Pour guérir les blessures du Canada : le Pape François et les peuples autochtones

Julian Paparella avec Lina, survivante des écoles résidentielles qui a 90 ans, le matin des excuses présentées par le pape François à Maskwacis, en Alberta, le 24 juillet 2022.

Julian Paparella avec Lina, survivante des écoles résidentielles qui a 90 ans, le matin des excuses présentées par le pape François à Maskwacis, en Alberta, le 24 juillet 2022.

Sur place à Maskwacis, en Alberta, pour assister à l’arrivée du pape François qui allait présenter ses excuses tant attendues aux peuples autochtones du Canada sur leurs propre terres, j’ai été profondément ému. Deux choses m’ont frappé simultanément. Premièrement, la souffrance, la douleur et le traumatisme intergénérationnel qui ont ravagé les communautés et les familles autochtones. Deuxièmement, l’humilité, le courage et la compassion du pape, qui a parcouru une telle distance pour démontrer sa proximité.

J’ai vu devant moi un berger et un pèlerin qui est venu de Rome jusqu’aux prairies de l’Alberta rurale pour aider à guérir les blessures les plus profondes du Canada. Ces blessures ont si souvent été tragiquement ignorées, cachées et rejetées. On était là, au milieu de l’Alberta rurale, par un lundi matin pluvieux, dans un endroit dont la plupart des Canadiens n’avaient jamais entendu parler, et le chef de file des 1,3 milliard de catholiques du monde était arrivé afin d’oeuvrer pour la vérité, à la justice, à la réconciliation et à la guérison dans notre pays. Le successeur de saint Pierre est venu jusqu’ici pour nous faire avancer sur le chemin que nous devons prendre ensemble. Ce fut une expérience qui a fait couler des larmes à beaucoup d’entre nous.

La route à double sens du bon Samaritain

En vivant tout cela directement, je n’ai pu m’empêcher de penser à la parabole du bon Samaritain de Jésus (Luc 10,25-37). Comme l’homme de la parabole de Jésus, le pape François a écouté le cri des autochtones, des abus et des blessés sur le bord de la route de la société canadienne. Il a refusé de faire comme les autres qui ont fait la sourde oreille et ont fermé les yeux. Il a insisté pour aller de l’avant avec nos frères et sœurs autochtones, en prenant au sérieux leur besoin de guérison et en agissant en conséquence.

Mais le pape François n’est pas le seul à avoir suivi les traces du bon Samaritain l’été dernier. De nombreux autochtones m’ont confié qu’ils ne voulaient pas que le pape présente des excuses comme une simple formalité politique ou une obligation légale. Ils voulaient plutôt des excuses venant du cœur, qui les toucheraient dans leur cœur. Ils disent que pour guérir, ils doivent pardonner. C’est une leçon d’humilité et une source d’inspiration pour nous tous. Nos frères et sœurs autochtones ont le désir de pardonner. Pour beaucoup d’entre eux, ils voulaient que le pape s’excuse afin de pouvoir pardonner à l’Église. Ainsi, les autochtones eux-mêmes sont comme le bon Samaritain, qui sort l’Église du caniveau pour qu’ensemble nous puissions avancer sur le chemin de la guérison.

Le chemin de la guérison pour nos frères et sœurs autochtones

J’étais bouleversé en écoutant les hommes et les femmes autochtones au cours de la visite du pape. Leurs histoires et leurs visages témoignent de décennies de souffrance, mais aussi d’un espoir indéfectible pour l’avenir. Comme l’a dit une femme le jour des excuses du pape à Maskwacis : « Je suis reconnaissante d’être ici aujourd’hui, parce que tant de membres de ma famille, d’amis et de camarades de classe n’ont pas pu voir le pape venir au Canada et entendre ses excuses ». Une autre femme a partagé que dans sa communauté isolée des Territoires du Nord-Ouest, rien que dans le mois précédant la visite du pape, quatre jeunes s’étaient suicidés. Il s’agissait de jeunes pères et mères de famille, laissant leurs enfants derrière eux.

