Le remède du Carême selon le pape François

CNS photo/Vatican Medias

Le 6 février dernier, le pape François publiait son message du Carême 2018. Visant à réaffirmer la foi et l’ardeur de la charité des catholiques, ce message nous invite à l’introspection plus qu’à l’accusation lorsque nous considérons le mal dans notre monde.

L’ampleur du mal et les faux prophètes

Dans un premier temps, le Saint-Père nous exhorte à la vigilance envers les soi-disant « maîtres » qui se présentent à nous et que nous suivons trop souvent et facilement. En effet, « face à des événements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, jusqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité ». Mais qui sont ces faux prophètes contre lesquels nous devons nous prémunir ? Ce sont ceux qui viennent éteindre en nous la certitude en la primauté de la Providence de Dieu, qui naît de la foi.

Sommes-nous donc conscients et certains que devant l’ampleur du mal, Dieu écrit son Histoire Sainte ? Ou nous laissons-nous décourager par les mauvaises nouvelles jusqu’à nous justifier de notre inaction et remettre à plus tard cette soif de prière, pourtant bien réelle, qui demeure en nous tous ?

De charmés à charlatants

Lorsque nous nous laissons charmer par ces tentations de faux bonheurs (drogues, égoïsme, amour désordonné des richesses, concupiscence des yeux et orgueil), nous devenons nous-mêmes des charlatans puisque, par tout le mal que nous faisons ou ce bien que nous ne faisons pas par omission, nous participons à cette injustice cosmique contre les hommes et le monde. Ainsi, ces « « charmeurs de serpents », qui utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré » ne se contentent pas de faire de nous des pantins. Ils font de nous des tentateurs à notre tour.

Cela tient à la logique de notre nature. Créé pour l’Infini, notre cœur ne peut se satisfaire des bonnes choses de ce monde, d’où le besoin constant de nouveautés. Or cet appétit insatiable (chef-d’œuvre de la création lorsqu’il se déploie en Dieu) devient lui-même autodestructeur lorsqu’il n’y trouve pas son repos. On devient donc des consommateurs de biens matériels d’abord, et de personnes ensuite. Tout cela au grand détriment des plus pauvres et de l’environnement.

Cette pente glissante nous emmène tranquillement et sournoisement à ne plus reconnaître et même dédaigner les plus belles réalités de notre monde : « tout cela se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres « certitudes » : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes ».

Remède au mal

Devant les myriades de faux prophètes qui nous entourent, de ceux qui, par leur utopies ou distropies, nous promettent le paradis maintenant ou jamais, nous devons redécouvrir le mystère de la Providence divine. Cette omniprésence de Dieu qui, pour nous permettre de l’aimer librement, reste « caché » jusqu’à notre propre trépas.

En ce sens, ce temps de Carême nous permet de nous rendre compte que le seul vrai salut du monde, le seul vrai bonheur vient de notre union à ce Dieu qui s’est fait proche de nous en Jésus-Christ. Cette invitation prend une dimension très concrète pendant 40 jours où peuvent s’exprimer tout particulièrement des gestes qui, selon la Tradition de l’Église, sont à même de nous rapprocher de Dieu. En effet, « L’Église, notre mère et notre éducatrice, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne ». Dans cette attente active vers Pâques, nous explorerons plus en profondeur, au cours des prochaines semaines, ces quatre exercices de l’âme : vérité, prière, aumône et jeûne.

Message du pape François pour le Carême 2018

CNS photo/Max Rossi, Reuters

Vous trouverez ci-dessous le texte du Message du pape François pour le Carême 2018:

« À cause de l’ampleur du mal,
la charité de la plupart des hommes se refroidira »
(Mt 24, 12)

Chers Frères et Sœurs,

La Pâque du Seigneur vient une fois encore jusqu’à nous ! Chaque année, pour nous y préparer, la Providence de Dieu nous offre le temps du Carême. Il est le « signe sacramentel de notre conversion »[1], qui annonce et nous offre la possibilité de revenir au Seigneur de tout notre cœur et par toute notre vie.

Cette année encore, à travers ce message, je souhaite inviter l’Eglise entière à vivre ce temps de grâce dans la joie et en vérité ; et je le fais en me laissant inspirer par une expression de Jésus dans l’Évangile de Matthieu : « À cause de l’ampleur du mal, la charité de la plupart des hommes se refroidira » (24, 12). Cette phrase fait partie du discours sur la fin des temps prononcé à Jérusalem, au Mont des Oliviers, précisément là où commencera la Passion du Seigneur. Jésus, dans sa réponse à l’un de ses disciples, annonce une grande tribulation et il décrit la situation dans laquelle la communauté des croyants pourrait se retrouver : face à des évènements douloureux, certains faux prophètes tromperont beaucoup de personnes, presqu’au point d’éteindre dans les cœurs la charité qui est le centre de tout l’Évangile.

Les faux prophètes

Mettons-nous à l’écoute de ce passage et demandons-nous : sous quels traits ces faux prophètes se présentent-ils ? Ils sont comme des « charmeurs de serpents », c’est-à-dire qu’ils utilisent les émotions humaines pour réduire les personnes en esclavage et les mener à leur gré. Que d’enfants de Dieu se laissent séduire par l’attraction des plaisirs fugaces confondus avec le bonheur ! Combien d’hommes et de femmes vivent comme charmés par l’illusion de l’argent, qui en réalité les rend esclaves du profit ou d’intérêts mesquins ! Que de personnes vivent en pensant se suffire à elles-mêmes et tombent en proie à la solitude !

D’autres faux prophètes sont ces « charlatans » qui offrent des solutions simples et immédiates aux souffrances, des remèdes qui se révèlent cependant totalement inefficaces : à combien de jeunes a-t-on proposé le faux remède de la drogue, des relations « use et jette », des gains faciles mais malhonnêtes ! Combien d’autres encore se sont immergés dans une vie complètement virtuelle où les relations semblent plus faciles et plus rapides pour se révéler ensuite tragiquement privées de sens ! Ces escrocs, qui offrent des choses sans valeur, privent par contre de ce qui est le plus précieux : la dignité, la liberté et la capacité d’aimer. C’est la duperie de la vanité, qui nous conduit à faire le paon…. pour finir dans le ridicule ; et du ridicule, on ne se relève pas. Ce n’est pas étonnant : depuis toujours le démon, qui est « menteur et père du mensonge » (Jn 8, 44), présente le mal comme bien, et le faux comme vrai, afin de troubler le cœur de l’homme. C’est pourquoi chacun de nous est appelé à discerner en son cœur et à examiner s’il est menacé par les mensonges de ces faux prophètes. Il faut apprendre à ne pas en rester à l’immédiat, à la superficialité, mais à reconnaître ce qui laisse en nous une trace bonne et plus durable, parce que venant de Dieu et servant vraiment à notre bien.

Un cœur froid

Dans sa description de l’enfer, Dante Alighieri imagine le diable assis sur un trône de glace[2] ; il habite dans la froidure de l’amour étouffé. Demandons-nous donc : comment la charité se refroidit-elle en nous ? Quels sont les signes qui nous avertissent que l’amour risque de s’éteindre en nous?

Ce qui éteint la charité, c’est avant tout l’avidité de l’argent, « la racine de tous les maux » (1Tm 6, 10) ; elle est suivie du refus de Dieu, et donc du refus de trouver en lui notre consolation, préférant notre désolation au réconfort de sa Parole et de ses Sacrements.[3] Tout cela se transforme en violence à l’encontre de ceux qui sont considérés comme une menace à nos propres « certitudes » : l’enfant à naître, la personne âgée malade, l’hôte de passage, l’étranger, mais aussi le prochain qui ne correspond pas à nos attentes.

La création, elle aussi, devient un témoin silencieux de ce refroidissement de la charité : la terre est empoisonnée par les déchets jetés par négligence et par intérêt ; les mers, elles aussi polluées, doivent malheureusement engloutir les restes de nombreux naufragés des migrations forcées ; les cieux – qui dans le dessein de Dieu chantent sa gloire – sont sillonnés par des machines qui font pleuvoir des instruments de mort.

L’amour se refroidit également dans nos communautés. Dans l’Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium, j’ai tenté de donner une description des signes les plus évidents de ce manque d’amour. Les voici : l’acédie égoïste, le pessimisme stérile, la tentation de l’isolement et de l’engagement dans des guerres fratricides sans fin, la mentalité mondaine qui conduit à ne rechercher que les apparences, réduisant ainsi l’ardeur missionnaire.[4]

Que faire ?

