Homélie du pape François lors de la Messe de la Solennité des saints Pierre et Paul

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Bénédiction des pallia et Messe de la Solennité des saints Pierre et Paul

Lors de la Messe de Solennité des saints Pierre et Paul à 9h30 am dans la basilique vaticane, le pape François a béni les Pallia (du singulier « Pallium ») tiré de la confession de l’apôtre Pierre pour les nouveaux Archevêques métropolitains nommés au cours de la dernière année. Le Pallium sera ensuite imposé sur chacun des archevêques métropolitains par le représentant pontifical dans leur siège métropolitain et pays respectifs.

Après le rite de bénédiction des Pallia, le Pape a présidé à la Messe accompagné des nouveaux archevêques métropolitains. Comme le veux la coutume à l’occasion de la Fête des saints apôtres Pierre et Paul, patrons de la ville de Rome, furent présent lors de la Sainte Messe une délégation du Patriarcat Œcuménique de Constantinople. À la tête de cette délégation se trouvait le Patriarche Bartholomé 1er, Son Éminence Méthodios, Métropolitain de Boston, Son Excellence Job, Archevêque de Telmessos ainsi que le Révérend Diacre Patriarche Nephon Tsimalis.

Vous trouverez ci-dessous le texte complet de l’homélie telle que prononcée par le pape François :

La Parole de Dieu de cette liturgie contient un binôme central : fermeture / ouverture. Nous pouvons rapprocher aussi de cette image le symbole des clefs, que Jésus promet à Simon Pierre pour qu’il puisse ouvrir l’entrée du Royaume des cieux, et certainement pas pour la fermer aux gens, comme le faisaient certains scribes et pharisiens hypocrites que Jésus réprimandait (cf. Mt 23, 13).

La lecture des Actes des Apôtres (12, 1-11) nous présente trois fermetures : celle de Pierre en prison ; celle de la communauté recueillie en prière ; et – dans le contexte immédiat de notre texte – celle de la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc, où Pierre va frapper à la porte après avoir été libéré.

En ce qui concerne les fermetures, la prière apparaît comme la voie de sortie principale : voie de sortie pour la communauté, qui risque de se replier sur elle-même à cause de la persécution et de la peur ; voie de sortie pour Pierre, qui, encore au début de la mission qui lui a été confiée par le Seigneur, est jeté en prison par Hérode et risque la condamnation à mort. Et tandis que Pierre était en prison, « l’Église priait Dieu pour lui incessamment » (Ac 12, 5). Et le Seigneur répond à la prière et envoie son ange le libérer, ‘‘en l’arrachant aux mains d’Hérode’’ (cf. v. 11). La prière, en tant qu’humble abandon à Dieu et à sa sainte volonté, est toujours la voie de sortie de nos fermetures personnelles et communautaires. C’est la grande voie de sortie des fermetures.

De même Paul, en écrivant à Timothée, parle de son expérience de libération, de sortie du danger d’être lui aussi condamné à mort ; au contraire, le Seigneur lui a été proche et lui a donné la force de pouvoir porter à son achèvement son œuvre d’évangélisation des peuples (cf. 2 Tm 4, 17). Mais Paul parle d’une ‘‘ouverture’’ bien plus grande, vers un horizon infiniment plus vaste : celui de la vie éternelle, qui l’attend à la fin de sa ‘‘course’’ terrestre. Il est beau alors de voir la vie de l’Apôtre toute ‘‘en sortie’’ grâce àCapture d’écran 2016-06-29 à 10.12.16 l’Évangile : toute projetée en avant, d’abord pour porter le Christ à ceux qui ne le connaissent pas, et ensuite pour se jeter, pour ainsi dire, dans ses bras, et être conduit par lui, sain et sauf au ciel, dans son Royaume (cf. v. 18).

Retournons à Pierre. Le récit évangélique (Mt 16, 13-19) de sa confession de foi et de la mission qui lui a été confiée ensuite par Jésus nous montre que la vie de Simon, pêcheur galiléen, – comme la vie de chacun de nous – s’ouvre, s’épanouit pleinement lorsqu’elle accueille de Dieu le Père la grâce de la foi. Alors Simon se met en route – une route longue et dure – qui le conduira à sortir de lui-même, de ses sécurités humaines, surtout de son orgueil mêlé de courage et d’altruisme généreux. Dans ce parcours de libération, la prière de Jésus est décisive : « J’ai prié pour toi [Simon] afin que ta foi ne défaille pas » (Lc 22, 32). Et également décisif est le regard plein de compassion du Seigneur après que Pierre l’a eu renié trois fois : un regard qui touche le cœur et fait sécher les larmes de repentir (cf. Lc 22, 61-62). Alors Simon Pierre a été libéré de la prison de son moi orgueilleux, de son moi peureux, et il a surmonté la tentation de se fermer à l’appel de Jésus à le suivre sur la voie de la croix.

Comme je le disais, dans le contexte immédiat du passage des Actes des Apôtres il y a un détail qu’il peut nous faire du bien de noter (cf. 12, 12-17). Lorsque Pierre se retrouve miraculeusement libre, hors de la prison d’Hérode, il se rend dans la maison de la mère de Jean surnommé Marc. Il frappe à la porte, et de l’intérieur répond une domestique du nom de Rhodè, qui, ayant reconnu la voix de Pierre, au lieu d’ouvrir la porte, à la fois incrédule et pleine de joie, court rapporter la chose à sa patronne. Le récit, qui peut sembler comique – et qui peut donner origine au soi-disant “complexe de Rhodè”-, nous fait percevoir le climat de peur dans lequel se trouvait la communauté chrétienne, qui demeurait enfermée à la maison, et fermée aussi aux surprises de Dieu. Pierre frappe à la porte. “Regarde !”. Il y a de la joie, il y a de la peur… “Nous ouvrons, nous n’ouvrons pas ?…”. Et lui est en danger, parce que la police peut le prendre. Mais la peur nous arrête, elle nous arrête toujours ; elle nous ferme, elle nous ferme aux surprises de Dieu. Ce détail nous parle de la tentation qui existe toujours pour l’Église : celle de se replier sur elle-même, face aux dangers. Mais il y a aussi ici la spirale à travers laquelle peut passer l’action de Dieu : Luc dit que dans cette maison « se trouvaient rassemblés un certain nombre de personnes qui priaient » (v. 12). La prière permet à la grâce d’ouvrir une voie de sortie : de la fermeture vers l’ouverture, de la peur vers le courage, de la tristesse vers la joie. Et nous pouvons ajouter : de la division vers l’unité. Oui, nous le disons aujourd’hui, confiants, avec nos frères de la Délégation envoyée par le cher Patriarche Œcuménique Bartholomée, pour participer à la fête des Saints Patrons de Rome. Une fête de communion pour toute l’Église, comme le met aussi en évidence la présence des Archevêques Métropolitains venus pour la bénédiction des Palliums, qui leur seront imposés par mes Représentants dans leurs Sièges respectifs.

Que les saints Pierre et Paul intercèdent pour nous, afin que nous puissions parcourir avec joie ce chemin, faire l’expérience de l’action libératrice de Dieu et en témoigner à tous.

[01119-FR.02] [Texte original: Italien]

Pape François en Arménie: Discours lors de la Divine Liturgie à Etchmiadzin

ARMENIA-DIVINE-LITURGYCe dimanche 26 juin 2016, le pape François a participé à la Divine Liturgie à Etchmiadzin présidée par le Patriarche suprême de tous les arméniens, Karékine Sa Sainteté le Catholicos II. Voici le texte complet de l’allocution du Saint Père:

Sainteté, chers Evêques,
Chers frères et sœurs,

Au sommet de cette visite si désirée, et déjà pour moi inoubliable, je désire élever vers le Seigneur ma gratitude, que j’unis au grand hymne de louange et d’action de grâce qui est monté de cet Autel. Votre Sainteté, ces jours-ci, m’avez ouvert les portes de votre maison, et nous avons fait l’expérience combien « il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble » (Ps 133, 1). Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes embrassés fraternellement, nous avons prié ensemble, nous avons partagé les dons, les espérances et les préoccupations de l’Eglise du Christ dont nous percevons à l’unisson les battements du cœur, et que nous croyons et sentons une. « Une seule espérance, […] un seul Corps et un seul Esprit […] ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul Baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous et en tous » (Ep 4, 4-6) : nous pouvons vraiment faire nôtre avec joie ces paroles de l’Apôtre Paul ! C’est justement sous le signe des saints Apôtres que nous nous sommes rencontrés. Les saints Bartholomée et Thaddée, qui ont proclamé pour la première fois l’Evangile sur ces terres, et les saints Pierre et Paul, qui ont donné la vie pour le Seigneur à Rome, se réjouissent certainement, alors qu’ils règnent au ciel avec le Christ, de voir notre affection et notre aspiration concrète à la pleine communion. De tout cela je remercie le Seigneur, pour vous et avec vous : Park astutsò ! (Gloire à Dieu !)

