Pour un christianisme à la hauteur des défis de notre époque

CNS photo/Tyrone Siu, Reuters

Poursuivant notre exploration de l’exhortation apostolique « Gaudete et Exsultate » du pape François, nous examinons aujourd’hui le chapitre 4 du document. Intitulé « Quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel », ce chapitre, comme son nom l’indique, souligne les différentes vertus requises par notre monde afin d’être des témoins crédibles de la Révélation pour nos contemporains.

Une sainteté adaptée

Cela est évident, la sainteté ne consiste ni en une acceptation béate des valeurs portées par une culture, une société ou une époque, ni en un refus pur et simple de ce que notre monde nous propose. Pour le pape François, le mot clef (et très ignacien) pour comprendre en quoi consiste aujourd’hui l’appel de Dieu pour chacun de nous est « discernement ». Ainsi, nous devons connaître et comprendre les beautés et les laideurs de notre temps pour en retirer le meilleur et en rejeter le mauvais.

Le document poursuit donc suivant cette méthode du discernement en dressant d’abord un portrait de la réalité qui nous entoure. À plusieurs égards, nous sommes plongés dans une société de la performance, extrêmement rapide qui laisse de moins en moins de place à la gratuité. Cherchant à monnayer chaque espace de la vie humaine, les relations, qui jusqu’alors avaient échappé au moule de l’économique, sont maintenant interprétées sous l’angle du profit ayant comme conséquence, entre autres, l’exclusion des personnes âgées qui sont soi-disant, des « fardeaux » pour la société. La virtualisation exponentielle ne faisant qu’accélérer ce processus d’accélération, nos sociétés cherchent désespérément une solution au mal intérieur qui nous travaille. Cette recherche désespérée mène souvent à de fausses solutions telles que les antidépresseurs, les drogues et les relations factices. Devant ce portrait des moins reluisants, l’Église nous appelle à découvrir et développer certaines vertus plus spécialement adaptées à notre époque.

Endurance, patience et douceur

Pour le pape François, il est clair que la sainteté, aujourd’hui, tout en étant accessible, n’est pas de tout repos. Elle requiert les trois vertus, que sont l’endurance, la patience et la douceur spécialement liées à notre rapport au temps qui nous semble si court aujourd’hui. Pendant que l’endurance nous permet de supporter des obstacles permanents sur notre chemin, la patience nous permet de tempérer notre besoin de satisfaire nos désirs. Quant à la douceur, elle vient ajuster notre caractère qui, lorsque nous subissons des contrariétés et exerçons de la patience et de l’endurance, nous retient de déverser sur les autres nos propres souffrances. Enfin, il est important de ne pas confondre ces vertus avec ce que le Saint-Père nomme « l’accoutumance » qui, elle,  nous empêche d’affronter le mal et nous incite à penser que « chercher à changer quelque chose n’a pas de sens, que nous ne pouvons rien faire face à cette situation, qu’il en a toujours été ainsi et que nous avons survécu malgré cela.[…]que les choses ‘‘soient ce qu’elles sont’’, ou ce que certains ont décidé qu’elles soient » (no 137).

Joie et sens de l’humour

À la rapidité explicitée plus haut, nous devons ajouter avec le Pape que notre monde est plongé dans une soif de consommation sans pareille de biens matériels. En effet, « dans cette culture se manifestent : l’anxiété nerveuse et violente qui nous disperse et nous affaiblit ; la négativité et la tristesse ; l’acédie commode, consumériste et égoïste ;  l’individualisme et de nombreuses formes de fausse spiritualité sans rencontre avec Dieu qui règnent dans le marché religieux actuel » (no 110). Devant cette réalité, on ne doit pas se surprendre du goût de notre monde pour les mauvaises nouvelles, les drames et la suspicion de tous contre tous. Dans un tel contexte, les chrétiens doivent vivre et manifester la joie qu’ils ont reçue gratuitement sans même l’avoir méritée. Le rire et le sens de l’humour étant des signes extérieurs de la joie du cœur, il est important de garder cette humilité qui nous rend capables de rire de nous-mêmes. Suivant les paroles de saint Thomas More nous pouvons dire « Seigneur, ne permets pas que je me fasse trop de souci pour cette chose encombrante que j’appelle ‘‘moi’’. Seigneur, donne-moi l’humour pour que je tire quelque bonheur de cette vie et en fasse profiter les autres. Ainsi soit-il ! » (no 126).