Si nous constatons en nous-mêmes ou autour de nous les signes que nous venons de décrire, c’est que l’Eglise, notre mère et notre éducatrice, nous offre pendant ce temps du Carême, avec le remède parfois amer de la vérité, le doux remède de la prière, de l’aumône et du jeûne.

En consacrant plus de temps à la prière, nous permettons à notre cœur de découvrir les mensonges secrets par lesquels nous nous trompons nous-mêmes[5], afin de rechercher enfin la consolation en Dieu. Il est notre Père et il veut nous donner la vie.

La pratique de l’aumône libère de l’avidité et aide à découvrir que l’autre est mon frère : ce que je possède n’est jamais seulement mien. Comme je voudrais que l’aumône puisse devenir pour tous un style de vie authentique ! Comme je voudrais que nous suivions comme chrétiens l’exemple des Apôtres, et reconnaissions dans la possibilité du partage de nos biens avec les autres un témoignage concret de la communion que nous vivons dans l’Eglise. A cet égard, je fais mienne l’exhortation de Saint Paul quand il s’adressait aux Corinthiens pour la collecte en faveur de la communauté de Jérusalem : « C’est ce qui vous est utile, à vous » (2 Co 8, 10). Ceci vaut spécialement pour le temps de carême, au cours duquel de nombreux organismes font des collectes en faveur des Eglises et des populations en difficulté. Mais comme j’aimerais que dans nos relations quotidiennes aussi, devant tout frère qui nous demande une aide, nous découvrions qu’il y a là un appel de la Providence divine: chaque aumône est une occasion pour collaborer avec la Providence de Dieu envers ses enfants ; s’il se sert de moi aujourd’hui pour venir en aide à un frère, comment demain ne pourvoirait-il pas également à mes nécessités, lui qui ne se laisse pas vaincre en générosité ? [6]

Le jeûne enfin réduit la force de notre violence, il nous désarme et devient une grande occasion de croissance. D’une part, il nous permet d’expérimenter ce qu’éprouvent tous ceux qui manquent même du strict nécessaire et connaissent les affres quotidiennes de la faim ; d’autre part, il représente la condition de notre âme, affamée de bonté et assoiffée de la vie de Dieu. Le jeûne nous réveille, nous rend plus attentifs à Dieu et au prochain, il réveille la volonté d’obéir à Dieu, qui seul rassasie notre faim.

Je voudrais que ma voix parvienne au-delà des confins de l’Eglise catholique, et vous rejoigne tous, hommes et femmes de bonne volonté, ouverts à l’écoute de Dieu. Si vous êtes, comme nous, affligés par la propagation de l’iniquité dans le monde, si vous êtes préoccupés par le froid qui paralyse les cœurs et les actions, si vous constatez la diminution du sens d’humanité commune, unissez-vous à nous pour qu’ensemble nous invoquions Dieu, pour qu’ensemble nous jeûnions et qu’avec nous vous donniez ce que vous pouvez pour aider nos frères !

Le feu de Pâques

J’invite tout particulièrement les membres de l’Eglise à entreprendre avec zèle ce chemin du carême, soutenus par l’aumône, le jeûne et la prière. S’il nous semble parfois que la charité s’éteint dans de nombreux cœurs, cela ne peut arriver dans le cœur de Dieu ! Il nous offre toujours de nouvelles occasions pour que nous puissions recommencer à aimer.

L’initiative des « 24 heures pour le Seigneur », qui nous invite à célébrer le sacrement de Réconciliation pendant l’adoration eucharistique, sera également cette année encore une occasion propice. En 2018, elle se déroulera les vendredi 9 et samedi 10 mars, s’inspirant des paroles du Psaume 130 : « Près de toi se trouve le pardon » (Ps 130, 4). Dans tous les diocèses, il y aura au moins une église ouverte pendant 24 heures qui offrira la possibilité de l’adoration eucharistique et de la confession sacramentelle.

Au cours de la nuit de Pâques, nous vivrons à nouveau le rite suggestif du cierge pascal : irradiant du « feu nouveau », la lumière chassera peu à peu les ténèbres et illuminera l’assemblée liturgique. « Que la lumière du Christ, ressuscitant dans la gloire, dissipe les ténèbres de notre cœur et de notre esprit »[7] afin que tous nous puissions revivre l’expérience des disciples d’Emmaüs : écouter la parole du Seigneur et nous nourrir du Pain eucharistique permettra à notre cœur de redevenir brûlant de foi, d’espérance et de charité.

Je vous bénis de tout cœur et je prie pour vous. N’oubliez pas de prier pour moi.

Du Vatican, le 1er November 2017
Solennité de la Toussaint

François

[1] Texte original en italien: “segno sacramentale della nostra conversione”, in: Messale Romano, Oraison Collecte du 1er dimanche de carême. N.B. Cette phrase n’a pas encore été traduite dans la révision (3ème), qui est en cours, du Missel romain en français.

[2] « C’est là que l’empereur du douloureux royaume/de la moitié du corps se dresse hors des glaces » (Enfer XXXIV, 28-29)

[3] « C’est curieux, mais souvent nous avons peur de la consolation, d’être consolés. Au contraire, nous nous sentons plus en sécurité dans la tristesse et dans la désolation. Vous savez pourquoi ? Parce que dans la tristesse nous nous sentons presque protagonistes. Mais en revanche, dans la consolation, c’est l’Esprit Saint le protagoniste ! » (Angelus, 7 décembre 2014)

[4] Nn. 76-109

[5] Cf Benoît XVI , Lett. Enc. Spe Salvi, n. 33

[6] Cf Pie XII, Lett. Enc. Fidei donum, III

[7] Missel romain, Veillée pascale, Lucernaire

Aimer même nos ennemis : Le chemin de la Croix

Une réflexion pour le dimanche des Rameaux

Il y a deux lectures de l’Évangile pour ce dimanche, dimanche des Rameaux. D’abord, l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem (Matthieu 21,1-11). Cette Évangile est proclamée lors de la bénédiction des rameaux, qui nous unit aux foules qui ont crié « Hosanna ! » et ont acclamé Jésus comme leur roi, « Celui qui vient au nom du Seigneur » ! La deuxième lecture de l’Évangile est celle de la Passion selon Saint Matthieu (26,14-27,66).

Il n’est pas difficile à voir le contraste saisissant entre l’entrée de Jésus à Jérusalem et Sa souffrance et Sa mort dans la même ville quelques jours plus tard. Les mêmes foules qui ont proclamé Jésus comme leur roi, le Messie, le « Fils de David », Le mettront à mort sous l’accusation d’être « Roi des Juifs ». Les mêmes voix qui ont crié « Hosanna » hurleront « Crucifiez-Le ! » et verront leurs paroles réalisées.

Nous, nous voyons le contraste perturbant comme des gens qui voient la situation dans son ensemble. Nous voyons tout l’événement comme il s’est passé dans son intégralité, comme il s’est déroulé dans les pages de l’Évangile. Mais qu’en est-il pour Jésus ?

A-t-Il pensé que tout serait facile lorsqu’Il est entré à Jérusalem ? S’est-Il trompé en pensant que l’admiration du dimanche des Rameaux aboutirait dans un règne glorieux, qu’Il serait élevé sur les épaules de Ses admirateurs ? Est-ce que Jésus a été dupé par la jubilation des foules qui L’ont accueilli ?

Jésus entre à Jérusalem sûr de Sa mort. Non pas seulement qu’Il mourra, mais qu’Il sera trahi, qu’Il sera rejeté, qu’Il souffrira terriblement, et qu’Il sera tué. En effet, Jésus annonce Sa souffrance et Sa mort encore et encore dans l’Évangile. Il dit à Ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué… » (Mc 8,31 ; Lc 9,22 ; cf. Mt 17,22). Il les avertit sévèrement : « Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes » (Lc 9,44 ; cf. Mt 17,23).

Alors pourquoi est-ce que Jésus leur permet-il de L’accueillir de cette façon ? Il n’a pas cessé de critiquer l’hypocrisie des Pharisiens, alors pourquoi ne pas réprimander l’hypocrisie de la foule – qui L’applaudit aujourd’hui mais qui L’abandonnera demain ? D’un côté, ce que la foule proclame est véridique. Jésus est véritablement celui pour qui ils ont attendu : le Messie, le roi, le Fils de David ! Leurs cris de joie ne sont pas vains : « Hosanna ! Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » Personne ne peut les prendre en défaut pour ne pas avoir dit la vérité !