Dans cette Divine Liturgie, le chant solennel du Trisagion s’est élevé vers le ciel, célébrant la sainteté de Dieu ; que la bénédiction abondante du Très Haut descende sur la terre, par l’intercession de la Mère de Dieu, des grands saints et docteurs, des martyrs, surtout des nombreux martyrs que vous avez canonisés l’année dernière en ce lieu. Que « le Fils unique qui est descendu ici » bénisse notre chemin. Que l’Esprit Saint fasse des croyants un seul cœur et une seule âme : qu’il vienne nous refonder dans l’unité. Pour cela je voudrais de nouveau l’invoquer, en faisant miennes quelques-unes des magnifiques paroles qui ont été introduites dans votre liturgie. Viens, ô Esprit, Toi « qui avec des gémissements incessants es notre intercesseur auprès du Père miséricordieux, Toi qui gardes les saints et purifies les pécheurs » ; répand sur nous ton feu d’amour et d’unité, et « que soient défaits par ce feu les raisons de notre scandale » (Grégoire de Narek, Livre des Lamentations, 33, 5), surtout le manque d’unité entre les disciples du Christ.

Que l’Eglise Arménienne marche dans la paix et que la communion entre nous soit pleine. Qu’en chacun surgisse un fort élan vers l’unité, une unité qui ne doit être « ni soumission de l’un à l’autre, ni absorption, mais plutôt accueil de tous les dons que Dieu a donnés à chacun pour manifester au monde entier le grand mystère du salut réalisé par le Christ Seigneur, par l’Esprit Saint » (Paroles du Saint-Père lors de la Divine Liturgie, Eglise Patriarcale Saint Georges, Istambul, 30 novembre 2014).

Accueillons l’appel des saints, écoutons la voix des humbles et des pauvres, de tant de victimes de la haine, qui ont souffert et sacrifié leur vie pour la foi ; tendons l’oreille aux jeunes générations qui implorent un avenir libéré des divisions du passé. Que, de ce lieu saint, se répande de nouveau une lumière radieuse. Qu’à la lumière de la foi, qui depuis saint Grégoire, votre père selon l’Évangile, a illuminé ces terres, s’unisse la lumière de l’amour qui pardonne et réconcilie.

Comme les Apôtres au matin de Pâques qui ont couru vers le lieu de la résurrection, attirés par l’aube heureuse d’une espérance nouvelle, malgré les doutes et les incertitudes (cf. Jn 20, 3-4), de même nous aussi, en ce saint dimanche, suivons l’appel de Dieu à la pleine communion et hâtons le pas vers elle.

Et maintenant, Sainteté, au nom de Dieu, je vous demande de me bénir, de me bénir ainsi que l’Eglise Catholique, de bénir notre course vers la pleine unité.

Pape François en Arménie: Discours lors de la rencontre œcuménique pour la paix à Yerevan

Ce samedi 25 juin 2016, après la Messe à Gyumri, le pape François a participé à une vigile de prière oecuménique pour la paix à Yerevan. Trouvez ci-dessous le texte complet du discours qu’il a prononcé:

Vénérable et cher Frère, Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens,
Monsieur le Président,
Chers frères et sœurs,

La bénédiction et la paix de Dieu soient avec vous !

J’ai tant désiré visiter cette terre aimée, votre pays qui le premier a embrassé la foi chrétienne. C’est une grâce pour moi de me trouver sur ces hauteurs, où, sous le regard du mont Ararat, même le silence semble nous parler ; où les khatchkar – les croix de pierre – racontent une histoire unique, imprégnée d’une foi solide comme le roc et d’une souffrance effroyable, une histoire riche en magnifiques témoignages de l’Évangile, dont vous êtes les héritiers. Je suis venu de Rome en pèlerin pour vous rencontrer et pour vous exprimer un sentiment qui jaillit des profondeurs du cœur : c’est l’affection de votre frère, c’est l’accolade fraternelle de l’Église catholique entière, qui vous aime et qui vous est proche.

Au cours des années écoulées les visites et les rencontres entre nos Églises, toujours si cordiales et souvent mémorables, se sont, grâce à Dieu, intensifiées ; la Providence veut que, exactement le jour où l’on célèbre ici les saints Apôtres du Christ, nous soyons de nouveau ensemble pour renforcer la communion apostolique entre nous. Je suis très reconnaissant à Dieu pour l’« unité réelle et intime » entre nos Églises (cf. Jean-Paul II, Homélie à l’occasion de la célébration œcuménique, Yerevan, 26 septembre 2001 : Insegnamenti XXIV, 2 [2001], p. 466) et je vous remercie pour votre fidélité à l’Évangile, souvent héroïque, qui est un don inestimable pour tous les chrétiens. Le fait de nous retrouver n’est pas un échange d’idées, c’est un échange de dons (cf. Id., Lett. enc. Ut unum sint, n. 28) : nous recueillons ce que l’Esprit a semé en nous comme un don pour chacun (cf. Exhort. Ap. Evangelii gaudium, n. 246). Nous partageons avec grande joie les nombreux pas d’un cheminement commun déjà très avancé, et nous regardons vraiment avec confiance vers le jour où, avec l’aide de Dieu, nous serons unis à l’autel du sacrifice du Christ, dans la plénitude de la communion eucharistique. Vers ce but tant désiré « nous sommes pèlerins, et […] nous pérégrinons ensemble. Pour cela il faut confier son cœur au compagnon de route sans [soupçons], sans méfiance » (ibid., n. 244).

Sur ce parcours nous précèdent et nous accompagnent beaucoup de témoins, en particulier les nombreux martyrs qui ont scellé par le sang la foi commune dans le Christ : ils sont nos étoiles au ciel, qui resplendissent sur nous et indiquent le chemin qu’il nous reste à parcourir sur la terre, vers la pleine communion. Parmi les Pères importants, je voudrais me référer au saint Catholicos Nersès Shnorhali. Il nourrissait un amour extraordinaire envers son peuple et envers ses traditions, et il était en même temps porté vers les autres Églises, inlassable dans la recherche de l’unité, désireux d’accomplir la volonté du Christ : que les croyants « soient un » (Jn 17, 21). L’unité n’est pas, en effet, un avantage stratégique à rechercher pour un intérêt mutuel, mais ce que Jésus nous demande et qu’il nous revient d’accomplir avec notre bonne volonté et de toutes nos forces, pour réaliser notre mission : donner au monde, avec cohérence, l’Évangile.

Pour réaliser l’unité nécessaire, selon saint Nersès, la bonne volonté d’une personne dans l’Église ne suffit pas : la prière de tous est indispensable. Il est beau d’être ici rassemblés pour prier les uns pour les autres, les uns avec les autres. Et c’est avant tout le don de la prière que je suis venu vous demander ce soir. Pour ma part, je vous assure que, en offrant le Pain et le Calice à l’autel, je ne manque pas de présenter au Seigneur l’Église d’Arménie et votre cher peuple.

Saint Nersès sentait aussi le besoin de faire grandir l’amour réciproque, car seule la charité est en mesure d’assainir la mémoire et de guérir les blessures du passé : seul l’amour efface les préjugés et permet de reconnaître que l’ouverture au frère purifie et rend meilleures les convictions personnelles. Pour ce saint Catholicos, sur le chemin vers l’unité il est essentiel d’imiter le style de l’amour du Christ, lui qui « est riche » (2 Co 8, 9) « s’est abaissé » (Ph 2, 8). À son exemple, nous sommes appelés à avoir le courage de laisser les convictions rigides et les intérêts particuliers, au nom de l’amour qui s’abaisse et se donne, au nom de l’amour humble : voilà l’huile bénie de la vie chrétienne, le précieux onguent spirituel qui guérit, fortifie et sanctifie. « Suppléons aux manquements par la charité unanime », écrivait saint Nersès (Lettere del signor Nersès Shnorhali, Catholicos degli Armeni, Venise 1873, p. 316), et même – faisait-il comprendre – avec une douceur particulière d’amour, qui adoucit la dureté des cœurs des chrétiens, eux aussi souvent repliés sur eux-mêmes et sur leurs propres intérêts. Ce ne sont pas les calculs ni les avantages, mais c’est l’amour humble et généreux qui attire la miséricorde du Père, la bénédiction du Christ et l’abondance de l’Esprit Saint. En priant et « en nous aimant intensément, d’un cœur pur, les uns les autres » (cf.1 P 1, 22), avec humilité et ouverture d’esprit, disposons-nous à recevoir le don divin de l’unité. Poursuivons notre chemin avec détermination, et même courrons vers la pleine communion entre nous !

