Óscar Romero: archevêque et martyr

(Image: courtoisie de Wikimedia)

Nous célébrons cette semaine la fête de saint Óscar Romero, archevêque de San Salvador et martyr. Né le 15 août 1917 à Ciudad Barrios, fait martyr devant l’autel le 24 mars 1980, Romero est l’une des figures les plus fascinantes de l’Église au XXe siècle. 

Devenu le symbole de la lutte pour la justice sociale, son souvenir est chéri tout particulièrement dans les sociétés latino-américaines, où la mémoire de son combat pour la défense des plus marginalisés combinée à sa fidélité à l’enseignement de l’Église et à l’autorité romaine ont fait de lui une icône, lui qui est vénéré même en dehors de l’Église catholique, jusque dans la Communion anglicane. 

 

Canonisation : terme d’un long processus

La cause de canonisation d’Óscar Romero, commencée en 1993, aboutit il y a trois ans en 2018, lorsqu’il est déclaré saint de l’Église catholique par le Pape François. Le processus pour parvenir à cette canonisation a pris du temps, notamment en raison des implications de son engagement social et politique dans les débuts de la Guerre civile au Salvador. En effet, plusieurs se sont questionnés sur les motivations de sa mise en mort alors qu’il célébrait la messe: étaient-elles de nature essentiellement politiques ou plutôt de nature religieuse? 

En février 2015, la Congrégation pour la cause des saints approuve la reconnaissance du martyr d’Óscar Romero, réputé mort pour sa foi. Cette reconnaissance est suivie de sa béatification en 2015, à San Salvador puis de sa canonisation, à Rome. 

Un contexte difficile

La mort de saint Óscar Romero intervient dans un contexte d’importantes tensions sociales et politiques. En octobre 1989, survient un coup d’État militaire dirigé contre le président salvadorien en exercice, Carlos Humberto Romero, à la suite duquel est établie une junte militaire pour diriger le pays. Ce coup d’État sera suivi d’un important conflit civil qui devait maintenir la société salvadorienne dans la guerre pour une douzaine d’années.

Saint Óscar Romero, depuis quelques années archevêque de San Salvador, capitale et plus grande ville du pays, intervient publiquement et demande au président américain de l’époque, Jimmy Carter, de mettre un terme au soutien de son gouvernement au régime, critiquant en des termes sévères l’action de la junte militaire en place. 

Le martyr d’Óscar Romero

Le 23 février 1980, il prononce un sermon dans lequel il enjoint les membres des forces armées de cesser d’obéir aux ordres de leurs supérieurs et de mettre un terme aux violations des droits humains, aux attaques contre des civils, notamment. Le lendemain, à l’occasion d’une récollection organisée par des membres de l’Opus Dei, dont Romero était un partisan, le saint archevêque est fusillé devant l’autel, quelques instants après avoir terminé son homélie. À ces terribles événements se sont ajoutées des violences importantes à l’occasion de ses funérailles.

L’assassinat de saint Óscar Romero n’était pas qu’une exaction politique. Son martyr était motivé par le désir, chez ses contempteurs, de combattre une institution et une foi déterminées à défendre la dignité humaine contre ceux qui la négligent et l’attaquent, dans une démarche alimentée par le mépris et le désir d’obtenir, de concentrer et de conserver le pouvoir. 

Les débats autour de la théologie de la libération

Dans certains milieux, l’élévation de saint Óscar Romero a été moins bien comprise. Cela s’explique en partie par la dimension sociale et politique du ministère de Romero, que certains ont voulu associer à la théologie de la libération. Ce mouvement théologique, puis sociopolitique, met en relation l’Évangile et la lutte pour la justice sociale, c’est-à-dire contre la pauvreté, la misère, la faim et l’exploitation. 

Un courant parfois excessivement matérialiste de ce mouvement a suscité la condamnation par les autorités romaines de certains éléments de la théologie de la libération, notamment lorsqu’informés par une lecture marxiste des rapports de classes et une insistance sur les questions sociales et politiques occultant l’essentiel du message évangélique. 

 

Saint Óscar Romero, au contraire, fonde son action sur une fidélité à l’autorité pontificale, une insistance sur l’unité de l’Église et sur une libération plus profonde, spirituelle, qui dépassent les considérations purement sociales et politiques et engagent la personne dans son rapport au Christ. Romero est aussi connu pour sa spiritualité ignatienne et son attachement au charisme de l’Opus Dei, dont l’insistance sur la sanctification par le travail et la vie ordinaire a profondément marqué l’Église, notamment sous le pontificat de saint Jean-Paul II. 

En mémoire des Martyrs Jésuites du Salvador

La tombe du bienheureux Romero dans la cathédrale métropolitaine de San Salvador. Photo de CNS / par Luis Galdamez, Reuters

« Mourir pour la vérité et vivre avec la vérité » En mémoire des martyrs jésuites du Salvador par P. Michael Czerny, s.j.

Dans les années 1970 Au Salvador, les mouvements paysans, les syndicats et d’autres organisations de la base fesaient des changements économiques, politique et social. Dans les années 1980, cette agitation devint une guerre civile quand plusieurs organisations de guérilla se regroupèrent au sein du Front Farabundo Marti de libération nationale (FMLN)pour combattre le régime militaire qui bénéficiait de l’appui inconditionnel des États-Unis. Le conflit atteignit son point culminant en 1989 quand le FMLN lança une attaque contre la capitale dont il parvint à contrôler la moitié. À ce point de tension maximale, ce que craignaient plus que tout les forces armées, c’est que le père Ignacio Ellacuría, s.j., ne soit nommé médiateur, ce qui les contrain-drait à reconnaître le FMLN et à lui faire des concessions.

