Homélie du pape François lors de la Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées

 

Le dimanche 23 juillet 2023, 16e dimanche du temps ordinaire, le pape François a prononcé l’homélie de la Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées en la basilique Saint-Pierre.

Voici le texte intégral de l’homélie :

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées
16e dimanche du temps ordinaire
Dimanche, 23 juillet 2023

Pour nous parler du royaume de Dieu, Jésus utilise des paraboles. Il raconte des histoires simples qui touchent le cœur de celui qui écoute. Ce langage rempli d’images ressemble à celui que les grands-parents utilisent souvent avec leurs petits-enfants, peut-être en les prenant sur leurs genoux : ils transmettent de cette manière une sagesse importante pour la vie. En pensant aux grands-parents et aux personnes âgées, racines dont les plus jeunes ont besoin pour devenir adultes, je voudrais relire les trois récits de l’Évangile d’aujourd’hui en partant d’un aspect qu’ils ont en commun : grandir ensemble.

Dans la première parabole, ce sont le bon grain et l’ivraie qui poussent ensemble, dans le même champ (cf. Mt 13, 24-30). C’est une image qui nous aide à faire une lecture réaliste : Dans l’histoire de l’humanité, comme dans la vie de chacun, coexistent ombres et lumières, amour et égoïsme. Le bien et le mal s’entremêlent au point d’apparaître inséparables. Cette approche réaliste nous aide à regarder l’histoire sans idéologies, sans optimismes stériles ni pessimismes néfastes. Le chrétien habité par l’espérance de Dieu n’est pas un pessimiste, mais il n’est pas non plus un naïf qui vit dans un monde de fables, qui fait semblant de ne pas voir le mal et qui dit que « tout va bien ». Non, le chrétien est réaliste : il sait qu’il y a du bon grain et de l’ivraie dans le monde, et il regarde en lui-même, reconnaissant que le mal ne vient pas seulement « de l’extérieur », que ce n’est pas toujours la faute des autres, qu’il n’y a pas besoin de « s’inventer » des ennemis à combattre pour éviter de faire la lumière en soi-même. Il se rend compte que le mal vient de l’intérieur, de la lutte intérieure que nous menons tous.

Mais la parabole nous pose une question : lorsque nous voyons le bon grain et l’ivraie coexister dans le monde, que devons-nous faire ? Comment devons-nous nous comporter ? Dans le récit, les serviteurs voudraient arracher l’ivraie immédiatement (cf. v. 28). Cette attitude est bien intentionnée, mais impulsive voire agressive. On s’illusionne sur le fait que l’on pourrait arracher le mal par ses propres forces pour faire la pureté. C’est une tentation qui revient souvent : une « société pure », une « Église pure » mais, pour atteindre cette pureté, l’on risque d’être impatient, intransigeant, voire violent à l’égard de ceux qui sont tombés dans l’erreur. Alors, avec l’ivraie, on arracherait aussi le bon grain et on empêcherait les gens de se frayer un chemin, de grandir, de changer. Écoutons plutôt ce que dit Jésus : « Laissez pousser ensemble le bon grain et l’ivraie jusqu’au moment de la moisson » (cf. Mt 13, 30). Qu’il est beau ce regard de Dieu, cette pédagogie miséricordieuse qui nous invite à être patient avec les autres, à accueillir – dans la famille, dans l’Église et dans la société – les fragilités, les retards et les limites : non pas pour s’y habituer avec résignation ni pour les justifier, mais pour apprendre à intervenir avec respect, en continuant à prendre soin du bon grain avec douceur et patience. En se rappelant toujours une chose : la purification du cœur et la victoire définitive sur le mal sont essentiellement l’œuvre de Dieu. Et nous, surmontant la tentation de séparer le bon grain de l’ivraie, nous sommes appelés à comprendre quels sont les manières et les moments les meilleurs pour agir.

Je pense aux personnes âgées et aux grands-parents, qui ont déjà parcouru un long chemin dans la vie et qui, s’ils regardent en arrière, voient beaucoup de belles choses qu’ils ont réussies à accomplir, mais aussi des défaites, des erreurs, des choses pour lesquelles – comme on dit –  « si c’était à refaire, je ne le referais pas ». Mais aujourd’hui, le Seigneur nous rejoint de sa douce parole qui nous invite à accueillir le mystère de la vie avec sérénité et patience, à Lui laisser le jugement, à ne pas vivre de regrets et de remords. Comme s’Il voulait nous dire : « Regardez le bon grain qui a germé sur le chemin de votre vie et faites-le grandir encore, en me confiant tout, à moi qui pardonne toujours : à la fin, le bien sera plus fort que le mal ». La vieillesse est un temps béni aussi pour cette raison: elle est la saison pour se réconcilier, pour regarder avec tendresse la lumière qui a progressé malgré les ombres, dans l’espérance confiante que le bon grain semé par Dieu l’emportera sur les mauvaises herbes avec lesquelles le démon a voulu infester notre cœur.

Voyons maintenant la deuxième parabole. Le Royaume des cieux, dit Jésus, est l’œuvre de Dieu qui agit silencieusement dans les trames de l’histoire, au point de paraître une chose petite et invisible, comme une minuscule graine de moutarde. Mais « quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel viennent et font leurs nids dans ses branches » (Mt 13, 32). Il en est ainsi également de notre vie, frères et sœurs : nous venons au monde petits, nous devenons adultes, puis âgés ; nous sommes au début une petite graine, puis nous nous nourrissons d’espérances, nous réalisons des projets et des rêves dont le plus beau est de devenir comme cet arbre qui ne vit pas pour lui-même mais pour faire de l’ombre à ceux qui le désirent et pour offrir un lieu à ceux qui veulent y construire leur nid. C’est ainsi que, dans cette parabole, le vieil arbre et les oiseaux grandissent ensemble.

Je pense aux grands-parents : qu’ils sont beaux ces arbres luxuriants sous lesquels les enfants et les petits-enfants font leur propre « nid », apprennent l’ambiance d’un foyer et connaissent la tendresse d’une étreinte. Il s’agit de grandir ensemble : l’arbre verdoyant et les petits qui ont besoin du nid, les grands-parents avec leurs enfants et leurs petits-enfants, les personnes âgées avec les plus jeunes. Frères et sœurs, nous avons besoin d’une nouvelle alliance entre les jeunes et les anciens, pour que la sève de ceux qui ont une longue expérience de la vie derrière eux irrigue les pousses d’espérance de ceux qui grandissent. Dans cet échange fécond, nous apprenons la beauté de la vie, nous créons une société fraternelle et, dans l’Église, nous permettons la rencontre et le dialogue entre la tradition et la nouveauté de l’Esprit.

Enfin, la troisième parabole, où le levain et la farine croissent ensemble (cf. Mt 13, 33). Ce mélange fait croître toute la pâte. Jésus utilise précisément le verbe « mélanger », qui rappelle cet art qui est « la mystique de vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer, de se prendre dans les bras », et de « sortir de soi-même pour s’unir aux autres » (Exhortation apostolique Evangelii gaudium, n. 87). Cela permet de vaincre les individualismes et les égoïsmes, et aide à générer un monde plus humain et plus fraternel. Aujourd’hui, la Parole de Dieu nous invite à veiller à ce que, dans nos vies et dans nos familles, nous ne marginalisions pas les personnes âgées. Veillons à ce que nos villes surpeuplées ne deviennent pas des  « concentrations de solitude » ; que la politique, appelée à pourvoir aux besoins des plus fragiles, n’oublie pas les personnes âgées, laissant le marché les reléguer au rang de « déchets improductifs ». Qu’à force de poursuivre à toute vitesse les mythes de l’efficacité et de la performance, nous ne devenions pas incapables de ralentir pour accompagner ceux qui peinent à suivre. De grâce, mélangeons-nous, grandissons ensemble.

Frères et sœurs, la Parole divine nous invite à ne pas nous séparer, à ne pas nous renfermer, à ne pas penser que nous pouvons y arriver seuls, mais à grandir ensemble. Écoutons-nous les uns les autres, dialoguons, soutenons-nous réciproquement. N’oublions pas les grands-parents et les personnes âgées : par une caresse de leur part, nous avons été relevés à maintes reprises, nous avons repris la route, nous nous sommes sentis aimés, nous avons été guéris intérieurement. Ils se sont sacrifiés pour nous et nous ne pouvons pas les retirer de l’agenda de nos priorités. Grandissons ensemble, avançons ensemble : que le Seigneur bénisse notre voyage.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François lors de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul 2023

Le pape François présidant la messe solennelle des saints Apôtres Pierre et Paul, basilique Saint-Pierre au Vatican.

 

Le jeudi 29 juin 2023, le pape François a présidé la messe de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul de la basilique Saint-Pierre au Vatican.

Voici le texte intégral de l’homélie:

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Jeudi, 29 juin 2023

Pierre et Paul, deux Apôtres amoureux du Seigneur, deux colonnes de la foi de l’Église. Alors que nous contemplons leur vie, l’Évangile nous interpelle aujourd’hui avec la question que Jésus pose aux siens : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 15). C’est la question fondamentale, la plus importante : qui est Jésus pour moi ? Qui est Jésus dans ma vie ? Regardons comment les deux Apôtres y ont répondu.

La réponse de Pierre pourrait se résumer en un mot : la suite. Pierre a vécu à la suite du Seigneur. Ce jour-là, à Césarée de Philippe, Jésus interrogea ses disciples. Pierre répondit avec une belle profession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16) ;une réponse impeccable, précise, ponctuelle, on pourrait dire une réponse parfaite de “catéchisme”. Mais cette réponse est le fruit d’un cheminement : ce n’est qu’après avoir vécu l’aventure fascinante consistant à suivre le Seigneur, après avoir marché avec Lui et derrière Lui pendant longtemps, que Pierre parvient à cette maturité spirituelle qui l’amène, par grâce, par pure grâce, à une profession de foi si limpide.

L’évangéliste Matthieu nous raconte en effet que tout avait commencé sur les rives de la mer de Galilée, lorsque Jésus était passé et l’avait appelé, avec son frère André ; et « aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent » (Mt 4, 20).Pierre a tout laissé pour se mettre à la suite du Seigneur. Et l’Évangile souligne “aussitôt”. Pierre n’a pas dit à Jésus qu’il devait y réfléchir, il n’a pas fait de calculs pour voir si cela lui convenait, il n’a pas cherché d’alibi pour reporter la décision ; il a laissé ses filets et l’a suivi, sans demander aucune sécurité à l’avance.Il devait tout découvrir au jour le jour, à la suite, en suivant Jésus et en marchant derrière Lui. Et ce n’est pas par hasard que les dernières paroles, rapportées dans les Évangiles, que Jésus lui adresse sont : « Toi, suis-moi » (Jn 21, 22), c’est cela se mettre à sa suite.

Pierre nous dit qu’à la question “qui est Jésus pour moi ?”, il ne suffit pas de répondre par une formule doctrinale irréprochable, pas même avec une idée que nous nous sommes faite une fois pour toutes. Non. C’est en nous mettant à la suite du Seigneur que nous apprenons chaque jour à Le connaître. C’est en devenant ses disciples et en accueillant sa Parole que nous devenons ses amis et que nous faisons l’expérience de son amour qui nous transforme.Pour nous aussi, retentit cet “aussitôt”. Si nous pouvons reporter beaucoup de choses dans la vie, suivre Jésus ne peut être reporté ; pour cela on ne peut hésiter, on ne peut trouver d’excuses. Faisons attention car certaines excuses sont revêtues de spiritualité, comme lorsque nous disons “Je ne suis pas digne”, “Je ne suis pas capable”, “moi, qu’est-ce que je peux faire ?”. C’est là une ruse du diable qui nous vole la confiance en la grâce de Dieu, en nous faisant croire que tout dépendrait de nos capacités.

Nous détacher de nos sécurités – sécurités terrestres -, immédiatement, et suivre Jésus chaque jour : voilà la consigne que Pierre nous donne aujourd’hui en nous invitant à être une Église-à-la-suite.Une Église-à-la-suite. Une Église qui veut être disciple du Seigneur et humble servante de l’Évangile. De cette manière seulement elle sera capable de dialoguer avec tous, et devenir un lieu d’accompagnement, de proximité et d’espérance pour les femmes et les hommes de notre temps. Seulement de cette manière, même la personne la plus éloignée qui nous regarde souvent avec méfiance ou indifférence pourra enfin reconnaître avec le Pape Benoît : « L’Église est le lieu de rencontre avec le Fils du Dieu vivant et, ainsi, elle est le lieu de rencontre entre nous » (Homélie du 2ème Dimanche de l’Avent, 10 décembre 2006).