« Je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne »  (Jn 14, 27). Nous avons écouté ces paroles de l’Évangile, qui nous prédisposent à implorer de Dieu cette paix que le monde peine tant à trouver. Combien grands sont aujourd’hui les obstacles sur la voie de la paix, et que les conséquences des guerres sont tragiques ! Je pense aux populations contraintes à tout abandonner, en particulier au Moyen Orient, où beaucoup de nos frères et sœurs souffrent violence et persécution, à cause de la haine et de conflits toujours fomentés par le fléau de la prolifération et du commerce des armes, par la tentation de recourir à la force et par le manque de respect envers la personne humaine, spécialement envers les faibles, envers les pauvres et ceux qui ne demandent qu’une vie digne.

Je n’arrive pas à ne pas penser aux épreuves terribles dont votre peuple a fait l’expérience : à peine un siècle s’est-il écoulé depuis le ‘‘Grand Mal’’ qui s’est abattu sur vous ! Cette « effroyable et folle extermination » (Salut au commencement de la Sainte Messe pour les fidèles de rite arménien, 12 avril 2015), ce tragique mystère d’iniquité que votre peuple a vécu dans sa chair, demeure imprimé dans la mémoire et brûle dans le cœur. Je veux réaffirmer que vos souffrances nous appartiennent : « ce sont les blessures douloureuses infligées au Corps du Christ qui souffre » (Jean-Paul II, Lettre apostolique à l’occasion du 1700ème anniversaire du Baptême du peuple arménien : Insegnamenti XXIV, 1 [2001], p. 275) ; le rappeler n’est pas seulement opportun, c’est un devoir : qu’elles soient un avertissement en tout temps, pour que le monde ne retombe plus jamais dans la spirale de pareilles horreurs !

Je voudrais, en même temps, rappeler avec admiration comment la foi chrétienne « même lors des moments les plus tragiques de l’histoire arménienne, a été le moteur qui a marqué le début de la renaissance de ce peuple éprouvé » (ibid., p. 276). Elle est votre vraie force, qui permet de s’ouvrir à la voie mystérieuse et salvatrice de la Pâques : les blessures restées ouvertes et causées par la haine féroce et insensée, peuvent d’une certaine manière se configurer à celles du Christ ressuscité, à ces blessures qui lui ont été infligées et qu’il porte encore imprimées dans sa chair. Il les a montrées glorieuses à ses disciples le soir de Pâques (cf. Jn 20, 20) : ces terribles plaies de souffrance subie sur la croix, transfigurées par l’amour, sont devenues sources de pardon et de paix. Ainsi, même la douleur la plus grande, transformée par la puissance salvifique de la Croix, dont les Arméniens sont des hérauts et des témoins, peut devenir une semence de paix pour l’avenir.

La mémoire, imprégnée d’amour, devient en effet capable d’emprunter des sentiers nouveaux et surprenants, où les trames de haine se transforment en projets de réconciliation, où on peut espérer un avenir meilleur pour tous, où sont « heureux les artisans de paix » (Mt 5, 9). S’engager à poser les bases d’un avenir qui ne se laisse pas absorber par la force trompeuse de la vengeance fera du bien à tous ; un avenir où on ne se lasse jamais de créer les conditions pour la paix : un travail digne pour tous, le soin de ceux qui sont le plus dans le besoin et la lutte sans trêve contre la corruption, qui doit être extirpée.

Chers jeunes, cet avenir vous appartient : en tirant profit de la grande sagesse de vos personnes âgées, ayez l’ambition de devenir des constructeurs de paix : non pas des notaires du status quo, mais des promoteurs actifs d’une culture de la rencontre et de la réconciliation. Que Dieu bénisse votre avenir et vous « accorde que soit repris le chemin de la réconciliation entre le peuple arménien et le peuple turc, et que la paix advienne aussi au Nagorno Karabakh » (Message aux Arméniens, 12 avril 2015).

Dans cette optique, je voudrais enfin évoquer un autre grand témoin et artisan de la paix du Christ, saint Grégoire de Narek, que j’ai proclamé Docteur de l’Église. Il pourrait être aussi qualifié de ‘‘Docteur de la paix’’. Ainsi, il a écrit dans ce Livre extraordinaire que j’aime à considérer comme la ‘‘constitution spirituelle du peuple arménien’’ : « Souviens-Toi [Seigneur] de ceux aussi qui, parmi la race humaine, sont nos ennemis, mais pour leur faire du bien : accorde-leur pardon et miséricorde […] N’extermine pas ceux qui me mordent, mais change-les ; arrache-leur la mauvaise conduite terrestre, enracine la bonne en moi et en eux » (Livre de prières, 83, 1-2). Narek « par une connaissance profonde participe aux faiblesses de chacun » (ibid., 3, 2), il a même voulu s’identifier avec les faibles et les pécheurs de chaque époque et lieu, pour intercéder en faveur de tous (cf. ibid., 31, 3 ; 32, 1 ; 47, 2) : il s’est fait un « délégué pour offrir la prière du monde entier » (ibid., 28, 2). Sa solidarité universelle avec l’humanité est un grand message chrétien de paix, un cri plein de tristesse qui implore miséricorde pour tous. Que les Arméniens, présents dans de nombreux pays et que je voudrais d’ici embrasser fraternellement, soient des messagers de ce désir de communion, « des ambassadeurs de paix » (Jean-Paul II, Lettre apostolique à l’occasion du 1700ème anniversaire du Baptême du peuple arménien, n. 7 : Insegnamenti XXIV, 1 [2001], p. 278). Le monde entier a besoin de votre annonce, il a besoin de votre présence, il a besoin de votre plus pur témoignage. Kha’ra’rutiun amenetzun ! (Paix à vous !).

Pape François en Arménie: Homélie lors de la Messe à Gyumri

PopeInArmenia2Ce samedi 25 juin 2016, deuxième jour de sa visite en Arménie, le Saint Père a célébré la Messe à Gyumri. Voici le texte complet de son homélie:

« Ils rebâtiront les ruines antiques, ils relèveront les demeures dévastées » (Is 61, 4). En ces lieux, chers frères et sœurs, nous pouvons dire que se sont réalisées les paroles du prophète Isaïe que nous venons d’écouter. Après les terribles destructions du tremblement de terre, nous nous trouvons ici aujourd’hui pour rendre grâce à Dieu pour tout ce qui a été reconstruit.

Nous pourrions cependant nous demander aussi : qu’est-ce que le Seigneur nous invite à construire aujourd’hui dans la vie, et surtout : sur quoi nous appelle-t-il à construire notre vie ? Je voudrais vous proposer, en cherchant à répondre à cette question, trois fondements stables sur lesquels nous pouvons édifier et réédifier notre vie chrétienne, sans nous lasser.

Le premier fondement est la mémoire. Une grâce à demander est celle de savoir récupérer la mémoire, la mémoire de ce que le Seigneur a accompli en nous et pour nous : se rappeler que, comme dit l’Évangile d’aujourd’hui, lui ne nous pas oubliés, mais qu’il « s’est souvenu » (Lc 1, 72) de nous : il nous a choisis, aimés, appelés et pardonnés ; il y a eu de grands événements dans notre histoire personnelle d’amour avec lui, qui doivent être ravivés par l’esprit et par le cœur. Mais il y a aussi une autre mémoire à garder : la mémoire du peuple. Les peuples ont en effet une mémoire, comme les personnes. Et la mémoire de votre peuple est très ancienne et précieuse. Dans vos voix résonnent celles des saints sages du passé ; dans vos paroles il y a l’écho de celui qui a créé votre alphabet en vue d’annoncer la parole de Dieu ; dans vos chants fusionnent les gémissements et les joies de votre histoire. En pensant à tout cela, vous pouvez reconnaître certainement la présence de Dieu : il ne vous a pas laissés seuls. Même dans les adversités redoutables, nous pourrions dire avec l’Évangile d’aujourd’hui, le Seigneur a visité votre peuple (cf. Lc 1, 68) : il s’est souvenu de votre fidélité à l’Évangile, de la primeur de votre foi, de tous ceux qui ont témoigné, même au prix du sang, que l’amour de Dieu vaut plus que la vie (cf. Ps 63, 4). Il est beau pour vous de pouvoir vous souvenir avec gratitude que la foi chrétienne est devenue la respiration de votre peuple et le cœur de sa mémoire.