Le lundi 13 novembre 1989, Ellacuría était rentré d’Espagne et s’était rendu à l’Université centre-américaine (UCA) dont il était le recteur. La résidence jésuite se trouvait dans un quartier voisin, mais pour des raisons de sécurité, on venait d’en construire une nouvelle sur le campus. Le soir même, la maison fit l’objet d’un raid de commandos d’un bataillon contre-insurrectionnel entraîné aux États-Unis, qui prétendaient rechercher des armes. Deux jours plus tard, dans la soirée du mercredi 15 novembre, à la base militaire située à environ un kilomètre du campus jésuite, le haut commandement se réunit. Après qu’on eut évalué le risque d’une médiation d’Ellacuría, l’ordre tomba : «Tuez Ellacuría et ne laissez aucun témoin.»

Un peu après minuit le 16 novembre, des membres du même bataillon occupèrent le campus et envahirent la résidence jésuite. Cinq des prêtres furent conduits à l’extérieur, contraints de s’allonger sur le sol et assassinés d’une balle dans la tête. Le plus vieux fut tué à l’intérieur avec deux femmes qui avaient cherché refuge tout près dans la salle de couture.

Qui sont les huit martyrs de l’UCA ? D’abord, les deux femmes terrifiées par les tirs à proximité de leur petite maison à l’entrée du campus. Elles étaient venues chercher refuge à la résidence des jésuites. Julia Elba Ramos était une personne très simple, à demi analphabète, dévouée et enjouée. Elle travaillait au théologat des jésuites (où j’ai résidé pendant 2 ans). Elle y faisait la cuisine et le ménage, mais en réalité elle était aussi un élément important de la communauté de formation jésuite, et elle n’hésitait pas à donner de sages conseils à ceux qui se décou-rageaient. Julia avait 42 ans et elle est morte en serrant dans ses bras sa fille de 15 ans, Celina, comme pour la protéger des balles. Julia Elba et Celina représentent le peuple de Dieu au service des martyrs de l’UCA et pour qui elles ont donné leur vie.

Il y avait aussi deux jésuites que j’avais eu l’occasion de croiser : Juan Ramón Moreno, doté d’une solide formation en philosophie et en théologie, ancien maître des novices de la province d’Amérique centrale et alors secrétaire du provincial. Il avait 56 ans ; c’était un homme doux, qui ne haussait jamais le ton et Joaquin López y López, né dans l’une des familles les plus riches du Salvador, qui avait embrassé la simplicité et l’humilité. Et il avait fondé Fe y Alegría, vaste programme d’éducation populaire destiné aux populations les plus pauvres. Lolo avait 71 ans.

Depuis plus de dix ans, Ignacio Ellacuría était le recteur de l’UCA. La longue souffrance des pauvres inspirait l’ardeur qu’il mettait à rechercher un règlement négocié à la guerre civile. Ellacu avait 59 ans.

Segundo Montes fut le premier chez les jésuites à s’inquiéter des réfugiés déplacés par la guerre et à étudier leur situation. Sociologue, il avait publié d’excellentes recherches sur l’agriculture salvadorienne ainsi que sur la culture autochtone et les croyances religieuses. Segundo avait fondé l’Institut des droits de la personne de l’UCA (IDHUCA) ; je lui ai succédé comme directeur. Il avait 56 ans. J’en avais 43 quand j’ai pris la relève.

Il y en a deux que je connaissais bien: Amando López et Ignacio Martín-Baró. J’avais rencontré Amando López pour la première fois à Managua en 1978, où il était recteur de l’École secondaire centre-américaine. Doux, généreux et attachant, il avait 53 ans. À peu près à la même époque, en 1978, Ignacio Martín-Baró et moi étions étudiants de 2e cycle à l’Université de Chicago. Très doué sur le plan intellectuel, Nacho mettait la psychologie sociale au service des sans-voix; il avait fondé l’Institut d’opinion publique de l’UCA (IUDOP). Il avait 47 ans.

L’héritage que nous ont laissé nos compagnons tient avant tout à leur témoignage de foi et à leur profond amour des pauvres. Per fidem martyrum pro veritate morientum cum veritate viventium. Saint Augustin résume ainsi le mystère : par la foi des martyrs qui meurent pour la vérité et qui vivent avec la vérité (La Cité de Dieu, IV, 30). Cette vérité ne serait pas toute la vérité si elle n’incluait pas le Christ, la justice et la paix.

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Le père Michael Czerny s.j., jésuite canadien, était directeur du Centre jésuite pour la foi sociale et la justice de Toronto quand, il y a 26 ans, huit personnes furent assassinées à l’Université centre-américaine (UCA). Celui qui était alors le provincial du Canada anglais, le père William Addley, s.j., accompagna Michael aux funérailles et l’envoya peu après en mission au Salvador pour contribuer à la reconstruction de l’UCA. Le père Czerny est aujourd’hui adjoint spécial du cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, président du Conseil pontifical pour la justice et la paix, au Vatican.

Cet extrait provient du magazine Sel et Lumière édition hiver 2015

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