Et maintenant venons-en à l’Apôtre des nations. Si la réponse de Pierre consiste dans la suite, celle de Paul se trouve dans l’annonce, l’annonce de l’Évangile. Pour lui aussi, tout a commencé par grâce, à l’initiative du Seigneur. Sur le chemin de Damas, alors qu’il persécutait avec fierté les chrétiens, barricadé dans ses convictions religieuses, Jésus ressuscité vient à sa rencontre et l’aveugle de sa lumière. Mieux, grâce à cette lumière, Saul réalise à quel point il est aveugle. Enfermé dans l’orgueil de sa rigide observance, il découvre en Jésus l’accomplissement du mystère du salut. Il considère désormais toutes ses sécurités humaines et religieuses comme des “ordures” par rapport à la sublimité de la connaissance du Christ (cf. Ph 3, 7-8). Paul consacre ainsi sa vie à parcourir la terre et la mer, les villes et les villages, sans se soucier des difficultés et des persécutions, pour annoncer Jésus-Christ. En regardant son histoire, il semble presque que, plus il annonce l’Évangile, plus il connaît Jésus. L’annonce de la Parole aux autres lui permet de pénétrer les profondeurs du mystère de Dieu, à lui Paul qui a écrit « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile ! » (1 Co 9, 16) ; à lui qui confesse : « Pour moi, vivre c’est le Christ » (Ph 1, 21).

Par conséquent, Paul nous dit qu’à la question “qui est Jésus pour moi ?”, on ne répond pas par une religiosité intimiste qui nous laisserait tranquilles, sans nous laisser ébranler par le souci d’apporter l’Évangile aux autres. L’Apôtre nous enseigne que nous grandissons dans la foi et dans la connaissance du mystère du Christ d’autant plus que nous sommes ses annonciateurs et témoins.  Et cela arrive toujours : quand nous évangélisons, nous sommes évangélisés.C’est une expérience de tous les jours : quand nous évangélisons, nous sommes évangélisés. La Parole que nous apportons aux autres nous revient parce que, dans la mesure où nous donnons, nous recevons beaucoup plus (cf. Lc 6, 38).  Et cela est également nécessaire à l’Église aujourd’hui : mettre l’annonce au centre. Être une Église qui ne se lasse pas de se répéter : “Pour moi, vivre c’est le Christ” et “Malheur à moi si je n’annonce pas l’Évangile”. Une Église qui a besoin d’annoncer comme d’oxygène pour respirer ; qui ne peut pas vivre sans transmettre l’étreinte de l’amour de Dieu et la joie de l’Évangile.

Frères et sœurs, célébrons Pierre et Paul. Ils ont répondu à la question fondamentale de la vie – qui est Jésus pour moi ? – en suivant le Christ et en annonçant l’Évangile. Il est beau de grandir comme une Église à la suite, comme une Église humble qui ne tient jamais pour acquise la recherche du Seigneur. Il est beau de devenir une Église extravertie, qui ne trouve pas sa joie dans les choses du monde mais dans l’annonce de l’Évangile au monde, pour semer dans le cœur des personnes la question de Dieu. Porter partout, avec humilité et joie, le Seigneur Jésus : dans notre ville de Rome, dans nos familles, dans les relations et les quartiers, dans la société civile, dans l’Église, dans la politique, dans le monde entier, spécialement là où se trouvent la pauvreté, la dégradation, la marginalisation.

Et, aujourd’hui, alors que certains de nos frères Archevêques reçoivent le Pallium, signe de la communion avec l’Église de Rome, je voudrais leur dire : soyez des apôtres comme Pierre et Paul. Soyez des disciples à la suite et des apôtres de l’annonce, apportez la beauté de l’Évangile partout, à tout le Peuple de Dieu. Et enfin, je désire adresser mon salut affectueux à la Délégation du Patriarcat Œcuménique, envoyée par le très cher Frère Sa Sainteté Bartholomée. Merci pour votre présence, merci : avançons ensemble, avançons ensemble à la suite et dans l’annonce de la Parole, en grandissant dans la fraternité. Que Pierre et Paul nous accompagnent et intercèdent pour nous tous.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François lors de la célébration de la messe de la Pentecôte

Le dimanche 28 mai 2023, le pape François a présidé la messe de la solennité de la Pentecôte dans la basilique Saint-Pierre au Vatican.

Voici le texte intégral de l’homélie:

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Dimanche, 28 mai 2023

Chers frères et sœurs, bonjour !

La Parole de Dieu, aujourd’hui, nous montre l’Esprit Saint en action. Nous le voyons agir à trois moments : dans le monde qu’il a créédans l’Église et dans nos cœurs.

1. D’abord dans le monde qu’il a créé, dans la création. Dès le début, l’Esprit Saint est à l’œuvre : « Tu envoies ton souffle : ils sont créés », avons-nous prié dans le psaume (104, 30). Il est, en effet, creator Spiritus (cf. Saint Augustin, In Ps XXXII,2,2), Esprit créateur : c’est ainsi que l’Église l’invoque depuis des siècles. Mais, nous pouvons nous demander, que fait l’Esprit dans la création du monde ? Si tout vient du Père, si tout est créé par le Fils, quel est le rôle spécifique de l’Esprit ? Un Père de l’Église, saint Basile, a écrit : « Si vous essayez d’enlever l’Esprit à la création, toutes les choses se mélangent et leur vie apparaît sans loi, sans ordre » (Spir., XVI, 38). Voilà le rôle de l’Esprit : Il est celui qui, à l’origine et en tout temps, fait passer les réalités créées du désordre à l’ordre, de la dispersion à la cohésion, de la confusion à l’harmonie. Cette manière d’agir, nous la verrons toujours dans la vie de l’Église. En un mot, Il donne l’harmonie au monde. Il « conduit ainsi le cours des temps et rénove la face de la terre » (Gaudium et spes, n. 26 ; Ps 104, 30). Il renouvelle la terre, mais attention : non pas en changeant la réalité, mais plutôt en l’harmonisant ; c’est son style, parce qu’Il est en lui-même harmonie : Ipse harmonia est. (cf. S. Basile, In Ps 29, 1) ), dit un Père de l’Église.

Aujourd’hui dans le monde, il y a beaucoup de discorde, beaucoup de divisions. Nous sommes tous reliés et pourtant nous nous trouvons déconnectés les uns des autres, anesthésiés par l’indifférence et opprimés par la solitude. Tant de guerres, tant de conflits : le mal que l’homme peut accomplir semble incroyable ! Mais en réalité, ce qui alimente nos hostilités, c’est l’esprit de division, le diable, dont le nom même signifie “diviseur”. Oui, précédant et dépassant notre mal, notre désagrégation, il y a l’esprit mauvais, « le séducteur du monde entier » (Ap 12, 9). Il se plaît dans les antagonismes, les injustices, les calomnies, ils font sa joie. Et, face au mal de la discorde, nos efforts pour construire l’harmonie ne suffisent pas. C’est ainsi que le Seigneur, au point culminant de sa Pâque, au point culminant du salut, répand sur le monde créé son bon Esprit, l’Esprit Saint, qui s’oppose à l’esprit de division parce qu’il est harmonie, Esprit d’unité qui apporte la paix. Invoquons-le chaque jour sur notre monde, sur notre vie et face à toutes sortes de divisions !

2. Outre la création, nous le voyons à l’œuvre dans l’Église, à partir du jour de la Pentecôte. Remarquons cependant que l’Esprit ne marque pas le début de l’Église en donnant des instructions et des normes à la communauté, mais en descendant sur chacun des Apôtre : chacun reçoit des grâces particulières et des charismes différents. Cette pluralité de dons différents pourrait créer de la confusion, mais l’Esprit, comme dans la création, aime créer l’harmonie à partir justement de la pluralité. Son harmonie n’est pas un ordre imposé et standardisé, non. Dans l’Église, il y a un ordre « organisé selon la diversité des dons de l’Esprit » (S. Basile, Spir., XVI, 39). À la Pentecôte, en effet, l’Esprit Saint descend en plusieurs langues de feu : il donne à chacun la capacité de parler d’autres langues (cf. Ac 2, 4) et d’entendre sa propre langue parlée par les autres (cf. Ac 2, 6. 11). Il ne crée donc pas une langue égale pour tous, il n’efface pas les différences, les cultures, mais il harmonise tout sans standardiser, sans uniformiser. Et cela doit nous faire réfléchir au moment où la tentation du « retour en arrière » cherche à tout uniformiser dans des disciplines d’apparence seulement, sans substance. Restons sur cet aspect, sur l’Esprit qui ne commence pas par un projet structuré, comme nous le ferions, nous qui nous perdons souvent ensuite dans nos programmes. Non, il commence en accordant des dons gratuits et surabondants. En effet, à la Pentecôte, souligne le texte, « tous furent remplis d’Esprit Saint » (Ac 2, 4). Tous remplis, c’est ainsi que commence la vie de l’Église : non pas à partir d’un plan précis et articulé, mais de l’expérience du même amour de Dieu. L’Esprit crée ainsi l’harmonie, il nous invite à faire l’expérience de l’émerveillement devant son amour et ses dons présents chez les autres. Comme nous l’a dit saint Paul : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. […] C’est dans un unique Esprit, en effet, que nous tous nous avons été baptisés pour former un seul corps » (1 Co 12, 4.13). Voir chaque frère et sœur dans la foi comme faisant partie du même corps auquel j’appartiens : voilà le regard harmonieux de l’Esprit, voilà le chemin qu’il nous montre !

Et le Synode en cours est – et doit être – une marche selon l’Esprit : non pas un parlement pour revendiquer des droits et des besoins selon l’agenda du monde, non pas une occasion d’aller là où le vent nous porte, mais une occasion d’être dociles au souffle de l’Esprit. Parce que, sur la mer de l’histoire, l’Église ne navigue qu’avec Lui qui est « l’âme de l’Église » (Saint Paul VI, Discours au Sacré Collège pour les vœux de fêtes patronales, 21 juin 1976), le cœur de la synodalité, le moteur de l’évangélisation. Sans Lui, l’Église est inerte, la foi n’est qu’une doctrine, la morale qu’un devoir, la pastorale qu’un travail. Parfois, nous entendons des soi-disant penseurs, théologiens, qui nous donnent des doctrines froides, qui semblent mathématiques, parce que l’Esprit n’est pas présent en elles. Avec Lui, au contraire, la foi est vie, l’amour du Seigneur nous envahit, et l’espérance renaît. Remettons l’Esprit Saint au centre de l’Église, sinon nos cœurs ne seront pas brûlés d’amour pour Jésus, mais pour nous-mêmes. Mettons l’Esprit au début et au cœur des travaux du synode. Car c’est “de Lui, surtout, que l’Église a besoin aujourd’hui ! Disons-lui donc chaque jour : viens !” (cf. Id., Audience générale, 29 novembre 1972). Et marchons ensemble, car l’Esprit, comme à la Pentecôte, aime descendre quand “tous sont ensemble” (cf. Ac 2,1). Oui, pour se montrer au monde, il a choisi le moment et le lieu où tous se trouvent ensemble. Le Peuple de Dieu, pour être rempli de l’Esprit, doit donc marcher ensemble, faire synode. C’est ainsi que se renouvèle l’harmonie dans l’Église : en marchant ensemble avec l’Esprit au centre. Frères et sœurs, construisons l’harmonie dans l’Église !

3. Enfin, l’Esprit fait l’harmonie dans nos cœurs. Nous le voyons dans l’Évangile, où Jésus, le soir de Pâques, souffle sur les disciples et dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22). Il le donne dans un but précis : pardonner les péchés, c’est-à-dire réconcilier les âmes, harmoniser les cœurs déchirés par le mal, brisés par les blessures, désagrégés par le sentiment de culpabilité. Seul l’Esprit remet l’harmonie dans le cœur, car Il est celui qui crée « l’intimité avec Dieu » (S. Basile, Spir., XIX, 49). Si nous voulons de l’harmonie, cherchons-Le, et non pas des compensations mondaines. Invoquons l’Esprit Saint chaque jour, commençons chaque journée en Le priant, devenons-Lui dociles !

Et aujourd’hui, en sa fête, demandons-nous : suis-je docile à l’harmonie de l’Esprit ? Ou bien est-ce que je poursuis mes projets, mes idées sans me laisser façonner, sans me laisser changer par Lui ? Ma façon de vivre la foi est-elle docile à l’Esprit ou est-elle têtue ? Entêtée, attachée à des lettres, à de soi-disant doctrines qui ne sont que des expressions froides de la vie ? Suis-je prompt à juger, à pointer du doigt et à claquer la porte au nez des autres, en me considérant comme la victime de tout et de tous ? Ou bien est-ce que j’accueille sa puissance créatrice harmonieuse, est-ce j’accueille la “grâce de l’ensemble” qu’Il inspire, son pardon qui donne la paix ? Et à mon tour, est ce que je pardonne ? Pardonner, c’est faire place pour que vienne l’Esprit. Est-ce que je favorise la réconciliation et crée la communion, ou est-ce que je cherche toujours, en mettant mon nez là où il y a des difficultés, à contrarier, à diviser, à détruire ? Est-ce que je pardonne, est-ce que je favorise la réconciliation, est-ce que je crée la communion ? Si le monde est divisé, si l’Église est polarisée, si le cœur est fragmenté, ne perdons pas de temps à critiquer les autres et à nous mettre en colère contre nous-mêmes, mais invoquons l’Esprit : il est capable de résoudre ces choses.