La foi est aussi l’espérance pour votre avenir, la lumière sur le chemin de la vie et c’est le deuxième fondement dont je voudrais vous parler. Il y a toujours un danger, qui peut faire pâlir la lumière de la foi : c’est la tentation de la réduire à quelque chose du passé, à quelque chose d’important mais qui appartient à d’autres temps, comme si la foi était un beau livre de miniatures à conserver dans un musée. Or, enfermée dans les archives de l’histoire, la foi perd sa force transformatrice, sa beauté vivante, son ouverture positive envers tous. La foi, au contraire, naît et renaît de la rencontre vivifiante avec Jésus, de l’expérience de sa miséricorde qui éclaire toutes les situations de la vie. Raviver chaque jour cette rencontre vivante avec le Seigneur nous fera du bien. Lire la parole de Dieu et nous ouvrir à son amour dans la prière silencieuse nous fera du bien. Permettre à la rencontre avec la tendresse du Seigneur d’allumer la joie dans notre cœur nous fera du bien : une joie plus grande que la tristesse, une joie qui résiste même face à la souffrance, en se transformant en paix. Tout cela renouvelle la vie, la rend libre et docile aux surprises, prête et disponible au Seigneur et aux autres. Il peut également arriver que Jésus appelle à le suivre de plus près, à lui consacrer la vie ainsi qu’aux frères : quand il invite, surtout vous les jeunes, n’ayez pas peur, dites-lui ‘‘oui’’ ! Il nous connaît, il nous aime vraiment, et il désire libérer le cœur du poids de la crainte et de l’orgueil. En lui faisant place, nous devenons capables de rayonner d’amour. Vous pourrez ainsi donner une suite à votre grande histoire d’évangélisation, dont l’Église et le monde ont besoin en ces temps difficiles, qui cependant sont aussi les temps de la miséricorde.

Le troisième fondement, après la mémoire et la foi, est justement l’amour miséricordieux : c’est sur ce roc, sur le roc de l’amour reçu de Dieu et offert au prochain, que se fonde la vie du disciple de Jésus. Et c’est en vivant la charité que le visage de l’Église rajeunit et devient attrayant. L’amour concret est la carte de visite du chrétien : d’autres manières de se présenter peuvent être trompeuses, voire inutiles, parce que c’est à cela que tous sauront que nous sommes ses disciples : si nous nous aimons les uns les autres (cf. Jn 13, 35). Nous sommes appelés avant tout à construire et reconstruire des voies de communion, sans jamais nous lasser, à édifier des ponts d’union et à surmonter les barrières de séparation. Que les croyants donnent toujours l’exemple, en collaborant entre eux dans le respect réciproque et dans le dialogue, en sachant que « l’unique concurrence possible entre les disciples du Seigneur est celle de voir qui est en mesure d’offrir l’amour le plus grand ! » (Jean-Paul II, Homélie, 27 septembre 2001 : Insegnamenti XXIV, 2 [2001], p. 478).

Le prophète Isaïe, dans la première lecture, nous a rappelé que l’esprit du Seigneur est toujours avec celui qui porte la bonne nouvelle aux humbles, qui guérit les plaies des cœurs brisés et console les affligés (cf. 61, 1-2). Dieu demeure dans le cœur de celui qui aime ; Dieu habite là où on aime, surtout là où on prend soin, avec courage et compassion, des faibles et des pauvres. On en a tant besoin : on a besoin de chrétiens qui ne se laissent pas abattre par les fatigues et ne se découragent pas à cause des adversités, mais qui soient disponibles et ouverts, prêts à servir ; il faut des hommes de bonne volonté, qui de fait et non seulement par les paroles aident les frères et les sœurs en difficulté ; il faut des sociétés plus justes, où chacun puisse avoir une vie digne et en premier lieu un travail équitablement rémunéré.

Nous pourrions cependant nous demander : comment peut-on devenir miséricordieux, avec tous les défauts et les misères que chacun voit en soi et autour de soi ? Je voudrais m’inspirer d’un exemple concret, d’un grand héraut de la miséricorde divine, que j’ai voulu proposer à l’attention de tous en le comptant parmi les Docteurs de l’Église universelle : saint Grégoire de Narek, parole et voix de l’Arménie. Il est difficile de trouver quelqu’un qui soit son égal lorsqu’il s’agit de sonder les misères abyssales qui peuvent se nicher dans le cœur de l’homme. Lui, cependant, a toujours mis en dialogue les misères humaines et la miséricorde de Dieu, en élevant une supplication pleine de tristesse, faite de larmes et de confiance, vers le Seigneur « dispensateur, dont l’essence est d’être bon […], voix consolante, annonce apaisante, message d’allégresse, […] compassion qui n’a pas de pareil, miséricorde débordante, […] baiser sauveur » (Livre de prières, 3, 1), avec la certitude que « jamais les ténèbres de la colère n’obscurcissent la lumière de [sa] miséricorde » (ibid., 16, 1). Grégoire de Narek est un maître de vie, parce qu’il nous enseigne qu’il est avant tout important de reconnaître que nous avons besoin de miséricorde et puis, face aux misères et aux blessures que nous percevons, de ne pas nous replier sur nous-mêmes, mais de nous ouvrir avec sincérité et confiance au Seigneur « Dieu miséricordieux et proche » (ibid., 17, 2), « ami des hommes, […] feu qui dévore[…] les broussailles des péchés » (ibid., 16, 2).

Avec ses paroles, je voudrais enfin invoquer la miséricorde divine et le don de ne jamais nous lasser d’aimer : Esprit Saint, « puissant protecteur, intercesseur et pacificateur, nous t’adressons nos suppliques […]. Accorde-nous la grâce de nous exhorter à la charité et aux œuvres bonnes […]. Esprit de douceur, de compassion, d’amour pour l’homme et de miséricorde, […] Toi qui n’es que miséricorde […] prends-nous en pitié, Seigneur notre Dieu, selon ta grande miséricorde » (Hymne de Pentecôte).

Pape François en Arménie: Prière au Tzitzenakaberd Memorial Complex

Le pape François s’est rendu au Tzitzernakaberd Memorial Complex pour rendre hommage au Metz Yeghern, ou le « Grand Mal », en Arménie samedi matin, où il a offert une prière d’intercession et un long moment de silence pour ceux et celles qui sont morts lors du massacre arméniens sous l’empire Ottaman en 1915. La prière oecuménique comprenait le Notre Père, la lecture de deux passage bibliques (Hébreux 10, 32-36 et Jean 14, 1-13, ainsi qu’une prière du pape François.

À la fin du service, le Saint Père s’est arrêté quelques instants pour bénir et asperger un arbre planté pour commémorer sa visite au mémorial.

Voici la traduction de la prière d’intercession du pape François tiré de Radio Vatican:
Seigneur, qui couronnes tes saints
et accomplis la volonté de tes fidèles,
et regardes avec amour et douceur tes créatures,
écoute-nous des cieux de ta sainteté,
par l’intercession de la sainte Mère de Dieu,
par les suppliques de tous tes saints,
et de ceux dont c’est aujourd’hui la mémoire.
Écoute-nous, Seigneur, et prends pitié,
pardonne-nous, expie et remet nos péchés.
Rends-nous dignes de te glorifier, avec des sentiments de graces,
avec le Père et l’Esprit Saint,
maintenant et pour les siècles des siècles.
Amen.

Pape François en Arménie: Rencontre avec les autorités civiles et le corps diplomatique

Suite à sa visite à la cathédrale arménienne apostolique d’Etchmiadzin, ce vendredi 24 juin 2016, le pape François s’est rendu à Yerevan pour rencontrer le président d’Arménie Serzh Sargsyan. Il s’est ensuite adressé aux autorités civiles et au corps diplomatique au palais présidentiel. Voici le discours qu’il leur a prononcé:

Monsieur le Président,
Distinguées Autorités,
Illustres Membres du Corps Diplomatiques,
Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un motif de grande joie de pouvoir être ici, de fouler le sol de cette terre arménienne si chère, de rendre visite à un peuple aux traditions antiques et riches, qui a témoigné avec courage de sa foi, qui a beaucoup souffert, mais qui est parvenu à toujours renaître. « Notre ciel turquoise, les eaux limpides, le lac de lumière, le soleil d’été et d’hiver, la foire boréale, […] la pierre des millénaires, […] les livres caractérisés par le style, devenus prière » (Elise Ciarenz, Ode à l’Arménie). Voilà quelques images puissantes que l’un de vos illustres poètes nous offre pour nous éclairer sur la profondeur de l’histoire et sur la beauté de la nature de l’Arménie. Elles renferment en peu d’expressions l’écho et la densité de l’expérience glorieuse et dramatique d’un peuple et l’amour dévorant pour sa Patrie.