En même temps, sous l’influence des grands prêtres, les anciens et les scribes, ils s’éloigneront de Lui, comme les disciples, L’abandonnant à l’agonie de la Croix. Pourquoi Jésus n’a-t-il pas protesté contre eux ? « Malheur à vous, hypocrites ! Ne savez-vous pas que Je viens pour mourir ? ». En fait, Jésus n’a pas protesté contre eux parce qu’Il sait qu’Il est venu mourir pour eux. Il n’a pas eu besoin de leur amour, là n’était pas la raison de Son silence, c’était plutôt Son amour pour eux.

Nous voyons dans ces deux lectures de l’Évangile l’exemple par excellence de l’enseignement de Jésus : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Lc 6,27 ; cf. Mt 5,44). Souvent nous pouvons penser que nous n’avons pas beaucoup de véritables ennemis dans notre vie. Il peut être difficile de trouver des personnes que nous haïssons vraiment. Plus souvent, c’est plutôt la tiédeur de nos proches qui nous blesse le plus. C’est quand les personnes que nous aimons sont silencieuses que nous souffrons le plus. C’est quand nos proches s’éloignent de nous que nous nous sentons le plus abandonnés. Parfois cet abandon est définitif, pour toujours. Parfois c’est de façon simple, dans le quotidien. Cependant, nous pouvons être blessés quand même.

En voyant ce qui se passe ce dimanche des Rameaux et ce qui se passera dans les jours qui suivront, nous découvrons l’approche de Jésus dans ces situations. « Aimez vos ennemis » n’est pas seulement une leçon à appliquer à nos ennemis les plus jurés. C’est aussi une attitude d’amour envers les petits ennemis que nous pouvons trouver cachés dans nos amis les plus proches. Nous n’acceptons pas ces fautes ou incohérences de nos voisins, de nos amis, ou des membres de nos familles simplement par obligation, ni parce que nous avons besoin de leur amour, ni parce que nous voulons avoir un visage doux tout en ayant un cœur aigre. Au contraire, nous acceptons même leurs faiblesses à cause de notre amour pour eux. Nous acceptons leurs faiblesses comme Jésus a accepté celles de la foule qui L’a accueilli à Jérusalem. Nous acceptons leurs faiblesses comme Jésus accepte nos faiblesses.

Jésus monte à Jérusalem afin de mourir pour la foule qui L’accueille. Jésus monte à Jérusalem pour être trahi non seulement par Ses ennemis – les grands prêtres, les anciens et les scribes –, mais aussi par Ses proches, Ses admirateurs et Ses disciples. Il entre à Jérusalem et souffre à mort dans Son amour pour chacun d’entre eux. Il accepte leur amour à cause de ce même amour qu’Il a pour eux. Accueillons-nous l’amour des autres comme Il accueille notre amour pour Lui ? Sommes-nous capables de les aimer même quand leurs « Hosannas » sont trompeurs ? Est-ce que nous les aimons comme Jésus nous aime ?

Que fait Dieu face au mal ?

Une réflexion pour le cinquième dimanche du Carême

La question est souvent posée : « Si Dieu est bon, pourquoi le mal existe-il dans le monde ? ». Souvent ce dilemme est même employé comme un preuve que Dieu n’existe pas – si Dieu est infiniment bon et tout-puissant, ne peut-il pas empêcher tout ce qui est mauvais ?

L’Évangile du cinquième dimanche de Carême (Jean 11,1-45) éclaire cette question qui hante l’humanité depuis des siècles. Que fait Dieu face au mal ? Quelle est Sa réaction face à la souffrance ?

Dans l’Évangile de ce dimanche, Jésus vient de fuir la Judée où les juifs ont tenté de Le lapider à mort. Là, sur l’autre côté du Jourdain, Il reçoit des nouvelles de Marie et Marthe de Béthanie, deux milles à peine de Jérusalem au cœur de la Judée. Elles font passer un mot à propos de leur frère Lazare, ami intime de Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade ». Jésus rassure Ses disciples en disant : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu… » Après deux jours, Jésus leur dit : « Revenons en Judée… Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil ». Les disciples protestent et répliquent que si Lazare est simplement endormi, tout va bien. Jésus précise : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là, à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! »

Arrivé à Béthanie, Jésus apprend que Lazare est déjà au tombeau depuis quatre jours. Marie et Marthe sont tout naturellement désemparées et dévastées. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Jésus lui dit, « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répond : « Oui, Seigneur, je le crois ». Puis elle appelle Marie, qui adresse à Jésus les mêmes paroles que celles dites par sa sœur : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ». Ensuite, elle se met à pleurer aux pieds de Jésus. Ceux qui sont venus avec elle pleurent aussi. L’Évangile nous raconte que Jésus « en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé ». Il demande : « Où l’avez-vous déposé ? » Puis, Jésus se mit à pleurer.

Jésus les accompagne au tombeau. Il donne l’ordre d’enlever la pierre. L’Évangile dit qu’il sentait déjà ; le corps de Lazare avait déjà commencé à se décomposer. Jésus crie d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Lazare sortit, les mains et les pieds liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller ».

Que voyons-nous dans la réaction de Jésus à cette situation ?

Jésus est informé que Lazare est malade. Jésus dit que cette maladie ne conduit pas à la mort. Deux jours après, sans aucune autre nouvelle de Marie et Marthe, Jésus sait que Lazare est mort et se met en route afin de le tirer de ce sommeil. Au début  Jésus a-t-il sous-estimé la maladie de Lazare? Sûrement pas. Jésus sait que Lazare mourra de cette maladie, mais Il dit quand même, « cette maladie ne conduit pas à la mort ».

Que signifie cela pour nous ? Jésus sait que Lazare mourra, mais Il sait aussi que la mort n’aura pas le dernier mot. Il y a quelque chose de plus grand que sa maladie. Cette maladie ne conduit pas à la mort, mais à la résurrection.

Jésus se risque en Judée avec l’intention formelle de ressusciter Lazare. Il n’a aucun doute. Arrivé à Béthanie, Il proclame à Marthe : « Moi, je suis la résurrection et la vie. » Jésus sait qu’Il ressuscitera Lazare. Tout de suite après, Jésus rencontre Marie, et Il pleure. Pourquoi ?

Jésus ne se met pas à pleurer parce qu’Il a perdu toute espérance. Il ne se met pas à pleurer parce que Lazare est éternellement perdu. Il ne se met pas à pleurer parce qu’ Il ne verra plus Son ami. Jésus sait que Lazare sera ressuscité.

Au contraire, Jésus se met à pleurer à cause de la souffrance de Marie et de Marthe. Il ne se met pas à pleurer parce que leur souffrance est désespérée ni parce que leur souffrance n’a aucun sens. Jésus sait que leur tristesse se transformera en joie lorsqu’Il ressuscitera leur frère de la mort. Pourtant Jésus pleure quand même. Il est saisi d’émotion, Il est bouleversé et Il pleure.

Dieu n’est pas aveugle à notre souffrance. Il voit notre douleur, notre chagrin, et nos soucis. Il voit le mal dans le monde. Il voit les enfants qui n’ont rien à manger. Il voit les familles brisées par la haine et la discorde. Il voit les bébés nés avec des graves maladies. Il voit les personnes prises par la dépendance. Il voit les personnes qui sont abusées et maltraitées. Il voit notre tristesse à la perte d’êtres chers. Et Il pleure. Dieu pleure face à notre souffrance. Il nous aime comme Jésus a aimé Lazare. Il est saisi d’émotion et Il est bouleversé. Mais Sa réponse ne se termine pas par Ses larmes. Sinon, la souffrance, le mal, la mort auraient le dernier mot.

Au contraire, Dieu veut nous faire sortir des tombeaux qui nous étouffent. Il veut nous délier et nous rendre libres. Et c’est justement cela qu’Il fait. C’est la raison pour laquelle Jésus est venu. Non seulement du Jourdain jusqu’à la Judée, mais aussi du ciel jusqu’à la terre. Et cela non seulement pour ramener Lazare à la vie et le sortir du tombeau après quatre jours, mais aussi pour nous ramener à la vie, nous sortir de notre souffrance, de notre tristesse, de nos douleurs, et finalement pour nous ressusciter nous aussi de la mort à la vie éternelle. Jésus est la résurrection et la vie. Il vient nous ressusciter et nous donner la vie éternellement.