Esprit Saint, Esprit de Jésus et du Père, source inépuisable d’harmonie, nous te confions le monde, nous te consacrons l’Église et nos cœurs. Viens Esprit créateur, harmonie de l’humanité, renouvelle la face de la terre. Viens Don des dons, harmonie de l’Église, rends-nous unis en Toi. Viens Esprit de pardon, harmonie du cœur, transforme-nous comme tu sais le faire, par Marie.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François lors de la Messe Chrismale – 6 avril 2023

Le Jeudi Saint 6 avril 2023, le pape François a prononcé l’homélie lors de la célébration de la Messe  Chrismale. Il a dit: L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1).

Vous pouvez lire le texte intégral de l’homélie ci-dessous.

Rejoignez le pape François pour toutes les liturgies de la Semaine Sainte au Vatican et suivez notre notre programme de diffusion pour plus de détails.

Célébration de la Messe Chrismale

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Basilique Saint-Pierre
Jeudi Saint, 6 avril 2023

« L’Esprit du Seigneur est sur moi » (Lc 4,18) : c’est à partir de ce verset qu’a commencé la prédication de Jésus, et c’est à partir de ce même verset que la Parole que nous avons entendue aujourd’hui a débuté (cf. Is 61,1). Au commencement, donc, il y a l’Esprit du Seigneur.

Et c’est sur lui que je voudrais réfléchir avec vous aujourd’hui, chers confrères, sur l’Esprit du Seigneur. En effet, sans l’Esprit du Seigneur, il n’y a pas de vie chrétienne, et sans son onction, il n’y a pas de sainteté. Il est le protagoniste et c’est beau, en ce jour de naissance du sacerdoce, de reconnaître qu’il est à l’origine de notre ministère, de la vie et de la vitalité de chaque pasteur. En effet, notre Sainte Mère l’Église nous enseigne à professer que l’Esprit Saint « donne la vie » [1] comme l’a affirmé Jésus en disant : « C’est l’Esprit qui fait vivre » ( Jn 6, 63) ; un enseignement repris par l’apôtre Paul qui écrit : « La lettre tue, mais l’Esprit donne la vie » (2 Co 3, 6) et parle de la « loi de l’Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » ( Rm 8, 2). Sans Lui, l’Église ne serait pas l’Épouse vivante du Christ, mais tout au plus une organisation religieuse – plus ou moins bonne ; elle ne serait pas le Corps du Christ, mais un temple construit par des mains humaines. Comment l’Église peut-elle être construite, sinon à partir du fait que nous sommes les « temples de l’Esprit Saint » qui « habite en nous » (cf. 1 Co 6, 19 ; 3,16) ? Nous ne pouvons pas le laisser dehors ou le « parquer » dans une zone de dévotion, non, au centre !. Nous avons besoin de dire chaque jour : « Viens, car sans ta puissance rien n’est en l’homme ». [2]

L’Esprit du Seigneur est sur moi. Chacun de nous peut le dire ; et ce n’est pas de la présomption, c’est une réalité, puisque tout chrétien, et en particulier tout prêtre, peut faire siennes les paroles suivantes : « Le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61, 1). Frères, sans mérite, par pure grâce, nous avons reçu une onction qui a fait de nous des pères et des pasteurs du Peuple saint de Dieu. Arrêtons-nous donc sur cet aspect de l’Esprit : l’onction.

Après la première « onction » dans le sein de Marie, l’Esprit est descendu sur Jésus au Jourdain. Par la suite, comme l’explique saint Basile, « chaque action [du Christ] s’est accomplie avec la co-présence de l’Esprit Saint ». [3] En effet, c’est par la puissance de cette onction qu’Il prêchait et accomplissait des signes, en vertu de laquelle « une force sortait de Lui et les guérissait tous » ( Lc 6, 19). Jésus et l’Esprit œuvrent toujours ensemble, de sorte qu’ils sont comme les deux mains du Père [4] – Irénée dit cela – qui, tendues vers nous, nous étreignent et nous relèvent. Et c’est par elles que nos mains, ointes par l’Esprit du Christ ont été marquées. Oui, frères, le Seigneur ne nous a pas seulement choisis et appelés de partout : il a répandu en nous l’onction de son Esprit, celui-là même qui est descendu sur les Apôtres. Frères nous sommes des “oints”.

Regardons donc vers eux, vers les Apôtres. Jésus les choisit et, à son appel, ils quittent leurs barques, leurs filets, leurs maisons et ainsi de suite… L’onction de la Parole change leur vie. Avec enthousiasme, ils suivent le Maître et commencent à prêcher, convaincus d’accomplir par la suite des choses encore plus grandes ; jusqu’à ce que survienne la Pâque. Là, tout semble s’arrêter : ils en viennent à renier et à abandonner le Maître. Nous ne devons pas avoir peur. Soyons courageux en lisant notre propre vie et nos chutes. Ils parviennent à renier et à abandonner le Maitre, Pierre, le premier. Ils se rendent compte de leur incapacité et réalisent qu’ils ne l’avaient pas compris : le « Je ne connais pas cet homme » (Mc 14, 71), que Pierre prononce dans la cour du grand prêtre après la dernière Cène, n’est pas seulement une défense impulsive, mais un aveu d’ignorance spirituelle : lui et les autres s’attendaient peut-être à une vie de succès derrière un Messie attirant les foules et accomplissant des prodiges. Mais ils ne reconnaissent pas le scandale de la croix qui brise leurs certitudes. Jésus savait qu’ils n’y arriveraient pas seuls, et c’est pourquoi il leur avait promis le Paraclet. Et c’est justement cette « seconde onction », à la Pentecôte, qui transforme les disciples, en les amenant à paître le troupeau de Dieu et non plus eux-mêmes.Et telle est la contradiction à résoudre : suis-je pasteur du peuple de Dieu ou de moi-même ? Et il y a l’Esprit qui m’enseigne le chemin. C’est cette onction de feu qui fait disparaître leur religiosité centrée sur eux-mêmes et sur leurs propres capacités : une fois l’Esprit reçu, les craintes et les hésitations de Pierre se dissiperont ; Jacques et Jean, brûlés par le désir de donner leur vie, cesseront de courir après les places d’honneur (cf. Mc 10, 35-45) ; notre carriérisme, frères ; les autres ne resteront plus enfermés et craintifs au Cénacle, mais ils sortiront et deviendront apôtres dans le monde.C’est l’esprit qui change notre cœur, qui le met dans ce plan différent.

Frères, un tel chemin embrasse notre vie sacerdotale et apostolique. Pour nous aussi, il y a eu une première onction qui a commencé par un appel d’amour qui a ravi nos cœurs. Pour lui nous avons rompu nos amarres et sur cet enthousiasme authentique est descendue la force de l’Esprit, qui nous a consacrés. Ensuite, selon le temps voulu par Dieu, vient pour chacun l’étape pascale, qui marque le moment de vérité. Et c’est un moment de tension qui prend des formes diverses. Il arrive à chacun, tôt ou tard, de connaître des déceptions, des fatigues, des faiblesses, l’idéal semblant se diluer devant les exigences de la réalité, tandis qu’une certaine habitude prend le dessus et que certaines épreuves, auparavant difficilement imaginables, rendent la fidélité plus inconfortable qu’elle ne l’était auparavant. Cette étape – de cette tentation, de cette épreuve que nous avons tous eue, que nous avons et que nous aurons – cette étape représente une ligne de crête décisive pour ceux qui ont reçu l’onction. On peut s’en sortir mal, en glissant vers une certaine médiocrité, en se traînant avec lassitude dans une « normalité » où s’insinuent trois tentations dangereuses : celle du compromis, où l’on se contente de ce que l’on peut faire ; celle des compensations, où l’on cherche à se « recharger » avec autre chose que notre onction ; celle du découragement – qui est la plus commune –, où, mécontents, l’on continue par inertie. Et c’est là que réside le grand risque : alors que les apparences demeurent intactes – “Je suis prêtre” –, on se replie sur soi-même et on se traîne sans énergie ; le parfum de l’onction n’embaume plus la vie et le cœur ; et le cœur ne se dilate plus mais se rétrécit, enserré dans le désenchantement.C’est un distillat, tu sais ? Lorsque le sacerdoce glisse lentement sur le cléricalisme et que le prêtre oublie d’être pasteur du peuple, pour devenir un clerc d’État.

Mais cette crise peut aussi devenir le tournant du sacerdoce, « l’étape décisive de la vie spirituelle, où il faut faire l’ultime choix entre Jésus et le monde, entre l’héroïsme de la charité et la médiocrité, entre la croix et un certain bien-être, entre la sainteté et une honnête fidélité à l’engagement religieux ». [5] À la fin de cette célébration, on vous donnera comme cadeau un classique, un livre qui traite de ce problème : “ Le second appel”, c’est un classique du Père Voillaume qui touche ce problème, lisez-le. Ensuite, nous avons tous besoin réfléchir à ce moment de notre sacerdoce. C’est le moment béni où, comme les disciples à Pâques, nous sommes appelés à être « assez humbles pour confesser que nous avons été vaincus par le Christ humilié et crucifié, et pour accepter de commencer un nouveau chemin, celui de l’Esprit, de la foi et d’un amour fort et sans illusions ». [6] C’est le kairos où l’on découvre que « tout cela ne se réduit pas à abandonner la barque et les filets pour suivre Jésus pendant un certain temps, mais nous oblige à aller jusqu’au Calvaire, à accueillir la leçon et le fruit, et à aller avec l’aide de l’Esprit Saint jusqu’au bout d’une vie qui doit s’achever dans la perfection de la Charité divine ».  [7] Avec l’aide de l’Esprit Saint : c’est le temps, pour nous comme pour les Apôtres, d’une « seconde onction », temps d’un second appel que nous devons écouter, pour la seconde onction, celle où nous accueillons l’Esprit, non pas à partir de l’enthousiasme de nos rêves, mais à partir de la fragilité de notre réalité. C’est une onction qui fait la vérité en profondeur, qui permet à l’Esprit d’oindre nos faiblesses, nos travaux, nos pauvretés intérieures. Alors l’onction embaume à nouveau : de son parfum et non du nôtre.En ce moment, intérieurement, je fais mémoire de certains d’entre vous qui sont en crise – disons ainsi – qui sont désorientés et qui ne savent pas comment prendre le chemin, comment reprendre le chemin dans cette seconde onction de l’Esprit. À ces frères – je les ai présents – je dis simplement : courage, le Seigneur est plus grand que tes faiblesses, que tes péchés. Confie-toi au Seigneur et laisse-toi appeler une deuxième fois, cette fois avec l’onction de l’Esprit Saint. La double vie ne t’aidera pas ; jeter tout par la fenêtre, non plus. Regarde en avant, laisse-toi caresser par l’onction de l’Esprit Saint.

Et le chemin pour ce pas de maturité est d’admettre la vérité de sa propre faiblesse. « L’Esprit de vérité » (Jn 16, 13) nous y exhorte, il nous pousse à regarder en nous-mêmes jusqu’au fond et à nous demander : mon épanouissement dépend-il de mes capacités, du rôle que j’obtiens, des compliments que je reçois, de la carrière que je poursuis, des supérieurs ou des collaborateurs, ou du confort que je peux me garantir, ou de l’onction qui parfume ma vie ? Frères, la maturité sacerdotale passe par l’Esprit Saint, elle se réalise quand Il devient le protagoniste de notre vie. Alors tout change de perspective, même les déceptions et les amertumes – même les péchés – parce qu’il ne s’agit plus d’essayer de nous améliorer en corrigeant quelque chose, mais de nous en remettre, sans rien retenir, à Celui qui nous a gratifiés de son onction et veut descendre en nous au plus profond. Frères, nous redécouvrons alors que la vie spirituelle devient libre et joyeuse non pas quand on sauve les formes et que l’on rapièce, mais quand on laisse l’initiative à l’Esprit et que, abandonnés à ses desseins, on se dispose à servir là et comme on nous le demande : notre sacerdoce ne grandit pas en rapiéçant, mais en débordant !

Si nous laissons l’Esprit de vérité agir en nous, nous conserverons l’onction – conserver l’onction –, car les faussetés – les hypocrisies cléricales – les faussetés avec lesquelles nous sommes tentés de vivre viendront à la lumière immédiatement. Et l’Esprit, qui « lave ce qui est sale », nous suggérera, sans se lasser, de « ne pas souiller l’onction », ne serait-ce qu’un peu. Il me vient à l’esprit cette phrase du Qohèleth qui dit : « Une seule mouche morte infeste et gâte l’huile du parfumeur » (10, 1). C’est vrai, toute duplicité – la duplicité cléricale, s’il vous plaît – toute duplicité qui s’insinue est dangereuse : elle ne doit pas être tolérée mais mise à la lumière de l’Esprit. Parce que, si « rien n’est plus faux que le cœur de l’homme, il est incurable » ( Jr 17, 9), l’Esprit Saint, Lui seul, nous guérit de l’infidélité (cf. Os 14, 5). C’est pour nous un combat essentiel : il est en effet indispensable, comme l’écrivait saint Grégoire le Grand que « celui qui annonce la parole de Dieu se consacre d’abord à son propre mode de vie, pour apprendre ensuite, à partir de sa propre vie, ce qu’il doit dire et comment il doit le dire. […] Que nul ne prétende dire à l’extérieur ce qu’il n’a pas d’abord entendu à l’intérieur ». [8] Et c’est l’Esprit, le maître intérieur, qu’il faut écouter, sachant qu’il n’y a rien en nous qu’Il ne veuille oindre. Frères, préservons l’onction : que l’invocation de l’Esprit ne soit pas une pratique sporadique, mais le souffle de chaque jour. Viens, viens, conserve-nous l’onction. Moi, consacré par Lui, je suis appelé à m’immerger en Lui, à laisser sa lumière pénétrer mes obscurités – nous en avons beaucoup – pour retrouver la vérité de ce que je suis. Laissons-nous entraîner par Lui pour combattre les contradictions qui s’agitent en nous ; et laissons-nous régénérer par Lui dans l’adoration, car lorsque nous adorons le Seigneur, Il déverse son Esprit dans nos cœurs.