Je vous suis vivement reconnaissant, Monsieur le Président, pour les aimables paroles de bienvenue que vous m’avez adressées au nom du Gouvernement et des habitants de l’Arménie, et pour m’avoir offert la possibilité, grâce à votre courtoise invitation, d’échanger la visite que vous avez effectuée l’année dernière au Vatican, lorsque vous avez pris part à la célébration solennelle dans la Basilique Saint Pierre, avec leurs Saintetés Karekin II, Patriarche Suprême et Catholicos de Tous les Arméniens, et Aram I, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, et avec Sa Béatitude Nersès Bedros XIX, Patriarche de Cilicie des Arméniens, récemment décédé. À cette occasion, on a fait mémoire du centenaire du Metz Yeghérn, le ‘‘Grand Mal’’, qui a frappé votre peuple et a causé la mort d’une multitude considérable de personnes. Cette tragédie, ce génocide, a inauguré malheureusement la triste liste des effroyables catastrophes du siècle dernier, rendues possibles par d’aberrantes motivations raciales, idéologiques ou religieuses, qui ont enténébré l’esprit des bourreaux au point qu’ils se sont fixé le dessein d’anéantir des peuples entiers. Il est bien triste que – dans ce cas comme dans les autres – les grandes puissances regardaient ailleurs.

Je rends honneur au peuple arménien, qui, éclairé par la lumière de l’Évangile, même dans les moments les plus tragiques de son histoire, a toujours trouvé dans la Croix et dans la Résurrection du Christ la force de se relever et de reprendre le chemin avec dignité. Cela révèle combien sont profondes les racines de la foi chrétienne et quel infini trésor de consolation et d’espérance elle contient. Ayant devant nos yeux les résultats néfastes auxquels ont conduit, au siècle dernier, la haine, le préjugé et le désir effréné de domination, je souhaite vivement que l’humanité sache tirer de ces tragiques expériences la leçon d’agir avec responsabilité et sagesse pour prévenir les dangers de retomber dans de telles horreurs. Que se multiplient donc, de la part de tous, les efforts afin que dans les controverses internationales prévalent toujours le dialogue, la recherche constante et authentique de la paix, la collaboration entre les États et l’engagement assidu des organismes internationaux, en vue de construire un climat de confiance propice à la conclusion d’accords durables tournés vers l’avenir.

L’Église catholique désire collaborer activement avec tous ceux qui ont à coeur les destinées de la civilisation et le respect des droits de la personne humaine, pour faire prévaloir dans le monde les valeurs spirituelles, en démasquant ceux qui en souillent le sens et la beauté. À ce sujet, il est d’importance vitale que tous ceux qui déclarent leur foi en Dieu unissent leurs forces pour isoler quiconque se sert de la religion pour mener des projets de guerre, d’abus et de persécution violente, en instrumentalisant et en manipulant le Saint Nom de Dieu.

Aujourd’hui, les chrétiens en particulier, comme et peut-être plus qu’au temps des premiers martyrs, sont discriminés à certains endroits et persécutés pour le seul fait de professer leur foi, tandis que trop de conflits dans diverses régions du monde ne trouvent pas encore de solutions positives, en causant des deuils, des destructions et des migrations forcées de populations entières.

Il est indispensable, par conséquent, que les responsables des destinées des nations prennent avec courage et sans tarder des initiatives visant à mettre fin à ces souffrances, en faisant de la recherche de la paix, de la défense et de l’accueil de ceux qui sont la cible d’agressions et de persécutions, de la promotion de la justice et d’un développement durable, leurs objectifs prioritaires. Le peuple arménien a fait personnellement l’expérience de ces situations ; il connaît la souffrance et la douleur, il connaît la persécution ; il garde en mémoire non seulement les blessures du passé, mais aussi l’esprit qui lui a permis, chaque fois, de prendre un nouveau départ. En ce sens, je l’encourage à ne pas priver la communauté internationale de sa précieuse contribution.

Cette année, on célèbre le 25ème anniversaire de l’indépendance de l’Arménie. C’est une heureuse circonstance pour laquelle il faut se réjouir et l’occasion de faire mémoire des objectifs atteints et de se proposer de nouveaux buts vers lesquels tendre. Les festivités à cette heureuse occasion seront d’autant plus significatives si elles deviennent pour tous les Arméniens, dans la Patrie et dans la diaspora, un moment spécial pour recueillir et coordonner les énergies, en vue de favoriser un développement civil et social du pays, équitable et inclusif. Il s’agit de veiller constamment à ne jamais manquer aux impératifs moraux d’égale justice pour tous et de solidarité envers les faibles et les moins nantis (cf. Jean-Paul II, Discours au départ de l’Arménie, 27 septembre 2001 : Insegnamenti XXIV, 2[2001], p. 489). L’histoire de votre pays va de pair avec son identité chrétienne, conservée au cours des siècles. Cette identité chrétienne, loin de faire obstacle à la saine laïcité de l’État, l’exige plutôt et l’alimente, en favorisant la citoyenneté participative de tous les membres de la société, la liberté religieuse et le respect des minorités. La cohésion de tous les Arméniens et l’engagement accru afin de déterminer les voies utiles pour surmonter les tensions avec certains pays voisins rendront plus facile la réalisation de ces importants objectifs, en inaugurant pour l’Arménie une époque de vraie renaissance.

L’Église catholique, pour sa part, même en étant présente dans le pays avec des ressources humaines limitées, est heureuse de pouvoir offrir sa contribution à la croissance de la société, particulièrement dans son action en direction des plus faibles et des plus pauvres, dans les domaines de la santé et de l’éducation, ainsi que dans le domaine spécifique de la charité, comme en témoignent l’oeuvre réalisée depuis vingt-cinq ans déjà par l’hôpital ‘‘Redemptoris Mater’’ à Ashotsk, l’activité de l’institut éducatif à Yerevan, les initiatives de Caritas Armenia et les oeuvres gérées par les Congrégations religieuses.

Que Dieu bénisse et protège l’Arménie, terre illuminée par la foi, par le courage des martyrs, par l’espérance plus forte que toute souffrance !

Pape François en Arménie: Visite à la cathédrale arménienne apostolique d’Etchmiadzin

ARMENIA-CATHEDRAL

Ce vendredi 24 juin 2016, le pape François est arrivé en Arménie pour sa 14e visite apostolique. Lisez, ci-dessous, la traduction officielle de son discours en la cathédrale arménienne apostolique d’Etchmiadzin:

Discours du Saint Père
Cathédrale arménienne apostolique
Etchmiadzin, 24 juin 2016

Frère vénéré,
Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens,
Très chers frères et sœurs dans le Christ !

Avec émotion j’ai franchi le seuil de ce lieu sacré, témoin de l’histoire de votre peuple, centre rayonnant de sa spiritualité ; et je considère comme un don précieux de Dieu de pouvoir m’approcher du saint Autel à partir duquel a brillé la lumière du Christ en Arménie. Je salue le Catholicos de tous les Arméniens, Sa Sainteté Karekin II, que je remercie  de tout cœur pour l’heureuse invitation à venir visiter la sainte Etchmiadzin, les Archevêques et les Evêques de l’Eglise apostolique Arménienne, et je vous remercie tous pour l’accueil cordial et joyeux que vous m’avez offert. Merci, Sainteté, de m’avoir accueilli dans votre maison. Beaucoup plus que des paroles, ce signe d’amour dit, de manière éloquente, ce que signifient l’amitié et la charité fraternelle.

En cette occasion solennelle je rends grâce au Seigneur pour la lumière de la foi allumée sur votre terre, la foi qui a conféré à l’Arménie son identité particulière et qui l’a rendue messagère du Christ parmi les Nations. Le Christ est votre gloire, votre lumière, le soleil qui vous a illuminés et qui vous a donné une vie nouvelle, qui vous a accompagnés et soutenus, surtout dans les moments de plus grande épreuve. Je m’incline devant la miséricorde du Seigneur, qui a voulu que l’Arménie devienne la première Nation, depuis l’année 301, à accueillir le christianisme comme sa religion, en un temps où, dans l’empire romain, les persécutions faisaient encore rage.