Peu importe combien de temps nous avons été enfermés dans le tombeau, peu importe à quel point la situation est grave ou le problème sérieux – peu importe même si ça sent –, Dieu aura toujours le dernier mot. Cela peut nous paraître peu clair. Cela peut nous conduire à dire avec Marthe et Marie : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. ». Il est possible que la peine dure ou que la blessure demeure. Mais Dieu voit. Dieu sait. Notre peine ne Lui est pas étrangère. Il pleure avec nous. Il nous donne l’espérance face à nos blessures. Il dit à notre sujet ce qu’Il a dit aux disciples à propos de Lazare : « Allons auprès de lui ! », « Allons auprès d’elle ! ». Il vient et Il se tient debout aux pieds de notre tombeau afin de nous ressusciter. Écoutons Sa voix lorsqu’Il crie fortement notre nom ! Alors, nous aussi, nous ressusciterons de la profondeur de la mort. Face au mal, face à la souffrance, Dieu pleure et Il vient nous ramener de la mort à la vie.

Chasser l’aveuglement : retrouver la vue dans la lumière du Christ

Une réflexion pour le quatrième dimanche du Carême

Il est difficile d’imaginer à quel point la vie serait différente si nous étions nés aveugles. Comment fonctionnerions-nous ? Comment percevrions-nous le monde ? Mais est-ce que la cécité physique est la seule sorte d’aveuglement ? S’agit-il du pire type d’aveuglement ?

Le quatrième dimanche du Carême nous montre que ce n’est pas le cas. Il nous est présenté l’Évangile du mendiant aveugle de naissance (Jean 9,1-41). Le récit commence lorsque Jésus arrive sur les lieux avec Ses disciples. Tout de suite, ils Lui demandent : « Qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? ». « Ni lui, ni ses parents », réplique Jésus. C’était plutôt pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Jésus termine : « Je suis la lumière du monde. » Puis, Il crache à terre, Il fait de la boue, Il la met sur les yeux du mendiant, et Il l’envoie se laver à la piscine de Siloé. Miraculeusement, quand l’homme revient, il voit.

Les voisins de l’aveugle-né sont sceptiques : « Comment est-ce possible ? ». Celui-ci répond simplement : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : ‘Va à Siloé et lave-toi.’ J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. ». Incrédules, ils l’amènent aux Pharisiens. Là, il raconte une deuxième fois ce que Jésus a fait pour lui. La stratégie des Pharisiens est de discréditer Jésus en en faisant un pécheur. Dans l’échange qui suit, même les parents de l’homme sont interrogés pour confirmer qu’il était véritablement né aveugle. Doute sur doute sur doute.

Jésus revient à l’homme, qui proclame sa foi toute simple, pas du tout affectée par le cynisme qui l’entoure : « Je crois, Seigneur ! ». Les Pharisiens inquisiteurs reviennent une fois encore. Ils demandent à Jésus : « Serions-nous aveugles, nous aussi ? ». La réponse de Jésus met un point final qui résume tout l’événement : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais à partir du moment où vous dites : ‘Nous voyons !’, votre péché demeure. »

Que tirons-nous de tout cela ?

Dès le début, les disciples, les voisins, et les Pharisiens nous révèlent quelque chose sur notre nature humaine. Les disciples pointent leurs doigts accusateurs. Sûrement, ce doit être la faute de quelqu’un dans le cas d’un homme né aveugle. Alors, qui est coupable ? – Le mendiant ou ses parents ? Ses voisins se joignent au cynisme des disciples. Au lieu de se réjouir du fait que leur voisin peut finalement voir, ils sont méfiants. Ne trouvant aucune autre façon d’expliquer la situation, les Pharisiens ont recours à une accusation contre Jésus, et Lui trouvent comme une fraude.

Comme il est facile de tomber dans le même piège ! Quand nous ne comprenons pas, quand nous ne maitrisons pas une situation, nous nous sentons menacés ! Alors nous devenons méfiants, nous accusons les autres, nous fabriquons des histoires. Nous sommes alors absorbés par notre propre perspective et nous perdons de vue l’ensemble. Nous pensons seulement à notre propre bien au détriment du bien des autres. Pourquoi est-il si difficile de se réjouir et d’apprécier les bonnes choses qui arrivent aux autres ? Pourquoi est-ce que les hommages et les succès qui arrivent aux autres nous rendent-ils malheureux ou mal-à-l’aise ? Quel aveuglement nous empêche de voir la bonté qui nous entoure ? Et comment sortir de cet aveuglement ?

Jésus donne à Ses disciples le secret pour guérir leur aveuglement même avant qu’Il commence à guérir l’homme né aveugle. Il leur dit : « Je suis la lumière du monde. ». Voilà le remède à leur aveuglement. L’homme aveugle de naissance manifeste la puissance de Dieu en révélant le remède à notre aveuglement. Le remède qui nous rend capable de voir véritablement : c’est Jésus !

L’aveuglement des Pharisiens prend racine dans leur manque d’assurance. Ils ne peuvent pas accepter que Jésus fasse du bien de peur que cela mette en péril leur statut dans la société. Leur vision était si obscurcie par leur volonté d’avoir raison qu’ils étaient incapables de se réjouir lorsque l’homme né aveugle fut définitivement guéri. Ils étaient à ce point absorbés par leurs tentatives de prouver leur supériorité face aux autres que leurs manigances les ont empêchés de voir la puissance de la bonté de Dieu. Leur attachement à leur propre perspective a brouillé leur vision les empêchant de voir les choses à partir de la perspective de Dieu.

Jésus est la vraie lumière par laquelle nous sommes capables de nous voir nous-même et notre voisin. Dieu voit les choses comme elles sont véritablement. Jésus nous révèle la perspective de Dieu. Il est l’antidote à notre cynisme, notre doute, et notre méfiance qui nous empêchent de voir clairement la réalité. Ils obscurcissent notre vision et nous portent à trébucher. Si nous doutons de la bonté de Dieu, nous aussi, nous devenons insécures. Nous pouvons faire passer notre manque d’assurance sur les autres, et nous pouvons être tentés de les rabaisser afin de réussir. Nous pouvons les ignorer afin de nous rassurer. Nous pouvons échouer à voir notre vraie valeur. L’orgueil et l’égoïsme s’installent quand nous ne nous voyons pas comme Dieu nous voit. Alors, nous essayons de compenser en prétendant être meilleurs que les autres, en les rabaissant pour nous sentir mieux. Comme dans le cas des Pharisiens, notre aveuglement face à la vérité sur les autres vient de notre aveuglement face à la vérité sur nous-même.

La cure c’est de croire avec la foi simple de l’homme né aveugle : « Je crois, Seigneur ! ». Cette cure nous permet de voir la vérité sur nous-mêmes, de nous voir à travers la lumière de Jésus. Dans Sa lumière, nous nous voyons tels que nous sommes véritablement. Nous nous voyons comme Dieu nous voit. Nous voyons que Dieu nous aime vraiment, nous voyons que Dieu nous a créés, et nous voyons qu’en Jésus, Dieu est venu pour racheter nos péchés. Nous voyons ainsi que Dieu est vraiment miséricordieux, qu’Il se réjouit de nous pardonner. Nous voyons que le pardon de Dieu n’est pas seulement pour toute l’humanité globalement, mais aussi pour chacun de nous, pour moi personnellement. Nous voyons que Dieu veut ce qui est véritablement bon pour nous, et qu’Il ne se fatigue jamais de nous accueillir encore et encore, les bras ouverts. Nous voyons que nous sommes bons à Ses yeux. Lorsque nous voyons par la lumière du Christ, nous commençons à voir véritablement.

Quelle menace est-ce que l’homme né aveugle représentait pour les Pharisiens ? Pourquoi est-ce que ses voisins n’ont pas accepté qu’il soit guéri ? La guérison de cet aveugle menaçait l’aveuglement des Pharisiens. Leur aveuglement les a empêchés de voir la lumière qui vient de Jésus. Leurs yeux sont restés fermés à la vérité sur eux-mêmes, et donc ils n’ont pas pu accepter la vérité sur Dieu et sur les autres. Jésus vient illuminer notre vision afin que nous puissions voir la bonté de Dieu – à l’œuvre dans notre vie et la vie de nos voisins. Il ouvre nos yeux afin que nous puissions voir véritablement.

