monastère de Val Notre-Dame, Dom Barbeau fut durant plusieurs années père Abbé du monastère d’Aiguebelle, maison fondatrice d’un autre monastère, celui de Tibhirine. Nommé là-bas quelques jours après la mort des 7 moines, c’est à lui qu’avait été confiée la grande responsabilité des moines de Tibhirine en Algérie. Lors des commémorations du 20e anniversaire de la mort des frères, il était sur place en Algérie avec le postulateur de la cause. Voici l’essentiel de mon entretien avec lui lors de ma visite à Val Notre-Dame.
Quel fut votre rôle dans ce procès de béatification ?
Dom Barbeau : De mon côté, j’ai eu comme premier travail de réunir les archives. Lors de chaque voyage à Tibhirine, je ramenais une valise remplie de documents concernant la communauté. Si bien que j’ai réussi à réunir l’ensemble de ce qui se trouvait là-bas. Les frères écrivaient beaucoup. Ils recevaient beaucoup de lettres et entretenaient une grande correspondance. J’ai donc numérisé et publié tous les textes: les chapîtres et les homélies de Christian, le journal et les homélies de Christophe. À mesure que je les lisais et les transcrivais, j’étais frappé par la qualité, la profondeur et la pertinence théologique de la théologie des religions de Christian De Chergé.
Où en est le procès à l’heure actuelle ?
Dom André Barbeau : D’abord, il ne s’agit pas uniquement du procès des 7 frères trappistes mais des 19 martyrs d’Algérie. Comme il y avait dans le groupe un évêque, le libellé de la cause officielle est « Mgr Claverie et ses compagnons ».
À l’heure actuelle, tout est dans les mains de la Congrégation pour la Cause des saints. Au mois d’août dernier, le postulateur de la cause, qui est un moine trappiste français, a remis la depositio (document final) au Vatican. L’étude des écrits des frères a été fait par deux censeurs dont le théologien Gilles Routhier ainsi qu’un professeur de l’Université de Marseille où fut également ouverte une Chaire Tibhirine. Par contre, le cas de la reconnaissance de mes sept frères de Tibhirine posait un problème particulier.
Prenons par exemple, saint Maximilien Kolbe. Il n’est pas un martyr mais un saint puisqu’il n’a pas perdu sa vie par haine de la foi. Il a donné sa vie par amour pour une autre personne. Au procès de béatification cela n’a pas été un problème mais au procès de canonisation, il ne fut pas reconnu comme martyr.
« C’est par amour pour le peuple qu’ils sont restés et qu’ils ont été tués. »
On ne peut donc pas les définir comme martyrs puisqu’ils ne sont pas morts par haine de la foi : ce qui était encore jusqu’à l’année dernière la définition stricte du martyre. C’est par amour pour le peuple qu’ils sont restés et qu’ils ont été tués. Ce n’est pas par haine de la foi. Dom Barbeau a rencontré plusieurs membres de la famille qui étaient un peu scandalisés par le fait qu’ils ne soient pas reconnus comme martyrs.
L’innovation récente du pape François pour ouvrir une quatrième « voie » de reconnaissance du martyre par « l’offrande libre et volontaire de la vie et l’acceptation héroïque propter caritatem d’une mort certaine et à court terme… » peut-elle, selon vous, aider la cause des moines de Tibhirine ?
Dom André Barbeau : La quatrième voie que le Pape a ouverte est une magnifique nouveauté qui va permettre la sainteté de tous ceux qui sont restés au Moyen-Orient (Irak, Syrie, Iran, etc.). Qui sont restés par amour pour leur peuple et l’église locale!
Comme je vous l’ai dit, le dossier est déjà sur la table de la Congrégation depuis un bon moment. Aucune modification ne peut y être apportée. Par contre, ce nouveau critère pour la reconnaissance des martyrs fait en sorte que celle-ci peut jeter un regard nouveau sur le dossier et, peut-être, faciliter leur reconnaissance comme martyrs.
Cela peut également permettre une reconnaissance plus rapide. En effet, reconnaître le martyre « en haine de la foi » peut poser des problèmes diplomatiques et de relations avec l’Algérie ou d’autres pays. Par exemple, il y a déjà la cause des martyrs de Chine : 33 moines qui furent promenés à travers toute la Chine attachés à des fils de fer. Tout est documenté mais à cause de relations politiques et diplomatiques difficiles entre la Chine et le Vatican, tout est retardé.
Pour l’Algérie, cela n’est pas simple non plus mais, -et je crois qu’il a de cela derrière la décision du Pape-, cette nouvelle façon de faire permet de reconnaître leur dévouement et leur don de soi sans stigmatiser le peuple algérien et leur gouvernement. Ils ont choisi de rester au nom de l’Amour de Dieu et du peuple. Et, au nom de cette espérance, ils ont fait le sacrifice ultime. Cette nouvelle perspective empêche l’interlocuteur de se sentir menacé. Ainsi, on vient de contourner la partie problématique qui pouvait faire retarder le processus de béatification/canonisation. C’est très habile et très jésuite! Normalement le postulateur s’attend à ce que le décret de reconnaissance du martyre soit signé d’ici avril prochain 2018.
Dans les prochaines semaines, nous poursuivrons cet entretien avec Dom André Barbeau. On y apprendra des choses fascinantes sur l’histoire de la Communauté de Tibhirine après la tragédie de 1996.