Le traumatisme intergénérationnel causé par les pensionnats et les abus subis par les autochtones a des répercussions durables sur la vie quotidienne de leurs communautés, encore aujourd’hui. Un très grand nombre d’entre eux ont été arrachés à leur foyer. Cela signifie que leurs parents n’ont pas appris à être parents, et qu’ils ne l’ont pas été non plus. Le cercle de la vie familiale a été brisé. Pourtant, malgré cette obscurité, au milieu du fléau de la toxicomanie et du suicide, beaucoup d’entre eux ont pu persévérer, obtenir de l’aide, surmonter les ombres de leur vie et regarder vers la lumière. Ces survivants sont des héros canadiens, avec des noms, des visages, des amis et des familles. En tant que pays, nous leur devons le même respect, le même engagement et le même amour que le pape François est venu leur témoigner.

Avancer ensemble

En tant qu’habitants du Canada, nous avons encore tant à apprendre sur les premiers peuples qui ont accueilli sur leurs terres les générations de migrants qui ont suivi. Tant d’étapes doivent encore être franchies dans notre cheminement ensemble. L’été 2022 a été une route à double sens du bon Samaritain, mais la route ne s’arrête pas là. En tant que catholique et canadien, je suis plus convaincu que jamais que nous devons prendre au sérieux le chemin de la guérison et de la réconciliation si nous voulons que notre pays soit une société juste, humaine et fraternelle. Nous ne pouvons continuer à avancer sans entendre les cris des blessés. Le pape a tendu les bras et les autochtones lui ont répondu. Il est temps que nous fassions tous de même. Suivons les paroles de Jésus : « Va, et toi aussi, fais de même » (Luc 10,37).

 

Comprendre la délégation autochtone à Rome: quelques ressources utiles

(Image: courtoisie de Unsplash)

Entre le 28 mars et le 1er avril, une délégation de leaders autochtones, d’aînés et de survivants des pensionnats rencontrera le pape François à Rome pour discuter de l’implication de l’Église catholique dans les pensionnats du Canada ainsi que de leur impact durable sur les communautés autochtones.

Il s’agit d’une étape importante dans le processus de guérison et de réconciliation, un processus qui requiert la participation de l’ensemble de l’Église catholique au Canada et pas seulement de ceux qui étaient directement responsables ou qui ont été directement affectés. En tant que citoyens consciencieux et témoins du message de charité de l’Évangile, il est du devoir des catholiques canadiens d’être informés et conscients de l’implication de l’Église catholique dans les injustices commises à l’égard des peuples autochtones du Canada, ainsi que du travail accompli au sein de l’Église en vue de la guérison, de la réparation et de la réconciliation. Il est également important de comprendre où nous avons échoué en tant qu’Église.

Alors que nous nous préparons à ce moment important de notre chemin commun, de nombreuses personnes auront des questions sur les pensionnats et l’implication de l’Église. Voici quelques ressources pour vous aider à commencer à explorer ces questions.

Qu’étaient les pensionnats? Et que savons-nous de leur impact sur les individus et les communautés autochtones?

Vous pouvez lire des informations à leur sujet sur le site web du Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR). Si vous souhaitez aller plus loin et lire les rapports eux-mêmes, vous pouvez les acheter ou les obtenir gratuitement au format PDF.

Si vous préférez écouter des balados, Pensionnats indiens, une série en trois parties réalisée par Historica Canada, combine bien les faits historiques et les voix personnelles.

La meilleure façon de comprendre l’impact des pensionnats sur les personnes et les communautés autochtones est d’écouter leurs histoires. Heureusement, de plus en plus de survivants des pensionnats se sentent capables de partager leur expérience. La Fondation autochtone de l’espoir propose cette excellente série d’entretiens vidéo avec des survivants. Non montées et sans filtres, ces vidéos durent une demi-heure ou plus, mais elles valent bien le temps qu’il faut pour les regarder et les écouter. Aussi, si vous tapez simplement « histoires de survivants des pensionnats » dans un moteur de recherche en ligne (comme Google, Yahoo ou DuckDuckGo), vous pouvez avoir accès à de nombreux articles et vidéos.

Il est également important de réaliser que l’impact dévastateur du système des pensionnats s’étend au-delà des survivants immédiats, dans leurs familles et leurs communautés. Pour mieux comprendre les effets profonds des pensionnats, lisez sur le traumatisme intergénérationnel vécu par les communautés autochtones du Canada.