La foi au Christ n’a pas été pour l’Arménie comme un vêtement que l’on peut mettre ou retirer selon les circonstances ou les convenances, mais une réalité constitutive de son identité même, un don d’une immense portée à accueillir avec joie et à garder avec application et force, au prix de la vie elle-même. Comme l’a écrit saint Jean-Paul II, « avec le “Baptême” de la communauté arménienne […] naît une identité nouvelle du peuple, qui deviendra une partie constitutive et inséparable du fait d’être Arménien. Il ne sera plus possible de penser à partir de ce moment que, parmi les composantes de cette identité, ne figure pas la foi dans le Christ en tant qu’élément constitutif essentiel » (Lett. ap. pour le 1700ème anniversaire du Baptême du peuple arménien, 2 février 2001, n. 2). Que le Seigneur vous bénisse pour ce témoignage lumineux de foi, qui montre de manière exemplaire la puissante efficacité et fécondité du Baptême reçu il y a plus de 1700 ans, avec le signe éloquent et saint du martyre, qui est resté un élément constant de l’histoire de votre peuple.

Je remercie le Seigneur aussi pour le chemin que l’Eglise Catholique et l’Eglise Apostolique Arménienne ont accompli à travers un dialogue sincère et fraternel, dans le but de parvenir au partage plénier de la Table Eucharistique. Que l’Esprit Saint nous aide à réaliser cette unité pour laquelle je prie Notre Seigneur, pour que ses disciples soient une seule chose et que le monde croie. J’aime rappeler ici l’impulsion décisive donnée à l’intensification des relations et au renforcement du dialogue entre nos deux Eglises, dans les temps récents, par leurs Saintetés Vasken I et Karekin I, par saint Jean Paul II et par Benoît XVI. Parmi les étapes particulièrement significatives de cet engagement œcuménique je rappelle la commémoration des Témoins de la foi au XXème siècle, dans le cadre du Grand Jubilé de l’année 2000 ; la remise à Votre Sainteté de la relique du Père de l’Arménie chrétienne saint Grégoire l’illuminateur pour la nouvelle cathédrale de Yerevan ; la Déclaration commune de Sa Sainteté Jean Paul II et de Votre Sainteté, signée ici dans la Sainte Etchmiadzin ; et les visites que Votre Sainteté a accomplies au Vatican à l’occasion d’importants événements et commémorations.

Le monde est malheureusement marqué par des divisions et des conflits, comme aussi par de graves formes de pauvreté matérielle et spirituelle, y compris l’exploitation des personnes, même d’enfants et de personnes âgées ; et il attend des chrétiens un témoignage d’estime réciproque et de collaboration fraternelle, qui fasse resplendir devant toute conscience la puissance et la vérité de la résurrection du Christ. L’engagement patient et renouvelé vers la pleine unité, l’intensification des initiatives communes et la collaboration entre tous les disciples du Seigneur en vue du bien commun, sont comme une lumière resplendissante dans une nuit obscure et un appel à vivre dans la charité et dans la compréhension mutuelle même les différences. L’esprit œcuménique prend une valeur exemplaire aussi au-delà des limites visibles de la communauté ecclésiale, et représente pour tous un rappel fort à concilier les divergences par le dialogue et la valorisation de ce qui unit. De plus, il empêche l’instrumentalisation et la manipulation de la foi, parce qu’il oblige à en redécouvrir les authentiques racines, à communiquer, à défendre et à propager la vérité dans le respect de la dignité de tout être humain et d’une manière qui fait transparaître la présence de cet amour et de ce salut que l’on veut répandre. On offre de cette manière au monde – qui en a l’urgent besoin – un témoignage convaincant que le Christ est vivant et agissant, capable d’ouvrir toujours des voies nouvelles de réconciliation entre les Nations, les civilisations et les religions. On atteste et on rend crédible que Dieu est amour et miséricorde.

Chers frères, quand notre agir est inspiré et mû par la force de l’amour du Christ, la connaissance et l’estime réciproque grandissent, de meilleures conditions sont créées pour un chemin œcuménique fructueux et, en même temps, on montre à toute personne de bonne volonté et à la société tout entière une voie concrète qui peut être parcourue pour harmoniser les conflits qui déchirent la vie civile et creusent des divisions difficiles à guérir. Que Dieu Tout-Puissant, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, par l’intercession de Marie Très Sainte, de Saint Grégoire l’Illuminateur, « colonne de lumière de la Sainte Eglise des Arméniens », et de saint Grégoire de Narek, Docteur de l’Eglise, vous bénisse tous et toute la Nation arménienne et qu’il la garde toujours dans la foi qu’elle a reçue des pères et dont elle a glorieusement témoigné au cours des siècles.

 

Christ, le cœur de la famille : Troisième Chapitre d’Amoris Laetitia

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Jésus Christ est le cœur de la famille. Seule la lumière de son amour peut vraiment manifester l’ardeur de l’amour à laquelle la famille est appelée. Voilà le message du Pape François dans le troisième chapitre d’Amoris Laetitia puisqu’il consiste en « une synthèse de l’enseignement de l’Église sur le mariage et la famille. » Se plaçant dans la perspective du « regard de Jésus », le Pape François appelle toute l’Église à regarder et à suivre le chemin du Seigneur, qui « a regardé avec amour et tendresse les femmes et les hommes qu’il a rencontrés, en accompagnant leurs pas avec vérité, patience et miséricorde, tout en annonçant les exigences du Royaume de Dieu » (Amoris Laetitia, no. 60).

Jésus dans le mariage et dans la famille

Jésus est la clé pour comprendre la profondeur de la vie familiale puisque « le mystère de la famille chrétienne ne peut pas non plus se comprendre pleinement si ce n’est à la lumière de l’amour infini du Père manifesté dans le Christ qui s’est donné jusqu’au bout et qui est vivant parmi nous » (no. 59). De cette perspective christocentrique, le Pape examine la beauté de la vie maritale et de la famille comme fruit de la propre fécondité du Christ. En effet, en Jésus Christ, Dieu est entré dans l’histoire et le drame humains. En la personne de Jésus, l’amour humain et l’amour divin se sont embrassés comme jamais auparavant. Dieu est descendu afin de transformer l’amour humain et le rendre capable d’atteindre les hauteurs de l’amour divin. Dieu s’est fait chair, l’Amour même s’est incarné. Nous réalisons donc que, « de la grâce du sacrement…jaillit du mystère de l’Incarnation et de la Pâque, où Dieu a exprimé tout son amour pour l’humanité et s’est uni intimement à elle. Ils ne seront jamais seuls, réduits à leurs propres forces pour affronter les défis qui se présentent » (no. 74). En d’autres termes, au milieu du mariage chrétien, Dieu est toujours présent, fortifiant l’amour de chacun des époux par la puissance de Son amour pour chacun d’entre eux.

Puisque la grâce de Dieu œuvre dans le sacrement de mariage, l’union sexuelle de l’homme et de la femme devient un chemin de sainteté pour les mariés (no. 74). C’est ainsi car à travers le sacrement, le Christ sanctifie l’union amoureuse de la femme et de l’homme. « Ce n’est qu’en fixant le regard sur le Christ que l’on connaît à fond la vérité sur les rapports humains. En réalité, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné… ». Le mariage chrétien est alors « l’aide mutuelle sur le chemin vers une amitié plus pleine avec le Seigneur » (no. 77).

L’approche du Pasteur

Avec cette vision merveilleusement christocentrique, le Pape François demeure toujours conscient des réalités « imparfaites » des familles et des mariages d’aujourd’hui, tant chrétiens que non chrétiens. Puisque la lumière du Christ « éclaire tout homme », le Pape souligne que « le regard du Christ » doit inspirer la pastorale de l’Église non seulement aux familles saines et heureuses, mais également, et surtout, aux « fidèles qui vivent en concubinage ou qui ont simplement contracté un mariage civil ou encore qui sont des divorcés remariés » (no. 78). Dans leur ministère pastoral « face aux situations difficiles et aux familles blessées », le Pape François exhorte les prêtres et les évêques à « éviter des jugements qui ne tiendraient pas compte de la complexité des diverses situations », « tout en exprimant clairement la doctrine » (no. 79). De plus, pour les pasteurs « il est également nécessaire d’être attentifs à la façon dont les personnes vivent et souffrent à cause de leur condition » (no. 79).

Il ne faut pas que les pasteurs soient rebutés par l’odeur de leurs brebis ! Au contraire, ils sont appelés à prendre soin de leurs brebis, en cherchant surtout celles qui sont les plus éloignées et en danger. En ce sens, le Pape François réaffirme le principe que Saint Jean Paul II a décrit dans son exhortation apostolique Familiaris Consortio : « Les pasteurs doivent savoir que, par l’amour de la vérité, ils ont l’obligation de bien discerner les diverses situations » (no. 79 ; FC 84). Le principe typiquement ignacien de discernement émerge ainsi en tant qu’élément clé de l’approche pastorale du Pape François face à la famille.