Le don de Dieu : la rencontre qui désaltère

Une réflexion pour le troisième dimanche du carême

Nous avons tous un aspect de nous-mêmes que nous souhaiterions différent. Quelque chose en nous que nous souhaitons autre. Souvent cet aspect est une source de honte, de peur, de regret ou d’embarras. C’est quelque chose qui nous rend malheureux et que nous aimerions voir disparaître. Nous souhaitons que ça change mais rien n’y fait ! Que peut-on faire de plus?

L’Évangile de ce troisième dimanche du carême (Jean 4,5-42) commence avec un curieuse précision de temps : « C’était la sixième heure, environ midi ». Jésus atteint une ville de Samarie où il y a un puits construit par Jacob le patriarche, celui qui a donné sa tunique de plusieurs couleurs à son fils Joseph. Jésus arrive vers midi. S’agit-il simplement d’une précision pour mieux définir les lieux ? Justement non ! À l’époque de Jésus, personne n’allait au puits au milieu du jour. Tout le monde s’abritait du soleil de midi. Personne ne voulait s’aventurer au puits, avec une cruche en plus, pour ensuite la ramener pleine à ras bord chez soi. Juste y penser nous fait transpirer !

Mais Jésus arrive à midi quand même. Le puits est désert. Il est fatigué et Il s’assoit. Une femme arrive seule pour puiser de l’eau. Elle ne s’attendait pas à rencontrer quelqu’un au puits. C’est précisément pour cette raison qu’elle a choisi de venir à cette heure-là. Quelle surprise de trouver un homme assis en pleine chaleur à midi ! Jésus lui demande une gorgée d’eau. La question la met mal à l’aise : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » Aucun Juif qui se respectait ne voulait avoir affaire avec un Samaritain au temps de Jésus. Cependant Jésus réplique : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire,” c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive ».

La conversation qui suivra dépasse toutes les attentes de la femme. La voilà l’eau qu’elle cherchait ! Jésus sait qu’elle a eu cinq maris. Jésus sait que celui avec qui elle vit maintenant n’est pas l’un d’eux. La rencontre est si forte que, là sous le soleil de midi, la femme qui un moment avant voulait rester cachée et passer inaperçue, laisse sa cruche et se hâte vers la ville en s’exclamant : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Son témoignage est si lumineux que les gens de sa ville accueillent Jésus chez eux et croient en Lui.

Que tirons-nous d’une telle rencontre ? Quel impact a-t-elle sur notre chemin de carême et notre chemin de vie ? Nous aussi, nous avons soif. Nous aussi, nous avons des aspects de nos vies qui nous font honte et peur, qui nous rendent malheureux. Nous avons soif. Jésus vient à nous dans notre soif, dans les aspects de nos vies où nous avons le plus grand besoin de Lui. Il connaît ces aspects de nous avant même que nous disions un mot. Il sait que nous avons soif et Il lui tarde de nous désaltérer. Jésus vient essuyer la buée qui brouille le pare-brise de nos vies. Il est venu laver les taches que nous cherchons à dissimuler. Il est venu enlever notre péché et nous remplir de l’eau qui désaltère. Jésus est l’eau qui désaltère !

Jésus nous apporte quelque chose qui ne rentre pas dans une cruche. Jésus nous apporte l’amour de Dieu. Cet Amour vient à la rencontre de la femme au puits. Il connaissait déjà toutes sa vie et son histoire. Il a voulu la libérer de ce qui l’enchaînait le plus. C’est un Amour qui désire nous pardonner et nous rendre libres. Jésus nous parle non pas comme un juge impatient, mais comme un ami qui s’assoit à nos côtés sous le soleil de midi. Cet Ami a les réponses que nous cherchons. Il est Lui-même l’eau vive qui nous désaltère. Nous pouvons nous confier à Lui. Nous pouvons Lui parler comme à un ami, comme à quelqu’un qui nous connaît et qui nous veut du bien.

L’Évangile de la femme samaritaine nous lance un défi. Nous sommes appelés à l’imiter. Allez vers Jésus. Parlez avec Lui à cœur ouvert. Permettez-Lui d’entrer vos peurs, vos hontes, vos inquiétudes, et vos incertitudes. N’ayons pas peur. Il n’est pas venu nous juger. Il nous apporte l’amour de Dieu. Jésus vient à nous à midi. Il nous rencontre dans la chaleur, en plein midi, pour nous désaltérer. Jésus sait que nous avons soif. Il veut nous désaltérer. Jésus est l’eau vive qui nous désaltère !

La destination illumine le chemin

Une réflexion pour le deuxième dimanche du carême

Qu’est-ce qui nous rend plus forts dans les moments difficiles ? Qu’est-ce qui inspire notre espérance quand la situation est morne ? Qu’est-ce qui nous amène à persévérer quand il serait si facile d’abandonner ?

Dans l’Évangile du deuxième dimanche du carême, nous voyons Jésus monter le mont Thabor avec les plus proches de Ses disciples – Pierre, Jacques, et Jean. Là Il s’est transfiguré devant leurs yeux et ils Le contemplent dans toute Sa gloire. Son visage brille comme le soleil ; Ses vêtements deviennent blancs comme la lumière. Il est difficile d’imaginer combien cette vue serait merveilleuse: être témoin de la lumière de Dieu !

Quel est le sens d’un tel évènement pour nous en cette saison du carême? Quel est la signification de ce témoignage de la gloire de Jésus avant de voir Son agonie dans quelques semaines ? La transfiguration est un avant-goût de la gloire de Dieu. Elle nous donne un aperçu de la résurrection de Jésus que nous nous préparons à célébrer. Elle nous montre que Jésus est Dieu. Elle nous rappelle que lorsque nous suivons Jésus, nous ne suivons pas un homme comme les autres, ni un sage maître, ni même un grand philosophe. À la suite de Jésus, nous sommes véritablement à la suite de Dieu.

Le chemin de Dieu n’est pas toujours glorieux. Pierre, Jacques, et Jean découvriront cela lorsqu’ils vivront personnellement la crucifixion de Jésus sur le Golgotha. Prisonnier de ses peurs, Pierre reniera Jésus trois fois. Au pied de la Croix, Jean verra la mort atroce de son Seigneur. Jacques abandonnera Jésus comme les autres apôtres. Quel contraste cruel entre la lumière du Thabor et la brutalité du Golgotha. Aucun parmi eux ne se souvenait ce qu’ils avaient vécu au sommet ?

La transfiguration de Jésus nous montre qu’il y a quelque chose au-delà de la Croix. La gloire qui rayonnait sur le mont Thabor nous élève dans nos moments de ténèbres vers le destin qui nous attend. La destination illumine le chemin. Nous ne nous sentons pas pareils lorsque nous allons à des funérailles et lorsque nous accourons réclamer le montant d’un billet de loto gagnant. Ce vers quoi nous nous dirigeons a des conséquences sur notre attitude, notre perspective, et nos actions. Qu’est-ce que cela change en nous si notre destination s’agit du paradis ? Si notre destination est la gloire de Dieu que Pierre, Jacques, et Jean ont vue sur le Mont Thabor ? Si même lorsque nous vivons la Croix nous sommes faits pour la gloire ?

Parfois on peut penser que croire au paradis c’est prendre ses désirs pour des réalités. Que le paradis est quelque chose que les petits enfants apprennent au catéchisme. Mais si c’est notre vrai destin ? Si ce n’est pas seulement l’« opiat de la foule » ni un vœu pieux, mais la réalisation véritable de tous nos espoirs et de nos désirs les plus profonds – pas seulement une fantaisie que nous avons créée mais la raison pour laquelle nous avons été faits ?

Comme le soldat inspiré par l’espérance de la victoire ! Comme la maman qui souffre lors de l’accouchement avant d’accueillir dans la joie son bébé ! Comme l’athlète qui persiste à s’entraîner et persévère dans l’espoir de gagner la médaille olympique ! La victoire de la vie c’est le paradis. Le travail de la vie mène à la joie éternelle. La médaille c’est de participer à la gloire de Dieu. Comment changerait-elle nos vies si nous permettons à cette destination d’illuminer notre chemin ? À quoi ressemble le Golgotha si nous nous souvenons du Thabor ? Endurons-nous nos souffrances différemment quand nous savons qu’il y a de la lumière au bout du tunnel, et quand cette lumière brille déjà ici et maintenant ? Même lors de la journée la plus pluvieuse, le soleil rayonne brillamment au-dessus. Même lors des moments les plus noirs sur terre, la gloire du ciel brille merveilleusement.