Comment et pourquoi l’Église catholique a-t-elle été impliquée dans les pensionnats?

Bien que les pensionnats, en tant que système, aient été une initiative du gouvernement, les écoles elles-mêmes n’étaient pas gérées par le gouvernement. Ce dernier a plutôt confié le travail à ceux qui étaient déjà établis dans le domaine de l’éducation et qui étaient souvent déjà présents dans les communautés autochtones: les églises chrétiennes.

Pour un compte rendu concis, équilibré et très lisible du rôle des églises dans les pensionnats (y compris une compréhension de la mentalité qui a inspiré ceux qui sont venus y travailler), lisez « Le rôle des Églises » dans le rapport de la CVR intitulé Ils sont venus pour les enfants (pages 13-15).

Où étaient situés les pensionnats?

Cette carte interactive est un bon point de départ.

Il existe 139 pensionnats autochtones officiellement reconnus. Parmi ceux-ci, 64 étaient gérés par des diocèses ou des ordres religieux de l’Église catholique romaine. Ce site web contient une liste de tous les pensionnats reconnus, indiquant les églises qui les géraient. Il comprend également une carte en couleur très utile, que vous pouvez télécharger. Une carte et une liste similaires peuvent également être téléchargées ici.

Qu’est-ce que la Commission de vérité et de réconciliation (CVR)?

Le CNVR fournit cette page web où vous pouvez vous renseigner sur la CVR, son mandat, le travail qu’elle a entrepris et les résultats de ce travail.

De manière générale, le site web du CNVR est une ressource extrêmement précieuse pour se renseigner sur le travail de la CVR et sur le travail continu d’éducation, de guérison et de réconciliation.

Qu’enseigne l’Église catholique sur les droits des peuples autochtones?

Bien qu’il n’existe pas de document ou d’ensemble de documents spécifiques sur les droits des peuples autochtones, la doctrine sociale de l’Église nous offre un cadre plus large dans lequel nous pouvons comprendre cette question particulière.

Le présent document de la CECC est un excellent point de départ, car il porte spécifiquement sur les droits des peuples autochtones au Canada. Il traite également de l’intersection entre l’enseignement de l’Église et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il comporte une annexe très utile qui énumère une variété de discours pontificaux et de documents de l’Église qui correspondent aux droits énumérés dans la DNUDPA.

Quel travail a été accompli par la hiérarchie catholique au Canada en vue de la réconciliation avec les peuples autochtones?

La Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), la conférence épiscopale qui regroupe tous les évêques du pays, a une longue histoire de travail avec les peuples autochtones et de défense de leurs droits, qui remonte à sa fondation en 1943. Dès 1991, elle a présenté des excuses pour le rôle joué par de nombreux diocèses et ordres catholiques dans la destruction de la culture autochtone et les abus commis dans le cadre du système des pensionnats. Une chronologie des engagements de la CECC en faveur des droits des autochtones ainsi que des liens vers plusieurs de ces excuses sont disponibles ici.

Depuis 1998, les évêques canadiens sont assistés par le Conseil autochtone catholique du Canada, un groupe d’évêques et de laïcs autochtones spécialement nommé pour conseiller les évêques sur les besoins des peuples autochtones et sur la façon de promouvoir des relations de guérison et de réconciliation.

La CECC est également un participant fondateur du Cercle Notre-Dame-de-Guadalupe, « une coalition d’organismes et de personnes catholiques qui travaillent ensemble pour renouveler et promouvoir les relations avec les peuples autochtones au Canada ». Fondée en 2016, elle promeut le dialogue et la compréhension, ainsi que l’engagement dans le processus de vérité et de réconciliation.

Découvrez les initiatives de l’Église canadienne visant à approfondir la prise de conscience et la compréhension des besoins et des expériences des autochtones, ainsi qu’à promouvoir une relation de guérison et de réconciliation.

Toutefois, il s’agit d’initiatives nationales qui ne font qu’effleurer le travail accompli aux niveaux diocésain et local. Explorez le site web de votre diocèse pour en savoir plus sur ce qui se passe dans votre région.

Que puis-je faire?

Visitez le site Web de l’organisation Catholiques pour la vérité et la réconciliation. Ils ont créé une liste d’actions en faveur de la vérité et de la réconciliation qui s’inspire des 94 appels à l’action de la CVR. Lisez la liste, trouvez au moins une action à laquelle vous voulez participer et engagez-vous à tenir votre promesse.