Audace et ferveur

Loin des stéréotypes répertoriés dans la culture populaire, la sainteté chrétienne n’a rien d’ennuyant ou d’ennuyeux. Il s’agit plutôt du don accepté et de la volonté ferme orientée par le Christ en faveur du bonheur éternel des âmes. Rappelons-nous l’histoire de sainte Jeanne d’Arc qui, faisant fi d’innombrables obstacles (même ceux dressés par l’Église établie par le Christ !) qui se dressaient devant elle, accepta sa vocation et la porta jusqu’au martyre du bûché. Rien de plus beau et de plus édifiant que l’histoire de cette jeune pucelle qui transforma le destin de nations entières par la Force divine nichée dans sa propre faiblesse. Quelle audace et quelle ferveur !

Or, « comme le prophète Jonas, nous avons en nous la tentation latente de fuir vers un endroit sûr qui peut avoir beaucoup de noms : individualisme, spiritualisme, repli dans de petits cercles, dépendance, routine, répétition de schémas préfixés, dogmatisme, nostalgie, pessimisme, refuge dans les normes (no 134)». Nous devons donc sortir de nous-mêmes, de nos habitudes, de nos doutes, de nos peurs, de nos scrupules et faire place à ce « Dieu qui est toujours une nouveauté » (no 135).

 

Comme nous venons de le voir, ce magnifique document du pape François nous montre que « L’Église n’a pas tant besoin de bureaucrates et de fonctionnaires, que de missionnaires passionnés, dévorés par l’enthousiasme de transmettre la vraie vie. Les saints surprennent, dérangent, parce que leurs vies nous invitent à sortir de la médiocrité tranquille et anesthésiante » (no 138)[6].Le document nous donne aussi les critères toujours nouveaux pour découvrir les saints qui sont encore parmi nous et qui nous aident à savoir comment devenir nous-mêmes, saints. Ainsi et seulement ainsi, le Christ pourra rayonner de nouveau dans ce monde qui en a grandement besoin.

De l’humanité qui se sauve au Sauveur de l’humanité

CNS photo/Paul Haring

Il y a quelques semaines déjà, le pape Françoispubliait l’Exhortation apostolique « Gaudete et Exsultate » sur l’appel à la sainteté dans le monde actuel. Nous poursuivrons aujourd’hui notre analyse de ce texte magnifique en abordant le chapitre 2 dédié à ce que le Saint-Père nomme les « ennemis subtils de la sainteté » (no35). Pour le pape François, l’Église et notre monde sont malheureusement influencés par deux « hérésies » (no 35)qui mettent en péril « l’une des grandes convictions définitivement acquises par l’Église » (no 55). En effet, d’un côté comme de l’autre, le gnosticisme et le pélagianisme remettent en doute, chacun à sa façon, l’enseignement dogmatique du Concile de Trente selon lequel « nous sommes « justifiés gratuitement parce que rien de ce qui précède la justification, que ce soit la foi ou les œuvres, ne mérite cette grâce de la justification »[1].

Des maux à la commune racine

Comme nous venons de le dire, ces deux courantsde pensée qui contredisent la vérité révélée par le Christ sont comme les deux côtés d’une même médaille. Procédant d’une même origine soit l’« immanentisme anthropocentrique déguisé en vérité catholique » (no 35), ces deux doctrines nous détournent de la personne du Christ en nous faisant croire que nous pouvons, individuellement et collectivement, nous sauver du mal et de la mort par nos propres forces.