L’esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction ; il m’a envoyé – poursuit la prophétie – et m’a envoyé pour apporter la bonne nouvelle, la délivrance, la guérison et la grâce (cf. Is 61, 1-2 ; Lc 4, 18-19) : en un mot, pour apporter l’harmonie là où il n’y en a pas. Car comme le dit saint Basile : “L’Esprit est l’harmonie” c’est Lui qui fait l’harmonie. Après vous avoir parlé de l’onction, je voudrais vous dire quelque chose de cette harmonie qui en est la conséquence. L’Esprit Saint, en effet, est harmonie. D’abord au ciel : saint Basile explique que « cette supra-céleste et indicible harmonie dans service de Dieu et dans la symphonie réciproque des puissances supra-cosmiques, il est impossible qu’elle soit conservée sinon par l’autorité de l’Esprit » [9]. Et aussi sur la terre : dans l’Église, c’est bien Lui cette « Harmonie divine et musicale » [10] qui relie tout.Mais pensez à un presbyterium sans harmonie, sans l’Esprit : cela ne fonctionne pas. Il suscite la diversité des charismes et la refonde en unité, il crée une concorde qui n’est pas fondée sur l’homologation, mais sur la créativité de la charité. Il en va de même pour l’harmonie entre les uns et les autres. Il en va de même pour l’harmonie dans un presbytère. Pendant les années du Concile Vatican II, qui a été un don de l’Esprit, un théologien a publié une étude dans laquelle il parlait de l’Esprit non pas dans son individualité, mais dans son pluralisme. Il nous invitait à le considérer comme une Personne divine non pas tant singulière que « plurielle », comme le « nous de Dieu », le « nous » du Père et du Fils, parce qu’il est leur lien, il est en lui-même concorde, communion, harmonie. [11] Je me souviens que quand j’ai lu ce traité théologique – c’était en théologie, en étudiant – je me suis scandalisé : il semblait une hérésie, parce que dans notre formation on ne comprenait pas bien comment était l’Esprit Saint.

Créer l’harmonie, c’est ce qu’Il désire, surtout parmi ceux sur qui Il a répandu son onction. Frères, construire l’harmonie entre nous n’est donc pas une bonne méthode pour que la structure ecclésiale puisse mieux fonctionner, ce n’est pas danser le Minuet, ce n’est pas une question de stratégie ou de courtoisie, mais une exigence interne de la vie de l’Esprit. On pèche contre l’Esprit, qui est communion, quand on devient, même par légèreté, un instrument de division, par exemple – et revenons sur le même thème – avec le bavardage. Quand nous devenons des instruments de division, nous péchons contre l’Esprit. Et on fait le jeu de l’ennemi qui ne se montre pas au grand jour et qui aime les rumeurs et les insinuations, qui fomente des partis et des groupes de pressions, nourrit la nostalgie du passé, la méfiance, le pessimisme, la peur. Veillons, s’il vous plaît, à ne pas souiller l’onction de l’Esprit et la tunique de la Sainte Mère l’Église par la désunion, les polarisations, par tout manque de charité et de communion. Rappelons-nous que l’Esprit, « le nous de Dieu », préfère la forme communautaire : c’est-à-dire la disponibilité par rapport à ses propres exigences, l’obéissance par rapport à ses propres goûts, l’humilité par rapport à ses propres attentes.

L’harmonie n’est pas une vertu parmi d’autres, elle est davantage. Saint Grégoire le Grand écrit : « La valeur de la vertu d’harmonie est démontrée par le fait que, sans elle, toutes les autres vertus ne valent absolument rien ». [12] Aidons-nous les uns les autres, mes frères, à préserver l’harmonie, – préserver l’harmonie – ce serait le devoir – en commençant non pas par les autres, mais chacun par soi-même ; en nous demandant : dans mes paroles, dans mes commentaires, dans ce que je dis et écris, y a-t-il l’empreinte de l’Esprit ou celle du monde ? Je pense aussi à la gentillesse du prêtre – mais si souvent les prêtres, nous… sommes impolis – : pensons à la gentillesse du prêtre, si les gens trouvent, même chez nous, des personnes insatisfaites, vieux garçons, des personnes mécontentes qui critiquent et pointent du doigt, où verront-ils l’harmonie ? Combien ne s’approchent pas, ou bien s’éloignent, parce qu’ils ne se sentent ni accueillis ni aimés dans l’Église, mais regardés avec suspicion et jugés ! Au nom de Dieu, accueillons et pardonnons, toujours ! Et rappelons-nous que le fait d’être crispés et de se plaindre, outre que cela ne produit rien de bon, compromet l’annonce, parce que cela est un contre-témoignage de Dieu qui est communion et harmonie. Et cela déplaît beaucoup et surtout à l’Esprit Saint que l’apôtre Paul nous exhorte à ne pas contrister (cf. Ep 4, 30).

Frères, je vous laisse avec ces pensées qui sont sorties du cœur et je termine en vous adressant une parole simple et importante : merci. Merci pour votre témoignage, merci pour votre service ; merci pour tout le bien caché que vous faites, merci pour le pardon et la consolation que vous offrez au nom de Dieu : toujours pardonner, s’il vous plaît, ne jamais refuser le pardon ; merci pour votre ministère qui s’exerce souvent au prix de beaucoup de fatigues, d’incompréhensions et de peu de reconnaissance. Frères, que l’Esprit de Dieu, qui ne déçoit pas ceux qui se confient en Lui, vous comble de paix et achève en vous ce qu’il a commencé, afin que vous soyez prophètes de son onction et apôtres d’harmonie.

 

[1] Symbole de Nicée-Constantinople.

[2] Cf. Séquence de la Pentecôte.

[3] Spir. XVI, 39.

[4] Cf. Irené de Lyon, Adv. haer. IV, 20,1.

[5] R. Voillaume, «La seconda chiamata», in S. Stevan ed.,  La Seconda chiamata. Il coraggio della fragilità, Bologna 2018, 15. (« Le second appel », Lettres aux fraternités, t. 1, Paris, Cerf, 1960, pp. 11-35).

[6] Ibid., 24.

[7] Ibid., 16.

[8] Homélies sur Ezéchiel, I, X ,13-14.

[9] Spir. XVI, 38. Basile de Césarée, De Spiritu sancto, Sources Chrétiennes 17, [SPIR.S] 16, 38 (p.382).

[10] In Ps. 29,1.

[11] Cf. H. Mühlen, Der Heilige Geist als Person. Ich – Du – Wir, Münster in W., 1963.

[12] Homélies sur Ezéchiel, I, VIII, 8.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du pape François durant la célébration de la messe du dimanche des Rameaux 2023

Le dimanche 2 avril 2023, le pape François a prononcé l’homélie lors de la célébration du dimanche des Rameaux de la Passion du Seigneur. Il a souligné qu’ «à l’heure de l’abandon, Jésus a continué à faire confiance. À l’heure de l’abandon, il a continué à aimer ses disciples qui s’étaient enfuis, le laissant seul. Dans son abandon, il a pardonné à ceux qui l’avaient crucifié. (Luc 23:34) Nous voyons ici l’abîme de nos nombreux péchés immergé dans un amour plus grand, avec pour résultat que notre isolement devient communion. »

Vous pouvez lire le texte intégral de l’homélie ci-dessous.

Rejoignez le pape François pour toutes les liturgies de la Semaine Sainte au Vatican et suivez notre notre programme de diffusion pour plus de détails.

Célébration du dimanche des Rameaux et de la Passion du Seigneur

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS

Place Saint-Pierre
Dimanche 2 avril 2023

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 26, 46). C’est l’invocation que la liturgie d’aujourd’hui nous a fait répéter dans le Psaume responsorial (Cf. Ps 22, 2) et c’est la seule prononcée sur la croix par Jésus dans l’Évangile que nous avons entendu. Ce sont donc les paroles qui nous conduisent au cœur de la passion du Christ, au point culminant des souffrances qu’il a endurées pour nous sauver. “Pourquoi m’as-tu abandonné ?”

Les souffrances de Jésus ont été nombreuses, et chaque fois que nous écoutons le récit de la passion, elles nous pénètrent. Il y a eu les souffrances du corps : pensons aux gifles, aux coups, à la flagellation, à la couronne d’épines, jusqu’à la torture de la croix. Il y a eu les souffrances de l’âme : la trahison de Judas, les reniements de Pierre, les condamnations religieuses et civiles, les railleries des gardes, les insultes sous la croix, le rejet de beaucoup de gens, l’échec de tout, l’abandon des disciples. Pourtant, dans toute cette souffrance, il reste à Jésus une certitude : la proximité du Père. Mais voilà que l’impensable se produit : avant de mourir, il s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». L’abandon de Jésus.

Voici la souffrance la plus déchirante, c’est la souffrance de l’esprit : à l’heure la plus tragique, Jésus fait l’expérience de l’abandon de Dieu. Jamais auparavant il n’avait appelé le Père par le nom générique de Dieu. Pour nous transmettre la force de cet événement, l’Évangile rapporte la phrase également en araméen : c’est la seule, parmi celles prononcées par Jésus sur la croix qui nous parvient dans la langue originale. L’événement est l’abaissement extrême, c’est-à-dire l’abandon de son Père, l’abandon de Dieu. Le Seigneur vient souffrir par amour pour nous, comme il est difficile pour nous de le comprendre. Il voit le ciel fermé, il expérimente l’amère frontière de la vie, le naufrage de l’existence, l’effondrement de toute certitude : il crie « le pourquoi des pourquoi ». “Toi, Dieu, pourquoi ?”

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? Le verbe « abandonner » dans la Bible est fort ; il apparaît dans des moments de douleur extrême : dans les amours manquées, rejetées et trahies ; dans les enfants rejetés et avortés ; dans les situations de répudiation, de veuvage et d’orphelinat ; dans les mariages épuisés, dans les exclusions qui privent des liens sociaux, dans l’oppression de l’injustice et dans la solitude de la maladie : bref, dans les lacérations les plus implacables des liens. Là, on dit ce mot : “abandon”. Le Christ a porté cela sur la croix, en prenant sur lui le péché du monde. Et au point culminant, Lui, le Fils unique et bien-aimé, fait l’expérience de la situation qui Lui était la plus étrangère : l’abandon, l’éloignement de Dieu.

Et pourquoi en est-il arrivé là ? Pour nous, il n’y a pas d’autre réponse. Pour nous. Frères et sœurs, aujourd’hui ce n’est pas un spectacle. En écoutant l’abandon de Jésus, que chacun de nous se dise : pour moi. Cet abandon est le prix qu’il a payé pour moi. Il s’est fait solidaire avec chacun de nous jusqu’à l’extrême, pour être avec nous jusqu’à la fin. Il a connu l’abandon pour ne pas nous laisser otages de la désolation et pour être à nos côtés pour toujours. Il l’a fait pour moi, pour toi, pour que lorsque moi, toi ou n’importe qui d’autre se voit le dos au mur, perdu dans une impasse, plongé dans l’abîme de l’abandon, aspiré dans le tourbillon des nombreux « pourquoi » sans réponse, il y ait une espérance. Lui, pour toi, pour moi. Ce n’est pas la fin, car Jésus est passé par là et il est maintenant avec toi : Lui qui a souffert la distance de l’abandon pour accueillir dans son amour toutes nos distances. Pour que chacun de nous puisse dire : dans mes chutes – chacun de nous est tombé plusieurs fois –, dans ma désolation, quand je me sens trahi, ou quand j’ai trahi les autres, quand je me sens rejeté ou quand j’ai rejeté les autres, quand je me sens abandonné ou quand j’ai abandonné les autres, pensons qu’Il a été abandonné, trahi, rejeté. Et là nous Le trouvons. Quand je me sens mal et perdu, quand je n’y arrive plus, Il est avec moi ; dans mes nombreux pourquoi sans réponse, Il est là.