Si nous nous dirigeons vers le ciel, le ciel imprègnera aussi ce que nous vivons ici-bas. Le Royaume de Dieu n’est pas seulement là où nous espérons l’atteindre un jour ; il est le Règne de Dieu présent dans notre vie quotidienne. C’est le règne de la paix, de la miséricorde, de la justice, de la compassion, de l’unité, et de l’amour. C’est nous tous ensemble comme frères et sœurs avec Jésus et notre Père unique. C’est le règne du soin donné aux uns et aux autres, de l’espérance donnée, de la persévérance soutenue. Notre destination éclaire les vraies épreuves que nous subissons sur le chemin de la vie. Le ciel illumine notre façon de vivre déjà ici sur terre.

La transfiguration de Jésus est la gloire de Dieu qui touche la vie de Pierre, de Jacques, et de Jean. C’est un moment qui révèle l’espérance qui survit même dans les ténèbres de la Croix. Laissons cette gloire entrer dans notre vie. Que nos combats soient illuminés par l’espérance qui nous élève. Comme il est grand de savoir, même sur nos propres golgothas, que la destination de notre chemin est la gloire de Dieu !

Homélie du pape François pour le mercredi des cendres

«Revenez à moi de tout votre cœur, […] revenez au Seigneur votre Dieu » (Jl 2, 12.13) : c’est le cri par lequel le prophète Joël s’adresse au peuple au nom du Seigneur; personne ne pouvait se sentir exclu: «Rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons; […] le jeune époux […] et la jeune mariée » (v. 16). Tout le peuple fidèle est convoqué pour se mettre en chemin et adorer son Dieu, «car il est tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour » (v. 13).

Nous voulons nous aussi nous faire l’écho de cet appel, nous voulons revenir au cœur miséricordieux du Père. En ce temps de grâce que nous commençons aujourd’hui, fixons une fois encore notre regard sur sa miséricorde. La Carême est un chemin: il nous conduit à la victoire de la miséricorde sur tout ce qui cherche à nous écraser ou à nous réduire à quelque chose qui ne convient pas à la dignité des fils de Dieu. Le Carême est la route de l’esclavage à la liberté, de la souffrance à la joie, de la mort à la vie. Le geste des cendres par lequel nous nous mettons en chemin nous rappelle notre condition d’origine: nous avons été tirés de la terre, nous sommes faits de poussière. Oui, mais poussière dans les mains amoureuses de Dieu qui souffle son Esprit de vie sur chacun de nous et veut continuer à le faire; il veut continuer à nous donner ce souffle de vie qui nous sauve des autres types de souffle : l’asphyxie étouffante provoquée par nos égoïsmes, asphyxie étouffante générée par des ambitions mesquines et des indifférences silencieuses; asphyxie qui étouffe l’esprit, réduit l’horizon et anesthésie les battements du cœur. Le souffle de la vie de Dieu nous sauve de cette asphyxie qui éteint notre foi, refroidit notre charité et détruit notre espérance. Vivre le Carême c’est désirer ardemment ce souffle de vie que notre Père ne cesse de nous offrir dans la fange de notre histoire.

Le souffle de la vie de Dieu nous libère de cette asphyxie dont, souvent nous ne sommes pas conscients, et que nous sommes même habitués à «normaliser», même si ses effets se font sentir; cela nous semble «normal» car nous sommes habitués à respirer un air où l’espérance est raréfiée, un air de tristesse et de résignation, un air étouffant de panique et d’hostilité.

Le Carême est le temps pour dire non. Non à l’asphyxie de l’esprit par la pollution causée par l’indifférence, par la négligence à penser que la vie de l’autre ne me regarde pas, par toute tentative de banaliser la vie, spécialement celle de ceux qui portent dans leur chair le poids de tant de superficialité. Le Carême veut dire non à la pollution intoxicante des paroles vides et qui n’ont pas de sens, de la critique grossière et rapide, des analyses simplistes qui ne réussissent pas à embrasser la complexité des problèmes humains, spécialement les problèmes de tous ceux qui souffrent le plus. Le Carême est le temps pour dire non ; non à l’asphyxie d’une prière qui nous tranquillise la conscience, d’une aumône qui nous rend satisfaits, d’un jeûne qui nous fait nous sentir bien. Le Carême est le temps pour dire non à l’asphyxie qui nait des intimismes qui excluent, qui veulent arriver à Dieu en esquivant les plaies du Christ présentes dans les plaies des frères: ces spiritualités qui réduisent la foi à une culture de ghetto et d’exclusion.

Le Carême est le temps de la mémoire, c’est le temps pour penser et nous demander: qu’en serait-il de nous si Dieu nous avait fermé la porte. Qu’en serait-il de nous sans sa miséricorde qui ne s’est pas lassée de pardonner et qui nous a toujours donné l’occasion de recommencer à nouveau ? Le Carême est le temps pour nous demander: où serions-nous sans l’aide de tant de visages silencieux qui, de mille manières, nous ont tendu la main et qui, par des gestes très concrets, nous ont redonné l’espérance et nous ont aidé à recommencer?

Le Carême est le temps pour recommencer à respirer, c’est le temps pour ouvrir le cœur au souffle de l’Unique capable de transformer notre poussière en humanité. Il n’est pas le temps pour déchirer nos vêtements face au mal qui nous entoure, mais plutôt pour faire de la place dans notre vie à tout le bien que nous pouvons faire, nous dépouillant de tout ce qui nous isole, nous ferme et nous paralyse. Le Carême est le temps de la compassion pour dire avec le psalmiste: «Rends-moi la joie d’être sauvé, que l’esprit généreux me soutienne », pour que par notre vie nous proclamions ta louange (cf. Ps 51, 14), et pour que notre poussière – par la force de ton souffle de vie – se transforme en «poussière aimée».

[00300-FR.01] [Texte original: Italien]

Message du pape François pour le Carême 2017

Vous trouverez ci-dessous le texte intégral du message du pape François pour le Carême 2017:

La Parole est un don. L’autre est un don.

Chers Frères et Sœurs,
Le Carême est un nouveau commencement, un chemin qui conduit à une destination sûre : la

Pâques de la Résurrection, la victoire du Christ sur la mort. Et ce temps nous adresse toujours un appel pressant à la conversion : le chrétien est appelé à revenir à Dieu « de tout son cœur » (Jl 2,12) pour ne pas se contenter d’une vie médiocre, mais grandir dans l’amitié avec le Seigneur. Jésus est l’ami fidèle qui ne nous abandonne jamais, car même lorsque nous péchons, il attend patiemment notre retour à Lui et, par cette attente, il manifeste sa volonté de pardon (cf. Homélie du 8 janvier 2016).

Le Carême est le moment favorable pour intensifier la vie de l’esprit grâce aux moyens sacrés que l’Eglise nous offre: le jeûne, la prière et l’aumône. A la base de tout il y a la Parole de Dieu, que nous sommes invités à écouter et à méditer avec davantage d’assiduité en cette période. Je voudrais ici m’arrêter en particulier sur la parabole de l’homme riche et du pauvre Lazare (cf. Lc 16,19-31). Laissons-nous inspirer par ce récit si important qui, en nous exhortant à une conversion sincère, nous offre la clé pour comprendre comment agir afin d’atteindre le vrai bonheur et la vie éternelle.

1. L’autre est un don

La parabole commence avec la présentation des deux personnages principaux ; cependant le pauvre y est décrit de façon plus détaillée : il se trouve dans une situation désespérée et n’a pas la force de se relever, il gît devant la porte du riche et mange les miettes qui tombent de sa table, son corps est couvert de plaies que les chiens viennent lécher (cf. vv. 20-21). C’est donc un tableau sombre, et l’homme est avili et humilié.

La scène apparaît encore plus dramatique si l’on considère que le pauvre s’appelle Lazare : un nom chargé de promesses, qui signifie littéralement « Dieu vient en aide ». Ainsi ce personnage ne reste pas anonyme mais il possède des traits bien précis ; il se présente comme un individu avec son histoire personnelle. Bien qu’il soit comme invisible aux yeux du riche, il nous apparaît connu et presque familier, il devient un visage; et, comme tel, un don, une richesse inestimable, un être voulu, aimé, dont Dieu se souvient, même si sa condition concrète est celle d’un déchet humain (cf. Homélie du 8 janvier 2016).

