Mot d’accueil du cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris
Frères et Sœurs, nous jubilons et nous crions de joie au moment de célébrer cette eucharistie pour les francophones de ce grand rassemblement. Nos frères et évêques du Canada, du Bénin, et autres pays d’Afrique francophone participent à cette eucharistie, et des Français aussi…, quelques Français de Philadelphie profitent de cette occasion pour renouer avec les origines. Et nous accueillons avec joie aussi les téléspectateurs de KTO qui peuvent ainsi s’unir à notre démarche et à notre prière.
Lectures- Za 2,5-9.14-15a ; Jr 31,10-13 ; Lc 9,43b-45
« Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes. » (Lc 9, 44)
Frères et Sœurs,
Allons-nous avoir peur d’interroger Jésus sur cette parole, bien que, comme les disciples, nous n’en comprenions sans doute pas le centième car elle demeure voilée pour nous aussi ? Qu’est-ce qui est voilé dans cette parole ? Qu’est-ce que nous ne comprenons pas ? Dans l’évangile de saint Luc, cette parole vient à la suite d’un certain nombre de signes éclatants, comme la multiplication des pains, la confession de foi de Pierre, la transfiguration, la guérison d’un enfant habité par un esprit, toutes sortes de signes par lesquels Jésus manifeste sa puissance de Messie. Jésus réussit, il guérit, il attire les foules. « Tout le monde était dans l’admiration » (Lc 9,43). Mais voilà que Jésus rompt cet enthousiasme : « Ouvrez bien vos oreilles à ce que je vous dis maintenant : le Fils de l’homme va être livré aux mains des hommes » (Lc 9,44). Jésus annonce sa passion.
Il y a un tel décalage, un tel écart entre cette annonce de la passion et l’enthousiasme très spontané qui se manifeste autour de lui que les disciples ne comprennent pas. De quoi peut-il bien vouloir parler ? Peut-être que ce décalage et cet écart nous aident nous aussi à mieux comprendre combien nous sommes dépendants dans notre manière de comprendre les choses, de ce que nous appelons les signes positifs. Ces signes positifs, c’est ce qui nous convient, ce qui nous fait du bien et ce que nous cherchons très naturellement : que tout aille bien, que notre famille soit heureuse, que nous soyons en bonne santé, que les enfants suivent les traces des parents et
que tout le monde soit content…Seulement, nous le savons par l’histoire de notre propre vie et par l’histoire de l’humanité autour de nous, cela ne se passe pas comme cela ! On n’est pas toujours en bonne santé, tout ne va pas toujours bien, on ne s’entend pas toujours bien ensemble, les enfants sont quelquefois plus coriaces qu’on ne le croyait et au bout du compte, on s’aperçoit qu’après avoir été bien élevés, bien chouchoutés, avec le catéchisme…, ils prennent une autre route et ils partent vers l’incroyance. Quelle tristesse ! Quelle douleur ! Alors, quelles sont les questions qui habitent le cœur des parents ? Que n’avons-nous pas fait ? Qu’a-t-on manqué ? Que n’avons-nous pas réussi à leur transmettre ? Avons-nous été défaillants ? Sommes-nous coupables ? Car pour nous, quand les choses vont mal, il faut forcément un coupable, et donc si ce n’est pas lui, c’est moi. Sommes-nous coupables ? C’est en ce sens que nous ne comprenons pas que l’histoire du Salut réalisé en Jésus-Christ passe par des périodes positives qui semblent toutes aller dans le même sens, puis par des périodes négatives qui semblent toutes aller en sens contraire. Mais à quoi allons-nous reconnaître les vrais croyants ? Les vrais disciples de Jésus vont commencer à comprendre petit à petit ce que cela veut dire que d’être livré aux mains des hommes, c’est-à-dire d’être soumis aux forces et aux puissances de l’histoire du monde indépendamment de nos désirs personnels. Ils vont comprendre que tout ce qu’ils souhaitent ne correspond pas forcément au chemin que le Christ emprunte et au chemin qu’il va suivre avec eux. C’est une rude leçon de réalisme. Nous savons par les évangiles qu’il faudra plusieurs événements capitaux et déterminants, comme l’agonie, qui sera le pendant de la transfiguration, la mort et la résurrection du Christ, l’apparition du Christ ressuscité, enfin la venue de l’Esprit Saint pour qu’enfin les yeux des disciples s’ouvrent et qu’ils commencent à percevoir le sens des paroles qu’ils avaient entendues.