C’est ainsi que le Seigneur nous sauve, à partir de nos « pourquoi ». C’est à partir de là qu’il entrouvre l’espérance qui ne déçoit pas. En effet, sur la croix, alors qu’il ressent un extrême abandon, il ne se laisse pas aller au désespoir – c’est la limite –, mais il prie et se confie. Il crie son « pourquoi » avec les mots d’un psaume (22, 2) et s’abandonne entre les mains du Père, même s’il le sent loin (cf. Lc 23, 46) ou il ne le sent pas car il se trouve abandonné. Dans l’abandon, il se confie. Dans l’abandon, il continue à aimer les siens qui l’avaient laissé seul. Dans l’abandon, il pardonne à ceux qui l’ont crucifié (v. 34). Voilà que l’abîme de nos nombreux maux est plongé dans un amour plus grand, de sorte que toute séparation se transforme en communion.

Frères et sœurs, un tel amour total pour nous, jusqu’au bout, l’amour de Jésus est capable de transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair. C’est un amour de pitié, de tendresse, de compassion. Le style de Dieu est ceci : proximité, compassion et tendresse. Dieu est ainsi. Le Christ abandonné nous pousse à le chercher et à l’aimer dans les personnes abandonnées. Car en elles, il n’y a pas seulement des nécessiteux, mais il y a Lui, Jésus abandonné, Celui qui nous a sauvés en descendant au plus profond de notre condition humaine. Il est avec chacun d’eux, abandonnés jusqu’à la mort… Je pense à cet homme dit “de la rue”, allemand, qui mourut sous la colonnade, seul, abandonné. C’est Jésus pour chacun de nous. Beaucoup ont besoin de notre proximité, beaucoup sont abandonnés. J’ai aussi besoin que Jésus me caresse et s’approche de moi, et c’est pourquoi je vais le trouver dans les abandonnés, dans les personnes seules. Il veut que nous nous occupions des frères et des sœurs qui Lui ressemblent le plus, dans les situations extrêmes de douleur et de solitude. Aujourd’hui, chers frères et sœurs, il y a tant de « christs abandonnés ». Des peuples entiers sont exploités et abandonnés à eux-mêmes ; des pauvres dont nous n’avons pas le courage de croiser le regard vivent aux carrefours de nos rues ; il y a des migrants qui n’ont plus de visages mais qui sont des numéros ; il y a des prisonniers qui sont rejetés, des personnes qui sont cataloguées comme un problème. Mais aussi tant de christs invisibles, cachés, abandonnés, sont rejetés avec des gants blancs : des enfants à naître, des personnes âgées laissées seules – ça peut être ton père, ta mère peut-être, le grand-père, la grand-mère, abandonnés dans les instituts gériatriques –, des malades non visités, des handicapés ignorés, des jeunes qui ressentent un grand vide intérieur sans que personne n’écoute vraiment leur cri de souffrance. Et ils ne trouvent pas d’autre voie que le suicide. Les abandonnés d’aujourd’hui. Les christs d’aujourd’hui.

Jésus abandonné nous demande d’avoir des yeux et un cœur pour les personnes abandonnées. Pour nous, disciples de l’Abandonné, personne ne peut être marginalisé, personne ne peut être laissé à lui-même ; parce que, rappelons-nous, les rejetés et les exclus sont des icônes vivantes du Christ, ils nous rappellent son amour fou, son abandon qui nous sauve de toute solitude et de toute désolation. Frères et sœurs, demandons cette grâce aujourd’hui : savoir aimer Jésus abandonné et savoir aimer Jésus dans toute personne abandonnée, dans toute personne abandonnée. Demandons la grâce de savoir regarder, de savoir reconnaître le Seigneur qui crie encore en eux. Ne laissons pas sa voix se perdre dans le silence assourdissant de l’indifférence. Dieu ne nous a pas laissés seuls ; prenons soin de ceux qui sont laissés seuls. Alors, seulement, nous ferons nôtres les désirs et les sentiments de Celui qui, pour nous, « s’est dépouillé lui-même » (Ph 2, 7). Il s’est dépouillé totalement pour nous.

 

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Libreria Editrice Vaticana

Homélie du saint Père lors de la messe du Mercredi des Cendres

L’homélie du pape François lors de la messe du Mercredi des Cendres à la Basilique Sainte-Sabine.

Lisez le texte intégral ci-dessous

HOMÉLIE DU PAPE FRANÇOIS 

Basilique Sainte-Sabine
Mercredi 22 février 2023

« Voici maintenant le moment favorable, le voici maintenant le jour du salut ! » (2 Co 6, 2). Cette phrase, de l’Apôtre Paul nous aide à entrer dans l’esprit du temps du Carême. Le Carême est, en effet, le temps favorable pour revenir à l’essentiel, pour nous dépouiller de ce qui nous encombre, pour nous réconcilier avec Dieu, pour rallumer le feu de l’Esprit Saint qui demeure caché dans les cendres de notre fragile humanité. Revenir à l’essentiel. C’est le temps de grâce pour mettre en pratique ce que le Seigneur nous a demandé dans le premier verset de la Parole que nous venons d’écouter : « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2, 12). Revenir à l’essentiel qui est le Seigneur

Le rite des cendres nous introduit sur ce chemin de retour et nous adresse deux invitations : revenir à la vérité sur nous-mêmes et revenir à Dieu et à nos frères.

Tout d’abord, revenir à la vérité sur nous-mêmes. Les cendres nous rappellent qui sommes-nous et d’où venons-nous, elles nous ramènent à la vérité fondamentale de la vie : seul le Seigneur est Dieu et nous sommes l’œuvre de ses mains. C’est notre vérité. Nous avons la vie alors que Lui, il est la vie. C’est Lui le Créateur, tandis que nous sommes de l’argile fragile qui est modelée par ses mains. Nous venons de la terre et avons besoin du Ciel, de Lui ; avec Dieu nous renaîtrons de nos cendres, mais sans Lui nous sommes poussière. ET alors que nous inclinons humblement la tête pour recevoir les cendres, ayons donc à cœur cette vérité : nous sommes du Seigneur, nous Lui appartenons. En effet, Il « modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie » (Gn 2, 7) : nous existons, parce qu’Il a insufflé en nous le souffle de vie. Et, en tant que Père tendre et miséricordieux, Il vit aussi le Carême, parce qu’Il nous désire, nous attend, attend notre retour. Et Il nous encourage toujours à ne pas désespérer, même lorsque nous tombons dans la poussière de notre fragilité et de notre péché, car « Il sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière » (Ps 103, 14). Réécoutons ceci : Il se souvient que nous sommes poussière. Dieu le sait ; nous par contre, nous l’oublions souvent, pensant que nous sommes autosuffisants, forts, invincibles sans Lui ; nous utilisons des maquillages pour nous croire meilleurs de ce que nous sommes : nous sommes poussière.

Le Carême est donc le temps de nous rappeler qui est le Créateur et qui est la créature, de proclamer que Dieu seul est Seigneur, de nous dépouiller de la prétention de nous suffire à nous-mêmes et de la soif de nous mettre au centre, à être les premiers de la classe, à penser qu’avec nos seules capacités nous pouvons être les protagonistes de la vie et transformer le monde qui nous entoure. C’est le temps favorable pour nous convertir, pour changer de regard avant tout sur nous-mêmes, pour regarder à l’intérieur de nous-mêmes : combien de distractions et de superficialités nous détournent de ce qui compte, combien de fois nous nous concentrons sur nos envies ou sur ce qui nous manque, nous éloignant du centre de notre cœur, oubliant d’embrasser le sens de notre être dans le monde. Le Carême est un temps de vérité pour faire tomber les masques que nous portons chaque jour pour paraître parfaits aux yeux du monde ; pour lutter, comme Jésus nous l’a dit dans l’Évangile, contre le mensonge et l’hypocrisie : pas ceux des autres, les nôtres : les regarder en face et lutter.

Il y a cependant une deuxième étape : les cendres nous invitent également à revenir à Dieu et à nos frères. En effet, si nous revenons à la vérité de ce que nous sommes et que nous nous rendons compte que notre moi ne se suffit pas à lui-même, nous découvrons alors que nous n’existons qu’à travers les relations : la relation originelle avec le Seigneur et les relations vitales avec les autres. Ainsi, les cendres que nous recevons aujourd’hui sur nos têtes nous disent que toute présomption d’autosuffisance est fausse et que l’idolâtrie du moi est destructrice et nous enferme dans la prison de la solitude : se regarder dans le miroir en imaginant être parfait, en imaginant être au centre du monde. Notre vie, par contre, est avant tout une relation : nous l’avons reçue de Dieu et de nos parents, et nous pouvons toujours la renouveler et la régénérer grâce au Seigneur et à ceux qu’il place à nos côtés. Le Carême est le temps favorable pour revitaliser nos relations avec Dieu et avec les autres : pour nous ouvrir dans le silence à la prière et sortir de la forteresse de notre ego fermé, pour briser les chaînes de l’individualisme et de l’isolement et redécouvrir, à travers la rencontre et l’écoute, ceux qui marchent chaque jour à nos côtés, et réapprendre à les aimer comme des frères ou sœurs.

Frères et sœurs, comment réaliser tout cela ? Pour accomplir ce parcours – pour revenir à la vérité sur nous-mêmes, pour revenir à Dieu et aux autres – nous sommes invités à parcourir trois grandes voies : l’aumône, la prière et le jeûne. Ce sont les voies classiques : il ne faut pas de nouveautés sur cette route. Jésus l’a dit, c’est clair : l’aumône, la prière et le jeûne. Et il ne s’agit pas de rites extérieurs, mais de gestes qui doivent exprimer un renouvellement du cœur. L’aumône n’est pas un geste rapide pour se donner bonne conscience, pour équilibrer un peu le déséquilibre intérieur, mais c’est le fait de toucher de ses mains et de ses larmes la souffrance des pauvres ; la prière n’est pas un rituel, mais un dialogue de vérité et d’amour avec le Père ; et le jeûne n’est pas un simple renoncement, mais un geste fort pour rappeler à notre cœur ce qui compte et ce qui passe. La mise en garde de Jésus est un « avertissement qui conserve sa valeur salutaire également pour nous: aux gestes extérieurs doit toujours correspondre la sincérité de l’âme et la cohérence des œuvres. À quoi sert en effet – se demande l’auteur inspiré – de déchirer ses vêtements, si le cœur demeure éloigné du Seigneur, c’est-à-dire du bien et de la justice? » (Benoît XVI, Homélie Mercredi des Cendres, 1er mars 2006). Cependant, trop souvent nos gestes et nos rituels ne touchent pas la vie, ils ne sont pas vrais ; peut-être les accomplissons-nous uniquement pour être admirés des autres, pour recevoir des applaudissements, pour nous attribuer des mérites. Rappelons-nous ceci : dans la vie personnelle, comme dans la vie de l’Église, les apparences extérieures, les jugements humains et le goût du monde ne comptent pas ; seul compte le regard de Dieu qui y lit l’amour et la vérité.

Si nous nous mettons humblement sous son regard, alors l’aumône, la prière et le jeûne ne restent pas des gestes extérieurs, mais expriment ce que nous sommes vraiment : des enfants de Dieu et des frères entre nous. L’aumône, c’est-à-dire la charité, manifestera notre compassion envers ceux qui sont dans le besoin, nous aidera à revenir vers les autres ; la prière donnera voix à notre désir intime de rencontrer le Père, en nous faisant revenir vers Lui ; le jeûne sera le gymnase spirituel pour renoncer joyeusement à ce qui est superflu et qui nous encombre, pour devenir intérieurement plus libres et revenir à la vérité sur nous-mêmes. Rencontre avec le Père, liberté intérieure, compassion.

Chers frères et sœurs, inclinons la tête, recevons les cendres, rendons notre cœur léger. Mettons-nous en route dans la charité : quarante jours favorables nous sont donnés pour nous rappeler que le monde ne doit pas être enfermé dans les limites étroites de nos besoins personnels, et pour redécouvrir la joie non pas dans les choses à accumuler, mais dans l’attention aux personnes dans le besoin et dans l’affliction. Mettons-nous en route dans la prière : quarante jours favorables nous sont donnés pour redonner à Dieu la primauté dans nos vies, pour nous remettre à dialoguer avec lui de tout cœur, et non occasionnellement. Mettons-nous en route dans le jeûne : quarante jours favorables nous sont donnés pour nous retrouver, pour limiter la dictature des agendas toujours pleins de choses à faire, des prétentions d’un ego toujours plus superficiel et encombrant, et choisir ce qui compte.

Frères et sœurs, ne perdons pas la grâce de ce temps saint : fixons le Crucifix et marchons, répondons avec générosité aux appels forts du Carême. Et au bout du chemin, nous rencontrerons avec une plus grande joie le Seigneur de la vie, nous le rencontrerons, le seul qui nous fera renaître de nos cendres.

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Homélie du Saint-Père à l’Aéroport de Ndolo

L’homélie du pape François lors de la messe pour la paix et la justice célébrée à l’Aéroport de Ndolo, en République démocratique du Congo. Le Saint-Père quittera le 3 février pour le Soudan du Sud en Pèlerinage Œcuménique de Paix.

MESSE POUR LA PAIX ET LA JUSTICE 

HOMÉLIE DU SAINT-PÈRE

Aéroport de Ndolo
Mercredi 1er février 2023

 

Bandeko, Bobóto [Frères et sœurs, paix] R/ Bondeko [Fraternité]

Bondéko [Fraternité]  R/ Esengo [Joie]

Esengo, joie : ma joie de vous voir et de vous rencontrer est grande : j’ai beaucoup désiré ce moment – cela fait un an que nous attendons ! -, merci d’être là !