Lazare nous apprend que l’autre est un don. La relation juste envers les personnes consiste à reconnaître avec gratitude leur valeur. Ainsi le pauvre devant la porte du riche ne représente pas un obstacle gênant mais un appel à nous convertir et à changer de vie. La première invitation que nous adresse cette parabole est celle d’ouvrir la porte de notre cœur à l’autre car toute personne est un don, autant notre voisin que le pauvre que nous ne connaissons pas. Le Carême est un temps propice pour ouvrir la porte à ceux qui sont dans le besoin et reconnaître en eux le visage du Christ. Chacun de nous en croise sur son propre chemin. Toute vie qui vient à notre rencontre est un don et mérite accueil, respect, amour. La Parole de Dieu nous aide à ouvrir les yeux pour accueillir la vie et l’aimer, surtout lorsqu’elle est faible. Mais pour pouvoir le faire il est nécessaire de prendre au sérieux également ce que nous révèle l’Évangile au sujet de l’homme riche.

2. Le péché nous rend aveugles

La parabole met cruellement en évidence les contradictions où se trouve le riche (cf. v. 19). Ce personnage, contrairement au pauvre Lazare, ne possède pas de nom, il est seulement qualifié de “riche”. Son opulence se manifeste dans son habillement qui est exagérément luxueux. La pourpre en effet était très précieuse, plus que l’argent ou l’or, c’est pourquoi elle était réservée aux divinités (cf. Jr 10,9) et aux rois (cf. Jg 8,26). La toile de lin fin contribuait à donner à l’allure un caractère quasi sacré. Bref la richesse de cet homme est excessive d’autant plus qu’elle est exhibée tous les jours, de façon habituelle: « Il faisait chaque jour brillante chère » (v.19). On aperçoit en lui, de manière dramatique, la corruption du péché qui se manifeste en trois moments successifs: l’amour de l’argent, la vanité et l’orgueil (cf. Homélie du 20 septembre 2013).

Selon l’apôtre Paul, « la racine de tous les maux c’est l’amour de l’argent » (1 Tm 6,10). Il est la cause principale de la corruption et la source de jalousies, litiges et soupçons. L’argent peut réussir à nous dominer et devenir ainsi une idole tyrannique (cf. Exhort. ap. Evangelii Gaudium, n. 55). Au lieu d’être un instrument à notre service pour réaliser le bien et exercer la solidarité envers les autres, l’argent peut nous rendre esclaves, ainsi que le monde entier, d’une logique égoïste qui ne laisse aucune place à l’amour et fait obstacle à la paix.

La parabole nous montre ensuite que la cupidité rend le riche vaniteux. Sa personnalité se réalise dans les apparences, dans le fait de montrer aux autres ce que lui peut se permettre. Mais l’apparence masque le vide intérieur. Sa vie reste prisonnière de l’extériorité, de la dimension la plus superficielle et éphémère de l’existence (cf. ibid., n. 62).

Le niveau le plus bas de cette déchéance morale est l’orgueil. L’homme riche s’habille comme un roi, il singe l’allure d’un dieu, oubliant d’être simplement un mortel. Pour l’homme corrompu par l’amour des richesses, il n’existe que le propre moi et c’est la raison pour laquelle les personnes qui l’entourent ne sont pas l’objet de son regard. Le fruit de l’attachement à l’argent est donc une sorte de cécité : le riche ne voit pas le pauvre qui est affamé, couvert de plaies et prostré dans son humiliation.

En regardant ce personnage, on comprend pourquoi l’Évangile est aussi ferme dans sa condamnation de l’amour de l’argent : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent » (Mt 6,24).

3. La Parole est un don

L’évangile du riche et du pauvre Lazare nous aide à bien nous préparer à Pâques qui s’approche. La liturgie du Mercredi des Cendres nous invite à vivre une expérience semblable à celle que fait le riche d’une façon extrêmement dramatique. Le prêtre, en imposant les cendres sur la tête, répète ces paroles : « Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière ». Le riche et le pauvre, en effet, meurent tous les deux et la partie la plus longue du récit de la parabole se passe dans l’au-delà. Les deux personnages découvrent subitement que « nous n’avons rien apporté dans ce monde, et nous n’en pourrons rien emporter » (1 Tm 6,7).

Notre regard aussi se tourne vers l’au-delà, où le riche dialogue avec Abraham qu’il appelle « Père » (Lc 16, 24 ; 27) montrant
qu’il fait partie du peuple de Dieu. Ce détail rend sa vie encore plus contradictoire car, jusqu’à présent, rien n’avait été dit sur sa relation à Dieu. En effet dans sa vie, il n’y avait pas de place pour Dieu, puisqu’il était lui-même son propre dieu.

Ce n’est que dans les tourments de l’au-delà que le riche reconnaît Lazare et il voudrait bien que le pauvre allège ses souffrances avec un peu d’eau. Les gestes demandés à Lazare sont semblables à ceux que le riche aurait pu accomplir et qu’il n’a jamais réalisés. Abraham néanmoins lui explique que « tu as reçu tes biens pendant ta vie et Lazare pareillement ses maux; maintenant ici il est consolé et toi tu es tourmenté » (v.25). L’au-delà rétablit une certaine équité et les maux de la vie sont compensés par le bien.

La parabole acquiert une dimension plus large et délivre ainsi un message pour tous les chrétiens. En effet le riche, qui a des frères encore en vie, demande à Abraham d’envoyer Lazare les avertir ; mais Abraham répond : « ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent » (v. 29). Et devant l’objection formulée par le riche, il ajoute : « Du moment qu’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus » (v.31).

Ainsi se manifeste le vrai problème du riche : la racine de ses maux réside dans le fait de ne pas écouter la Parole de Dieu ; ceci l’a amené à ne plus aimer Dieu et donc à mépriser le prochain. La Parole de Dieu est une force vivante, capable de susciter la conversion dans le cœur des hommes et d’orienter à nouveau la personne vers Dieu. Fermer son cœur au don de Dieu qui nous parle a pour conséquence la fermeture de notre cœur au don du frère.

Chers frères et sœurs, le Carême est un temps favorable pour nous renouveler dans la rencontre avec le Christ vivant dans sa Parole, dans ses Sacrements et dans le prochain. Le Seigneur qui – au cours des quarante jours passés dans le désert a vaincu les pièges du Tentateur – nous montre le chemin à suivre. Que l’Esprit Saint nous aide à accomplir un vrai chemin de conversion pour redécouvrir le don de la Parole de Dieu, être purifiés du péché qui nous aveugle et servir le Christ présent dans nos frères dans le besoin. J’encourage tous les fidèles à manifester ce renouvellement spirituel en participant également aux campagnes de Carême promues par de nombreux organismes ecclésiaux visant à faire grandir la culture de la rencontre au sein de l’unique famille humaine. Prions les uns pour les autres afin que participant à la victoire du Christ nous sachions ouvrir nos portes aux faibles et aux pauvres. Ainsi nous pourrons vivre et témoigner en plénitude de la joie pascale.

Du Vatican, le 18 octobre 2016, Fête de Saint Luc, évangéliste

FRANÇOIS [00196-FR.01] [Texte original: Français]

Message du pape François pour le Carême 2016

PopeLentenMessage16

«C’est la miséricorde que je veux, et non les sacrifices»(Mt 9,13) Les œuvres de miséricorde dans le parcours jubilaire

1. Marie, icône d’une Eglise qui évangélise parce qu’elle a été évangélisée

Dans la Bulle d’indiction du Jubilé, j’ai invité à faire en sorte que « le Carême de cette Année Jubilaire [soit] vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu » ( Misericordiae vultus, n. 17). Par le rappel de l’écoute de la Parole de Dieu et l’initiative « 24 heures pour le Seigneur », j’ai voulu souligner la primauté de l’écoute priante de la Parole, plus particulièrement de la Parole prophétique. La miséricorde de Dieu est certes une annonce faite au monde: cependant chaque chrétien est appelé à en faire l’expérience personnellement. C’est pourquoi, en ce temps de Carême, j’enverrai les Missionnaires de la

Miséricorde afin qu’ils soient pour tous un signe concret de la proximité et du pardon de Dieu. Parce qu’elle a accueilli la Bonne Nouvelle annoncée par l’archange Gabriel, Marie chante prophétiquement dans son Magnificat la miséricorde par laquelle Dieu l’a choisie. La Vierge de Nazareth, promise comme épouse à Joseph, devient ainsi l’icône parfaite de l’Eglise qui évangélise car elle a été et demeure constamment évangélisée par l’œuvre de l’Esprit Saint qui a fécondé son sein virginal. Dans la tradition prophétique – et déjà au niveau étymologique – la miséricorde est étroitement liée aux entrailles maternelles (rahamim) et à une bonté généreuse, fidèle et compatissante (hesed) qui s’exerce dans les relations conjugales et parentales.

