Le 13 septembre dernier, l’Observatoire Justice et paix, en collaboration avec télévision Sel et Lumière, organisait, à Québec, le Colloque Jean-Paul II : Pour une guérison de la mémoire afin de souligner le 30e anniversaire de sa visite en 1984. Pour l’occasion, plusieurs invités de marque se sont exprimés sur l’impact de cette visite sur les relations entre foi et culture au Québec. Le thème du Colloque « Pour une guérison de la mémoire » faisait référence à ce que certains ont retenu comme étant un élément central du message de Jean-Paul II dans son homélie faite à l’Université Laval, il y a 30 ans. En effet, l’homélie en question exhortait les Québécois à « ne pas accepter le divorce entre foi et culture » (no6). Les différents conférenciers ont donc pu s’exprimer sur ce sujet délicat en l’éclairant de leur vision selon leur domaine d’expertise.
Ce divorce entre foi et culture au Québec est un phénomène récent qui remonte aux années 1960. C’est à ce moment que la forme que prenait alors le catholicisme au Québec a été rejetée en bloc par une grande partie de la population. Sans énumérer ici les causes de cet état de fait, nous pouvons toutefois examiner les différentes caractéristiques de l’image que les Québécois se font généralement de leur passé religieux. Dans son intervention, monsieur Gilles Routhier, doyen de la faculté de théologie de l’Université Laval, a bien montré comment l’imaginaire québécois actuel réduit souvent l’histoire catholique au Québec aux seules années 1940-1950. Durant cette période, l’institution ecclésiale a souvent dû suppléer au manque d’engagement de l’État. C’est ainsi que l’on reproche souvent à l’Église d’avoir été trop près du pouvoir politique. Cependant, l’histoire des relations entre foi et culture au Québec ne peut légitimement se réduire à cette période qui, comme le disait M. Routhier, porte avec elle son lot de misères mais également de grandeurs. Face à cela, deux questions se posent : 1) comment ouvrir de nouveau la mémoire québécoise à l’entièreté de l’histoire religieuse du Québec ? Et 2) comment transmettre ce riche patrimoine pour qu’il puisse faire sens aujourd’hui ?
Pour répondre à la première question, le prêtre et théologien Jean-Marc Barreau a montré à quel point la figure de Jean-Paul II peut être inspirante pour nous aujourd’hui. Sa pensée nous donne les fondements théoriques et pratiques nécessaires pour opérer cette réconciliation avec l’histoire ou, en d’autres termes, cette guérison de la mémoire. Pour saint Jean-Paul II, une telle démarche s’insère parfaitement dans la transformation missionnaire de l’Église voulue particulièrement par les papes depuis Paul VI. En effet, c’est en allant au dehors (no 261) que les chrétiens, véritables témoins de la beauté de l’héritage religieux du Québec et d’ailleurs, pourront mettre leur foi en contact avec leur culture. Comment ce contact se fera-t-il ? Par ce que Jean-Marc Barreau appelle ces médiations culturelles que sont la « corporéité, le dialogue et la sainteté ». Ces médiations culturelles sont des lieux où tous les hommes sont en mesure de communiquer entre eux et par lesquelles la nouvelle évangélisation peut s’effectuer. Ainsi, conscients des grandeurs et des misères de l’histoire religieuse québécoise, les chrétiens pourront effectuer cette guérison de la mémoire pour eux-mêmes et, ainsi, transmettre à leurs compatriotes la joie qui naît de la foi au Christ et à son Église. En d’autres termes, le Québec pourra renouer avec « ce qu’il y a dans notre passé qui peut nous inspirer et dont on garde mémoire », pour reprendre l’expression de Mgr Lépine, que lorsque les chrétiens auront eux-mêmes assumé l’entièreté de leur histoire, soit pour apprendre des erreurs commises et demander pardon, soit pour affirmer haut et fort l’importance de la foi catholique dans la culture québécoise d’hier et d’aujourd’hui.
Comment alors transmettre ce riche patrimoine pour qu’il puisse avoir du sens pour les hommes et les femmes de notre temps ? Dans sa présentation Mgr Christian Lépine, Archevêque de Montréal, a bien montré comment la foi pouvait entrer en dialogue avec la culture en offrant certains points de repère et, qu’en échange, la culture pouvait être un intermédiaire de première classe dans la mission évangélisatrice de l’Église puisque « c’est toujours à travers la culture que nous accédons au sens de notre vie » (Mgr Lépine). Dans un premier temps, la foi peut venir en aide à la culture en lui donnant les fondements solides que sont la personne de Jésus-Christ, la transcendance et la dignité de la personne humaine. En effet, pour saint Jean-Paul II, la culture n’est pas automatiquement quelque chose de positif. Elle est une sorte de véhicule de transmission d’un horizon commun pour un peuple. Or ce « lieu » (Dumont) peut se détériorer au point de devenir une « culture de mort ». C’est alors que toutes les cultures, y compris celles qui peuvent naître dans l’Église, doivent être en dialogue avec les trois principes nommés précédemment. Par exemple, depuis les années soixante au Québec, on a introduit une séparation qui empêche toute référence avec ces mêmes fondements lorsque des décisions collectives doivent être prises. Or la séparation de l’Église et de l’État ne signifie pas que les motivations liées à la transcendance doivent être exclues apriori des débats de société. A fortiori lorsque ces arguments ont la solidité rationnelle de la tradition théologique de l’Église catholique. Ainsi, une guérison de la mémoire pourrait, entre autre, s’incarner dans un processus consistant à refuser l’exclusion apriori des opinions faisant référence à la dimension transcendante de l’homme et, ce, autant dans nos vies personnelles que dans les débats publics. De plus, puisque cette fermeture de la culture actuelle est l’obstacle principal à la considération rationnelle de notre patrimoine culturel, ce nouveau dialogue pourrait apporter une part non négligeable de solutions au problème identitaire
québécois.
L’ouverture des médias aux activités commémorant le 30e anniversaire de la visite de saint Jean-Paul II à Québec peut être le signe d’une amélioration allant dans le sens de ce qui vient d’être affirmer. Comme l’affirmait le père Thomas Rosica CSB, « cette visite fut en soi un événement historique » c’est-à-dire qu’elle a su, par l’engouement des participants, s’insérer dans le patrimoine culturel le plus profond du Québec. En effet, reconnaître l’importance de la présence du Pape au Québec est, en soi, reconnaître l’encrage historique de l’Église dans l’identité du peuple visité. Ainsi, nous pouvons dire que la commémoration de cet événement était intrinsèquement liée à ce processus de guérison de la mémoire. Comme l’a affirmé durant le colloque Mme Anne Leahy, ancien ambassadeur du Canada au Vatican, il est important « d’assumer son histoire pour aller de l’avant ». Assumer ne signifie pas renier le passé et faire comme si les erreurs n’avaient jamais été commises. Au contraire, cela signifie aimer nos ancêtres et ce qui importait pour eux. Aimer son patrimoine jusqu’à pardonner les fautes et leurs conséquences dont nous sommes souvent les héritiers.
L’initiative de l’Observatoire Justice et Paix et de la télévision Sel et Lumière d’organiser un colloque commémorant le 30e anniversaire de la visite de Jean-Paul II à Québec a permis, par la qualité des conférences, de mieux cerner l’importance de l’enjeu qui se joue dans la fracture entre la foi et la culture au Québec depuis la Révolution Tranquille. Nous devons prendre conscience de cette blessure individuelle et collective et ainsi entrer en dialogue avec cette foi avec laquelle nous sommes tous en relation, que nous le voulions ou non.