L’Évangile vient juste de nous dire que la joie des disciples aussi était grande le soir de Pâques, et que cette joie avait jailli « en voyant le Seigneur » (Jn 20, 20). Dans cette atmosphère de joie et de stupeur, le Ressuscité s’adresse aux siens. Et qu’est-ce qu’il leur dit? D’abord, trois mots : « La paix soit avec vous ! » (v. 19). C’est une salutation, mais c’est plus qu’une salutation : c’est un don. Parce que la paix, cette paix annoncée par les anges la nuit de Bethléem (cf. Lc 2, 14), cette paix que Jésus a promise aux siens (cf. Jn 14, 27), elle est maintenant, pour la première fois, solennellement donnée aux disciples. La paix de Jésus, qui nous est également donnée en chaque Messe, est pascale : elle vient avec la résurrection parce que le Seigneur devait d’abord vaincre nos ennemis, le péché et la mort, et réconcilier le monde avec le Père ; il devait éprouver notre solitude et notre abandon, nos enfers, embrasser et combler les distances qui nous séparaient de la vie et de l’espérance. Maintenant, les distances entre le Ciel et la terre, entre Dieu et l’homme étant annulées, la paix de Jésus est donnée aux disciples.

Mettons-nous de leur côté. Ils étaient ce jour-là complètement abasourdis par le scandale de la croix, blessés intérieurement d’avoir abandonné Jésus en fuyant, déçus de l’issue de son histoire, craignant de finir comme lui. Il y avait en eux de la culpabilité, de la frustration, de la tristesse, de la peur… Eh bien, alors que dans le cœur des disciples ce sont des ruines, Jésus proclame la paix ; alors qu’ils ressentent en eux la mort, il annonce la vie. En d’autres termes, la paix de Jésus survient au moment où tout semble fini pour eux, au moment le plus inattendu et inespéré, où il n’y a aucune lueur de paix. Ainsi fait le Seigneur : il nous étonne, il nous tend la main lorsque nous sommes sur le point de sombrer, il nous relève quand nous touchons le fond. Frères et sœurs, avec Jésus, le mal ne l’emporte jamais, il n’a jamais le dernier mot. « C’est lui, le Christ, qui est notre paix » (Ep 2, 14) et sa paix est toujours victorieuse. C’est pourquoi, nous qui appartenons à Jésus, nous ne pouvons pas laisser la tristesse l’emporter sur nous, nous ne pouvons pas laisser la résignation et le fatalisme s’installer. Si l’on respire cette atmosphère autour de nous, qu’il n’en soit pas ainsi pour nous : dans un monde découragé par la violence et la guerre, les chrétiens doivent faire comme Jésus. Il a répété, avec insistance, aux disciples : La paix, la paix soit avec vous ! (Cf. Jn 20, 19.21) ; et nous sommes appelés à faire nôtre et dire au monde cette annonce inespérée et prophétique du Seigneur, cette annonce de paix.

Mais, nous demandons nous, comment garder et cultiver la paix de Jésus ? Lui-même nous indique trois sources de paix, trois sources pour continuer à la cultiver. Elles sont le pardon, la communauté et la mission.

Voyons la première source : le pardon. Jésus dit aux siens : « À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis » (v. 23). Cependant, avant de donner aux apôtres le pouvoir de pardonner, il leur pardonne ; non pas avec des mots, mais avec un geste, le premier que le Ressuscité accomplit devant eux. L’Évangile dit : « Il leur montra ses mains et son côté » (v. 20). C’est-à-dire qu’il leur montre ses plaies, il les leur offre, parce que le pardon naît des blessures. Il naît lorsque les blessures subies ne laissent pas des cicatrices de haine, mais deviennent le lieu où faire de la place aux autres et accueillir leurs faiblesses. Les fragilités deviennent alors des opportunités, et le pardon devient le chemin de la paix. Il ne s’agit pas de tout laisser derrière soi comme si de rien n’était, mais d’ouvrir son cœur aux autres avec amour. C’est ce que fait Jésus : face à la misère de ceux qui l’ont renié et abandonné, il montre ses plaies et ouvre la source de la miséricorde. Il n’utilise pas beaucoup de mots, mais il ouvre grand son cœur blessé pour nous dire qu’il est toujours blessé d’amour pour nous.

Frères et sœurs, lorsque la culpabilité et la tristesse nous oppressent, lorsque les choses ne vont pas bien, nous savons où regarder : vers les plaies de Jésus, prêt à nous pardonner avec son amour blessé et infini. Il connaît tes blessures, il connaît les blessures de ton pays, de ton peuple, de ta terre ! Ce sont des blessures qui brûlent, continuellement infectées par la haine et la violence, alors que le remède de la justice et le baume de l’espérance ne semblent jamais arriver. Frère et sœur, Jésus souffre avec toi, il voit les blessures que tu portes en toi et désire te consoler et te guérir, en te présentant son Cœur blessé. Dieu répète à ton cœur les paroles qu’il a prononcées aujourd’hui par le prophète Isaïe : « Je le guérirai, je le conduirai, je le comblerai de consolations » (Is 57, 18).

Ensemble, aujourd’hui, nous croyons qu’il y a toujours avec Jésus la possibilité d’être pardonné et de recommencer, et aussi trouver la force de pardonner à soi-même, aux autres et à l’histoire ! C’est ce que le Christ veut : nous oindre de son pardon pour nous donner la paix et le courage de pardonner à notre tour, le courage d’accomplir une grande amnistie du cœur. Comme il nous est bon de purifier nos cœurs de la colère, des remords, de tout ressentiment et de toute rancœur ! Bien-aimés, que ce jour soit un temps de grâce pour accueillir et vivre le pardon de Jésus ! Qu’il soit l’occasion pour toi, qui portes un lourd fardeau dans ton cœur dont tu as besoin de te débarrasser, de recommencer à respirer. Et qu’il soit un moment propice pour toi, qui t’affirmes chrétien dans ce pays mais qui commets des violences. À toi le Seigneur dit : « Dépose tes armes, embrasse la miséricorde ». Et à tous les blessés et opprimés de ce peuple, il dit : « N’ayez pas peur de mettre vos blessures dans les miennes, vos plaies dans mes plaies. Faisons-le, frères et sœurs; n’ayez pas peur de sortir le Crucifix de votre col et de vos poches, de le prendre dans les mains et de le porter sur le cœur pour partager vos blessures avec celles de Jésus. De retour à la maison, prenez le Crucifix que vous avez et embrassez-le. Donnons au Christ la possibilité de guérir nos cœurs, jetons en Lui le passé, toutes les peurs, toutes les angoisses. Comme c’est beau d’ouvrir les portes du cœur et celles de la maison à sa paix ! Et pourquoi ne pas écrire dans vos chambres, sur vos vêtements, à l’extérieur de vos maisons, cette parole : Paix à vous ! Exhibez-la, elle sera une prophétie pour le pays, une bénédiction du Seigneur sur ceux que vous rencontrez. Paix à vous: laissons-nous pardonner par Dieu et pardonnons-nous les uns les autres!

Voyons maintenant la deuxième source de paix : la communauté. Jésus ressuscité ne s’adresse pas à des disciples individuellement, mais il les rencontre ensemble. Il leur parle au pluriel et il donne sa paix à la première communauté. Il n’y a pas de christianisme sans communauté, tout comme il n’y a pas de paix sans fraternité. Mais en tant que communauté, où marcher, où aller pour trouver la paix ? Regardons à nouveau les disciples. Avant Pâques, ils suivaient Jésus mais ils raisonnaient encore de manière trop humaine. Ils espéraient un Messie conquérant qui aurait chassé les ennemis, qui aurait accompli des prodiges et des miracles, qui aurait augmenté leur prestige et leur succès. Mais ces désirs mondains les ont laissés les mains vides, pire, ils ont retiré à la communauté la paix en générant des discussions et des oppositions (cf. Lc 9, 46 ; 22, 24). Pour nous aussi, il y a ce risque : être ensemble mais avancer seul en cherchant dans la société – mais aussi dans l’Église – le pouvoir, la carrière, les ambitions… Or de cette manière, l’on suit son propre moi au lieu du vrai Dieu, et l’on finit comme les disciples : enfermé chez soi, vide d’espérance et rempli de peur et de désillusions. Mais voici qu’à Pâques ils retrouvent le chemin de la paix grâce à Jésus qui souffle sur eux et dit : « Recevez l’Esprit Saint » (Jn 20, 22). Grâce à l’Esprit Saint ils ne considèreront plus ce qui les divise mais ce qui les unit ; ils iront dans le monde non plus pour eux-mêmes, mais pour les autres ; non pas pour avoir de la visibilité mais pour donner de l’espérance; non pas pour gagner l’approbation mais pour dépenser leur vie avec joie pour le Seigneur et pour les autres.

Frères et sœurs, le danger pour nous est de suivre l’esprit du monde plutôt que celui du Christ. Et quel est le moyen de ne pas tomber dans les pièges du pouvoir et de l’argent, de ne pas céder aux divisions, aux flatteries du carriérisme qui rongent la communauté, aux fausses illusions du plaisir et de la sorcellerie qui renferment en soi-même ? Le Seigneur nous le suggère à nouveau par l’intermédiaire du prophète Isaïe, en disant : « Je suis avec qui est broyé, humilié dans son esprit, pour ranimer l’esprit des humiliés, pour ranimer le cœur de ceux qu’on a broyés » (Is 57, 15). Le moyen c’est de partager avec les pauvres : voilà le meilleur antidote contre la tentation de nous diviser et de devenir mondains. Avoir le courage de regarder les pauvres et de les écouter car ils sont des membres de notre communauté, et non pas des étrangers à ôter de notre vue et de notre conscience. Ouvrir notre cœur aux autres, au lieu de le fermer sur nos problèmes ou sur nos vanités. Repartons des pauvres et nous découvrirons que nous partageons tous une pauvreté intérieure ; que nous avons tous besoin de l’Esprit de Dieu pour nous libérer de l’esprit du monde ; que l’humilité est la grandeur du chrétien et la fraternité sa vraie richesse. Croyons en la communauté et, avec l’aide de Dieu, édifions une Église vide d’esprit mondain mais remplie d’Esprit Saint, libre de toute richesse pour soi-même et pleine d’amour fraternel !

Enfin, nous en arrivons à la troisième source de la paix : la mission. Jésus dit aux disciples : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20, 21). Il nous envoie comme le Père l’a envoyé. Et comment le Père l’a-t-il envoyé dans le monde ? Il l’a envoyé pour servir et donner sa vie pour l’humanité (cf. Mc 10, 45), pour manifester sa miséricorde pour chacun (cf. Lc 15), pour chercher ceux qui sont loin (cf. Mt 9, 13). En un mot, il l’a envoyé pour tous : pas seulement pour les justes, mais pour tous. En ce sens, les paroles d’Isaïe résonnent à nouveau : « Paix ! La paix à celui qui est loin, et à celui qui est proche ! – dit le Seigneur » (Is 57, 19). À ceux qui sont loin d’abord, et aux proches : pas seulement aux « nôtres », mais à tous.

Frères et sœurs, nous sommes appelés à être des missionnaires de paix, et cela nous donnera la paix. C’est un choix : c’est faire de la place dans nos cœurs pour tous, c’est croire que les différences ethniques, régionales, sociales, religieuses et culturelles viennent après et ne sont pas des obstacles ; croire que les autres sont des frères et des sœurs, membres de la même communauté humaine ; croire que tous sont destinataires de la paix apportée dans le monde par Jésus. C’est croire que nous, chrétiens, nous sommes appelés à collaborer avec tous, à briser le cercle de la violence, à démanteler les complots de la haine. Oui, les chrétiens, envoyés par le Christ, sont appelés par définition à être la conscience de paix du monde : non seulement des consciences critiques, mais surtout des témoins d’amour ; non pas ceux qui revendiquent leurs droits mais à ceux de l’Évangile que sont la fraternité, l’amour et le pardon ; non pas ceux qui cherchent leurs intérêts, mais des missionnaires de l’amour fou que Dieu a pour chaque être humain.

 Jésus dit aujourd’hui à chaque famille, communauté, groupe ethnique, quartier et ville de ce grand pays : la Paix soit avec vous. La Paix soit avec vous : que ces paroles de notre Seigneur résonnent dans nos cœurs, en silence. Sentons qu’elles s’adressent à nous et choisissons d’être des témoins du pardon, des acteurs dans la communauté, des personnes en mission de paix dans le monde.

Moto azalí na matói ma koyóka [Celui qui a des oreilles pour entendre]

R/Ayoka  [Qu’il entende]

Moto azalí na motéma mwa kondima [Celui qui a le cœur pour consentir]

R/Andima [Qu’il consente]

Texte reproduit avec l’aimable autorisation de Libreria Editrice Vaticana.