2. L’alliance de Dieu avec les hommes : une histoire de miséricorde

Le mystère de la miséricorde divine se dévoile au cours de l’histoire de l’alliance entre Dieu et son peuple Israël. Dieu, en effet, se montre toujours riche en miséricorde, prêt à reverser sur lui en toutes circonstances une tendresse et une compassion viscérales, particulièrement dans les moments les plus dramatiques, lorsque l’infidélité brise le lien du pacte et que l’alliance requiert d’être ratifiée de façon plus stable dans la justice et dans la vérité. Nous nous trouvons ici face à un véritable drame d’amour où Dieu joue le rôle du père et du mari trompé, et Israël celui du fils ou de la fille, et de l’épouse infidèles. Ce sont les images familières, comme nous le voyons avec Osée (cf. Os 1-2), qui expriment jusqu’à quel point Dieu veut se lier à son peuple.

Ce drame d’amour atteint son point culminant dans le Fils qui s’est fait homme. Dieu répand en lui sa miséricorde sans limites, au point d’en faire la « Miséricorde incarnée » (Misericordiae Vultus, n. 8). En tant qu’homme, Jésus de Nazareth est fils d’Israël dans le plein sens du terme. Il l’est au point d’incarner cette écoute parfaite de Dieu demandée à tout Juif par le Shemà qui constitue, aujourd’hui encore, le cœur de l’alliance de Dieu avec Israël : « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces » (Dt 6, 4-5). Le Fils de Dieu est l’Epoux qui met tout en œuvre pour conquérir l’amour de son Epouse. Il lui est lié par son amour inconditionnel qui se manifeste dans les noces éternelles avec elle.

Ceci constitue le cœur vibrant du kérygme apostolique où la miséricorde divine tient une place centrale et fondamentale. Il est « la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus-Christ, mort et ressuscité » (Exhort. apost. Evangelii gaudium, n. 36), cette première annonce « que l’on doit toujours écouter de nouveau de différentes façons, et que l’on doit toujours annoncer de nouveau durant la catéchèse » (Ibid., n. 164). La miséricorde alors « illustre le comportement de Dieu envers le pécheur, lui offrant une nouvelle possibilité de se repentir, de se convertir et de croire » (Misericordiae vultus, n. 21), restaurant vraiment ainsi la relation avec Lui. En Jésus Crucifié, Dieu veut rejoindre l’homme pécheur jusque dans son éloignement le plus extrême, précisément là où il s’est égaré et éloigné de Lui. Et ceci, il le fait dans l’espoir de réussir finalement à toucher le cœur endurci de son Épouse.

3. Les œuvres de miséricorde

La miséricorde de Dieu transforme le cœur de l’homme et lui fait expérimenter un amour fidèle qui le rend capable d’être, à son tour, miséricordieux. C’est à chaque fois un miracle que la miséricorde divine puisse se répandre dans la vie de chacun de nous, en nous incitant à l’amour du prochain et en suscitant ce que la tradition de l’Eglise nomme les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Elles nous rappellent que notre foi se traduit par des actes concrets et quotidiens, destinés à aider notre prochain corporellement et spirituellement, et sur lesquels nous serons jugés : le nourrir, le visiter, le réconforter, l’éduquer. C’est pourquoi j’ai souhaité que « le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Evangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine » (Ibid., n. 15). Dans la personne du pauvre, en effet, la chair du Christ « devient de nouveau visible en tant que corps torturé, blessé, flagellé, affamé, égaré… pour être reconnu par nous, touché et assisté avec soin » (Ibid.). Inouï et scandaleux mystère qui prolonge dans l’Histoire la souffrance de l’Agneau innocent, buisson ardent brûlant d’un amour gratuit, et devant lequel nous ne pouvons, à la suite de Moïse, qu’ôter nos sandales (cf. Ex 3,5) ; et ceci plus encore quand ce pauvre est notre frère ou notre sœur en Christ qui souffre à cause de sa foi.

Face à cet amour, fort comme la mort (cf. Ct 8,6), le pauvre le plus misérable est celui qui n’accepte pas de se reconnaître comme tel. Il croit être riche mais, en réalité, il est le plus pauvre des pauvres. Et s’il est tel, c’est parce qu’il est esclave du péché qui le pousse à user de la richesse et du pouvoir non pas pour servir Dieu et les autres, mais pour étouffer en lui l’intime conviction de n’être, lui aussi, rien d’autre qu’un pauvre mendiant. D’autant plus grands sont le pouvoir et les richesses dont il dispose, d’autant plus grand est le risque que cet aveuglement devienne mensonger. Il en vient à ne même plus vouloir voir le pauvre Lazare qui mendie à la porte de sa maison (cf. Lc 16, 20-21), figure du Christ qui, dans les pauvres, mendie notre conversion. Lazare est cette opportunité de nous convertir que Dieu nous offre et que peut-être nous ne voyons pas. Cet aveuglement est accompagné d’un délire orgueilleux de toute-puissance, dans lequel résonne, de manière sinistre, ce démoniaque « vous serez comme des dieux » (Gn 3,5), qui est à la racine de tout péché. Un tel délire peut également devenir un phénomène social et politique, comme l’ont montré les totalitarismes du XXème siècle, et comme le montrent actuellement les idéologies de la pensée unique et celles de la technoscience qui prétendent réduire Dieu à l’insignifiance et les hommes à des masses qu’on peut manipuler. Ceci, de nos jours, peut être également illustré par les structures de péché liées à un modèle erroné de développement fondé sur l’idolâtrie de l’argent qui rend indifférentes au destin des pauvres les personnes et les sociétés les plus riches, qui leur ferment les portes, refusant même de les voir.

Pour tous, le Carême de cette Année jubilaire est donc un temps favorable qui permet finalement de sortir de notre aliénation existentielle grâce à l’écoute de la Parole et aux œuvres de miséricorde. Si à travers les œuvres corporelles nous touchons la chair du Christ dans nos frères et nos sœurs qui ont besoin d’être nourris, vêtus, hébergés, visités, les œuvres spirituelles, quant à elles, – conseiller, enseigner, pardonner, avertir, prier – touchent plus directement notre condition de pécheurs. C’est pourquoi les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles ne doivent jamais être séparées. En effet, c’est justement en touchant la chair de Jésus Crucifié dans le plus nécessiteux que le pécheur peut recevoir en don la conscience de ne se savoir lui-même rien d’autre qu’un pauvre mendiant. Grâce à cette voie, « les hommes au cœur superbe », « les puissants » et « les riches », dont parle le Magnificat ont la possibilité de reconnaître qu’ils sont, eux aussi, aimés de façon imméritée par le Christ Crucifié, mort et ressuscité également pour eux. Cet amour constitue la seule réponse à cette soif de bonheur et d’amour infinis que l’homme croit à tort pouvoir combler au moyen des idoles du savoir, du pouvoir et de l’avoir. Mais il existe toujours le danger qu’à cause d’une fermeture toujours plus hermétique à l’égard du Christ, qui dans la personne du pauvre continue à frapper à la porte de leur cœur, les hommes au cœur superbe, les riches et les puissants finissent par se condamner eux-mêmes à sombrer dans cet abîme éternel de solitude qu’est l’enfer. C’est alors que résonnent à nouveau, pour eux comme pour nous tous, les paroles ardentes d’Abraham : « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu’ils les écoutent ! » (Lc 16,29). Cette écoute agissante nous préparera le mieux à fêter la victoire définitive sur le péché et sur la mort de l’Epoux qui est désormais ressuscité, et qui désire purifier sa future Épouse dans l’attente de son retour.

Ne laissons pas passer en vain ce temps de Carême favorable à la conversion ! Nous le demandons par l’intercession maternelle de la Vierge Marie, qui, la première, face à la grandeur de la miséricorde divine dont elle a bénéficié gratuitement, a reconnu sa propre petitesse (cf. Lc 1,48) en se reconnaissant comme l’humble Servante du Seigneur (cf. Lc 1,38).

FRANCISCUS

Du Vatican, 4 octobre 2015

Fête de Saint-François d’Assise

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