L’Unité de la Vie et de l’Amour

Le Saint Père se prononce également sur les questions liées à la vie émergeant du mystère de l’amour familial, en particulier celui de la contraception et des moyens artificiels de procréation. En effet, il affirme que « la sexualité est ordonnée à l’amour conjugal de l’homme et de la femme, ». Ainsi, le Pape souligne le fait que la réalité même de cette union conjugale est ordonnée « par sa nature même » à la procréation. « L’enfant ne vient pas de l’extérieur s’ajouter à l’amour mutuel des époux ; il surgit au cœur même de ce don mutuel, dont il est un fruit et un accomplissement ». Ici le Pape exprime la vérité que, « Dès le départ, l’amour rejette toute tendance à s’enfermer sur lui-même, et s’ouvre à une fécondité qui le prolonge au-delà de sa propre existence ». Le Pape François conclut que l’embrassement sexuel des époux doit toujours rester ouvert à la possibilité de la vie, « même si pour diverses raisons il ne peut pas toujours de fait engendrer une nouvelle vie » (no. 80).

En ce sens, la nouvelle vie trouve, dans le contexte de l’amour entre l’homme et la femme, le lieu le plus approprié pour son apparition. « L’enfant demande à naître de cet amour, et non de n’importe quelle manière, puisqu’il n’est pas un dû, mais un don, qui est le fruit de l’acte spécifique de l’amour conjugal de ses parents » par lequel « l’homme et la femme participent à l’œuvre de [la] création » de Dieu (no. 81). Ainsi, la fermeture à la vie enlève à l’union sexuelle son sens le plus profond. Enlever à l’origine de la vie le berceau de l’amour humain l’éloigne de sa vraie identité. L’amour de l’homme et de la femme est destiné à manifester l’amour de Dieu qui n’est jamais fermé sur lui-même. Au contraire, il est appelé à faire jaillir de son cœur même la beauté d’une vie nouvelle.

Ainsi, l’amour – surtout l’amour entre un homme et une femme – peut être comparé à l’eau qui déborde d’une coupe. Il est de la nature même de l’amour que de déborder. Si l’amour cesse de se répandre, peu importe la quantité d’eau à l’intérieur de la coupe, elle deviendra stagnante et s’évaporera éventuellement jusqu’à s’assécher. En ce sens, l’amour doit toujours être branché la source de vie, qui coule naturellement au-delà d’elle-même.

Dieu a destiné le couple marié à être la fontaine de laquelle l’amour est appelé à déborder en donnant la vie. Dieu lui-même est la Source de cet amour qui donne la vie éternelle. Avec Jésus Christ, l’Amour incarné, en son cœur, la famille peut devenir ce lieu d’où, malgré toutes les difficultés, l’amour et la vie jaillissent en abondance.

Discours du Pape François lors de sa visite au Programme alimentaire mondial

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Mesdames et Messieurs,

Je remercie la Présidente du Conseil d’Administration, Madame Ertharin Cousin, pour l’invitation qu’elle m’a faite afin que j’inaugure la Session Annuelle 2016 du Conseil d’Administration du Programme Alimentaire Mondial , ainsi que pour les paroles de bienvenue qu’elle m’a adressées. Mes salutations vont également à Madame l’Ambassadeur Stéphanie Hochstetter Skinner-Klée, Présidente de cette importante Assemblée, qui réunit les Représentants de divers gouvernements appelés à prendre des initiatives concrètes pour la lutte contre la faim. Et en vous saluant, vous tous ici réunis, je vous remercie des nombreux efforts et engagements pour une cause qui ne peut pas ne pas nous interpeller: la lutte contre la faim dont souffrent beaucoup de nos frères.

Je viens de prier devant le ‘‘Mur de la mémoire’’, témoin du sacrifice qu’ont réalisé les membres de cet Organisme, en donnant leur vie pour que, même au milieu de vicissitudes complexes, le pain ne manque pas à ceux qui ont faim. Mémoire que nous devons garder afin de continuer à lutter, avec la même vigueur, pour l’objectif si désiré de ‘‘faim zéro’’. Ces noms gravés à l’entrée de cette Maison sont un signe éloquent du fait que le PAM, loin d’être une structure anonyme et formelle, constitue un précieux instrument de la communauté internationale pour entreprendre des activités toujours plus vigoureuses et efficaces. La crédibilité d’une Institution ne se fonde pas sur ses déclarations, mais sur les actions réalisées par ses membres. Elle se fonde sur ses témoignages.

Parce que nous vivons dans un monde interconnecté et hyper informé, les distances géographiques paraissent se raccourcir. Nous avons la possibilité d’entrer en contact presque simultanément avec ce qui est en train de se passer de l’autre côté de la planète. Grâce aux technologies de la communication, nous nous approchons de nombreuses situations douloureuses qui peuvent aider (et qui ont aidé) à réaliser des gestes de compassion et de solidarité, même si, paradoxalement, cette proximité apparente créée par l’information, semble se fissurer chaque jour davantage. L’information excessive dont nous disposons génère progressivement – excusez le néologisme – la ‘‘naturalisation’’ de la misère. C’est-à-dire que peu à peu, nous sommes immunisés contre les tragédies des autres et nous les considérons comme quelque chose de ‘‘naturel’’. Les images qui nous envahissent sont si nombreuses que nous voyons la souffrance, mais nous ne la touchons pas; nous entendons des pleurs, mais nous ne consolons pas; nous voyons la soif, mais nous ne l’étanchons pas. Ainsi, beaucoup de vies apparaissent comme faisant partie d’une nouvelle qui sera vite substituée par une autre. Et tandis les nouvelles que changent, la souffrance, la faim et la soif ne changent pas, elles demeurent. Cette tendance – ou tentation – exige de nous un pas de plus et, en même temps, révèle le rôle fondamental que les Institutions comme la vôtre ont à l’échelle globale. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous contenter de connaître seulement la situation de beaucoup de nos frères. Les statistiques ne nous rassasient pas. Il est insuffisant d’élaborer de longues réflexions ou de nous adonner à d’interminables discussions sur ces mêmes réflexions, en répétant sans cesse des sujets déjà connus de tous. Il faut ‘‘dénaturaliser’’ la misère et cesser de la considérer comme une donnée de plus de la réalité. Pourquoi? Parce que la misère a un visage. Elle a le visage d’enfants, elle a le visage de familles, elle a le visage de jeunes gens et de personnes âgées. Elle a un visage dans le manque d’opportunités et de travail chez de nombreuses personnes, elle a le visage de migrations forcées, de maisons vides ou détruites. Nous ne pouvons pas ‘‘naturaliser’’ la faim de tant de personnes; il ne nous est pas permis de dire que leur situation est le fruit d’un destin aveugle face auquel nous ne pouvons rien. Et lorsque la misère cesse d’avoir un visage, nous pouvons succomber à la tentation de commencer à parler et à discuter sur ‘‘la faim’’, sur ‘‘l’alimentation’’, sur ‘‘la violence’’ en laissant de côté le sujet concret, réel, qui aujourd’hui continue de frapper à nos portes. Lorsque les visages et les histoires sont perdues de vue, les vies commencent à devenir des chiffres, et ainsi progressivement nous courons le risque de bureaucratiser la souffrance des autres. Les bureaucraties s’occupent des dossiers; la compassion – non pas la pitié, la compassion, le pâtir-avec – au contraire, s’engage pour les personnes. Et je crois qu’en cela, nous avons beaucoup à faire. Conjointement avec toutes les actions qui se mènent déjà, il est nécessaire de travailler pour ‘‘dénaturaliser’’ et débureaucratiser la misère et la faim de nos frères. Cela exige de nous une intervention à divers échelons et niveaux où sera établie comme l’objectif de nos efforts la personne concrète qui souffre et a faim, mais qui a aussi en elle-même un immense flux d’énergies et de potentialités que nous devons aider à concrétiser.

1. “Dénaturaliser” la misère

Lorsque j’ai été à la FAO, à l’occasion du IIème Conférence Internationale sur la nutrition, je vous disais que l’une des grandes incohérences que nous étions invités à assumer était le fait que, alors qu’il y a de la nourriture pour tous, «tous ne peuvent pas manger, tandis que le gaspillage, le déchet, la consommation excessive et l’utilisation de nourriture à d’autres fins sont devant nos yeux » ( Discours à la Plénière de la Conférence [20 novembre 2014], L’Osservatore Romano , éd. hebdomadaire en langue française, 27 novembre 2014, p. 5).