Homélie du pape François pour les funérailles du pape émérite Benoît XVI

Le 5 janvier, le pape François a présidé la messe des funérailles du pape émérite Benoît XVI sur la place Saint-Pierre. Lisez ci-dessous le texte intégral de l’homélie qu’il a prononcée à cette occasion solennelle :

Homélie du pape François

Place Saint-Pierre

Jeudi 5 janvier 2023

« Père, entre tes mains je remets mon esprit » ( Lc 23, 46). Ce sont les dernières paroles que le Seigneur a prononcées sur la croix ; son dernier soupir – pourrait-on dire -, qui confirme ce qui a caractérisé toute sa vie : une permanente remise de soi entre les mains de son Père. Des mains de pardon et de compassion, de guérison et de miséricorde, des mains d’onction et de bénédiction qui le poussèrent à se livrer aussi aux mains de ses frères. Le Seigneur, ouvert aux histoires qu’il rencontrait sur son chemin, s’est laissé ciseler par la volonté de Dieu en prenant sur ses épaules toutes les conséquences et les difficultés de l’Évangile, jusqu’à voir ses mains meurtries par amour : « Vois mes mains », dit-il à Thomas ( Jn 20, 27), et il le dit à chacun de nous, « Vois mes mains ». Des mains meurtries qui vont à la rencontre et ne cessent de s’offrir, afin que nous connaissions l’amour que Dieu a pour nous et que nous croyions en lui (cf. 1 Jn 4, 16) [1].

« Père, entre tes mains je remets mon esprit » est l’invitation et le programme de vie qui inspire et veut modeler comme un potier (cf. Is 29, 16) le cœur du pasteur, jusqu’à ce que palpitent en lui les mêmes sentiments que ceux du Christ Jésus (cf. Ph 2, 5). Dévouement reconnaissant de service au Seigneur et à son Peuple qui naît du fait d’avoir accueilli un don totalement gratuit : : “Tu m’appartiens… Tu leur appartiens”, susurre le Seigneur ; “Tu es sous la protection de mes mains, sous la protection de mon coeur. Reste dans le creux de mes mains et donne-moi les tiennes” [2]. C’est la condescendance de Dieu et sa proximité capable de se placer dans les mains fragiles de ses disciples pour nourrir son peuple et dire avec lui : prenez et mangez, prenez et buvez, ceci est mon corps, mon corps qui s’offre pour vous (cf. Lc 22, 19). La synkatabasis totale de Dieu .

Un dévouement priant, qui se façonne et s’affine silencieusement entre les carrefours et les contradictions que le pasteur doit affronter (cf. 1 P 1, 6-7) et l’invitation confiante à paître le troupeau (cf. Jn 21, 17). Comme le Maître, il porte sur ses épaules la fatigue de l’intercession et l’usure de l’onction pour son peuple, surtout là où la bonté doit lutter et où les frères voient leur dignité menacée (cf. He 5, 7-9). Dans cette rencontre d’intercession, le Seigneur continue à générer la douceur capable de comprendre, d’accueillir, d’espérer et de parier au-delà des incompréhensions que cela peut susciter. Une fécondité invisible et insaisissable, qui naît du fait de savoir dans quelles la confiance a été placée (cf. 2 Tm 1, 12). Une confiance priante et adoratrice, capable d’interpréter les actions du pasteur et d’adapter son cœur et ses décisions aux temps de Dieu (cf. Jn 21, 18) : « Être le pasteur veut dire aimer, et aimer veut dire aussi être prêt à souffrir. Aimer signifie: donner aux brebis le vrai bien, la nourriture de la vérité de Dieu, de la parole de Dieu, la nourriture de sa présence » [3].

Et aussi un dévouement soutenu par la consolation de l’Esprit, qui le précède toujours dans la mission : dans la quête passionnée de communiquer la beauté et la joie de l’Évangile (cf. Exhort. Ap. Gaudete et exsultate, n. 57), dans le témoignage fécond de ceux qui, comme Marie, restent de bien des manières au pied de la croix, dans cette paix douloureuse mais solide qui n’agresse ni ne soumet ; et dans l’espérance obstinée mais patiente que le Seigneur accomplira sa promesse, comme il l’avait promis à nos pères et à sa descendance à jamais (cf. Lc 1, 54-55).

Nous aussi, fermement attachés aux dernières paroles du Seigneur et au témoignage qui a marqué sa vie, nous voulons, en tant que communauté ecclésiale, suivre ses traces et confier notre frère aux mains du Père : que ces mains de miséricorde trouvent sa lampe allumée avec l’huile de l’Évangile qu’il a répandue et dont il a témoigné durant sa vie (cf. Mt 25, 6-7).

Saint Grégoire le Grand, à la fin de la Règle pastorale, invite et exhorte un ami à lui offrir cette compagnie spirituelle : « Au milieu des tempêtes de ma vie, je me console par la confiance que tu me tiendras à flot sur la table de tes prières, et que, si le poids de mes fautes m’abat et m’humilie, tu me prêteras le secours de tes mérites pour me relever ». C’est la conscience du pasteur qu’il ne peut pas porter tout seul ce que, en réalité, il ne pourrait jamais supporter tout seul et, par conséquent, il sait s’abandonner à la prière et au soin du peuple qui lui est confié [4]. C’est le peuple fidèle de Dieu qui, rassemblé, accompagne et confie la vie de celui qui a été son pasteur. Comme les femmes de l’Évangile au sépulcre, nous sommes ici avec le parfum de la gratitude et l’onguent de l’espérance pour lui démontrer, encore une fois, l’amour qui ne se perd pas. Nous voulons le faire avec la même onction, sagesse, délicatesse et dévouement qu’il a su prodiguer au cours des années. Nous voulons dire ensemble: “Père, entre tes mains nous remettons son esprit”.

Benoît, fidèle ami de l’Époux, que ta joie soit parfaite en entendant sa voix, définitivement et pour toujours !

Texte courtoisie de la Libreria Editrice Vaticana

Message Urbi et Orbi du pape François pour le Dimanche de Pâques

(Photos: Vatican Media) Vous trouverez ci-dessous le texte du Message Urbi et Orbi du pape François pour Pâques tel que prononcé lors de la célébration eucharistique en la Basilique vaticane en ce dimanche 12 avril 2020.

Chers frères et sœurs, bonne fête de Pâques !

Aujourd’hui retentit dans le monde entier l’annonce de l’Eglise: “Jésus Christ est ressuscité ! ” – “ Il est vraiment ressuscité !”.
Comme une nouvelle flamme, cette Bonne Nouvelle s’est allumée dans la nuit : la nuit d’un monde déjà aux prises avec des défis du moment et maintenant opprimé par la pandémie, qui met à dure épreuve notre grande famille humaine. En cette nuit la voix de l’Eglise a résonné : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » (Séquence pascale).

C’est une autre “contagion”, qui se transmet de cœur à cœur – parce que tout cœur humain attend cette Bonne Nouvelle. C’est la contagion de l’espérance : « Le Christ, mon espérance, est ressuscité ! » Il ne s’agit pas d’une formule magique, qui fait s’évanouir les problèmes. Non, la résurrection du Christ n’est pas cela. Elle est au contraire la victoire de l’amour sur la racine du mal, une victoire qui “ n’enjambe pas” la souffrance et la mort, mais les traverse en ouvrant une route dans l’abime, transformant le mal en bien : marque exclusive de la puissance de Dieu.

Le Ressuscité est le Crucifié, pas un autre. Dans son corps glorieux il porte, indélébiles, les plaies : blessures devenues fissures d’espérance. Nous tournons notre regard vers lui pour qu’il guérisse les blessures de l’humanité accablée.

Aujourd’hui ma pensée va surtout à tous ceux qui ont été frappés directement par le coronavirus : aux malades, à ceux qui sont morts et aux familles qui pleurent la disparition de leurs proches, auxquels parfois elles n’ont même pas pu dire un dernier au revoir. Que le Seigneur de la vie accueille avec lui dans son royaume les défunts et qu’il donne réconfort et espérance à ceux qui sont encore dans l’épreuve, spécialement aux personnes âgées et aux personnes seules. Que sa consolation ne manque pas, ni les aides nécessaires à ceux qui se trouvent dans des conditions de vulnérabilité particulière, comme ceux qui travaillent dans les maisons de santé, ou qui vivent dans les casernes et dans les prisons. Pour beaucoup, c’est une Pâques de solitude, vécue dans les deuils et les nombreuses difficultés que la pandémie provoque, des souffrances physiques aux problèmes économiques.

Cette maladie ne nous a pas privé seulement des affections, mais aussi de la possibilité d’avoir recours en personne à la consolation qui jaillit des Sacrements, spécialement de l’Eucharistie et de la Réconciliation. Dans de nombreux pays il n’a pas été possible de s’approcher d’eux, mais le Seigneur ne nous a pas laissés seuls ! Restant unis dans la prière, nous sommes certains qu’il a mis sa main sur nous (cf. Ps 138, 5), nous répétant avec force : ne crains pas, « je suis ressuscité et je suis toujours avec toi » (cf. Missel romain) !

Que Jésus, notre Pâque, donne force et espérance aux médecins et aux infirmiers, qui partout offrent au prochain un témoignage d’attention et d’amour jusqu’à l’extrême de leurs forces et souvent au sacrifice de leur propre santé. A eux, comme aussi à ceux qui travaillent assidument pour garantir les services essentiels nécessaires à la cohabitation civile, aux forces de l’ordre et aux militaires qui en de nombreux pays ont contribué à alléger les difficultés et les souffrances de la population, va notre pensée affectueuse, avec notre gratitude.

Au cours de ces semaines, la vie de millions de personnes a changé à l’improviste. Pour beaucoup, rester à la maison a été une occasion pour réfléchir, pour arrêter les rythmes frénétiques de la vie, pour être avec ses proches et jouir de leur compagnie. Pour beaucoup cependant c’est aussi un temps de préoccupation pour l’avenir qui se présente incertain, pour le travail que l’on risque de perdre et pour les autres conséquences que la crise actuelle porte avec elle. J’encourage tous ceux qui ont des responsabilités politiques à s’employer activement en faveur du bien commun des citoyens, fournissant les moyens et les instruments nécessaires pour permettre à tous de mener une vie digne et pour favoriser, quand les circonstances le permettront, la reprise des activités quotidiennes habituelles.

Ce temps n’est pas le temps de l’indifférence, parce que tout le monde souffre et tous doivent se retrouver unis pour affronter la pandémie. Jésus ressuscité donne espérance à tous les pauvres, à tous ceux qui vivent dans les périphéries, aux réfugiés et aux sans-abri. Que ces frères et sœurs plus faibles, qui peuplent les villes et les périphéries de toutes les parties du monde, ne soient pas laissés seuls. Ne les laissons pas manquer des biens de première nécessité, plus difficiles à trouver maintenant alors que beaucoup d’activités sont arrêtées, ainsi que les médicaments et, surtout, la possibilité d’une assistance sanitaire convenable. En considération des circonstances, que soient relâchées aussi les sanctions internationales qui empêchent aux pays qui en sont l’objet de fournir un soutien convenable à leurs citoyens, et que tous les Etats se mettent en condition de faire front aux nécessités majeures du moment, en réduisant, si non carrément en remettant, la dette qui pèse sur les budgets des plus pauvres.
Ce temps n’est pas le temps des égoïsmes, parce que le défi que nous affrontons nous unit tous et ne fait pas de différence entre les personnes. Parmi les nombreuses régions du monde frappées par le coronavirus, j’adresse une pensée spéciale à l’Europe. Après la deuxième guerre mondiale, ce continent bien-aimé a pu renaître grâce à un esprit concret de solidarité qui lui a permis de dépasser les rivalités du passé. Il est plus que jamais urgent, surtout dans les circonstances actuelles, que ces rivalités ne reprennent pas vigueur, mais que tous se reconnaissent membres d’une unique famille et se soutiennent réciproquement. Aujourd’hui, l’Union Européenne fait face au défi du moment dont dépendra, non seulement son avenir, mais celui du monde entier. Que ne se soit pas perdue l’occasion de donner une nouvelle preuve de solidarité, même en recourant à des solutions innovatrices. L’alternative est seulement l’égoïsme des intérêts particuliers et la tentation d’un retour au passé, avec le risque de mettre à dure épreuve la cohabitation pacifique et le développement des prochaines générations.

Ce temps n’est pas le temps des divisions. Que le Christ notre paix éclaire tous ceux qui ont des responsabilités dans les conflits, pour qu’ils aient le courage d’adhérer à l’appel pour un cessez le feu mondial et immédiat dans toutes les régions du monde. Ce n’est pas le temps de continuer à fabriquer et à trafiquer des armes, dépensant des capitaux énormes qui devraient être utilisés pour soigner les personnes et sauver des vies. Que ce soit au contraire le temps de mettre finalement un terme à la longue guerre qui a ensanglanté la Syrie, au conflit au Yémen et aux tensions en Irak, comme aussi au Liban. Que ce temps soit le temps où Israéliens et Palestiniens reprennent le dialogue, pour trouver une solution stable et durable qui permette à tous deux de vivre en paix. Que cessent les souffrances de la population qui vit dans les régions orientales de l’Ukraine. Que soit mis fin aux attaques terroristes perpétrées contre tant de personnes innocentes en divers pays de l’Afrique.