Chaque enfant compte

Choc. Indignation. Tristesse. Souffrance.  Ce ne sont là que quelques-unes des émotions qui ont secoué notre pays et en particulier les communautés autochtones depuis la découverte de 215 enfants enterrés près de l’ancien pensionnat de Kamloops.

Aucune parole ne suffit pour rendre justice devant de telles horreurs. Aucun geste ne pourra compenser pour les violences commises à travers le Canada au cours des décennies et des siècles de notre histoire. Pourtant, nous devons faire briller la lumière de la transparence sur tout ce qui s’est passé.

Nous savons que de nombreux dirigeants ont une responsabilité réelle et urgente à cet égard. Il en va de même pour nous.

Nos cœurs, nos prières et notre solidarité se tournent vers les victimes et les survivants de tous les pensionnats, ainsi qu’à tous nos frères et sœurs autochtones partout au Canada. En même temps, nous devons écouter et avancer ensemble, main dans la main, vers la guérison, la justice, la réconciliation, la dignité et l’espérance d’un meilleur avenir.

Par où pouvons-nous commencer ?

Écouter. Les histoires des anciens élèves des pensionnats autochtones ont souvent rencontré l’indifférence plutôt que l’attention et le profond respect qu’elles méritent. Pour aller de l’avant, il faut comprendre les besoins et les témoignages réels de ceux qui ont souffert. Que peuvent faire chacun et chacune d’entre nous, pour se sensibiliser à la souffrance passée et présente des peuples autochtones ? 

Soutenir. De nombreuses façons, la détresse des peuples autochtones est la blessure la plus profonde de l’histoire canadienne. Il est de plus en plus évident que notre solidarité doit se traduire par des actes concrets de soutien qui promeuvent la dignité et les conditions de vie des personnes autochtones à travers le Canada. Quelles actions pouvez-vous poser dès maintenant ?

Être solidaire. Derrière les tragédies qui défilent dans les émissions d’actualité, il y a des visages, des histoires personnelles, des noms et des prénoms. Que pouvons-nous faire afin de développer des relations personnelles et des amitiés avec nos compatriotes autochtones ? Comment pouvons-nous nous engager personnellement ?

Sel + Lumière Média rend hommage au caractère sacré des vies qui ont été perdues. Chaque enfant compte.

Notre foi nous indique que la vie de chaque être humain est égale aux yeux de Dieu. Les paroles du pape François nous inspirent à reconnaître la dignité de tous les enfants de Dieu : 

« Il est quelque chose de fondamental et d’essentiel à reconnaître pour progresser vers l’amitié sociale et la fraternité universelle : réaliser combien vaut un être humain, combien vaut une personne, toujours et en toute circonstance. Si tous les hommes et femmes ont la même valeur, il faut dire clairement et fermement que  »le seul fait d’être né en un lieu avec moins de ressources ou moins de développement ne justifie pas que des personnes vivent dans une moindre dignité » (Evangelii Gaudium, no. 190) Il s’agit d’un principe élémentaire de la vie sociale qui est souvent ignoré de différentes manières par ceux qui estiment qu’il n’apporte rien à leur vision du monde ni ne sert à leurs fins. » (Fratelli Tutti, no. 106).

On a déjà beaucoup discuté de la nécessité d’une action de la part de l’Église face à ces révélations tragiques. Nous avons confiance que les responsables ecclésiastiques vont travailler avec assiduité pour aborder ce problème d’une manière qui corresponde à la gravité de cette tragédie.

En même temps, nous sommes l’Église. Le chemin de conversion de l’Église passe par chacune de nos vies.

Nous avons, toutes et tous, un rôle à jouer. Nous devons faire notre part pour honorer dignement la mémoire des 215 enfants décédés et rendre hommage à tous ceux qui ont souffert pendant tant d’années.

Que l’Esprit de notre Créateur nous guide sur ce chemin, des profondeurs de la nuit à la clarté d’une aube nouvelle.

 

Père Alan Fogarty, S.J.

Président-Directeur général

Fondation catholique Sel et Lumière média

 

Traduit de l’original anglais

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