Disons-le clairement, le manque d’aliments n’est pas quelque chose de naturel, ce n’est une donnée ni obvie, ni évidente. Le fait qu’aujourd’hui, en plein XXIème siècle, beaucoup de personnes souffrent de ce fléau est dû à une distribution des ressources égoïste et mauvaise, à une ‘‘marchandisation’’ des aliments. La terre, maltraitée et exploitée, en beaucoup d’endroits dans le monde continue de nous donner ses fruits, de nous offrir le meilleur d’elle-même; les visages affamés nous rappellent que nous avons détourné ces fruits de leurs fins. Nous avons transformé un don qui a une finalité universelle en un privilège de peu de personnes. Nous avons fait de ces fruits de la terre – don pour l’humanité – des commodities de quelques-uns, en créant de cette manière l’exclusion. Le consumérisme – dans lequel nos sociétés se voient insérées – nous a poussés à nous habituer au superflu et au gaspillage quotidien de nourriture, auquel nous ne sommes plus capables d’accorder sa juste valeur, qui va au-delà des paramètres purement économiques. Mais cela nous ferait du bien de nous souvenir que la nourriture qui se jette, c’est comme si elle était volée à la table du pauvre, de celui qui a faim. Cette réalité nous demande de réfléchir sur le problème de la perte et du gaspillage de nourriture afin d’identifier des voies et des modes qui, affrontant sérieusement cette problématique, soient des moyens de solidarité et de partage avec ceux qui sont le plus dans le besoin [cf. Catéchèse du 5 juin 2013: L’Osservatore Romano , éd. hebdomadaire en langue française, 6 juin 2013, p. 3]

2 . Débureaucratiser la faim

Nous devons le dire sincèrement: il y a des thèmes qui sont bureaucratisés. Il y a des actions qui sont ‘‘bloquées’’. L’instabilité mondiale que nous vivons est connue de tous. Ces derniers temps, les guerres et les menaces de conflits prédominent dans nos intérêts et dans nos débats. Et ainsi, devant la grande gamme de conflits en cours, il semble que les armes aient atteint une prépondérance inhabituelle, de telle sorte qu’elles ont complètement marginalisé les autres manières de résoudre les différends. Cette préférence est déjà si enracinée et si acceptée qu’elle empêche la distribution de nourriture dans les zones de guerre, allant même jusqu’à la violation des principes et des directives les plus fondamentaux du droit international, en vigueur depuis plusieurs siècles. Nous nous trouvons ainsi devant un phénomène étrange et paradoxal: tandis que les aides et les plans de développement sont contrecarrés par des décisions politiques compliquées et incompréhensibles, par des visions idéologiques biaisées ou par des barrières douanières infranchissables, les armes elles ne le sont pas; peu importe la provenance, elles circulent avec une liberté fanfaronne et presqu’absolue dans de nombreuses parties du monde. Et de cette manière, ce sont les guerres qui se nourrissent et non les personnes. Dans certains cas, la faim elle-même est utilisée comme une arme de guerre. Et les victimes se multiplient, parce que le nombre des personnes qui meurent de faim et d’épuisement s’ajoute à celui des combattants qui trouvent la mort sur les champs de bataille et au nombreux civils qui sont tués dans les conflits et dans les attentats. Nous en sommes pleinement conscients, mais nous laissons notre conscience s’anesthésier et ainsi nous la rendons insensible, peut-être par des paroles qui la justifient, mais face à tant de tragédies on ne peut pas ; l’anesthésie est plus grave. De cette façon, la force devient notre unique manière d’agir et le pouvoir, notre objectif péremptoire à atteindre. Les populations les plus fragiles non seulement souffrent des conflits armés mais, en même temps, elles voient que toute aide est entravée. C’est pourquoi il est urgent de débureaucratiser tout ce qui empêche les plans d’aide humanitaire d’atteindre leurs objectifs. En cela, vous avez un rôle fondamental, puisque nous avons besoin de véritables héros capables d’ouvrir des chemins, de construire des ponts, de faciliter les opérations qui mettront l’accent sur le visage de celui qui souffre. Les initiatives de la communauté internationale doivent également être orientées vers cet objectif.

Il ne s’agit pas d’harmoniser les intérêts qui continuent d’être liés à des visions nationales centripètes et à des égoïsmes non avouables. Il faut plutôt que les Etats membres accroissent substantiellement leur réelle volonté de coopérer à ces fins. Pour cela, qu’il serait important que la volonté politique de tous les pays membres permette et accroisse considérablement leur volonté de coopérer avec le Programme Alimentaire Mondial pour que non seulement il puisse répondre aux urgences mais aussi qu’il puisse réaliser des projets vraiment consistants et promouvoir des programmes de développement à long terme, selon les demandes de chacun des gouvernements et selon les besoins des peuples!

Le Programme Alimentaire Mondial , par le chemin parcouru et par son activité, démontre qu’il est possible de coordonner des connaissances scientifiques, des décisions techniques et des actions pratiques avec des efforts destinés à recueillir des ressources et à les distribuer de manière équitable, c’est-à-dire en respectant les exigences de celui qui les reçoit et la volonté du donneur. Cette méthode, dans les zone les plus démunies et les plus pauvres, peut et doit garantir le développement approprié des capacités locales et éliminer progressivement la dépendance extérieure, en même temps qu’elle permet de réduire la perte de nourriture, en sorte que rien ne soit gaspillé. En un mot, le PAM est un précieux exemple de la façon dont on peut travailler dans le monde entier pour éradiquer la faim à travers une meilleure assignation des ressources humaines et matérielles, en renforçant la communauté locale. A ce sujet, je vous encourage à continuer d’aller de l’avant. Ne vous laissez pas vaincre par la fatigue, qui est grande, ni ne permettez que les difficultés vous fassent reculer. Croyez en ce que vous faites et continuez à y mettre de l’enthousiasme, qui est la manière dont la semence de la générosité germe avec force. Permettez-vous le luxe de rêver. Nous avons besoin de rêveurs qui feront avancer ces projets.

L’Église catholique, fidèle à sa mission, veut contribuer à toutes les initiatives visant à sauvegarder la dignité des personnes, spécialement celles dont les droits sont violés. Pour faire de cette priorité urgente de ‘‘faim zéro’’ une réalité, je vous assure de notre soutien entier et de notre appui total afin de favoriser tous les efforts commencés.

‘‘J’avais faim et vous m’avez donné à manger, j’avais soif et vous m’avez donné à boire’’. Dans ces mots se trouve l’un des points clefs du christianisme. Une expression qui, au-delà des credo et des convictions, pourrait être offerte comme règle d’or à nos peuples. Et comme à un peuple, de la même manière à l’humanité tout entière. L’humanité joue son avenir dans sa capacité à répondre à la faim et à la soif de ses frères. Dans cette capacité de secourir celui qui a faim et celui qui a soif, nous pouvons prendre le pouls de notre humanité. Voilà pourquoi, je souhaite que la lutte pour éradiquer la faim et la soif de nos frères et avec nos frères continue de nous interpeller; qu’elle ne nous laisse pas dormir et qu’elle nous fasse rêver: les deux choses ensemble; qu’elle nous interpelle afin que nous cherchions avec un esprit créatif des solutions de changement et de transformation.

Et que Dieu Tout-Puissant soutienne par sa bénédiction le travail de vos mains. Merci!

Déclaration du Père Lombardi pour le massacre à Orlando

Orlando cropped

Voici la déclaration du Père Federico Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, au nom du Pape François à propos du massacre à Orlando hier, dimanche 12 juin 2016.

Le terrible massacre qui a eu lieu à Orlando, qui a fait de très nombreuses victimes innocentes, a suscité chez le Pape François et chez chacun de nous des sentiments très profonds d’exécration et de condamnation, de douleur, de trouble devant cette nouvelle manifestation d’une folie meurtrière et d’une haine insensée. Le Pape Francois s’unit dans la prière et dans la compassion à la souffrance indicible des familles des victimes et des blessés et il les recommande au Seigneur afin qu’ils puissent trouver du réconfort. Nous souhaitons tous que les causes de cette violence horrible et absurde, qui trouble profondément le désir de paix du peuple américain et de toute l’humanité, puissent être déterminées et combattues efficacement et au plus vite.

Père Federico Lombardi, SJ
Directeur, Bureau de presse du Saint-Siège

(CNS Photo/Steve Nesius, Reuters)

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