Ce temps n’est pas le temps de l’oubli. Que la crise que nous affrontons ne nous fasse pas oublier tant d’autres urgences qui portent avec elles les souffrances de nombreuses personnes. Que le Seigneur de la vie se montre proche des populations en Asie et en Afrique qui traversent de graves crises humanitaires, comme dans la région de Cabo Delgado, au nord du Mozambique. Qu’il réchauffe le cœur des nombreuses personnes réfugiées et déplacées, à cause de guerres, de sécheresse et de famine. Qu’il donne protection aux nombreux migrants et réfugiés, beaucoup d’entre eux sont des enfants, qui vivent dans des conditions insupportables, spécialement en Libye et aux frontières entre la Grèce et la Turquie. Qu’il permette au Vénézuela d’arriver à des solutions concrètes et immédiates pour accorder l’aide internationale à la population qui souffre à cause de la grave conjoncture politique, socio-économique et sanitaire.

Chers frères et sœurs,
indifférence, égoïsme, division, oubli ne sont pas vraiment les paroles que nous voulons
entendre en ce temps. Nous voulons les bannir en tout temps ! Elles semblent prévaloir quand la peur et la mort sont victorieuses en nous, c’est-à-dire lorsque nous ne laissons pas le Seigneur Jésus vaincre dans notre cœur et dans notre vie. Lui, qui a déjà détruit la mort nous ouvrant le chemin du salut éternel, qu’il disperse les ténèbres de notre pauvre humanité et nous introduise dans son jour glorieux qui ne connaît pas de déclin.

[00485-FR.01] [Texte original: Italien, courtoisie de Libreria éditrice Vaticana]

Cliquez ICI pour accéder aux sources

Vendredi Saint 2020 : Homélie lors de la Passion du Seigneur à la basilique Saint-Pierre de Rome

Le pape François préside la liturgie du Vendredi Saint de la Passion du Seigneur le 10 avril 2020, à l’autel de la chaire de la basilique Saint-Pierre au Vatican. (CNS photo/Andrew Medichini, pool via Reuters)

Homélie du père Raniero Cantalamessa, ofmcap., prédicateur de la Maison pontificale

Célébration de la Passion du Seigneur 

Vendredi 10 avril 2020

 

« J’AI DES PENSÉES DE PAIX, ET NON DE MALHEUR »

Saint Grégoire le Grand disait que l’Écriture cum legentibus crescit, c’est-à-dire grandit avec ceux qui la lisent[1]. Elle continue de révéler de nouvelles significations à l’homme selon les questions qu’il porte dans son cœur quand il la lit. Et cette année, nous lisons le récit de la Passion avec une question – ou
plutôt avec un cri – dans le cœur, qui s’élève de partout sur la terre. Nous devons chercher à saisir la réponse que la parole de Dieu y apporte.

Ce que nous venons d’entendre est le récit du mal objectivement le plus grand jamais commis sur la terre. Et nous pouvons le regarder sous deux angles différents, soit en face, soit à l’arrière, c’est-à-dire sous l’angle de ses causes ou de ses effets. Si nous nous arrêtons aux causes historiques de la mort du Christ, nous sommes troublés et chacun serait tenté de dire comme Pilate : « Je suis innocent du sang de cet homme[2] ». On comprend mieux la croix à ses effets qu’à ses causes. Et quels ont été les effets de la mort du Christ ? Nous avons été justifiés par la foi en lui, réconciliés et en paix avec Dieu, remplis de l’espérance de la vie éternelle ! (cf. Rom 5,1-5)

Mais il y a un effet que la situation actuelle nous aide à saisir de manière particulière. La croix du Christ a donné un nouveau sens à la douleur et à la souffrance humaines. À toute souffrance, physique et morale. Ce n’est plus une punition, une malédiction. Car elle a été rachetée à la racine depuis que le Fils de Dieu l’a prise sur lui. Quelle est la preuve la plus sûre que la boisson que l’on te tend n’est pas empoisonnée ? Que l’on boit à la même coupe devant toi. Ainsi, sur la croix, Dieu a bu, aux yeux de tous, le calice de douleur jusqu’à la lie. Il a montré par là qu’il n’est pas empoisonné, mais qu’au fond, on y trouve une perle.

Et pas seulement la douleur de ceux qui ont la foi, mais toute douleur humaine. Il est mort pour tous. « Et moi, quand j’aurai été élevé de terre, avait-il dit, j’attirerai à moi tous les hommes[3]. » Tous les hommes, pas seulement quelques-uns ! « Souffrir – écrivait saint Jean-Paul II de son lit d’hôpital après son attentat – signifie devenir particulièrement réceptif, particulièrement ouvert à l’action des forces salvifiques de Dieu offertes à l’humanité dans le Christ[4]. » Grâce à la croix du Christ, la souffrance est devenue elle aussi, à sa manière, une sorte de « sacrement universel de salut » pour le genre humain.

* * *

Quelle lumière tout cela jette-t-il sur la situation dramatique que traverse l’humanité ? Ici encore, plutôt que les causes, il nous faut regarder les effets. Non seulement les effets négatifs, dont nous entendons chaque jour le triste bulletin, mais aussi les effets positifs que seule une observation plus attentive nous aide à saisir.
La pandémie du Coronavirus nous a brutalement fait prendre conscience du danger le plus grand qui soit que les hommes et l’humanité ont toujours couru, celui de l’illusion de la toute-puissance. Nous avons l’occasion – a écrit un rabbin juif connu – de célébrer cette année un exode pascal très particulier, celui de « l’exil de la conscience » [5]. Il a suffi du plus petit et plus informe élément de la nature, un virus, pour nous rappeler que nous sommes mortels, que la puissance militaire et la technologie ne peuvent suffire à nous sauver. « L’homme comblé qui n’est pas clairvoyant – dit un psaume de la Bible – ressemble au bétail qu’on abat[6]. » C’est vrai : l’homme dans la prospérité ne comprend pas.

Alors qu’il peignait les fresques de la cathédrale Saint-Paul à Londres, le peintre James Thornhill était si enthousiasmé par son travail que, revenant à un moment donné sur ses pas pour mieux admirer sa fresque, il ne remarqua pas qu’il était sur le point de tomber de l’échafaudage dans le vide. Un de ses assistants, terrifié, comprit que s’il criait, il ne ferait qu’accélérer la catastrophe. Sans y réfléchir à deux fois, il trempa un pinceau dans la couleur et le balança en plein sur la fresque. Le maître, sidéré, bondit en avant. Son travail était compromis, mais il était sauvé.

C’est ainsi parfois que Dieu fait avec nous, il bouleverse nos plans et notre tranquillité, pour nous sauver de l’abîme que nous ne voyons pas. Mais ne soyons pas dupes. Ce n’est pas Dieu qui a balancé le pinceau en plein sur le fresque éblouissant de notre civilisation technologique. Dieu est notre allié, pas celui du virus ! « Je forme à votre sujet des pensées de paix, et non de malheur », dit-il lui-même dans la Bible[7]. Si ces fléaux étaient des châtiments de Dieu, il ne serait pas expliqué pourquoi ils frappent également justes et pécheurs, et pourquoi les pauvres sont ceux qui en supportent les pires conséquences. Sont-ils plus pécheurs que les autres?
Non ! Celui qui a un jour pleuré la mort de Lazare pleure aujourd’hui le fléau qui est tombé sur l’humanité. Oui, Dieu « souffre », comme chaque père et chaque mère. Quand nous le découvrirons un jour, nous aurons honte de toutes les accusations que nous avons portées contre lui dans la vie. Dieu participe à notre douleur pour la surmonter. « Dieu – écrit saint Augustin – étant suprêmement bon, ne laisserait aucun mal exister dans ses œuvres, s’il n’était pas assez puissant et bon, pour tirer le bien du mal lui-même[8] ».

Dieu le Père a-t-il voulu lui-même la mort de son Fils, pour en tirer un bien ? Non, il a simplement laissé la liberté humaine suivre son cours, en lui faisant servir son plan, pas celui des hommes. Ceci s’applique également aux maux naturels, comme les tremblements de terre et les pestes. Ce n’est pas lui qui les suscite. Il a donné aussi à la nature une sorte de liberté, qualitativement différente certes de la liberté morale de l’homme, mais toujours une forme de liberté. Liberté d’évoluer selon ses lois de développement. Il n’a pas créé le monde comme une horloge programmée à l’avance dans son moindre mouvement. C’est ce que certains appellent le hasard, et que la Bible appelle plutôt « la sagesse de Dieu ».

* * *

L’autre fruit positif de cette crise sanitaire est le sentiment de solidarité. Quand, de mémoire d’homme, les gens de toutes les nations se sont-ils sentis aussi unis, aussi égaux, aussi peu querelleurs, qu’en ce moment de douleur ? Jamais comme aujourd’hui nous ne saisissons la vérité de ces mots d’un de nos grands poètes : « Hommes, paix ! Sur la terre écrasée le mystère est trop grand[9] ». Nous avons oublié les murs que nous voulions construire. Le virus ne connaît pas de frontières. En un instant, il a brisé toutes les barrières et distinctions : de race, de religion, de richesse, de pouvoir. Nous ne devrons pas revenir en arrière lorsque ce moment sera passé. Comme le Saint-Père nous y a exhortés, ne laissons pas passer en vain cette occasion. Ne permettons pas que toute cette souffrance, tous ces morts, tout cet engagement héroïque du personnel médical aient été vains. C’est la « récession » que nous devons
craindre le plus.

 

« De leurs épées, ils forgeront des socs,
et de leurs lances, des faucilles.
Jamais nation contre nation ne lèvera l’épée ;
ils n’apprendront plus la guerre[10]. »

 

Il est temps de réaliser quelque chose de cette prophétie d’Isaïe dont l’humanité attend depuis toujours l’accomplissement. Disons : assez ! à la tragique course aux armements. Dites-le de toutes vos forces, vous les jeunes, car c’est avant tout votre destin qui est en jeu. Attribuons les ressources illimitées utilisées pour les armements aux fins dont, dans ces situations, nous voyons le besoin et l’urgence : la santé, l’hygiène, l’alimentation, la lutte contre la pauvreté, le soin de la création. Laissons à la génération qui viendra un monde plus pauvre en choses et en argent, au besoin, mais plus riche en humanité.

* * *

La parole de Dieu nous dit quelle est la première chose que nous devons faire dans des moments comme ceux-ci : crier vers Dieu, car c’est lui-même qui met sur les lèvres des hommes les mots qu’ils lui adressent, parfois même des mots durs, de lamentation et presque d’accusation. « Debout ! Viens à notre aide ! Rachète-nous, au nom de ton amour. […] Ne nous rejette pas pour toujours[11]. » « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien[12] ? »

Peut-être Dieu aime-t-il se faire prier pour accorder ses bienfaits ? Peut-être notre prière peut-elle amener Dieu à changer ses plans ? Non, mais il y a des choses que Dieu a décidé de nous accorder comme fruit à la fois de sa grâce et de notre prière, comme pour partager avec ses créatures le mérite du bienfait reçu[13]. C’est lui qui nous exhorte à le faire : « Demandez, on vous donnera ; dit Jésus ; frappez, on vous ouvrira[14] ».

Lorsque, dans le désert, les Juifs étaient mordus par des serpents venimeux, Dieu ordonna à Moïse d’élever un serpent de bronze sur un poteau, et ceux qui le regardaient ne mouraient pas. Jésus s’est approprié ce symbole. « De même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, dit-il à Nicodème, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle[15] ». Nous aussi, en ce moment, nous sommes mordus par un « serpent » venimeux invisible.

Regardons celui qui a été « élevé » pour nous sur la croix. Adorons-le pour nous et pour toute l’humanité. Qui le regarde avec foi ne meurt pas. Et s’il meurt, ce sera pour entrer dans une vie éternelle. « Après trois jours, je me lèverai », avait prédit Jésus.[16] Nous aussi, après ces jours que nous espérons courts, nous nous lèverons et sortirons des tombeaux que sont devenu nos maisons. Non pas pour revenir à l’ancienne vie comme Lazare, mais à une nouvelle vie, comme Jésus. Une vie plus fraternelle, plus humaine. Plus chrétienne!
_________________________
[1] Moralia in Job, XX,1.
[2] Mt 27, 24.
[3] Jn 12, 32.
[4] Salvifici doloris, n. 23
[5] https://blogs.timesofisrael.com/coronavirus-a-spiritual-message-from-brooklyn (Yaakov Yitzhak Biderman).
[6] Ps 48, 21.
[7] Jr 29, 11.
[8] Enchiridion, 11, 3 : PL 40, 236.
[9] G. Pascoli, I due fanciulli (Les deux enfants).
[10] Is 2, 4.
[11] Ps 43, 24.27.
[12] Mc 4, 38.
[13] Cf. S. Thomas d’Aquin, S.Th. II-IIae, q.83, a.2.
[14] Mt 7, 7.
[15] Jn 3, 14-15.
[16] Mt 9,31.

 

Source : l’Agence d’information internationale ZENIT.

Secured By miniOrange