Gnosticisme : enfermer ce qui est ouvert  

Selon le pape François, d’importants secteursde l’Église souffrent d’une forme nouvelle de gnosticisme. Défini comme « une foi renfermée dans le subjectivisme où seule compte une expérience déterminée ou une série de raisonnements et de connaissances… » (no 36) le gnosticisme confond le contenu de la foi avec sa formulation intellectuelle. Plutôt que de soumettre la raison à la réalité objective du Mystère contemplé, le gnostique le réduit à ses propres catégories. En ce sens, ce n’est donc plus la Personne du Christ qui me sauve mais moi-même par l’entremise de ma connaissance.  Cela a souvent pour conséquence de créer des communautés renfermées ressemblant davantage à des clubs sélects qu’à une maison aux portes ouvertes.

Devant ces tentatives, conscientes ou non, de réduire le Mystère du salut à une « logique froide et dure qui cherche à tout dominer » (no 39), nous devons répondre par une reconnaissance « des limites de la raison » (no43) et par une admiration constante devant la grandeur insaisissable de Dieu et l’immensité du don qui nous est fait gratuitement en Jésus-Christ.

Pélagianisme : un salut à la hauteur de notre médiocrité

Comme le dit lui-même le Pape, « Le gnosticisme a donné lieu à une autre vieille hérésie qui est également présente aujourd’hui » (no 47). De même que le gnostique de tendance chrétienne octroyait la capacité du salut à la connaissance humaine, le pélagiens affirme que le salut de l’homme provient de ses bonnes œuvres. Se détournant de sa nature spirituelle, la foi catholique devient, en quelque sorte, une utopie politique. C’est alors que la Révélation devient la transmission de belles valeurs dont la mise en pratique ne dépendrait que de la bonne volonté de chacun. Dans ce cas, Jésus devient « une bonne personne et un modèle à imiter ». Du Sauveur de l’humanité on passe à l’humanité qui se sauve.

Or, contrairement à leurs intentions, les pélagiens mettent un trop lourd fardeau sur notre pauvre humanité, ce qui a pour conséquence de faire obstacle au bien qui aurait pu être fait. Pour utiliser les mots du théologien Joseph Ratzinger, « la recherche de l’absolu dans l’histoire est l’ennemi du bien qui s’y trouve ». Suivant l’idée de Chesterton qui disait que « ce n’est pas qu’on ait essayé l’idéal chrétien et qu’on l’ait trouvé déficient; mais plutôt que, l’ayant trouvé trop difficile, on ne l’a pas essayé », le pape affirme que « la grâce agit historiquement et, d’ordinaire, elle nous prend et nous transforme de manière progressive. C’est pourquoi, si nous rejetons ce caractère historique et progressif, nous pouvons, de fait, arriver à la nier et à la bloquer, bien que nous l’exaltions par nos paroles (no 50).

Ainsi, devant toutes les idéologies de notre temps : néo-libéralisme, transhumanisme, idéologie du genre, marxisme et leurs différentes reformulations théologiques que l’on retrouvent parfois dans l’Église, « Il nous faut « accepter joyeusement que notre être soit un don, et accepter même notre liberté comme une grâce. C’est ce qui est difficile aujourd’hui dans un monde qui croit avoir quelque chose par lui-même, fruit de sa propre originalité ou de sa liberté » (no 55).

Conclusion

Comme nous venons de le voir, le deuxième chapitre de l’Exhortation apostolique du pape François « Gaudete et Exultate » appuie d’une manière admirable ce que le pape émérite écrivait à propos de son successeur : « contre le préjugé stupide en vertu duquel le pape François ne serait qu’un homme pratique dénué de toute formation théologique ou philosophique »[15]. Que ce soit par sa fine analyse des problèmes doctrinaux qui touchent l’Église ou par la perspicacité des solutions qu’il promeut, le pape François se présente ici comme un pasteur éclairé dont les écrits méritent l’attention de tous les fidèles. Nous poursuivrons notre lecture de ce document la semaine prochaine.

[1]Ses. 6èmeDecretum de iustificatione, chap. 8, DH 1532 (H. Denziger, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris 2010, p. 422).

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